Comunidad Autónoma de Aragón |
Aragon
Communauté autonome d'Aragon |
Capitale: Saragosse Population: 1,3 million (2019) Langue officielle: castillan Groupe majoritaire: castillan (90 %) Groupes minoritaires: catalan (3,3 %), aragonais (2,5 %), arabe, roumain, bulgare, portugais, chinois, polonais, etc. Système politique: l’une des 17 communautés autonomes d’Espagne Articles constitutionnels (langue): art. 3 de la Constitution espagnole de 1978; art. 7-8-35 du Statut d’autonomie de 1982 (abrogé); art. 7 de la Loi organique 5/2007 du 20 avril sur la réforme du Statut d'autonomie de l'Aragon (2007). Lois linguistiques: Déclaration de Mequinenza (1984); Loi n° 3 sur le patrimoine culturel aragonais (1999); Avant-projet de Loi sur les langues d'Aragon (2001); Loi n° 10 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon (2009, abrogée); Décret n° 87 du gouvernement d'Aragon approuvant les statuts de l'Académie de la langue aragonaise (2011); Décret n° 88 du gouvernement d'Aragon adoptant les règles d'organisation interne et le fonctionnement du Conseil supérieur des langues d'Aragon (2011); Décret n° 89 du gouvernement d'Aragon approuvant les statuts de l'Académie aragonaise du catalan (2011); Loi n° 3 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon (2013, en vigueur). Lois à portée linguistique: Loi sur les voies de circulation d'Aragon (1998); Loi n° 8 sur le statut du consommateur et de l'usager de la Communauté autonome d'Aragon (1997); Loi n° 7 sur l'administration locale d'Aragon (1999); Loi n° 3 sur le patrimoine culturel aragonais (1999); Décret n° 140 du gouvernement d'Aragon créant les départements didactiques d'économie, de formation et d'orientation du travail et des langues d'Aragon dans les établissements d'enseignement secondaire de la communauté autonome d'Aragon (2000); Loi n° 5 de la Communauté autonome d'Aragon sur les relations avec les communautés aragonaises de l'extérieur (2000); Loi n° 10 portant création de la comarque de Bas-Aragon (2002); Loi n° 16 sur la publicité institutionnelle (2003); Décret n°206 du gouvernement d'Aragon approuvant le Règlement général de la loi 8/98 du 17 décembre sur les voies de circulation d'Aragon (2003) ; Arrêté du 6 mai du département de l'Éducation, de la Culture et du Sport approuvant le programme d'études de l'enseignement primaire pour la Communauté autonome d'Aragon (2005); Loi sur la qualité des aliments en Aragon (2006); Loi sur les consommateurs et les usagers d'Aragon (2006); Loi sur la jeunesse d'Aragon (2007); Code du droit foral d'Aragon (2011); Règlement des Cortès d'Aragon (2017); Arrêté 949/2017 du 12 juin assignant le programme «Les Aragonais en classe» dans les établissements d'enseignement publics et privés concernés non universitaires de la Communauté autonome d'Aragon pour l'année scolaire 2017-2018; Arrêté 951/2017 du 12 juin assignant au programme "Luzía Due so" pour la diffusion de l'aragonais et de ses particularités linguistiques dans les établissements d'enseignement concernés publics et privés non universitaires de la Communauté autonome d'Aragon au cours de l'année scolaire 2017-2018; Loi n° 2 sur l'apprentissage tout au long de la vie adulte dans la Communauté autonome d'Aragon (2019). |
1 Généralités
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Située au nord de l'Espagne, l'Aragon (en castillan: Aragón) est situé au pied de la chaîne des Pyrénées. Sa superficie est de 47 720 km² (9,4% de la superficie du pays), soit l'équivalent de la République dominicaine ou du Bhoutan.
L'Aragon forme une Communauté autonome (Comunidad autónoma de Aragón) limitée au nord par la France, à l'est par la Catalogne et le Pays valencien, au sud par le Pays valencien et la Castille-La Manche, à l'ouest par la Navarre, La Rioja et la Castille-et-Léon. L'Aragon est formée de trois provinces: Huesca au nord, Zaragoza (ou Saragosse) au centre et Teruel au sud. La capitale est Saragosse située dans la province du même nom, sur l’Èbre. |
Le drapeau de l'Aragon est formé de quatre bandes rouges horizontales sur champ d’or avec le blason d’Aragon constitué de ses quatre quartiers traditionnels: le chêne de Sobrarbe (une croix rouge sur un arbre représentant l’ancien royaume de Sobrarbe), la croix d’Iñigo Arista (une croix blanche sur fond bleu foncé, rappelant la première dynastie de rois d’Aragon), la croix de San Jorge (entourée par les quatre têtes de Maures sur un champ d’argent rappelant la victoire des troupes chrétiennes guidées par Pedro Ier en 1096, contre l’armée musulmane sur le coteau d’Alcoraz) et les bandes d’Aragon (à la verticale).
