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Irlande du Nord(Royaume-Uni) |
L’Irlande du Nord (Éire en irlandais; angl.: Northern Ireland) constitue la partie nord-est de l'île d'Irlande. Cette région de 14 148 km² (soit 1/5 de la république d’Irlande: 70 283 km²) est enclavée au nord-ouest et au sud par la république d’Irlande, mais elle est bordée à l’est par le canal du Nord et la mer d’Irlande (voir la carte 1). Rappelons que le nord de l’Irlande est séparé politiquement du sud de l’Irlande depuis 1921.
L’Irlande du Nord fait partie du Royaume-Uni (angl.: United Kingdom) avec l’Écosse (angl.: Scotland), l’Angleterre (angl.: England) et le pays de Galles (angl.: Wales), alors que la république d’Irlande au sud forme un État indépendant depuis 1937 (voir la carte 2). |
L'Irlande du Nord fait aussi partie de l'Ulster, l'une des quatre grandes provinces historiques de l'île d'Irlande: l'Ulster (Ulaidh) au nord, le Connaught (Connacht) à l'ouest, le Munster (Mumhain) au sud et le Leinster (Laighin) à l'est : on peut consulter la carte des comtés de toute l'île d'Irlande, mais il faut distinguer l'Irlande du Nord de la république d'Irlande.
1.1 La dévolution en Irlande du Nord
Depuis 1922, six des neuf comtés de l'«Uster historique» forment l'Irlande du Nord: Antrim, Armagh, Londonderry, Down, Fermanagh et Tyrone. Les trois autres comtés de la province «historique» de l'Ulster font partie de la république d'Irlande: Donegal, Monaghan et Cavan (voir la carte des comtés de toute l'île d'Irlande). Pour de nombreux Irlandais de la république d'Irlande, les six comtés de l'Irlande du Nord sont «sous domination britannique». Le 2 décembre 1999, des pouvoirs décentralisés («dévolution») ont été transférés à l'Assemblée irlandaise et à l'Exécutif d'Irlande du Nord, même si les deux organismes sont plus souvent «suspendus» qu'en «activité». Depuis la «dévolution» accordée à l'Irlande du Nord, au pays de Galles et à l'Écosse, le gouvernement britannique utilise l'expression devolved administrations («administrations déléguées») pour désigner les trois «entités» en question, ce qui se traduirait en français par «administrations déléguées». En réalité, le seul terme utilisé décrivant le territoire est celui de «area», ce qui équivaut en français à «région». On a également recours aux expressions local authorities («autorités locales») et local government («administration locale») pour désigner les «administrations déléguées», ainsi que le mot nation («nation») pour dénommer la population de chacune des «régions déléguées». On emploie aussi les termes central government («gouvernement central») pour désigner le gouvernement de Londres, qui se trouve aussi à être celui de l'Angleterre. |
Le Royaume-Uni n'étant pas une fédération, il n'est pas adéquat de recourir à des termes tels que «province» (comme au Canada, «État» (comme aux États-Unis, au Mexique ou en Inde) et en Afrique du Sud) ou «canton» (comme en Suisse). Le Royaume-Uni n'a pas non plus retenu les expressions telles que «région autonome» (comme en Italie) ou «communauté autonome» (comme en Espagne). Bref, la terminologie demeure ambiguë pour désigner les nouvelles entités découlant de la dévolution, ce qui signifie «décentralisation». De façon générale, il est préférable de recourir à l'expression «autorités locales» correspondant en anglais à «local authorities».
1.2 La gouvernance locale
En Irlande du Nord, il existe deux formes de gouvernance locale. L'une est associée au gouvernement d'Irlande du Nord, avec un exécutif et une assemblée législative; c'est l'échelon supérieur. L'autre concerne les conseils locaux qui administrent les «districts d'administration locale»; c'est l'échelon inférieur.
- L'Exécutif et l'Assemblée législative
Le système politique actuel de l'Irlande du Nord a été créé en vertu de l'accord de Belfast
ou du Vendredi saint de 1998, qui mettait fin aux «Troubles». La région est dotée d'un exécutif et d'une assemblée. L'Exécutif d'Irlande du Nord (en anglais : "Northern Ireland Executive") constitue la partie exécutive du gouvernement décentralisé («dévolu»). Il est responsable devant l'Assemblée d'Irlande du Nord et fonctionne selon un système de partage du pouvoir entre les unionistes (généralement protestants) et les nationalistes (généralement catholiques). L'Exécutif est dirigé par un premier ministre et un vice-premier ministre, l'un étant unioniste, l'autre nationaliste, en alternance.
L'Assemblée d'Irlande du Nord (en anglais :" Northern Ireland Assembly") est la législature décentralisée («dévolue») d'Irlande du Nord. Composée de 90 membres élus, elle a le pouvoir d'adopter des lois dans les domaines qui ne sont pas «réservés» au Parlement du Royaume-Uni et de désigner l'Exécutif nord-irlandais. L'Assemblée législative fonctionne sur la base du vote intercommunautaire (en anglais: "cross-community vote") : au moment de son élection, tout député doit s'enregistrer comme «nationaliste», «unioniste» ou autrement. Certaines lois, pour être adoptées, doivent réunir non seulement la majorité des suffrages de l'ensemble des députés, mais aussi la majorité des votes dans chaque groupe nationaliste et unioniste.
L'Assemblée siège au palais de Stormont en banlieue de Belfast. Cependant, cette assemblée a souvent été suspendue par Londres qui impose ainsi son administration directe (en anglais: "direct rule"). L'administration fut imposée à plusieurs reprises depuis 1999, date à laquelle l'Assemblée d'Irlande du Nord a été créée et la décentralisation, rétablie. Cette administration directe fut imposée pour la première fois en février 2000 en raison des craintes que l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise, ne dépose les armes comme promis. La décentralisation fut à nouveau suspendue à deux reprises pendant 24 heures en 2001 pour donner plus de temps aux partis de former un exécutif. La plus longue période de gouvernement direct depuis 1999 s'est déroulée entre 2002 et 2007, l'Assemblée d'Irlande du Nord ayant été suspendue à la suite d'une rupture des relations entre les deux partis, et à la suite des élections à l'Assemblée de 2003, les partis n'ayant pas réussi à former un gouvernement. C'est là l'avantage de la dévolution par comparaison à la fédération, Londres peut à tout moment suspendre les institutions politiques locales et prendre le relais.
- L'administration locale
Le gouvernement local en Irlande-du-Nord ("Local government in Northern Ireland", en anglais) s’organise autour de 11 zones d’autorités locales appelées littéralement «districts de gouvernement local» ("Local Government Districts"). En français, on devrait plutôt les appeler des «districts d'administration locale», puisqu'il s'agit d'organismes administratifs et non pas d'organismes exerçant un pouvoir politique. Or, en anglais, le mot "government" possède un sens plus étendu qu'en français : il concerne aussi bien l'administration centrale que les administrations publiques locales ou les collectivités territoriales. C'est pourquoi l'expression "Local Government Districts" doit se traduire par «districts d'administration locale» (voir la carte des 11 districts administratifs).
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De façon plus précise, les districts nord-irlandais sont administrés par des conseils locaux dirigés par des conseillers élus. Ils s'occupent d'une gamme de services de proximité, mais ils n'ont aucune responsabilité en matière d’éducation, de construction de routes ou de logement. Leurs fonctions comprennent la planification, les services de déchets et de recyclage, les services de loisirs et communautaires, le contrôle des bâtiments et le développement économique et culturel local. La perception des taux est gérée de manière centralisée par l’agence des services fonciers et immobiliers de l’exécutif d’Irlande du Nord. De plus, le Bureau de l'Irlande du Nord ("Northern Ireland Office") est un «département exécutif» du gouvernement britannique faisant partie du ministère de la Justice. Le Bureau est dirigé par la Secrétariat d'État pour l'Irlande du Nord ("Secretary of State for Northern Ireland") qui représente également les intérêts de l'Irlande du Nord pour le gouvernement britannique. |
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L'Irlande du Nord compte aussi, rappelons-le, 11 districts d'administration locale (voir la carte). Selon le recensement de 2021, ce sont les districts de Belfast (341 877), d'Armagh, Banbridge & Craigavon (214 090) et de Newry, Mourne & Down (180 012), qui sont les districts les plus populeux. Ce sont aussi des districts majoritairement anglo-protestants et anglo-unionistes. L'Irlande du Nord comptait quelque 1,9 million d'habitants lors du recensement de 2021. Les habitants de l’Irlande du Nord sont d’origine anglaise, écossaise ou irlandaise, si l'on fait exception des immigrants. L’anglais, l'une des langues co-officielles avec l'irlandais, est de loin la langue la plus parlée en Irlande du Nord, soit par 95,3% de la population en 2021. L'écossais d'Ulster est une langue régionale en Irlande du Nord; elle est protégée par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Plusieurs autres langues sont parlées par les immigrants installés en Irlande du Nord, dont la plus importante est le polonais. |
En résumé, les langues principales de l'Irlande du Nord sont les suivantes: l'anglais d'Ulster, le gaélique irlandais, l'écossais d'Ulster, les langues des immigrants.
2.1 L'anglais d'Ulster
Selon le recensement de 2021, dans 95,3% des ménages, toutes les personnes âgées de 16 ans et plus parlaient l’anglais comme langue principale. Mais l'anglais parlé en Irlande du Nord n'est généralement pas celui d'Oxford en Angleterre, c'est l'anglais d'Ulster, appelé aussi "Anglo-Irish", ou anglo-irlandais ou plus précisément «anglais d'Irlande du Nord» (en anglais: "Northern Irish English").
Cet anglais connaît quelques variétés locales dont certaines sont aussi employées dans les comtés voisins de la république d'Irlande, par exemple l'anglais de Derry et l'anglais du sud d'Ulster. Mentionnons aussi l'anglais de Belfast parlé dans la région de la capitale de l'Irlande du Nord. Comme on peut le constater, c'est «l'anglais d'Ulster», c'est-à-dire le "Northern Irish English", qui est la variété d'anglais employée dans la majeure partie de l'Irlande du Nord. Cet anglais a été influencé par les langues irlandaise et écossaise d'Ulster, cette dernière ayant été introduite lors des «plantations d'Ulster» lorsque la Couronne britannique confisqua les terres occupées par les populations gaéliques pour les donner à des colons (appelés "planters") venus de Grande-Bretagne. Toutes ces variétés d'anglais sont aisément intelligibles entre elles, bien que reconnaissables par les locuteurs. L'anglais d'Ulster montre qu'il y aurait aussi quelques différences infimes de prononciation entre protestants et catholiques, dont la plus connue est la lettre [h] que les protestants ont tendance à prononcer en [itch], comme en anglais britannique, alors que catholiques ont tendance à prononcer tel [haich], comme en anglo-irlandais. Cependant, la géographie est un déterminant beaucoup plus important que les variétés linguistiques et l’arrière-plan religieux. |
Une autre langue, bien distincte celle-là, est l'écossais apporté par des colons venus de l'Écosse lors des mêmes «plantations». Bien que l'anglais et l'écossais soient deux langues germaniques, l'intercompréhension entre celles-ci demeure très limitée.
2.2 Le gaélique irlandais
L'irlandais (en gaélique irlandais: "an Ghaeilge") est une langue maternelle d'origine celtique de l'île d'Irlande. Il était parlé principalement dans tout ce qui est maintenant l'Irlande du Nord avant les plantations d'Ulster au XVIIe siècle et la plupart des noms de lieux en Irlande du Nord sont des versions anglicisées d'un nom gaélique. Les derniers locuteurs comme langue maternelle du gaélique irlandais de l'actuelle Irlande du Nord sont morts au XXe siècle, le dernier en 1985.
Aujourd'hui, la langue est associée au nationalisme irlandais, donc à la communauté catholique, alors qu'au XIXe siècle elle était considérée comme un héritage commun, les protestants d'Ulster jouant un rôle de premier plan dans le renouveau gaélique. L'irlandais a été reconnu officiellement en Irlande du Nord pour la première fois en 1998 dans le cadre de l'accord du Vendredi saint et a obtenu le statut de langue co-officielle avec l'anglais en 2022. Lors du recensement de 2021, la population (à partir de trois ans) d'Irlande du Nord avait une certaine connaissance de l'irlandais dans une proportion de 12,4%, contre 11% en 2011. Seulement 0,3% des Nord-Irlandais ont déclaré l'employer à la maison, contre 0,2% en 2011. Lors d'une enquête en 1999, cette proportion était de 1%. |
Le gaélique irlandais et le gaélique écossais sont relativement similaires malgré quelques variantes phonétiques, morphologiques et lexicales, car l'intercompréhension demeure possible. Wikipédia rapporte les exemples suivants entre les deux languies celtiques:
Gaélique irlandais | Gaélique écossais | Équivalent français |
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Gael ou Gaedheal | Gaidheal | Gaël (gentilé) |
gaelach | gaidhealach | gaélique |
scoil | sgoil | école |
séipéal / eaglais / cill | eaglais / cill | église |
páiste / leanbh | pàiste / leanbh | enfant |
gan | gun | sans |
údarás | Valreka | autorité |
oifig | oifis / oifig | bureau |
oscailte / foscailte | fosgailte | ouvert |
bliain | bliadhna | ans |
raidió | radio / rèidio | radio |
rialtas | riaghaltas | gouvernement |
parlaimint / dáil | pàrlamaid / dáil | parlement |
La situation n'ayant que peu changé, le recensement de 2001 donnait les résultats qui suivent au sujet de la langue irlandaise:
Source: Northern Ireland Census 2001 | 3 à 11 ans | 12 à 15 ans | 16 à 24 ans | 25 à 39 ans | 40 à 59 ans | 60 à 74 ans | 75 et plus |
Total |
Ayant une connaissance de l'irlandais | 13 710 (6,1 %) |
25 662 (23,8 %) |
33 874 (16,0 %) |
39 784 (10,7 %) |
36 772 (9,0 %) |
12 735 (6,5 %) |
4 953 (4,9 %) |
167 490 (10,4 %) |
N'ayant aucune connaissance de l'irlandais | 209 420 (93,9 %) |
81 954 (76,2 %) |
177 608 (84,0 %) |
332 076 (89,3 %) |
370 185 (91,0 %) |
184 045 (93,5 %) |
95 179 (95,1 %) |
1 450 467 (89,6 %) |
Total | 223 130 (100,0 %) |
107 616 (100,0 %) |
211 482 (100,0 %) |
371 860 (100,0 %) |
406 957 (100,0%) |
196 780 (100,0 %) |
100 132 (100,0 %) |
1 617 957 (100,0 %) |
Le tableau qui suit présente le degré de connaissance de l'irlandais chez les locuteurs âgés de plus de trois ans. Les données proviennent du Department of Finance and Personnel de 2013.
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En somme, on peut affirmer que 10,6 % des citoyens ont une «certaine connaissance» de l'irlandais et que 89,3 % n'en ont aucune. Dans les faits, il est probable qu'environ 35 000 locuteurs puissent le parler convenablement. Quoi qu'il en soit, tous les irlandophones parlent l'irlandais comme langue seconde.
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Le recensement de 2021 a révélé que seulement 3,2% des résidents d’Irlande du Nord s’identifiaient comme parlant couramment l’irlandais (n°3), mais le ministère de l’Éducation a commencé à investir dans les écoles de langue irlandaise une fois que le Sinn Féin a obtenu ce portefeuille dans les gouvernements précédents de partage du pouvoir. Aujourd’hui, plus de 40 écoles de langue irlandaise pour les enfants âgés de 5 à 18 ans fonctionnent du côté catholique, y compris dans un quartier ouest de Belfast où l’irlandais est promu comme la langue préférée localement. On peut consulter la répartition des locuteurs de l'irlandais par district en cliquant ici s.v.p. Là où la proportion des locuteurs de l'irlandais est la plus élevée, c'est également dans ces districts où les catholiques sont en nombre plus élevé: Armagh, Banbridge & Craigavon; Belfast; Derry & Strabane; Mid Ulster; Newry, Mourne & Down. Par voie de conséquence, les districts protestants semblent plus réticents à apprendre l'irlandais. |
2.3 L'écossais d'Ulster
L'écossais d'Ulster (en anglais: "Ulster-Scots") est l'une des deux langues «nationales» avec l'irlandais en Irlande du Nord. Cette langue germanique est parlée d'abord dans l'est et le sud de l'Écosse en Grande-Bretagne, mais il existe une variété de l'écossais en Irlande du Nord (ainsi que dans le
comté de Donegal en république d'Irlande). L'écossais d'Ulster est parlé dans les comtés d'Antrim, de Down et de Londonderry (voir la carte). Cependant, le recensement de 2001 ne comportait aucune question relative à cette langue. De plus, il n'existe pas de données fiables quant au nombre de ses locuteurs.
La variété de l'écossais d'Ulster (Ulster-Scots), qui est appelée "Ullans" dans les textes juridiques de l'Irlande du Nord. Si cette dernière est appelée "Northern Ireland" en anglais, l'appellation prend la forme de Tuaisceart Éireann en irlandais et de Norlin Airlann en écossais d'Ulster. Dans les faits, l'écossais parlé en Écosse et celui parlé en Irlande du Nord sont aisément reconnaissables par des variantes phonétiques et lexicales mineures. Dans la figure ci-contre, les mots Igangin, Cludgies et Prent Waarkschap sont en écossais d'Ulster, ce qui diffère de l'anglais (Reception, Toilets et Print Workshop). |
Dans le cadre de l'enquête «Northern Ireland Life and Times Survey» de 1999, seulement 2% des personnes interrogées ont déclaré être des locuteurs de l'écossais d'Ulster, ce qui représenterait approximativement 35 000 individus, sans précision sur le degré de connaissance de cette langue. Cette enquête a été effectuée sur un échantillon représentatif de quelque 2200 adultes.
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Le recensement de 2011 confirmait également qu'environ 2% de la population ont déclaré parler l'écossais d'Ulster.
Le nombre de personnes qui la parlent comme langue principale à la maison est faible, avec seulement 0,9% des répondants affirmant pouvoir parler, lire, écrire et comprendre l'écossais d'Ulster, alors que 8,1% ont déclaré avoir «une certaine capacité». Mais le recensement de 2021 montrait que 12,4% (228 600 personnes) de la population âgée de trois ans et plus possédait une certaine maîtrise de la langue écossaise d'Ulster. Bref, l'écossais d'Ulster n'est certainement pas une langue en phase d'expansion. On peut consulter la carte des locuteurs de l'écossais d'Ulster en cliquant ici s.v.p. On remarquera que les protestants ont plus tendance à apprendre l'écossais d'Ulster que les catholiques, mais ce n'est pas absolu. Il est normal qu'il en soit ainsi dans la mesure où l'écossais d'Ulster est une langue relativement proche de l'anglais par comparaison à l'irlandais. Mais cette proximité linguistique vaut également pour les catholiques, car ils parlent l'anglais. |
Cependant, au cours de l'histoire de l'Irlande du Nord, les protestants ont manifesté plus de réticences à apprendre l'irlandais au point de favoriser parfois l'écossais d'Ulster.
2.4 Les langues immigrantes
Cela étant dit, l'Irlande du Nord compte aussi un certain nombre d'immigrants, notamment des Polonais (20 000), des Lituaniens (8900) et des Irlandais de la république d'Irlande (5900), des Portugais (4900), des Slovaques (2300), des Chinois (3300), des Philippins 1300), etc. Les locuteurs des autres langues que l'anglais, l'écossais et le gaélique comptent néanmoins pour plus de 90 000 personnes.
Langue principale | Résidents habituels 2011 | Proportion 2011 | Résidents habituels 2021 | Proportion 2021 |
Anglais | 1 681 171 | 96,86 % | 1 751 510 | 95,37 % |
Polonais | 17 731 | 1,02 % | 20 134 | 1,10 % |
Lituanien | 6 250 | 0,36 % | 8 978 | 0,49 % |
Irlandais | 4 164 | 0,24 % | 5 969 | 0,32 % |
Portugais | 2 293 | 0,13 % | 4 982 | 0,27 % |
Slovaque | 2 257 | 0,13 % | 2 333 | 0,13 % |
Chinois | 2 214 | 0,13 % | 3 329 | 0,18 % |
Tagalog/philippin | 1 895 | 0,11 % | 1 339 | 0,07 % |
Letton | 1 273 | 0,07 % | 1 700 | 0,09 % |
Russe | 1 191 | 0,07 % | 1 605 | 0,09 % |
Hongrois | 1 008 | 0,06 % | 2 172 | 0,12 % |
Autre | 13 090 | 0,75 % | 28 293 | 1,5 % |
Total | 1 734 537 | 100 % | 1 836 616 | 100 % |
Évidemment, tous les locuteurs issus de l'étranger vont finir par s'assimiler à l'anglais.
