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Ayant résisté aux Romains, les Pictes constituaient une confédération de peuples (Cait, Ce, Circinn, Fib, Fidach, Fotia, Fortriu, etc.) vivant dans ce qui est devenu l'Écosse du Nord et de l'Est (les Highlands), mais à cette époque les Pictes étaient présents dans presque toute l'Écosse, y compris dans les îles Shetlands. Les Pictes parlaient le picte, une langue celtique apparentée au langues brittoniques comme le breton insulaire parlé par les peuples voisins plus au sud, mais le picte était également liée linguistiquement au gallois et au cornique. Il ne reste pratiquement aucune attestation directe du picte, à l'exception d'un nombre limité de patronymes et de toponymes trouvés sur des monuments. Aucun texte en langue picte n’ayant survécu, on ne sait des Pictes que ce qu’en ont écrit leurs voisins, d’abord les Romains, et plus tard les Anglo-Saxons du royaume de Northumbrie.
C'est néanmoins à partir de ces documents qu'on peut affirmer que le picte est une langue celtique parlée avant la colonisation anglo-saxonne. Cette langue fut parlée durant plusieurs siècles avant d'être submergée par le gaélique irlandais à partir du VIe siècle. À partir de 450, les Angles, un peuple germanique venu du Schleswig-Holstein actuel (au sud du Danemark), s’installèrent sur les côtes méridionales de la Britannia et repoussèrent les Celtes jusqu'en Cornouailles et au pays de Galles.
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Au VIe siècle, plusieurs langues étaient parlées en Écosse :
- le gaélique;
- le brittonique (dont le cambrien);
- le vieux norrois (norn en anglais), surtout dans les iles du Nord, les Hébrides, les Shetland, etc., apporté par les Vikings;
- la langue picte, apparentée au brittonique (Celtic Pictish);
- le latin, langue de l'Église et de la justice.
3.3 L'expansion gaélique
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À partir du VIIe siècle, le gaélique irlandais se transporta en Écosse et devint une langue de culture que les Pictes commencèrent à adopter comme langue maternelle, bien que d'autres langues puissent coexister, ce qui signifie que l'Écosse n'a été que fort peu linguistiquement unifiée. La concurrence linguistique se faisaient entre le vieux norrois des Vikings, le picte, le gaélique et le cambrien, une autre langue celtique de type brittonique. Ces langues se firent concurrence, mais ce fut le gaélique irlandais qui prit de l'expansion parce que c'était déjà une langue de grande culture en provenance de l'île d'Irlande.
En effet, la langue irlandaise était non seulement parlée depuis 350 avant notre ère, mais elle s'était écrite dans une phase expansionniste en partie grâce au rayonnement des monastères irlandais qui favorisèrent la diffusion de la littérature irlandaise en Occident.
Jusqu'au VIIIe siècle, le gaélique écossais en resta à des territoires jouxtant l'Irlande et l'Écosse, mais avec la menace des Vikings au nord les Pictes s'allièrent aux Gaëls — peuples parlant le gaélique — afin de combattre les envahisseurs scandinaves. De plus, des alliances entre Gaëls et Pictes favorisèrent l'assimilation de ces derniers au profit des Gaëls et de l'irlandais d'Écosse. Vers 900, la langue des Pictes n'existait plus, car elle avait été remplacée par ce nouvel irlandais d'Écosse, lequel commençait à se distinguer de l'irlandais d'Irlande. Bref, en assimilant les Pictes, le gaélique irlandais s'est en même temps transformé en gaélique écossais. |
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Au Xe siècle, une grande partie des habitants de l'Écosse parlait déjà le gaélique écossais, sauf dans la région des Hébrides du Nord, du littoral septentrional, de l'archipel des Orcades (en anglais: Orkney) et des Shetland, où le vieux norrois demeurait généralisé. Au sud-est, les habitants parlaient le brittonique ou le gaélique, avec un certain mélange de bilinguisme. L'Écosse s'unifia politiquement et réussit à maintenir son indépendance par rapport à l'Angleterre. Le dernier roi de langue maternelle gaélique fut Malcolm III d'Écosse, surnommé Malcolm Canmore (Malcolm «Grosse-Tête»); il fut roi de l'Écosse de 1058 à 1093. La cour accueillait des savants, des artistes et des hommes de lettres venus de toute l'Europe. Mais la proximité de l'Angleterre allait être une source de tensions et de conflits. Au XIe siècle, une autre langue apparut en Écosse: l'anglien de Northumbrie, appelé aussi le northumbrien ou vieil anglais, qui deviendra plus tard l'écossais au nord de la frontière anglo-écossaise et l'anglais au sud.
À la même époque, le franco-normand des Normands, qui venaient de conquérir l'Angleterre, faisait son apparition en devenant la langue de l'aristocratie anglaise. En même temps, la nouvelle langues des Angles et des Saxons commençait à gagner en influence, remplaçant le gaélique écossais à la Cour écossaise, surtout, lorsque la région de Northumbrie de langue écossaise est devenue officiellement une partie de l’Écosse, après que les troupes écossaises furent vaincues au moment de la bataille de Dunbar en 1296, ce qui devait marquer le début de la mainmise de l'Angleterre sur l'Écosse et celui de l'anglicisation des Écossais.
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À partir du XIIe siècle, le gaélique, qui avait été jusque là la langue de la Cour et de l'administration écossaise, fut de plus en plus menacé dans les Basses-Terres (Lowlands) par le franco-normand et l'écossais, mais résistait dans les Hautes-Terres (Highlands) et les îles environnantes. Après une longue période encore florissante, la monarchie écossaise périclita au XIVe siècle pour être assujettie au pouvoir anglais. Dès lors, le gaélique écossais se mit à décliner au point d'être supplanté par l'écossais et l'anglais dans la vie administrative. À cette époque, l'Écossais était en réalité une variété d'anglais.
À partir du XIIe siècle, le moyen anglais commença à se répandre au nord et à l'est de l'Écosse en même temps que l'écossais. Bien que l'aristocratie militaire puisse employer le français des Normands et le gaélique écossais, les petites communautés urbaines employèrent l'anglais, car la croissance du prestige de cette langue au XIVe siècle et le déclin complémentaire du français à la Cour royale d'Écosse favorisèrent cette langue dans la majeure partie de l'est de l'Écosse. Au siècle suivant, le gaélique écossais était définitivement refoulé par l'anglais qui avait l’avantage, entre autres, de posséder par rapport au gaélique écossais une littérature abondante et une Bible traduite dans cette langue. Un philosophe écossais, Hector Boece (1465-1536), donna ce témoignage vers 1527:
Those of us who live on the English border have given up our mother tongue and learned English, driven into it by wars and trade. |
Ceux d'entre nous qui vivons à la frontière anglaise avons abandonné notre langue maternelle et appris l'anglais, car nous y avons été poussés par les guerres et le commerce. |
De fait, il devenait extrêmement difficile de résister à la pression de l'anglais, surtout que toute autre langue parlée était socialement dévalorisée. Dès la fin du Moyen Âge, une plus grande propagation de la langue anglaise conduisit finalement le gaélique écossais à se limiter principalement aux Hautes-Terres et aux îles environnantes, mais certaines régions de la plaine, notamment à Galloway et à Carrick, ont conservé la langue jusqu'au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Même le latin fut remplacé par l'écossais comme langue officielle et littéraire. Le gaélique écossais a commencé à décliner en Écosse continentale dès le début du XIIIe siècle, ce qui a entraîné un long déclin de son statut de langue nationale.
