Generalitat de Catalunya

Catalogne

Cataluña / Catalunya

(Espagne)

Capitale: Barcelone 
Population: 8,5 millions (2022) 
Langues officielles: castillan, catalan et aranais (local) 
Groupe majoritaire: catalan (env. 60 %) 
Groupes minoritaires: castillan (35 %), aranais (0,1 %) 
Système politique: l’une des 17 communautés autonomes d’Espagne 
Articles constitutionnels (langue): art. 3 de la Constitution espagnole de 1978; art. 3 et 27 du Statut d'autonomie de la Catalogne (1979, abrogé); art. 6 du Statut d'autonomie de la Catalogne (2006).

Lois linguistiques: Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne (1983, abrogée); Décret 397 du 8 septembre attribuant à la Direction générale de la politique linguistique les fonctions permettant de suivre et de promouvoir l'application de la loi (1983); Décret 125 du 17 avril réglementant l'usage du catalan dans les écritures publiques (1984); Accord du 29 mai 1985 entre le département de la Justice de la Generalitat de Catalogne et le tribunal régional de Barcelone sur la catalanisation de l'administration de la justice (1985);  Décret 18 du 30 janvier réglementant l'exigence de la connaissance du catalan par les fonctionnaires du corps enseignant des ordres préscolaire et EGB qui s'incorporent au système scolaire de la Catalogne (1986); Arrêté du 18 février 1986 sur la normalisation linguistique des affiches utilisées dans la signalisation des appareils et des installations (1986); Décret du 5 octobre concernant l'application de la Loi sur la normalisation linguistique (1988); Circulaire du 24 avril concernant l'usage des langues officielles en Catalogne par l'administration de la Generalitat et par les organismes qui en dépendent (1989); Loi de la Catalogne sur le régime spécial du val d'Aran (1990); Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998; Décret 208 du 30 juillet réglementant l'accréditation de la modification linguistique des noms et prénoms (1998); Décret 152 du 29 mai sur l'évaluation et la certification de connaissance du catalan (2001); Décret 116 du 14 juin sur le Conseil social de la langue catalane (2005); Décret 216 du 11 octobre sur la structure organique du Secrétariat à la politique linguistique (2005); Décret 3 du 17 janvier modifiant le décret 152/2001 du 29 mai sur l'évaluation et la certification des connaissances du catalan (2006);  Loi sur la langue occitane, l'aranais en Aran (2010).

Lois scolaires: Décret 362 du 30 août sur l'application de la loi 7/1983 du 18 avril sur la normalisation linguistique en Catalogne dans le cadre de l'enseignement non universitaire (1983); Décret 75 du 9 mars établissant l'organisation générale de l'enseignement préscolaire, de l'enseignement primaire et secondaire obligatoire en Catalogne (1992); Loi n° 12 du 10 juillet sur l'éducation (2009).

Lois diverses à portée linguistique: Décret 106 du 16 avril sur la signalisation routière, des gares de chemin de fer, des gares d'autobus et des services publics sur le territoire de la Communauté autonome (1982);  Décret 389 du 15 septembre sur l'étiquetage des produits commercialisés en Catalogne (1983);  Loi 17 du 23 juillet sur la fonction publique de l'administration de la Generalitat (1985); Loi 4 du 24 mars créant l’École d’administration publique de Catalogne (1987); Décret 147 du 31 mars réglementant l'activité industrielle et la prestation de services dans les ateliers de réparation de véhicules automobiles, de leurs équipements et de leurs pièces (1987); Loi 8 du 15 avril concernant les municipalités et les organismes locaux de la Catalogne (1987); Décret 214 du 30 juillet approuvant le règlement sur le personnel au service des entités locales (1990);  Décret 78 du 8 avril sur l'utilisation de la toponymie (1991); Loi relative au statut du consommateur (1993); Décret 317 du 4 novembre fixant les normes sur l'aménagement et la classification des établissements de restauration (1994); Décret 168 du 30 mai sur la réglementation des agences de voyages (1994); Décret 53 du 8 février sur le régime des prix, réservations et services complémentaires dans les établissements hôteliers (1994); Décret 237/1998 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre des films doublés et sous-titrés en catalan (1998, abrogé); Décret 269 du 21 octobre sur le régime juridique des concessions pour la prestation des services de radiodiffusion (1998); Décret 201/1999 du 27 juillet modifiant la disposition finale du décret 237/1998 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre de films doublés et sous-titrés en catalan (1999, abrogé); Décret 172/2000 du 15 mai abrogeant le décret 237 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre de films doublés et sous-titrés en catalan (2000, abrogé); Décret 15 du 8 janvier réglementant le régime juridique transitoire des télévisions locales par ondes terrestres (2001); Décret 59 du 23 janvier établissant la Commission de toponymie et modifiant le décret 78/1991 du 8 avril sur l'usage de la toponymie (2001)Décret 213 du 24 juillet sur la protection des droits du consommateur et de l'usager dans la prestation de service sur les biens durables (2001); Décret n° 188 du 26 juin sur les étrangers et leur intégration sociale en Catalogne (2001); Loi 1 du 19 février sur les universités de la Catalogne (2003); Loi 11 du 11 octobre sur la Société catalane des moyens audiovisuels (2007); Loi 10 du 10 juillet sur le Livre IV du Code civil de la Catalogne, relative aux successions (2008); Loi 4 du 24 avril du Livre III du Code civil de la Catalogne, relative aux personnes morales (2008); Loi 22/2010 du 20 juillet sur le Code de la consommation de la Catalogne (2010); Décret législatif n° 2/2009 du 25 août (DOGC 5452 du 27) approuvant le texte refondu de la Loi sur les routes (2009); Loi 20/2010 sur le cinéma (2010); Loi d’accueil aux personnes immigrées et à celles qui reviennent en Catalogne (2010).

Plan de l'article


1 Situation géographique

    1.1 Llivia, un territoire extraterritorial
    1.2 La structure gouvernementale et administrative
    1.3 Le drapeau catalan

2 Données démolinguistiques
   2.1 La langue catalane
   2.2 Le degré de connaissance du catalan
   2.3 Les variétés du catalan
   2.4 Les préjugés sur le catalan
   2.5 Les immigrants en Catalogne

3 Données historiques
   3.1 L'expansion catalane
   3.2 L'intégration à l'Espagne
   3.3 Le rétablissement de la Generalitat de 1978
   3.4 La consultation symbolique de 2014
   3.5 La voie légaliste et le dialogue de sourds
   3.6 La radicalisation du gouvernement catalan
   3.7 Les effets pervers de l'arme judiciaire
   3.8 Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
   3.9 Les modèles d'autodétermination

4 Le cadre juridique du catalan
   4.1 Le Statut d'autonomie de 2006
   4.2 Les limites imposées par le Tribunal constitutionnel
   4.3 La Catalogne et la Francophonie


5 La législation linguistique catalane

   5.1 La législature catalane et les tribunaux
   5.2 L'Administration catalane
   5.3 La toponymie
   5.4 Les langues dans l'enseignement
   5.5 Les langues dans les médias
   5.6 Le cinéma et la langue catalane
   5.7 Les industries de la langue
   5.8 Les entreprises privées et le catalan

6 La question linguistique en immigration
   6.1 Les compétences de la Generalitat
   6.2 La problématique des deux langues officielles
   6.3 Le catalan comme «langue publique commune»
   6.4 Les mesures d'intégration linguistique

7 Les organismes linguistiques
   7.1 La Direction générale à la politique linguistique
   7.2 Le Conseil social de la langue catalane
   7.3 L'Institut d'études catalanes
   7.4 Le Consortium pour la normalisation linguistique
   7.5 La Commission de toponymie
   7.6 Le Conseil permanent du catalan
   7.7 Le Centre de terminologie de Catalogne Termcat

8 Le val d'Aran

1 Situation géographique

La Catalogne (Catalunya en catalan; Cataluña en espagnol) est une région de 31 930 km² (à peu près l'équivalent de la Belgique) située au nord-est de l'Espagne. Elle est limitée au nord par la France et la principauté d'Andorre, à l'ouest par l'Aragon, au sud par le Pays valencien et à l’est par la mer Méditerranée. La Catalogne forme une Communauté autonome au sein de l'Espagne.

La Catalogne est divisée administrativement en quatre provinces: Barcelona (Barcelone), Gerona (Gérone), Lérida (Lleida) et Tarragona (Tarragone) — voir la carte détaillée. La capitale régionale est Barcelone.

1.1 Llivia, un territoire extraterritorial

Il existe aussi une ville du nom de Llivia (en catalan: Llívia) située en territoire français, soit à l’intérieur du département des Pyrénées-Orientales. La ville de 12,83 km² fait partie de la province catalane de Girona (ou Gérone); la population (env. 1500 habitants) parle le catalan comme langue maternelle; l'espagnol et/ou le français comme langues secondes. Une route «neutre» de 4 km relie Llivia à la Catalogne (Espagne); la ville est située à 153 km au nord de la capitale de sa province, Girona. Llivia est la seule enclave étrangère en sol français. Quoi qu'il en soit, la ville de Llivia fait partie de l'aire catalane, qui comprend la Catalogne-Nord (en catalan : Catalunya Nord), la Catalogne du Sud (l'actuelle communauté autonome), la principauté d'Andorre, le Pays valencien et les îles Baléares. Rappelons que ce qu'on appelle la «Catalogne du Nord» ou «Catalogne-Nord» désigne le territoire espagnol cédé à la Couronne de France par la Couronne d'Espagne en 1659 lors du traité des Pyrénées, à l'exception de la ville de Llivia, ce qui correspond grosso modo à l’actuel département français des Pyrénées-Orientales.

1.2 La structure gouvernementale et administrative

La structure administrative des communautés autonomes en Espagne diffère des structures connues dans d'autres pays fédérés. Ainsi, en Floride (États-Unis), le chef de l'Exécutif est le gouverneur ("Governor"), assisté d'un lieutenant-gouverneur ("Lieutenant Governor") et de «secrétaires» d'État ("secretaries") à la tête des différents «départements» ("Departments"). Au Québec (Canada), le chef de l'Exécutif est le premier ministre assisté des ministres responsables d'un ministère particulier. En Catalogne, le chef de l'Exécutif est le «président» ("President" ou "Presidenta") assisté d'un Conseller Primer del Govern (fr. «premier conseiller du Gouvernement») ou, depuis 2006, d'un vice-président ("Vicepresident" ou "Vicepresidenta") et de plusieurs «conseillers» ("conseller" ou "consellera") à la tête des différents «départements» ("departaments"). Le vice-président n'est pas titulaire d'un Departament et dispose de fonctions propres. La fonction de «premier conseiller» est prévue à l'article 69 du Statut d'autonomie de 2006. Mais ce sont la Loi 1/2005 du 31 mars sur le premier conseiller ou la première conseillère du gouvernement de la Generalitat ("Llei 1/2005, de 31 de març, del conseller o consellera primer del Govern de la Generalitat") et la Loi 13/2008 du 5 novembre sur la présidence de la Generalitat et du Gouvernement ("Llei 13/2008, del 5 de novembre, de la presidència de la Generalitat i del Govern") qui régissent les fonctions de président et de vice-président.

Rappelons qu'en France la «Généralité» ("Generalitat") désignait sous l'Ancien Régime monarchique le gouvernement central par opposition aux gouvernements régionaux, ceux des anciennes provinces. Dans le cadre de l'administration royale, les généralités servaient surtout à contrôler la collecte des impôts destinés à l'État. La dernière généralité disparut en France après 1784. En Espagne, parmi les 17 communautés autonome, la Catalogne (Generalitat de Catalunya) et le Pays valencien (Generalitat Valenciana) ont conservé cette appellation pour désigner leur gouvernement.

Les termes Departament et conseller / consellera servent à désigner l'équivalent des «ministères» (ou «Departments» aux États-Unis) et des «ministres» (ou «secrétaires» aux États-Unis) du gouvernement catalan.  En français, on peut employer l'expression «ministre-conseiller» (ou «ministre-conseillère») pour rendre compte adéquatement du terme catalan conseller / consellera. Depuis 2008, en Catalogne, le titre de Conseller Primer del Govern a été remplacé par celui de vicepresident (fr. «vice-président») servent d'équivalent à «premier ministre» au Québec ou de gouverneur en Floride; le vice-président catalan est nommé sur décision du président de la Generalitat de Catalogne. En Floride, c'est le gouverneur, qui en tant que représentant de l'État, promulgue les lois régionales; au Québec, c'est le lieutenant-gouverneur (ou vice-roi), mais en Catalogne c'est le président de la Generalitat (prononcer [janaralitat]) ou «Généralité» en français. En Catalogne, le président est élu par le Parlement catalan; dans l'État de la Floride, le gouverneur est élu au suffrage universel; le lieutenant-gouverneur du Québec est nommé par le gouvernement fédéral du Canada.

En Espagne, les termes ministerio (fr. «ministère») et ministro / ministra (fr. «ministre») désignent les ministères et les ministres du gouvernement central, et non ceux des Communautés autonomes. Jusqu'à récemment, seul le premier ministre du gouvernement espagnol était désigné comme le Primer Ministro (fr. «premier ministre»), le chef du gouvernement des Communautés autonomes étant alors désigné par le titre de Conseller Primer (en catalan) ou de Consejero Primero (en espagnol). Aujourd'hui, on emploie dans tous les cas le terme «président» (esp. "presidente"), plus précisément «président du gouvernement» (esp. "Presidente del Gobierno"; catalan "President del Govern"). En français, on emploie aussi les expressions «chef du gouvernement» ou «premier ministre». Bref, il n'y a plus de premier ministre en Espagne.

1.3 Le drapeau catalan

Le drapeau de la Communauté autonome de la Catalogne, connu sous le nom de la Senyera («l'étendard»), est formé de neuf bandes horizontales jaunes (l'or) et rouges (le sang). Ce sont les couleurs de l'ancien royaume d'Aragon (1035 – 1707), car les descendants des premiers comtes catalans provenaient de ce royaume; ils ont simplement récupéré au XIIe siècle l'héritage du roi d'Aragon. Ces couleurs sont apparues pour la première fois en 1150 sous le règne de Ramon-Bérenguer IV (1115-1162), comte de Barcelone et artisan de l'union de l'Aragon et de la Catalogne. Celui-ci fut le dernier monarque catalan à se désigner avant tout comme comte de Barcelone, puisque, à partir de son fils Alphonse II d'Aragon (1157-1196), les comtes de Barcelone furent désignés comme rois d'Aragon. Les couleurs du drapeau catalan sont aussi les mêmes que celles de la Rome antique (rouge et or), qui furent également adoptées par les États pontificaux jusqu'en 1808. Le page changea alors ses propres couleurs en remplaçant le rouge par le blanc.

2 Données démolinguistiques

La population de la Catalogne était estimée à 8,5 millions d'habitants en 2022, une augmentation importante par rapport à 2008, alors que la population était de 6,1 millions. Selon les données de l'Institut d'Estadística de Catalunya, l'IDESCAT (Institut de la statistique de la Catalogne), le catalan est la langue maternelle (appelée en catalan la "llengua inicial") de 31,6 % de la Catalogne, contre 55 % pour le castillan et 3,8 % pour les locuteurs qui ont déclaré deux langues maternelles, ce qui donne un total de 90,4 % pour ces deux langues officielles en Catalogne.  C'est donc dire que les catalanophones sont minoritaires en Catalogne, mais pas nécessairement les Catalans.

Tableau 1 - Population selon la langue maternelle - 2003-2008

Langue Nombre 2003 Nombre 2008 Pourcentage 2003 Pourcentage 2008
Catalan 2 036,2 1 949,5 36,2 % 31,6 %
Castillan 3 155,1 3 389,0 56,1 % 55,0 %
Catalan et castillan 141,6 236,5 2,5 % 3,8 %
Arabe - 162,3 - 2,6 %

Roumain

- 56,8 - 0,9 %
Galicien 71,4 36,5 1,3 % 0,6 %
Français 39,4 31,1 0,7 % 0,5 %
Portugais - 26,9 - 0,4 %
Anglais - 22,1 - 0,4 %
Russe - 20,2 - 0,3 %
Aranais - 3,2 - 0,1 %
Autres langues 74,6 178,2 1,3 % 2,9 %
Autres combinaisons de langues - - - -
Aucune réponse 24,0 - 0,4 % -
Total (IDESCAT 2008) 5 619,5 6 162,5 100,0 % 100,0 %

On estime que 9,6 % de la population est immigrante, ce qui laisse place à plusieurs autres langues, dont l'arabe (marocain), le roumain, le galicien, le français, le portugais, l'anglais, le russe, l'aranais, etc.

Quant au tableau 2, il indique la proportion des locuteurs ayant le catalan et/ou le castillan comme langue d'usage (appelée en catalan "llengua habitual"). En fonction de ce critère, les catalanophones comptent pour 35,6 % au lieu de 31,6 %), les castillanophones pour 45,9 % (au lieu de 55,0 %), alors que les bilingues forment 12% (au lieu de 3,8%). Selon l’enquête linguistique réalisée en 2008 par le gouvernement de la Catalogne, qui diffère sensiblement de celle de 2003 (47,2%), une majorité revendique le castillan en 2008 (45,9%).

Tableau 2 - Population selon la langue d'usage - 2003-2008

Langue Nombre 2003 Nombre 2008 Pourcentage 2003 Pourcentage 2008
Catalan 2 584,9 2 196,6 46,0 % 35,6 %
Castillan 2 650,3 2 830,0 47,2 % 45,9 %
Catalan/castillan 265,4 736,7 4,7 % 12,0 %
Arabe - 115,9 - 1,9 %

Roumain

- 56,8 - 0,9 %
Galicien 71,4 36,5 1,3 % 0,6 %
Français 39,4 31,1 0,7 % 0,5 %
Portugais - 26,9 - 0,4 %
Russe - 20,2 - 0,3 %
Anglais - 22,1 - 0,4 %
Aranais - 2,0 - 0,0 %
Autres langues 74,6 178,2 1,3 % 2,9 %
Autres combinaisons de langues - - - -
Aucune réponse 24,0 - 0,4 % -
Total (IDESCAT 2008) 5 619,5 6 162,5 100,0 % 100,0 %

Toute la partie nord de cette région de l’Espagne fait partie de l’aire linguistique du catalan.

2.1 La langue catalane

En catalan, on écrit català pour désigner la langue catalane (llengua catalana); en espagnol, on distinguera catalán et lengua catalana.

Le catalan est une langue romane comme l’espagnol, le portugais, l’italien, le français, etc. Cependant, il fait partie du groupe ibéro-roman à l’exemple de l'aranais et du roussillonnais (France). Jusqu'au Moyen Âge, le catalan et l'occitan (en France) ne faisaient qu'une seule et même langue: ce sont des destins politiques différents et deux rattachement à des blocs dominants opposés qui les ont fait évoluer chacune de leur côté. Rappelons que c'est en 1934 que les intellectuels catalans ont fini par proclamer solennellement que le catalan (groupe ibéro-roman) était distinct de l'occitan (groupe occitano-roman). C'est pourquoi, aujourd'hui, on a plutôt tendance à en faire deux groupes distincts au même titre que l'espagnol (groupe ibéro-roman septentrional) et le portugais (groupe ibéro-roman méridional), le catalan étant considéré comme une langue ibéro-romane septentrionale. Pour certains linguistes, le catalan serait à classer dans les gallo-romanes méridionales, à l'instar de l'occitan.

Le catalan diffère de l'espagnol (castillan) en de nombreux points, dont son histoire, sa phonétique, sa grammaire et son vocabulaire.
 

Article 6 (catalan)

La llengua pròpia i les llengües oficials

1) La llengua pròpia de Catalunya és el català. Com a tal, el català és la llengua d'ús normal i preferent de les administracions públiques i dels mitjans de comunicació públics de Catalunya, i és també la llengua normalment emprada com a vehicular i d'aprenentatge en l'ensenyament.

Artículo 6 (castillan)

La lengua propria y las lenguas oficiales

1) La lengua propia de Cataluña es el catalán. Como tal, el catalán es la lengua de uso normal y preferente de las Administraciones públicas y de los medios de comunicación públicos de Cataluña, y es también la lengua normalmente utilizada como vehicular y de aprendizaje en la enseñanza.

Article 6 (français)

La langue propre et les langues officielles

1) La langue propre de la Catalogne est le catalan. Comme tel, le catalan est la langue d'usage normale et prioritaire des administrations publiques et le moyen de communication public en Catalogne, ainsi que la langue normalement utilisée comme véhicule et moyen d’apprentissage dans l'enseignement.

L’une des caractéristiques les plus importantes du catalan réside dans l’emploi de la consonne palatale initiale notée [ll] dans le système graphique: la llengua («la langue»), la lluna («la lune»), la lliço («la leçon»), la llet («le lait»), un llibre («un livre»), etc. Pour les francophones, le catalan apparaîtra sans doute plus familier que l'espagnol :

Mots catalans Équivalents français Équivalents espagnols
Article Article Artículo
com comme como
administracions públiques administrations publiques Administraciones públicas
comunicació públics communications publiques comunicación públicos
l'ensenyament l'enseignement la enseñanza
normalment normalement normalmente

Et il y aurait des centaines d'autres exemples du genre. De plus, les traits communs entre le catalan et l'ancien français sont restés remarquables:

  1. L'art de traduire est molt dificil (ancien français).
    L'art de traduir és molt difícil (catalan).
    El arte de traducir es muy difícil (castillan).

En raison de son aire linguistique située entre les langues d’oïl (nord de la France) et l’Espagne, le vocabulaire catalan est souvent constitué de termes plus proches du français et de l’occitan (soit le gallo-roman) que de l'espagnol et du portugais (soit l'ibéro-roman), et ce, qu'il s'agisse de noms ou d'adjectifs. En ce sens, le catalan est une sorte d'intermédiaire entre l'ibéro-roman (espagnol et portugais) et le gallo-roman (français et occitan). Il ne faut pas oublier que la Catalogne a été vassale des rois francs et de Hugues Capet, le premier roi de France à parler le français. 

2.2 Le degré de connaissance du catalan

Lorsqu'on consulte la figure de gauche ("Connaissance des langues par la population espagnole" 2008), on constate que les Espagnols catalans possèdent tous un haut degré de connaissances des deux langues officielles. En effet, le catalan est compris par 97,5 % contre 99,5 % pour le castillan, mais 83,4 % peuvent parler le catalan contre 98,2 % pour le castillan. Si 80,2 % des locuteurs savent lire le catalan, 93,8 % savent lire le castillan, et 62,8 % peuvent écrire le catalan et 91,9 % peuvent écrire le castillan.    

Les données de recensement de 2011 sur le catalan révèlent que la connaissance du catalan s’est améliorée par rapport à 1991. Ainsi, le tableau 3 nous indique que le nombre de locuteurs qui affirment comprendre le catalan a augmenté de 93,7 % à 95,1 %; ceux qui peuvent le parler, de 68,3 % à 73,1 %; ceux qui peuvent le lire, de 67,5 % à 78,7 %; et ceux qui peuvent l'écrire, de 39, 9 % à 55,8 %.


Tableau 3 - Connaissance du catalan
 
Année Peut comprendre Peut parler Peut lire Peut écrire Ne comprend pas
2011 95,1 % 73,1 % 78,7 % 55,7 % 4,8 %
2001 94,5 % 74,5 % 74,3 % 49,8 % 5,4 %
1996 94,9 % 75,3 % 72,3 % 45,8 % 5,0 %
1991 93,7 % 68,3 % 67,5 % 39,9 % 6,2 %

2.3 Les variétés du catalan

Le catalan parlé en Catalogne ou ailleurs présente plusieurs variétés. On distingue deux grands groupes dialectaux: le catalan oriental et le catalan occidental. Dans le groupe du catalan occidental, on compte trois grandes variétés: le catalan occidental du Nord et le catalan méridional. Dans le groupe du catalan oriental, on distingue le catalan du Nord (appelé roussillonnais en France) et le catalan central (provinces de Gérone et de Barcelone).

Groupe occidental

1) Catalan occidental du Nord

- léridan ou lleidatà (prov. de Lérida ou Lleida)
- pallarais (Pallars, prov. de Lérida ou Lleida))
- ribagorçain (Ribagorça, prov. de Lleida et Huesca)

2) Catalan méridional (valencien septentrional)

- tortosin (Tortosa, Gandesa, Amposta, au sud de la prov. de Tarragona)

 

 

Groupe oriental (Catalogne)

1) Catalan du Nord (ou septentrional)

- roussillonnais (dans le Roussillon/Rosselló en France)
- sous-dialecte du Capcir ou capcirois

2) Catalan central

- catalan central (prov. de Girona, Barcelona et nord de Tarragona)
- catalan septentrional de transition avec le roussillonnais
- parler salat (Costa Brava)  
- xipella ou xipelle (transition avec le catalan occidental du Nord)

Ces variétés dialectales se révèlent peu importantes au plan de la phonétique et du lexique, ce qui signifie que l'intercompréhension est relativement aisée, même entre les variétés occidentales et les variétés orientales.  Voir la carte linguistique de l'Espagne en cliquant ICI, s.v.p.

Situé au nord-ouest de la Catalogne, le val d'Aran compte une petite communauté de quelque 7000 habitants dont la langue principale, l'aranais (4500 locuteurs), en fait une véritable enclave linguistique occitane, dont la langue est appelée gascon en France.

2.4 Les préjugés sur le catalan

On sait que de nombreux castillanophones ont développé de forts préjugés à l'égard des langues ibériques de leur pays, que ce soit le catalan, le galicien, le basque, l'aragonais, l'asturien, etc. Malheureusement, il semble que ces mêmes préjugés se soient transmis à l'extérieur de l'Espagne. De fait, on ne peut que déplorer la perception dévalorisante que beaucoup de visiteurs étrangers entretiennent avec la langue catalane, par exemple, lorsqu'ils visitent la Catalogne. 

D'abord, sauf de rarissimes exceptions, les visiteurs étrangers (francophones, anglophones, germanophones, etc.) ignorent tout de la langue catalane. Généralement, ils ignorent même l'existence de cette langue. Pour la plupart des visiteurs étrangers, le catalan est perçu comme une sorte de «dialecte» ou une «déformation de l'espagnol», un idiome dont ils n'ont jamais entendu parler. Ils ignorent tous que le catalan et le castillan sont les deux langues officielles de la Catalogne. Ils ne distinguent même pas l'espagnol du catalan, lequel est pourtant affiché dans le nom des rues, sur les affiches du gouvernement catalan ou dans la publicité des grandes sociétés espagnoles; ils ne perçoivent pas que ces affiches portent des noms catalans. Ou bien ils croient que c'est de l'espagnol, en raison de la proximité des deux langues, ou bien c'est du «mauvais espagnol» ou de l'«espagnol local». Bref, les visiteurs ne remarquent généralement pas que les panneaux, les directions, les noms de rue, etc., sont entièrement rédigés en catalan. Pour bien des visiteurs, les mots sortida (fr. «sortie»; esp. «salida») ou carrer (fr. «rue»; esp. «calle») doivent être de l'espagnol! Lorsque quelqu'un, éventuellement un guide touristique, révèle aux visiteurs étrangers que le catalan est une «langue», tout comme l'espagnol ou le français, c'est la surprise la plus totale: ils n'en n'ont bien souvent jamais entendu parler!