2.5 Les religions en Irlande du Nord
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Lorsque l’Irlande du Nord fut créée en décembre 1922, alors qu'elle avait une majorité protestante d’environ deux contre un, contrairement à la république d’Irlande, où les catholiques étaient fortement majoritaires. Le recensement de 2001 fut le premier à montrer que la part protestante et chrétienne (non catholique) de la population était tombée en dessous de 50%, mais 53,1% s’identifiaient toujours comme étant d’origine protestante ou chrétienne. Lors du recensement de 2011, ce pourcentage était tombé à 48,4%. En 2021, le nombre de catholiques par origine (45,7 %) dépassait celui des protestants et des autres chrétiens par leur part d’origine (43,48%), bien qu'aucun groupe ne soit majoritaire. Il s’agit d’un retournement historique en Ulster, marqué par les conflits interreligieux. Les protestants sont divisés entre trois dénominations principales : les anglicans de la Church of Ireland (15,3% de la population totale), les presbytériens (20,6%) et les méthodistes (3,5%). |
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On peut consulter la carte de la répartition des religions en Irlande du Nord en cliquant ici s.v.p. On constatera que les protestants sont majoritaires dans six districts (Antrim & Newtownabbey, Ards & Down-Nord; Causeway Coast & Glens; Lisburn & Castlereagh; Mid & Antrim-Est et Newry, Mourne & Down), alors que les catholiques ne sont majoritaires que dans quatre districts (Derry & Strabane; Fermanagh & Omagh; Mid Ulster; Newry, Mourne & Down).
Sauf que les catholiques sont répartis dans sept districts à l'ouest et au sud, avec des populations importantes de sorte qu'au total ils sont majoritaires en Irlande du Nord. Les protestants sont davantage concentrés dans le Centre et l'Est (voir la carte). |
- Les origines
De nombreux protestants d'Ulster sont des descendants des colons arrivés de Grande-Bretagne au début du XVIIe siècle au moment de la colonisation de l'Ulster par des Écossais et des protestants anglophones, principalement des Basses-Terres (Lowlands) de l'Écosse et des régions du nord de l'Angleterre; d'autres migrants protestants écossais sont arrivés en Ulster à la fin du XVIIe siècle. Ceux qui venaient d'Écosse étaient pour la plupart des presbytériens, tandis que ceux qui arrivaient d'Angleterre étaient généralement des anglicans. Il existe également une petite communauté de méthodistes, qui remonte à la visite du pasteur John Wesley en Ulster en 1752. Bien que la plupart des protestants d'Ulster descendent des Écossais et des Anglais, certains descendent également des Irlandais, des Gallois et même des huguenots. C'est depuis le XVIIe siècle que les divisions sectaires et politiques entre protestants et catholiques en Ulster jouent un rôle majeur dans l'histoire de l'Ulster, mais aussi dans toute l'Irlande.
De plus, il s'est manifesté des tensions importantes entre deux groupes de protestants en Ulster, les presbytériens et les anglicans. Or, les lois pénales anglaises discriminaient à la fois les catholiques irlandais et les presbytériens écossais dans le but de forcer leur adhésion à accepter la religion d'État, l'Église anglicane d'Angleterre.
- La cristallisation des religions
Le rôle des religions en Irlande du Nord s’est cristallisé autour de deux projets politiques inconciliables: d'une part, la plupart des catholiques favorisent une réunification de l’île et sont qualifiés de «nationalistes», d'autre part, les protestants préfèrent un renforcement du lien avec la Grande-Bretagne et sont qualifiés d'«unionistes». Le tableau qui suit présente les statistiques des recensements de 2011 et de 2021 sur la répartition des religions en Irlande du Nord.
2011 | 2011 | 2021 | 2021 | |
Religion | Nombre | Pourcentage | Nombre | Pourcentage |
Catholique | 738 033 | 40,8 % | 805 200 | 42,3 % |
Presbytérien (protestant) | 345 101 | 19,1 % | 316 100 | 16,6 % |
Anglican (protestant) | 248 821 | 13,7 % | 219 800 | 11,5 % |
Méthodiste (protestant) | 54 253 | 3,0 % | 44 700 | 2,4 % |
Autre confession protestante | 104 380 | 5,8 % | 130 400 | 6,9 % |
(Total des chrétiens non catholiques) | 752 555 | 41,6 % | 711 000 | 37,4 % |
(Total chrétien) | 1 490 588 | 82,3 % | 1 516 20 | 79,7 % |
Autre religion | 14 859 | 0,8 % | 25 500 | 1,3 % |
Aucune religion | 183 164 | 10,1 % | 331 000 | 17,4 % |
Religion non déclarée | 122 252 | 6,8 % | 30 500 | 1,6 % |
Population totale | 1 810 863 | 100,00 % | 1 903 200 | 100,00 % |
Dorénavant, si la tendance se maintient, les catholiques seront majoritaires, ce qui devrait dans l'avenir modifier le rapport de forces. On peut consulter une carte présentant la répartition géographique des religions catholique et protestantes en cliquant ICI s.v.p.
De façon générale, on emploie les termes «loyalistes» et/ou «unionistes» pour désigner les protestants, ainsi que «nationalistes» et/ou «républicains» pour les catholiques. Les catholiques nationalistes sont divisés, d'une part, entre une tendance républicaine souvent violente, celle de l’IRA (Irish Republican Army ou Armée républicaine irlandaise) et de sa branche politique le Sinn Féin; d'autre part, entre une tendance légaliste du nationalisme constitutionnel, celle du SDLP ("Social Democratic and Labour Party" ou Parti social-démocrate et travailliste). Dans les faits, les protestants ne sont pas tous «loyalistes» et les catholiques, pas tous «républicains».
Les protestants unionistes sont, pour leur part, divisés principalement entre un unionisme officiel incarné notamment par l’UUP ("Ulster Unionist Party" ou Parti unioniste d'Ulster), et les protestants fondamentalistes et le DUP ("Democratic Unionist Party" ou Parti unioniste démocrate).
Qu'ils soient catholiques ou protestants, les Irlandais d'Irlande du Nord parlent pratiquement tous l'anglais comme langue maternelle. Par conséquent, c'est la religion qui sert de marqueur social extrêmement puissant et transcende tous les autres marqueurs éventuels en les conditionnant. Il s'agit toutefois rarement d'une question de foi religieuse, mais plutôt de classe sociale: quand on s'identifie comme catholique on est nationaliste, mais quand on s'identifie comme protestant, on est unioniste, quoique pas nécessairement loyaliste. Par ailleurs, les Églises, catholiques comme protestantes, se veulent non seulement des acteurs politiques de premier plan, mais également les représentants d’une communauté religieuse dont elles défendent les intérêts politiques, économiques et culturels avec un quasi-acharnement. Dans l'avenir, le fait que les catholiques soient devenus majoritaires devraient encourager les partisans d'une réunification avec la république d'Irlande ou encourager les protestants à accepter des compromis.
C'est à partir du IVe siècle avant notre ère que, par vagues successives, les premières populations celtophones arrivèrent dans l'île d'Irlande. Les Celtes imposèrent leur culture et leur langue aux populations qui les avaient précédées. Isolés dans leur île, les Celtes échappèrent à la Conquête romaine et, pour un temps, aux invasions anglo-saxonnes. La religion catholique fut introduite en Irlande à partir du Ve siècle, ce qui donna l’occasion aux Irlandais de se familiariser avec l'alphabet latin, car ils avaient utilisé jusqu'alors l'alphabet grec. Les grands monastères irlandais devinrent des centres éducatifs et culturels; on croit aussi que les plus grands d'entre eux pourraient avoir fonctionné comme des villes pour donner lieu à une importante littérature irlandaise. Entre les VIIe et IXe siècles, ce fut l'âge d'or irlandais: la vie intellectuelle et religieuse fut intense, ce qui valut à l'Irlande d'être surnommée l'«île des Saints et des Savants». Les Irlandais parlaient l'irlandais depuis l’an 350 avant notre ère. Cette langue celtique était véhiculée par les bardes, les druides et les moines. Ce fut la première langue européenne après le latin, qui est demeurée, pendant trois siècles, la plus importante de l’Occident.
3.1 L'Irlande normande
Les Normands avaient conquis l'Angleterre en 1066; c'est
ainsi qu'au cours des décennies suivantes les seigneurs normands soumirent une grande partie du pays de Galles en y établissant leurs propres seigneuries semi-indépendantes. À la fin du XIIe siècle, les Normands
s'installèrent aussi en Irlande, mais par étapes à une époque où l'île, peuplée de nations gaéliques, formait plusieurs royaumes, avec un grand roi principal — appelé le «roi suprême» — qui revendiquait la souveraineté sur toute l'île. L'intervention militaire des Normands fut soutenue par le roi Henri II d'Angleterre (1154-1189) et autorisée par le pape Adrien IV (1154-1159). En octobre 1171, Henri II débarqua en Irlande avec une grande armée anglo-normande afin de contrôler les Normands et les Irlandais. Ce roi, plus français qu'anglais, était aussi duc de Normandie, duc
d'Aquitaine, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine.
C'est à la suite de l'invasion de l'Irlande par les Normands venus du pays de Galles (les Cambro-Normands) et de l'Angleterre (les Anglo-Normands) que fut créée la Seigneurie d'Irlande (1171-1541), appelée en irlandais "Tiarnas na hÉireann". Cette seigneurie couvrait en principe toute l'Irlande, mais l'île demeura sous un contrôle alternatif des seigneurs normands et du roi d'Angleterre par l'entremise de leurs vassaux. On emploie les termes «Hiberno-Normands» pour décrire les seigneurs normands qui colonisèrent l’Irlande, sans se reconnaître de vassalité envers les Anglo-Normands installés en Angleterre. Le mot «Hiberno» provient d’Hibernia, le nom qu'avaient donné les Romains à l'Irlande, sans y être jamais allés. |
On peut comprendre que dans cette situation le gouvernement de l'Irlande n'a pratiquement jamais été capable d'étendre son autorité sur la totalité de l'île; cette autorité fut généralement limitée autour de Dublin et de quelques villes comme Cork, Limerick, Waterford, Wexford, etc. Quant aux Hiberno-Normands, ils détenaient le pouvoir sur de grandes seigneuries, notamment l'Ui Neill au nord et Munster au sud, mais également dans l'Ouest et l'Est (voir la carte ci-dessus).
- La gaélicisation des occupants
Les seigneurs normands, leurs vassaux et les gens d'Église parlaient le franco-normand, alors que dans les territoires sous contrôle irlandais on parlait le gaélique, mais de nombreux petits colons parlaient l'anglais, le gallois ou d'autres langues. Or, les gouvernements anglo-normands basés à Londres s’attendaient à ce que les Hiberno-Normands de la Seigneurie d’Irlande promeuvent les intérêts du royaume d’Angleterre, notamment pas l'usage de la langue anglaise, malgré le fait qu’ils parlaient le franco-normand plutôt que l’anglais.
Mais ce ne fut pas le cas : par le jeu des mariages entre Normands et Irlandais les familles hiberno-normandes ainsi que les familles anglo-normandes s'assimilèrent peu à peu à la société gaélique, de telle sorte qu'ils adoptèrent la culture et la langue irlandaise, selon la formule célèbre "Hibernicis ipsis Hiberniores" («Plus irlandais que les Irlandais eux-mêmes»). Cette tendance ne manqua pas d'inquiéter les rois d'Angleterre qui craignaient que ne s'érode la fidélité de leurs vassaux, puisqu'ils étaient devenus des «Anglais dégénérés», comme on les appelait.
- Les statuts de Kilkenny
Dans un effort pour mettre fin à la gaélicisation en cours des communautés hiberno-normandes et surtout anglo-normandes autour de Dublin et, sous la pression du roi Édouard III d'Angleterre, le Parlement irlandais adopta, le 5 mars 1367 (et non pas en 1366) les statuts de Kilkenny, lesquels interdisaient, entre autres, l’usage de la langue irlandaise, le port de vêtements irlandais, ainsi que l’interdiction pour les Irlandais gaéliques de vivre dans les villes fortifiées. Ces statuts, rédigés en franco-normand, constituaient un ensemble de lois visant à protéger la culture et la langue anglaise. Parmi ses interdictions, les statuts prévoyaient d’interdire ce qui suit:
- d’épouser un Irlandais; - d’adopter un enfant irlandais; - d’utiliser un nom irlandais; - de porter des vêtements irlandais; - de parler la langue irlandaise; - de jouer de la musique irlandaise; - d’écouter les conteurs irlandais; - de jouer à des jeux irlandais; |
- de laisser un Irlandais joindre une maison religieuse anglaise; - de nommer un membre du clergé irlandais dans une église de la colonie anglaise; - de monter à cheval à l’irlandaise (sans selle); - de vendre des chevaux, des armures ou des armes à des Irlandais; d’appliquer les lois de Brehon (lois irlandaises). |
Dans le texte ci-dessous en version franco-normande originale accompagnée d'une version traduite en français, on peut lire la loi n° 3 des Statuts, qui porte sur la langue. Le mot «Anglais» est rendu par "Engleys" ou "Englois" (similaire à "English" en anglais), mais «Irlandais» est rendu par "Irroies" (similaire à "Irish" en anglais).
(Texte original
en franco-normand) III. Item ordine est et establie que chescun Engleys use la lang Engleis et soit nome par nom Engleys enterlessant oulterment la manere de nomere use par Irroies et que chescun Engleys use la manere guise monture et appareill Engleys solonc son estat et si nul Engleys ou Irroies [conversant entre Engleys use la lang Irroies] entre eux-mesmes encontre cest ordinance et de ceo soit atteint soint sez terrez et tentz sil eit seisiz en les maines son Seinours immediate mediate tanque qil veigne a un des places nostre Seignour le Roy et trove sufficient seurtee de prendre et user la lang Engleis et adonques eit restitution de sez ditz terres par breve jussiz hors de la dit placis en cas que tiel person niet terres ne tentez soit son corps pris par ascuns de ministres nostre Seignour le Roy et maunde a la proschin gaole illoeques a demeurer tanque qil ou autre en son nome trove sufficiant suretee en la manere suisdit Et que null Englois quaver le valour de cli de terre ou de rent per anchavauche autrement qen seale enguize de Anglois et celluy que fera le contrarie et de ceo soit atteint soit son chival forfaiet a nostre Seignour le Roy et son corps a la prison tanque qil face fine a la volonte du Roy pour le contemp susdit et auxiant que les beneficers de seint Esglise conversantz entre Anglois use la langue Engleis et sils ne facent eint leur ordinaries les issues de leur benefices tanque ils usent la langue Angloise en le maniere susdit et eient respit de la langue Engloise apprendre et de celles purvier entre cy et le feste seint Michael prochin avent. |
(Version française traduite) III. De plus, il est ordonné et établi que chaque Anglais utilise la langue anglaise, et soit nommé par un nom anglais, laissant entièrement de côté la manière de nommer utilisée par les Irlandais ; et que chaque Anglais utilise la coutume, la mode, la façon de monter et l'habillement anglais, selon sa succession; et si un Anglais ou un Irlandais vivant parmi les Anglais utilise la langue irlandaise entre eux, contrairement à l'ordonnance, et que cela soit atteint, ses terres et immeubles, s'il en a, seront saisis entre les mains de son seigneur immédiat, jusqu'à ce qu'il vienne à l'un des endroits de notre seigneur le roi, et trouve une caution suffisante pour adopter et utiliser la langue anglaise, et alors il aura restitution de ses dites terres ou immeubles, son corps sera pris par l'un des officiers de notre seigneur le roi, et commis à la prochaine prison, pour y rester jusqu'à ce que lui, ou quelqu'un d'autre en son nom, trouve une caution suffisante de la manière susmentionnée: Et qu'aucun Anglais qui aura la valeur de cent livres de terre ou de rente à l'année, montera autrement que sur une selle à la mode anglaise; et celui qui fera le contraire, et qui en sera atteint, son cheval sera confisqué au profit du roi notre seigneur, et son corps sera mis en prison, jusqu'à ce qu'il ait payé une amende selon le bon plaisir du roi pour l'outrage susmentionné ; et aussi, la manière susmentionnée; et ils auront du répit pour apprendre la langue anglaise, et fournir des selles, entre ceci et la prochaine fête de saint Michel à venir. |
- Les conséquences
Le fait d'enfreindre l’une des lois des statuts équivalait à être «coupable de trahison», ce qui était passible de la peine de mort. Bien que ces statuts soient restés théoriquement en vigueur jusqu'au XVIIe siècle, ils n'ont à peu près jamais été appliqués, faute de moyen pour les mettre en pratique. Occupés par la guerre de Cent Ans, puis par la guerre des Deux Roses, les rois d’Angleterre ne furent guère en mesure de faire appliquer ces statuts. Jusqu’à la fin du XVe siècle, leur autorité se réduisit à une courte zone côtière de Dundalk à Dublin : la majeure partie de l’Irlande échappait ainsi à la tutelle anglaise. Bref, les statuts de Kilkenny ne parvinrent pas à enrayer la gaélisation des familles nobles hiberno-normandes et anglaises. Néanmoins, ces textes de loi eurent un impact profondément négatif sur les relations entre Irlandais et Anglais, car ils laissaient entendre que les premiers faisaient partie d’une «sous-race» qu'il fallait rééduquer.
3.2 La domination anglaise
C’est avec l’avènement des Tudors que commença véritablement la mainmise anglo-saxonne sur l’Irlande. Elle fut à la fois politique, économique, religieuse et linguistique.
L'arrivée des Tudor en 1454 changea complètement le destin des Irlandais. Les rois Henri VII (1485-1509) et Henri VIII (1509-1547), ainsi que la reine Élisabeth Ire (1558-1603), transformèrent radicalement le royaume d'Angleterre. Henri VIII réprima cruellement les velléités d'insoumission en se faisant nommer «roi d'Irlande». La conquête militaire entamée par Henri VIII eut pour effet de détruire toute autorité celtique et de favoriser l’expropriation de toutes les terres cultivables pour les donner à des colons anglais. Toute la richesse s’est alors retrouvée entre les mains des Anglais ainsi que le développement économique et social. La langue de l’école devint aussitôt l’anglais, alors que la langue irlandaise fut simplement interdite. Pourtant, dans la vie quotidienne, la langue irlandaise restait la seule langue parlée par la population d'origine en Irlande. |
- Les plantations en Ulster
Mais la conquête anglaise se poursuivit pendant soixante ans, soit jusqu'en 1603, lorsque la totalité de l'Irlande passa sous l'autorité personnelle du roi Jacques Ier d'Angleterre (1603-1625), qui exerça son pouvoir par l'intermédiaire de son conseil privé de Dublin. Cette emprise fut parachevée par la «fuite des comtes» irlandais en 1607, celle-ci étant un tournant de l'histoire de l'Irlande, puisque l'ancienne aristocratie gaélique de l'Ulster partait définitivement en exil.
De plus, cet exil prépara le terrain pour l'instauration du
système des «Plantations» en Ulster. Il s'agissait pour la Couronne anglaise de
coloniser toute l'île d'Irlande en confisquant des terres occupées par les clans
gaéliques pour les attribuer à des "planters" venus de la Grande-Bretagne,
c'est-à-dire des colons, des planteurs (73% des terres), des soldats et des
domestiques anglais (13%), fidèles à la couronne irlandaise (14 %). Jacques Ier d'Angleterre confisqua ainsi cinq millions d'acres de terres.
Les colons qui obtinrent des plantations ont dû promettre ou s'engager à payer un loyer, construire des villes (p. ex., Londonderry, Coleraine, etc.), parler anglais, respecter la Common Law anglaise, favoriser les versions protestantes du christianisme (anglicane et presbytérienne), promouvoir la culture et les coutumes anglaises, introduire de nouvelles méthodes agricoles, etc. |
Le système des plantations apporta de nombreux changements en Ulster. La population augmenta rapidement avec l'arrivée de milliers de colons anglais et écossais, dont beaucoup avec leurs femmes et leurs enfants. De nouvelles villes et de nouveaux villages furent créés, ainsi que des écoles, des usines, etc. Ces colons apportèrent de nouveaux noms et de nouvelles coutumes en Irlande, même de nouvelles religions (presbytérienne et anglicane). Mais les plantations en Irlande furent généralement réservées aux Anglais et aux Écossais. Lorsque les terres dans certains comtés appartenaient à ces colons, ils conservaient un droit acquis pour les exploiter. C'est ainsi que des propriétaires anglais acquirent de grands domaines, notamment dans le comté de Monaghan, mais aussi dans les comtés d'Atrim et de Down. Les années 1630 et 1640 furent l'apogée des «plantations». Celles-ci offrirent aux colons des terres boisées bon marché et des pêcheries abondantes et, en même temps, la Grande-Bretagne établissait à sa façon une base loyale à la Couronne britannique, et non au pape. Finalement, expropriés, des milliers d'Irlandais durent immigrer, comme engagés «volontaires« dans les colonies antillaises ou ailleurs en Amérique, dont au Canada où vivaient des francophones catholiques.