3.4 La vague de l'anglicisation
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À cette époque, l'Écosse se trouvait divisée: tandis que les Basses-Terres (Lowlands) étaient orientées vers l'Angleterre et s'anglicisaient, les Hautes-Terres (Highlands) maintenaient leur mode de vie rural et conservaient le gaélique, ainsi que des liens culturels solides avec l'Irlande. Au XVIe siècle, une grande partie des Hautes-Terres demeurait catholique et parlait le gaélique écossais, mais les Basses-Terres, désignées par le terme Scottis ou Inglis (la langue écossaise), devinrent protestantes et passèrent à l'anglais. Le pouvoir royal ne put tolérer une telle situation: en raison de leur fidélité à la foi catholique et au gaélique, les Hautes-Terres constituaient une véritable provocation pour l'Église presbytérienne gagnée à l'anglais (alors qu'en Angleterre c'était l'Église anglicane).
Des tentatives furent entamées au moyen de la loi à la fin de la période médiévale et au début de la période moderne dans le but d'imposer l'anglais, d'abord parmi l'aristocratie, puis de plus en plus parmi le peuple au moyen de l'éducation dans les écoles paroissiales. Le Parlement écossais adopta une dizaine d'actes juridiques de ce type entre 1494 et 1698. Les Statuts d'Iona en 1609-1610 et en 1616 interdirent les ordres savants gaéliques et cherchèrent à éradiquer le gaélique, la langue dite «irlandaise», afin que la «langue anglaise vulgaire» (populaire) puisse être universellement implantée. |
Sous Jacques Ier (de 1603 à 1625) qui avait succédé à Élisabeth Ire, les bardes et les musiciens écossais furent interdits, tandis que des missionnaires protestants furent recrutés pour convertir les «sauvages» écossais. Une loi sur l'éducation du Conseil privé d'Écosse fut promulguée en 1616 et ordonna la création d’au moins une école de langue anglaise dans chaque paroisse d’Écosse :
Forasmuch as the King’s Majesty, having a special care and regard that the true religion be advanced and established in all the parts of this Kingdom, and that all his Majesty’s subjects, especially the youth, be exercised and trained up in civility, godliness, knowledge, and learning, that the vernacular English tongue be universally planted, and the Irish language [i.e., Gaelic], which is one of the chief and principal causes of the continuance of the barbarity and incivility amongst the inhabitants of the Isles and Highlands, may be abolished and removed; and whereas there is no measure more powerful to further his Majesty’s principal regard and purpose than the establishing of schools in the particular parishes of this kingdom where the youth may be taught at least to write and read, and be catechised and instructed in the grounds of religion. |
Étant donné que Sa Majesté le roi, ayant une considération et un soin particuliers à que la vraie religion soit affirmée et établie dans toutes les parties de ce Royaume, et que tous les sujets de Sa Majesté, en particulier les jeunes, soient exercés et formés à la civilité, à la piété, à la connaissance et à l’instruction, que la langue anglaise vernaculaire soit universellement implantée, et la langue irlandaise [c’est-à-dire le gaélique], qui est l’une des causes principales de la persistance de la barbarie et de l’incivilité parmi les habitants des îles et des Highlands, puisse être abolie et extirpée; et attendu qu’il n’y a pas de mesure plus puissante pour promouvoir les principaux égards et objectifs de Sa Majesté que l’établissement d’écoles dans les paroisses particulières de ce Royaume où les jeunes peuvent apprendre au moins à écrire et à lire, et être catéchisés et instruits dans les fondements de la religion. |
Il s'agit ici d'un extrait de l'Education Act de 1616 adoptée par le "Scottish Privy Council".
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Le gaélique écossais, qui avait été la langue principale en Écosse pendant des siècles, commença à être démantelé à partir du début du XVIIe siècle, à commencer par les Statuts d'Iona (nom d'une petite île dans les Highlands) de 1609, sous le règne de Jacques VI, lesquels qualifiaient cette langue de «barbare» et invoquaient les chefs de clan à envoyer leurs héritiers dans des écoles anglaises. En conséquence, certains clans, tels que les MacDonalds de Sleat et les MacLeods de Harris, adoptèrent la nouvelle religion. D'autres clans, notamment les MacLean de Morvern & Mull, les MacDonald de Clanranald, Keppoch, Glengarry et Glencoe restèrent résolument catholiques romains. Parmi les neuf Statuts d'Iona, le VIe traitait de la langue:
VI. Every gentleman or yeoman in the Islands possessing “thriescore kye” [60 cattle] and having children, to send at least his eldest son, or, failing sons, his eldest daughter, to some school in the Lowlands, there to be kept and brought up until they may be found sufficiently able to speak, read and write English. |
VI. Chaque gentleman ou yeoman des îles possédant « thriescore kye » [60 bovins] et ayant des enfants, d'envoyer au moins son fils aîné, ou, à défaut de fils, sa fille aînée, à une école dans les Basses-Terres, pour y être gardé et amené jusqu'à ce qu'ils soient jugés suffisamment aptes à parler, lire et écrire l'anglais. | |
En Angleterre de cette époque, un "yeoman" était
un paysan propriétaire de la terre qu'il cultivait. Les Statuts d'Iona sont considérées par certains comme la première tentative du gouvernement anglais de briser la culture et la tradition gaéliques traditionnelles. Jacques VI poursuivit obstinément sa politique de «civilisation» des Highlands et des îles, et d’affaiblissement du système clanique. Les efforts de Jacques VI pour «civiliser» les Highlands furent parfois désastreux.
Une politique répressive fut mise en place afin de pacifier la région et d'angliciser les habitants. Seule l'Église presbytérienne d'Écosse continua d'utiliser le gaélique pour la prédication et les offices. La politique linguistique ne fut jamais remis en cause par la suite et ne rencontra pas beaucoup de résistance.
3.5 Le traité d'Union de 1707
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Les actes d'Union (en anglais : Acts of Union) de 1707 correspondent à deux lois du Parlement, l'une anglaise, l'autre écossaise, ratifiant le traité d'Union des deux royaumes signé en 1706, ce qui entraînait la naissance du Royaume-Uni de Grande-Bretagne. Les parlements respectifs des deux royaumes (Parlement d'Angleterre et Parlement d'Écosse) étaient dissous au profit d'un parlement commun, le Parlement de Grande-Bretagne.