Lors de la réforme territoriale de 1833, l'Aragon fut divisé en trois provinces; la capitale de chacune d'entre elles se trouve dans la ville du même nom.
Les trois provinces de la Communauté autonome d'Aragon sont divisées en
comarques (comarca ou comarcas); c'est un
niveau administratif comparable aux communautés des communes françaises, mais
avec des territoires un peu plus étendus.
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Les
provinces de Huesca et de Teruel comptent dix comarques, mais la province de
Saragosse en compte treize. Puis chaque comarque est divisée en plusieurs communes, elles-mêmes comprenant des municipalités ou municipios, ou des villages.
Province |
Population (20119 |
% |
Comarques |
Communes |
Huesca |
228 566 |
17,2 % |
10 |
202 |
Zaragoza (Saragosse) |
973 252 |
73,3 % |
13 |
292 |
Teruel |
125 227 |
9,4 % |
10 |
236 |
Total |
1 327 045 |
100,0 % |
33 |
467 |
La population est inégalement répartie dans les provinces, puis que la province de Saragosse compte pour 73,3 % des Aragonais. De plus, la capitale, Saragosse, compte 675 121 habitants, ce qui représente 69,3 % de la province du même nom et 50,8 % de toute la Communauté autonome. Ainsi, avec une densité de
25,2 hab./km², l'Aragon se place au 4e rang parmi les autres communautés autonomes, après la Castille-La Manche, l'Estrémadure et la Castille-et-Léon. |
2 Données démolinguistiques
L'Aragon comptait 1,3 million d'habitants en 2019. Plus de 90 % sont des ressortissants espagnols, mais les autres sont des immigrants venant de nombreux pays et de tous les continents.
2.1 Les langues nationales
L'expression «langues nationales» n'a rien d'officiel en Aragon, car elle ne sert qu'à désigner les langues historiquement parlées en Aragon. On dénombre trois langues romanes historiquement
parlées dans la région: le castillan, l'aragonais et le catalan. Ces langues font partie du groupe ibéro-roman septentrional. Le castillan, le catalan et l'aragonais sont trois langues assez proches linguistiquement l'une de l'autre,
ce qui ne veut pas dire que les Aragonais soient trilingues, comme le laisse
croire cette affirmation: «Les jeunes parlent votre langue. L'Aragon est
trilingue.»
Français |
Castillan |
Aragonais |
Catalan |
L'aragonais (langue aragonaise) est une langue romane parlée par plus de 10 000 personnes dans les localités pyrénéennes d'Aragon. |
El aragonés (lengua aragonesa) es una lengua románica hablada por algo más de 10.000 personas en las localidades pirenaicas de Aragón. |
L'aragonés (Luenga aragonesa) ye una luenga romanze parlada agora por bellas 10,000 personas en as redoladas pirenencas d'Aragón. |
L'aragonès (llengua aragonesa) és una llengua romànica parlada per alguna cosa més de 10.000 persones a les localitats pirenaiques d'Aragó. |
La répartition de la population pour chacune des trois langues se révèle très inégale, notamment pour le castillan en position nettement dominante, tant pour le nombre des locuteurs que par le statut de chacune d'elles. Seul le castillan bénéficie du statut de langue officielle en Aragon.
L'aragonais et le catalan d'Aragon font partie des "modalidades lingüísticas propias", c'est-à-dire des «particularités linguistiques distinctives». Dans ce contexte, les termes français traduits tels «modalité» (du castillan: modalidad) et «propre» (du castillan: proprio) sont pour le moins ambigus. En français, le mot «modalité» ne peut s'appliquer à une forme particulière d'une langue; on parle plutôt de «variantes», de «variétés» ou de «particularités» linguistiques. Quant au mot «propre», il peut signifier «approprié», «spécifique», «distinctif» ou «ce qui n'est pas sale». En Espagne, l'expression "modalidad lingüística propia" renvoie en français davantage à des «particularités» linguistiques «distinctives» dans une région donnée. C'est pourquoi il semble préférable de traduire cette expression en français par
«particularités linguistiques distinctives».