Mais l'Ulster ne fut pas la seule région à avoir été «plantée», car au même moment où la plantation d'Ulster se développait, les Anglais naviguaient déjà à travers l'océan Atlantique pour fonder des colonies de plantation en Virginie et ailleurs en Amérique. En même temps, près de 125 000 colons anglais s'installèrent en Irlande, au cours de la seule année 1641, ce qui déclencha la Rébellion irlandaise.
- La répression anglaise et la minorisation irlandaise
Dès 1649, en Irlande, la répression d'Oliver Cromwell — lord Protecteur de 1653 à 1658) — fut impitoyable, alors que la «pacification» ne prit fin qu'en 1653. Les catholiques irlandais furent déportés par milliers dans les
comtés de Clare et de Connacht. Le «pieux» Cromwell se justifiait en y voyant le «jugement de Dieu» et en ajoutant que «cette amertume épargnera d'autres effusions de sang». Cromwell publia un nouveau règlement territorial qui octroyait les bonnes terres aux Anglais et confinait les anciens propriétaires dans les landes du Connacht. Cromwell aurait alors prononcé ces paroles: "To Connacht or to Hell", c'est-à-dire «Le Connacht ou l'enfer»,
tout un choix! Ce comté servit en effet pendant longtemps de zone refuge aux Irlandais catholiques face à l'oppresseur britannique, les plantations de colons protestants s'effectuant de préférence dans l'est de l'île.
Puis les lois pénales adoptées entre 1695 et 1727 furent dirigées contre les catholiques qui se trouvèrent exclus de l'armée, de l'administration et des professions libérales; il leur était même interdit de faire instruire leurs enfants en irlandais. Malgré tout, la langue irlandaise réussit à résister à l'anglais. Les mêmes lois interdirent aux catholiques d’avoir leurs propres écoles, d’embaucher des tuteurs à domicile et de poursuivre l’instruction de leurs enfants à l’étranger. |
Par conséquent, afin de fournir aux enfants non anglicans les rudiments de l’arithmétique, de la lecture et de l’écriture, il devint habituel pour les enseignants catholiques d’enseigner des cours cachés dans la campagne avec une sentinelle surveillant les autorités. La situation évolua rapidement, car l'Angleterre fit venir encore des milliers de colons anglais en Irlande, surtout dans le Nord en Ulster, de façon à modifier la démographie. La répression anglaise fut suivie d'une nouvelle distribution des terres à des Anglais, ce qui créa une situation complexe dans les rivalités religieuses en plaçant en concurrence les religions catholique, anglicane et presbytérienne. La langue irlandaise était encore parlée dans toute l'île, mais beaucoup d'Irlandais n'osaient plus le parler en public. Même l'Église catholique considérait, contre toute logique, que la langue irlandaise constituait un obstacle à l'avancée du protestantisme en Irlande et encourageait l'enseignement de l'anglais.
La répression anglaise s'est intensifiée non seulement contre les catholiques irlandais, mais aussi contre les presbytériens par les anglicans après la «Glorieuse Révolution», en anglais "Glorious Revolution" ou "Bloodless Revolution", ce qui signifiait «Révolution sans effusion de sang»), qui eut lieu de 1688 à 1689 et décrite dans un premier temps comme «pacifique». Après la Test Act de 1703, qui imposait aux habitants l'adhésion à la religion anglicane d'Angleterre pour être admissibles à un emploi public et des sanctions sévères prononcées contre les récalcitrants, qu'ils soient catholiques ou presbytériens.
C'est ainsi que l'imposition de cette mesure discriminatoire entraîna une forte émigration vers l'Amérique britannique, surtout de la part des presbytériens d'Ulster, mais aussi par les Irlandais. catholiques. Entre 1717 et 1775, environ 200 000 personnes immigrèrent vers ce qui est devenu les États-Unis. Vingt-cinq ans plus tard, des centaines de milliers d'Irlandais catholiques choisirent le Haut-Canada protestants, car le prix du voyage vers ce pays était beaucoup plus bas que ceux vers les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Néanmoins, quelque 50 000 trouvèrent refuge au Bas-Canada, catholique et francophone, notamment dans les viles de Québec et de Montréal.
- Une autonomie législative limitée
Après avoir été complètement dominée et exploitée par l'Angleterre, l'Irlande n’obtint son autonomie législative qu’en 1782-1783 en tant que «nation protestante» libre avec ses deux parlements, l'un à Dublin, l'autre à Belfast. En 1737, le Parlement britannique promulgua une loi sur l’administration de la justice en matière de langue: l'"Administration of Justice (Language) Act (Ireland)". Cette loi réglementait l’emploi des langues dans les tribunaux dans toute l'Irlande. La loi énonçait que l’administration de la justice devait obligatoirement employer la langue anglaise, et non pas le latin, ni le français ni aucune autre langue. Cette loi a eu pour conséquence d’interdire l’usage de l’irlandais dans les tribunaux. C'est de cette façon qu'elle a été interprétée et mise en œuvre. On peut la lire en cliquant ICI, s.v.p.
3.3 Les traités d'Union de 1800
En 1800, les "Acts of Union" (traités d'Union) unirent le Royaume-Uni de Grande-Bretagne, lui-même le résultat d'une union des royaumes d'Angleterre et d'Écosse depuis 1707, et le royaume d'Irlande, ce qui donnait ainsi naissance au
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande. On parle de traités, parce que chaque document avait été approuvé par le Parlement de Westminster et le Parlement d'Irlande. Cela signifiait que dorénavant les lois devaient être adoptées par le seul Parlement de Westminster. L'Irlande eut le droit d'envoyer des députés au Parlement anglais, mais les lois de cette époque excluaient tous les non-anglicans de la représentation à la Chambre, ce qui correspondait à plus de 80%de la population irlandaise, majoritairement catholique.
Les députés irlandais présents à la Chambre furent donc très majoritairement des anglicans de langue anglaise qui assistèrent avec plus ou moins d'enthousiasme à l'adoption des lois s'appliquant à l'Irlande. L'anglais devint en Irlande l'unique langue du pouvoir politique, de l'administration, de la justice, des affaires, etc. |
En vertu des directives de 1831, les écoles devinrent des établissements non confessionnels offrant une instruction religieuse distincte, consistant souvent en une simple lecture de la Bible, pour les différentes confessions. Pendant que les autorités locales britanniques augmentaient progressivement leur contrôle sur les écoles publiques, en retour de fonds supplémentaires, l'anglicisation des gaélophones gagnait du terrain. Tout poussait les Irlandais à troquer leur «vieille langue gaélique» pour l'anglais associé à la langue de la modernité. En 1841, à la veille de la Grande Famine, 50 % des huit millions d'Irlandais parlaient encore l'irlandais. Puis un million à un million et demi d'Irlandais périrent de faim et de maladie, tandis qu'un million et demi d'autres furent contraints d'abandonner leur terre natale. La saignée fut considérable, et l'Irlande n'a jamais pardonné à l'Angleterre cette catastrophe sans précédent. Une dizaine d'années plus tard, le progrès de l’anglicisation a été tel que plus de 80 % des Irlandais ne parlaient plus qu’anglais, puis 12 % étaient devenus bilingues et 8 % ne parlaient encore que l’irlandais. En 1851, le Gaeltacht n'était plus constitué que de la côte ouest de l'île d'Irlande, ainsi qu'une partie au sud.
Il faut dire que les Anglais avaient pratiqué un génocide assez réussi: famines, massacres, esclavage, déportations, etc. Les survivants des massacres et des famines qui n’ont pas émigré ont dû s’assimiler pour pouvoir survivre. Les recensements parlent d'eux-mêmes: 8,1 millions d'habitants en 1841, contre 3,4 millions en 1891. C'est là un dépeuplement radical! |
L'anglais prit ainsi toute la place: tandis que les locuteurs de l’irlandais étaient massivement assimilés, un mouvement en faveur de la préservation de l'irlandais apparut, l'organisation la plus influente étant la Gaelic League («Ligue gaélique») créée en 1893. Les partisans de la ligue prônèrent le retour de l’irlandais dans la vie sociale, au lieu de simplement tenter de la préserver. L’importance de ce mouvement de restauration linguistique fut considérable dans la mesure où il fut ensuite intégré dans le combat pour l'indépendance politique.
En 1856, Friedrich Engels (1820-1895), philosophe allemand et grand ami de Karl Marx, visita l'Irlande en compagnie de sa femme, Mary Burns, d'origine irlandaise. Le caractère colonial de la situation irlandaise l'avait choqué. Dans une lettre à Karl Marx, daté du 23 mai 1856, il écrivait :
On peut regarder l'Irlande comme la première colonie anglaise, comme une colonie qui, à cause de sa proximité, est encore gouvernée selon l'ancien système; et l'on s'y rend compte que la prétendue liberté des citoyens anglais a pour fondement l'oppression des colonies. Dans aucun pays je n'ai vu autant de gendarmes, et le gendarme prussien à mine patibulaire a trouvé son expression la plus parfaite dans cette police armée de carabines, de baïonnettes et de menottes. |
Quelques années plus tard, Marx écrira à Engels: «En aucun autre pays d'Europe, la domination étrangère n'a pris cette forme directe de l'expropriation des indigènes.» D'ailleurs, cette constatation allait devenir le point central de la pensée de Karl Marx sur l'Irlande: l'asservissement impérialiste de l'Irlande permet celui du prolétariat anglais, et l'émancipation de ce dernier n'est pas possible avant la libération de l'Irlande.
Le premier ministre du Royaume-Uni, Herbert Henry Asquith (mandat du 5 avril 1908 au 5 décembre 1916), dans le but d'éviter une guerre civile en Irlande et de gagner l'appui des Irlandais du Sud, proposa d'accorder une autonomie politique à l'Irlande tout en demeurant au sein du Royaume-Uni. En septembre 1914, après le déclenchement du conflit entre catholiques et protestants, le premier ministre annonça qu'un projet de loi sur l'autonomie de l'Irlande (le 4e projet de loi sur cette question: le Fourth Home Rule Bill), sera inscrit dans le recueil des lois, mais qu'il n'entrerait en vigueur qu'après la guerre. Dans l'intervalle, un projet de loi selon un statut spécial à l'Ulster serait retenu.
Le gouvernement britannique pensait ainsi avoir trouvé une solution satisfaisante pour toutes les parties. Mais la relative prospérité de l’Ulster, comparée au reste de l’île ainsi que le fondamentalisme religieux protestant et les aspirations des Irlandais à l'indépendance ne pouvaient que faire rejeter ce processus, qui mécontentait tout le monde, tant les descendants des plantations que les indépendantistes irlandais.
- Les deux Irlande
L'Irlande du Nord fut mise en œuvre par le premier ministre britannique David Lloyd George (mandat du 6 décembre 1916 au 19 octobre 1922) en 1920, lorsque la Loi sur le gouvernement de l'Irlande du Nord ("Government of Ireland Act 1920") divisa l’île d'Irlande. Dès lors, Londres institua deux parlements «religieux» en Irlande, chacun devant être autonome avec des pouvoirs limités et des domaines «réservés» à Londres: l'un était à majorité anglo-protestante dans la province de l'Ulster (capitale: Belfast), l'autre était devenu à majorité anglo-catholique dans le reste de l'Irlande (capitale: Dublin). Les deux Irlande, celle du Nord et celle du Sud, durent prêter serment d'allégeance à la couronne d'Angleterre, car elles faisaient toujours partie du Royaume-Uni.
De plus, le traité anglo-irlandais concédait un statut d'«État libre» à 26 des 32 comtés de l'Irlande, soit tout le Sud à grande majorité catholique. Les six autres comtés, situés en Ulster et dont les citoyens étaient majoritairement protestants, restèrent au sein de la Grande-Bretagne comme l'Angleterre, l'Écosse et le pays de Galles. Le problème qui allait vite survenir n'était pas dû à la partition elle-même en deux Irlande autonomes du Royaume-Uni, mais dans les modalités particulières appliquées en Irlande du Nord.
Tel que le souhaitaient les unionistes d'Ulster et leurs partisans à Westminster, l’Irlande du Nord obtenait une nette majorité unioniste, qui voulait rester au sein du Royaume-Uni; les protestants obtenaient ainsi six des neuf comtés de l'Ulster (Londonderry, Atrim, Tyrtone, Fermanagh, Armagh et Down), les comtés trop catholiques de Donegal, de Cavan et de Monaghan demeurant exclus. La loi de partition ne prévoyait aucune disposition concernant les langues parlées. Cette situation concernant l'Irlande du Nord symbolisait le désir des protestants de demeurer britanniques. Pour les membres de cette communauté, qui formaient à l’origine 66% de population de la région, le fait de demeurer britannique signifiait de faire de l’Irlande du Nord un État aussi résolument protestant que le Sud pouvait être catholique. Il y avait une nette différence entre les deux Irlande. Les protestants du Nord étaient des fondamentalistes souvent de l'ordre d'Orange dont le but était de favoriser les objectifs du protestantisme, alors que les catholiques du Sud avaient un objectif politique, l'indépendance de l'Irlande. En Irlande du Nord, le gouvernement unioniste mit en place une police spéciale qui devint bientôt une milice protestante populaire; ses membres manquaient de discipline et de formation, et maltraitaient souvent les civils catholiques, alors que les autorités dissimulaient systématiquement leurs erreurs et leurs crimes. Les protestants du Nord comptaient sur «leur» gouvernement et sur la solide majorité unioniste au Parlement pour défendre avant tout leurs intérêts. |
De leur côté, la majorité des catholiques ne croyaient pas que la coopération avec les unionistes était possible et soutenaient la politique de non-reconnaissance de l’Irlande du Nord, en cela encouragée par les dirigeants du Sud dans l’espoir de mettre fin à la partition et d’unir bientôt toute l'île. Le gouvernement britannique avait néanmoins prévu des mesures de protection à l'égard des minorités religieuses dans les deux Irlande. À cet effet, l'article 5 de la Loi sur le gouvernement de l'Irlande du 23 décembre 1920 ("Government of Ireland Act") interdisait aux législatures irlandaises de favoriser une religion aux dépens d'une autre. De telles dispositions devaient assurer une pleine liberté de religion aux protestants anglais de l'Irlande du Sud et aux catholiques de l'Irlande du Nord. Voici le texte de cet article 5 de la Loi sur le gouvernement de l'Irlande (1920):
Section 5.
1) In the exercise of their power to make laws under this Act neither the Parliament of Southern Ireland nor the Parliament of Northern Ireland shall make a law so as either directly or indirectly to establish or endow any religion, or prohibit or restrict the free exercise thereof, or give a preference, privilege, or advantage, or impose any disability or disadvantage, on account of religious belief or religious or ecclesiastical status, or make any religious belief or religious ceremony a condition of the validity of any marriage, or affect prejudicially the right of any child to attend a school receiving public money without attending the religious instruction at that school, or alter the constitution of any religious body except where the alteration is approved on behalf of the religious body by the governing body thereof, or divert from any religious denomination the fabric of cathedral churches, or, except for the purpose of roads, railways, lighting, water, or drainage works, or other works of public utility upon payment of compensation, any other property, or take any property without compensation. |
Article 5
1) Dans l'exercice de leur pouvoir de légiférer en vertu de la présente loi, ni le Parlement d'Irlande du Sud ni le Parlement d'Irlande du Nord ne doivent adopter de loi de manière directe ou indirecte pour établir ou favoriser une religion, ou pour interdire ou restreindre le libre exercice ou pour accorder une préférence, un privilège ou un avantage, ou pour imposer une incapacité ou un désavantage, en raison de la croyance religieuse ou du statut religieux ou ecclésiastique, ou de faire d'une croyance religieuse ou d'une cérémonie religieuse une condition de la validité d'un mariage, ou d'affecter de manière préjudiciable le droit d'un enfant de fréquenter une école recevant des fonds publics sans assister à l'instruction religieuse à cette école, ou de modifier la constitution d'un organisme religieux, sauf si la modification est approuvée au nom de l'organisme religieux par l'organisme directeur de celui-ci, ou de détourner de toute confession religieuse le bâtiment des églises cathédrales ou, sauf pour les routes, les chemins de fer, l’éclairage, l’eau ou les travaux de drainage ou d’autres travaux d’utilité publique, ou s'approprier tout autre bien sans le paiement d’une indemnisation. Une loi faite en violation des restrictions imposées en 1920 après J.-C. par le présent paragraphe sera, dans la mesure où elle contrevient à ces restrictions, considérée nulle. |
L'effet pervers de cet article 5, c'est que la minorité anglo-protestante fut effectivement protégée en Irlande du Sud, mais pas la minorité catholique en Irlande du Nord. Seuls les protestants se sont trouvés dans les faits protégés, tandis que les catholiques allaient subir les effets de la discrimination érigée en système. La Home Rule, une loi de partition, d'où le nom qu'on lui donna ("Partition Act"), devait être en principe strictement temporaire.
- Le parlementarisme subordonné
Pour contrer les effets indésirables du parlementarisme dans les deux Irlande, le gouvernement britannique avait prévu une régime de subordination politique. L'article 75 de la Loi sur le gouvernement irlandais de 1920 énonçait formellement que l'établissement des parlements d'Irlande ne supprimait ni ne diminuait l'autorité du Parlement du Royaume-Uni, qui pouvait restreindre, élargir ou supprimer n'importe quand l'autonomie des deux Irlande:
Article 75 Saving for supreme authority of the Parliament of the United Kingdom. Notwithstanding the establishment of the Parliaments of Southern and Northern Ireland, or the Parliament of Ireland, or anything contained in this Act, the supreme authority of the Parliament of the United Kingdom shall remain unaffected and undiminished over persons, matters, and things in Ireland and every part thereof. |
Article 75 Pour sauvegarder l'autorité suprême du Parlement du Royaume-Uni Nonobstant l'établissement du Parlement d'Irlande du Sud et d'Irlande du Nord, ou du Parlement de l'Irlande, ou de toute disposition contenu dans la présente loi, l'autorité suprême du Parlement du Royaume-Uni sur les citoyens ne sera affectée ni diminuée sur des questions et sujets en Irlande et pour chacune de ses parties. |
Si le parlementarisme britannique s'était révélé positif pour l'Angleterre, il n'en fut pas de même pour l'Irlande, trop divisée dans les domaines religieux, social, politique et économique. Deux communautés durent s'affronter tout en s'ignorant totalement, chacune motivée par la peur de l'Autre, le signe extérieur de cet affrontement demeurant la religion, catholique pour l'une, protestante pour l'autre.
D'ailleurs, le jour de l'adoption de la Loi sur le gouvernement irlandais, le 11 novembre 1920, s’exprimant devant la Chambre du Parlement de Westminster, le député irlandais représentant le comté de North East Tyrone, Thomas Harbison (1864-1930), prédit ainsi les violences qui se produiraient avec l'adoption de ce projet de loi:
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Le député Harbison n'était pas un révolutionnaire, il représentait un comté qui devait être inclus dans cette partition qu'il estimait «arbitraire» de sa terre natale. Dans son discours à Westminster, il interrogea le premier ministre britannique (David Lloyd George) sur le fait que les neuf comtés de l'Ulster ne faisaient pas tous partie de la partition. Pourquoi les trois comtés de Donegal, de Cavan et de Monaghan n'étaient pas inclus et pourquoi ils resteront dans l'Irlande du Sud? Ce député irlandais, nationaliste et loyaliste, avait bien compris que le découpage des comtés avait pour objectif de favoriser les protestants aux dépens des catholiques. En ce sens, il estimait que le projet de loi serait une injustice pour les Irlandais. Thomas Harbison ne fut pas le seul à trouver que le gouvernement britannique allait favoriser la discrimination systématique et favoriser une constante rébellion.
3.5 Un État protestant et unioniste
Les élections irlandaises eurent lieu le 24 mai 1921, au cours desquelles les unionistes remportèrent la plupart des sièges au Parlement d’Irlande du Nord. Celui-ci s'est réuni pour la première fois le 7 juin de cette année-là et forma son premier gouvernement décentralisé, dirigé par le chef du Parti unioniste d’Ulster,
James Craig, qui sera premier ministre de 1921 à 1940; les députés nationalistes irlandais refusèrent d’y assister et d'entendre le roi George V qui s’adressait à la cérémonie d’ouverture le 22 juin.