Au Parlement d'Édimbourg, le traité d'Union fut ratifié par 110 voix contre 67 et 46 abstentions (total de 113 voix), ce qui ne constituait même pas la majorité des députés. Le fait que le Parlement écossais se soit lui-même sabordé entraîna de nombreuses émeutes populaires en Écosse. On suspecta, non sans raison, que plusieurs parlementaires se soient grassement achetés par les whigs anglais. Mais les esprits se calmèrent rapidement, car le traité ne touchait pas à la religion presbytérienne d'Écosse.
C'est ainsi que naquit officiellement le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, avec un seul souverain, un seul gouvernement et un seul parlement, à Westminster, où entrèrent 45 députés écossais (Chambre des Communes) et 16 pairs écossais (Chambre des Lords). Les deux actes parlementaires prenaient effet le 1er mai 1707. |
Le traité d'Union de 1707 scella le rattachement de l'Écosse à la Couronne d'Angleterre, puis le Parlement écossais d’Édimbourg cessa d'exister, ayant été ajourné... indéfiniment. Néanmoins, l'Écosse conserva un certain régime juridique, une Église nationale (presbytérienne) et un système d'éducation distinct. L’anglais devint la langue de l’Écosse avec comme conséquence que le gaélique écossais et la langue écossaise se virent transformés «en dialecte inférieur». Malgré cela, ces deux langues ne sont pas disparues et restèrent un élément essentiel de l’identité écossaise.
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Les parlementaires écossais avaient obtenu le droit de siéger au Parlement britannique, mais ils se trouvaient forcément minoritaires, surtout que le traité d'Union n'avait pas prévu de droit de véto en cas de désaccord fondamental sur l'Écosse de la part des députés écossais. Dès lors, de nombreuses lois du Parlement britannique favorisèrent l'enseignement en anglais dans les écoles d'Écosse; les membres de l'aristocratie écossaise furent d'abord touchés, puis ce fut le tour de la population générale, de telle sorte que les Écossais instruits adoptèrent la langue anglaise. L'Angleterre réussit ainsi briser les clans et à mettre hors-la-loi les costumes et la musique des Highlands, notamment après la défaite des jacobites (partisans de Jacques II et des Stuart) à Culloden en 1746.
C'est cette année-là que fut adoptée la Dress Act, c'est-à-dire l'Abolition and Proscription of the Highland Dress 19 George II, Chap. 39, Sec. 17, 1746. En français, on dirait: «Loi sur l'abolition et l'interdiction des costumes écossais des Hautes-Terres», conséquence directe de la bataille de Culloden. Cette loi répressive de 1746 interdisait le port du kilt et du tartan, mais indirectement l'emploi de la langue gaélique comme symbole de l'identité écossaise. |
- La perte de l'identité écossaise
La loi visait non seulement la suppression de la culture écossaise, mais également la liquidation de l'identité des habitants écossais des Hautes-Terres (Highlands):
Dress Act
That from and after the first day of August, One thousand, seven hundred and forty-six, no man or boy within that part of Britain called Scotland, other than such as shall be employed as Officers and Soldiers in His Majesty's Forces, shall, on any pretext whatever, wear or put on the clothes commonly called Highland clothes (that is to say) the Plaid, Philabeg, or little Kilt, Trowse, Shoulder-belts, or any part whatever of what peculiarly belongs to the Highland Garb; and that no tartan or party-coloured plaid of stuff shall be used for Great Coats or upper coats, and if any such person shall presume after the said first day of August, to wear or put on the aforesaid garment or any part of them, every such person so offending ... For the first offence,shall be liable to be imprisoned for 6 months, and on the second offence, to be transported to any of His Majesty's plantations beyond the seas, there to remain for the space of seven years. |
Loi sur les costumes (traduction)
À compter du premier jour du mois d'août et après de mille sept cent
quarante-six, aucun homme ou garçon
au sein de cette partie de la Grande-Bretagne, appelée Écosse, sauf ceux qui
sont employés comme officiers et soldats dans les armées de Sa Majesté, n'est
autorisé, sous quelque prétexte que ce soit,
à porter ou revêtir des vêtements
communément appelés «costumes des Hautes Terres», à savoir le tartan, le kilt ou
le petit kilt, la sacoche, les baudriers,
ou toute partie quelconque de ce qui appartient singulièrement au costumes des
Hautes Terres ; et aucun tartan ni
étoffe de couleur à carreaux ne
doit être utilisé dans la confection des Grands Manteaux ou des capes; et si un
quelconque individu s'autorise après ledit premier jour du mois d'août à porter
ou à revêtir ledit vêtement ou une partie de celui-ci, si cet individu
récidive... Pour la première infraction, il est passible d'un emprisonnement de
six mois et, pour la deuxième infraction, d'être envoyé dans les plantations
d'outre-mer de Sa Majesté, pour y rester durant sept ans. |
Cette loi fut rigoureusement appliquée et le zèle du gouvernement britannique à abolir le tartan témoigne que celui-ci nourrissait une grande méfiance envers les Écossais des Hautes-Terres (Highlands). Pour échapper à ces contraintes, nombreux furent les Écossais qui émigrèrent dans les colonies d'Amérique. D'autres s'enrôlèrent dans l'armée britannique, car ils pouvaient à nouveau porter le kilt et l'épée, et conserver un peu de leur identité, souvent en combattant leurs compatriotes émigrés. La fameuse Dress Act sera tout de même allégée en 1782 grâce au lobby écossais de Londres, mais le gaélique écossais continuera d’être marginalisé, devenant pratiquement une langue morte.
- Un idiome provincial et non raffiné
Par ailleurs, la «société polie» considérait l'écossais comme un idiome «provincial et non raffiné»; une grande partie de la noblesse s'efforça alors de se débarrasser de cette ancienne langue nationale. Des intellectuels réputés, tels que l'écrivain irlandais Thomas Sheridan (1719-1788) et l'éminent botaniste écossais John Walker (1731-1803), furent réquisitionnés pour enseigner aux Écossais, à la fois à Londres et en Écosse, les formalités d'un anglais «correct». Cependant, cet anglais normalisé ne fut pas accepté par tous les Écossais instruits de l'époque et une nouvelle langue littéraire écossaise vit le jour. Celle-ci fut généralement basée sur le discours familier contemporain. Son orthographe fut une adaptation de la norme importée, bien que certaines caractéristiques orthographiques de l'écossais aient continué à être employées.