Il semble que le gouvernement catalan aurait là un énorme travail à faire, non pas seulement auprès des Espagnols cette fois, mais auprès des agences touristiques ou des agences de voyage, surtout depuis que Barcelone est devenue une ville très «tendance».  

On peut consulter une page particulière consacrée à la description et à l'histoire de la langue catalane en cliquant ICI, s.v.p.

2.5 Les immigrants en Catalogne

Les mouvements migratoires apparaissent comme des constantes de l'Histoire de la Catalogne. Sa situation géographique au nord-est de l'Espagne, entre la France et la Méditerranée, lui a valu le rôle de «terre de passage» du nord de l'Europe vers le sud et vice versa. Cette tradition migratoire aurait commencé avec les Phéniciens, se serait poursuivie avec les Grecs et les Romains pour se perpétuer au Moyen Âge et jusqu'au XXe siècle.

C'est avec la dictature franquiste que la Catalogne vit arriver des centaines de milliers d'Espagnols de toutes les régions de l'Espagne. Juste après la guerre civile (1936-1939), plus d'un million d'Andalous ont immigré en Catalogne. Entre 1950 et 1970, des villages entiers ont migré de l'est et du sud de l'Espagne vers la Catalogne. De nombreux villages de la Castille ont perdu la majorité de leur population au profit de la Catalogne. Ces mouvements migratoires massifs ont eu lieu alors que le régime franquiste interdisait l'usage du catalan et toute manifestation de la culture catalane.  Ces millions de personnes venues du reste de l'Espagne n'ont pu connaître la langue catalane et se sont intégrées à la culture castillane.

- La montée spectaculaire de l'immigration

Depuis les années 2000, le phénomène de l'immigration est devenu spectaculaire : 794 000 étrangers vivaient en Espagne en 2000. En 2014, ils étaient 4,5 millions, soit 10 % de la population totale espagnole et 13,5 % en Catalogne. En raison de son avance économique, la Catalogne a vu bondir le nombre des étrangers. En 2008, les nouveaux-nés avaient une mère étrangère dans une proportion de 28,2 %. La moitié des habitants de la Catalogne ont aujourd'hui des racines familiales originaires de l'extérieur. Au cours de la période 1999-2009, 82,5 % de l'augmentation démographique est due à l'arrivée de population étrangère. Sans elle, la population de la Catalogne se serait simplement maintenue au lieu d'augmenter.

  1999 2009 Croissance %
Nationalité espagnole 6 062 608 6 283 231   220 623  17,5 %
Nationalité étrangère    144 925 1 184 192 1 039 267  82,5 %
Population totale 6 207 533 7 467 423 1 259 890 100,0 %
Source: IDESCAT 2009        

Dans cette décennie, la période avec la plus grande croissance proportionnelle de l'immigration étrangère est celle de 200-2002. Par contraste, la croissance de la population de nationalité espagnole en Catalogne s'est maintenue stable et à des niveaux relativement bas.

- Les pays d'origine

Quant aux pays d'origine des immigrants en Catalogne, ils sont devenus très diversifiés. Au 1er janvier 2009, il y avait une présence de 179 nationalités différentes en Catalogne, qui représentaient au moins 16 % de la population totale.

Pays d'origine Zone Langue Total %
Maroc Afrique arabe marocain 225 244 19,0 %
Roumanie Europe roumain   96 448 8,1 %
Équateur Amérique du Sud espagnol   82 261 6,9 %
Bolivie Amérique du Sud espagnol   58 323 4,9 %
Colombie Amérique du Sud espagnol   48 911 4,1 %
Italie Europe italien   48 143 4,1 %
Chine Asie chinois (et variétés)   44 789 3,8 %
France Europe français   36 059 3,0 %
Pérou Amérique du Sud espagnol   35 413 3,0 %
Argentine Amérique du Sud espagnol   33 812 2,9 %
Pakistan Asie panjabi / sindhi, etc.   33 336 2,8 %
Brésil Amérique du Sud portugais   27 803 2,3 %
Allemagne Europe allemand   24 107 2,0 %
Royaume-Uni Europe anglais   21 810 1,8 %
République dominicaine Amérique centrale espagnol   21 211 1,8 %
Sénégal Afrique wolof   18 798 1,6 %
Portugal Europe portugais   17 550 1,5 %
Gambie Afrique mandingue / peul, etc.   16 473 1,4 %
Chili Amérique du Sud espagnol   16 208 1,4 %
Ukraine Europe ukrainien / russe   16 183 1,4 %
Total des étrangers

Source: IDESCAT 2007

- 1 1884 192 100,0 %

Sur 179 pays, les dix principaux sont le Maroc, la Roumanie, l'Équateur, la Bolivie, la Colombie, l'Italie, la Chine, la France, le Pérou et l'Argentine. On y parle aujourd'hui en Catalogne quelque 270 langues et on y pratique 13 confessions religieuses différentes. La Catalogne compte de nombreux immigrants dont la langue d'origine est l'arabe, le roumain, l'italien, le portugais, le russe, le polonais, etc. Mais d'autres pays sont appelés à augmenter leurs ressortissants: le Pakistan (panjabi, sindhi, pachtou, ourdou), la Chine (mandarin, cantonais, hakka, min, wu, etc.), la Turquie (turc et kurde) et les Philippines (tagalog ou filipino) auxquels il faudrait ajouter l'Inde (panjabi, marathi, hindi, bengali, ourdou, gujarati, népali, konkani, sindhi, tamoul, télougou, malayalam, etc.).

- Distribution des étrangers sur le territoire

Sur le territoire de la Catalogne, l’immigration n’est pas un phénomène uniquement urbain ou métropolitain, car les immigrants sont répartis un peu partout, depuis la côte est sur la Méditerranée jusqu’aux montagnes du Nord (Pyrénées) et de l'Ouest, dans les petites agglomérations, aussi bien que dans les moyennes et les plus grandes.

La carte de gauche ("Distribution des étrangers dans les municipalités, 2008") indique la distribution des immigrants ou des étrangers dans les municipalités de la Communauté autonome de Catalogne en 2008. Il n'existe que fort peu d'agglomérations (en rouge) qui n'abrite aucun étranger. En effet, on compte au moins une personne immigrante dans 98 % des villages, municipalités et communes de la Catalogne. Le poids de la population étrangère était en moyenne, au 1er janvier 2009, de 16 % pour l’ensemble de la Catalogne. Dans plusieurs municipalités, les immigrants comptent jusqu'à 35 % de la population et cette proportion peut augmenter jusqu'à 50 % dans certaines municipalités. On constate cependant, d'après la carte, que les immigrants sont davantage attirés vers la côte est (vers la Méditerranée) et le Sud (vers Valence) que le Nord (vers la France) et l'Est (vers l'Aragon). Les municipalités dans lesquelles est dénombré le plus grande nombre d'immigrants en termes absolus sont forcément de grandes villes se trouvant dans des zones métropolitaines ou dans les capitales de province (Barcelone, Badalona, Terrassa, Lleida, Tarragona, Tortosa, Reus, etc.). Les municipalités ayant le plus grand poids de population étrangère, par exemple au-dessus de 35 %, sont habituellement petites.

La Catalogne n'est donc pas une région ethniquement homogène, car 50 % des Catalans ne sont pas des «Catalans de souche» et de 30 % à 40 % sont autant castillanophones que catalanophones. En Catalogne, le concept de «Catalan de souche» n'est pas tellement applicable, car la cohésion sociale apparaît plus importante que l'homogénéité ethnique. En Catalogne, est catalan qui veut l'être. Le projet catalan est civique, non ethnique!  

3 Données historiques

Vers 210 avant notre ère, la Catalogne fut conquise par les Romains, intégrée aux provinces romaines de l'Hispania et latinisée. Au Ve siècle de notre ère, les Wisigoths s'emparèrent de cette région et lui donnèrent son nom actuel: Gotholonia (ce qui signifie «pays — ou Land en all. — des Goths»).

La région fut ensuite conquise par les Arabes en 712 et reconquise par Charlemagne à la fin du VIIIe siècle. Ayant acquis le statut de comté, la Catalogne s'unit au XIIe siècle au royaume d'Aragon (par le mariage du comte Raymond Béranger IV et de Pétronille d'Aragon).

3.1 L'expansion catalane

Conservant leur propre autonomie au sein du royaume d'Aragon, les Catalans se lancèrent dans une politique d'expansion en Méditerranée, faisant successivement passer sous leur autorité les îles Baléares (1229-1230), le royaume de Valence (1238), la Sicile (1282), puis la Sardaigne (1321) où ils firent de la ville d’Alghero leur capitale régionale. Au cours de cette période s’étendant du XIIIe au XIVe siècles, la Catalogne s'affirma comme la première puissance de l’ouest de la Méditerranée. 

À l'extinction de la dynastie catalane d'Aragon en 1410, l’élection du Castillan Ferdinand Ier le Juste en 1412 suscita la grogne chez les Catalans qui finirent par s'insurger sous le règne de Jean II, mais durent se soumettre à la couronne de la Vieille-Castille en 1472.

3.2 L'intégration à l'Espagne

Désormais intégrée à l’Espagne, la Catalogne resta en retrait de l'aventure coloniale en Amérique et développa seule ses traits particularistes. Elle se révolta à plusieurs reprises, développa des sympathies pro-françaises, mais fut vaincue par la politique centralisatrice de Madrid qui lui supprima ses dernières prérogatives en 1714. La guerre de succession d'Espagne (1701-1714) mit fin aux velléités d'indépendance de la Catalogne. Le 16 janvier 1716, le Décret de Nova Planta («Décret de restructuration») appliqua en Catalogne un grand nombre de dispositions répressives destinées à abolir les institutions et les droits des Catalans. La Catalogne si vit imposer les lois de la Castille et le castillan comme langue officielle.  Cependant, le catalan, comme langue du peuple, ne disparut jamais, même s'il était relégué aux oubliettes dans la vie officielle. Dès 1760, les députés catalans, valenciens, des îles Baléares et du Val d'Aran envoyèrent au roi d'Espagne un Memorial de Greuges, une sorte de cahier des doléances dans lequel ils revendiquaient l'emploi du catalan. Au cours des années 1870, l'Espagne inaugura un système de monarchie parlementaire. Le catalan reprit ses droits et connut une véritable renaissance (Renaixença) culturelle et littéraire. L'Académie de la langue catalane fut fondée en 1880, l'Institut d'études catalanes, en 1907.

- Le Statut d'autonomie

En 1932, après la chute du roi Alfonse XIII, la Catalogne obtint un statut d'autonomie politique au sein de la IIe République espagnole (voir le texte de 1932). En vertu de l'article 1 du Statut d'autonomie, la Catalogne était constituée en région autonome au sein de l'État espagnol, son territoire couvrant les provinces de Barcelone, de Tarragone, de Lérida et de Gérone. L'article 2 reconnaissait que «la langue catalane est, comme le castillan, une langue officielle en Catalogne». Toutefois, il convient de bien comprendre la portée de la Constitution espagnole de 1938 et du Statut d'autonomie de 1931. Ces deux textes apportaient plusieurs restrictions aux acquis dans les domaines de la politique, de l’administration et de la justice.

D'abord, les autorités régionales étaient tenues de publier toute disposition ou décision officielle dans les deux langues, le castillane et l'autre langue co-officielle. Par ailleurs, le texte ne prévoyait pas que la langue régionale soit forcément la langue administrative prédominante, puisque tout citoyen a le droit de choisir la langue officielle qu’il préfère dans ses rapports avec les tribunaux, les autorités et les fonctionnaires de toute catégorie, aussi bien ceux de la région autonome que ceux de la République. De plus, dans les communications officielles de l'État avec les régions autonomes, le castillan est considéré comme la seule langue officielle (art. 2 du Statut d'autonomie). Quoi qu'il en soit, ces droits linguistiques accordés aux locuteurs des langues minoritaires en Espagne allaient devoir disparaître durant plus de quarante ans. Lorsqu’en mars 1938 les troupes franquistes pénétrèrent sur le territoire catalan, l'une des priorités de Franco fut d'abroger le Statut d'autonomie de la Catalogne par la loi du 5 avril 1938 (Ley de derogació de l´Estatut de Catalunya pel general Franco). La Catalogne allait alors connaître l'une des périodes les plus sombres de son histoire.

- La politique linguistique franquiste

Au cours de la guerre civile d'Espagne, la Catalogne républicaine finit par tomber aux mains des partisans du général Francisco Franco. La région fut soumise à un régime d'occupation militaire jusqu'au 1er août 1939. Sous le régime dictatorial de Franco (1939-1975), la Catalogne perdit son statut d'autonomie et le catalan fut même interdit, les livres en catalan, brûlés, tandis que les imprimeries furent sujettes à une censure brutale. Le régime franquiste fit supprimer toute visibilité du catalan dans l'espace public. Il s'employa à changer les noms des places et des rues, et à les remplacer par des plaques en castillan. Par exemple, la Plaça de Catalunya devient la "Plaza del Ejército Espanol" («place de l'Armée espagnole»); la Passeig de Gràcia («promenade de Gracia») fut renommée "Paseo General Mola" («promenade du Général Mola») et la Avinguda Diagonal devint "Avenida del Generalísimo" («avenue du Généralissime»). De la même façon, les noms des villes et des villages furent castillanisés. Par ailleurs, les statues représentant des personnalités catalanes ayant marqué le cours de l'Histoire furent détruites. Les commerçants furent obligés de se départir de leurs enseignes ou inscriptions rédigées en catalan. Voici quelques exemples d'événements illustrant les changements imposés à l'encontre du catalan pour la seule année de 1939:

1. Edicto del alcalde accidental de Olot donde prohíbe la presencia del catalán en todos los ámbitos

2. Edicto del alcalde de Mollet del Vallès donde se obliga a redactar en castellano todos los carteles escritos en catalán

3. El ayuntamiento de Hospitalet de Llobregat acuerda sacar todos los indicadores de las calles en catalán

4. El gobernador civil de Tarragona Mateo Torres prohíbe los carteles en catalán en los establecimientos así como en la vía pública

5. Orden del comandante militar español de Bellver de Cerdanya para que desaparezcan todos los carteles o anuncios "en lengua regional“

6. El comandante militar español de Granollers da ocho días de plazo para sustituir todos los letreros y anuncios del catalán al castellano

7. El ayuntamiento de Lleida acuerda que todos sus servicios se hagan en castellano

8. El ayuntamiento de Breda obliga a cambiar todas las placas de nombres de calles del catalán al castellano

9. El mando militar español de Sant Hipòlit de Voltregà ordena que en 48 horas se sustituyan todos los letreros en catalán por otros en castellano

10. La alcaldía de Olot ordena tapar o borrar todos los letreros públicos en catalán

11. Un edicto del ayuntamiento de Sant Feliu de Llobregat prohíbe hablar en catalán a los funcionarios

12. Carta del ministro español de Gobernación, Ramón Serrano Suñer a todos los obispos catalanes : Nueva normativa de usos lingüísticos en la comunicación de la Iglésia con los feligreses "hasta tanto que el idioma español sea entendido por todos (lo que se logrará con una tenaz labor escolar)"

1. Ordonnance de la mairie occidentale d'Olot interdisant la présence du catalan dans tous les domaines.

2. Ordonnance de la mairie de Mollet del Vallès où il est obligatoire de rédiger en castillan toutes les affiches écrites en catalan.

3. La municipalité de Hospitalet de Llobregat accepte de supprimer tous les panneaux de rues en catalan.

4. Le gouverneur civil de Tarragone Mateo Torres interdit les affiches en catalan dans les établissements scolaires ainsi que dans la vie publique.

5. Ordonnance du commandant militaire espagnol de Bellver de Cerdanya pour faire disparaître toutes les affiches ou publicités «en langue régionale».

6. Le commandant militaire espagnol de Granollers accorde huit jours pour remplacer toutes les enseignes et les annonces du catalan au castillan.

7. La municipalité de Lleida s'engage à ce que tous les services soient en castillan.

8. La municipalité de Breda oblige de changer toutes les plaques des noms de rues du catalan au castillan.

9. Le commandant militaire espagnol de Saint Hippolyte de Voltrega ordonne que dans les 48 heures toutes les enseignes en catalan soient remplacées par d'autres en castillan.

10. La municipalité d'Olot ordonne de couvrir ou d'effacer toutes les enseignes publiques en catalan.

11. Une ordonnance de la municipalité de Saint Feliu de Llobregat interdit de parler le catalan aux fonctionnaires.

12. Lettre du ministre espagnol de l'Intérieur, Ramon Serrano Suñer à tous les évêques catalans : Nouvelles règles des usages linguistiques dans les communications de l'Église avec les paroissiens «jusqu'à ce que la langue espagnole soit comprise par tout le monde (ce qui sera réalisé avec un travail scolaire tenace)».

Par ailleurs, les Catalans s'attirèrent de sévères réprimandes de la part des franquistes lorsqu'ils parlaient catalan: Perro separatista («chien séparatiste»), Quién es el perro que ha adrado?  («Qui est le chien qui a aboyé?»), Si eres español, habla la lengua del imperio («Si tu es espagnol, parle la langue de l'Empire») ou encore habla en cristiano («Parle chrétien»), ce qui pourrait être l'équivalent ibérique du Speak white des anglophones du Canada!

Par la suite, la presse espagnole, un allié de poids pour le pouvoir en place, publia systématiquement des commentaires très élogieux à l'endroit de «la langue commune à tous les Espagnols, symbole d’unité et véhicule de compréhension mutuelle» (El Noticiero Universal, Barcelone, 1er avril 1939: «La lengua común a todos los españoles, vínculo de unidad y vehículo de mutua comprensión»—, mais aussi en affirmant à maintes reprises que la langue catalane devait être cantonnée à la sphère familiale et privée. Le discours sur la souveraineté nationale et la défense de la grandeur et de l'unité de la nation espagnole furent les arguments récurrents que l'on retrouve dans la plupart des textes de cette époque. Un décret demeuré historiquement célèbre fut adopté le 28 juillet 1940 : le Décret portant création de l'usage exclusif de l'espagnol dans les services publics (Decreto estableciendo el uso exclusivo del español en los servicios públicos). Il illustre parfaitement la répression linguistique exercée par le régime de Franco. Voici les deux premiers articles du décret (traduction):

Article 1er

À partir du 1er août prochain, tous les fonctionnaires intermédiaires des sociétés provinciales et municipales dans cette province, quelle que soit leur catégorie, qui s'exprimeront à l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments officiels dans autre langue que celle officielle de l'État seront «ipso facto» destitués, sans qu'aucun appel ne soit recevable.

Article 2

1) S'il y a des manquements commis par des fonctionnaires rémunérés, titulaires d'un poste ou responsables d'unités administratives ou d'organismes qui sont en instance d'être réintégrés, ces manquements permettront de clore le dossier dans l'état où il se trouve, et entraîneront la destitution immédiate du contrevenant, sans aucun recours.

Un très grand nombre d’écrivains catalans décidèrent de s’exiler. Durant de longues décennies, le catalan ne put s’employer qu’à l'intérieur du foyer familial. Dans les universités, de nombreuses disciplines furent supprimées dans l'enseignement: la langue catalane, la philologie catalane, l'Histoire de la Catalogne, la géographie catalane, le droit civil catalan, le droit public catalan et l'histoire de l'art catalan.

Cependant, la politique de réduction de l'emploi de la langue catalane se doubla d'une politique de répression culturelle concernant tous les symboles qui permettaient de revendiquer une identité catalane spécifique : l'hymne catalan, le drapeau catalan, les Jeux floraux, la sardane (une danse populaire catalane), ainsi que toutes les institutions culturelles (maisons d’édition, bibliothèques, établissements d'enseignement supérieur, presse et cinéma), dont les activités artistiques et intellectuelles qui consistent à sauvegarder un patrimoine en assurant un rôle de transmission.

Les années qui suivirent se caractérisèrent par une résistance culturelle d’ordre général. Après la Deuxième Guerre mondiale, le régime franquiste permit progressivement une certaine restauration des droits des Catalans. La mort du général Franco en 1975 allait changer l'ordre des choses. Le 15 juin 1977, l'Espagne célébrait les premières élections parlementaires démocratiques depuis quarante ans. Le successeur du général Franco, le roi Juan Carlos, et Adolfo Suárez González, le président qu'il a nommé, ont su imposer la dissolution du régime franquiste. À la tête de l'Union du centre démocratique (UCD), une coalition de centre-droit rassemblant des démocrates-chrétiens, libéraux et autres technocrates du régime franquistes, Suarez parvint à signer avec tous les partis, les «Pactes de la Moncloa», préalables à la rédaction de la Constitution de 1978 qui entérinait la démocratie naissante.

3.3 Le rétablissement de la Generalitat de 1978

En 1978, la nouvelle Constitution espagnole accorda à la Catalogne son autonomie politique (l'Estatut) et rétablit la Generalitat, le Parlement de Barcelone et le gouvernement autonome. Depuis lors, la Catalogne a tout fait pour assurer au catalan son rôle de langue propre à la région devenue une Communauté autonome au sein de l'Espagne. Les Catalans ont toujours jusqu'à présent privilégié la voie autonomiste dans leurs revendications. Rappelons que l’autonomie octroyée par le Statut d'autonomie de 1979 avait fait naître bien des attentes qui, avec les années, se voyaient lésées, et ce, non seulement dans le domaine des compétences dévolues à la Catalogne, mais aussi les pouvoirs qui ne correspondaient pas à ce que l’on attendait. Ni la Constitution ni les Statuts d’autonomie originaux n’ont prévu une articulation adéquate entre les deux niveaux de gouvernement, le gouvernement central et les gouvernements régionaux. Ces textes prévoyaient à peine les relations que ces deux niveaux devraient entretenir par la suite. De plus, il fallait traiter du problème de financement qui s'est révélé insatisfaisant pour la Catalogne, car le peu d’autonomie fiscale restreignait la capacité de la Catalogne à obtenir des ressources propres. Au point de vue fiscal, la Catalogne ne récupérait que la moitié des impôts: l'entente avec Madrid garantissait à la Catalogne 50 % des recettes de l'impôt sur le revenu, 50 % des taxes à la consommation (au lieu de 35 %) et 58 % des taxes spéciales (tabac, essence, etc.). Avec le Pays basque et la Navarre, la Catalogne restait l'une des rares Communautés autonomes à disposer de sa propre police, de son éducation, de sa justice et de sa santé. L'accord reconnaissait aussi, pour la première fois, les responsabilités de la Catalogne dans l'accueil des immigrants: la Generalitat pouvait même émettre certains permis de travail. Madrid acceptait également de transférer la responsabilité des trains régionaux.

Il ne faudrait pas croire que seule la Catalogne se trouvait dans cette situation. Les relations des Communautés avec l’État espagnol ont, elles aussi, été entachées par de nombreux «accrocs» concernant la mise en œuvre du système de répartition des compétences. Tout cela a par conséquent conduit la Catalogne à engager, dès 2001, une réflexion interne sur l’affaiblissement de sa propre gouvernance.

De façon générale, le bilan qui est fait du nouveau modèle de l'Espagne mis en place avec la Constitution de 1978 demeure tout de même positif, car l’autonomie des Communautés s’est un peu consolidée avec les décennies et l’ancienne structure de l’État espagnol s’est transformée avec un résultat tout à fait acceptable en termes de fonctionnement du système politique. Néanmoins, cette réussite ne peut occulter l’existence des graves problèmes qui restreignent le fonctionnement général du système politique espagnol. L’un des problèmes fondamentaux en Catalogne est celui de l’érosion progressive des compétences de la Generalitat. Qui plus est, les problèmes ont eu pour effet de rendre le développement de la Catalogne, et des autres Communautés, plus difficile au risque d'entraîner une paralysie, sinon un retour en arrière. C’est précisément pour améliorer cette situation que le gouvernement catalan a voulu entreprendre une réforme du Statut d'autonomie de la Catalogne. N'oublions pas que la Constitution espagnole de 1978 devait être un texte provisoire qui avait été adopté afin de faire oublier au plus vite le régime franquiste. Deux décennies plus tard, vers la fin du siècle dernier, des millions d'Espagnols catalans, basques et galiciens rejetaient cette constitution jugée inadéquate.

- La réforme du Statut d'autonomie

En 2005, un projet de réforme du Statut d’autonomie visant à accorder davantage de pouvoir à la Catalogne, notamment au plan fiscal, a été adopté par le Parlement catalan. C’est toutefois une version diluée de ce projet, déjà adoptée par le Parlement espagnol, qui fut soumise et approuvée par référendum en juin 2006 par 78 % des électeurs. Cette année-là, la «nation» catalane fut reconnue; son gouvernement obtenait de nouveaux pouvoirs, notamment pour assurer la «prépondérance» du catalan dans l'administration. Ces mesures ont été prévues dans un nouveau statut d'autonomie adopté par le Parlement espagnol et le Parlement de Barcelone ainsi que par une référendum. À ce moment-là, le gouvernement espagnol était dirigé par José Luis Rodriguez Zapatero (président socialiste du gouvernement espagnol de 2004 à 2011); ce dernier était à l'origine de la refonte du statut catalan, car il avait besoin du soutien des partis catalans au Parlement de Madrid. José Luis Rodriguez Zapatero avait même soutenu que ce qui serait approuvé en Catalogne le serait à Madrid. Mais il se trompait!

En effet, les députés du Parti populaire (Partit Popular en catalan; Partido Popular en espagnol), un parti très conservateur, ont déposé un recours auprès du Tribunal constitutionnel afin de protester contre certaines dispositions du nouveau Statut d'autonomie. Mais le Tribunal constitutionnel, la plus haute cour en Espagne, était en très mauvaise position pour gérer la constitutionnalité du Statut d'autonomie. Plusieurs juges avaient dépassé la durée normale de leur mandat et se trouvaient ainsi dans une situation irrégulière; on ne s'entendait pas sur le remplacement d'un juge décédé; la président du TC était accusée de conflit d'intérêts en raison du rôle de son mari comme conseiller juridique; certains juges ne s'alignaient que sur les politiques du Parti populaire, alors que d'autres ne retenaient que celles du Parti socialiste. L'arrêt du Tribunal constitutionnel, plusieurs fois repoussé en raison de la pagaille entre ses juges, était attendu au cours de l'automne 2009. Quand on connait le processus très politisé de nomination des juges du Tribunal constitutionnel, on sait d'avance ce qu'ils peuvent décider. En réalité, la décision du TC a été retardée en raison de nombreuses tractations et chicanes politiques entre les partis espagnols pour le contrôle du tribunal en y désignant des juges affiliés à leur cause. Autrement dit, il fallait trafiquer la cour en y nommant des magistrats compatibles avec le centralisme traditionnel de l'État espagnol.  N'oublions pas que l'arme judiciaire est parfois à double tranchant, d'autant plus que le Tribunal constitutionnel est composé d'une dizaine de juges, la plupart d'entre eux étant favorables au Parti populaire espagnol, le parti le plus à droite en Espagne.