Cela dit, le gouvernement britannique avait pris soin, dès 1921, d’instituer dans la Constitution de l’Irlande du Nord des garanties précises pour la minorité nationaliste, notamment les élections législatives au Parlement régional devaient se dérouler selon la formule de la proportionnelle. Cependant, les catholiques, sous la pression de leur Église, refusèrent aussitôt toutes ces nouvelles institutions et les boycottèrent, ce qui laissait le champ libre aux éléments les plus radicaux des unionistes. |
- Des pratiques discriminatoires
En 1922, le gouvernement nord-irlandais à majorité protestante abolit aisément la représentation proportionnelle en la remplaçant par un système de votation favorable à la communauté protestante. De plus, la minorité catholique s'est mise à refuser également le système d'éducation imposé en Irlande du Nord; celui-ci comportait un enseignement en anglais et des services anglicans, alors que la religion de l'État était l'anglicanisme. L'Église catholique irlandaise alla jusqu’à menacer ses fidèles d’excommunication en cas de fréquentations des établissements d’enseignement publics nord-irlandais.
Pendant ce temps, la majorité en Irlande du Sud, qui devait devenir l’État libre d’Irlande en 1922, et une minorité significative en Irlande du Nord regroupaient des nationalistes irlandais, généralement catholiques, qui voulaient une Irlande indépendante unie. Aujourd’hui, en Irlande du Nord, les premiers se considèrent avant tout comme des Britanniques et les seconds comme des Irlandais, tandis qu’une identité nord-irlandaise est revendiquée par une minorité issue de toutes origines.
- La Loi sur les autorités civiles de 1922
Tel que convenu avec les unionistes protestants, la frontière de l’Irlande du Nord avait été tracée pour lui donner «une majorité protestante décisive». À ce moment, la population de l’Irlande du Nord était composée des deux tiers de protestants et d’un tiers de catholiques, de sorte que les unionistes, massivement loyalistes au souverain anglais, maintenaient avec satisfaction leur lien avec la Grande-Bretagne, tandis que les catholiques nationalistes du Nord, souvent républicains, devaient ravaler leurs revendications de faire partie d'une Irlande unie indépendante.
Le Parlement d'Irlande du Nord adopta en 1922 la Loi sur les autorités civiles ("Civil Authorities - Special Powers Act"), souvent appelée simplement «Loi sur les pouvoirs spéciaux» et connue aussi sous le nom de "Flogging Act" (ou «Loi sur la flagellation»).
Cette loi «sur les pouvoirs spéciaux», l'une des lois les plus répressives jamais promulguées, fut employée pendant cinquante ans par le régime unioniste dans les six comtés de l'Ulster. Dirigée presque exclusivement contre la minorité nationaliste, la loi donnait au ministre de l'Intérieur du Nord, alors Richard Dawson Bates, des pouvoirs considérables pour restreindre et suspendre les libertés civiles. Le ministre pouvait ordonner des arrestations sans mandat, interner les individus sans jugement, interdire les enquêtes, etc., sans jamais consulter le Parlement de Stormont. Les délits étaient passibles au mieux de la flagellation — le fouet des prisonniers dans les prisons avec un "chat à neuf queues", un fouet formé de multiples cordes qui déchiraient la peau du dos de la victime — ou au pire de la peine de mort. Malgré la rhétorique accompagnant la loi qui affirmait qu'elle visait à rétablir l'ordre public — comme freiner la violence et instaurer l'ordre public —, ces dispositions, sans aucune allusion aux langues, étaient destinées à maintenir la minorité catholique sous haute surveillance. |
Dans la période couvrant le mois de mai 1922 au mois de décembre 1924, plus de 700 catholiques irlandais furent internés en vertu de cette loi extrêmement sévère. Les vastes pouvoirs accordés au gouvernement nord-irlandais rendirent cette loi très controversée; elle fut considérée par une grande partie des nationalistes irlandais comme un outil d'oppression unioniste en Ulster. Cette loi fut renouvelée chaque année et en 1928 elle fut renouvelée pour cinq ans et rendue permanente en 1933; elle allait être abrogée seulement en 1973 par la Loi constitutionnelle d'Irlande du Nord ("Northern Ireland Constitution Act") adoptée par Westminster. Pendant un demi-siècle, le Parlement britannique n'est jamais intervenu pour arrêter le massacre.
- « Un parlement protestant pour un peuple protestant »
Les unionistes, désormais libérés d'une majorité nationaliste et catholique, contrôlèrent l'Assemblée législative nord-irlandaise; ils pouvaient ainsi rester d'ardents défenseurs de l'intégrité du Royaume-Uni. Et en raison de leur confortable majorité, ils transformèrent l'Irlande du Nord en un État protestant-unioniste, ce qui signifiait que les fonctions clés du pouvoir étaient toutes détenues par un parti unique. De plus, le découpage des circonscriptions électorales avait été effectué de sorte que le Parti unioniste se voyait accorder la majorité des sièges jusque dans les conseils locaux. Sir James Craig (1748-1812), le premier premier ministre de l'Irlande du Nord, définissait ainsi le caractère des institutions nord-irlandaises: A Protestant Parliament fort a Protestant People. En réalité, les paroles de James Craig sont quelque peu différentes lorsqu'on les lit dans leur contexte. Cette petite phrase originale fut publiée dans les débats parlementaires nord-irlandais du 24 avril 1934. Répondant à un membre du Parti nationaliste, George Leeke, Craig formula la réponse suivante:
The hon. Member must remember that in the South they boasted of a Catholic State. They still boast of Southern Ireland being a Catholic State. All I boast of is that we are a Protestant Parliament and a Protestant State. It would be rather interesting for historians of the future to compare a Catholic State launched in the South with a Protestant State launched in the North and to see which gets on the better and prospers the more. It is most interesting for me at the moment to watch how they are progressing. I am doing my best always to top the bill and to be ahead of the South. | L’honorable député doit se rappeler que dans le Sud, on se vantait d'être un État catholique. On se vante toujours d’être un État catholique en l’Irlande du Sud. Tout ce dont, moi, je me vante, c’est que nous sommes un parlement protestant et un État protestant. Il serait plutôt intéressant pour les historiens du futur de comparer un État catholique établi dans le Sud avec un État protestant établi dans le Nord et de voir lequel s’entend le mieux et prospère le plus. C’est très intéressant pour moi en ce moment de voir comment [les Irlandais] progressent. Je fais toujours de mon mieux pour être en tête d’affiche et de devancer le Sud. |
Ce qu'il faut comprendre, c'est que la majorité protestante de l'Irlande du Nord se trouvait légitimée de fonctionner comme elle l'entendait en discriminant les catholiques parce que, semble-t-il, les Irlandais dans le Sud agissaient exactement de la même façon. Alors que l'Irlande du Nord était fondée sur la discrimination systématique à l'égard des catholiques, il n'en était pas ainsi pour les anglicans anglais de l'État libre d'Irlande, qui étaient protégés par les Britanniques.
Fait souvent ignoré, les Irlandais de l'Ulster ont toujours été différents du reste de l'Irlande, même avant la «réforme protestante» de 1921. C'était aussi à certains égards la plus gaéliphone des régions irlandaises, la plus résistante à la domination anglaise, ce qui est vraiment ironique étant donné que l'Ulster est aujourd'hui la région la plus protestante et la plus unioniste d'Irlande.
- Le refus de la partition
Condamnée à vivre dans un état de subordination, la minorité catholique nord-irlandaise rejeta d'emblée cette partition. Les catholiques nationalistes mobilisèrent toutes leurs énergies pour renverser l'État d'Irlande du Nord, tantôt par la violence tantôt par des moyens pacifiques, mais toujours en vain. De leur côté, les unionistes adoptèrent toute une série de mesures et de lois d'exception afin de doter l'Exécutif des pouvoirs propres à une véritable dictature policière. Et Londres laissa faire!
Par conséquent, la création de l’Irlande du Nord s’accompagna de violences à la fois pour la défense de l'Irlande et contre sa partition. Pendant le conflit de 1920 à 1922, la capitale, Belfast, connut d’importantes violences communautaires, principalement entre les civils unionistes anglo-protestants et les nationalistes catholiques. Plus de 500 personnes furent tuées et plus de 10 000 autres, surtout des catholiques, devinrent des réfugiés. Par la suite, les protestants poursuivirent leur politique de ségrégation à l'égard des catholiques, que ce soit en éducation, dans le logement, les emplois ou à propos du droit de vote. La fonction publique nord-irlandaise était à 90% protestante. Dans le secteur privé, les emplois les mieux rémunérés échappaient aux catholiques, comme en fait foi leur faible présence dans les chantiers navals, fleuron de l’économie de Belfast.
Selon les unionistes, les catholiques de l'Irlande du Sud faisaient de même à l'encontre des protestants, sauf que
cette accusation n'a jamais confirmée dans les faits ou, au pire, ces discriminations ne
furent jamais aussi dramatiques, Londres serait intervenue. Mais pour des catholiques
en Irlande du Nord.
Au cours des décennies qui suivirent, l’Irlande du Nord connut une série ininterrompue de gouvernements du Parti unioniste. Ces derniers furent constamment accusés de pratiques discriminatoires. L’armée britannique fut parfois déployée, tandis que l’"Ulster Special Constabulary" (USC) ou "the B Specials Men" fut formée pour aider la police régulière. Toutefois, cette force «constabulaire» quasi militaire était formée presque exclusivement de protestants de l'Ulster, ce qui lui enlevait toute légitimité pour les catholiques. |
- La ségrégation en l'éducation
Après la partition de l’Irlande, le Parlement de Belfast obtint le contrôle de l’éducation. Le premier ministre James Craig voulut placer les écoles confessionnelles qu'il jugeait sectaires sous le contrôle de l'État de sorte qu'il puisse nommer ses propres gestionnaires à la place des ecclésiastiques. Il tenta de persuader toutes les Églises catholique et protestantes de transférer leurs écoles sous le contrôle de l’État en échange d’un financement public adéquat. Or, la loi de 1920 sur le gouvernement irlandais interdisait au Parlement décentralisé d'Irlande du Nord de doter de fonds publics un organisme religieux : si les écoles voulaient un financement, elles ne pouvaient plus être contrôlées par une confession religieuse, mais par l'État.
En dépit des efforts du ministre de l’Éducation, l’Église catholique s'empressa de rejeter ce qu'elle considérait comme de l’ingérence administrative en éducation, et ce, d'autant plus qu'elle percevait le gouvernement nord-irlandais comme hostile aux catholiques. De leur côté, les Églises protestantes semblèrent plutôt favorables dans la mesure où le gouvernement satisferait leurs exigences concernant le contrôle sur les écoles publiques. Alors que James Craig pouvait facilement ignorer le mécontentement catholique, il ne pouvait pas se permettre de se mettre à dos ses propres partisans, les protestants. Le véritable objectif du gouvernement Craig de placer l’instruction des enfants catholiques sous le contrôle de l’État était d’éviter la diffusion du contenu nationaliste et non pas un engagement sincère à accorder des chances égales à cette minorité. Mais il ne put convaincre les Églises protestantes. Incapable d'imposer son contrôle sur les écoles parce que les protestants s'y opposèrent aussi, il en est résulté un double système d'éducation parallèle, l'un catholique, l'autre protestant, ce qui allait contribuer à accentuer davantage les profondes divisions de la société nord-irlandaise. De plus, étant donné que le manque de financement des écoles confessionnelles affectait davantage les écoles catholiques, il y eut des plaintes de discrimination.
Il faut aussi mentionner que la loi de 1920 interdisait aux écoles d'offrir un enseignement religieux confessionnel dans le but d'améliorer l'intégration et les relations entre les communautés catholiques et protestantes. Dans ces conditions, il est «normal» que les dirigeants catholiques et protestants se soient continuellement opposés aux efforts du gouvernement pour créer un système d'éducation plus intégré tout au long des années 1920. C'est ainsi que le système d'éducation nord-irlandais continua d'être fondé sur la religion.
- L'indépendance de l'Irlande du Sud (1937)
Durant ces années, l'État libre d'Irlande fut gouverné par les vainqueurs de la guerre civile. En 1932, le parti des opposants au traité d'Union, le Fianna Fáil, remporta les élections et allait rester au pouvoir jusqu'en 1948. En 1933, le président du parti, Éamon de Valera, fit abolir le serment d’allégeance au souverain du Royaume-Uni. Un peu lus tard, en 1937, il fit adopter une nouvelle constitution républicaine qui renomma «l'État libre d'Irlande» en Éire en irlandais et en Ireland en anglais ou Irlande en français. Un traité conclu en 1938 avec le Royaume-Uni concéda des bases navales à l'Irlande et entérina l'indépendance. La loi ne créait pas un nouvel État puisqu'il existait déjà. La Constitution de 1937 restait en vigueur et ne changeait pas non plus le nom du pays resté «Irlande». Cependant, la Constitution mit fin au rôle du roi anglais dans la signature des lettres de créance des diplomates irlandais. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, le Commonwealth ne considérait plus l'Irlande comme l'un de ses membres. L’irlandais et l’anglais devinrent les deux langues officielles de la République. |
- La période des «Troubles»
À la fin des années 1960, une campagne visant à mettre fin à la discrimination contre les catholiques nationalistes fut vivement combattue par les protestants loyalistes, qui y voyaient un front papiste républicain. Ces conflits entraînèrent les «Troubles» (en anglais: "The Troubles"), une suite de guérilla de trente ans impliquant des groupes paramilitaires, tant républicains que loyalistes, qui se combattirent et aussi contre les forces de l’État nord-irlandais. Selon les interprétations, cette période des «Troubles» fut même considérée comme terminée entre 1997 et 2007. Finalement, en Irlande du Nord, quelque 430 000 catholiques, représentant un tiers de la population, restaient assujettis au bon vouloir des protestants, alors qu'au sud, dans l'État libre d'Irlande, plus de 325 000 protestants, représentant 10 % de la population, avaient un droit de véto, Londres ayant pris soin de protéger «ses» protestants loyalistes. Toutefois, malgré la partialité de la Loi sur le gouvernement de l'Irlande en leur faveur, les unionistes protestants ne parurent guère satisfaits. Il ne voulurent pas conserver ce régime «partitionniste» qu'ils n'avaient pas sollicité, car ils désiraient plutôt faire partie intégrante de l'Angleterre. Ce fut alors le mouvement du «retour à Westminster». Les unionistes croyaient aussi que les protestants du Sud étaient livrés corps et âme aux nationalistes irlandais. |
En fait, la partition de l'Irlande de 1920-1921 constituait le comble de l'ironie, car personne n'en voulait, ni les nationalistes irlandais qui aspiraient à l'indépendance complète de l'île, ni les unionistes protestants qui désiraient le maintien de l'union entre les deux îles de l'archipel britannique, ni même les dirigeants britanniques qui considéraient la partition comme un expédient strictement temporaire.
3.6 Une autarcie judiciaire et pénale
L'Irlande du Nord continua d'être rattachée au Royaume-Uni tout en disposant encore de son parlement local à Belfast au château de Stormont. Les gouvernements unionistes successifs prirent en grippe le gaélique irlandais, devenu une langue nettement hostile et la première langue officielle d'un pays dont la Constitution ne reconnaissait même pas l’existence de l’Irlande du Nord. Dès lors, l’irlandais fut perçu comme l’apanage d'une minorité nationaliste subversive. L'Irlande du Nord n'osa pas interdire la langue irlandaise, mais celle-ci fut condamnée à la plus totale invisibilité dans la vie publique. Une loi du 13 décembre 1949, la Loi sur la santé publique et l'administration locale (Public Healt and Local Government Act), interdit l'usage de l'irlandais sur les plaques odonymiques (noms de rue); cette loi est demeurée en vigueur jusqu’en dans les années 1990.
De 1956 à 1962, l’Armée républicaine irlandaise (IRA) de l'Irlande du Nord mena une campagne de guérilla limitée dans les zones frontalières. Elle visait à déstabiliser la région et à mettre fin à la partition, mais elle échoua. Le principal clivage politique continua de plus belle entre les unionistes, qui souhaitaient que l’Irlande du Nord fasse partie du Royaume-Uni, et les nationalistes, qui désiraient voir l’Irlande du Nord unifiée avec la république d’Irlande. Ces deux points de vue tout à fait inconciliables sont liés à des divisions culturelles historiques plus profondes. Lors du déclenchement des «Troubles», en 1969, la Grande Loge de l'ordre d'Orange encouragea ses membres à rejoindre les forces de sécurité d'Irlande du Nord, notamment le Royal Ulster Constabulary (RUC) et l'Ulster Defence Regiment (UDR) de l'armée britannique. |
Nous avons que les unionistes sont principalement des protestants d’Ulster, mais ils sont aussi des descendants de colons principalement écossais, anglais et huguenots, ainsi que d'anciens locuteurs du gaélique qui ont adopté l'anglais et se sont convertis à l’une des religions protestantes. Quant aux nationalistes, ils sont les descendants de la population antérieure à la colonisation, avec une minorité des Hautes-Terres (Highlands) d'Écosse, ainsi que de quelques convertis au protestantisme. La discrimination contre les nationalistes sous le gouvernement de Stormont (1921-1972) donna naissance au mouvement des droits civiques. Mais, le 30 janvier 1972, lors d’une manifestation pour les droits civiques à Derry, les soldats britanniques ouvrirent le feu sur des manifestants nationalistes non armés, tuant 14 personnes. Ce massacre, connu sous le nom de "Bloody Sunday" (en français: «Dimanche sanglant»), marqua un point de basculement. Bien sûr, une enquête menée rapidement par une commission blanchit l'armée britannique en concluant qu'elle avait répondu aux tirs de l'IRA, ce qui n'a jamais pu être prouvé.
Depuis la fondation de l'Irlande du Nord en 1922, jusqu'au déclenchement du conflit connu sous le nom de «The Troubles» dans les années 1960, le gouvernement britannique appliqua une approche non interventionniste envers l'Irlande du Nord, tout comme pour le gouvernement irlandais à Dublin (jusqu'à l'indépendance). En effet, l'approche politique du Royaume-Uni pour l'Irlande du Nord fut caractérisée par la tendance des gouvernements successifs à ignorer les problèmes, masquant les difficultés sous-jacentes très graves dans la pseudo-démocratie nord-irlandaise, jusqu'à ce qu'ils finissent par exploser, et que l'armée soit constamment appelée en renfort.
Pourtant, les catholiques irlandais avaient bien accueilli le déploiement de l'armée britannique en 1969, croyant qu’elle était présente pour les protéger des groupes paramilitaires loyalistes et de la police de l’Ulster, tout en espérant des réformes politiques rapides, qui ne sont jamais arrivées. Au contraire, les soldats britanniques étaient là pour protéger le système et pour coopérer avec les paramilitaires unionistes tels l'Ulster Volunteer Force et l'Ulster Defence Association, lesquels combattaient les républicains par les armes. Les catholiques ont appelé cela la «collusion».
La même année (1972), Londres suspendit le gouvernement nord-irlandais et abolit le Parlement de Belfast, puis imposa la loi martiale. Les députés de Belfast vinrent siéger à Westminster et l'Irlande du Nord fut à nouveau liée au gouvernement central de Londres. Il faudra l'accord de 1998 sur l'avenir de l'Ulster pour remédier à la situation. Entre-temps, l'IRA (l’Armée républicaine irlandaise) s'est mise à recourir à nouveau à des attentats à la bombe, à des assassinats ciblés et à des embuscades contre les autorités en place. La répression s'abattit durement sur tout le territoire de l'Irlande du Nord. Les prisons se remplirent de militants nationalistes, généralement détenus sans procès.
Il se produisit alors un changement inattendu dans le rôle de la langue irlandaise. Les détenus républicains se mirent à prendre de leçons d'irlandais, un moyen utilisé comme forme de libération d'un territoire occupé, l'irlandais se transformant en langue de combat. Cette curieuse renaissance de l’irlandais dans le cadre inattendu des prisons suscita la sympathie, mais démontrait aussi que, malgré son affaiblissement apparent, la question linguistique risquait de réapparaître comme symbole à la fois d'une «langue incarcérée» placée sous surveillance et d'une relation entre une culture dominante et une culture dominée.
- L'abolition de l'arsenal judiciaire répressif
Pendant ce temps, en 1973, le Parlement de Westminster adopta la Loi constitutionnelle d'Irlande du Nord ("Northern Ireland Constitution Act"), qui abrogeait, entre autres, la Loi sur les autorités civiles ("Civil Authorities - Special Powers Act"). Depuis 1921, les autorités unionistes d’Irlande du Nord avaient élaboré une panoplie de lois d’exception et de règlements sévères dans un contexte de conflit armé afin de lutter contre la violence politique et d'assurer ainsi la sécurité des personnes et des biens. Voici comment une députée catholique d'Irlande du Nord à Westminster de 1969 à 1974, Bernadette Devlin McAliskey, dénonçait l’ensemble des lois répressives imposées en Irlande depuis plusieurs siècles, alors que le Parlement britannique débattait d’un nouveau projet destiné à remplacer la Loi sur les autorités civiles.