Cet écossais littéraire moderne fut en usage chez de nombreux écrivains et éditeurs, qui trouvèrent avantageux d'employer des formes anglaises pour s'assurer un plus grand lectorat anglais peu familier avec l'écossais. Au début du XIXe siècle, la publication en 1808 de l'Etymological Dictionary of the Scottish Language de John Jamieson (1759-1838) fut accompagnée d'un regain d'intérêt pour l'écossais parmi les classes moyennes et supérieures. Au cours de cette période, l'absence d'une norme officielle ou d'une norme socialement acceptable conduisit à une nouvelle fragmentation dialectale.
3.6 L'expansion de l'anglais
L’Angleterre devint la région dominante dans toute la Grande-Bretagne, tandis que le gaélique écossais, à l’instar du gallois au pays de Galles, fut bientôt submergé par l’anglais au point où il en résulta une sorte de mélange des deux langues pour produire un «anglais écossais» fortement particularisé dans la prononciation et le vocabulaire. En 1766, le réputé Samuel Johnson (1709-1784), connu sous le nom de «Dr Johnson», un poète essayiste anglais, rendit ce témoignage:
Of all they had before the recent conquest of their country, only language and poverty remain. Their language is attacked from all sides. Schools are built where only English is taught and recently some thought it reasonable to deny them a version of the Holy Scriptures, so that they would have no monument of their mother tongue. |
De tout ce qu'ils avaient avant la conquête récente de leur pays, il ne leur reste que la langue et la pauvreté. leur langue est attaquée de toutes parts. On construit des écoles où seul l'anglais est enseigné et récemment certains estimaient raisonnable de leur refuser une version des Saintes Écritures, afin qu'ils n'aient aucun monument de leur langue maternelle. |
- La multiplication des revers
Néanmoins, l'année suivante paraissait une traduction du Nouveau Testament en gaélique écossais. Les Anglais évincèrent de nombreux Écossais des Hautes-Terres afin de les remplacer par des colons anglais. D'autres revers pour la langue furent la perte de vies humaines dans les guerres napoléoniennes, les dégagements des Hautes-Terres qui ont suivi, la famine de la pomme de terre dans les années 1840, ainsi que la marginalisation économique et le sous-développement engendrèrent une migration à grande échelle vers les Basses-Terres et à l'étranger. Néanmoins, le gaélique demeura toujours la langue prédominante dans les Highlands et les Hébrides continentales.
En se dépeuplant de la population écossaise, la langue gaélique perdit de ses locuteurs, tandis que le mouvement se poursuivit durant quelques décennies. Plus de 100 000 Écossais émigrèrent au cours du XIXe siècle vers l'Angleterre, le Canada et les États-Unis. La Loi sur l’éducation de 1872, qui ignorait complètement le gaélique et conduisit à interdire à des générations de galéophones de parler leur langue maternelle en classe, sous peine de punitions sévères, est aujourd'hui reconnue comme ayant porté un coup fatal à la langue ancestrale, y compris pour une bonne partie du XXe siècle. Les personnes encore en vie peuvent se souvenir d’avoir été battues pour avoir parlé gaélique à l’école.
- La question scolaire
Au cours du même siècle, les Écossais tentèrent de mettre en place un système volontaire d'écoles gaéliques, lequel connut un certain succès. Il fut remplacé, en 1872, par un système national d'écoles en anglais, qui ne prévoyait aucune place au gaélique. La Loi de 1872 sur l'éducation de l'Écosse (titre complet en anglais: "An Act to amend and extend the provisions of the Law of Scotland on the subject of Education") rendait obligatoire l'enseignement primaire pour tous les enfants âgés de 5 à 13 ans en Écosse. Cette loi imposait un transfert complet des écoles existantes vers un système public anglais. Elle créait des conseils scolaires élus par le peuple, qui durent entreprendre un important programme de reconstruction. La loi écossaise demeura controversée parce qu'elle des préjudices substantiels à la langue gaélique écossaise.
Bien qu'aucun article de la loi n'interdisait l'enseignement en gaélique, la Loi sur l'éducation de 1872 mit quand même fin à tout enseignement qui n'était pas en anglais, parce qu'elle imposait le système d'éducation anglais, ce qui se trouvait à imposer aussi la la langue anglaise. Cette décision du «tout-anglais» fut considérée comme extrêmement préjudiciable à l'usage et à la promotion de la langue gaélique. Le gouvernement britannique dictait les programmes sans interdire quoi que ce soit, mais il réprimait l'enseignement en gaélique écossais en n'imposant que l'anglais.
- L'humiliation des locuteurs du gaélique
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Dans les faits, les enfants étaient punis pour avoir parlé leur langue. Non seulement ils l'étaient physiquement s'ils étaient surpris en train de parler gaélique, mais ils pouvaient recevoir d'autres châtiments corporels s'ils ne révélaient pas les noms des autres élèves parlant gaélique. Selon les directives des autorités, les enseignants devaient interdire le gaélique non seulement dans les classes, mais également dans les cours d'école ou les terrains de jeux.
L'effet de la Loi sur l'éducation dans la langue gaélique fut interprété comme "désastreux" en niant la valeur de la culture et de la langue gaéliques; la loi contribua à détruire le respect de soi des communautés gaéliques. Il s'agissait de la continuation d'une politique générale des gouvernements britanniques et écossais visant l'anglicisation.
Après avoir été punis et humiliés pour avoir parlé le gaélique, de nombreux parents décidèrent qu'il valait mieux ne pas transmettre la langue ancestrale à leurs enfants, ce qui entraîna rapidement un changement de langue.
La carte ci-contre montre bien que le gaélique et l'écossais avaient considérablement perdu du terrain en 1900 au profit de l'écossais et de l'anglais, mais surtout à l'anglais, parce que cette langue était déjà parlée dans les mêmes aires que l'écossais. |
Après la guerre des Petits Fermiers («Crofters' War»), la Loi sur les petits fermiers (Crofters' Act 1886) accorda la sécurité aux fermiers, lesquels sont restés le principal rempart de la survie du gaélique écossais. Mais le recensement de 1891 révéla l'érosion considérable du gaélique écossais dans le sud de l'Écosse, alors qu'il était encore parlé dans les régions montagneuses du Nord-Ouest et dans les Hébrides.
3.7 Une tiède reconnaissance
La reconnaissance du gaélique ne survint que tardivement en 1911, lors de l'adoption de la Loi écossaise sur les petits propriétaires terriers (la Small Landholders Scotland Act 1911). En vertu de cette loi, un membre au moins du Tribunal foncier d'Écosse (SLC: «Scottish Land Court») devait être de langue gaélique (paragraphe 3 de l'article 3).
Section 3.
Constitution of Scottish Land Court.
1) It shall be lawful for His Majesty, on the recommendation of the Secretary for Scotland, as from the commencement of this Act, and from time to time as vacancies occur, to appoint not more than five persons, to be designated the Scottish Land Court (in this Act referred to as the Land Court) and to appoint one of such persons to be Chairman of the Court.