- Le réveil de la fibre nationaliste

À partir de 2009-2010, les choses se sont mises à déraper sérieusement entre le gouvernement espagnol et le gouvernement catalan, et ce, d'autant plus que le Parti populaire de Mariano Rajoy allait prendre le pouvoir, le 21 décembre 2011, à Madrid. Finalement, le 28 juin 2010, soit après un délai de quatre ans, ce qui semble inusité dans un État de droit qui se respecte, le Tribunal constitutionnel espagnol, la plus haute instance judiciaire du pays, a rendu son arrêt: Sentencia del Tribunal Constitucional sobre el Estatuto de Autonomía de Cataluña de 2006 : "Arrêt du Tribunal constitutionnel sur le Statut d'autonomie de la Catalogne de 2006". Pour le TC, les Catalans forment une «nationalité» ("nacionalidad"), pas une «nation» ("nación"), car il n’y a pas d’autre nation que la «nation espagnole» dans la Constitution espagnole. De plus, le TC a non seulement réinterprété 27 articles du Statut d'autonomie, mais en a annulé 14 de ses 223 articles, dont plusieurs articles sur la langue:

  Articles jugés inconstitutionnels Article réinterprétés
Langue et symboles 1 7
Institutions 8 3
Compétences 3 6
Participation de l'État 0 3
Financement 2 6
Réforme 0 2
TOTAL 14 27

Cet arrêt paraît d'autant plus insolite que le Statut d'autonomie a été adopté, répétons-le, à la fois par le Parlement espagnol et toute la population catalane par un référendum.

Ensuite, la situation s'est mise à dégénérer, car l'arrêt du Tribunal constitutionnel n'a pas été bien accueillie en Catalogne. L'explication est simple: cet arrêt du TC réduisait plusieurs dispositions du Statut d'autonomie de 2006, alors que le texte avait été adopté par le Parlement espagnol et approuvé par référendum par la population catalane. Or, les Catalans ne l'ont pas entendu de cette oreille, car tout dans cette affaire était d'abord une question d'interprétation de la part des juristes espagnols. Cependant, lorsque ce sont les juges du Tribunal constitutionnel, généralement favorables au Parti populaire (de tendance conservatrice), qui interprètent les textes, leur décision fait loi, même s'ils peuvent avoir tort ou être soupçonnés de partialité. C'est pourquoi Barcelone a été le théâtre d'une manifestation, le 10 juillet 2010, qui a rassemblé plus d'un million de Catalans, afin de protester contre l’arrêt du TC. Aux cris de «Independència», les Catalans ont alors demandé de décider de leur sort en tant que «nation catalane» : Nosaltres decidim, som una nacio («nous choisissons, nous sommes une nation»).  Les Catalans nationalistes estiment que des juges ne devraient pas s’opposer à la «souveraineté populaire». 

La plupart des partis politiques catalans, surtout les nationalistes et les indépendantistes, ont annoncé qu'ils considéreraient comme une déclaration de guerre (casus belli) l'arrêt du Tribunal constitutionnel. En invalidant certaines dispositions du Statut d'autonomie, le TC a plongé le gouvernement espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero (président socialiste du gouvernement espagnol de 2004 à 2011) dans l'eau chaude, lui qui a été à l'origine de la refonte du nouveau statut catalan et qui avait besoin du soutien des partis catalans au Parlement de Madrid. Beaucoup d'Espagnols ont reproché à M. Zapatero d'avoir trop appuyé la fibre nationaliste catalane dans le but d'obtenir l'appui des Catalans. Il était difficile pour le président du gouvernement espagnol de colmater la brèche souverainiste qu'il avait élargie par des concessions «extraconstitutionnelles» maintenant désapprouvées.

- Le vent des revendications

Le 11 septembre 2012, jour de fête traditionnelle en Catalogne, plus d'un million de personnes défilèrent dans les rues de Barcelone, galvanisées par la perspective de rompre avec l'Espagne. Pour la première fois, les sondages démontraient qu'une majorité des 7,5 millions de Catalans seraient favorables à la sécession de la Catalogne. Le Parlement catalan prévit d'organiser un référendum après les élections anticipées du 25 novembre, soit deux semaines après le refus du gouvernement central de Madrid d'accorder des pouvoirs spéciaux en matière fiscale à la plus puissante des régions du nord-est de l'Espagne. Évidemment, le gouvernement central déclara que la plus haute juridiction du pays empêcherait un tel projet. Selon les Catalans, la Catalogne contribuerait «trop» au budget national espagnol, elle paierait «trop» pour les régions plus pauvres. Bref, en raison de la crise économique, de nombreux Catalans jugèrent qu'ils donnaient «trop» à l'État espagnol et n'en recevaient «pas assez».

Le 25 novembre 2012 eurent lieu les élections législatives. Le président catalan, Artur Mas, crut que son parti remporterait une majorité des sièges au Parlement catalan. Les partis souverainistes remportèrent effectivement la majorité des sièges du Parlement, mais Convergence et Union (CIU: Convergencia i Unio), la formation politique du président Artur Mas, perdit 12 députés tout en demeurant le premier parti en Catalogne. Le CIU préconisait un concept ambigu d’autonomie politique pour la Catalogne.

Par ailleurs, le 21 décembre 2011, Mariano Rajoy du Parti populaire, désigné candidat à la présidence du gouvernement espagnol, fut assermenté par le roi Juan Carlos. Le 12 décembre 2013, le président catalan, Artur Mas, annonça l'organisation d'un référendum sur l'autonomie de la Catalogne, avec le soutien des groupes parlementaires suivant:

- Convergència i Unió:
- Esquerra Republicana de Catalunya ("Gauche républicaine de Catalogne");
- Iniciativa per Catalunya Verds - Esquerra Unida i Alternativa ("Initiative pour la Catalogne Verts - Gauche unie et alternative");
- Candidatura d'Unitat Popular ("Candidature d'unité populaire").

Ces formations politiques ne représentaient alors que 87 des 135 députés du Parlement catalan, soit 64,4 %. Néanmoins, le 23 janvier 2013, le Parlement catalan adoptait la Déclaration de souveraineté et du droit à l'autodétermination du peuple de Catalogne par 85 voix contre 41 et 2 abstentions. La déclaration permettait en principe de proclamer le droit du peuple de Catalogne à décider lui-même de son destin, sans tenir compte de la Constitution espagnole, sans l'accord du gouvernement de Madrid et en dépit d'une éventuelle décision du Tribunal constitutionnel. Évidemment, le texte fut considéré comme inconstitutionnel.

3.4 La consultation symbolique de 2014

Le 27 septembre 2014, le président catalan, Artur Mas, signa un décret permettant la tenue d’une consultation populaire non contraignante sur l’indépendance de la Catalogne. En réaction, le Tribunal constitutionnel espagnol invalida deux jours plus tard le décret autorisant le référendum en suspendant le processus référendaire jusqu'à ce que la cour rende son verdict. Le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy invoqua l'article 2 de la Constitution qui affirme «l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols». Ainsi, toute démarche sécessionniste apparaît comme inconstitutionnelle, ce qui en général est tout à fait normal dans la plupart des pays.

Ce qui est moins normal, c'est que, selon la Constitution espagnole, le gouvernement catalan n’a pas le droit de tenir un vote, même symbolique, sur l’indépendance. Le Tribunal constitutionnel affirma que tous les Espagnols devaient prendre part à une telle décision. C'est pourquoi la cour estima que la consultation prévue n’était pas conforme aux normes démocratiques, ce qui paraît pour de nombreux observateurs hautement discutable, puisque qu'une consultation peut être démocratique tant au plan local que national, que ce soit une municipalité ou un district, une région ou un pays. Pour le président de l'Espagne de l'époque, Mariano Rajoy, le référendum annoncé parut «illégal». En réalité, au-delà des positions favorables et défavorables à l’indépendance de la Catalogne, c'est le caractère démocratique de l’État espagnol qui était en jeu. Pendant que le président espagnol défendait l'unité de l'Espagne; l'autre, le droit des Catalans à décider de leur avenir. Les deux démarches semblaient légitimes, mais pas nécessairement inconciliables. Pour Madrid, la seule démocratie fut celle qui concerne tous les Espagnols, pas seulement les Catalans. Le président catalan Artur Mas accusa le gouvernement espagnol de se servir de la loi pour éviter que la population puisse se prononcer. Pour Mariano Rajoy, il n’y avait rien ni personne qui puisse priver les Espagnols de leur droit à décider du sort de leur pays.

- Les questions référendaires

En novembre 2014, le président catalan, Artur Mas, opta pour une consultation populaire «sans valeur légale». Une nouvelle décision du Tribunal constitutionnel espagnol eut pour effet de suspendre la tenue du «vote symbolique» sur l’indépendance. La question, posée à la fois en catalan et en espagnol, fut la suivante:

1. "Vol vostè que Catalunya sigui un Estat?" (catalan)
   "¿Quiere que Catalunya sea un Estado? (espagnol)

2. "Vol que sigui un Estat independent?" (catalan)
    "¿Y que este sea un Estado independiente?" (espagnol)

Questions (traduction)

1. «Voulez- vous que la Catalogne devienne un État ? »

2. Dans le cas d’une réponse affirmative:
«Voulez- vous que cet État soit indépendant?

Le jour venu, plus de 2,2 millions de Catalans s'exprimèrent sur la question de l’indépendance nationale à l’occasion de ce vote «symbolique». Comme il était prévu, les indépendantistes l’emportèrent aisément avec un appui de 80,7 % des votants. La participation, à elle seule, fut accueillie comme un triomphe. Quelque 5,4 millions de Catalans pouvaient en principe participer au vote. Ce sont surtout les sympathisants de la cause indépendantiste qui se déplacèrent, tandis que les opposants boudèrent les urnes.

De son côté, l’Exécutif espagnol fit savoir qu’il n’attribuait «aucune valeur» au taux de participation et dénonça le scrutin. Quant au président catalan, il parla d’une «grande leçon de démocratie» et critiqua la «myopie politique» de Madrid. Autrement dit, la consultation ne changea rien au dialogue de sourds entre les deux gouvernements. Le bras de fer entre le gouvernement de Madrid et les indépendantistes catalans n’était pas terminé, et il allait se poursuivre.

- Les élections catalanes de septembre 2015

En septembre 2015, les Catalans s'engagèrent dans l'une des campagnes électorales les plus importantes des 40 dernières années. Le 27 septembre, ils durent décider de leur gouvernement, mais ils devaient aussi voter sur la question de l’indépendance nationale. Le président catalan, Artur Mas, fit le pari d’un chemin peu orthodoxe pour la création d’un nouveau pays : des élections plébiscitaires. La coalition des principaux partis souverainistes, si elle était élue à la majorité, prévoyait déclarer unilatéralement l’indépendance en 2017.

Le soir du 27 septembre, la coalition indépendantiste d'Arthur Mas ne remporta pas une majorité parlementaire, car six sièges la séparaient de la majorité nécessaire (68 sièges), et elle n'avait obtenu que 41% des voix, ce qui est fort loin de la majorité absolue. Bref, les indépendantistes ne purent obtenir la légitimité démocratique pour faire l'indépendance.

3.5 La voie légaliste et le dialogue de sourds

En effet, cette indépendance était forcément difficile à obtenir en raison des nombreux obstacles, notamment de la part du gouvernement espagnol qui entama une réforme juridique afin de suspendre le président Artur Mas, s’il devait procéder à une déclaration d’indépendance. On fit aussi allusion à un «retrait» de l’autonomie catalane. De plus, le ministre espagnol de la Défense laissa entendre que l’armée pourrait intervenir si les lois espagnoles n’étaient pas respectées.

Le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy présenta officiellement une double réponse à la question catalane: le respect de la loi et l'ouverture au dialogue. Le problème, c'est que Madrid ne voulut jamais négocier quoi que ce soit pour transformer un éventuel dialogue en une offre concrète. Plutôt que de négocier une entente, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy préféra s'en remettre aux tribunaux et à la police. En se servant des tribunaux, le gouvernement espagnol espérait freiner les aspirations autonomistes des Catalans, mais la stratégie risquait aussi d'avoir l’effet contraire.

Depuis que le Tribunal constitutionnel avait tranché contre un nouveau statut d’autonomie pour la Catalogne en 2010 (voir l'arrêt), le soutien pour l’indépendance passa même de 15 % à 50 % en Catalogne. De blocage en blocage, l'appui à l'indépendance augmenta, alors que les Catalans demeuraient très divisés sur leur avenir. Il est même probable que la majorité se contenterait d'une forme de dévolution des pouvoirs, mais plus le gouvernement espagnol se braquait, plus l’option indépendantiste gagnait en popularité. L’Espagne ne voulait certainement pas «perdre» la Catalogne, mais elle s'y prenait bien mal pour la conserver, car au lieu de jouer du bâton et de la carotte, elle n'utilisait que le bâton!

3.6 La radicalisation du gouvernement catalan

Puis la situation politique changea en Catalogne. Le parti politique d'Artur Mas, la Convergence démocratique de Catalogne (CDC), et l'Union démocratique de Catalogne (UDC), son partenaire au sein de la coalition Junts pel Si («Ensemble pour le Oui»), annoncèrent la rupture de leur alliance en raison de leurs désaccords stratégiques dans le processus d'accès à l'indépendance. Au pouvoir depuis la fin 2010, Arthur Mas fut considéré comme trop «libéral» par la CUP (Candidatura d'Unitat Popular : Candidature d'unité populaire). Bref, les indépendantistes catalans se sont montrés incapables de former un gouvernement parce qu'ils étaient handicapés et minés par leurs divisions sur l'identité du futur président catalan.

Finalement, le 10 décembre 2016, Carles Puigdemont, maire de Gérone, est devenu le 130e président au terme d'un vote serré (70 contre 63, en plus de deux abstentions). Celui-ci, profondément indépendantiste, s'est engagé à porter la cause de son prédécesseur, Athur Mas, c'est-à-dire amener la région à l'indépendance d'ici 2017. Comme on pouvait s'y attendre, le président espagnol Mariano Rajoy a aussitôt affirmé que l'Espagne ne permettrait pas aux dirigeants catalans de «s'accorder des pouvoirs illimités» et a rappelé que les tribunaux espagnols avaient tranché sur le fait que le projet indépendantiste était illégal.

Le 23 décembre 2016, le Pacte national pour le référendum fut créé par les partis et organisations indépendantistes, avec l'objectif de réaliser le référendum sur l'indépendance. Le 9 juin 2017, le gouvernement catalan, conjointement avec les députés indépendantistes du Parlement de Catalogne, annonça la date de la consultation populaire (le 1er octobre) et la question dans les trois langues officielles (catalan, espagnol et aranais) :

Catalan Castillan Traduction française
¿Voleu que Catalunya sigui un estat independent en forma de república? ¿Quiere que Cataluña sea un estado independiente en forma de República? Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d'une république ?

Le 6 septembre 2017, le Parlement catalan adoptait la Ley del referéndum sobre la independencia de Catalunya (Loi sur la tenue du référendum portant sur l’indépendance de la Catalogne). Dès le lendemain, le 7 septembre, la loi fut suspendue par le Tribunal constitutionnel espagnol, lequel mettait également en garde les maires des 968 communes de la Catalogne pour les dissuader d'organiser le scrutin. Le jour même, le Parlement catalan adoptait, avec la même majorité (71 voix sur 135), la loi de transition (Ley de transitoriedad jurídica y fundacional de la República ou : Loi sur la transition juridique et fondamentale de la République) qui prévoit l'organisation de la Catalogne si le OUI au référendum du 1er octobre l'emportait, ne serait-ce que par une voix et sans minimum de participation nécessaire.

Comme on le sait, le gouvernement espagnol estime qu'un référendum sur l'indépendance de la Catalogne devrait impliquer toute la population de l'Espagne. Évidemment, les indépendantistes catalans perdraient un tel référendum. Dans ces conditions, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy fit déclarer illégal le référendum du 1er octobre par le Tribunal constitutionnel. Comme ce n'était pas suffisant, le gouvernement espagnol interdit non seulement la tenue du référendum, mais menaça de traîner en cour tous ceux qui aideraient à organiser ce référendum sur l'indépendance et de faire arrêter un grand nombre d'organisateurs, dont les maires des villes catalanes.

Au lieu de se livrer au jeu de la démocratie et de tenter de convaincre les Catalans qu'il valait mieux pour eux de demeurer dans l'Espagne, le gouvernement espagnol fit l'inverse au risque de faire grimper la cote de popularité de l'indépendance en Catalogne. De plus, aucun article (cf. art. 92 et 155) de la Constitution espagnole ne précise formellement qu'il est interdit d'organiser des référendums sur une base locale. Tout est une question d'interprétation de la part des instances politiques et judiciaires. Madrid joue la carte de la légalité, mais se sert du droit pour nier un exercice démocratique.

3.7 Les effets pervers de l'arme judiciaire

Le gouvernement espagnol a tout fait pour empêcher la tenue du scrutin: arrestations des responsables catalans, fortes amendes de 12 000 euros (près de 15 000 $US), plus de 10 millions de bulletins de vote confisqués, etc. À la fin de la journée du 1er octobre 2017, des centaines d’indépendantistes rassemblés sur la place de la Catalogne ont accueilli les résultats du scrutin avec un immense cri de satisfaction : 90 % des votes se seraient exprimés en faveur de l’indépendance, avec deux millions d’électeurs sur 2,2 millions de bulletins. Évidemment, la légitimité du vote est contestée par Madrid, avec raison, car rien n'était vérifiable!

De plus, le gouvernement espagnol refusa de négocier quoi que ce soit avec des Catalans qui ont enfreint la loi. En même temps, le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, n'a jamais plaidé pour l'unité de son pays et il n'a jamais essayé de relever le défi des indépendantistes catalans; il s'est plutôt contenté d'interdire et de menacer en se dissimulant derrière des juges et des policiers. En l'absence de propositions politiques concrètes de la part de l'Exécutif espagnol, les chances d'une résolution négociée de la crise demeuraient nulles avec le résultat que c'est le pire des scénarios qui s'est concrétisé de part et d'autre, une fois les modérés exclus dans les deux camps.

- La répression espagnole

Le jour du scrutin, la police antiémeute, la Guardia Civil (la police nationale espagnole), a tenté d'empêcher les citoyens de participer au processus référendaire. La télévision a montré des électeurs frappés, matraqués ou encore jetés violemment au sol. Des policiers encagoulés ont frappé des personnes âgées et des femmes; ils ont cassé des vitres pour entrer dans les bureaux de scrutin et ont utilisé des gaz lacrymogènes. Des centaines de personnes ont été évacuées sur des civières, alors qu'elles ne voulaient que voter. Ces images qui avaient fait le tour du monde. Évidemment, Madrid, a rejeté toute responsabilité sur les autorités catalanes.

Il est vrai que le gouvernement espagnol a agi dans le respect du droit espagnol, l’ordre constitutionnel ne pouvant être remis en question. Toutefois, le gouvernement central a, depuis plusieurs années, alimenté la crise par son incompréhension, sa rigidité et sa brutalité. La première fois en 2010, lorsque le Tribunal constitutionnel a invalidé une grande partie du nouveau Statut d'autonomie de 2006 pourtant démocratiquement adopté à la fois par les Cortès de Madrid (Chambre des députés) et par le Parlement catalan. La deuxième fois, c'est lorsque le gouvernement espagnol a refusé la tenue d'un référendum qu'il aurait pourtant gagné. La troisième fois (le 27 octobre 2007), c'est la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution qui lui permet d’adopter les «mesures nécessaires» pour contraindre la Catalogne à «l’obéissance forcée de ses obligations légales», ce qui suspendrait l'autonomie de la Catalogne. Bref, au lieu d’une plus grande autonomie promise, Madrid a défait l’accord de 2006 et remplacé la négociation par la répression.

L'Espagne a accusé les indépendantistes catalans de «rébellion» et de sédition». Le terme de «rébellion» est définie légalement en Espagne comme «un soulèvement violent contre l’ordre constitutionnel», tandis que la «sédition» consiste en «un soulèvement public et tumultueux pour empêcher par la force ou en dehors des voies légales l’application des lois». Toutefois, la violence est plutôt l’apanage des forces de l’ordre espagnoles, ce qui rend le chef d’accusation de «rébellion» plutôt loufoque. Quant à la sédition, elle suppose un coup d'État sans avoir recouru à la directement à la violence, alors que celle-ci est venue, dans les faits, du camp adverse! Au XXIe siècle, ces deux termes font d'ailleurs sourire dans les démocraties occidentales, car ils paraissent archaïques et associés à une autre époque, celle du Moyen Âge, ou à d’autres types de régimes, les régimes autoritaires et les dictatures. Depuis ces dernières années, ces termes ont donné lieu à de furieux débats qui ne règlent rien.

La liste des mesures envisagées montre que Madrid a accaparé toutes les manettes de l’administration de la Catalogne, depuis la police autonome (les Mossos d'Esquadra) jusqu’à la radio et la télévision publiques, et a mis le Parlement régional sous tutelle en emprisonnant les dirigeants catalans. De son côté, le gouvernement catalan a proclamé unilatéralement son indépendance par une majorité (70 sur 135) de députés du Parlement de Catalogne.

Ensuite, le gouvernement espagnol a fait incarcérer plusieurs des ministres catalans et a lancé un mandat d'arrêt contre Carles Puigdemont, le président destitué de la Catalogne, qui a fui à Bruxelles, puis en Allemagne. On a jeté en prison les leaders indépendantistes avec deux ans de détention avant leur procès. Certes, il aurait été préférable que le gouvernement espagnol ait travaillé sur un scénario de sortie de crise viable, plutôt que de poursuivre une approche musclée qui risque même de torpiller ses propres objectifs. Certains observateurs estiment que l'attitude de Mariano Rajoy a été un relent du centralisme autoritaire qu'a connu l'Espagne sous le règne du général Franco. C'est ce qui expliquerait la riposte musclée de Madrid: arrestations, amendes, menaces, saisies de matériel, matraquages, etc. Cette crise politique témoigne que l'Espagne est encore marquée par le centralisme et une allergie viscérale à la diversité. Comme stratégie, le gouvernement espagnol aurait mieux fait de laisser les Catalans voter en laissant entendre d'avance qu'il ne reconnaîtrait pas le résultat. Dans une démocratie, un chef d'État qui réprime son peuple devant les caméras du monde entier, ce n'est pas un acte politique de bon augure.

- Les changements de joueurs

Finalement, il valait mieux que les principaux joueurs politiques soit changés. Le 14 mai 2018, Quim Torra a été investi président de la Generalitat après un discours à forte tonalité indépendantiste. Quelques jours plus tard, le 1er juin 2018, Mariano Rajoy, coulé par un scandale de corruption, a été renversé par une motion de censure par le Parlement espagnol et remplacé par le socialiste Pedro Sanchez. Un chapitre de l'histoire politique espagnole s'est donc refermé à Madrid. Pour réussir à faire adopter la motion de censure, les socialistes ont dû faire coalition avec les indépendantistes catalans. Si Pedro Sanchez a déjà défendu le concept de l’Espagne comme «une nation de nations», il a abandonné ce discours durant la crise catalane ; il s'est même montré un fervent défenseur de la Constitution et de l’unité de l’Espagne. S'il a critiqué la tentative d'indépendance catalane, Pedro Sanchez a aussi promis de «construire des ponts» avec le nouveau gouvernement catalan.

- La sentence du Tribunal constitutionnel en octobre 2019

Le 14 octobre 2019, le Tribunal constitutionnel a rendu sa sentence: les neuf principaux leaders indépendantistes ont été condamnés à des peines de prison pour sédition et malversation de fonds publics, allant de neuf à treize ans, notamment l’ex-vice-président du gouvernement, l’ex-présidente du Parlement et cinq ex-ministres. Le Tribunal a abandonné le chef d’accusation de «rébellion» – qui passait vraiment mal hors de l'Espagne et lui faisait une mauvaise réputation – pour ne retenir que la «sédition». Leur crime : avoir consulté leur nation sur son avenir. Un nouveau mandat d’arrêt international a aussi été lancé contre Carles Puigdemont réfugié en Belgique en espérant que Madrid pourrait faire extrader l’ancien président catalan en exil.

Néanmoins, les pénalités contre les indépendantistes catalans semblent totalement disproportionnée, compte tenu qu'ils n'ont jamais agi avec violence ni tué personne. Vues de l'extérieur de l'Espagne, les peines de neuf à douze ans de d'emprisonnement infligées à des indépendantistes catalans par la justice espagnole peuvent sembler aussi injustes qu’incompréhensibles. On peut, dans un pays démocratique, se faire infliger pour un délit politique des peines réservées aux violeurs récidivistes ou aux braqueurs de banque! Pourtant, les neuf condamnés, impliqués à divers titres dans le mouvement souverainiste catalan, n’ont commis aucun geste violent, ni incité à la casse. Il est plausible que les dirigeants espagnols aient eu comme objectif de punir l’ensemble de la population catalane. Pendant que les Catalans sont révoltés, Madrid applaudit. Fidèle à sa ligne dure, le quotidien El Pais, réputé «progressiste», s'est réjouit de la lourdeur des peines; il a affirmé que la sentence résulte de l’application stricte des lois dans un État de droit, et qu'elle ne constitue ni un jugement partial ni une vengeance. Des observateurs y voient des relents du franquisme anti-catalan. Un peu plus à droite, d'autres déplorent que les peines ne soient pas assez sévères, ils auraient voulu des condamnations pour «rébellion» avec des peines de vingt-cinq ans. Ils soutiennent aussi que c’est justement pour éviter le retour aux violentes divisions du passé que les Espagnols veulent que leur pays soit «indivisible», comme le précise l'article 2 de la Constitution espagnole.