When they were introducing the Northern Ireland Emergency Provisions Act, I went to the House of Commons library at Westminster and asked them to look up every coercion act, every emergency act, every suspension of normal law, suspension of habeas corpus, that in the whole ruling of Ireland had been necessary. What I wanted to do was read out the whole list of them and say, « Look, you have tried all of those and they have failed, we are still ungovernable. Why, from the law of averages, throw in another one? »
They were about six hours away rooting through all this legislation, and they came back with a much better quote for the House of Commons: « Dear Mrs Aliskey, in answer to your request, we find that the weight of legislation necessary to govern Ireland in times of emergency is such that it will take up three days to research it ». That was only to look up the titles. |
Lorsqu’ils [les députés] ont présenté la loi sur les dispositions d’urgence en Irlande du Nord, je me suis rendue à la bibliothèque de la Chambre des communes à Westminster et je leur ai demandé de vérifier chaque loi de coercition, chaque loi d’urgence, chaque suspension du droit normal, suspension de l’habeas corpus
qui, dans toute la décision sur l’Irlande, avait été nécessaire. Ce que je
voulais faire, c’était de lire toute la liste et dire :
«Écoutez, vous avez essayé tout cela et
ils ont échoué, nous sommes toujours ingouvernables. Pourquoi, à partir de la
loi des moyennes, en ajouter une autre?»
Ils étaient à environ six heures de route pour parcourir toute cette législation, et ils sont revenus avec une bien meilleure citation pour la Chambre des Communes : «Chère Madame Aliskey, en réponse à votre demande, nous constatons que le poids de la législation nécessaire pour gouverner l’Irlande en cas d’urgence est tel qu’il faudra trois jours pour la rechercher». Ce n’était que pour chercher les titres. |
En janvier 1981, Bernadette Devlin survécut à une tentative d'assassinat devant ses enfants par des membres des "Ulster Freedom Fighters", un groupe paramilitaire loyaliste, qui avait fait irruption dans son domicile.
Au sein du Royaume-Uni, le système judiciaire nord-irlandais était manifestement anormal. Il ne correspondait nullement à la norme anglo-saxonne de la Common Law, source de principes judiciaires construits au cours des siècles pour protéger les droits individuels. Née dans la violence, l’Irlande du Nord employa des modèles répressifs afin d'assurer et de perpétuer son existence. Dans le cadre de son projet d’autonomie, Westminster avait transféré en novembre 1921 des pouvoirs au Parlement de Belfast, dont le maintien de l’ordre public, l’organisation de la police et l’administration de la justice. Le gouvernement britannique a toujours fermé les yeux devant l'impressionnant arsenal judiciaire dont s'est dotée l'Irlande du Nord. Christian Mailhes (Université des sciences sociales de Toulouse) décrit ainsi ce laisser-faire dans un article intitulé «L’exception nord-irlandaise en matière de justice pénale : lois et procédures d’exception»:
Ainsi séparée du Sud, éloignée de toute influence britannique directe, isolée géographiquement, la majorité unioniste au pouvoir s’achemina vers une autarcie judiciaire et pénale, coupée de la source mère que représentait la Common Law, pour opérer un repli sur soi dans un climat de forteresse assiégée. |
Toutes les lois adoptées par l'Irlande du Nord n'ont fait l’objet d’aucune surveillance parlementaire, ni d’un contrôle judiciaire, ni d’une étude critique, et ce, que ce soit en Angleterre ou ailleurs. C'est ainsi que le silence complice de Londres et le consensus unioniste autour des méthodes répressives et discriminatoires employées ont maintenu le statu quo durant de nombreuses décennies. À cela s'ajoutaient l'emprisonnement et l'élimination d'individus soupçonnés d'activités subversives.
Ces méthodes de ségrégation extrême à l'égard de la minorité catholique se poursuivirent après l'abolition en 1973 de la Loi sur les autorités civiles, sans que le gouvernement de Londres n'intervienne. Au cours des années 1980, les autorités nord-irlandaises organisèrent de nombreux procès-spectacles montés par les forces de sécurité, ce qui accentua la mainmise de la politique sur un système judiciaire en violation flagrante des règles de procédure traditionnelle au Royaume-Uni.
Bien qu'il n'y ait aucune preuve que l'adhésion à l'Union européenne ait directement provoqué une coopération plus étroite entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord à partir des années 1980, l'impact de l'UE sur les relations intergouvernementales fut significatif, car le statut de l'Irlande du Nord s'est trouvé modifié: d'État assujetti à Londres, l'Irlande du Nord devenait un «acteur égal» non soumis au Royaume-Uni au sein de l'EU et influencée par les politiques d'ouverture de celle-ci.
- La guerre des langues
Dans un tel contexte politique nettement tendu, l'irlandais devint clairement une arme de combat chez les républicains de l'IRA. Le chef du Sinn Féin, Gerry Adams, associa en 1986 la question linguistique à la lutte contre l'oppression anglaise: «La langue irlandaise est la reconquête de l'Irlande, et la reconquête de l'Irlande est la langue irlandaise.» Désormais, la langue irlandaise devenait incontournable en Irlande du Nord. C'est alors que, sans aucune forme d'ironie et avec beaucoup de bonne foi, Londres chercha à dissocier la langue irlandaise du nationalisme républicain en soutenant la contribution de la communauté protestante et unioniste à la cause de la langue irlandaise! En même temps, le gouvernement britannique, à la demande des unionistes, mit en place une politique de subventions de façon à susciter des projets à dimension «transcommunautaire». |
De fait, plusieurs organisations bénévoles œuvrant pour la promotion de la langue, y compris pour l'anglais, purent ainsi bénéficier d’allocations gouvernementales. Néanmoins, cette politique finit par déplaire aux unionistes qui considérèrent dans le soutien financier à des groupes gaélophones une contribution directe au mouvement républicain.
Les unionistes anglophones mirent à profit l’expérience des militants gaélophones et produisirent des estimations sur le nombre des locuteurs de l'écossais d'Ulster, la langue germanique proche de l'anglais; ils avancèrent le nombre de quelque 150 000 locuteurs de cette langue, tout en soulignant la dimension «transcommunautaire» de celle-ci. Cette stratégie permit ainsi de faire concurrencer trois langues plutôt que deux, tout en bénéficiant de meilleures subventions à la fois pour l'anglais, l'irlandais et l'écossais d'Ulster. Les unionistes purent aussi compter sur l'hostilité traditionnelle du gouvernement britannique à l'égard de la langue irlandaise, qui s'est contenté d'une implication minimaliste.
En 1991, le gouvernement britannique prit l'initiative de poser une question sur le gaélique irlandais lors du recensement en Irlande du Nord. Or, depuis 1911, aucune question du genre n’avait figuré à l’occasion d'un recensement depuis la partition de l’île. Selon le Irish Language Report, quelque 142 000 locuteurs résidant en Irlande du Nord auraient affirmé avoir des connaissances en irlandais, alors que les estimations avancent les chiffres de 35 000 locuteurs. Le recensement provoqua une levée de boucliers chez les unionistes qui contestaient la valeur de ces résultats.
Mais les statistiques permirent aux nationalistes irlandais d'ouvrir un nouveau front de revendications fondées sur l'injustice que subissait la langue irlandaise. Pris au piège de la «justice distributive» par rapport au pays de Galles et à l'Écosse, les Britanniques durent faire certaines concessions pour la langue irlandaise, comme ils l'avaient fait pour le gallois et la gaélique écossais. De leur côté, les stratèges unionistes finirent par comprendre qu'ils allaient perdre la bataille contre la valorisation de l'irlandais. Ne pouvant contenir leur mauvaise foi, ils décidèrent de contrecarrer les avances nationalistes en valorisant plutôt l'écossais d'Ulster, qui était parlé par une partie non négligeable de la population nord-irlandaise, de souche écossaise et majoritairement protestante, c'est-à-dire surtout loyaliste.
3.7 L’accord de 1998 à Belfast
Dans le but d’instaurer des réformes jugées nécessaires dans les institutions britanniques, le Parlement britannique adopta en 1998 la Loi sur l'Irlande du Nord (Northhern Ireland Act) destinée à redonner à l’Irlande du Nord son autonomie politique perdue. Le 10 avril 1998, à Belfast, un accord politique signé un Vendredi saint était d’une importance capitale pour l’avenir de l’Ulster. Cet accord, appelé officiellement accord de Belfast (The Belfast Agreement 1998), mais aussi connu comme l'accord du Vendredi saint (The Good Friday Agreement), permit de bâtir un triangle de coopération inédite entre Belfast, Dublin et Londres, et lia non seulement le Royaume-Uni et les partis politiques d’Irlande du Nord, mais aussi la république d’Irlande. |
En fait, les nationalistes catholiques parlent de l'«accord du Vendredi saint», alors que les unionistes protestants emploient systématiquement la formule «accord de Belfast».
- Le rétablissement du Parlement nord-irlandais
Cet accord prévoyait le rétablissement du Parlement de l’Irlande du Nord en réunissant pour la première fois les loyalistes protestants et les nationalistes catholiques. Il prévoyait également la création du Conseil Nord-Sud pour élaborer des politiques communes entre les deux Irlande, ainsi que la création du Conseil Est-Ouest réunissant des représentants du Parlement britannique et du Parlement nord-irlandais. En outre, l’accord qui, rappelons-le, liait aussi la république d’Irlande, prévoyait que celle-ci accepte de modifier sa constitution afin de ne plus formuler des revendications territoriales sur l’Irlande du Nord, mais le Royaume-Uni ne s'opposerait pas à l'union entre le nord (Irlande du Nord) et le sud de l'Irlande (république d’Irlande), si telle était la volonté de la majorité de tous les Irlandais en Ulster, les catholiques comme les protestants.
L'accord imposait la création d’un Parlement dans lequel toutes les décisions doivent être adoptées à la double majorité, une majorité nationaliste et une majorité unioniste. En vertu de cet accord, le gouvernement de l'Irlande du Nord devait être formé de membres issus des deux blocs. Le gouvernement britannique cessait enfin de privilégier uniquement les unionistes protestants.
Sur le plan de la langue, Londres s’engageait même à promouvoir la langue irlandaise là où les Irlandais du Nord, surtout catholiques, le désiraient, notamment dans l’enseignement, les arts et la culture, les médias, l’usage tant public que privé; le gouvernement britannique s'engageait aussi à militer contre tout ce qui peut restreindre l’emploi de l'irlandais. Lors du référendum de mai 1998, les Irlandais du Nord approuvèrent l’accord de Belfast / du Vendredi saint dans une proportion de 71,1%; les Irlandais du Sud, 94,4%. De son côté, l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, fit savoir par voie de communiqué qu’elle ne rendrait pas les armes. Or, la question du désarmement de l’IRA avait toujours bloqué l’avancée du processus de paix. Cet accord de paix accordait un délai de deux ans aux paramilitaires des deux côtés pour restituer l'intégralité de leur arsenal. |
- L'Assemblée d'Irlande du Nord
L'Assemblée d'Irlande du Nord (en anglais : "Northern Ireland Assembly"; en irlandais : "Tionól Thuaisceart Éireann"), qui siège au château de Stormont, constitue la législature décentralisée de l'Irlande du Nord. Elle a le pouvoir d'adopter des lois sur les sujets qui ne sont pas réservés au Parlement du Royaume-Uni et de désigner l'Exécutif nord-irlandais. L'accord prévoyait la création d'une assemblée de 108 membres, élus au scrutin proportionnel sur le territoire nord-irlandais, mais elle fut réduite ensuite à 90 membres membres élus au vote transférable. L'Assemblée doit fonctionner sur la base du vote intercommunautaire (en anglais: "cross-community vote"): lors de son élection, chaque député s'enregistre comme «nationaliste», «unioniste» ou autrement. Certaines lois, pour être adoptées, doivent réunir non seulement la majorité des suffrages de l'ensemble des députés, mais aussi la majorité des votes dans chaque groupe nationaliste et unioniste. |
Quoi qu'il en soit, cette assemblée fut suspendue à plusieurs reprises, notamment du 14 octobre 2002 au 7 mai 2007. Pendant les périodes de suspension, ses pouvoirs sont détenus par le Bureau pour l'Irlande du Nord, donc les Anglais d'Angleterre.
De nombreux observateurs ont fait remarquer les faiblesses de ce type d'accord qui force les différents partis à s'entendre pour former un gouvernement. Ce faisant, le gouvernement britannique s'est trouvé à officialiser dans la loi les divisions communautaires, ce qui favoriserait le repliement sur soi et non le dépassement des rivalités. Dans un tel système, les parties prenantes ont davantage intérêt à s'adresser d'abord à leurs propres partisans plutôt qu'à défendre les intérêts communs et à mener des politiques qui profitent à l'ensemble de tous. Finalement, chaque clan se transforme en minorité de blocage, ce qui débouche sur un immobilisme politique très dommageable pour l'Irlande du Nord qui risque de vivre une bipolarisation perpétuelle. Bref, quand une partie n'est pas pleinement d'accord, elle bloque toute entente au lieu de trouver des compromis.
- Une autonomie limitée
Comme en fait foi la Loi sur l’Irlande du Nord (Northhern Ireland Act) de 1998, l’autonomie politique dont bénéficiait, à partir du 2 décembre 1999, le nouveau Parlement de l’Irlande du Nord à Stormont demeurait assez restreint. En effet, l'Assemblée irlandaise obtenait l'autorité de légiférer dans des domaines limités concernant les affaires intérieures telles que la justice, l’éducation, la culture, l’administration locale, le patrimoine, le logement, la santé et l’agriculture. En février 1999, Londres devait transférer à l'Assemblée irlandaise ses pleins pouvoirs en matière d'administration, à l'exception de secteurs comme la défense, la police et la fiscalité. Depuis 1998, toutes les institutions prévues dans l'accord du Vendredi saint durent être mises sur pied, notamment la formation du gouvernement local (l’Exécutif) de l’Ulster, qui devait être composé de six à huit membres.
Or, l'Exécutif d'Irlande du Nord (anglais : "Northern Ireland Executive") devenait la partie exécutive du gouvernement décentralisé d'Irlande du Nord, mais il devait être dirigé à pouvoirs égaux par le premier ministre et le vice-premier ministre, l'un étant unioniste et l'autre nationaliste. L'Exécutif était responsable devant l'Assemblée d'Irlande du Nord et fonctionnait selon un système de partage du pouvoir entre unionistes et nationalistes. Encore fallait-il que les protestants et les catholiques puissent travailler ensemble! Déjà, en septembre 1998, lors de l'ouverture solennelle de l'Assemblée autonome au château de Stormont, les catholiques et les protestants se chamaillèrent pour savoir si le drapeau britannique devait flotter sur le parlement et si les débats devaient être traduits ou non en irlandais.
Notons également que toutes les lois irlandaises devaient recevoir l’approbation du Parlement britannique qui pourrait opposer éventuellement son veto. Quant au rôle du secrétaire d’État de Sa Majesté, il avait la responsabilité de représenter les intérêts de l’Irlande du Nord au Conseil des ministres britanniques. Autrement dit, l’Irlande du Nord faisait indéniablement partie du Royaume-Uni dont le Parlement ne perdait aucune de ses prérogatives, notamment celle d’adopter des lois concernant l’Irlande du Nord. On pouvait déjà prévoir des conflits interminables, lorsque les deux parlements adopteraient des lois politiquement et juridiquement incompatibles.
- La question de l'irlandais
En ce qui a trait à la langue, le Parlement britannique pouvait en principe légiférer pour faciliter et encourager l'emploi de la langue irlandaise là où il y aura une demande appropriée. Pour ce faire, il devait alors supprimer tout obstacle qui empêcherait le développement de l’irlandais, fournir des moyens pour assurer des communications avec toute autre communauté de langue irlandaise, créer un organisme administratif (l’Education Department) destiné à encourager l’instruction en irlandais, fournir un soutien financier pour promouvoir la production de films et d’émissions de télévision en irlandais. Enfin, le gouvernement britannique devra s’assurer que cet engagement sera entériné par le nouveau Parlement irlandais. Quoi qu'il en soit, le déclin du gaélique irlandais était si profond qu'il fallait intervenir, m^me de la part de Westminster.
À supposer que toutes les dispositions linguistiques de l’accord de Balfast/Vendredi saint se concrétisent, il était peu probable cependant qu’elles auraient pour effet d’améliorer vraiment le statut réel de la langue irlandaise en Irlande du Nord, comme d’ailleurs en république d’Irlande. Par exemple, l’introduction de la traduction simultanée au Parlement irlandais ne changerait pas grand-chose dans la mesure où il existe peu de parlementaires parlant cette langue, à supposer que son emploi soit demandé et exigé par les catholiques. Dans tous les cas, il faut un délai pour s'exprimer en irlandais, le temps de quérir un traducteur. Dans la vie sociale et économique, les quelque 142 000 catholiques parlant l’irlandais et représentant 9% de la population de l’Ulster ne pèseraient pas d’un poids très lourd, pas assez en tout cas pour redonner vie à la langue irlandaise.
- Une paix aléatoire
En réalité, la paix en Irlande du Nord se trouve toujours dans une position délicate, car une simple petite étincelle peut tout faire flamber. Après trente années d'incessants conflits, les catholiques et les protestants ont pratiquement toujours été dans une impasse, de sorte qu'il était facile d'enrayer le processus de paix, la mauvaise foi aidant de part et d'autre. En juillet 1999, il était encore impossible de former un gouvernement mixte, donc de faire fonctionner l'Assemblée législative. Le 12 février 2000, le gouvernement britannique adoptait à Westminster une loi suspendant temporairement les jeunes institutions en place en Irlande du Nord, en raison de l’absence ou du commencement de désarmement de l’IRA pourtant prévue pour mai 2000. La suspension du gouvernement nord-irlandais signifiait que le gouvernement britannique reprenait la gestion directe de la «province» nord-irlandaise, comme il l’a fait quasiment sans interruption depuis 1972.
Pendant ce temps, les dirigeants, tant catholiques que protestants, se rejetèrent la faute des échecs de leur tentative de se gouverner eux-mêmes. D’ailleurs, certains députés protestants unionistes laissèrent même entendre que cette situation les ravissait dans la mesure où Londres conservait ainsi sa mainmise en Irlande du Nord. Autrement dit, les protestants n'avaient pas grand intérêt à fonctionner avec les catholiques! Aussi bien mettre constamment des bâtons dans les roues dans le système pour bloquer son fonctionnement. Bref, les relations anglo-irlandaises fonctionnaient sur un mode colonial depuis plus de six siècles, aussi bien continuer sur cette lancée qui avait fait ses preuves, peu importent les prétextes! Par exemple, en 2001, des loyalistes du quartier d'Ardoyne au nord de Belfast lancèrent des injures et des sacs d'urine sur de jeunes enfants et leurs parents, alors qu'ils se rendaient à l'école pendant ce qui est devenu connu sous le nom de «conflit de la Sainte-Croix» ("Holy Cross"). Cette école primaire catholique pour filles avait le malheur d'être située au cœur d'un quartier protestant. À l'origine du conflit, des protestants signalaient que le passage des catholiques dans leur quartier s'accompagnait de violences... qui venaient des deux côtés!
Le gouvernement dut construire ce qu'on a appelé des «murs de la paix» (en anglais : "Peace Walls" ou "Peace Lines"), c'est-à-dire une série de barrières de séparation construites pour la plupart à Belfast afin de séparer les quartiers catholiques des quartiers protestants de la ville. L'objectif du gouvernement était de limiter ainsi les violences entre ces deux communautés en les séparant par des barrières physiques protégées par des policiers. Ailleurs dans le monde, ces murs furent désignés comme des «murs de la honte».
Pour ce qui est des actions terroristes de l'IRA, celles-ci commençaient à être beaucoup plus difficiles à justifier depuis le 11 Septembre 2001. En effet, le terrorisme islamique eut pour effet d'éclipser le terrorisme irlandais perçu par comparaison comme nettement «insignifiant». Certains commentateurs parlaient même de la «bonne vieille IRA», par opposition aux «méchants» islamistes! Depuis le 11 Septembre, les républicains irlandais savaient que leur guerre ne pouvait plus se poursuivre «comme avant» et qu'ils devaient fonctionner de façon différente. En même temps, l'unification des deux Irlande paraissait tout aussi lointaine que jamais. Ces décennies de violences continuaient de laisser un héritage de haine et d'amertume au sein d'une communauté déchirée. |
- Un gouvernement fragile
Le 14 octobre 2002, le secrétaire d'État britannique pour l'Irlande du Nord suspendit l'Assemblée et l'Exécutif d'Irlande du Nord. Assisté de son équipe de ministres pour l'Irlande du Nord, il prit la direction et le contrôle des ministères nord-irlandais. Les plus optimistes croyaient à une restauration du gouvernement décentralisé à l’automne 2006, soit quatre ans après la suspension de l’Assemblée nord-irlandaise de Stormont. Par la suite, l'IRA finit par renoncer à la violence et démantela son arsenal en juillet 2005, mais sans grand résultat institutionnel. L'IRA affirmait ainsi préférer suivre la voie démocratique au moyen du Sinn Fein. Faute d'accord, le processus de paix risquait d'être encore enterré.