2) The Chairman shall be a person who at the date of his appointment shall be an advocate of the Scottish bar of not less than ten years' standing, and shall forthwith on his appointment have the same rank and tenure of office as if he had been appointed a Judge of the Court of Session.
3) One of the said persons shall be a person who can speak the Gaelic language. |
Article 3
Constitution du Tribunal foncier écossais
1) Il sera loisible à Sa Majesté, sur la recommandation du secrétaire pour l'Écosse, à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi et, le cas échéant, pour les postes vacants à combler, de nommer pas plus de cinq personnes au Tribunal foncier écossais (ci-après dans la présente loi «tribunal foncier» et de désigner l'une de ces personnes comme président de la Cour.
2) Le président doit être quelqu'un qui, au moment de sa nomination, est avocat du barreau écossais depuis au moins dix ans et doit immédiatement au moment de sa nomination avoir le même rang et la même durée dans ses fonctions que s'il avait été nommé juge à la Cour de session.
3) L'une de ces personnes doit être quelqu'un qui parle la langue gaélique. |
Au cours de la Première Guerre mondiale, les pertes humaines en mer et dans les forces armées firent des ravages considérables dans la population gaélophone, et l'entre-deux-guerres vit une nouvelle émigration, en particulier en provenance des Hébrides. Le nombre de locuteurs du gaélique diminua fortement, passant de 254 415 en 1891 à 58 969 en 2001. La migration interne des Hautes-Terres (Highlands) et des îles vers les Basses-Terres (Lowlands) fit en sorte que 45% de tous les locuteurs du gaélique d'aujourd'hui résident maintenant dans les Basses-Terres et dans l'Écosse urbaine, là où l'assimilation est galopante.
La Loi écossaise sur les petits propriétaires terriers de 1911 impliquait que le gaélique pouvait être employé devant le Tribunal foncier écossais (Scottish Land Court), mais aucune loi ne fut rédigée dans cette langue. Une loi écossaise de 1993 relative aux petits exploitants agricoles imposera la même condition à la Commission des petits exploitants.
Au cours du XXe siècle, les Écossais devinrent massivement bilingues, avant de devenir définitivement anglophones. Aujourd'hui, les communautés qui font encore usage du gaélique ou de l'écossais moderne ont un comportement typiquement diglossique. Du fait de la migration, de nombreuses personnes gaélophones ont quitté la «région traditionnellement gaélique» des Hautes-Terres et des îles. L'enseignement en gaélique écossais ne fut rétabli que dans les années 1980, mais l'impact des interdictions précédentes se fait encore sentir dans les communautés gaéliques. D'après le recensement de 1991, la région traditionnellement gaélique des Hautes-Terres et des Hébrides (le Gaidhealtachd) ne comptait que 58% des personnes parlant gaélique en Écosse. La première école secondaire exclusivement en gaélique, la "Sgoil Ghàidhlig Ghlaschu", ne fut ouverte qu'en 2006 dans le quartier de Woodside à Glasgow, mais il existe également plusieurs écoles primaires en gaélique et des écoles secondaires partiellement en gaélique.
3.8 La dévolution des pouvoirs de 2000
Rappelons que, le 1er juillet 1999, le gouvernement du Royaume-Uni accordait officiellement la «dévolution» des pouvoirs (ou «décentralisation») aux autorités régionales d'Écosse, comme d'ailleurs au pays de Galles et en Irlande du Nord. À partir de ce moment, le Parlement écossais s'est vu confier les pouvoirs qu'avait alors l'Exécutif écossais, parmi lesquels la responsabilité du gaélique écossais. Effectivement, avec l’ouverture du Parlement écossais en 1999, il y eut de nouvelles tentatives d’employer le gaélique écossais et l'écossais à des fins formelles. La situation telle qu’on la connaissait est maintenant modifiée.
En effet, à la suite du référendum du 11 septembre 1997, les Écossais ont voté massivement pour la restauration de leur parlement dans une proportion de 74,3%. Les élections pour élire les 129 membres du nouveau Parlement écossais étaient prévues pour le printemps de 1999 de telle sorte que le Parlement soit fonctionnel en janvier de l’an 2000. Cependant, le Parlement du Royaume-Uni demeurait le seul souverain, la reine continuant d’être le chef de l'État, et l’Écosse faisait encore partie intégrante du Royaume-Uni.
- Une dévolution limitée
En ce qui concerne la dévolution, le Parlement écossais dispose d’un pouvoir politique assez limité, même s’il peut légiférer et lever des impôts. À l’exemple des législatures de l’Irlande du Nord et du pays de Galles, sans compter celles de l'île de Man et des îles Anglo-Normandes, le Parlement écossais est autorisé à s'occuper des affaires intérieures de l’Écosse: la justice et le droit pénal et le droit CIVIL, l’éducation, les arts et la culture, les sports, le logement, la santé, le tourisme, l’environnement, les pêches et l’agriculture. Le Parlement britannique se réserve les affaires constitutionnelles, les finances nationales, la politique étrangère, la défense, la sécurité sociale, les assurances, la protection du consommateur et la citoyenneté. Autrement dit, les grandes décisions – militaires, internationales et budgétaires – sont prises par le gouvernement central, à Londres, qui est rarement celui que les Écossais auraient voulu. L’Écosse est traditionnellement à gauche, pendant qu'une grande partie des Écossais se sentent enfermés dans un pays dirigé à droite.
Il reste à voir comment se développe le rapport de forces entre le Parlement britannique et l’Exécutif écossais qui doit représenter les intérêts de l’Écosse au sein du gouvernement du Royaume-Uni. Pour les nationalistes écossais, la nouvelle structure politique est encore trop tiède et trop limitée, alors qu’aux yeux des conservateurs anglais c’est le premier pas vers l’éclatement du pays. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement du Royaume-Uni n'a jamais voulu accorder le statut de fédération à ses anciennes colonies des îles Britanniques. C'était courir le péril d'une trop grande autonomie. Certes, la dévolution écossaise sonnait le glas du centralisme politique britannique, mais le Royaume-Uni risque de découvrir bientôt les grandeurs et les misères d'une forme de gouvernements asymétriques. Si, dans le pire des cas, Londres ne réussit pas à s’adapter, les Écossais seraient bien capables, un jour, de réclamer d’avantage que leur autonomie limitée.