- Le cul de sac

Dans cette crise, chaque camp a poursuivi sa logique, mais l’attitude butée des autorités espagnoles n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Le gouvernement espagnol s'est toujours entêté à régler un problème politique par la voie judiciaire, ce qui s'est révélé contre-productif. En effet, ce sont les autorités espagnoles qui ont amplifié le mouvement indépendantiste catalan depuis 2010, lequel ne cesse de prendre de l’ampleur. Les différents gouvernements espagnols auraient dû, depuis des années, ouvrir des discussions avec les représentants élus de la Generalitat catalane. Toutefois, ils n'ont jamais eu quoi que ce soit à offrir, sauf brandir l'épée de Damoclès de la Justice!

Pourtant, tous les Espagnols savaient ce que revendiquaient les Catalans: des pouvoirs supplémentaires, un nouvel arrangement fiscal, la reconnaissance d'être une nation, la prééminence de leur langue en Catalogne, notamment dans les écoles et les administrations publiques. Or, les membres du gouvernement espagnols n'ont jamais cherché à comprendre le sentiment populaire des Catalans; ils ont préféré ignorer tout de la situation qui prévalait en Catalogne et enfoncer leur pays dans une crise institutionnelle sans précédent. Bien sûr, Madrid savait aussi que d'autres Communautés autonomes que la Catalogne pourraient rappliquer avec leurs propres revendications, ce qui justifiait vraisemblablement le gouvernement central de jouer à l'autruche en se mettant la tête dans le sable. Tous se disent ouverts au dialogue, mais tous posent des conditions préalables qui rendent ce dialogue impossible. Il ne peut y avoir d’autre issue à cette crise politique qu’un règlement politique, encore moins la judiciarisation perpétuelle du conflit. Le blocage demeure complet et le pourrissement va se poursuivre, car il n’y a aucune sortie de crise à l’horizon. L’enfoncement dans la logique juridique rigide ne fera qu’augmenter le sentiment d’injustice et la force du mouvement souverainiste.

Alors que la situation risque de se dégrader en Catalogne, le processus judiciaire risque aussi de se poursuivre. Les avocats des neuf leaders séparatistes ont annoncé qu’ils déposeraient un recours auprès du Tribunal constitutionnel pour «atteinte aux droits de l’homme», préambule à une plainte devant les instances européennes à Strasbourg. Or, ces démarches seront laborieuses et prendront de longs mois. Pour aider sans doute à perpétuer la crise, la justice espagnole a, en septembre 2020, destitué le président catalan Quim Torra pour un délit de «désobéissance» à un an et demi d’inéligibilité. M. Torra est sanctionné pour avoir refusé d’obéir aux ordres de l’autorité électorale qui l’avaient sommé de retirer une banderole au contenu sécessionniste de la façade du siège du gouvernement régional avant les élections d’avril 2019. Pendant 18 mois, M. Torra ne pourra pas exercer de fonction publique et devra payer une amende de 30 000 euros. Cette destitution risque de raviver les tensions en Catalogne.

3.8 Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Beaucoup de nationalistes de divers pays évoquent le «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes», ce qu'on appelle aussi le «droit à l’autodétermination». C'est là un principe issu du droit international, notamment dans la Charte des Nations unies, selon laquelle chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Pour être mis en œuvre, du moins en théorie, le droit à l’autodétermination suppose non seulement une violation des droits de la personne, mais aussi une grande répression de la part de l'État, une oppression presque systématique. On comprendra surtout que ce droit à l'autodétermination n'est pas pour tous les peuples et qu'il s'agit d'un principe fort milité et rarement applicable. D'ailleurs, selon l'ancien secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes s'applique uniquement aux colonies et aux peuples opprimés, des catégories dans lesquelles la Catalogne n'entre pas:

L'Espagne est un pays indépendant et souverain qui inclut la région catalane et c'est ainsi qu'elle a été admise aux Nations unies et agit au sein de la communauté internationale. [...] Quand on parle d'autodétermination, certaines aires ont été reconnues par les Nations unies comme des territoires non autonomes. Mais la Catalogne ne fait pas partie de cette catégorie.

Certes, si l’on peut regretter la répression policière le jour du référendum, les Catalans ne sont pas dans une situation de violation massive des droits de l’Homme, ce qui justifierait un droit unilatéral à la sécession. En droit international, la théorie dominante, c’est que ce n'est ni interdit ni permis. C'est avant tout une question politique. De plus, ce fameux droit à l'autodétermination est contrebalancé par le droit des États à préserver leur unité politique et territorial. Sans cette «précaution», aucun État n'aurait signé un tel traité international. Dans les faits, les États ne se préoccupent pas de ces dispositions sur «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» dans les autres États, sous prétexte qu'il s'agit d'affaires internes à un pays. De façon évidente, le droit à l’autodétermination n'est pas un droit absolu, car il s'agit en fait d’un droit politique dont l’application est limitée par le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays et aussi par la règle démocratique de la majorité. Finalement, il faut convenir que le droit à l’autodétermination est surtout conditionné par le rapport des forces en présence.

- Le silence complice

Dans le cas du référendum catalan du 1er octobre 2017, il était à parier qu'aucun État ne voudrait réveiller les nationalismes qui somnolent en son sein. Aucun État européen, certainement pas la France qui est le voisin immédiat de l’Espagne, ne voudrait se mettre à dos un gouvernement souverain en soutenant un mouvement nationaliste régional sous peine d'ouvrir une boîte de Pandore. C'est pourquoi ni la France, ni l’Italie, ni le Canada, ni le Royaume-Uni, etc., n’ont osé soutenir les Catalans; on comprend bien pourquoi. En l'occurrence, les États vont s’accrocher, comme l'Espagne, à la «règle de droit» selon laquelle toute sécession est formellement interdite, car aucun État n’ouvre à l’avance la voie légale à sa propre dissolution. Les autres pays d'Europe, dont beaucoup abritent des minorités nationales, craindront un effet de contagion. Certes, ils condamnent tous la violence, mais soutiennent l'Espagne!

3.9 Les modèles de référendum d'autodétermination 

Pour les nationalistes catalans, il appartient à la Catalogne de définir sa relation avec le reste de l’Espagne. Au contraire, pour les «espagnolistes» ("los españolistes") — et les ultra-espagnolistes —, notamment les partisans du Parti populaire, seul le Parlement national de Madrid est souverain, alors que la Catalogne ne constitue qu’une communauté autonome «comme les autres». Pour le moment, l'Espagne semble avoir créé une structure politique étrange qu'on pourrait qualifier d'«État décentralisé très unitaire»! C'est ce qui explique que les Catalans soient «catalans de cœur» et «espagnols de passeport».

- Le modèle écossais

Le référendum qui a eu lieu en Écosse en septembre 2014 est frappant par son contraste avec la Catalogne. Dans ce cas-ci, Londres s'est entendu dès 2012 avec Édimbourg sur les termes du référendum portant sur l’indépendance de l’Écosse : la question, les règles et les conséquences, ce qui adonné lieu à un admirable débat démocratique. Alors que Londres avait joué le jeu, évidemment risqué, du référendum écossais, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a opposé une fin de non-recevoir systématique aux velléités catalanes. Quoiqu'il arrive, le projet écossais d’indépendance, en dépit de son échec, a acquis une grande notoriété en créant un cadre, voire une référence mondiale en la matière, qui profitera à d’autres petites nations, comme la Catalogne, le Québec, le Groenland, etc. De plus, le processus a certainement contribué à familiariser la communauté internationale avec ce genre de questions. C'est déjà beaucoup.

- L'exemple du Québec

Voyons aussi ce qui s'est passé au Canada concernant la sécession du Québec. En août 1998, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la sécession du Québec dans un jugement intitulé «Renvoi relatif à la sécession du Québec». Dans son jugement, la Cour reconnaissait que, même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution ou du droit international, cela n'écartait pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto, laquelle serait même reconnue par la communauté internationale. En conséquence, les juges de la Cour suprême du Canada ont décidé que, si à la suite d'une question claire, les Québécois indiquaient par une majorité claire leur intention de se séparer du Canada, cela entraînerait envers les autres provinces et le gouvernement fédéral l'obligation de négocier de bonne foi la séparation du Québec.  

Bien sûr, il doit être extrêmement rare qu'un État prévoie dans sa loi fondamentale une quelconque disposition concernant la sécession d'une de ses composantes. Par exemple, la Constitution américaine n’a pas prévu, comme dans les autres pays, de mécanisme de retrait de la fédération pour les États; une fois entré dans l’Union, on ne peut légalement plus en sortir. Le fait de tenter de retenir une nation dans un ensemble qui désire s'en retirer par des arguments strictement légalistes peut retarder le processus pour un temps limité. En somme, vouloir déclarer son indépendance pour une nation, c’est forcément sortir du cadre juridique constitutionnel. Mais ce qui est en principe illégal peut néanmoins être légitime. Le jugement de la Cour suprême du Canada sur un problème similaire en Catalogne devrait faire jurisprudence dans un pays démocratique comme l'Espagne. Nous savons pourtant que les grands enjeux en politique sont décidés non pas par le droit, mais par les rapports de force !

Dans le cas de la Catalogne, l'État espagnol a un avantage aux plans militaire et juridique sur la Catalogne. Dans l'état actuel, il paraissait inévitable que les autorités catalanes allaient déclarer leur indépendance et que l’État espagnol allait répondre en abrogeant l’autonomie de cette région, provoquant ainsi un chaos politique, ainsi que des confrontations entre le gouvernement espagnol et les indépendantistes. Deux légalités coexistent en Catalogne : celle de l’Espagne et celle de la «République catalane». En attendant une éventuelle sortie de crise, tous les intervenants politiques savent que «ça va mal se terminer». Le problème politique va demeurer entier, car ce n'est pas la mise en tutelle de la Catalogne et l'emprisonnement des dirigeants catalans, qui ne feront améliorer les choses. Le légalisme obstiné des autorités espagnoles a aggravé la crise. Pour Madrid, le respect de l’État de droit a pris la forme d’une matraque portée contre ceux qui veulent se prononcer sur leur avenir. Au lieu de négocier avec les Catalans, le gouvernement espagnol a préféré les écraser et, comme si ce n'était pas suffisant, leur retirer les gains obtenus en 2006 et en 2010 pour plus d’autonomie. Tout un gâchis que d'enflammer une crise qu'on prétend éteindre! Si l'objectif était d'étouffer le mouvement sécessionniste, le résultat laisse grandement à désirer. De plus, le dialogue est rompu, et il sera difficile de rétablir les ponts entre Madrid et Barcelone.

4 Le cadre juridique du catalan

Le cadre juridique du catalan fut défini durant un temps dans trois importants documents: la Constitution espagnole (1978), le Statut d'autonomie de la Catalogne (1979, abrogée en 2005) et, jusqu’à la loi du 7 janvier 1998 sur la politique linguistique, la Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne (1983) ou Llei de normalització lingüística a Catalunya. Puis, à la fin de l’année 1997, un projet de loi de politique linguistique a été approuvé par le parlement de la Catalogne: il s’agit de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 (Lei 1/1998, de 7 de gèr, de politica lingüistica) approuvée, cette fois, par un vote favorable de 80 % des voix. En raison de cette dernière loi, la Catalogne est la seule des Communautés autonomes à avoir réformé sa loi sur la normalisation linguistique. À ces textes il faut ajouter une bonne trentaine de lois adoptées de façon ponctuelle par la Generalitat (le Parlement catalan) de Catalogne. On en trouvera des exemples dans les documents appelés «lois diverses (1)» et «lois diverses (2)». En fait, la Catalogne s'est dotée d'une législation très complète et très ambitieuse, pratiquement unique au monde pour un État non souverain.

4.1 Le Statut d'autonomie de 2006

Le Parlement catalan a adopté, le 30 septembre 2005, un nouveau Statut d'autonomie (Estatut), le troisième de son histoire, par 120 voix contre 15 (celles des conservateurs du Parti populaire). L'Estatut entendait faire reconnaître la Catalogne comme une «nation», bénéficiant d'une souveraineté fiscale et judiciaire et dont les citoyens ont «le devoir de déterminer librement leur futur en tant que peuple». Les 227 articles de l'Estatut affirment assurer la prééminence de la langue catalane dans tous les domaines. De plus, le texte énumère les droits fondamentaux des Catalans et définit comme relevant de la compétence exclusive de la catalogne la justice, le droit civil, la fiscalité, l'éducation, l'immigration, l'agriculture, l'eau, le sport et d'autres secteurs dont les routes, les ports et les aéroports. Un Tribunal supérieur de justice chapeauterait l'ensemble des instances judiciaires. Tous les impôts seraient collectés et gérés par les institutions catalanes. Celles-ci céderaient au pouvoir central un «quota annuel» au titre des services rendus par l'État espagnol en Catalogne et au titre de «la solidarité» avec d'autres régions. Depuis 1979, aucun gouvernement catalan n'avait jamais modifié le texte constitutionnel définissant les compétences territoriales de la Communauté autonome.

Toutefois, le texte constitutionnel devait être adopté également par les Cortès de Madrid (Chambre des députés), où le projet catalan était jugé «inconstitutionnel» par les deux grands partis nationaux. Le mot nación («nation») proposé par le Parlement catalan n'a pas réussi à passer:

El Parlament de Catalunya, recogiendo el sentimiento y la voluntad de la ciudadanía de Catalunya, ha definido de forma ampliamente mayoritaria a Catalunya como nación. La Constitución Española, en su artículo segundo, reconoce la realidad nacional de Catalunya como nacionalidad.

Le Parlement de la Catalogne, rassemblant le sentiment et la volonté des citoyens de la Catalogne, a défini comme nation la population amplement majoritaire de la Catalogne. La Constitution espagnole, dans son second article, reconnaît la réalité nationale de la Catalogne comme nationalité.

Le Parlement catalan avait pris certaines précautions: il avait utilisé une formulation indirecte mentionnant que c'est le Parlement qui, d'après la volonté des citoyens de la Catalogne, a défini comme «nation» la population de la Catalogne, tandis que la Constitution espagnole reconnaissait la réalité nationale de la Catalogne comme une «nationalité». Pourtant, le Tribunal constitutionnel (TC) acceptait que la Catalogne soit définie comme une nation, parce que le mot était sans effet juridique dans le Statut d'autonomie. C'est pourquoi le texte final du nouveau statut d'autonomie de 2006 a fini par être un peu édulcoré lorsque les Cortès l'ont approuvé, le 30 mars 2006, par une majorité de 189 députés sur 345. Ainsi, la Catalogne comme «nation» (nación) est disparue pour faire place à la «nationalité» (nacionalitat/nacionalidad):

Article 1 [catalan]

Catalunya

Catalunya,
com a nacionalitat, exerceix el seu autogovern constituïda en comunitat autònoma d'acord amb la Constitució i amb aquest Estatut, que és la seva norma institucional

Article 1er

Catalogne

La Catalogne,
en tant que nationalité, exerce son auto-gouvernance constituée en Communauté autonome en accord avec la Constitution et le présent Statut, qui est sa norme institutionnelle.

Le Préambule du Statut d'autonomie emploie, en castillan, pueblo de Cataluña («peuple de Catalogne») et pueblo catalán («peuple catalan»); en catalan, poble de Catalunya et poble català. Mais les Catalans voulaient le mot «nation».

Le texte final a été soumis, le 18 juin 2006, à la consultation des Catalans qui l'ont approuvé par référendum (jugé légal à l'époque) avec une forte majorité de 74 % (contre 21 %), même si seulement 49 % des Catalans se sont donné la peine de voter. Autrement dit, l'autonomie élargie se trouve quelque peu ternie par une abstention de 50,59%. On est est loin de la «clameur historique du peuple catalan» prédit par le président de la Catalogne, Pasqual Maragall. Or, en 1979, le premier Statut d'autonomie avait été accepté par plus de 88 % des votants et 53 % des inscrits.

En 2006, les Catalans étaient d'autant moins prêts à rejeter l'accord qu'ils craignaient un retour au pouvoir à Madrid du Parti populaire (Partido Popular), farouchement opposé aux régionalismes en Espagne. À l'époque, José María Aznar, alors premier ministre espagnol (du 5 mai 1996 au 17 avril 2004), avait même refusé à la Catalogne ses propres plaques d'immatriculation. Des milliers de personnes ont voté OUI par simple rejet du Parti populaire et aussi par lassitude des batailles contre Madrid, lassitude des luttes de pouvoir entre partis politiques catalans et, surtout, lassitude des débats sur le sens véritable des mots nation et autonomie.

Pour le président du gouvernement, José-Luis Rodriguez Zapatero, qui a participé à la délicate préparation d'un compromis sur le texte final, la diversité ne signifiait pas la «division». Il croyait bien avoir réalisé l'un de ses objectifs politiques : «L’Espagne plurielle». N'oublions pas que le nouveau Statut d'autonomie a été adopté à la fois par les Cortès (le Parlement espagnol), ainsi que par le Parlement catalan et la population catalane par un référendum (18 juin 2006).

Pourtant, lors d'un sondage publié le 30 mai 2006 par le quotidien El Mundo, 54 % des Espagnols étaient hostiles au projet de «statut élargi» pour la Catalogne, et la même proportion estimait que le texte devrait être soumis à une consultation populaire à l'échelle nationale. Les tenants du projet, tant catalans qu'espagnols, ne voyaient pas dans ce référendum un pas vers l'indépendance de la Catalogne, mais plutôt une reconnaissance par Madrid de «la spécificité régionale catalane». On peut lire une version française des dispositions linguistiques (l'article 6) du nouveau Statut d'autonomie (2006) en cliquant ICI, s.v.p.  On peut lire aussi une version française complète (format PDF) du Statut d'autonomie en cliquant ICI, s.v.p.

Cela étant dit, des politiciens catalans pensaient déjà à ce moment-là à des stratégies pour accroître l'autonomie. Jordi Pujol, l'ex-président du gouvernement catalan affirmait: «Le nouveau statut est mieux qu'avant, mais ce n'est qu'un pas en avant. [...] Ce qui importe, c'est de récupérer ce qui nous manque encore dans le statut d'autonomie.» Le successeur de Pujol, le président Pasqual Maragall croyait que «le statut d'autonomie catalan est la locomotive d'un futur État fédéral». Les autres régions, dont le Pays basque, les Baléares et l'Andalousie, ont suivi le dossier de près, afin d'étoffer leurs propres revendications.

4.2 Les limites imposées par le Tribunal constitutionnel

Cependant, en juillet 2006, le grand parti conservateur espagnol, le Parti populaire, a déposé un recours auprès du Tribunal constitutionnel concernant pas moins de 114 des 223 articles du Statut d'autonomie, alléguant que ce dernier dépassait «les lignes rouges de la Constitution espagnole». C’est sur ce recours que les magistrats du Tribunal constitutionnel durent statuer. Selon le journal El Pais, les juges du haut tribunal pouvaient déclarer certaines dispositions non conformes à la Constitution en raison notamment de la définition dans son préambule de la Catalogne comme «nation» et de l'obligation faite à ses habitants de connaître le catalan (article 6). Voici le texte en question dans le Préambule:
 

Preámbulo (en catalan)

El Parlament de Catalunya, recollint el sentiment i la voluntat de la ciutadania de Catalunya, ha definit Catalunya com a nació d'una manera àmpliament majoritària. La Constitució espanyola, en l'article segon, reconeix la realitat nacional de Catalunya com a nacionalitat.

Préambule (traduction)

Le Parlement de la Catalogne, en recueillant le sentiment et la volonté des citoyens de la Catalogne, a défini la Catalogne comme nation par une large majorité. La Constitution espagnole, à l'article 2, reconnaît la réalité nationale de la Catalogne comme une nationalité.

Et cet article 2 de la Constitution espagnole de 1978:

Artículo 2 (en espagnol)

La Constitución se fundamenta en la indisoluble unidad de la Nación española, patria común e indivisible de todos los españoles, y reconoce y garantiza el derecho a la autonomía de las nacionalidades y regiones que la integran y la solidaridad entre todas ellas.

Article 2 (traduction)

La Constitution est fondée sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles.

Pour le Parti populaire (conservateur), la Catalogne ne constitue pas une «nation», car il n’y a pas d’autre nation que la «nation espagnole» dans la Constitution espagnole. C'est une guerre sémantique, car il y a une nation espagnole et il y a une nation catalane. On peut nier l'évidence, mais cela ne change en rien la réalité.

Dans son arrêt du 28 juin 2010, le Tribunal constitutionnel a précisé que faire référence à la région du nord-est de l'Espagne comme une «nation» était une «idée parfaitement légitime», mais qu'elle n'avait aucun fondement juridique (voir le texte de l'arrêt). La Cour a considéré que le fait que les statuts d’autonomie ont leur fondement dans la Constitution est «une question de principe aussi élémentaire et ne pas être contesté», alors que donner un effet juridique à la nation catalane est «incompatible, contradictoire» avec l'«unité et l’indivisibilité de la nation espagnole, qui est fondée sur la Constitution». On peut parler de «nation» au sens culturel, linguistique, sociologique ou religieux, mais pas au point de vue constitutionnel. Selon l’interprétation de la Cour, la seule nation constitutionnelle est l'Espagne, ce qui a choqué les Catalans. En fait, le TC a bien cerné le problème: les Catalans forment une nation au sens culturel, linguistique et sociologique, mais pas en terme légal. Ce n'est pas un droit constitutionnel de former une nation catalane. Seule la nation espagnole en est une au sens juridique du terme. C'est là une autre guerre de sémantique! 

- L'article 6

Sur la question linguistique, c'est l'article 6.1 qui porte sur la «langue propre» et les «langues officielles» : 

Article 6

La llengua pròpia i les llengües oficials

1) La llengua pròpia de Catalunya és el català. Com a tal, el català és la llengua d'ús normal i preferent de les administracions públiques i dels mitjans de comunicació públics de Catalunya, i és també la llengua normalment emprada com a vehicular i d'aprenentatge en l'ensenyament.

Article 6 (traduction)

La langue propre et les langues officielles

1)  La langue propre de la Catalogne est le catalan. En tant que tel, le catalan est la langue utilisée habituellement et de préférence par les administrations publiques et les médias publics de Catalogne. En outre, le catalan est normalement utilisé comme langue véhiculaire et d’apprentissage dans l’enseignement.

Le Tribunal constitutionnel a introduit d’autres limites : nul ne peut être tenu de parler la langue catalane à l’école ou dans les administrations locales. Le fait de déclarer le catalan «de préférence» pour la langue des administrations publiques, le fait de détenir un pouvoir judiciaire autonome et le fait d’augmenter les compétences fiscales de la Catalogne ont été rejetés, tandis qu’a été rappelée «l’unité indissoluble de la nation espagnole», qui rend illégale le terme de «nation catalane». Selon le Tribunal, les administrations publiques ne peuvent avoir une langue «de préférence» pour aucune des langues officielles. Envisager le catalan comme «langue propre» ne doit pas supposer un déséquilibre dans le régime de co-officialité. Déclarer des préférences «implique la primauté d'une langue plutôt qu'une autre», ce qui est inconstitutionnel. Le Tribunal énonce aussi qu'on ne peut déclarer le catalan comme «langue véhiculaire» dans l'enseignement, car le castillan doit, lui aussi, être considéré comme langue véhiculaire dans l'enseignement.

Quant à l'article 6.2 qui proclame que «le catalan est la langue officielle de la Catalogne», il est également assujetti, selon le Tribunal constitutionnel, aux principes juridiques énoncés par celui-ci, comme l'est également la disposition qui prévoit que «la Catalogne, définie en tant que nationalité à l'article 1, a comme symboles nationaux le drapeau, la fête et l'hymne» (art. 8).

Article 6

La llengua pròpia i les llengües oficials

2) El català és la llengua oficial de Catalunya. També ho és el castellà, que és la llengua oficial de l'Estat espanyol. Totes les persones tenen el dret d'utilitzar les dues llengües oficials i els ciutadans de Catalunya tenen el dret i el deure de conèixer-les. Els poders públics de Catalunya han d'establir les mesures necessàries per a facilitar l'exercici d'aquests drets i el compliment d'aquest deure. D'acord amb el que disposa l'article 32, no hi pot haver discriminació per l'ús de qualsevol de les dues llengües.

Article 6 (traduction)

La langue propre et les langues officielles

2) Le catalan est la langue officielle de la Catalogne, de même que le castillan, qui est la langue officielle de l'État espagnol. Toutes les personnes ont le droit d'utiliser les deux langues officielles, et les citoyens de Catalogne ont le droit et le devoir de les connaître. Les pouvoirs publics de Catalogne doivent mettre en place les mesures nécessaires pour faciliter l'exercice de ces droits et le respect de ce devoir. Conformément aux dispositions de l'article 32, il ne peut y avoir de discrimination en raison de l'utilisation de l'une ou l'autre langue.

Pour le Tribunal, le devoir d'utiliser la catalan est limité par le droit de connaître le castillan; il ne peut être généralisé et ne peut être identique ni comparé au devoir de tous les Espagnols de parler le castillan. Autrement dit,  le devoir de connaissance de la langue catalane ne doit pas être interprété comme une obligation juridiquement contraignante sur une grande échelle.

- L'article 8

Plusieurs droits et obligations linguistiques énoncés dans le Statut d'autonomie sont ainsi susceptibles d'être limités dans leur portée par le Tribunal constitutionnel, qui les assujettit au respect de sa jurisprudence. C'est en ce sens que le Tribunal a aussi réinterprété 27 autres articles du Statut, notamment l'article 8 portant sur les «symboles nationaux» (drapeau, hymne, fêtes).

Article 8

Símbols de Catalunya

1. Catalunya, definida com a nacionalitat en l'article 1, té com a símbols nacionals la bandera, la festa i l'himne.
2. La bandera de Catalunya és la tradicional de quatre barres vermelles en fons groc i ha d'ésser present als edificis públics i en els actes oficials que tinguin lloc a Catalunya.
3. La festa de Catalunya és la Diada de l'Onze de Setembre.
4. L'himne de Catalunya és Els segadors. El Parlament ha de regular les diverses expressions del marc simbòlic de Catalunya i n'ha de fixar l'ordre protocol·lari.
5. La protecció jurídica dels símbols de Catalunya és la que correspon als altres símbols de l'Estat.

Article 8 (traduction)

Les symboles de la Catalogne

1. La Catalogne, définie en tant que nationalité à l’article 1, a comme symboles nationaux le drapeau, la fête et l’hymne.
2. Le drapeau catalan, drapeau traditionnel comportant quatre barres rouges sur fond jaune, doit se trouver sur tous les édifices publics et être présent lors des actes officiels se déroulant en Catalogne.
3. La fête de la Catalogne est la Diada le 11 septembre.
4. L’hymne de la Catalogne est "Els segadors". Le Parlement doit réglementer les diverses expressions du cadre symbolique de la Catalogne et établir leur ordre protocolaire.
5. La protection juridique des symboles de la Catalogne est identique à celle des autres symboles de l’État.