Les derniers développements concernant une loi protégeant la langue irlandaise rappellent opportunément que le gouvernement britannique s’était engagé à introduire la loi en 2006, mais il a fallu trois consultations publiques, une assemblée effondrée, un soutien politique majoritaire, une énorme pression internationale et une campagne communautaire dynamique de cinq ans pour que le gouvernement accepte tenir cette promesse dans un futur proche.
La réalité est que, depuis 2006, lorsqu’il s’agit de droits pour les locuteurs irlandais, il y a toujours une raison ou une autre pour expliquer pourquoi «maintenant» n’est pas le meilleur moment, pourquoi il faut le «retarder» et pourquoi les locuteurs irlandais devraient «faire preuve de patience» face à l’intransigeance et à l’hostilité, décrites par euphémisme par certains comme des «préoccupations unionistes légitimes» concernant la mise en œuvre des droits de l’homme. Pour certains, il n’y aura jamais de bon moment pour appliquer ces droits. En fait, il faut toujours penser que le gouvernement britannique cherche toujours à protéger sa population anglo-protestante. Il fallait un séisme politique pour en faire fi à l'avantage des Irlandais catholiques.
En 2015, le Sinn Féin tenta de présenter un projet de loi sur la langue irlandaise à l’Assemblée législative afin de garantir à l'irlandais le même statut officiel que l'anglais, de sorte que l'irlandais puisse être employé dans les débats de l'Assemblée, dans les tribunaux, dans les écoles publiques et sur les panneaux indicateurs des édifices publics ainsi que dans la signalisation routière. Or, les députés du DUP (Parti unioniste démocrate) intervinrent aussitôt pour juger le projet de loi «futile» avec le résultat qu'il n'a pas obtenu les voix nécessaires pour être adopté. En fait, ils déclarèrent que leur parti n’accepterait jamais une loi sur la langue irlandaise. La chef du parti et première ministre de l'Irlande du Nord, Arlene Foster, a même réitéré cette affirmation en déclarant : «Si vous nourrissez un crocodile, il reviendra sans cesse» ("f you feed a crocodile it will keep coming back for more"), ce qui lui valut une volée de plombs et des excuses. |
De façon générale, le débat politique en Irlande du Nord n'a pratiquement jamais porté sur le contenu d’une éventuelle loi sur la langue irlandaise, mais presque toujours sur le principe même de l’existence ou non d'une telle loi. Les opposants n'en veulent tout simplement pas parce que, selon eux, cela n'en vaut pas la peine, ignorant totalement la valeur symbolique d'une loi du genre. C'est ainsi que la langue demeure l’un des principaux points de friction empêchant toutes les parties de parvenir à un accord. À la rigueur, des députés du DUP pourraient être disposés à accepter une disposition légale pour l’irlandais à la condition qu'elle fasse partie d'une «loi sur la culture» incluant également l'écossais d'Ulster — une façon de diluer l'irlandais — et ne contienne aucune forme de coercition. Autrement dit, les protestants seraient favorables à une certaine reconnaissance de l'irlandais s'il n'y avait aucune coercition pour leur communauté et qu'ils ne verraient pas d'inscriptions dans l'espace public. Juste une langue de décoration pour les catholiques!
3.8 L'Irlande du Nord et le Brexit (2016)
Le 24 juin 2016, le Royaume-Uni choisit de mettre fin à quarante-trois années d’appartenance à l’Union européenne (UE). Le camp du "Leave" («quitter»), favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’emporta avec 51,9% des voix, contre 48,1% pour le "Remain" («rester»), camp pro-européen. On peut consulter des résultats plus détaillés par région en cliquant ici , s.v.p. Or, l'Irlande du Nord a voté à 56% pour le maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Mais les nationalistes ont massivement voté pour le "Remain" (environ 88 %), alors que la communauté unioniste a voté plus étroitement, mais de manière décisive, en faveur du "Leave (environ 66 %)".
Le premier ministre britannique David Cameron dut démissionner. Nommée en juillet 2016, la nouvelle première ministre Theresa May devait dorénavant mener les discussions sur la sortie de son pays de l’Union face à une équipe de négociateurs représentant l'UE. Craignant que l'Angleterre voie se détériorer ses relations avec le gouvernement écossais, indépendantiste et europhile, la nouvelle première ministre britannique, Mme Theresa May, promit que les quatre «nations constitutives» du pays — l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande du Nord et le pays de Galles — récupéreraient de nouvelles compétences, ce qui était nouveau.
Cette question se posait particulièrement avec la réintégration de l'arsenal juridique européen dans le droit britannique. En Irlande du Nord, le Brexit pouvait se traduire par le rétablissement de la frontière disparue entre les deux Irlande, qui deviendrait une frontière extérieure de l’Union européenne après le Brexit. De plus, un psychodrame parallèle se jouait en Irlande du Nord où les républicains, partisans du rattachement à Dublin, et les unionistes, qui font allégeance aux Britanniques, n'étaient pas parvenus à former un gouvernement régional, alors que le délai de trois semaines prévu par la loi s’achevait.
Pendant que le Parlement écossais votait en faveur d'un nouveau référendum sur l'indépendance, la politique de la chaise vide poursuivie par le Sinn Féin à Belfast était en train de faire lentement le jeu de la réunification de l'Irlande. Plus de 85% des électeurs du Sinn Féin avaient voté pour rester dans l'UE, tandis que 70% des partisans du DUP (Parti unioniste démocrate) avaient choisi le Brexit. |
Le retour éventuel d’une frontière entre la province britannique de l'Irlande du Nord et la république d’Irlande suscitait alors de profondes inquiétudes. De son côté, le gouvernement de la république d'Irlande accordait la citoyenneté à tout Nord-Irlandais qui en faisait la demande. Près de deux millions de citoyens du Royaume-Uni pouvaient ainsi posséder un passeport européen, une fois le Brexit achevé. Les régions frontalières avaient d’ailleurs voté majoritairement en faveur du "Remain", tandis que le "Leave" l’avait emporté dans le nord-est de la province, situé plus près du reste du Royaume-Uni. Or, l’économie nord-irlandaise bénéficiait grandement de l’appartenance à l’Union européenne, sauf que le Brexit créait une nouvelle frontière en mer d’Irlande, ce qui éloignait économiquement l’Irlande du Nord de la Grande-Bretagne et la rapprochait de l’Irlande.
Toutefois, la question du Brexit en Irlande du Nord semblait pratiquement insoluble. En effet, l’Irlande du Nord ne voulait pas d’une frontière qui entraverait les échanges avec la république d'Irlande ni d’une frontière entre les deux îles britanniques, ce qui reviendrait à l’exclure de la Grande-Bretagne. Évidemment, il n'était pas question pour la république d'Irlande de se voir coupée de l’Europe, et vice-versa. Pour les unionistes fidèles à la Grande-Bretagne, cette situation représentait une menace existentielle; les jeunes loyalistes nés après les «Troubles» craignaient particulièrement de perdre leur identité britannique. Les événements de désordre récurrents en Irlande du Nord laissaient à penser qu’ils défendraient cette identité par la violence, si c'était nécessaire. Peu de temps après le référendum sur le Brexit, les institutions de Stormont se sont effondrées en 2017. Il faut préciser que l’Irlande du Nord bénéficiait de fonds européens importants à travers la politique agricole commune, ce qui représentait 85 % des revenus de ses agriculteurs en moyenne. Cette perte paraît considérable!
Par ailleurs, de nombreux juristes croient que la protection dont bénéficiait la langue irlandaise en Irlande du Nord provenait de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires dont le gouvernement britannique était signataire. Cette charte favorisait dans toute l'Europe la promotion des langues minoritaires, la facilitation de leur usage dans la vie publique et à «la suppression des restrictions qui décourageraient le maintien de la langue». Cependant, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne signifie que la langue irlandaise perdrait le statut que la Charte accordait à la langue en Irlande du Nord. Il s'agit là d'une hypothèse, mais on voit mal comment Londres reculerait sur une loi dûment adoptée par son parlement.
Les élections du 2 mars 2017 se conclurent par un résultat serré. Les nationalistes du Sinn Féin, qui prônait le rattachement à la république d’Irlande, s'approchèrent à un siège de la victoire, remportée par le Parti unioniste démocrate. Après trois semaines, la formation d’un nouveau gouvernement échoua. Les négociations entre le Parti unioniste démocrate (DUP) et le Sinn Féin nationaliste n’aboutirent pas. Comme il fallait s'y attendre, les deux partis se reprochèrent mutuellement, encore une fois, d’être la cause de cet échec.
Entre 2017 et 2020, le Parlement de Stormont cessa de fonctionner à nouveau après que le principal parti nationaliste, le Sinn Féin, eut quitté le bateau pour une question de politique linguistique. L’Assemblée fut de nouveau suspendue, avec la démission du DUP loyaliste pour protester contre le «Protocole nord-irlandais». Cette disposition du Brexit avait été conçue pour éviter le retour d’une frontière «dure» entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise, ce qui aurait pu réveiller de vieux fantômes. Mais elle impliquait une frontière mouvante entre l’Angleterre et l’Irlande du Nord, ce qui déplaisait fortement aux loyalistes, qui craignent ainsi de devenir des citoyens britanniques de seconde zone, d’où l’opposition du DUP. Une version moins contraignante du protocole, appelé le «cadre de Windsor», fut signée à la fin de février entre Londres et l’Union européenne, mais le DUP continua de boycotter l’Assemblée législative. Bref, il y avait toujours un obstacle qui empêchait tout accord: quand ce n'était pas la langue, c'était le Sin Féin ou l'économie ou l'UE ou la politique, etc. Il y avait manifestement de la mauvais foi quelque part, surtout que c'étaient les partis unionistes qui en tiraient profit.
Pour les nationalistes irlandais, l’histoire du Royaume-Uni pouvait leur rappeler l'une des leçons les plus importantes concernant l'Irlande du Nord, c'est qu'il vaudrait mieux ne jamais faire confiance au gouvernement britannique pour mettre en œuvre des accords internationaux, même ceux qu’il a aidé lui-même à négocier, à moins que de tels accords ne servent à assurer la prépondérance de la langue anglaise ou les citoyens anglais. Quand il s'agit des Gallois, des Écossais ou des Irlandais, il faudrait toujours s'attendre à des tergiversations, à des faux-fuyants, à des remises en question ou même à des rétrogradations. Dans le passé, les catholiques irlandais ont constamment été pris en otage par les positions des unionistes protestants ultraconservateurs et leur réticence à accepter leurs rivaux comme leurs égaux. Pour être juste envers les partis unionistes, ceux-ci ont toujours été d'une grande cohérence, pour ne pas dire d'un «entêtement» dans leur opposition à toute législation sur la langue irlandaise, puisqu'assez souvent ce sont d’autres formations qui ont essayé de trouver des excuses pour les échecs répétitifs.Après un laps de temps de trois ans, les fonctionnaires de Londres et de Belfast trouvèrent un compromis qui parut acceptable pour les députés unionistes et nationalistes. Le pacte politique repose désormais apparemment sur la langue au lieu de la religion. L'accord porte sur le soutien officiel à la fois à l'irlandais, soutenu par les catholiques, et à l'écossais d'Ulster, identifié à la cause protestante. Après 50 ans de conflits intercommunautaires, un tel compromis reflète à quel point l'Irlande du Nord a changé! Toutefois, les clivages religieux ne sont pas disparus pour autant puisque, grâce à la ségrégation qui se perpétue dans l'éducation et le logement, les catholiques et les protestants et catholiques vivent et s'instruisent séparément.
3.10 Le déblocage législatif
En 2021, le gouvernement britannique avait déclaré que si le Parlement de Stormont ne pouvait pas ou ne voulait pas faire avancer la législation sur l'officialisation de l'irlandais, il interviendrait et la mettrait en œuvre depuis Westminster. C'est ce qui s'est finalement produit dans le but de briser le blocage institutionnel entre le Sinn Féin et le DUP sur leur représentation à l’Assemblée de Stormont. L’adoption de la loi intitulée "Identity and Language (Northern Ireland) Act 2022" (en français: Loi sur l'identité et la langue) fut saluée comme une «étape historique» par les militants qui cherchent maintenant à mettre en œuvre la loi, y compris la nomination du premier commissaire irlandais du Nord. Le titre long est le suivant: "An Act to make provision about national and cultural identity and language in Northern Ireland" ou en français «Loi portant dispositions relatives à l’identité et à la langue nationales et culturelles en Irlande du Nord». En réalité, c'est une loi d'insertion qui modifie substantiellement la Loi sur l'Irlande du Nord de 1998.
Cette Loi sur l'identité et la langue fut d’abord envisagée comme une loi sur la langue irlandaise (en irlandais: Acht na Gaeilge) de l’Assemblée d’Irlande du Nord, laquelle aurait pu donner à la langue irlandaise un statut égal à l’anglais dans la région, similaire à celui de la langue galloise au pays de Galles en vertu de la Loi sur la langue galloise (1993). Finalement, la Loi sur l'identité et la langue de 2022 fut adoptée par le Parlement de Westminster et abrogeait, entre autres, la fameuse loi de 1737 qui interdisait l’usage de l’irlandais dans les tribunaux.
Le 18 mai 2023, le Sinn Féin, toujours favorable à la réunification de l’île d’Irlande, est arrivé en tête des élections locales nord-irlandaises. Avec 30,9% des voix, il affichait une progression de 7,7% par rapport à 2019 et, surtout, il détrônait une fois de plus le DUP unioniste ultraconservateur. Bien qu'il aie reculé au rang de deuxième parti derrière le Sinn Féin, il demeurait le principal porte-parole de la communauté unioniste. Il est donc peu probable que le blocage des institutions politiques nord-irlandaises soit définitivement levé, d’autant que Jeffrey Donaldson, le chef du Parti unioniste démocrate (DUP) à la Chambre des communes britannique, interpréta le résultat enregistré par sa formation comme une validation de l’opposition du DUP aux accords commerciaux post-Brexit, ce qui constituait pour le parti une justification du blocage des institutions politiques. |
- Les opposants à la loi
Il paraîtrait opportun que cette législation de 2022 finisse par vider de son sens l'opposition des unionistes ultraconservateurs d'une autre époque et n’être rien de plus qu’un héritage anachronique de l’assujettissement colonial de la langue irlandaise pendant de nombreux siècles. Néanmoins, les dirigeants du DUP déclarèrent, après l'adoption de la loi par Westminster, qu’il serait plus logique d’adopter une loi sur la langue polonaise qu’une loi sur la langue irlandaise, car plus de résidents d’Irlande du Nord parlent le polonais que l'irlandais; pour eux, c'est un gâchis! Cette affirmation fut vivement contestée par les vérificateurs des faits. Mais ce n'était pas suffisant : les unionistes s'opposèrent à cette loi sous prétexte qu'elle constitue une menace pour l’identité britannique de l’Irlande du Nord. D'autres opposants estiment que le budget de quatre millions de livres (plus de cinq millions de dollars US) alloué pourrait être mieux dépensé ailleurs. Enfin, comme c'est d'ailleurs courant dans ces cas-là, les unionistes disent craindre qu'une telle loi ouvre des possibilités d'emploi réservées exclusivement aux individus qui parlent irlandais, ce qui signifie que les anglophones seraient désavantagés. Étant donné que seuls 10% de la population ont une certaine connaissance de l'irlandais, incluant les enfants de moins de trois ans et les personnes âgées de plus de 75 ans, les Nord-Irlandais, toutes catégories confondues, n'ont rien à craindre avant longtemps pour la non-maîtrise de l'irlandais dans la fonction publique.
Cette dissension de la part des unionistes démontre aussi leur évidente mauvaise foi, alors qu'ils ont toujours obtenu ce qu'ils voulaient depuis plus de cinq cents ans. Non seulement les unionistes loyalistes imposaient leurs droits et leurs privilèges, mais ils ne voulaient surtout pas que les nationalistes catholiques bénéficient des mêmes droits et privilèges qu'eux, même après plus de 500 ans de discrimination. Les unionistes et l'ordre d'Orange ne désirent pas couper le cordon ombilical avec l'Angleterre; la religion est toujours sous-jacente en Irlande du Nord, alors que les députés du Parlement de Belfast s’insultent encore en se traitant mutuellement de «bigots». Il ne fait pas de doute que l'insularité de l'Irlande du Nord a favorisé la non-intervention du gouvernement central et favorisé une particularité quasi «hors-la-loi» au sein du Royaume-Uni. Ces deux éléments ont certainement contribué à façonner son caractère coercitif.
Quoi qu'il en soit, les accusations de discrimination et d'abus des droits civils ont entraîné une vague de sympathie pour la cause nationaliste parmi les observateurs neutres et un fort antagonisme à la cause unioniste. Quant aux députés de Westminster, ils ont fini par en avoir ras le bol de la crise nord-irlandaise à force de protéger constamment les unionistes anglo-protestants.
- Une législation protectrice
Dans cette perspective, c'est bien la première fois que le gouvernement britannique présentait une législation — Loi sur l'identité et la langue — visant à protéger la langue irlandaise et l'écossais d'Ulster au cours de sa longue histoire d’implications peu recommandables dans les affaires du pays. Depuis les statuts de Kilkenny en 1337, toutes les mesures législatives antérieures ont eu pour effet d'accélérer la liquidation de l’irlandais en tant que langue viable d'une communauté autochtone. Ce contexte est important pour comprendre pourquoi l’irlandais est une langue minoritaire et pourquoi les Irlandais avaient un urgent besoin de cette législation protectrice. De guerre lasse, les Anglais, qui n’ont plus guère d’intérêts en Irlande du Nord, aimeraient bien sans doute être débarrassés de ces conflits perpétuels, les récents accords conclus en 2021-2022 étant peut-être une première étape vers un règlement qu'on espérerait définitif.
Toutefois, l'histoire de l'Irlande du Nord est jonchée des efforts de ceux qui ont échoué, bien qu'ils pensaient de bonne foi avoir trouvé la solution aux perpétuels conflits de cette partie de l'Irlande. Les partis politiques, les associations, les mouvements divers, etc., qui pensent aujourd'hui avoir trouvé la vraie solution aux problèmes emmêlés et complexes de l'Irlande du Nord, devraient réfléchir à plus de 500 ans d'histoire troublée avec l'Irlande — à l'époque des statuts de Kilkenny de 1367 —, résultat d'une colonisation fondée sur la discrimination, l'injustice, les préjugés et la haine. Outre ces tensions en Irlande du Nord, le gouvernement britannique doit également faire face aux velléités d'indépendance en Écosse, relancées par le post-Brexit. Après plus d'une centaine d'années de conflits récents, l’Irlande du Nord se retrouve au bord d’un précipice toujours familier.
3.11 Le déblocage politique
Le 18 mai 2022, le Sinn Féin est arrivé en tête des élections locales nord-irlandaises; il faut aidé par le refus du Parti unioniste démocrate (DUP) de participer à l'Exécutif. Le Sinn Féin ambitionnait de devenir le plus grand parti des deux côtés de la frontière irlandaise, et les sondages en république d'Irlande le donnaient en bonne position. Une nationaliste, Michelle O’Neill, sensée devenir première ministre à la suite de la victoire législative du Sinn Féin en 2022, ne put exercer ses fonctions en raison du blocage des institutions par les partis unionistes, qui réclamaient l'abandon des contrôles douaniers avec la Grande-Bretagne en raison du Brexit (le DUP dénonçait dans les dispositions commerciales post-Brexit, une menace sur la place de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni); d'autres refusèrent de retourner au Parlement nord-irlandais afin d'éviter de participer à un gouvernement dirigé pour la première fois par une personne issue du Sinn Féin.
Après des mois de négociations avec le gouvernement
britannique, les unionistes du Parti unioniste démocrate ont annoncé leur
décision en janvier 2024 de mettre fin à leur boycott. Celui-ci entraînait la
paralysie de l'Assemblée et de l'Exécutif nord-irlandais, où le pouvoir doit
être partagé entre les unionistes — toujours attachés au
maintien de l'Irlande du Nord dans le giron britannique —
et les nationalistes.
Le 3 février 2024 constitue un tournant dans l’histoire tourmentée de l’Irlande
du Nord. Michelle O’Neill est devenue la première cheffe républicaine du
gouvernement nord-irlandais, donc favorable à l’unification de l’Irlande. En
vertu de la co-gouvernance issue des accords de paix de 1998, l’unioniste Emma
Little-Pengelly — attachée au maintien de l’Irlande du
Nord au sein du Royaume-Uni — a été choisie comme
vice-première ministre. C'est la première fois que le premier ministre d'Irlande
du Nord est issu de la mouvance républicaine et nationaliste. La nouvelle
première ministre nord-irlandaise a évoqué un référendum sur l’unification de
l’Irlande dans les dix ans qui viennent, lors d’une interview diffusée au
lendemain de son accession historique à la tête du gouvernement local. De son
côté, le gouvernement britannique ne «voit aucune perspective réaliste» d’un tel
référendum; il pense que l’avenir de l’Irlande du Nord est «assuré pour les
décennies qui viennent» au sein du Royaume-Uni. La douloureuse expérience avec
le gouvernement britannique a appris aux Irlandais à ne rien tenir pour acquis.