Pour le moment, les Écossais semblent réussir à promouvoir le gaélique écossais, non à l'imposer. Le 21 avril 2005, le Parlement britannique a adopté, la Loi sur la langue gaélique (Écosse), qui a reçu l'assentiment royal le 1er juin de la même année. Dans sa présentation du programme législatif de l'Exécutif pour 2004-2005, le premier ministre Jack McConnell (2001-2007) avait déclaré ce qui suit :
Mon ambition est de voir, dans toute l'Écosse,
un nouveau progrès de l'usage du gaélique dans la vie quotidienne, et que les Écossais aient un sentiment d'appartenance à cette langue, mais aussi de fierté à son égard. Il y a un an, à l'occasion du centenaire du Mòd, nous lancions notre campagne de consultation sur un projet de loi visant à garantir le statut de la langue en Écosse. Et d'ici un an, au cours de la présente législature, nous soumettrons et adopterons le projet de loi sur le gaélique, afin de nous appuyer sur les activités que nous soutenons déjà dans les domaines de la radiodiffusion, des arts et de l'éducation. |
Le «Mòd» est un festival gaélique (Am Mòd Nàiseanta Rìoghail) axé sur les arts, la musique et la culture. Le projet de loi sur le gaélique fut présenté au Parlement écossais en septembre 2004. À cette occasion, Peter Peacock, ministre de l'Éducation et de la Jeunesse, déclarait: «Grâce à ce projet de loi, il sera plus facile d'employer le gaélique et de garantir que les organes publics, tels que les instances sanitaires et les conseils, prennent en compte les besoins des gaélisants».
Quant à la langue écossaise, pendant une grande partie des XIXe et XXe siècles, elle fut considérée comme inférieure à l’anglais. Elle n’était pas enseignée dans les écoles ni employée dans des environnements formels, car elle était surtout plus associée à des communications informelles propres aux classes inférieures. Sa proximité avec l’anglais — deux langues germaniques — et son manque d’uniformité et d'universalité conduisirent à la quasi-extinction de cette langue à plusieurs reprises.
- La question nationale
En novembre 2006, un sondage du Sunday Telegraph de Londres révélait que 51% des Écossais désiraient l'indépendance de l'Écosse. Plus étonnant encore, selon le même sondage, 59% des Anglais voulaient que l'Écosse devienne indépendante. Pour illustrer les rivalités entre l'Écosse et l'Angleterre, le Herald de Glasgow y allait d'une statistique purement «inventée»: seulement 12% des Écossais désiraient la souveraineté si les Anglais le souhaitaient également. Que penser de cette proportion de 59% d'Anglais qui souhaiteraient l'indépendance de l'Écosse? Il est probable que l'Écosse, perçue comme un «lointain pays», n'intéresse tellement pas les Anglais qu'ils en arrivent à confondre autonomie («dévolution») et indépendance. Il y aurait même un bon nombre d'Anglais qui pensent que l'Écosse est déjà indépendante! C'est tout dire!
Mais le premier ministre britannique de l'époque, Tony Blair (du 2 mai 1997 au 27 juin 2007), avait tenté de convaincre les Écossais de ne pas choisir le Parti national écossais — en anglais, le Scottish National Party (SNP); en gaélique, le Pàrtaidh Nàiseanta na h-Alba — aux élections du 3 mai 2007 pour les députés du Parlement d'Édimbourg. Ce parti nationaliste, qui bénéficiait de l'appui d'un bon tiers tiers des électeurs, promettait, une fois élu, de procéder à un référendum sur l'indépendance de l'Écosse. Voici ce qu'écrivait Tony Blair dans une lettre au quotidien, le Daily Telegraph du 16 mars 2007, en comparant le cas du Québec à celui de l'Écosse:
Montréal a déjà été la capitale économique du Canada. Mais même si les gens du Québec ont rejeté l'indépendance, l'incertitude sur l'avenir a été suffisante pour voir la ville [Montréal] perdre son statut au profit de Toronto. Le secteur financier prospère de l'Écosse, par exemple, pourrait subir le même sort quand de futures décisions d'investissements seront prises. C'est un prix que l'Écosse commencerait à payer aussitôt que le SNP prendrait le pouvoir.[Cité par Le Devoir, Montréal, 17 mars 2007] |
M. Blair a également vanté les mérites de l'union des royaumes d'Écosse et d'Angleterre, qui fêtait en 2007 son 300e anniversaire, et qu'il a qualifiée «d'union volontaire la plus réussie entre deux pays». Ça, c'était prendre un raccourci avec l'histoire! L'exemple du Québec est très souvent évoqué dans la presse britannique. Cependant, il est nettement exagéré d'affirmer que c'est en raison des deux référendums sur l'indépendance du Québec que Montréal a perdu son titre de métropole économique du Canada, car depuis une trentaine d'années l'économie canadienne se déplace d'est (Québec) en ouest (Ontario et Alberta). Le Scottish National Party (SNP) avait placardé un peu partout dans les rues d'Édimbourg son slogan: ''1707, No right to choose - 2007, the right to choose'', ce qui signifie «1707, pas le droit de choisir; 2007, le droit de choisir».
Pour l'ancien premier ministre Tony Blair, la séparation de l'Écosse était considérée comme un «recul» avec une vision «démodée» du monde, qui apparaît comme bizarre au XXIe siècle. Il croyait que ce serait «un pas incroyablement régressif et réactionnaire» que de rompre le pacte actuel :
Separation is a retreat into an old-fashioned view of the world that would be bizarre in the 21st century. It would be an incredibly regressive and reactionary step to break it apart now. |
[La séparation est un recul dans une perspective démodée du monde qui apparaît comme bizarre au XXIe siècle. Ce serait un pas incroyablement régressif et réactionnaire de le rompre maintenant.] |
Néanmoins, c'était aux Écossais de décider de leur avenir. Au lendemain du 3 mai 2007, le Parti national écossais (Scottish National Party) d’Alex Salmond remporta une victoire à l'arraché, devançant le Parti travailliste par un seul siège. Avec 47 sièges, contre 46 au Parti travailliste, les indépendantistes du SNP sont devenus à ce moment-là le premier parti au Parlement d'Édimbourg. Mais le Parti national écossais devait aussi former un gouvernement de coalition avec d'autres groupes politiques, puisque aucun parti n'avait obtenu la majorité à lui seul. En août 2007, trois grands choix réalistes s'offraient à l'Écosse: le statu quo actuel, un accroissement des pouvoirs de l'Assemblée d'Édimbourg ou l'indépendance pleine et entière.
3.9 La tentation de l'indépendance
Si les nationalistes écossais réussirent à se faire élire, à l'exemple du Québec ou de la Catalogne, ils ne purent faire valoir leur projet d'indépendance auprès de leurs électeurs. Bien que ces derniers ne soient pas majoritairement pour le projet d'indépendance, ils aiment bien l'idée que quelqu'un en Écosse défende les intérêts de l'Écosse. Minoritaire au Parlement, le gouvernement du SNP ne put respecter sa promesse électorale de tenir un référendum sur l'indépendance, mais un vent d'optimisme sembla souffler sur l'Écosse qui appuya les indépendantistes, mais pas l'indépendance! C'est un peu le jeu du chat et de la souris.