Le fait de qualifier de «nationaux» les symboles de la Catalogne ne doit pas être interprété comme les symboles d'une «nationalité» et souffrir d'une concurrence ou d'un conflit avec les symboles de la «nation espagnole».

- L'article 33.5

L'article 33 du Statut d'autonomie porte sur les droits linguistiques auprès des administrations publiques. En vertu de ce droit, les citoyens ont droit de choisir leur langue auprès de l'administration, ce qui est appelée en catalan «l'option linguistique» ("opció lingüística"). Dans le cadre des relations avec les institutions, les organisations et les administrations publiques de la Catalogne, toutes les personnes ont donc le droit d’utiliser la langue officielle de leur choix. Ce droit oblige les institutions, organisations et administrations publiques, y compris l’administration électorale en Catalogne, et en général, les entités privées en dépendant lorsqu’elles exercent des fonctions publiques. Le Tribunal constitutionnel interprète le paragraphe 4 de cet article comme contraire à la Constitution, car l'État catalan prétend étendre le droit d'utiliser le catalan auprès des organismes de l'État, dont la compétence n'est pas sous la juridiction de la Generalitat de Catalogne.

Article 33

5) Els ciutadans de Catalunya tenen el dret de relacionar-se per escrit en català amb els òrgans constitucionals i amb els òrgans jurisdiccionals d'àmbit estatal, d'acord amb el procediment establert per la legislació corresponent. Aquestes institucions han d'atendre i han de tramitar els escrits presentats en català, que tenen, en tot cas, plena eficàcia jurídica.

Article 33

5) Les citoyens de Catalogne ont le droit de s’adresser par écrit en catalan aux organismes constitutionnels et aux organismes juridictionnels de l'État, conformément à la procédure établie par la législation correspondante. Ces institutions doivent recevoir et traiter les documents écrits présentés en catalan, documents qui ont, dans tous les cas, pleine efficacité juridique.

Selon le TC, il ne relève pas des compétences de la Catalogne d'imposer le catalan à des organismes dont les autorités ne sont pas basées sur le territoire catalan. Une telle juridiction serait exclusivement espagnole. Si les juges ont accepté que le catalan soit la langue principale de l'école, ils ont refusé qu'il soit la langue principale de l'administration publique.

- L'article 34

L'article 34 du Statut d'autonomie est aussi réinterprété par le TC.

Article 34

Droits linguistiques des consommateurs et des usagers

Toute personne a le droit d’être servie, à l’oral comme à l’écrit, dans la langue officielle de son choix à titre d’usagère ou de consommatrice de biens, de produits et de services. Les organismes, entreprises et établissements ouverts au public en Catalogne sont sujets au devoir de disponibilité linguistique selon les conditions prévues par la loi.

Selon la Cour, le fait qu'une personne a le droit d'utiliser la langue de son choix oblige les entités ou les sociétés de service public à offrir une disponibilité dans les deux langues, mais les individus et les employés ne sont pas tenus de connaître les deux langues.  

- L'article 35 du Statut

Le Tribunal constitutionnel ne condamne pas tout l'article 35 du Statut d'autonomie, mais seulement l'interprétation qu'on peut en faire. Il ne serait pas légal, selon le TC, d'interpréter cette disposition comme pouvant recevoir un enseignement «uniquement et exclusivement dans l'une des deux langues co-officielles».

Article 35

Droits linguistiques dans le domaine de l’enseignement

1. Toutes les personnes ont le droit de recevoir un enseignement en catalan, conformément aux dispositions du présent Statut. Le catalan doit habituellement être utilisé comme langue véhiculaire et d’apprentissage dans le cursus universitaire et non universitaire.

2. Les élèves ont le droit de recevoir un enseignement en catalan dans le cadre de l’enseignement non universitaire. Ils ont également le droit et le devoir de posséder des connaissances suffisantes, à l’oral et à l’écrit, en catalan et en castillan à la fin de la période d’enseignement obligatoire, quelle que soit leur langue habituelle au moment d’incorporer l’enseignement. L’enseignement du catalan et du castillan doit être suffisamment présent dans les plans d’études.

3. Les élèves ont le droit de ne pas être séparés dans des établissements ou dans des groupes classe différents en raison de leur langue habituelle.

4. Les élèves qui incorporent le système scolaire catalan après l’âge correspondant ont le droit de recevoir un soutien linguistique spécial si le manque de compréhension ne leur permet pas de suivre normalement l’enseignement dispensé.

5. Les professeurs et les étudiants des établissements universitaires ont le droit de s’exprimer, à l’oral et à l’écrit, dans la langue officielle de leur choix.

Autrement dit, on ne peut affirmer que «le catalan doit habituellement être utilisé comme langue véhiculaire et d’apprentissage», car ce serait comme exclure le castillan, ce qui est inconstitutionnel, les deux langues étant à égalité de traitement, ce qui signifie que le catalan et le castillan sont tous deux des «langues véhiculaires». 

- L'article 50.5

Cet article 50 du Statut d'autonomie concerne les domaines où il faut encourager et diffuser la langue catalane. Le TC considère que l'obligation d'utiliser le catalan par les organismes publics et les entreprises qui en dépendent ne doit pas impliquer l'interdiction d'employer le castillan, sauf si l'utilisation normale du castillan peut être conditionnée par toutes sortes de formalités.

Article 50

Encouragement et diffusion du catalan

5) La Generalitat, l’Administration locale et les autres organismes publics de la Catalogne, les institutions et les entreprises qui en dépendent, ainsi que les concessionnaires de leurs services, doivent utiliser le catalan dans leurs interventions internes et leurs relations mutuelles. Ils doivent également l’utiliser normalement dans les communications et les notifications adressées aux personnes physiques ou morales qui résident en Catalogne, sans préjudice du droit des citoyens à les recevoir en castillan, s’ils en font la demande.

- Un recul

Cet arrêt du Tribunal constitutionnel représentait un recul dans l'appropriation de l'autonomie gouvernementale pour les Catalans. Il s'agissait même d'un dépouillement, voire d'une amputation de l'autonomie gouvernementale du statut de 2006. Cet arrêt du plus haut tribunal du pays constituait non seulement une limitation de la reconnaissance de l'autonomie catalane, mais imposait un net recul de certaines dispositions concernant la langue, les symboles et les compétences, par comparaison au Statut d'autonomie de 1979. Le Tribunal constitutionnel a simplement adopté une vision nationaliste espagnole héritée du centralisme traditionnel.

Ce qui est surprenant dans toute cette affaire, c'est que le Statut d'autonomie de 2006, au risque de se répéter, avait fait l'objet d'un vote favorable, tant au Parlement catalan qu'au Parlement espagnol (les Cortès), en plus d'être approuvé par référendum par la population catalane (74 % de POUR). De fait, le Parlement catalan, la Chambre et le Sénat espagnols ainsi qu'un référendum régional avaient entériné successivement ce nouveau statut. Bref, c'est le gouvernement de Madrid qui semble décider de tout en ultime recours, et c'est lui qui désigne les juges au Tribunal constitutionnel. Si l'autonomie de la Catalogne existe, elle reste subordonnée à l’État, ce qu'a encore rappelé le TC. Cette décision a balayé une grande partie des acquis de la Catalogne, alors même que le moral était au plus bas dans une Catalogne qui plongeait, comme ailleurs, dans la crise économique et institutionnelle.

4.3 La Catalogne et la Francophonie

La question de la Francophonie est un autre exemple concret du durcissement entre Madrid et Barcelone. Dans une lettre datée du 25 avril 2014 et destinée à Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), la Catalogne a demandé à être présente à titre d'«invité spécial» au Sommet de Dakar, les les 29 et 30 novembre 2014. L'OIF prévoit le statut d'«invité spécial» pour les collectivités territoriales issues d'États n'y appartenant pas, mais qui participent à ses Sommets et à quelques-uns de ses programmes. Le président de la Generalitat, Artur Mas, a vanté les liens historiques entre la Catalogne et les pays francophones. Dans sa demande, le président Mas disait combler ainsi «un désir qui vient de loin» et qu'il était prêt à participer «avec enthousiasme, conviction et fierté». Pour Artur Mas, une participation au Sommet francophone était certainement une occasion de donner une visibilité intéressante à sa région. C'est pourquoi le président de la Generalitat avait préparé ses arguments en affirmant que, durant plusieurs siècles, le français a été la première langue étrangère de la Catalogne et est aujourd'hui celle des personnes âgées de plus de 45 ans.

El francés ha sido durante siglos la primera lengua extranjera en Cataluña. Hoy, todavía, la mayoría de los mayores de 45 años ha estudiado el francés como primera lengua extranjera, la mayor parte con resultados significativamente mejores que los obtenidos actualmente en inglés. Pese a todo, aun manteniendo su prestigio, el francés acusa la competencia del inglés. Conviene revitalizarlo, en especial a nivel educativo. Es una paradoja si se tiene en cuenta la proximidad de Cataluña con Francia y el hecho de que ocho de los 14 estados más próximos a Barcelona tienen el francés como lengua oficial o de uso cotidiano” [Le français a été pendant des siècles la première langue étrangère en Catalogne. Aujourd'hui, encore, la plupart des gens âgés de plus de 45 ans ont étudié le français comme première langue étrangère, la plupart avec des résultats nettement meilleurs que ceux actuellement obtenus en anglais. Malgré tout, tout en maintenant son prestige, le français a subi la concurrence de l'anglais. Il convient de le revitaliser, en particulier en éducation. C'est un paradoxe si l'on tient compte de la proximité de la Catalogne avec la France et le fait que huit des quatorze États les plus proches de Barcelone ont le français comme une langue officielle ou d'usage quotidien.]

Cette demande, à l'initiative du président de la Generalitat, avait été soumise au secrétaire général de la Francophonie (alors Abdou Diouf l), sans en informer le gouvernement espagnol. Or, les règles de l’OIF stipulent qu’il faut l’accord du gouvernement central pour qu'une candidature de ce type soit acceptée. La Louisiane et la Vallée d’Aoste ne sont pas soumis à cette règle, postérieure à leur participation. Comme on pouvait s'y attendre, Madrid a opposé son véto à la participation de la Catalogne au Sommet de 2014. L'ambassadeur de l'Espagne à Paris, Ramón de Miguel, a donné ainsi le point de vue du gouvernement espagnol:

“El Gobierno español sostiene totalmente el objetivo de mantener y reforzar los lazos culturales, económicos y comerciales con los países de lengua francesa [...] La Constitución española de 1978 reconoce la riqueza de las diferentes modalidades lingüísticas como un patrimonio cultural [...], conforme a los principios de la Carta de la Francofonía. [Pero] el Gobierno considera que la mejor manera de atender a este objetivo en el plano internacional es perseverar en la acción conjunta del Estado en su totalidad, coordinando de manera eficaz el esfuerzo de todas las comunidades autónomas en favor de la promoción del uso del francés y de las relaciones con el mundo francófono”. El País, Madrid 20 de Julio 2014. [Le gouvernement espagnol soutient pleinement l'objectif de maintenir et de renforcer les liens culturels, économiques et commerciales avec les pays francophones [...] La Constitution espagnole de 1978 reconnaît la richesse des différentes particularités linguistiques comme un patrimoine culturel  [...], selon les principes de la Charte de la Francophonie. [Mais] le gouvernement estime que la meilleure façon d'atteindre cet objectif au niveau international est de persévérer dans l'action commune de l'État dans son ensemble, de coordonner efficacement les efforts de toutes les communautés autonomes en faveur de la promotion de l'usage du français et des relations avec le monde francophone.] El Pais, Madrid, le 20 juillet 2014.

C'est pourquoi l'ambassadeur Ramón de Miguel a réfuté l'argumentation d'Artur Mas dans une lettre envoyée à Abdou Diouf le 18 juillet 2014. En résumé, l'ambassadeur espagnol estime que, si le président de la Generalitat s'est dit désireux de participer au Sommet de l'OIF, il ne saurait oublier que les Catalans devraient faire encore des efforts pour promouvoir le français sur leur territoire. La Catalogne est la seconde plus grande communauté autonome de l'Espagne après l'Andalousie, avec 71 000 étudiants de français comme langue étrangère. Pourtant, la Catalogne se classe après l'Andalousie (300 000 étudiants), après la Communauté de Madrid (120 000) et après les îles Canaries (77 000). La Catalogne n'a que 7 % des étudiants de français, contre 13 % pour l'ensemble de l'Espagne.

Finalement, l'ancien président catalan, Artur Mas, un élève du lycée français de Barcelone, n'a pu profiter du Sommet de novembre 2014 pour montrer qu'il n'était pas isolé sur la scène internationale. En réalité, le gouvernement espagnol ne pouvait décemment s'effacer dans une instance internationale au profit de la Catalogne. Il ne pouvait accepter de voir Artur Mas apparaître dans une photo officielle en compagnie des chefs d'État et de gouvernement de la Francophonie.

5 La législation linguistique catalane

La Generalitat de Catalogne s'est dotée d'un arsenal juridique presque unique au monde en matière linguistique, avec une quantité impressionnantes de lois, décrets, ordonnances et circulaires. En 1983, la Generalitat a fait adopter à l'unanimité par le Parlement catalan de Barcelone la Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne, aujourd'hui abrogée et remplacée par une nouvelle loi linguistique (Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998). Cette ancienne loi était l'équivalent de la Charte de la langue française au Québec. Elle imposait le catalan dans toutes les cérémonies et manifestations de la région, dans tous les rapports publics, officiels et non officiels, et le mettait ainsi sur un pied d'égalité avec le castillan. L'objectif de la loi catalane était de reconnaître à tout citoyen le droit d'utiliser le catalan dans ses rapports avec l'administration locale, dans les services publics et privés, dans toutes les activités professionnelles, syndicales, politiques, et de recevoir un enseignement en catalan. Pour ce faire, le gouvernement s'est doté d'assises juridiques impressionnantes: rappelons-le, une bonne trentaine de lois.

La Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne (abrogée) proclamait le caractère particulier du catalan (art. 2):

Article 2 (abrogé)

Le catalan est la langue particulière de la Catalogne. Tous les citoyens ont le droit de la connaître et de s'exprimer dans cette langue verbalement et par écrit, au cours des relations et des actes publics, officiels et non officiels.

Maintenant, c'est la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 (Lei 1/1998, de 7 de gèr, de politica lingüistica) adoptée par la Generalitat de la Catalogne qui remplace la Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne de 1983, dont elle reprend toutes les prescriptions et les adapte à la situation actuelle. L’article 2 de la nouvelle loi résume ainsi les objectifs de la loi de 1998: 

Article 2

1) Le catalan est la langue propre de la Catalogne et la distingue en tant que pays. 

2) En tant que langue propre, le catalan est:  

a) La langue de toutes les institutions de Catalogne, et en particulier de l'administration de la Generalitat, de l'administration locale, des organismes publics, des entreprises et des services publics, des médias institutionnels, de l'enseignement et de la toponymie.

b) La langue employée préférentiellement par l'administration de l'État en Catalogne suivant les critères que celle-ci définira pour les autres institutions et, en général, pour les entreprises et organismes qui offrent un service au public.

L’article 3 de la Loi sur la politique linguistique, quant à lui, proclame à nouveau la co-officialité du catalan et du castillan en Catalogne: 

Article 3

1) Le catalan est la langue officielle de Catalogne, de même que le castillan.

2) Le castillan et le catalan, en tant que langues officielles, peuvent être employés indistinctement et sans discrimination par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités privées ou publiques. Les actes juridiques dressés en l'une ou l'autre des deux langues officielles ont, en ce qui concerne la langue, une pleine validité et efficacité.

De plus, l’article 4 de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 décrit les droits linguistiques des citoyens comme étant de connaître les langues officielles et de pouvoir s’exprimer dans n’importe laquelle des langues officielles, oralement et par écrit, dans les relations avec l’administration et les actes publics et privés, dans les tribunaux, et d’en recevoir des services.

5.1 La législature catalane et les tribunaux

À la Generalitat de Catalogne, les députés s'expriment au choix en catalan (surtout) ou en espagnol, les lois sont rédigées obligatoirement dans les deux langues, mais le texte catalan sert de «référence authentique»; d’ailleurs, les lois sont rédigées en catalan et traduites ensuite en castillan. Toutes les publications de la Generalitat sont publiées dans les deux langues officielles. La plupart des parlementaires s'expriment en catalan au Parlement (Cors Catalanes), même ceux dont la langue maternelle est l'espagnol (castillan). Dans le domaine de la législature, le catalan assure donc sa dominance sur le castillan (espagnol).

Dans les tribunaux, l’article 36 de la loi de l’État espagnol du 26 novembre 1992, appelée Loi relative au régime juridique des administrations publiques et de la procédure administrative commune (Ley 30/1992, de 26 de noviembre, de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común), oblige l’administration centrale espagnole à offrir des services dans les deux langues officielles de la Catalogne. Selon l’article 36, la langue utilisée par l’administration de l’État est le castillan, mais dans les Communautés autonomes où il existe une autre langue co-officielle, cette dernière est aussi reconnue.

Dans la législation catalane, les articles 4 (par. 2) et 13 de la Loi sur la politique linguistique catalane obligent aussi les tribunaux à offrir des services sans la présence d’un interprète, ce qui signifie que le juge doit comprendre l’accusé, les témoins et autres justiciables: 

Article 13

1) Les interventions judiciaires, orales comme écrites, faites dans l’une ou l’autre des deux langues officielles, seront valides, sans nécessité de traduction.

De façon générale, le catalan n'est pas toujours employé dans les tribunaux par les usagers eux-mêmes. Selon les localités, l'usage du catalan varierait entre 44 % et 15 % entre les membres de l'Administration de la justice et les citoyens. Dans les procès, seulement de 7 % à 8 % se dérouleraient uniquement en catalan. Conformément à la législation espagnole en vigueur, lorsque toutes les parties comprennent le catalan et en arrivent à un accord unanime, les avocats peuvent utiliser uniquement le catalan. Si ce n'est pas le cas, l'avocat de la défense et le procureur ont l'obligation de recourir au castillan. Précisons que les juges nommés par Madrid ne connaissent pas toujours le catalan. De façon générale, l'Administration centrale de Madrid ne les inciterait pas trop à apprendre le catalan.

Par ailleurs, la Loi 10/2008 du 10 juillet sur le Livre IV du Code civil de la Catalogne, relative aux successions oblige les notaires à utiliser la langue officielle choisie par le bénéficiaire:

Articles 421-12

Langue du testament

1) Le testament doit être rédigée dans la langue officielle de la Catalogne choisie par le bénéficiaire.

2) Le testament peut être dicté dans une langue non officielle de la Catalogne si le notaire autorisé la connaît ou, s'il ne la connaît pas, en présence et avec le recours à un interprète pas nécessairement officiel, mais désigné d'un commun accord par le testateur et le notaire. L'accord dans la désignation de l'interprète est présumé par le seul fait de la passation du testament.

3) En conformité avec le paragraphe 2, le testament doit être rédigé dans la langue officielle en Catalogne choisie par le bénéficiaire et, s'il le sollicite, aussi dans la langue non officielle concernée. L'interprète qui a pris part à la traduction doit signer le document.

5.2 L'Administration catalane

La Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne (abrogée) établissait clairement le caractère obligatoire du catalan au sein de l'administration territoriale (art. 5, par. 2):

Article 5 [abrogé]

2) Le catalan et le castillan, en tant que langues officielles en Catalogne, devront être employés obligatoirement par l'administration conformément à la forme établie par la loi.

En principe, cela signifiait que le catalan et le castillan devaient être enseignés durant le même nombre d'heures. Au cours de la décennie quatre-vingt, la catalan gagna graduellement du terrain dans la majorité des centres scolaires jusqu'à devenir au début des années quatre-vingt-dix la principale langue d'enseignement en Catalogne.

Dans la Loi sur la politique linguistique, c’est tout le chapitre I (art. 8 à 17) qui est consacré à la langue de l’administration catalane. Il faut préciser que l’administration catalane doit utiliser le catalan comme langue de travail (art. 9). Voici comment se lit l'article 9:

Article 9

1) La Generalitat, les administrations et les autres organismes publics de la Catalogne, les institutions et les entreprises qui en dépendent, ainsi que les concessionnaires de leurs services, devront utiliser le catalan dans leurs interventions internes et leurs relations mutuelles. Ils devront également l'utiliser normalement dans les communications et les notifications adressées aux personnes physiques ou juridiques qui résident dans le domaine linguistique catalan, sans préjudice du droit des citoyens et citoyennes à les recevoir en castillan, s'ils en font la demande.

2) Le gouvernement de la Generalitat devra réglementer l'emploi du catalan dans les activités administratives de tous les organes de sa compétence.

3) Les collectivités locales et les universités devront réglementer l'emploi du catalan dans le domaine de leurs compétences respectives, en accord avec les dispositions de l'alinéa 1. Les autres organismes publics devront également les réglementer en ce sens.

Tous les citoyens ont le choix de s’adresser en catalan ou en castillan auprès de l’administration. Cela dit, le gouvernement catalan incite ses fonctionnaires (dont la connaissance du catalan est obligatoire) à utiliser le catalan en priorité. Une circulaire (24 avril 1989), diffusée par la Direction générale de la politique linguistique, précisait même quelle langue le fonctionnaire catalan doit utiliser s'il parle le premier à un citoyen:

Étant donné que la langue propre à la Catalogne et à la Generalitat est le catalan, la première fois qu'ils communiquent oralement ou par écrit avec les citoyens, les fonctionnaires doivent s'adresser à eux en catalan. [...]

Dans les relations personnelles entre la Generalitat et les citoyens, les fonctionnaires doivent employer le catalan, langue propre au pays et à l'Institution, pourvu que le citoyen ne manifeste pas le désir d'être servi en castillan.

Cette directive est significative parce qu'elle montre la volonté d'assurer la prépondérance du catalan sur le castillan en Catalogne, et ce, même si la loi oblige les fonctionnaires catalans à servir les usagers dans la langue dans laquelle ils se sont exprimés (catalan ou castillan). Initialement, le projet prévoyait instituer une obligation similaire pour les entreprises privées, mais cette disposition a été retirée à la suite de protestations des gens d’affaires, et le texte final n'oblige plus les commerçants à répondre à leurs clients dans la langue de leur choix mais simplement à les «écouter». Finalement, la loi ne prévoit pas de sanctions pour les citoyens qui ne la respectent pas, mais seulement pour les entreprises et les fonctionnaires.

De toute façon, toutes les unités administratives doivent être en mesure de communiquer avec les citoyens oralement ou par écrit dans les deux langues officielles. Il est significatif aussi que, la pression sociale aidant, certains fonctionnaires de l'État espagnol en poste en Catalogne se sont mis à suivre volontairement des cours de catalan. Par ailleurs, depuis 1992, l’État espagnol oblige ses fonctionnaires à être bilingues en Catalogne, même si les résultats n'atteignaient pas les 50 % de bilingues en 2001. Le bilinguisme est donc quasi systématique dans cette région: au Parlement, dans les cours de justice, dans toutes les administrations, dans les écoles, etc.

En 1987, le gouvernement catalan adoptait la loi 4/1987 du 24 mars créant l’École d’administration publique de Catalogne (Llei 4/1987, de 24 de març, reguladora de l'Escola d'Administració Pública ou loi 4/1987 du 24 mars régularisant l'École d'administration publique). En vertu de l’article 3 (alinéa L), les fonctions propres de l’École relativement à la langue sont notamment les suivantes en ce qui a trait à la langue:

Article 3

l) Coadjuvar en la programació i l'organització de l'ensenyament de la llengua catalana i, en especial, del llenguatge administratiu destinat a la plena qualificació lingüística del personal al servei de l'Administració, d'acord amb el que estableix la Llei 7/1983, del 18 d'abril, de normalització lingüística a Catalunya, i el que determinen els articles 34 i 35 de la Llei 17/1985, del 23 de juliol, de la funció pública de l'Administració de la Generalitat.

Article 3

l) Coopérer quant à la programmation et l’organisation de l’enseignement de la langue catalane et, plus particulièrement, du langage administratif destiné à la qualification linguistique complète du personnel au service de l’Administration, conformément à ce qu’établit la loi 7/1983 du 18 avril relative à la normalisation linguistique en Catalogne, ainsi que ce que déterminent les articles 34 et 35 de la loi 17/1985 du 23 juillet relative à la fonction publique de l’administration de la Generalitat.

Bien que le catalan soit utilisé dans certaines municipalités majoritairement catalanes, les municipalités n'y sont pas assujetties (sauf pour les services aux citoyens). Néanmoins, de nombreuses commissions mixtes de catalanisation ont été créées afin de catalaniser progressivement ces différents services. À l'heure actuelle, on peut dire que la Catalogne est la seule des trois communautés catalanophones (Baléares et Pays valencien) à avoir catalanisé de manière significative son administration. Le gouvernement catalan est aussi le seul à avoir adopté des mesures juridiques sur la catalanisation et à avoir considéré de façon systématique les épreuves de connaissance du catalan comme conditions nécessaires aux concours de recrutement de la fonction publique.

Catalan Équivalent espagnol Équivalent
français
Plaça de Catalunya Plaza de Cataluña Place de la Catalogne
Plaça Portal de la Pau Plaza Portal de la Pau Place Portail de la Paix
Port Olímpic Puerto olimpico Port olympique
Supermercat Supermercado Supermarché
Museu Fran Daurel Museo Fran Daurel Musée Fran Daurel
Atenció: Pas restringit per obres Atención: Paso restringido por obras Attention: lieu limité aux travaux
Centre Ciutat Centro Ciudad Centre-ville
Serveis Servicios Services
Aternció: Prioritat per a vianants Atención: Prioridad para peatones Attention: priorité aux piétons
Zona avançada per a motos Zona avanzada para motos Zone avancée pour les motos
Consell de Collegis Veterinaris de Catalunya Consejo de Colegios Veterinarios de Cataluña Conseil des collèges Vétérinaires de Catalogne

5.3 La toponymie

Pour ce qui est des inscriptions publiques, elles sont obligatoirement unilingues catalanes sur les édifices publics de la Generalitat, sur les panneaux routiers et les plaques odonymiques (noms des rues), ainsi que pour toute publicité gouvernementale ou para-gouvernementale. Dans le chapitre II de la Loi sur la politique linguistique (1998), l'article 18 précise que les toponymes de la Catalogne, à l'exception de ceux du val d'Aran, ont pour unique forme officielle le catalan; cela signifie que les formes espagnoles des toponymes sont illégales, donc interdites.

Article 18

La toponymie

1) Les toponymes de Catalogne auront pour unique forme officielle la forme catalane, en accord avec les normes linguistiques de l'Institut d'études catalanes, excepté ceux du val d'Aran, qui auront pour forme officielle la forme aranaise.