4 La politique linguistique
Il faut comprendre que la politique linguistique en Irlande du Nord dépend à la fois des Nord-Irlandais, catholiques comme protestants, ainsi que des députés britanniques siégeant à Westminster. Sont donc en cause les anglo-protestants, les anglo-catholiques, les gaélophones et les Anglais d'Angleterre. Cela fait beaucoup d'intérêts à concilier.
4.1 Le statut des langues
Le statut des langues en Irlande du Nord n'avait jusqu'à récemment jamais été clairement défini dans un texte juridique. Même l'anglais n'a pas de statut juridique officiel, bien que cette langue bénéficiait néanmoins de ce statut dans les faits (de facto). Malgré cette situation juridique floue, l'accord de Belfast (ou accord du Vendredi saint), signé le 10 avril 1998, précisait que toutes les parties signataires ont reconnu «l'importance du respect, de la compréhension et de la tolérance vis-à-vis de la diversité culturelle y compris, en Irlande du Nord, pour l'irlandais, l'écossais d'Ulster et les langues des diverses communautés ethniques». Cela fait beaucoup de langues! En ce sens, le gouvernement du Royaume-Uni a pris des engagements spécifiques concernant l'irlandais. De plus, la déclaration commune des gouvernements britannique et irlandais, en date du 1er avril 2003, indique ce qui suit :
Le gouvernement britannique va continuer de s'acquitter de toutes les obligations, acceptées au titre de l'Accord, concernant l'irlandais. En particulier, pour ce qui concerne la radiodiffusion, le gouvernement britannique prendra toutes les mesures nécessaires pour garantir la création, aussi tôt que possible après la réception en avril du dossier économique définitif, d'un fonds de soutien financier pour la production de films de cinéma et de télévision en irlandais. Il prendra aussi des mesures afin d'encourager l'octroi d'une aide à une académie de l'écossais d'Ulster. Les deux gouvernements poursuivront leur collaboration avec les organismes de surveillance compétents et les autorités de radiodiffusion afin de lever les obstacles techniques et autres qui s'opposent à une extension substantielle de la réception de TG4 en Irlande du Nord. |
On est peut-être loin de la proclamation de langues co-officielles, mais il s'agit d'une reconnaissance réelle acceptée par le plus haut niveau de l'État.
Par ailleurs, le Décret de 1999 pour l'Irlande du Nord sur la coopération Nord/Sud, officiellement appelée «The North/South Co-operation (Implementation Bodies) (Northern Ireland) Order 1999», avait prévu la création de l'Organisme Nord/Sud pour la mise en application des politiques linguistiques grâce à deux instances: le Foras na Gaeilge (ou Bureau de la langue irlandaise) et le Tha Boord o Ulstèr Scotch (ou Bureau de l'écossais d'Ulster). Ces deux organismes avaient pour mandat de promouvoir ces deux langues. De plus, en 2006, le Parlement britannique a adopté la Loi sur l'Irlande du Nord, associée à l'«accord de la Saint-Andrew», qui oblige le Comité exécutif de l'Irlande du Nord à adopter une politique disposant comment il entend accroître et protéger le développement de l'irlandais et de l'écossais d'Ulster.
En réalité, la situation de l'Irlande du Nord s'avère différente de celle l'Écosse et du pays de Galles. Il serait abusif de parler de statut juridique particulier en Irlande du Nord, l'anglais demeurant la seule langue officielle de cette région ou «province» du Royaume-Uni. On peut même affirmer que l'Irlande du Nord n'avait, de jure, aucune langue officielle, et que l'irlandais et l'écossais d'Ulster sont reconnus, au sens de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, comme des «langues régionales ou minoritaires». En en mars 1999, un organisme chargé de la gestion des questions linguistiques fut créé, avec trois dénominations : The North-South Language Body (en anglais), An Foras Teanga (en irlandais) et Tha Boord o Leid (en écossais d'Ulster).
Toutefois, la situation a bien changé en 2022 avec l'adoption de la Loi sur l'identité et la langue en Irlande du Nord (Identity and Language Northern Ireland Act).
Partie 7B LA LANGUE IRLANDAISE Article 78J Reconnaissance du statut de la langue irlandaise
2) Ceci s'ajoute à toute autre reconnaissance officielle du statut de la langue irlandaise, y compris, par exemple, dans—
|
4.2 La langue de la législation
En vertu de l'accord de Belfast signé le 10 avril 1998, le gouvernement du Royaume-Uni s'engageait, conjointement avec la république d'Irlande, à favoriser activement la diversité linguistique, ce qui était encore loin de la reconnaissance officielle de l'irlandais, puisqu'il a fallu attendre 2022. En outre, le gouvernement du Royaume-Uni s'engageait à rendre accessibles en irlandais les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernaient particulièrement les locuteurs de cette langue, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement. De fait, plusieurs textes officiels nationaux ont été traduits et sont disponibles en irlandais. Il en est ainsi pour les textes de l'Assemblée législative de l'Irlande du Sud.
Celle-ci, lorsqu'elle siège, peut autoriser l'usage de l'irlandais dans ses débats; elle a d'ailleurs pris des dispositions dans ce sens. Étant donné que fort peu de députés peuvent s'exprimer en irlandais, il est rare qu'on soit obligé de requérir du personnel pour la traduction simultanée. L'Assemblée emploie aujourd'hui à plein-temps une personne chargée de la traduction et de l'interprétation en irlandais. Le Foras na Gaeilge, (le «Bureau de la langue irlandaise»), a même rédigé un dictionnaire des termes parlementaires, lequel a été publié le 27 mai 2002 par le président de l'Assemblée législative d'Irlande du Nord.
4.3 La justice
En matière de justice, il n'existait jusqu'à récemment aucune disposition juridique sur la langue irlandaise. Il n'était donc pas possible d'employer l'irlandais ou l'écossais d'Usler dans un tribunal situé en Irlande du Nord. Ainsi, l'article 52 du Règlement sur les juges de paix (2010) prévoyait l'usage obligatoire de l'anglais lors d'une audience judiciaire concernant la télévision ou le téléphone:
Article 52 3) Lorsqu'il apparaît au greffier d'une audience judiciaire que le témoin devant être entendu lors d'une procédure pertinente est susceptible de témoigner
dans une autre langue que celle dans laquelle doit se dérouler la cour, il doit prendre des dispositions
pour qu'un interprète soit présent à la procédure en question afin de pour traduire ce qui est dit dans la langue dans laquelle la procédure du tribunal se déroulera. |
Mais la Loi sur l'identité et la langue en Irlande du Nord énonce au chapitre 4 que «la loi de 1737 sur l’administration de la justice (langue) est abrogée». La Loi sur l'administration de la justice - Irlande (1737) demeurait donc encore en vigueur en stipulant que «toutes la procédure devant les tribunaux, les brevets d'invention, les chartes, les amnisties, les commissions, etc., doivent être en anglais et dans une écriture lisible, non en écriture hermétique, et avec les abréviations et chiffres usuels en anglais». Cette loi de 1737 interdisait non seulement de parler irlandais dans une salle d'audience et de remplir des documents judiciaires en irlandais, mais elle imposait une amende de 20 £ chaque fois que l'irlandais était employé devant un tribunal.
La langue irlandaise est maintenant d'un usage légal dans les tribunaux d'Irlande du Nord. Il reste à mettre la loi en pratique. Il faut former des juges, des juristes, des avocats, etc. Étant donné le peu de locuteurs de l'irlandais, il y a fort à parier qu'il s'écoulera beaucoup d'eau avant de voir des procès se dérouler entièrement en irlandais.
4.4 Les services publics
Jusqu'à récemment, seul l’anglais était permis, aussi bien pour l’administration locale de l’Irlande du Nord que pour celle du gouvernement britannique. Depuis quelques années, la situation a changé dans le domaine des langues. En Irlande du Nord, il faut distinguer les services offerts par le gouvernement local et ceux offerts par les conseils de district. Dans le premier cas, à défaut d'autres instruments juridiques, c'est la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée et adoptée par le gouvernement du Royaume-Uni, qui s'applique. Cependant, ces dispositions doivent aussi être en vigueur dans les conseils locaux, bien que ce soit le gouvernement nord-irlandais qui doit en surveiller l'application.
- Les services de l'administration gouvernementale
Le Conseil de l'Europe a publié en 2004 un Rapport du Comité d’experts de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Concernant l'article 10 de la Charte dans la Partie III, on peut y lire les paragraphes 334 et 335 suivants:
334. Les autorités britanniques ont informé le Comité d’experts que la législation générale mentionnée au chapitre 1er du présent rapport constitue le fondement des engagements pris au titre de l’article 10 et que des directives sur la mise en œuvre de la Charte et des Codes de courtoisie pour l’irlandais sont actuellement élaborées.
335. Le rapport indique que les demandes et autres documents rédigés en irlandais sont traités. Plusieurs administrations ont pour politique de répondre en irlandais aux documents qui leur sont soumis dans cette langue. En outre, concernant les ministères de l’Exécutif nord-irlandais et les instances qui en dépendent, une messagerie vocale a été mise en place pour les particuliers qui souhaitent utiliser l’irlandais. Le Bureau de l’Irlande du Nord et le Service judiciaire d’Irlande du Nord appliquent la même politique. Au cours de sa « visite sur le terrain », le Comité d’experts a reçu des plaintes selon lesquelles la messagerie vocale ne fonctionnerait pas correctement, à la fois parce que le public maîtrise mal ce service et parce qu’il y a un temps d’attente avant de recevoir une réponse à un message. Le Comité d’experts a le sentiment que cette messagerie vocale est considérée comme un progrès vers le développement des échanges verbaux en irlandais. Par ailleurs, le Comité d’experts a été informé que les autorités recensent les personnels administratifs qui maîtrisent l’irlandais et qu’elles améliorent les services de traduction interne afin de réduire le temps de traitement des demandes adressées en irlandais par messagerie vocale. Le développement des compétences en irlandais et l’amélioration des services internes de traduction et d’interprétation vont permettre d’étendre les possibilités d’échanges verbaux. |
Dans les faits, plusieurs ministères nord-irlandais ont traduit leurs principaux documents en irlandais et en écossais d'Ulster. L'article 10 de la Charte précise que les autorités publiques doivent avoir la capacité de traduire et d'interpréter, d'autoriser ou d'encourager l'usage des formes traditionnelles des noms de lieux et des noms de famille, de rédiger des documents dans la langue spécifiée, de faciliter les demandes orales et écrites dans la langue, de faciliter l'usage de la langue dans les débats et de permettre aux personnes de soumettre des demandes dans la langue.
Les services en irlandais et en écossais d'Ulster sont encore embryonnaires, mais ils sont facilités lorsqu'ils sont offerts à Belfast. Un service d’interprétation téléphonique appelé "Language Line" a été mis en place pour répondre aux demandes de renseignements téléphoniques de la part des personnes qui ne parlent pas couramment l’anglais. Actuellement, ce service n’est disponible qu’au sein du Bureau de l’état civil des naissances, des décès, des mariages et des partenariats civils. De plus, un service de messagerie vocale en irlandais est disponible à partir du standard principal; des directives ont été données au personnel sur son utilisation.
- Les services des conseils de district
Pour le moment, la politique du gouvernement local tente d'encourager les 11 conseils de district d'accepter des demandes orales ou écrites en irlandais. Les services publics doivent faire en sorte de permettre aux locuteurs de formuler toute demande dans ces langues. Une messagerie vocale a été mise en place pour les membres du public qui souhaitent effectuer leurs démarches en irlandais ou en .cossais d'Usler.
L'Organisme Nord/Sud pour la langue a été créé en vertu d'un décret de 1999 pour l'Irlande du Nord sur la coopération Nord/Sud Order 1999 (North/South Co-operation, Implementation Bodies, Northern Ireland). Cet organisme est composé de deux instances distinctes: le Boord o Ulster Scotch («Bureau de l'écossais d'Ulster») et le Foras na Gaeilge («Bureau de la langue irlandaise») chargés de promouvoir, selon le cas, l'irlandais et le scots d'Ulster. Plus précisément, le Bureau du scots d'Ulster a particulièrement pour mission de «la promotion d'une plus grande conscience et d'un plus grand usage de l'ullans et des questions culturelles de l'écossais d'Ulster, tant en Irlande du Nord que dans l'ensemble de l'île».
De plus, le Décret sur l'administration locale (dispositions diverses) pour l'Irlande du Nord (1995) a réintroduit une législation donnant aux conseils de district le pouvoir de nommer les rues dans «une autre langue», parallèlement à la dénomination anglaise:
Article 11 Pouvoirs des conseils pour les noms de rue et la numérotation des édifices 1) Un conseil peut ériger au ou près de chaque fin, coin ou entrée de rue dans son district une enseigne montrant le nom de la rue; et une enseigne érigée en vertu du présent paragraphe:
2) Un conseil peut, immédiatement contiguë à une enseigne érigée en vertu du paragraphe 1 désignant le nom d'une rue seulement en anglais, apposer une seconde enseigne désignant le nom de la rue dans une autre langue que l'anglais. |
Dans ce cas, les conseils de district doivent tenir compte de l'opinion des citoyens résidant à proximité de la rue en question. Il n'existe aucune restriction quant à l'usage de la version irlandaise d'autres parties des adresses telles que le ''townland'' (plus petite division administrative, propre à l'Irlande), la ville ou le comté. Le texte du décret de 1995 a permis l'adoption de noms de rues bilingues anglais-irlandais et anglais-écossais d'Ulster. Un certain nombre d'affiches odonymiques (environ 500) ont été ont été libellées en irlandais et en anglais. Pour ce qui est de la signalisation routière, on ne compte qu'un certain nombre de panneaux bilingues (anglais-irlandais) près de la frontière de la république d'Irlande, là où est concentrée une partie des Irlandais celtophones (catholiques).
La langue principale de tous les conseils de district est l’anglais, mais plusieurs font des efforts pour tenir compte d'autres langues, notamment l'irlandais et l'écossais d'Ulster. En général, la politique linguistique est fondée sur une réponse proportionnée aux besoins et aux demandes des locuteurs de ces langues. Les conseil prennent toutes les mesures raisonnables pour répondre à ces besoins et aux demandes dans les limites des ressources disponibles et en tenant compte des droits et obligations prévus par la loi.
Plusieurs conseils de district ont donc adopté des politiques linguistiques formelles. Ainsi, le conseil de district de Fermanagh et d’Omagh a adopté une politique globale sur la diversité linguistique. La ville de Derry et le conseil de district de Strabane ont introduit des politiques distinctes pour l'irlandais et l'écossais d’Ulster. Le conseil de district de Newry, Mourne et Down a adopté une politique linguistique bilingue pour faciliter et encourager la promotion et l’usage de la langue irlandaise et de la langue anglaise dans la zone du conseil. Le conseil du district de Mid Ulster a adopté une politique linguistique irlandaise en décembre 2015 et a mené une EEQ (Employer Equalities Group) sur une proposition de politique concernant l'écossais d'Ulster. Dans les quartiers nationalistes, les enseignes de rue sont souvent bilingues irlandais-anglais. La reconnaissance et l'usage officiel de l'irlandais font partie des doléances régulières des nationalistes.
Londonderry est le nom officiel et légal de la seconde ville d'Irlande du Nord par sa population, après Belfast; c'est également la quatrième plus grande ville de toute l'île d'Irlande. Cependant, les nationalistes et la plupart des catholiques d’Ulster utilisent le nom de Derry, tandis que les protestants unionistes préfèrent généralement Londonderry, ce qui n'exclut pas que le nom Derry soit couramment employé par les deux communautés. Bien que tous les panneaux routiers présentent l'appellation Londonderry, la plupart d'entre eux ont été effacés ou maculés partiellement en (London)derry. Dans la république d'Irlande, seule l'appellation Derry est utilisée, que ce soit sur les cartes, dans les médias ou dans les conversations personnelles. |
Pour les questions concernant l'affichage public, l'irlandais est souvent employé avec l'anglais dans les panneaux publics dans la mesure où ils sont situés dans les districts et les quartiers où les irandophones sont concentrés. Certains districts sont donc plus bilingues que d'autres. En général, les inscriptions en anglais sont prépondérantes, alors que celles en irlandais sont toujours en nombre limité. Les entreprises privées ne sont pas soumises au bilinguisme, ce qui signifie que le bilinguisme dans ce cas demeure extrêmement rare.
- Le Conseil de Belfast
Le Conseil de Belfast est plus particulier parce qu'il doit tenir compte de son statut de capitale de l'Irlande du Nord. La population catholique de Belfast n'a cessé d'augmenter, contrairement à la population protestante qui, comme ailleurs en Irlande du Nord, continue de baisser. Le recensement de 2021 a confirmé que 43% des habitants de Belfast étaient catholiques. Les autres religions sont les suivantes : 12% de presbytériens, 8% d'anglicans, 3% de méthodistes, 6% d'une autre religion chrétienne, 3% d'autres religions et 24% sans religion ou de religion non déclarée.
Une proportion importante de la population de Belfast comprend maintenant de nouvelles communautés au sein desquelles l’anglais n’est peut-être pas la langue maternelle. Le conseil reconnaît le nombre de personnes à Belfast dont la langue maternelle n’est pas l’anglais ou qui choisissent de s’exprimer dans différentes langues. Le Conseil est conscient que le droit d’employer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique est un droit conforme aux principes consacrés par le droit international et national. C'est pourquoi tous les employés doivent comprendre les obligations du conseil en matière de langue et répondre positivement à tous ses clients, qui ont le droit d’être traités «avec courtoisie et respect». Quand quelqu’un choisit d’écrire au conseil en irlandais, le conseil répondra en irlandais. Le Conseil de Belfast fournit également des interprètes pour les petites réunions ou dans des situations d’entrevue individuelle, au besoin, à la condition qu’un préavis soit donné. Le Conseil utilise le service de traduction de la Direction des opérations linguistiques du ministère de la Culture, des Arts et des Loisirs, qui coordonne les services de traduction pour tous les ministères pour toutes les autres langues. Tous les services du conseil ont une personne désignée au sein du Soutien aux entreprises pour assumer la responsabilité des traductions. Au cours des dix dernières années, le conseil a fourni des papiers à en-tête personnels bilingues, des cartes de visite et des bordereaux de compliments en anglais/irlandais et anglais/écossais d’Ulster aux membres élus du Conseil. Le conseil fournit des noms de rue bilingues, si les deux tiers des résidents de la rue le demandent.
Les autorités locales peuvent désormais permettre et encourager les locuteurs de l'irlandais ou de l'écossais d'Ulster à présenter des demandes orales ou écrites dans l'une ou l'autre langue.
4.5 L'éducation nord-irlandaise
L’éducation et la religion sont depuis longtemps étroitement liées en Irlande. L’existence de deux systèmes d'éducation parallèles, l’un catholique et l’autre protestant, résulte des développements historiques amorcés par Henri VIII, qui établit des écoles anglicanes dirigées par le clergé pour promouvoir le protestantisme et la langue anglaise.
Des données détaillées obtenues par "The Detail", un site d'information d'investigation à Belfast, révélaient que près de la moitié des écoliers d'Irlande du Nord sont scolarisés dans des écoles où 95% ou plus des élèves sont de la même religion. Des données détaillées indiquent que 180 écoles au cours de l’année scolaire 2018 n'avaient aucun élève protestant sur leurs listes et que 111 autres écoles n'enseignaient à aucun enfant catholique.
Les données du recensement scolaire annuel fournies par le ministère de l'Éducation pour 1070 écoles montrent que 51% des 311 559 écoliers étaient catholiques, 37% étaient protestants et 12% étaient d’une religion «autre», ce qui comprend d'autres chrétiens, des non-chrétiens et des sans religion ou de religion inconnue. La gravité de la ségrégation religieuse a été reconnue par le premier ministre et chef du DUP (Peter Robinson) en octobre 2010 lorsqu'il a décrit le système d’éducation en Irlande du Nord comme une «forme bénigne d'apartheid qui nuit fondamentalement à notre société» (a "benign form of apartheid which is fundamentally damaging to our society"). D'ailleurs, les lois exigeant que toutes les écoles d'Irlande du Nord offrent une éducation religieuse chrétienne et un culte collectif enfreignent la législation sur les droits de l'homme, a constaté la Haute Cour de l'Irlande du Nord. Dans un jugement historique rendu en juillet 2022, la Haute Cour d'Irlande du Nord a statué que la nature exclusivement chrétienne et du culte violait la liberté de religion ou de conviction d'une famille non religieuse. |
Jusqu'à présent, le programme de ministère nord-irlandais de l'Éducation était donc presque entièrement enseigné d'un point de vue chrétien. Les écoles utilisaient un programme qui a été rédigé par les quatre principales églises en 2007. Le seul enseignement sur les autres croyances était une seule unité sur les «religions du monde», qui est incluse dans les dernières étapes du programme secondaire.