Avant l'avènement de la dévolution, certains avaient plaidé pour un Parlement écossais au sein du Royaume-Uni, tandis que d'autres ont depuis plaidé pour une indépendance complète. Le peuple écossais eut pour la première fois l'occasion de voter lors d'un référendum sur des propositions de décentralisation en 1979 et, bien qu'une majorité de ceux qui votaient aient voté OUI, la législation référendaire exigeait également que 40% de l'électorat vote OUI pour que le résultat prenne effet, mais cela n'a pas été réalisé. Une deuxième occasion de référendum en 1997, cette fois sur une proposition forte, aboutit à une victoire écrasante du OUI, conduisant à l'adoption de la loi écossaise de 1998 et à la création du Parlement écossais en 1999.
- Le référendum
Lors d'un référendum en 2014, les électeurs écossais ont eu la possibilité de voter OUI pour l'indépendance pure et simple . Dans un effort pour persuader les Écossais de rester dans l'Union, les principaux partis britanniques s'engagèrent à déléguer davantage de pouvoirs à l'Écosse après le référendum.
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Les partisans du NON l'emportèrent (l'indépendance fut rejetée). Le référendum du 18 septembre 2014 valida plutôt la présence de l'Écosse au sein du Royaume-Uni avec plus de 55% des suffrages contre l'indépendance et 45% pour la sécession, le taux de participation s'étant établi à 84,6%. Le premier ministre écossais, Alex Salmond (2007-2014), leader pro-indépendance, dut reconnaître le verdict de la population. Quelques heures plus tard, celui-ci donnait sa démission en ajoutant que la campagne pour l'indépendance continuait et «que le rêve ne mourra jamais». Avec ce départ précipité, l'Écosse perdait aussi son champion le plus enflammé.
De son côté, le premier ministre du Royaume-Uni, le conservateur David Cameron (2010-2016), avait promis que le rejet de l'indépendance allait être interprété comme étant favorable à une dévolution maximale. |
En réalité, dans les derniers jours de la
campagne référendaire, les trois chefs des partis britanniques — le Parti
conservateur (Conservative Party), le Parti travailliste (Labour Party) et les
démocrates-libéraux (Liberal Democrats) — avaient promis qu'à la suite d'un NON un processus serait mis en branle pour doter le Parlement écossais de nouveaux pouvoirs, notamment en matière de taxation. Dès lors, il ne s'agissait plus seulement de transférer plus d'autonomie politique à l'Écosse, mais de revoir tout le partage des pouvoirs dans le Royaume-Uni, ce qui impliquait le pays de Galles, l'Irlande du Nord, voire l'Angleterre.
Pour les nationalistes écossais, l'Écosse avait avantage à se séparer du Royaume-Uni afin d'avoir un pays plus progressiste et plus prospère. En réalité, l'Écosse se situait à gauche, alors que la Grande-Bretagne restait carrément à droite. Pendant que Westminster privatisait un peu partout, l’Écosse restait championne de l’État-providence. Pendant que l’Écosse était résolument pro-européenne, le Royaume-Uni tendait vers l’isolationnisme. C'est pourquoi la perspective que le Royaume-Uni puisse se retirer de l’Union européenne inquiétait de nombreux Écossais. De plus, l’Écosse restait pacifiste, mais Westminster conservait son long passé militariste.
C'est ainsi que la promesse électorale de décentralisation aboutit à la formation de la Commission Smith et à l'adoption éventuelle de la Scotland Act 2016 (Loi sur l'Écosse de 2016). Sur la base des recommandations de la Commission Smith, la loi écossaise de 2016 fut adoptée par le Parlement britannique et a reçu la sanction royale le 23 mars 2016. La loi énonçait des modifications à la loi écossaise de 1998 et déléguait d'autres pouvoirs à l'Écosse, notamment la possibilité de modifier les sections de la loi écossaise de 1998, qui concernent le fonctionnement du Parlement écossais et du gouvernement écossais, y compris le contrôle de son système électoral (sous réserve d'une majorité des deux tiers au sein du parlement pour tout changement proposé).
- Le Brexit et l'Écosse
Le 24 juin 2016, le Royaume-Uni choisissait de mettre fin à quarante-trois années d’appartenance à l’Union européenne (UE). Le camp du «Leave» (sortie), favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’a emporté avec 51,9% des voix, contre 48,1% pour le «Remain» (maintien), camp pro-européen. On peut consulter des résultats plus détaillés par région en cliquant ici , s.v.p. Or, l'Écosse a voté à 62% pour le maintien du Royaume-Uni dans l'UE. On parle alors du Brexit qui désigne la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il s'agit du mot-valise anglais composé de «Britain» («Grande-Bretagne») et de «exit» («sortie»), c'est-à-dire finalement "Bristish Exit".
Le premier ministre britannique David Cameron dut démissionner. Nommée en juillet 2016, la nouvelle première ministre Theresa May (2016-2019) devait dorénavant mener les discussions sur la sortie de son pays de l’UE face à une équipe de négociateurs représentant l'UE. Craignant que l'Angleterre puisse voir se détériorer ses relations avec le gouvernement écossais, indépendantiste et europhile, la nouvelle première ministre britannique promit que les quatre nations constitutives du pays — l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande du Nord et le pays de Galles — récupéreraient de nouvelles compétences, ce qui était nouveau. Cette question se posait davantage avec la réintégration de l'arsenal juridique européen dans le droit britannique.
3.10 La situation actuelle
Le gouvernement écossais désire tenir compte de trois langues: l'anglais, le gaélique écossais et l'écossais. Pour l'anglais, il n'est pas possible d'ignorer qu'il sert de moyen de communication pour 98% des citoyens. C'est aussi la langue officielle de l'Écosse et de toutes les entités du Royaume-Uni. Donc, c'est en quelque sorte la langue universelle dans cette région du monde.
- Le gaélique écossais
L'un des objectifs du gouvernement écossais est de renforcer la langue gaélique et de soutenir ses locuteurs dans les communautés, et ce, où qu'ils se trouvent en Écosse. L'objectif est d'augmenter les niveaux d'emploi de cette langue, de fournir plus de services au moyen du gaélique et d'en élargir les possibilités d'usage. En particulier, l'objectif inclut le désir de voir une augmentation de l'usage du gaélique dans deux domaines importants, soit la maison et la communauté.
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Traditionnellement, les Hautes-Terres désignaient la région connue sous le nom de "Highlands" en anglais. À certains moments de l'histoire, la langue et la culture de cette région correspondaient au territoire gaélophone, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le gouvernement écossait voudrait créer, comme en Irlande, un "Gaeltacht écessais" du nom de Gàidhealtachd. Rappelons que les régions du Gaeltacht en Irlande sont connues depuis les années 1920; c'étaient des régions où la langue irlandaise était proéminente et soutenue. La législation la plus récente est la Gaeltacht Act de 2012 ou loi de 2012 sur le Gaeltacht. Cette loi redéfinissait les zones irlandaises traditionnelles selon des critères linguistiques au lieu des zones géographiques sur lesquelles elles étaient basées jusqu'en 2012.