2) La détermination du nom des municipalités et des comarques est régie par la législation des institutions locales.

3) La détermination du nom des voies urbaines et des localités de toutes sortes revient aux mairies, tandis que celle des autres toponymes de Catalogne revient au gouvernement de la Generalitat, y compris les voies interurbaines, quel que soit l'organisme dont elles dépendent.

4) Les dénominations auxquelles réfèrent les paragraphes 2 et 3 sont légales à tous les effets et la composition des panneaux doit les respecter. Il revient au gouvernement de la Generalitat de réglementer la normalisation des panneaux publics, en respectant dans tous les cas les normes internationales qui font désormais partie du droit interne.

Mais c'est le Décret 78/1991 du 8 avril sur l'utilisation de la toponymie, qui précise le plus l'usage des toponymes en Catalogne, la forme officielle de ceux-ci étant en catalan:

Article 2

Désignation sur les voies urbaines et interurbaines

2.1 La désignation toutes les voies urbaines et interurbaines dans le territoire de Catalogne doit faire figurer les toponymes de Catalogne exclusivement dans sa forme officielle, avec comme seule exception de ce que prévoit le paragraphe 3 du présent article.

2.2 Lorsque, dans la désignation des voies urbaines ou interurbaines,  la direction vers un lieu hors de la Catalogne est indiquée, le toponyme correspondant doit figurer en catalan s'il a une forme traditionnelle dans cette langue, sous réserve de ce qui peut aussi figurer dans d'autres langues. Dans la Val d'Aran, cette règle doit être appliquée par rapport à l'aranais dans le lieu catalan.

L'article 3 du même décret précise que l'emploi des toponymes catalans est obligatoire non seulement sur les panneaux indicateurs, mais aussi dans tous les imprimés, les en-têtes des documents, les timbres et tampons, la presse écrite, les feuillets publicitaires, les cartes, les guides et dans tous les registres publics de la Catalogne:

Article 3

Usage du toponyme officiel dans les services au public

3.1
Dans tous les panneaux indicateurs externes et internes de la Catalogne, les toponymes de la Catalogne doivent figurer dans leur forme officielle.

3.2 Dans tous les imprimés, les en-têtes imprimées de toute catégorie de documents, les timbres et tampons, la presse écrite, les feuillets publicitaires et autres éléments analogues fabriqués ou publiés en Catalogne pour son usage en Catalogne, les toponymes de Catalogne doivent figurer dans leur forme officielle.

3.3 Les cartes, les guides et en général les publications descriptives du territoire qui sont publiées en Catalogne doivent faire figurer les toponymes de Catalogne dans leur forme officielle.

3.4 Dans tous les registres publics de la Catalogne, y compris les employés de l'Administration de l'État, les toponymes de Catalogne doivent figurer selon leur forme officielle.

Selon l'article 5 du décret 78/1991, il n'est pas administrativement autorisé d'utiliser des manuels et du matériel pédagogique destinés aux écoles de la Catalogne si les toponymes de Catalogne ne figurent pas dans leur forme officielle. La loi (art. 9) crée aussi la Commission de toponymie, dont les fonctions sont les suivantes:

Article 9.4

Les fonctions de la Commission de toponymie sont les suivantes:

a) Assurer la coordination entre l'Institut d'études catalanes et le Conseil général d'Aran et l'administration de la Generalitat et ses organismes autonomes en matière de toponymie. 

b) Agir comme organisme de coordination avec d'autres organismes ou institutions ayant des compétences dans le domaine de la toponymie.

c) Proposer des critères et des règles d'écriture pour l'usage des toponymes sur les panneaux indicateurs, dans la cartographie, les publications et les moyens de diffusion audiovisuelle, en conformité avec la réglementation linguistique de l'Institut d'études catalanes et celle du Conseil général d'Aran.

Selon l'article 42 du Décret législatif n° 2/2009 du 25 août (DOGC 5452 du 27) approuvant le texte refondu de la Loi sur les routes (2009), la signalisation routière doit être au moins en catalan, ce qui laisse supposer qu'elle peut l'être en supplément en castillan ou en aranais dans le Val-d'Aran.

Article 42

Publicité, et panneaux d'information et d'indication

4) Sont des signaux d'information :

a) les signaux de service.
b) les signaux qui indiquent des lieux, des centre ou activités d'attraction, de tourisme ou d'intérêt culturel.
c) les signaux qui sont exigés par la réglementation internationale.

5) La forme, la couleur, les dimensions et les choix linguistiques dans les signaux d'information et de leurs éléments fonctionnels doivent être conformes aux critères établis par le gouvernement, selon les règlements généraux applicables en la matière.

6) Sans préjudice des règles générales applicables en la matière, les indications de signalisation routière sur les routes de Catalogne doivent être au moins en catalan. La toponymie doit figurer en catalan ou en aranais, conformément aux règlements de la Generalitat de Catalogne.

Pour le gouvernement catalan, les noms de lieu constituent «une partie essentielle du patrimoine d'un peuple» et contiennent des éléments importants de leur histoire et de leur tradition. La possibilité de rendre pleinement effectives les prescriptions de l'ancienne Loi sur la normalisation linguistique en cette matière aurait rendu nécessaire son développement réglementaire.

5.4 Les langues dans l'enseignement

Le gouvernement catalan n'a pas adopté la langue maternelle comme critère principal de la langue d'enseignement dans les écoles. La législation interdit explicitement la séparation des élèves en écoles linguistiques ou en classes linguistiques distinctes. En 1982-1983, un rapport gouvernemental («Quatre anys de català a l'escola») révélait que 40 % des enfants étaient incapables de s'exprimer en catalan. De plus, la Constitution espagnole reconnait que d'autres langues espagnoles peuvent être également officielles dans les différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts. 

En Catalogne, il existe trois groupes d’établissements : les écoles publiques ("colegios públicos"), les écoles privées financées par l’État ("colegios concertados") et les écoles privées ("colegios privados"). Les écoles publiques sont laïques, et elles sont gérées par l’État et les administrations locales en proposant tous les niveaux du programme scolaire obligatoire. Le nombre de places est limité et il faut répondre à un certain nombre de critères (p. ex., la proximité géographique) pour y être inscrit. Les écoles privées financées par l’État bénéficient d’une plus grande liberté de gestion, mais elles doivent de respecter certaines conditions (p. ex., le nombre d’élèves par classe, les dates, etc.); ces écoles sont financées en partie par les frais de scolarité. Enfin, les écoles privées sont des entreprises d’enseignement privées financées exclusivement par les frais de scolarité.

- L'enseignement du catalan et du castillan

L'article 1er du Décret 362 du 30 août sur l'application de la loi 7/1983 du 18 avril sur la normalisation linguistique en Catalogne dans le cadre de l'enseignement non universitaire (1983) introduisait l'enseignement du catalan et du castillan dans les établissements d'enseignement non universitaires:

Article 1er

1)
Les langues catalane et castillane doivent être obligatoirement enseignées à tous les niveaux, dans tous les types d'études et dans toutes les classes de l'enseignement non universitaire, dans tous les établissements publics et privés, conformément aux programmes, orientations et horaires établis ou qui seront établis par règlement à cet effet pour chaque niveau, type d'études et classe.

L'aranais doit également être enseigné dans les établissements scolaires du val d'Aran.

2) Le niveau de connaissance du catalan exigé des élèves qui se sont incorporés tardivement au système scolaire de la Catalogne doit tenir compte de ce fait et, par conséquent, ce niveau de connaissance doit être adapté à leur niveau d'apprentissage.

3) Les élèves qui peuvent justifier qu'ils séjournent en Catalogne de façon temporaire et ceux qui sont visés par les règlements établis par le département de l'Éducation n'ont pas à prouver leur connaissance du catalan.

Puis le décret 362/1983 du 30 août a été suivi du Décret 75/1992 du 9 mars établissant l'organisation générale de l'enseignement préscolaire, de l'enseignement primaire et secondaire obligatoire en Catalogne, qui introduisait un élément différent en imposant le catalan comme langue véhiculaire et langue d'enseignement obligatoire au primaire et au secondaire dans les écoles.

Article 3

1) Le catalan comme langue propre de la Catalogne l'est aussi dans l'enseignement. Il doit être normalement utilisé comme langue d'apprentissage obligatoire en éducation préscolaire, au primaire et au secondaire.

2) Dans le Val d'Aran, l'aranais, en tant que langue propre, fait l'objet d'enseignement et doit généralement être la langue d'enseignement et d'apprentissage dans les champs ou domaines à déterminer.

Le Conseil général du Val d' Aran doit prévoir le programme d'études de l'aranais.

Le département de l'Éducation, en accord avec le Conseil général du Val d'Aran, doit déterminer l'organisation de l'enseignement de l'aranais et son utilisation comme langue d'enseignement dans les écoles du Val Aran.

3) Dans tous les cas, respecter les droits linguistiques de l'élève, conformément à la loi.

Selon les articles 20 et 21 de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998, le gouvernement catalan doit garantir le droit à l'école en catalan et en castillan, et ce, à tous les niveaux. La maîtrise de la langue seconde est donc obligatoire pour tous les élèves de la Catalogne. Comme il n'y a pas d'écoles distinctes pour les catalophones et les hispanophones, le catalan et le castillan sont obligatoires pour tous. L’article 20 décrit ainsi la langue de l’enseignement:

Article 20

Le catalan, comme langue propre de la Catalogne, est aussi celle de l’enseignement, à tous les niveaux et toutes les modalités éducatives.

Mais l’article 21 précise que les enfants ont le droit de recevoir leur premier enseignement dans leur langue habituelle, qu’elle soit le catalan ou le castillan. Le gouvernement doit garantir ce droit et prendre tous les moyens nécessaires pour rendre effectif ce premier enseignement. À la fin du primaire, tout élève doit démontrer obligatoirement sa connaissance du catalan et du castillan; dans le cas contraire, l'administration catalane ne peut délivrer de certificat de fin d’études. 

- Un seul type d'école

Précisons que l'article 21 de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 interdit l’enseignement dans des écoles ou classes linguistiques séparées pour des raisons de discrimination. Autrement dit, il n’y a pas d’écoles castillanes ni catalanes. Les écoles de la Catalogne enseignent le catalan et le castillan à tous les élèves, que leur langue maternelle soit le catalan ou le castillan. En pratique, l’espagnol n’est enseigné obligatoirement qu’à partir de six ans, à raison de deux ou trois heures par semaine.

- La politique de catalanisation

Dans la réalité, la politique de catalanisation n'a pas toujours été appliquée avec rigueur en raison parfois du manque de personnel enseignant. Dans de nombreuses écoles primaires, on se contentait de respecter le minimum légal de cinq heures hebdomadaires consacrées au catalan.  Toutefois, chaque année, le nombre d'instituteurs de catalan a augmenté, des séminaires de didactique et des visites ponctuelles ont été organisés dans les écoles et l'enseignement du catalan a été graduellement mieux planifié. De plus, des cours d'éducation aux adultes ont été offerts dans toute la Catalogne; ils sont couronnés par des certificats officiels. En Catalogne, la catalanisation de l'enseignement a été constante depuis 1983. On peut estimer que la catalanisation du système éducatif est maintenant réussie; le catalan devient donc la principale langue d'enseignement

Au secondaire, lors de l'année scolaire de 1995-1996, quelque 42 % des centres d'enseignement donnaient tout leur enseignement en catalan, 33 % le donnaient à plus de la moitié des groupes scolaires, 20 % à moins de la moitié, 5 % à tous les groupes à la fois en catalan et en castillan, 0,1 % uniquement en castillan. On doit admettre que les deux langues officielles sont enseignées en Catalogne, mais une nette prédominance est accordée à la «langue propre» de la Catalogne, le catalan.

- La loi sur l'éducation

En juillet 2008, le gouvernement catalan avait approuvé un avant-projet de loi sur l'éducation (Anteproyecto de la Ley de Educación de Cataluña). La loi a été adoptée le 10 juillet 2009: Loi n° 12 du 10 juillet 2009 sur l'éducation (Llei 12/2009, del 10 de juliol, d’educació). L'article 10 de la loi précise que les programmes doivent garantir la pleine maîtrise des langues officielles catalane et castillane à la fin de la scolarité obligatoire, selon le Cadre européen commun de référence pour les langues, l'enseignement et l'évaluation des langues:

Article 10

Droit et obligation de connaître les langues officielles

1)
Les programmes doivent garantir la pleine maîtrise des langues officielles catalane et castillane à la fin de la scolarité obligatoire, selon le
Cadre européen commun de référence pour les langues, l'enseignement et l'évaluation des langues.

L'article 11 de la loi 12/2009 proclame que le catalan, comme langue propre de la Catalogne, est la langue normalement utilisée comme langue véhiculaire et comme langue d'apprentissage du système scolaire:

Article 11

Le catalan, langue véhiculaire et langue d'apprentissage

1)
Le catalan, comme langue propre de la Catalogne, est la langue normalement utilisée comme langue véhiculaire et comme langue d'apprentissage du système scolaire.

2) Les activités scolaires, tant à l'oral qu'à l'écrit, le matériel didactique et les manuels scolaires, les activités d'évaluation dans les unités de formation, les matières et les modules du programme d'études, doivent normalement être en catalan, sauf les matières en langue et en littérature castillanes ainsi que les langues étrangères, sans préjudice des dispositions des articles 12 et 14.

3) Les élèves ne peuvent pas être séparés dans les établissements d'enseignement ni dans des groupes de classes différents en fonction de leur langue habituelle.

La Loi n° 12 du 10 juillet 2009 sur l'éducation prévoit l'apprentissage d'au moins deux langues étrangères:

Article 12

Langues étrangères

1)
Les programmes approuvés par le gouvernement doivent inclure un enseignement d'au moins une langue étrangère pour les élèves, afin d'acquérir les compétences nécessaires pour écouter, lire, converser, parler et écrire, en conformité avec le
Cadre européen commun de référence pour les langues, l'enseignement et l'évaluation des langues.

2) Le projet linguistique doit déterminer, conformément aux exigences du Département, quelle langue étrangère est enseignée comme première langue étrangère et laquelle, parmi les autres, comme deuxième langue étrangère.

En ce qui concerne l'enseignement du catalan, des programmes d'immersion sont prévus afin que le catalan maintienne la fonction de langue de référence et de facteur de cohésion sociale (art. 15 de la loi 12/2009 sur l'éducation :

Article 15

Programmes d'immersion linguistique

1)
Le département de l'Éducation, afin que le catalan maintienne la fonction de langue de référence et de facteur de cohésion sociale, doit mettre en œuvre des stratégies pédagogiques d'immersion linguistique qui assurent un usage intensif comme la langue véhiculaire et comme langue d'apprentissage. La définition de ces stratégies doit tenir compte de la réalité sociolinguistique, de la langue ou des langues des élèves et de l'enseignement du castillan.

2) Les écoles doivent s'adapter aux caractéristiques des programmes d'immersion linguistique, en tenant compte du nombre d'heures des matières linguistiques qui doivent être enseignées tout au long de l'année scolaire.

En plus de la langue d'enseignement, la Loi n° 12 du 10 juillet 2009 sur l'éducation prévoit des dispositions concernant le catalan comme langue de l'administration scolaire:

Article 16

Le catalan, la langue officielle de l'administration scolaire en Catalogne

1)
Le catalan, comme langue particulière de la Catalogne, est aussi celle de l'administration scolaire.

2) Les autorités scolaires et les écoles doivent normalement utiliser le catalan dans leurs relations internes et avec celles qu'elles entretiennent avec le gouvernement de la Catalogne et d'autres territoires de langue catalane et les entités publiques à leur égard. Le catalan doit aussi être la langue d'usage normal pour la prestation des services contractés par le Département.

3) Les activités administratives de régime interne des établissements d'enseignement doivent être normalement en catalan, sans préjudice de la
Loi sur la politique linguistique
.

Enfin, l'article 18 de la Loi n° 12 du 10 juillet 2009 sur l'éducation prévoit que le catalan devienne le véhicule d'expression dans les activités de rayonnement externe, particulièrement dans les établissements d'enseignement à l'étranger notamment dans les territoires ayant des liens historiques, linguistiques et culturels avec la Catalogne:
 

Article 18

Usage et promotion du catalan

1)
 Afin de rendre présent le caractère véhiculaire du catalan dans les manifestations culturelles publiques, dans les écoles publiques et les écoles privées financées par des fonds publics, le catalan doit être normalement le véhicule d'expression dans les activités de rayonnement externe.

3) Le gouvernement doit encourager et soutenir les établissements d'enseignement à l'étranger dans le contexte plus large du rayonnement international de la culture et de la langue catalane, et doit contribuer aussi à les soutenir, surtout dans les territoires ayant des liens historiques, linguistiques et culturels avec la Catalogne.

- L'enseignement universitaire

À l'université, les professeurs et les élèves ont le droit de s'exprimer oralement ou par écrit dans la langue officielle de leur choix. L'article 22 de la Loi sur la politique linguistique de 1998 reconnaît le bilinguisme catalan-castillan, tout en préconisant l'usage du catalan: 

Article 22

L 'enseignement universitaire

1)
Dans les centres d'enseignement supérieur et universitaire, le professorat et les étudiants auront le droit de s'exprimer dans chaque cas, oralement ou par écrit, dans la langue officielle de leur choix.

2) Le gouvernement de la Generalitat, les universités et les institutions d'enseignement supérieur, dans le domaine de leurs compétences respectives, devront adopter les mesures pertinentes afin de garantir et d'encourager l'emploi de la langue catalane dans toutes les activités enseignantes et non enseignantes, ainsi que dans la recherche, y compris les soutenances de thèses doctorales et les concours.

3) Les universités devront offrir des cours et d’autres moyens appropriés aux étudiants et au professorat pour qu'ils perfectionnent leur compréhension et leur connaissance de la langue catalane.

4) Les universités peuvent, si nécessaire, fixer des critères spécifiques d'usage linguistique dans les activités en rapport avec des engagements internationaux.

Plus de la moitié des professeurs utilisent le catalan dans leur enseignement dans les universités de la Catalogne. À tous les niveaux d'enseignement, les professeurs doivent connaître les deux langues pour exercer leurs fonctions.

En 2003, la Generalitat adoptait la Loi 1/2003 du 19 février sur les universités de la Catalogne (Llei 1/2003, de 19 de febrer, d'universitats de Catalunya). L'article 6 de cette loi reconnaît dorénavant le catalan comme «la langue propre des universités de la Catalogne et, par conséquent, la langue d'usage normal de leurs activités» par. 1), tout en précisant que «le catalan est la langue officielle des universités de la Catalogne, tout autant que le castillan» (par. 2).

Article 6

Langue

1) Le catalan est la langue propre des universités de la Catalogne et, par conséquent, la langue d'usage normal de leurs activités.

2) Le catalan est la langue officielle des universités de la Catalogne, tout autant que le castillan. L'usage des langues officielles dans les activités universitaires est régi par la loi 1/1998 du 7 janvier sur la politique linguistique.

3) Dans le cadre de la loi 1/1998 du 7 janvier sur la politique linguistique, le gouvernement et les universités, dans le domaine de leur juridiction respective, doivent stimuler la connaissance et l'usage du catalan dans tous les domaines de l'activité universitaire et en promouvoir l'apprentissage chez tous les membres de la communauté universitaire.

4) Conformément à la loi 1/1998 du 7 janvier sur la politique linguistique, le corps professoral universitaire, sauf les visiteurs et les cas similaires, doit connaître suffisamment les deux langues officielles, en conformité avec les exigences de leurs tâches universitaires. Conformément avec la réglementation en vigueur et au moyen du Conseil interuniversitaire de la Catalogne, le gouvernement doit garantir que, dans les processus de sélection, d'accès et d'évaluation, ladite connaissance suffisante doit être effective.

5) Conformément avec la réglementation en vigueur et au moyen du Conseil interuniversitaire de la Catalogne, le gouvernement doit s'assurer que l'accès et l'incorporation des nouveaux membres dans la communauté universitaire n'altèrent pas les usages linguistiques de l'enseignement normal et le processus de normalisation linguistique des universités.

6) Dans le domaine de leurs compétences respectives, le gouvernement et les universités doivent prévoir des programmes de promotion de la connaissance d'une troisième langue, lesquels pourront inclure également l'usage de ces langues dans les activités universitaires ainsi que l'offre de matières spécifiques de chaque diplôme.

Soulignons aussi l'obligation (par. 6) pour tous les étudiants de connaître une troisième langue.

5.5 Les langues dans les médias

Conformément à la loi catalane, la Generalitat doit promouvoir l'usage du catalan à la radio et à la télévision locale. Le catalan est la langue exclusive de la radio et de la télévision relevant de la Generalitat, soit deux chaînes de télévision (TV3 et Canal 33) et cinq stations radiophoniques: Catalunya Ràdio, Catalunya Música, Catalunya Informació et Ràdio Associació de Catalunya. La chaîne publique espagnole TV2 diffuse aussi des émissions en catalan et la chaîne privée TVE2 diffuse 37 h/s en catalan. Plus de 180 radios régionales privées diffusent aussi principalement en catalan. Le gouvernement catalan peut encourager l'usage du catalan auprès de tous les médias en recourant à des subventions ou à des crédits d'impôt. Dans les faits, seule la presse écrite publiant exclusivement en catalan a pu bénéficier de telles subventions. On compte aujourd’hui sept quotidiens et 26 hebdomadaires publiant en catalan. Depuis la fin d'octobre 1997, le quotidien espagnol, El Periódico de Catalunya, publie une édition quotidienne en catalan, qui compte presque la moitié de la vente totale du journal. 

Enfin, l'article 26 de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 institue aussi des quotas d'émissions en catalan pour les radios et les chaînes de télévisions régionales et locales ainsi que pour les cinémas. Néanmoins, malgré les déclarations de bonnes intentions de la part des entreprises, quelque 82 % des radios privées en Catalogne continuent de diffuser en castillan. Le catalan demeure donc encore une langue minoritaire à la radio privée.

Mais la Catalogne dispose aussi d'un décret sur le régime juridique d'obtention pour les services de radiodiffusion : le décret 269/1998. Selon l'article 6, le diffuseur d'une station émettrice commerciale doit utiliser la langue catalane dans ses émissions de sorte qu'au moins 50 % du temps d'antenne soit en catalan. Il fut aussi garantir qu'il y ait une présence adéquate de chansons produites par des artistes catalans et qu'au moins 25 % de celles-ci soient des chansons interprétées en catalan (ou en aranais):

Article 6

Obligations du diffuseur

Le diffuseur d'une station émettrice commerciale pour le service de radiodiffusion par ondes métriques avec modulation de fréquence doit respecter les principes inspirateurs précisés à l'article 3 ainsi que les obligations suivantes :

f) Utiliser la langue catalane dans ses émissions de sorte qu'au moins 50 % du temps d'antenne soit en catalan. L'usage du catalan doit équitablement être distribué dans toutes les bandes horaires. Cependant, les stations émettrices, qui font actuellement partie de chaînes de niveau étatique, en totalité ou partiellement pour leur temps d'antenne, pourront exclure de cette obligation une bande horaire dont la durée est d'un maximum de six heures consécutives. Cette bande sera exclue du calcul du temps d'antenne pour ce que prévoit la présente disposition. [...]

g) Garantir que, dans la programmation de musique chantée, il y a une présence adéquate de chansons produites par des artistes catalans et qu'au moins 25 % de celles-ci soient des chansons interprétées en catalan ou en aranais. Sont exclues de cette obligation les stations émettrices musicales spécialisées en musique classique ou folklorique. La Direction générale de radiodiffusion et de télévision doit reconnaître cette exclusion à la demande du diffuseur.

5.6 Le cinéma et la langue catalane

Le cinéma occupe une place importante dans la politique linguistique de la Catalogne. Cette question fut même une véritable saga entre le gouvernement catalan et les exploitants des salles de cinéma. Depuis plusieurs années, le monde du cinéma est sur le pied de guerre en Catalogne... pour des motifs à la fois linguistiques et économiques.

- La saga de 1998

En effet, les autorités de Barcelone tentent depuis au moins 1998 de promouvoir le catalan dans les salles de cinéma. Ainsi, la Loi sur la politique linguistique de 1998 prévoyait au paragraphe 3 de l’article 28 des quotas linguistiques pour les films en langue étrangère:

Article 28

3) Afin de garantir une présence significative de la langue catalane dans l'offre cinématographique, le gouvernement de la Generalitat pourra établir par règlement des quotas linguistiques de distribution et de projection pour les produits cinématographiques distribués et projetés en version doublée ou sous-titrée. Les quotas établis pour les productions cinématographiques doublées ou sous-titrées en catalan ne pourront excéder cinquante pour cent annuel de l'offre des distributeurs et des salles de projection et devront se fonder sur des critères objectifs. La réglementation correspondante doit être faite dans le cadre de la Loi 17/1994 du 8 juin sur la protection et le développement du cinéma, et suivant le régime établi par celle-ci.

Ces quotas avaient été jugés nécessaires parce qu'une enquête de 1994 avait déjà révélé une présence de seulement 0,43 % de films originellement tournés en catalan, contre 91 % pour les films en castillan et 7,8 % des films en version originale doublée en castillan.

À cette époque, Jordi Pujol était président de la Generalitat de la Catalogne. C'est lui qui avait fait adopter la Loi du 7 janvier 1998 sur la politique linguistique. Le 8 septembre 1998, ordi Pujol signait le décret d’application, le Décret 237/1998 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre des films doublés et sous-titrés en catalan. Le décret prévoyait que chaque production hollywoodienne (Disney, Fox, Warner, United, Columbia) diffusée en Catalogne en plus de 18 copies doit en doubler la moitié en catalan. Sur un total de 3800 exemplaires chaque année en Catalogne, cela toucherait environ 700 films.

Pour ce faire, le gouvernement a tenté d'obliger les exploitants des salles de cinéma et les entreprises de distribution à faire en sorte que la moitié des exemplaires de chaque long métrage sortant en salles soient doublées ou sous-titrées en catalan et non en castillan, la langue officielle de l'Espagne. L'article 5 du décret 237/1998 précise que les quotas linguistiques doivent correspondre à un jour de projection sur trois pour des films doublés en catalan: 

Article 5

Quota des écrans de cinéma doublés en catalan

1) Les salles de cinéma doivent être planifiées, au cours de chaque année civile, avec des films doublés en catalan de sorte qu'à la fin de chaque année civile la proportion d'au moins un film par jour soit atteinte pour trois jours pour de films doublés en castillan ou en d'autres langues. La présentation des œuvres en version catalane doit être planifiée dans les séances régulières durant les heures commerciales habituelles, et le prix d'admission ne peut pas être plus élevé qu'avec les autres versions présentées dans la même salle.