2.2 Le castillan
Près de 90 % des Aragonais, soit environ un million de locuteurs, parlent le castillan (espagnol) comme langue maternelle. Le castillan en usage en Aragon est similaire au reste de l'Espagne, et l'intercompréhension est relativement aisée. Toutefois, le «castillan aragonais» ("castellano aragonés"), appelé aussi «espagnol aragonais» ("español aragonés"), compte certaines caractéristiques particulières, notamment un accent plus régional, ainsi que quelques expressions et constructions syntaxiques locales. La plupart de ces traits distinctifs proviennent de la langue aragonaise; c'est donc un castillan influencé par l'aragonais. Ce castillan aragonais peut être considéré comme une variante septentrionale du castillan.
Comme n'importe quelle variété linguistique, ce castillan aragonais n'est pas homogène. Il existe des différences géographiques que les Espagnols appellent «géolectales» ("geolectales") découlant de traits particuliers propres à une zone géographique donnée.
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On distingue trois variétés internes dans le castillan aragonais:
(1)
Le castillan aragonais du Sud-Ouest ("castellano aragonés suroccidental"):
C'est la variété parlée dans le sud-ouest des provinces de Saragosse et de Teruel. Dans la province de Teruel, elle couvre les comarques de Jiloca, de la Comunidad de Teruel, de la Sierra de Albarracín, de Gúdar-Javalambre; dans la province de Saragosse, ce sont les comarques de l'Aranda, de Campo de Daroca, de la Comunidad de Calatayud, de Tarazona-et-Moncayo. C'est la variété castillane la plus proche du castillan officiel parce qu'elle est située près de la Communauté autonome de Castille-La Manche.
(2) Le castillan aragonais central ("castellano aragonés central") :
Cette variété occupe le milieu des provinces de Saragosse et de Teruel, englobant les comarques de Ribera Alta del Ebro, de Campo de Borja, de Valdejalón, de Zaragoza et de Campo de Cariñena (Saragosse) ainsi que les comarques de Cuencas Mineras et de Maestrazgo (Teruel). Il s'agit d'une variété intermédiaire partageant des traits distinctifs du Sud-Ouest et du Nord-Est.
(3) Le castillan aragonais du Nord-Est ("castellano aragonés nororiental") :
Cette troisième variété du castillan aragonais recouvre une grande zone dans la partie sud de la province de Huesca, ainsi que l'extrémité nord de la province de Saragosse (Cinco Villas), une vaste zone du sud de la province de Huesca (Monegros) et la partie orientale des provinces de Saragosse et de Teruel (Bajo Aragón Histórico et de Ribera Baja del Ebro). C'est la variété qui retient le plus représentatif des particularités phonétiques de la langue aragonaise. |
En espagnol (castillan) |
En français |
- español aragonés - español de Aragón - español regional de Aragón |
- espagnol aragonais - espagnol d'Aragon - espagnol régional d'Aragon |
- castellano de Aragón - castellano aragonés - castellano-aragonés |
- castillan d'Aragon - castillan aragonais - castillan-aragonais |
- dialecto aragonés (del español) - aragonés |
- dialecte aragonais - aragonais |
- baturro ou dialecto baturro |
- baturro ou dialecte beturro | |
En réalité, le castillan aragonais est une variété linguistique particulière aux locuteurs originaires de la Communauté autonome d'Aragon. Il peut aussi porter plusieurs noms (voir le tableau de gauche). Le terme baturro semble être tombé en désuétude, car il correspond à sens nettement dépréciatif: il est utilisé comme synonyme de rusticité ("rusticidad") et d'ignorance ("incultura").
Évidemment, pour les linguistes, les mots castillan (ou espagnol) et aragonais ne sont pas du tout des synonymes. Le castillan est une langue différente de l'aragonais, bien que des similitudes soient manifestes parce qu'elles proviennent toutes deux du latin populaire.
Il est donc faux de croire que l'aragonais est un «dialecte du castillan»,
puisque les deux langues, voire les trois si l'on inclut le catalan, proviennent
de la même origine latine. |
Ces dernières décennies, le castillan aragonais tend à perdre une grande partie de ses propres caractéristiques. La cause est due généralement à la politique de normalisation de la langue castillane qui existe en Espagne en éducation, dans les médias et l'administration
locale. Dans les situations formelles de communication, le castillan standard est de plus en plus utilisé aux dépens du castillan aragonais qui se limite progressivement au plan informel. En outre, les traits aragonais particuliers sont souvent considérés même par beaucoup d'Aragonais comme «vulgaires» ("vulgares") ou «incorrects» ("incorrectos") par comparaison au castillan standard.