En Écosse, le Gàidhealtachd n'est pas interchangeable avec l'expression "Scottish Highlands", car il fait référence à la langue et non à la géographie. En outre, de nombreuses parties des Terres-Hautes (Highlands) n'ont plus de populations importantes de langue gaélique, et certaines parties de ce que l'on considère maintenant comme les Terre-Hautes sont depuis longtemps des régions de langue écossaise ou anglaise. |
À l'inverse, plusieurs communautés de langue
gaélique se trouvent en dehors des zones du Conseil des Terres-Hautes et des
Hébrides extérieures, c'est-à-dire des régions vers lesquelles il y a eu une
migration importante. Bref, l'Écosse a encore du travail à faire. Il existe une controverse la question des Hautes-Terres, car l'usage politique du terme "Highlands" suscite des interprétations divergentes. Certains considèrent le terme "Highlands" comme un lieu spécifique à définir géographiquement. Ils verraient le but de cet engagement de renforcer le gaélique dans les zones où il est parlé par un pourcentage important de la population.
Derrière cela il se cache l'idée qu'il existe des domaines spécifiques où le gaélique a une plus grande visibilité et que des initiatives spécifiques de soutien linguistique devraient avoir lieu dans ces domaines. D'autres croient que l'accent devrait être mis sur le soutien à ceux qui apprennent et parlent la langue, ainsi que dans leurs réseaux et leurs communautés, où qu'ils se trouvent.
- L'écossais moderne
La langue écossaise est reconnue comme une langue minoritaire dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le gouvernement écossais a élaboré une politique de la langue écossaise, qui a été officiellement lancée en 2015. Il s'est également engagé à prendre de nouvelles mesures pour soutenir l'écossais. Il existe un certain nombre d'autres déclarations et engagements qui démontrent le contexte politique dans lequel l'écossais s'inscrit et le niveau de priorité accordé par le gouvernement écossais aux écossais.
Cependant, l'Écosse a connu une forme de colonisation linguistique qui a, jusqu'à présent, dénigré la langue écossaise et l'a entraînée dans la sphère sociale et juridique dévalorisante. Or, les droits linguistiques des locuteurs de l'écossais doivent également être affirmés. Les organismes écossais doivent réussir à normaliser la langue écossaise qui, pour le moment, est fragmentée en un grand nombre de variétés locales. L'orthographe, la grammaire et les dictionnaires normalisés doivent respecter des conventions reconnues, car une orthographe standard de la langue écossaise est essentielle pour élever son statut et améliorer sa pratique de communication et en éducation.
De plus, le gouvernement songe à intégrer la langue écossaise dans le système d'éducation écossais. Les travaux immédiats sur la langue écossaise et l'accessibilité par l'éducation comprendraient la reconnaissance et la certification de locuteurs parlant couramment l'écossais et le soutien à la rétention des enseignants parlant l'écossais aux niveaux primaire et secondaire dans toute l'Écosse, mais surtout dans les localités scottophones. Outre la présence de l'écossais dans l'enseignement ordinaire en Écosse, de nouveaux programmes doivent être élaborés pour atteindre un public plus large. Les universités écossaises doivent garantir que les étudiants puissent poursuivre l'étude approfondie de l'écossais et à un niveau supérieur.
Enfin, un financement est nécessaire pour élaborer et promouvoir tout projet ou toute politique de promotion de la langue écossaise. Tout engagement envers la langue écossaise doit être soutenu par la loi et financé de manière adéquate.
- Un projet de loi linguistique
En août 2022, le gouvernement a présenté le Gaelic and Scots and Scottish Languages Bill, un projet de loi sur le gaélique, l’écossais et les langues écossaises. Le gouvernement a pris un certain nombre d’engagements en faveur des langues gaélique et écossaise. Parmi ceux-ci, quatre engagements clés peuvent être signalés comme particulièrement importants. Ces quatre principaux engagements sont les suivants :
1. élaborer une nouvelle approche stratégique de l’enseignement du gaélique (GME);
2. explorer la création d’un Gàidhealtachd, terme faisant référence à la culture de langue gaélique écossaise dans les Terres-Hautes et les îles environnantes;
3. revoir la structure et les fonctions du Bòrd na Gàidhlig, le principal organisme public en Écosse chargé de promouvoir le développement du gaélique, notamment en fournissant des conseils aux ministres écossais sur les questions gaéliques;
4. agir sur la langue écossaise.
S’il n’est pas résolu rapidement, je prédis une mort lente et progressive des Écossais au cours des prochaines années. Sans aucun organisme centralisé promouvant une vision unifiée de la langue (comme cela s’est produit pour le développement de la plupart des langues principales), je ne vois pas d’avenir pour l’écossais ou le gaélique.Lorsqu’une législation primaire est nécessaire pour ces projets, l’engagement en faveur d’un projet de loi sur les langues écossaises pourrait servir de véhicule législatif qui permettrait de progresser dans la réalisation de ces engagements.
Évidemment, le gouvernement a décidé d'avancer avec précaution, bien que au cours des dernières années il y a eu un bon soutien de la population pour le gaélique. À cette fin, un document de consultation a été élaborer pour chacun des engagements dans le but d'impliquer la population. clés à tour de rôle, décrivant l’engagement clé et les engagements subsidiaires que nous réalisons comme étant liés à ces grands domaines ou pertinents de ceux-ci. Le gouvernement écossais tentera de planter le décor en fournissant un éventail de points de vue qui ont été partagés jusqu’à présent dans le cadre de consultations informelles avec un éventail de parties concernées.
Quoi qu'il en soit, il fallait que le gouvernement écossais intervienne pour sauvegarder, s'il est encore temps, le patrimoine linguistique de l'Écosse. Il suffit de constater l'évolution sur le terrain du gaélique et de l'écossais pour comprendre le déclin de ces langues. Entre les années 1300 et 2000 ces langues ont continuellement régressé au profit de l'anglais.
Cette régression ne s'est pas faite toute seule. Il a fallu des interventions politiques de la part des autorités anglaises au cours des siècles. En effet, en moins de deux siècles, de 1800 à 2000, l'anglais est devenu la langue dominante des communications dans toutes les îles Britanniques. Cette évolution remarquable est finalement le résultat, lors des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, des succès des conquêtes, de la colonisation et du commerce britanniques. Il ne sera pas facile d'inverser la vapeur, car le gouvernement écossais n'a pas la puissance politique qui a si bien servi l'Empire britannique.
Dans l'état actuel des langues dans les îles Britanniques, jamais les langues locales ne réussiront à remplacer l'anglais. Cependant, l'avenir de ces langues repose sur leur statut de langue seconde et d'instrument identitaire. On ne refait pas l'histoire!