L'article 6 du décret 237/1998 précise que la projection des œuvres sous-titrées en catalan doit être planifiées lors des séances régulières et durant les heures commerciales habituelles, et le prix d'admission ne peut pas être plus élevé qu'avec les autres versions sous-titrées présentées dans la même salle:

Article 6

Quota des écrans de cinéma sous-titrés en catalan

Les salles de cinéma doivent être planifiées au cours de chaque année civile avec des
œuvres sous-titrées en catalan, de sorte qu'à la fin de chaque année civile la proportion d'au moins une journée de films sous-titrés en catalan soit atteinte pour trois jours de films sous-titrés en catalan ou en d'autres langues. La projection des œuvres sous-titrées en catalan doit être planifiées lors des séances régulières et durant les heures commerciales habituelles, et le prix d'admission ne peut pas être plus élevé qu'avec les autres versions sous-titrées présentées dans la même salle.

Le Décret 237/1998 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre des films doublés et sous-titrés en catalan prévoyait m^me des infractions et des pénalités. Selon l'article 14, les infractions aux obligations sur les quotas linguistiques de distribution et de projection furent classées comme très graves, graves et mineures. L'article 15 prévoyait des mesures disciplinaires et des amendes, selon le degré de l'infraction:

Article 15 (suspendu)

Mesures
disciplinaires

1) Les organismes compétents pour imposer des sanctions prévues à l'article 14 sont régis par la procédure disciplinaire réglementée par le décret 278/1993 du 9 novembre.

2) Les organismes compétents pour imposer les sanctions prévues par le présent décret sont le suivants :

a) Le gouvernement de la Generalitat pour les infractions très graves.

b ) Le conseiller de la Culture pour les infractions mineures et graves.

Normalement, le gouvernement de la Catalogne dépensait 80 millions de pesetas (plus de 480 00 euros) pour le doublage. Avec le décret 237/1998, le gouvernement dépenserait entre 200 et 300 millions de pesetas par an (soit entre 1,1 million et 1,6 million de dollars US), sans compter les dépenses pour la promotion. En cas de non-application du décret, les sanctions prévues pouvaient aller jusqu’à 10 millions de pesetas (près de 55 000 $US) et la fermeture de la salle.

Évidemment, le décret de la Generalitat soulevé aussitôt un tollé de protestations, tant chez les grandes entreprises de distribution américaines que chez les Espagnols et les Catalans. À l'époque, le bras de fer fut perçu comme une guerre déclarée entre la Generalitat de Catalogne et les grands «majors» américains qui, par ailleurs, n’avaient même pas voulu discuter avec le représentant du gouvernement catalan. En réalité, le coût d’un doublage en catalan représentait une somme presque insignifiante pour les Américains qui recevraient en plus des subventions de la Generalitat. 

Le problème était ailleurs: le fait de répondre aux exigences du gouvernement catalan équivalait à créer une sorte de «précédent». Il fallait, en effet, accorder à une «région», la Catalogne, ce dont ne disposaient même pas ni la Suède, ni la Grèce, ni les Pays-Bas, etc. C'est alors que Hollywood a protesté et a fait savoir qu'elle pouvait se passer de ce «marché régional», le tout avec l'appui du gouvernement espagnol qui craignaient déjà que les Basques et les Galiciens fassent des demandes similaires, ce qui ferait augmenter les coûts de distribution et diminuer le marché espagnol au profit du marché catalan, voire basque ou galicien. 

Devant l'intransigeance des propriétaires de salles de cinéma, le gouvernement a dû renoncer.  Invoquant les progrès réalisés avec les entreprises concernées par le cinéma, le gouvernement catalan commença par retarder l'application du décret 237/1998 à deux reprises. Par la suite, la Cour supérieure de justice de la Catalogne annula les articles 14 et 15 du décret. Finalement, par le Décret 172/2000 du 15 mai abrogeant le décret 237 du 8 septembre sur les mesures destinées à promouvoir l'offre de films doublés et sous-titrés en catalan, le gouvernement catalan a lui-même abrogé le décret 237/1998, cédant ainsi à l'opposition des entreprises de distribution des produits cinématographiques. De plus, l'article 28.3 de la Loi sur la politique linguistique a continué de ne pas être appliqué. Une décennie plus tard, les observateurs de la scène politique catalane avaient considéré que le gouvernement local avait plié face au géant américain.

- Le nouveau bras de fer de 2010

La Catalogne a vécu un nouveau bras de fer vers les années 2010. Le panorama politico-linguistique a changé en une décennie. Les autorités ont propagé le catalan de façon impressionnante. Grâce à une politique intensive de promotion et de subventions, la langue catalane est aujourd'hui obligatoire dans l’administration et dans les écoles et de plus en plus répandue dans les médias et la vie quotidienne, de telle sorte que les politiciens de Madrid ont le sentiment que Barcelone impose sa langue aux dépens du castillan.

De fait, Barcelone estime qu’il fallait aller plus loin dans les médias, y compris dans les domaines réputés castillanophones tels la publicité, la télévision et le cinéma. L'aspect linguistique est demeuré l'une des priorités du gouvernement catalan, qui a tenté de corriger l'inégalité linguistique au cinéma «où le catalan n'a pas une grande place». En dépit de tous les efforts entrepris depuis 1998, le pourcentage des films doublés ou sous-titrés en catalan est passé de 2 % à 2,7%. Il s'agit d'une amélioration jugée dérisoire. En 2008, seul 3 % des 854 906 projections effectuées en Catalogne l'ont été en catalan.

La Loi 20 /2010 du 7 juillet sur le cinéma adoptée par le Parlement catalan sert de prétexte à une nouvelle polémique, bien que l'objectif stratégique soit, selon le ministre-conseiller à la Culture (Joan Manuel Tresserras), de garantir le droit des citoyens de pouvoir voir du cinéma dans les deux langues officielles («garantir el dret dels ciutadans a poder veure cinema en les dues llengües oficials»). Parmi les 53 articles qui composent la loi, c'est l'article 18 qui suscite le plus la controverse:

Article 18

Garantie d'accès linguistique

1)
Quand une œuvre cinématographique est diffusée en Catalogne, doublée ou sous-titrée en plus d'une copie, les entreprises de distribution sont tenues de répartir 50 % de toutes les copies analogiques en version catalane.

Cette obligation doit être respectée à la fois dans le nombre des copies distribuées en version doublée que dans les exemplaires distribués en version sous-titrée. Les entreprises de distribution doivent s'assurer que l'équilibre linguistique dans la distribution de films repose sur des critères relatifs à la population, au territoire et à la présence à l'écran, lesquels sont prévus par règlement. Lorsque le support est numérique, toutes les copies distribuées doivent favoriser l'accès linguistique en catalan. Dans la présentation des copies, les entreprises de distribution sont tenues de présenter 50 % des projections de l'œuvre en version catalane selon des critères de population, de territoire, d'horaire et de billetterie, lesquels sont calculés chaque année et élaborés par règlement.

Cette obligation doit être respectée tant dans le nombre des projections présentées en version doublée que dans les projections présentées en version sous-titrée. Les entreprises de distribution et les entreprises d'exploitation doivent aussi assurer un équilibre entre le catalan et le castillan dans la publicité pour produire des œuvres cinématographiques concernés par le présent article.

Cet article sur les quotas linguistiques exige en effet qu'au moins la moitié des copies analogiques soient distribuées dans des versions doublées ou sous-titrées en catalan, sauf pour les productions espagnoles et les productions européennes distribuées en moins de seize copies. Pour le gouvernement catalan, la loi est censée protéger le libre choix linguistique et encourager la diversité culturelle sur le territoire de la Catalogne. Selon l’Institut catalan des industries culturelles (Institut Català de les Indústries Culturals ou ICIC), l’accord avec les exploitants et les distributeurs devrait contribuer à augmenter le nombre de spectateurs de films doublés en catalan de 117 471 en 2010 à environ 1,5 million en 2012.

Comme on pouvait s'y attendre, les exploitants d'Hollywood et leurs représentants en Europe n'acceptent pas les quotas linguistiques au cinéma et réclament leurs droits au libre marché. Le doublage d’un film coûterait entre 25 000 € et 70 000 € (33 000 $US et 94 000 $US), le sous-titrage entre 2000 et 5700 € (2700 $US et 7700 $US), auxquels il faut ajouter des frais pour les affiches de promotion, ce qui rendrait plus difficile l'accès des films européens non espagnols au marché espagnol. Le raisonnement des entreprises est simple: le castillan permettrait de ratisser large, alors que le catalan provoquerait une certaine désaffection.

De son côté, en juin 2012, la Commission européenne a demandé au gouvernement espagnol de mettre un terme aux règles discriminatoires qui entravent la distribution des films non espagnols. La Commission européenne rappelle que la Cour de justice de l'Union européenne «n'interdit pas l'adoption d'une politique visant à la promotion d'une langue d'un État membre». Toutefois, les mesures prises pour mettre en œuvre cette politique devraient être proportionnées et ne pas comporter de discriminations au détriment des ressortissants des autres États membres. Enfin , la Commission considère que la législation mise en place par le gouvernement catalan est incompatible avec les règles de l’Union européenne sur la libre circulation des services.

Pour les Catalans, le nationalisme linguistique peut aussi coûter cher, car les quatre millions de dollars US que la Generalitat débourserait serviraient essentiellement aux acteurs américains qui auraient l’air de parler catalan en disant «bon dia» (c’est-à-dire «bonjour» en catalan). Enfin, certains Catalans estiment aussi que le catalan est devenu un «article de luxe» et que la défense de la langue et de la culture a un prix, alors que le gouvernement la présente «comme un dû». Enfin, d'autres croient que l'«ennemi commun», ce n'est pas le castillan, mais l'anglais. Il n'en demeure pas moins qu'il serait illusoire de croire que la défense d'une «petite» langue n'a pas de prix. Celui-ci est toujours d'ordre économique, mais il faut aussi tenir compte des gains. 

5.7 Les industries de la langue

Conformément à l’article 29 de la Loi sur la politique linguistique, le gouvernement de la Generalitat doit favoriser, stimuler et encourager par des mesures adéquates la recherche, la production et la commercialisation de toutes sortes de produits en catalan en rapport avec les industries de la langue, notamment les systèmes de reconnaissance de voix, de traduction automatique, et tous ceux que les progrès technologiques rendront possibles. 

Le gouvernement doit aussi favoriser la production, la distribution et la commercialisation des programmes informatiques, des jeux d'ordinateur, des éditions numériques et des œuvres multimédias en langue catalane, et la traduction, le cas échéant, de ces produits en catalan, et prendre les mesures pour encourager la présence de produits d'informations en catalan dans les réseaux télématiques d'information. C’est ainsi que le gouvernement catalan a dû débourser 80 millions de pesetas (environ 437 336 $US) pour l’achat et la traduction de la version catalane de Windows 98.

5.8 Les entreprises privées et le catalan

Dans le domaine privé, le gouvernement catalan ne dispose que du pouvoir d'encourager l'usage du catalan dans les activités commerciales, publicitaires, culturelles, sportives, etc. Pour ce faire, la Generalitat a établi un programme d'action systématique appliqué dans différents secteurs: l'affichage, la publicité commerciale, le sport, etc. Le chapitre V de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 prévoit aussi l'usage obligatoire du catalan pour les chèques et reçus, les enseignes, l'affichage publicitaire et les communications par haut-parleur.

Article 30

Les entreprises publiques

1) Les entreprises publiques de la Generalitat et des collectivités locales, de même que leurs entreprises concessionnaires, lorsqu'elles gèrent ou exploitent le service concédé, devront employer normalement le catalan dans leurs interventions et leur documentation internes, dans leur affichage, leurs modes d'emploi, l'étiquetage et l'emballage des produits ou des services qu'elles produisent et proposent.

2) Les entreprises auxquelles fait référence l'alinéa 1 devront employer normalement le catalan dans les communications et les notifications, y compris les factures et autre documents commerciaux adressés à des personnes résidant dans le domaine linguistique catalan, sans préjudice du droit des citoyens et citoyennes à les recevoir en castillan ou, le cas échéant, en catalan, s'ils en font la demande.

En ce qui concerne les enseignes et la publicité commerciale, l'usage est de rédiger toute inscription commerciale soit en castillan soit en catalan, jamais dans les deux langues en même temps. La prépondérance de l'une d'entre elles dépend de la municipalité et du degré de concentration des catalanophones qui y résident. De façon générale, le bilinguisme espagnol-catalan est mal perçu et demeure marginal. Il faut noter par ailleurs que la pénétration du catalan dans le secteur privé demeure encore relativement faible et rencontre de fortes résistances en raison des critères de rentabilité qui motivent les entreprises. 

Cependant, selon une étude réalisée par la Direction générale de la politique linguistique (mars 1997) auprès de 5800 entreprises commerciales de Barcelone, on observerait une certaine prédominance de la langue catalane dans 32,9 % des affiches commerciales; les affiches en castillan seraient de l’ordre de 27,4 %, alors que 23,6 % des affiches sont dites «ambivalentes» dans la mesure où le mot (ou expression) est le même dans les deux langues;12,4 % des affiches sont dans d’autres langues, principalement en anglais et an français.

On peut consulter la version française de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998 de la Catalogne.

Dans le domaine de la restauration et de l'hôtellerie, la Generalitat a aussi légiféré en matière linguistique. Ainsi, l'article 18 du Décret 317/1994 du 4 novembre fixant les normes sur l'aménagement et la classification des établissements de restauration oblige tous les établissements de restauration à offrir au public les cartes des menus et des vins avec leurs prix au moins en catalan:

Article 18

Cartes de services et menus des restaurants et restaurants-bar

18.1 Tous les établissements de restauration des catégories restaurants et restaurant-bars doivent offrir au public les cartes des menus et des vins avec leurs prix au moins en catalan.

L'article 15 du Décret 168/1994 du 30 mai sur la réglementation des agences de voyages impose aux agences de voyage à transmettre leurs informations au moins en catalan:

Article 15

1) Les agences de voyages qui participent à l'organisation et la vente finale d'un voyage organisé, conformément aux fonctions qui leur conviennent, doivent donner au consommateur, par écrit et dans un délai suffisant avant le début du voyage, l'information suivante :

a) Les horaires, les escales et les correspondances, ainsi que la catégorie ou classe souscrite dans le moyen de transport.

b) Le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de la représentation locale de l'agence de voyage du pays ou des pays dans lesquels le voyage est effectué et, si c'est nécessaire, le nom, le trajet et les téléphones des organismes qui pourront aider les voyageurs en cas de difficultés. Si ces derniers n'existent pas, le voyageur devra disposer d'un numéro de téléphone d'urgence ou de toute autre information qui lui permette de se mettre en contact avec l'organisateur ou le voyagiste.

c) Pour les voyages et les séjours des mineurs à l'étranger, l'information qui permettra d'établir un contact direct avec le responsable du séjour sur place.

d) L'information sur la souscription facultative d'un contrat d'assurance qui couvrira les dépenses d'annulation occasionnées pour le consommateur ou d'un contrat d'assistance couvrant les dépenses de rapatriement en cas d'accident ou de maladie.

e) Les clauses contractuelles du voyage organisé.

2) Les informations auxquelles le présent article fait référence doivent être données au consommateur au moins en catalan.

Il en est ainsi du Décret 53/1994 du 8 février sur le régime des prix, réservations et services complémentaires dans les établissements hôteliers :

Article 1

Affichage des prix

1) Les prix de tous les services que fournissent les établissements hôteliers doivent bénéficier d'un affichage maximal dans les lieux où ils sont offerts. Dans tous les cas, ils doivent être présentés au moins en catalan à la réception de l'établissement de manière visible et permettant à l'usager une lecture de manière claire et montrant de façon distincte le prix de chacune des unités de location et chacun des services offerts.

Article 10

Conditions exigées des notes d'hôtel

La note d'hôtel devra présenter, en catalan au moins, de façon claire et précise, à savoir nommément désignés et en chiffres, présentés par jour et par objet, les divers services donnés par l'établissement hôtelier.

Enfin, le Décret 213/2001 du 24 juillet sur la protection des droits du consommateur et de l'usager dans la prestation de service sur les biens durables semble tout aussi clair sur l'emploi du catalan

Article 18

Langue des communications

Tous les établissements sont dans l'obligation de donner à l'usager au moins en catalan toute l'information et la documentation prévue dans la présente disposition.

Article 19

Publicité des services

Toute forme de communication publicitaire ou promotionnelle des établissements assujettis à la présente disposition doit incorporer la raison sociale et le domicile de l'entreprise, d'où il sera possible de faire des réclamations effectives ultérieures et des consultations de la part de l'usager.

Bref, le consommateur paraît bien protégé par la législation dans l'emploi du catalan.

6 La question linguistique en immigration

L'article 149.1.2 de la Constitution espagnole confère des compétences exclusives au gouvernement central: «L'État a des compétences exclusives en matière de nationalité, d'immigration, d'émigration, de statut d’étranger et de droit d’asile.» L'État espagnol exerce la fonction législative dans le domaine général du travail en ce qui a trait aux étrangers et, par conséquent, dans la réglementation des différents types de permis, y compris les conditions pour les obtenir, ainsi que dans la réglementation du procédé qu’il faut suivre pour les émettre. Il appartient également à l'État espagnol de réglementer par loi le régime des infractions et des sanctions en matière de travail. Évidemment, on ne peut ignorer le fait que la Catalogne, à l'exemple des autres territoires catalanophones (Pays valencien et îles Baléares), ne dispose pas de tous les outils juridiques nécessaires pour gérer les mouvements migratoires, car les décisions les plus importantes finissent par être prises à Madrid.

6.1 Les compétences de la Generalitat

Les gouvernements autonomes et les administrations locales ont des compétences qui leur sont dévolues dans certains domaines reliés à l'immigration, tels l'enseignement, les services sociaux et les services de santé. Pour le gouvernement de la Generalitat, les compétences sont décrites à l'article 138 du Statut d'autonomie de 2006:

Article 138

Immigració

1) Correspon a la Generalitat en matèria d'immigració:

a. La competència exclusiva en matèria de primer acolliment de les persones immigrades, que inclou les actuacions sociosanitàries i d'orientació.

b. El desenvolupament de la política d'integració de les persones immigrades en el marc de les seves competències.

c. L'establiment i la regulació de les mesures necessàries per a la integració social i econòmica de les persones immigrades i per a llur participació social.

d. L'establiment per llei d'un marc de referència per a l'acolliment i la integració de les persones immigrades.

e. La promoció i la integració de les persones retornades i l'ajuda a aquestes, i l'impuls de les polítiques i les mesures pertinents que en facilitin el retorn a Catalunya.

2) Correspon a la Generalitat la competència executiva en matèria d'autorització de treball als estrangers la relació laboral dels quals s'acompleixi a Catalunya. Aquesta competència, que s'exerceix necessàriament en coordinació amb la que correspon a l'Estat en matèria d'entrada i residència d'estrangers, inclou:

a. La tramitació i la resolució de les autoritzacions inicials de treball per compte propi o aliè

b. La tramitació i la resolució dels recursos presentats amb relació als expedients a què fa referència la lletra a i l'aplicació del règim d'inspecció i sanció.

3) Correspon a la Generalitat la participació en les decisions de l'Estat sobre immigració que tinguin una transcendència especial per a Catalunya i, en particular, la participació preceptiva prèvia en la determinació del contingent de treballadors estrangers mitjançant els mecanismes que estableix el títol V.

Article 138

Immigration

1) En matière d’immigration, la Generalitat a :

a) une compétence exclusive, en matière de premier accueil des personnes immigrées, qui comprend les activités socio-sanitaires et d’orientation ;

b) le développement de la politique d’intégration des personnes immigrées, dans le cadre de sa compétence ;

c) l’établissement et la réglementation des mesures nécessaires à l’intégration sociale et économique des personnes immigrées et à leur participation sociale ;

d) l’établissement par une loi d’un cadre de référence pour l’accueil et l’intégration des personnes immigrées ;

e) la promotion et l’intégration des personnes qui sont retournées en Catalogne et l’aide à ces personnes, ainsi que l’incitation à mettre en œuvre des politiques et des mesures pertinentes visant à faciliter leur retour.

2) La Generalitat a une compétence exécutive en matière d’autorisation de travail aux étrangers dont la relation de travail s’établit en Catalogne. Cette compétence, qui s’exerce nécessairement en coordination avec celle qui revient à l’État en matière d’entrée et de résidence des étrangers, comprend:

a) la gestion et la décision concernant les premières autorisations de travail pour son propre compte ou pour le compte d’autrui ;

b) la gestion et la décision concernant les recours interjetés au sujet des procédures visées à l’alinéa a, et l’application du régime d’inspection et de sanction.

3) Il appartient à la Generalitat de participer aux décisions de l’État sur l’immigration qui auraient une importance primordiale pour la Catalogne et, en particulier, de participer obligatoirement et au préalable à la détermination du contingent de travailleurs étrangers à travers les mécanismes établis au titre V.

Bref, la Generalitat doit élaborer les conditions minimales que doit satisfaire tout service en matière de «premier accueil» en ce qui a trait à la procédure d’accès aux services prévus par la loi. L'objectif visé étant l'intégration sociale des immigrants, la connaissance des langues officielles devient un élément incontournable des services à accorder aux nouveaux arrivés. Depuis l'adoption de la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998, un bon nombre de travailleurs sont tenus de maîtriser le catalan. 

Article 36

L'activité professionnelle

1) Le gouvernement de la Generalitat et les ordres corporatifs devront encourager l'emploi du catalan dans les activités professionnelles.

2) Le gouvernement de la Generalitat devra stimuler et encourager l'emploi du catalan sur les lieux de travail, dans les rapports professionnels et dans les conventions collectives, dans les contrats d'entreprise et dans les contrats de travail, et devra promouvoir la participation directe des syndicats et des organisations patronales pour atteindre ces objectifs.

3) Les conventions collectives et les contrats d'entreprise pourront comprendre des clauses linguistiques destinées à encourager la connaissance du catalan chez les travailleurs et travailleuses et à en garantir l'usage sur les lieux de travail, dans les contrats de travail, les feuilles de paye et toute autre documentation. Le gouvernement de la Generalitat devra stimuler la présence de ces clauses dans les conventions collectives.

4) Les affiches et les informations à caractère fixe comprenant un texte et destinés à figurer à l'intérieur des lieux de travail à l'adresse des personnes qui y travaillent devront être au moins en catalan.

Évidemment, cette explosion migratoire est tout à fait nouvelle pour la Catalogne. Cette question constitue même l'un des plus graves problèmes en Catalogne qui dispose de moyens limités pour faire face à l'intégration des immigrants. Ainsi, il n'y a pas de ministère de l'Immigration parce que cette juridiction est réservée au gouvernement espagnol.  Il existe néanmoins un système dit «de catanalisation» pour adultes implanté depuis la décennie de 1980.

6.2 La problématique des deux langues officielles

Le processus d'apprentissage de la langue catalane par les nouveaux arrivants est encombré d'obstacles. La plupart d'entre eux pensent arriver en Espagne et devoir apprendre l'espagnol, ce qui est effectivement le cas. Toutefois, en arrivant en Catalogne, plusieurs découvrent avec surprise que, dans cette partie de l'Espagne, il se parle aussi une langue qui n'est pas l'espagnol. Ils apprennent que la Catalogne a deux langues ayant un statut officiel : le catalan et le castillan. Cette dernière est en plus la langue officielle de toute l’Espagne. Diverses circonstances historiques, politiques et sociolinguistiques ont incité de nombreux immigrants à choisir le castillan comme langue seconde dans leur pays d'accueil. Le défi pour le gouvernement catalan, c'est d'inverser la tendance et de favoriser plutôt le catalan, sinon avec les décennies la langue propre de la Catalogne pourrait être minorisée de façon irréversible.

De façon générale, les immigrants ne font pas de lien entre l'intégration sociale et l'intégration linguistique. Ils considèrent le catalan comme une langue minoritaire par rapport à l'espagnol, une langue comprise et parlée par toute la population, ce qui n'est pas le cas du catalan. Il en résulte que c'est par l'espagnol (castillan) que s'effectue l'insertion dans la société catalane pour un grand nombre d'immigrants. Ceux-ci peuvent tarder à réaliser l'importance sociale de maîtriser le catalan, notamment s'ils travaillent dans les régions métropolitaines de Barcelone, voire de Valence (Pays valencien) ou de Palma de Majorque (Baélares), où la langue de travail est la plupart du temps le castillan.

En vertu de la législation espagnole, la Catalogne est tenue d'enseigner le castillan et le catalan. Donc, il faut prévoir l'acquisition des compétences de base dans les deux langues. Mais lorsque les immigrants apprennent d'abord le castillan, peu d'entre eux réussissent à maîtriser le catalan par la suite. C'est pourquoi les autorités catalanes sont convaincues que les nouveaux venus doivent d'abord apprendre le catalan, puisqu'ils finiront quand même par apprendre aussi le castillan.

Selon les données d'une enquête de l’IDESCAT ("Institut d'Estadística de Catalunya") réalisée en 2008 auprès de 2700 personnes de tout âge, une faible proportion ne comprend pas l’espagnol, alors que presque un tiers de la population étrangère (27,7 %$) déclare ne pas comprendre le catalan. Dans le tableau ci-dessous, 72,3 % des citoyens d'origine étrangère disent comprendre le catalan (contre 95,3 % pour le castillan), 30,7 % disent le parler (contre 86,1 % pour le castillan), 31,2 % disent le lire (contre 77,3 % pour le castillan) et 18,7 % savent l'écrire (contre 70,6 % po9ur le castillan).

Manifestement, les citoyens d'origine étrangère apprennent davantage le castillan que le catalan. Ce sont les citoyens de nationalité espagnole qui savent davantage comprendre, parler et lire le catalan, bien que la proportion de ceux qui savent l'écrire est plus faible (62,8 %).

Faire du catalan la langue commune de tous les Catalans, alors que les catalanophones sont minoritaires dans le pays représente un défi déjà colossal. Cependant, l'obstacle le plus important, c'est encore d'obtenir un cadre juridique au sein de l'État espagnol, qui place le catalan sur un pied d'égalité avec le castillan.

6.3 Le catalan comme «langue publique commune»

En 2008, la Generalitat a adopté le Pacte national pour l'immigration ("Pacte Nacional per a la Immigració"). Ce Pacte concerne non seulement le gouvernement de la Catalogne (Generalitat) et les groupes parlementaires, mais aussi les municipalités, les agents économiques et sociaux, les membres de la Table de la citoyenneté et de l’immigration ("Taula de Ciutadania i Immigració")

Pour réussir l’intégration dans une culture publique commune, le Pacte propose de susciter la participation à la vie publique, de faire du catalan la «langue publique commune» ("llengua pública comuna"), de favoriser la cohabitation dans la pluralité des croyances, d'assurer l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, de renforcer les politiques destinées à l’enfance, à la jeunesse, aux personnes âgées et aux familles.