- Les types d'écoles
Plus de 90 % des écoles d'Irlande du Nord sont divisées selon des critères confessionnels. Cela signifie que la grande majorité des enfants sont scolarisés soit dans une école financée par l'État qui attire principalement des familles protestantes, soit dans une école financée par l'État, mais gérée par l'Église catholique romaine. Les types d'écoles sont nombreux:
Écoles contrôlées
("Controlled schools") : près de la moitié des écoles sont des «écoles contrôlées». Elles sont ouvertes à toutes les confessions et à aucune en principe, mais près de 60% des élèves sont protestants, contre 11% de catholiques. Beaucoup étaient à l'origine des écoles d'églises protestantes et les trois plus grandes églises protestantes (presbytérienne, anglicane et méthodiste) ont des représentants aux conseils d'administration de tous les établissements d'enseignement, sauf les crèches, les lycées et les écoles spéciales.
Écoles catholiques subventionnées ("Catholic maintained schools") : elles représentent 44% des écoles primaires et 29% des écoles secondaires. Lorsqu'on les ajoute au nombre des écoles secondaires libres gérées par les catholiques, elles instruisent 44 % de l'ensemble de la population d'âge scolaire. Écoles secondaires libres ("Voluntary grammar schools"): elles sont financées par l'État, mais gérées par des conseils d'administration qui sont responsables de l'emploi du personnel. La plupart sont des écoles libres "A", qui reçoivent des subventions et facturent peu ou pas de frais; les écoles libres "B", qui ne bénéficient pas de subventions disposent d'une plus grande autonomie et elles sont autorisées à facturer des frais. La religion ne fait pas partie des critères d'admission. Écoles intégrées ("Integrated schools"): ce sont des écoles essentiellement à caractère chrétien et accueillent toutes les confessions. Le principe est de les inviter à se rassembler pour améliorer leur compréhension mutuelle. Celles-ci peuvent être subventionnées ou contrôlées. Écoles moyennes irlandaises ("Irish medium schools"): ces écoles enseignent aux élèves la plupart des matières en irlandais (la langue seconde pour la plupart). Écoles spécialisées ("Special schools"): contrôlées ou libres, ces écoles s'adressent aux personnes ayant des besoins pédagogiques particuliers. Mais il subsiste un problème important: comment le système pourrait-il être fonctionnel, alors qu'il n'y a pas d'argent, pas de décisions et aucun soutien pour les besoins particuliers? Écoles indépendantes ("Independent schools"): il n'existe que 16 écoles indépendantes ou privées en Irlande du Nord; elles établissent leur propre programme d'études et leurs politiques d'admission; comme elles ne reçoivent aucune subvention du gouvernement, elles sont financées par les frais de scolarité payés par les parents. ll peut être difficile d'entrer dans une école privée, car elles sont très sélectives dans leurs critères d'admission. Internats ("Boarding schools"): on ne compte que cinq internats en Irlande du Nord; il s'agit soit d'écoles indépendantes soit d'écoles secondaires libres de type A. Certains pensionnaires sont des enfants qui retournent chez eux le week-end, mais il existe également un important contingent international de pensionnaires originaires du monde entier. |
Selon l'article 1er de la Loi sur l’éducation intégrée - Irlande du Nord (2022), une «école intégrée» est une école qui soutient, protège et favorise intentionnellement une éthique de la diversité, de respect et de compréhension entre ceux de cultures et de croyances religieuses différentes et d’aucune, entre ceux de milieux socio-économiques différents et ceux qui ont des aptitudes intellectuelles différentes. Ces écoles invitent les protestants et les catholiques à se réunir avec d’autres traditions pour améliorer leur compréhension mutuelle, de leurs propres cultures, religions et valeurs.
Au cours de l'année scolaire complète la plus récente (2021-2022), le système scolaire de la région comprenait 1124 écoles (de tous types) et environ 346 000 élèves, dont la répartition est la suivante:
• 796 écoles primaires avec 172 000 élèves ;
• 192 écoles post-primaires avec 152 000 élèves ;
• 126 écoles post-primaires hors lycée avec 86 000 élèves ;
• 66 lycées avec 65 000 élèves ;
• 94 écoles maternelles avec 5 800 élèves ;
• 39 écoles spéciales avec 6 600 élèves (spécialement pour les enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux) ; et
• 14 écoles indépendantes ou privées avec 700 enfants.
Les inscriptions dans l'enseignement complémentaire et supérieur étaient les suivantes (en 2019-2020) avant la perturbation des inscriptions et des cours causée par la pandémie de COVID-19 :
• six collèges régionaux d'enseignement supérieur avec 132 000 étudiants;
• deux universités – Queen's University Belfast et Ulster University – avec 53 000 étudiants ;
• deux collèges de formation des enseignants - Stranmillis University College et St Mary's University College, Belfast - avec 2 200 étudiants;
• le College of Agriculture, Food and Rural Enterprise avec 1 700 étudiants sur trois campus; et
• l' Open University avec 4 200 étudiants.
- Les programmes
Le système d'enseignement de l'Irlande du Nord est identique à celui de tout le Royaume-Uni et il est soumis aux mêmes lois, notamment à la Loi sur l'éducation de 2002. Tous les citoyens habitant l'Irlande du Nord sont assurés de recevoir un enseignement en anglais. La scolarité obligatoire du Programme national est formée de quatre «cycles» (''key stages'': «étapes-clés» ou «niveaux-seuil»), dont deux au primaire et deux au secondaire. En Irlande du Nord, le programme diffère du fait qu'il laisse une place à l'enseignement de l'irlandais.
Nombre d’écoles et inscriptions en Irlande du Nord réparties entre l’enseignement irlandais et anglais.
Niveau d'éducation 2016 | Nombre | Inscription | ||
---|---|---|---|---|
Irlandais | Anglais | Irlandais | Anglais | |
Préscolaire | 43 | 899 | 900 | 15 594 |
Écoles primaires | 35 | 917 | 3 905 | 171 612 |
Écoles secondaires | 5 | 235 | 1 049 | 140 413 |
Enseignement supérieur | - | 17 | - | 153 817 |
Collèges universitaires (formation des enseignants) | - | 2 | - | 580 |
Universités | - | 2 | - | 38 350 |
Source: DENI and DEL for English-medium figures.
Les statistiques sur l'éducation en Irlande du Nord sont publiées par le ministère de l'Éducation et le ministère de l'Économie. Les matières obligatoires du programme dans les écoles primaires sont réglementées par le Décret sur la réforme de l’éducation - Irlande du Nord (1989)
Chapitre 5 Le programme d’études 1) Le programme d’études d'une école subventionnée doit:
2) Le programme d’une école subventionnée doit inclure les domaines d’études suivants:
|
Cependant, d'après le Décret sur l'éducation (1996) pour l'Irlande du Nord (''Education (Northern Ireland) Order 1996''), le ministère nord-irlandais de l'Éducation est tenu, en principe, d'encourager et d'organiser le développement de l'enseignement en langue irlandaise. Mais l'article 3 de ce décret paraît quelque peu ambigu, car il ne précise aucune langue, laquelle est assimilée à des «besoins spéciaux en éducation»:
Article 3
Signification de "besoins spéciaux en éducation" et "dispositions spéciales en éducation", etc. 3) Un enfant ne doit pas être considéré comme ayant d'une difficulté d'apprentissage uniquement parce que la langue (ou type de langue) dans laquelle il apprend, a appris ou apprendra diffère d'une langue (ou type de langue) qu'il a toujours parlé à la maison. |
En Irlande du Nord, la langue irlandaise est incluse dans le Programme national de l'Angleterre ("National Curriculum in England"), mais il faut aussi comprendre que l'enseignement de l'irlandais est proposé comme un cours facultatif dans le cadre des langues étrangères avec le français, l'allemand, l'italien et l'espagnol. L'article 35 de l'Annexe 3 (Schedule 3) du décret de 1996 sur l'éducation pour l'Irlande du Nord est précis sur les matières obligatoires (''compulsory contributory subjects''):
Cycle 1 (''Key stage 1'') |
Cycle 2 (''Key stage 2'') |
Cycle 3 (''Key stage 3'') |
Cycle 4 (''Key stage 4'') |
---|---|---|---|
Domaine d'études | Matières obligatoires dans les étapes 1 et 2 |
Matières obligatoires dans l'étape 3 |
Matières obligatoires dans l'étape 3 |
Anglais | Anglais (A) | Anglais (A) | Anglais (A) |
Mathématiques | Mathématiques (A) | Mathématiques (A) | Mathématiques (A) |
Science et technologie | Science (A) |
|
Science (A) |
Environnement et société |
|
|
Histoire ou Géographie, ou Études des affaires ou Sciences économiques ou Sciences politiques ou Économie domestique or Études environnementales ou sociales (A) |
Études artistiques et expressives |
|
Éducation physique |
Éducation physique |
Études d'une langue |
Irlandais (seulement dans les écoles de langue irlandaise) (A) | Français ou allemand ou italien ou espagnol ou irlandais (A) |
Français ou allemand ou italien ou espagnol ou irlandais (A) |
Le même ministère de l'Éducation a créé, en août 2000, un organisme (le Comhairle na Gaelscolaíochta) chargé de la promotion de l'irlandais; cet organisme a pour objectifs de promouvoir, d'organiser et d'encourager le développement de l'enseignement en irlandais en Irlande du Nord, de représenter ce secteur et d'entretenir des liens avec le Ministère, en le conseillant sur différentes questions relatives à l'enseignement de l'irlandais.
Le statut d'école subventionnée a été accordé à plusieurs écoles primaires de langue irlandaise. Parmi les critères de viabilité pour ces écoles primaires irlandaises et mixtes (irlandais-anglais), il faut compter un minimum de 15 élèves pour les écoles de Belfast et de Londonderry, et 12 partout ailleurs. Il est rare que l'irlandais soit enseigné dans les écoles primaires (catholiques). Mais il existe une section pour l'enseignement de l'irlandais dans les «Irish Medium Primary Schools». On y compte quelque 35 écoles maternelles (Naíscoileanna) dont peu sont financées par le gouvernement, 25 écoles primaires (Bunscoileanna) dont 10 sont financées par le gouvernement et deux écoles secondaires (Meánscoileanna), toutes deux financées par le gouvernement: l’une est située à Belfast, l’autre à Londonderry. Le nombre des élèves qui étudient l'irlandais au niveau secondaire était de 2452 en 2000/2001, puis 2670 en 2001/20002 et 2689 en 2002/2003.
Le recensement de 2011 comprend des informations sur les principales langues parlées par les résidents de Belfast et la connaissance de l’irlandais et de l’écossais d’Ulster. Le recensement scolaire de 2014-2015 fournit des informations sur le nombre d’écoles dans la région du Conseil municipal de Belfast offrant un enseignement en irlandais. Les résultat sont les suivants:
- 13,45% de la population de Belfast (âgée de trois ans et plus) ont une certaine connaissance en irlandais, contre 10,65% de la population de l’Irlande du Nord dans son ensemble;
- plus de 16 000 personnes à Belfast parlent, lisent, écrivent et comprennent l’irlandais;
- un peu moins de 3000 élèves reçoivent un enseignement en irlandais dans la zone du Conseil municipal;
- 5,22 % de la population de Belfast (âgée de trois ans et plus) ont des connaissance en écossais d'Ulster, contre 8,08 % de la population de l’ensemble de l’Irlande du Nord:
- un peu plus de 2000 personnes à Belfast parlent, lisent, écrivent et comprennent l’écossais d'Ulster;
- 5,47% des habitants de Belfast sont sourds ou ont une perte auditive partielle;
- 4,94% des ménages de Belfast comptent au moins une personne qui n’a pas l’anglais comme langue principale et dans 2,71% des ménages de Belfast, personne n’a l’anglais comme langue principale.
Le système d'éducation prévoit des cours d'irlandais à l'intention des adultes dans la plupart des régions de l'Irlande du Nord. L'administration de l'Irlande du Nord soutient, grâce à l'aide de l'Organisme Nord/Sud pour la langues, les organismes qui proposent des cours d'irlandais ou d'écossais d'Ulster. Le ministère de l'Éducation a créé en août 2000 un organisme de promotion, le Comhairle na Gaelscolaíochta, qui a pour objectif, entre autres, de faciliter et d'encourager le développement de l'enseignement en irlandais en Irlande du Nord, de représenter ce secteur et d'entretenir des liens avec le Ministère, en le conseillant sur différentes questions relatives à l'enseignement de l'irlandais.
En ce qui a trait à l'enseignement supérieur, les universités d'Irlande du Nord — Open University in Ireland, Queen's University Belfast et University of Ulster — proposent un programme d'irlandais dans les divers cycles universitaires. La Queen's University de Belfast offre aux étudiants de premier cycle préparant un diplôme d'anglais la possibilité d'étudier l'écossais d'Ulster dans le cadre d'un module irlandais-anglais.
4.6 Les médias
Les médias en Irlande du Nord sont étroitement liés à ceux du reste du Royaume-Uni et chevauchent également la presse écrite, la télévision et la radio de la république d'Irlande.
La radiodiffusion nord-irlandaise est une question réservée et elle relève donc de la responsabilité du ministère de la Culture, des Médias et des Sports et de l'Office des communications (Ofcom) du Royaume-Uni. Le développement et la production des médias sont soutenus par diverses organisations, dont le Conseil des arts d'Irlande du Nord et l'agence Northern Ireland Screen.
- La presse écrite
En Irlande du Nord , les principaux journaux sont The Irish News, considéré comme pro-social-démocrate et travailliste, et le Belfast Newsletter, à tendance unioniste. Le Belfast Telegraph est le principal journal du soir en Irlande du Nord. Il existe aussi quelques magazines nord-irlandais, dont l'Ulster Tatler, l'Ulster Homes et l'Ulster Bride. Les principaux journaux régionaux sont les suivants: Ballycastle Chronicle, Derry Journal, Donegal News, Irish Daily Star, Newry Democrat, Strabane Weekly News, Ballymoney Chronicle et Tyrone Courier.
Tous les journaux de l'Irlande du Nord sont publiés en anglais. Le seul quotidien de langue irlandaise d'Irlande du Nord dut fermer en 2023. Le journal Nua (soit le New Day), basée à West Belfast, a cessé ses publications après plus de deux décennies de production, car le financement officiel a été retiré.
Par contre, l'Ulster-Scots Agency publie depuis 2002 un journal partiellement en écossais d'Ulster sous le titre de Ulster-Scot, un bimensuel gratuit fourni en supplément avec le journal local The News Letter. Les sujets d'actualité sont basés sur l'héritage de l'écossais d'Ulster et sa variante linguistique de la langue écossaise. Le contenu principal de l'article est rédigé en anglais avec diverses sections en écossais d'Ulster. Il rend compte d'événements tels des danses, des sorties de musique traditionnelle, des livres, etc.
- Les médias électroniques
La BBC nord-irlandaise ou BBC Radio Ulster produit la plupart de ses émissions en anglais. La station nationale nord-irlandaise a commencé à diffuser une émission nocturne d'une demi-heure, appelée "Blas" («goût»), en irlandais au début des années 1980; elle produit aujourd'hui une émission en langue irlandaise sur la station tous les jours.
La station de radio de langue irlandaise de RTÉ, c'est-à-dire RTÉ Raidió na Gaeltachta, basée en république d'Irlande, est également disponible dans de nombreuses régions d'Irlande du Nord. Raidió Fáilte, une station de radio communautaire basée à Belfast-Ouest, couvre la région du Grand Belfast et a commencé à émettre en 2006 et diffuse 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Cette station diffuse une sélection d'émissions sur la musique, les sports, les actualités, les arts, la littérature, les questions environnementales et communautaires.
La Commission du film et de la télévision d'Irlande du Nord gère un fonds de diffusion en langue irlandaise (annoncé par le secrétaire d'État à l'Irlande du Nord en avril 2004) pour favoriser et développer un secteur indépendant de production télévisuelle en langue irlandaise.
En Irlande du Nord, il est difficile de parler de droits linguistiques à l'égard de l'irlandais, car cette langue, lorsqu'elle est parlée, constitue une langue seconde. Par contre, les Écossais d'Ulster parlent souvent l'écossais d'Ulster comme langue maternelle, et ils sont tous bilingues (anglais-écossais). La quasi-liquidation des langues nationales d'Irlande du Nord sont le résultat d'une longue politique d'assimilation pratiquée par les différents gouvernements britanniques et nord-irlandais au cours de l'histoire. Maintenant que l'irlandais et l'écossais d'Ulster ne peuvent plus constituer un réel danger pour l’anglais, leur survie étant devenue extrêmement précaire, le gouvernement de Sa Majesté peut se payer le luxe de la générosité en accordant une plus grande autonomie politique aux Nord-Irlandais, qui pourraient éventuellement tenter de restaurer leurs langues ancestrales.
Bien que les réformes du Royaume-Uni fussent nécessaires, elles semblent arriver un peu trop tard. L’assimilation est devenue une issue incontournable pour toutes les minorités nationales du Royaume-Uni, que ce soit en Irlande du Nord ou ailleurs. Plus rien n’empêchera la très grande majorité des Écossais d'Ulster et des Irlandais de souche de continuer à faire usage de l’anglais dans leur vie quotidienne, à leur travail ou à l’école. Peu importe les subventions gouvernementales, les anciennes directives de l’Union européenne, la restauration de l'administration régionale ou les campagnes de promotion linguistique, l’imaginaire collectif des communautés linguistiques minoritaires continuera de s’exprimer en anglais. L’irlandais risque de demeurer une «langue de décoration», c'est-à-dire une langue identitaire qu’on emploiera dans les lois, les noms de rue, les menus de restaurant, etc., mais pas dans la vraie vie. On ne voit pas comment l'irlandais et l'écossais d'Ulster pourraient devenir des instruments de communication généralisés dans la vie quotidienne des Nord-Irlandais.
Il faut aussi souligner que le territoire de l'Irlande du Nord constitue aujourd'hui un anachronisme destiné à protéger ad nauseam la minorité anglo-protestante de l'île d'Irlande. Jusqu'à tout récemment, les Nord-Irlandais ont pratiqué une guerre rétrograde qui faisait penser au Moyen Âge. Alors que l'Irlande et le Royaume-Uni sont devenus des sociétés plus dispersées et laïques — et que l'influence de l'Église catholique a diminué des deux côtés de la frontière irlandaise — l'ancien clivage catholique opposant les nationalistes protestants et les unionistes catholiques apparaît comme de moins en moins pertinent en Irlande du Nord. De guerre lasse, non seulement le gouvernement britannique n'a plus l'énergie nécessaire pour perpétuer un passé colonial de plusieurs siècles, pendant lequel il a défendu ses intérêts économiques et stratégiques dans l'île, sans tenir compte des souhaits de la majorité du peuple irlandais, mais il en a aujourd'hui ras le bol de cette guerre de religion nord-irlandaise. S'il n'y avait pas eu les attentats terroristes du 11 Septembre 2001 aux États-Unis, qui ont déclassé et éclipsé le conflit nord-irlandais, le gouvernement britannique aurait probablement encore défendu «ses» protestants. Il aura fallu une secousse sismique, les attentats du 11 Septembre 2001, pour forcer l’IRA à désarmer et obliger les protestants à s'entendre avec les catholiques.
Depuis, grâce à la formule de la «dévolution», les députés britanniques ont fini par adopter, malgré l'opposition de ces députés nord-irlandais, une législation reconnaissant l'irlandais au même titre que l'anglais. Il reste encore à déconfessionnaliser complètement le système d'éducation de l'Irlande du Nord. Jusqu'à tout récemment, toutes les raisons paraissaient bonnes pour ne jamais arriver à une entente entre catholiques et protestants, et ce, d'autant plus que les unionistes avaient tout intérêt à entraver les accords, de sorte que la province était mise en tutelle par le Royaume-Uni qui continuait à favoriser ces derniers. Cette époque-là semble révolue. Quoi qu’il en soit, le Royaume-Uni et les protestants nord-irlandais devront se faire à l’idée que l'Ulster va un jour leur échapper et retournera à la république d'Irlande, même si ce n'est pas demain la veille. Cette scission entre les deux Irlande relève peut-être d'un passé colonial disparu, mais les vieux dinosaures veillent au grain et ils sont convaincus que la loi sur la langue irlandaise est un gâchis. La cause nationaliste a encore un long chemin à parcourir si elle veut gagner du terrain.
Lois diverses à portée linguistique pour l'Irlande du Nord