C'est pourquoi l'administration de la Catalogne doit non seulement favoriser l'usage public du catalan, mais aussi prendre les moyens nécessaires pour que les immigrants puissent exercer leur droit d’accès à l’apprentissage de cette langue tout en offrant des possibilités d’apprendre la langue castillane aux individus qui le demandent et qui en ont besoin, même s'ils ont acquis les compétences linguistiques de base du catalan. De cette façon, le gouvernement catalan croit garantir le «droit à l'option linguistique» ("el dret d'opció lingüística"). Voici ce qui est énoncé à l'article 33 du Statut d'autonomie au sujet du «droit à l'option linguistique»:

Article 33

Droits linguistiques auprès des administrations publiques et des institutions de l'État

1. Les citoyens ont droit à l’option linguistique. Dans le cadre des relations avec les institutions, les organisations et les administrations publiques de la Catalogne, toutes les personnes ont le droit d’utiliser la langue officielle de leur choix. Ce droit oblige les institutions, organisations et administrations publiques, y compris l’Administration électorale en Catalogne, et en général, les entités privées en dépendant lorsqu’elles exercent des fonctions publiques.

Dans l'ensemble, il n'est pas encore possible de pouvoir affirmer que le catalan est aujourd'hui la «langue publique commune» entre les membres des divers groupes linguistiques qui cohabitent aujourd'hui en Catalogne.

6.4 Les mesures d'intégration linguistique

Le Pacte national pour l'immigration comprend trois axes :

(1) la gestion des flux migratoires et l'accès au marché du travail;
(2) l'adaptation des services publics à une société diverse;
(3) l'intégration à une culture publique commune.

Les mesures d'intégration linguistique des nouveaux immigrants font partie de ce dernier axe. Ces mesures se résument par le pari tenu par l'administration catalane de faire du catalan la «langue commune», c'est-à-dire la langue de cohésion au sein d'une société aux origines très diverses. Quand un immigrant apprend le catalan, il devient un membre intégré à la société catalane.

Parmi les mesures d'intégration possibles, le gouvernement a ciblé les éléments suivants:

- garantir l’apprentissage des langues officielles de la Catalogne dans le système d'éducation;
- garantir le «droit d’option linguistique» de la part des organismes de l’administration en Catalogne;
- garantir l’emploi du catalan comme langue véhiculaire dans le monde de l’enseignement;
- favoriser l’enseignement des langues des pays d’origine de la population immigrante;
- utiliser de préférence le catalan de la part des administrations et des médias publics en Catalogne;
- appuyer les initiatives de la société civile, qui favorisent le catalan de façon complémentaire aux initiatives du gouvernement;
- promouvoir l’apprentissage et l’usage de la langue catalane dans le monde du travail;
- développer un service d’accueil universel, systématique et homogène sur l’ensemble du territoire:
- utiliser massivement les médias, la presse écrite, la télévision et surtout la radio pour communiquer avec les immigrants.

À cet effet, l'article 3 du décret 188 du 26 juin sur les étrangers et leur intégration sociale en Catalogne (2001) prévoyait déjà une aide juridique gratuite et le droit d'être assisté d'un interprète:

Article 3

Droit à une assistance juridique gratuite

1) Le ministère de la Justice doit veiller à ce que le droit effectif des étrangers à l'aide juridique gratuite dans les procédures administratives ou judiciaires, qui pourraient entraîner le refus de leur admission, leur départ obligatoire ou leur expulsion d'Espagne, ainsi que dans les procédures en matière d'asile, lorsque les étrangers n'ont pas de ressources financières suffisantes, conformément aux critères établis dans le règlement sur l'aide juridique gratuite ; ainsi que le droit d'être assisté par des interprètes dans la procédure judiciaire, s'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue officielle qui est utilisée.

En 2010, le gouvernement a fait adopter la Loi d’accueil aux personnes immigrées et à celles qui reviennent en Catalogne (loi n° 10/2010 du 7 mai). Cette loi prévoit l'application, pour toute la Catalogne, d'un service «de premier accueil» qui doit permettre d'établir un premier contact avec la culture, la langue et le marché du travail dans la Communauté autonome, et ce, dès leur arrivée, sinon dans certains cas depuis leur pays d’origine, avant d'entreprendre leur projet migratoire. Ce service se veut personnalisé et doit garantir l'acquisition des compétences linguistiques de base, aussi bien en catalan, qui est la langue d’accueil, qu'en espagnol, la langue officielle de toute l'Espagne. L'objectif visé est de permettre aux immigrants de s'intégrer plus facilement dans un environnement social qui leur est inconnu, puis d'élargir leurs connaissances concernant leurs droits et leurs obligations dans la société catalane.

L'article 2 de la loi n° 10/2010 du 7 mai explicite ce qu'est le «service de premier accueil» :

Article 2

Définitions

Aux effets de la présente loi, il est compris par :

b) Service de premier accueil : l'ensemble des ressources, des équipements, des projets et des programmes de titularisation publique et privée, visant à garantir la satisfaction des besoins initiaux de formation et d'information à caractère élémentaire des étrangers immigrés, des demandeurs d'asile, des réfugiés, des apatrides et des rapatriés, afin de promouvoir leur autonomie personnelle et l'égalité des chances, ainsi qu'à parvenir à la cohésion de l'ensemble de la société catalane.

En Catalogne, le titulaire d'un service est en fait un bénéficiaire d'un service. En vertu de la loi n° 10/2010 du 7 mai, ceux qui ont le droit au service de premier accueil et qui en sont bénéficiaires («titulaires») sont  les étrangers immigrants, les demandeurs d'asile, les réfugiés, les apatrides et les rapatriés :

Article 7

Droit d'accès et titulaires des services

1) Sont titulaires du droit d'accès au service de premier accueil les étrangers immigrants, les demandeurs d'asile, les réfugiés, les apatrides et les rapatriés.

2) Le service de premier accueil peut être fourni dans les pays d'origine des immigrants.

3) Le droit d'accès au service de premier accueil commence à l’étranger, quand la personne obtient une autorisation administrative de résidence ou de séjour supérieure à quatre-vingt-dix jours sur le territoire de la Catalogne.

4) Sur le territoire de la Catalogne, le droit d'accès au service de premier accueil commence à partir de l'inscription sur les listes municipales ou, le cas échéant, à partir de la demande d'asile.

Selon l'article 9 de la loi n° 10/2010 du 7 mai, les bénéficiaires au service de premier accueil doit obtenir les compétences linguistiques élémentaires en catalan et en castillan (par. 1), en privilégiant le catalan pour ceux qui ne le connaissent pas (par. 2), en utilisant le catalan comme langue véhiculaire de l'enseignement, en commençant «par l'acquisition des compétences élémentaires en langue catalane» (par. 3) et en offrant «la formation pour acquérir les compétences élémentaires en langue castillane aux personnes qui ont acquis des compétences élémentaires en langue catalane» (par. 4) :

Article 9

Compétences linguistiques élémentaires

1) La personne titulaire du droit d'accès au service de premier accueil, au cours du processus d'intégration dans la société catalane, doit obtenir les compétences linguistiques élémentaires en catalan et en castillan.

2) Le service de premier accueil doit offrir la formation et les moyens nécessaires pour l'acquisition des compétences élémentaires en langue catalane aux personnes titulaires du droit d'accès au service qui ne la connaissent pas, tant que cela est possible moyennant le Consortium pour la normalisation linguistique.

3) Il convient d'établir par règlement le niveau minimum de référence à atteindre quant aux compétences linguistiques indiquées dans le Cadre européen commun de référence pour les langues, établi par le Conseil de l'Europe.

4) Le catalan, en tant que langue propre de la Catalogne, est la langue commune pour la gestion des politiques d'accueil et d'intégration. Il est également la langue véhiculaire de la formation et de l'information, un instrument élémentaire pour la pleine intégration dans le pays. À cet effet, l'apprentissage linguistique offert par les services de premier accueil commence par l'acquisition des compétences élémentaires en langue catalane.

5) Le service de premier accueil, une fois la formation en langue catalane achevée, doit offrir la formation pour acquérir les compétences élémentaires en langue castillane aux personnes qui ont acquis des compétences élémentaires en langue catalane et qui le demandent ou l'exigent.

L'article 12 de la loi n° 10/2010 du 7 mai énonce que «le service de premier accueil doit faciliter l'alphabétisation de l'usager qui le demande au moyen des programmes de formation existants pour adultes ou, le cas échéant, des programmes d'alphabétisation spécifiques devant être créés :

Article 12

Autres aspects du service

1) Les actions d'information et de formation du service de premier accueil doivent :

a)  Partir du niveau sociocognitif de l'usager en utilisant une méthodologie adaptée à leurs caractéristiques personnelles et aux particularités du contexte socioculturel. Le service de premier accueil doit faciliter l'alphabétisation de l'usager qui le demande au moyen des programmes de formation existants pour adultes ou, le cas échéant, des programmes d'alphabétisation spécifiques devant être créés. À cet effet, ces programmes sont intégrés au service de premier accueil.

Comme on le sait, s’il est souhaitable que les immigrants acquièrent des compétences linguistiques en catalan et en castillan (espagnol) au cours de leur processus d’intégration dans la société catalane, la situation de départ est très défavorable pour le catalan, car tout joue en faveur du castillan. C'est pourquoi, si le gouvernement veut faire du catalan la première «langue commune» de la Catalogne, il lui faut entreprendre des efforts nécessaires pour favoriser la connaissance et l’utilisation sociale de cette langue.

Dans le cadre de l’offre publique d’enseignement du catalan, la présence étrangère dans les cours d’accueil linguistique destinés aux adultes était de 83,5 % durant l’année scolaire de 2007-2008. Au total, cette année-là, quelque 125 000 personnes ont suivi de cours de catalan. Plus de la moitié de ces personnes provenait de l'Amérique latine (54,9 %) et presque un quart, de l'Afrique (23,2 %). Le poids des élèves de l’Union européenne (11,5 %) est également très significatif. Le reste vient de l'Asie (7 %) et d'autres pays européens (3,5 %).

Évidemment, la présence constante des immigrants et la pression sociale qui se manifestent quotidiennement dans les médias ont transformé le débat sur l’intégration sociale et scolaire en une question prioritaires pour la société catalane aussi bien qu'espagnole.

7 Les organismes linguistiques

La Catalogne s'est dotée d'un grand nombre d'organismes linguistiques pour veiller non seulement à la sauvegarde du catalan, mais surtout à son usage généralisé et sa promotion.

7.1 La Direction générale à la politique linguistique

L'organisme principal est la Dirección General de Política Lingüística del Departamento de Cultura de la Generalitat de Catalunya, c'est-à-dire la Direction générale à la politique linguistique du département de la Culture de la Generalitat de Catalogne. Ainsi, la Direction générale est sous la responsabilité du département (ministère) de la Culture. Selon le décret 387/1983 (Décret 397/1983 du 8 septembre attribuant à la Direction générale de la politique linguistique les fonctions permettant de suivre et de promouvoir l'application de la loi 7/1983 ou Decret 397/1983, de 8 de setembre, pel qual s'assignen a la Direcció General de Política Lingüística funcions relatives al seguiment i la impulsió del'aplicació de la Llei 7/1983), les fonctions de la Direction générale sont essentiellement de veiller à la coordination et à la surveillance de l’actualisation de la politique linguistique du gouvernement catalan:

Article unique

En vertu de ses attributions, la Direction générale à la politique linguistique du département de la Culture doit exerce les fonctions suivantes:

a) Faire le suivi de l'application des dispositions réglementaires qui se rapportent aux domaines réglementés par la loi 7/1983 et des activités des différents départements de la Generalitat dans le domaine linguistique.

b) Donner des informations sur tous les actes normatifs relatifs au domaine linguistique produits par les départements de la Generalitat.

c) Promouvoir l'application de la loi 7/1983 du 18 avril dans chacun des secteurs visés par la présente loi.

La Direction générale à la politique linguistique compte trois principaux services:

- le Service de la normalisation linguistique (Servei de Normalització Lingüística), dont la mission est de se consacrer à la promotion de l'usage du catalan dans tous les domaines;
- le Service de consultation linguistique (Servei d’Assessorament Lingüístic), voué à l'aide et la diffusion de la connaissance du catalan chez les adultes;
- le l'Institut de sociolinguistique catalane (Institut de Sociolingüística Catalana), chargé de la recherche sur la normalisation du catalan.

L'effectif de la Direction générale est d'environ une centaine de personnes. Le domaine de l'éducation de relève pas de la Direction générale, mais du Service d'enseignement du catalan (Servei d'Ensenyament del Català) relevant du département de l'Éducation.   


7.2 Le Conseil social de la langue catalane

Le Conseil social de la langue catalane (en catalan: Consell Social de la Llengua Catalana) relève aussi de la responsabilité du département de la Culture de la Catalogne. Ce conseil est régi par le décret 116/2005 du 14 juin sur le Conseil social de la langue catalane (en catalan: Decret 116/2005, de 14 de juny, del Consell Social de la Llengua Catalana). Le Conseil social de la langue catalane est l'organisme de conseil, de consultation et d'implication sociale dans la politique linguistique développée ou promue par le gouvernement de la Generalitat. Les fonctions du Conseil social de la langue catalane sont énumérées à l'article 2 du décret 116/2005 :

Article 2

Fonctions

Les fonctions du Conseil sont les suivantes:

a) Évaluer les objectifs et les résultats de la politique linguistique du gouvernement de la Generalitat et spécialement le rapport annuel que prévoit l'article 39.3 de la loi 1/1998 du 7 janvier sur la politique linguistique. À cet effet, le Conseil présente annuellement un avis sur les actions réalisées ou passées l'année précédente par le gouvernement de la Generalitat.

b) Étudier et analyser, à la demande du gouvernement, les questions reliées à la promotion et au développement de la langue catalane dans tous les domaines de la société.

c) Se prononcer sur les projets d'instruments de planification linguistique générale. qui doivent être approuvés par le gouvernement.

d) Proposer au gouvernement l'élaboration d'études et d'avis, et l'adoption de mesures adéquates pour les objectifs généraux de la loi 1/1998 du 7 janvier sur la politique linguistique et du décret 162/2002 du 28 mai sur la promotion d'un langage simplifié et de la non-discrimination et de la terminologie catalane régularisée.

e) Toute autre mesure que les lois ou règlements lui attribuent.

En bref, à l'intention du gouvernement, le Conseil étudie les questions linguistiques et mesure l’efficacité des politiques gouvernementales, puis formule des recommandations au sujet des politiques linguistiques. Les organismes associés du Conseil sont l'Assemblée plénière, la Commission permanente et les comités de rapporteurs sectoriels et de rapporteurs spéciaux.

7.3 L'Institut d'études catalanes

L'Institut d'études catalanes (Institut d’Estudis Catalans) est une institution universitaire, scientifique et culturelle catalane, dont le but principal est la recherche scientifique dans tous les domaines. Parmi les réalisations les plus importantes de l'Institut, mentionnons le Dictionnaire de la langue catalane (Diccionari de la llengua catalana), qu'on peut consulter par Internet, et le Dictionnaire catalan-valencien-baléare (Diccionari català-valencià-balear).

L'Institut est formé de cinq «sections»:

1. Section historico-archéologique (Secció Històrico-Arqueològica); 
2. Section ses sciences biologiques (Secció de Ciències Biològiques);
3. Section des sciences et de la technologie (Secció de Ciències i Technologia);
4. Section de philologie (Secció Filològica);
5. Section de philosophie et des sciences sociales (Secció de Filosofia i Ciències Socials).

Les travaux de l'Institut d'études catalanes servent de référence pour tous les «pays catalans»: Catalogne, Andorre, Pays valencien, Îles-Baléares, y compris la frange d'Aragón (frontalière avec la Catalogne), le territoire du Carche à Murcie, le département des Pyrénées-Orientales en France et la commune d'Alghero dans l'île italienne de Sardaigne. D'ailleurs, bien que le siège social soit à Barcelone, il existe des «succursales» régionales à Perpignan (Perpinyà), Lérida (Lleida), Castelló de la Plana, Valence (València) et Alicante (Alacant).

L'Institut d'études catalanes compte aussi un grand nombre de sociétés scientifiques affiliées, avec plus de 8000 associés de toutes les spécialités:

Amics de l'Art Romànic
Associació Catalana de Ciències de l'Alimentació
Associació Catalana de Sociologia
Institució Catalana d'Estudis Agraris
Institució Catalana d'Història Natural
Societat Catalana d'Economia
Societat Catalana d'Estudis Clàssics
Societat Catalana d'Estudis Hebraics
Societat Catalana d'Estudis Històrics
Societat Catalana d'Estudis Jurídics
Societat Catalana d'Estudis Litúrgics
Societat Catalana d'Estudis Numismàtics
Societat Catalana d'Història de la Ciència i de la Tècnica
Societat Catalana d'Ordenació del Territori
Societat Catalana de Biologia
Societat Catalana de Comunicació
Societat Catalana de Filosofia
Societat Catalana de Física
Societat Catalana de Geografia
Societat Catalana de Llengua i Literatura
Societat Catalana de Matemàtiques
Societat Catalana de Musicologia
Societat Catalana de Pedagogia
Societat Catalana de Química
Societat Catalana de Sociolingüística
Societat Catalana de Tecnologia
Societat Catalana de Terminologia
Societat d'Història de l'Educació dels Països de Llengua Catalana 

7.4 Le Consortium pour la normalisation linguistique

Le Consortium pour la normalisation linguistique (Consorci per a la Normalitzacio Lingüistica) est un réseau de centres locaux offrant des cours de langue aux adultes. Le CNPL a été créé par la Generalitatm de Catalogne ainsi que par 19 municipalités et le Conseil provincial de Girona; le consortium compte plus de 400 spécialistes en planification linguistique a pour mission d'intervenir au sein des institutions et organismes qui font appel à son expertise. Les services linguistiques (Servei Linguistiques) sont des «unités de travail» implantées dans les entreprises, les universités ou de toute autre entité, afin de fournir des services sur «les langues et les modèles linguistiques».

7.5 La Commission de toponymie

La Commission de toponymie (Comissió de Toponímia), sous la responsabilité du département de la Culture, est l'organisme de conseil, de consultation et de proposition en matière de fixation officielle des toponymes de la Catalogne. En vertu de l'article 9.4 du Décret 78/1991 du 8 avril sur l'utilisation de la toponymie, les fonctions de la Commission de toponymie sont les suivantes:

Article 9

4. Les fonctions de la Commission de toponymie sont les suivantes:

a) Assurer la coordination entre l'Institut d'études catalanes et le Conseil général d'Aran et l'administration de la Generalitat et ses organismes autonomes en matière de toponymie. 

b) Agir comme organisme de coordination avec d'autres organismes ou institutions ayant des compétences dans le domaine de la toponymie.

c) Proposer des critères et des règles d'écriture pour l'usage des toponymes sur les panneaux indicateurs, dans la cartographie, les publications et les moyens de diffusion audiovisuelle, en conformité avec la réglementation linguistique de l'Institut d'études catalanes et celle du Conseil général d'Aran.

Plusieurs organismes («Entitats») font partie de la Commission de toponymie:

- la vice-présidence de la Generalitat: Vicepresidència;
- le département de la Politique territoriale et des travaux publics: Departament de Política Territorial i Obres Públiques;
- le gouvernement et les administrations publiques: Governació i Administracions Públiques;
- le département de l'Économie et des Finances Institut de la statistique de la Catalogne- IDESCAT): Departament d’Economia i Finances (Institut d'Estadística de Catalunya-IDESCAT);
- l'Institut d'études catalanes: Institut d'Estudis Catalans;
- le Consortium pour la normalisation linguistique : Consorci per a la Normalització Lingüística ;
- l'Association catalane des municipalités et comarques: Associació Catalana de Municipis i Comarques;
- la Fédération des municipalités de la Catalogne: Federació de Municipis de Catalunya;
- l'Institut cartographique de la Catalogne: Institut Cartogràfic de Catalunya;
- le Conseil général du val d'Aran: Consell General d'Aran.

7.6 Le Conseil permanent du catalan

Le Conseil permanent du catalan (Junta Permanent de Català) élabore et administre les tests de langue destinés aux fonctionnaires, en vue de l'obtention des certificats de connaissance générale du catalan et, si c'est le cas, des certificats de connaissances spécifiques. Selon le décret 152/2001 (modifié par le décret 3/2006), les quatre niveaux de connaissance linguistique sont les suivants :

- "A-bàsic" : niveau basique permettant de répondre à des besoins généraux;
- "B-elemental" : niveau élémentaire répondant à des besoins habituels dans la communication;
- "C-intermedi" : niveau intermédiaire satisfaisant à une diversité de situations;
- "D-suficiència" : niveau suffisant de connaissance pour la communication formelle;
- "E-superior" : niveau supérieur nécessitant de pouvoir analyser des questions et des concepts, et de comprendre le système linguistique du catalan. 

Ces quatre niveaux de connaissance sont sanctionnés selon les niveaux, par des examens concernant la lecture, l'expression écrite, l'expression orale, la grammaire et le vocabulaire, etc. C'est le décret 152/2001 du 29 mai sur l'évaluation et la certification de connaissance du catalan, qui réglemente les tests de connaissance linguistique.

7.7 Le Centre de terminologie de Catalogne Termcat

Le Centre de terminologie de Catalogne TERMCAT (Centre de Termiologia de Catalunya TERMCAT) est responsable de la diffusion de la terminologie et de la normalisation de la langue catalane. En réalité, le Termcat publie un grand nombre d'ouvrages spécialisés sur la terminologie. Parmi les ouvrages les plus marquants, signalons le Diccionari de comunicació empresarial («Dictionnaire de communication patronal»), le Vocabulari de la neu i dels esports d'hivern («Vocabulaire de la neige et des sports d'hiver»), le Diccionari de veterinària i bestiar («Dictionnaire de la médecine vétérinaire et du bétail»), la Terminologia en la societat de la informació («Terminologie de la société de l'information»), le Diccionari d'auditoria i de comptabilitat («Dictionnaire d'auditorat et de comptabilité»), etc., sans oublier la traduction de logiciels et de manuels techniques. Le Termcat collabore avec l'Association européenne de terminologie, RITerm, Realiter, l'Union latine, l'Office québécois de la langue française, etc. La participation de Termcat à des réunions scientifiques, tant en Catalogne qu'en Espagne ou dans d'autres pays, a donné lieu à la publication de plusieurs articles d'un grand intérêt.

8 Le Val-d'Aran

Le val d'Aran s'est vu accorder une reconnaissance juridique tant par la Generalitat de Catalogne que par l'État espagnol. La région constitue une entité administrative de premier niveau au sein de la Communauté autonome de Catalogne, dans la province de Lérida. Le val d’Aran dispose d’un régime juridique spécial qui reconnaît la spécificité de son organisation institutionnelle et administrative, et en garantit l’autonomie à des fins de règlement et de gestion des affaires publiques dans sa juridiction territoriale. On peut consulter la page particulière consacrée sur le Val-d'Aran en cliquant ICI, s.v.p.

N’oublions pas que le catalan a été une langue interdite pendant plusieurs décennies et que les livres en catalan n’existaient même plus, car le possesseur d’un livre en catalan pouvait encourir l’emprisonnement. Depuis la démocratisation de l’Espagne en 1978, les Catalans de Catalogne se sont repris en main et ont réussi le processus de normalisation du catalan. C'est ainsi que la Generalitat a pu renaître de ses cendres et se lancer dans une politique linguistique très volontariste en proclamant le catalan première langue de la Catalogne, tout en développant des liens directs avec les autres régions de l'Europe. Dès 1983, la Loi sur la normalisation linguistique en Catalogne en a constitué le fer de lance. Après une trentaine de lois linguistiques et une économie considérée comme la plus prospère de l’Espagne, les Catalans sont passés à une autre étape avec la Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998. Le véritable problème réside dans le fait que tous les Catalans parlent aussi l'espagnol, comme tous les Espagnols; personne n'est dans l'obligation de parler le catalan, sauf à l'école, ce qui diffère sensiblement de la situation au Québec, alors que les deux tiers des Québécois ne parlent pas l'anglais.

Maintenant, il n’est plus nécessaire de parler de normalisation, mais plutôt de promotion du catalan, le tout sans nuire apparemment au castillan, la langue que, selon la Constitution espagnole, «tous les Espagnols ont le devoir de connaître et le droit d'utiliser». En Catalogne, la langue catalane s'est affirmée comme «une arme de combat» dans sa lutte identitaire pour de nouvelles prérogatives contre le pouvoir de Madrid. L'ancien président de la Generalitat, Jordi Pujol, a même exigé en mars 1999 que le roi Juan Carlos, lorsqu’il prend la parole sur «ses terres», prononce la moitié de ses discours en catalan. À Madrid, on a longtemps ironisé sur ce «drôle de quota» (alors que celui-ci paraîtrait normal en Belgique ou au Canada), ce qui a eu pour effet d’obliger le président catalan à se pourfendre en excuses. Le 16 novembre 2003, le président Jordi Pujol, après 23 ans de pouvoir, prenait sa retraite de la présidence catalane. La Catalogne prenait un autre virage, car la donne politique venait de changer. Fini le temps où tout ce qui était bon venait de Jordi Pujol, et tout le mauvais de Madrid! Cela dit, l'héritage de l'ancien président Pujol demeure immense pour la Catalogne et les Catalans, car il a incarné durant vingt-trois ans le nationalisme catalan, modéré et tenace. Le rapport de force entre Barcelone et Madrid risque de ne plus jamais être le même.

On peut constater également que, de toutes les langues régionales d’Espagne – le basque, le galicien, le catalan des îles Baléares et celui du Pays valencien –, seul le catalan de la Catalogne semble, en dépit d’une forte immigration castillanophone, en mesure de tenir tête au castillan, en raison du dynamisme économique de la bourgeoisie catalane, de son habileté politique et de ses ambitions européennes. C'est d'ailleurs dans la perspective d'un rééquilibrage en faveur des pouvoirs régionaux dans le cadre d'une Europe fédérale que les autonomistes catalans considèrent le statut d'autonomie actuel, à défaut d'indépendance, comme un «compromis acceptable». Cela étant dit, en raison de la situation sociopolitique de la langue espagnole (castillan), le catalan n'arrivera probablement jamais à la marginaliser, mais il pourra certainement lui livrer une solide concurrence. Il n'en demeure pas moins que la politique linguistique élaborée et défendue par les Catalans de Catalogne constitue l’une des surprises de ce siècle en matière d’aménagement linguistique.

Dernière mise à jour: 18 févr. 2024
   

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