L'autre langue particulière à l'Aragon est l'aragonais, appelé aussi fabla, mais aussi Aragoieraz, Altoaragonés, Aragonés, Aragonesa, Patués («patois») ou encore
haut aragonais. Au Moyen Âge, cette langue était parlée sur tout le territoire
de la Couronne d'Aragon (la moitié de la péninsule Ibérique), mais aujourd'hui elle n'est plus employée que dans quelques vallées
des Pyrénées dans la province de Huesca, soit principalement dans les comarques de Jacetania, d'Alto Gallego, de Sobrarbe et dans la partie occidentale du Ribagorce.
L'aragonais serait employé par environ 30 000 locuteurs dans toute la partie
septentrionale de l'Aragon. Cependant, il n'existe pas de recensement réel et fiable sur le nombre de locuteurs parlant l'aragonais. La façon la plus habituelle de procéder est de compiler les chiffres de plusieurs études sur cette question : le nombre de locuteurs se situerait alors entre 12 000 et 40 000 personnes, qui le parleraient de façon active; plus de 40 000 Aragonais connaîtraient cette langue passivement et l'utiliseraient
de façon occasionnelle. Par ailleurs, on estime que seulement 6000 locuteurs utiliseraient l'aragonais sur une base quotidienne. De plus, le degré de conservation de la langue semble très disparate selon les localités de résidence. Ainsi, il existe des localités où son degré de conservation est bon, alors que dans d'autres l'aragonais paraît fortement castillanisé (castellanizada). Selon l'UNESCO, l'aragonais constituerait une «langue en danger» avec seulement quelque 10 000 locuteurs.
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Encore au Moyen Âge, l'aragonais était parlé sur presque tout le territoire de l'ancienne
Couronne d'Aragon, mais il a constamment régressé depuis le XVIIIe siècle pour n'être plus parlé aujourd'hui que dans certaines régions des Pyrénées, tout au nord de la seule province de Huesca.
De plus, l'aragonais est fragmenté en quatre grandes variétés dialectales:
1. L'aragonais occidental (Ansó, Echo, Chasa, Berdún et Chaca): 2. L'aragonais central (Panticosa, Biescas, Torla, Broto, Bielsa, Yebra et L'Ainsa); 3. L'aragonais oriental (Benás - Benasque, Benasc, Patués -, Plan, Bisagorri, Campo, Perarrua, Graus, Estadilla); 4. L'aragonais méridional (Augure, Ayerbe, Rasal, Bolea, Lierta, Huesca, Almudébar, Nozito, Labata, Alguezra, Angüés, Pertusa, Barbastro, Nabal).
En général le niveau d'intelligibilité entre les variétés linguistiques de l'aragonais est assez élevé. L'aragonais central est réputé être «pur», c'est-à-dire libre de castillanismes («castellanismos») ou de catalanismes («catalanismos»). Quant à l'aragonais écrit, il est basé sur l'aragonais central et l'aragonais oriental. Ce dernier compterait plus de locuteurs que toutes les autres variétés d'aragonais.
Il ne faut pas croire que les aires géographiques des différentes variétés de castillan aragonais et d'aragonais (proprement dit) sont parfaitement cloisonnées sur le territoire d'Aragon. Ces parlers sont souvent enchevêtrés, car le castillan aragonais est également parlé dans les aires de l'aragonais occidental, central, oriental ou méridional.
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Pour beaucoup de locuteurs, l’aragonais n’est rien d'autre chose qu’une façon de «mal parler» le castillan, soit un «castillan déformé», voire un «dialecte du castillan», une perception que l’on retrouve en Espagne dans beaucoup de cas
concernant des langues régionales ou minoritaires, typologiquement proches du castillan standard:
aragonais, asturien, riojan, murcien, estrémadurien, andalou. Pourtant, comme
pour le castillan, toutes ces variétés sont issues du même latin.
Ajoutons un mot sur le bénasquais ("benasqués") parlé dans la vallée de Bénasque (cast.: Valle de Benasque; arag. : Bal de Benás) située dans les Pyrénées, plus précisément dans la comarque de Ribargorce (province de Huesta). Le bénasquais a conservé beaucoup de similitudes à la fois avec l'aragonais, le catalan ribagorçan et même le gascon (appelé «aranais» en Catalogne). Il s'agit d'une «langue de transition» entre l'aragonais, le catalan et le gascon, puisqu'elle possède des caractéristiques communes avec chacune des trois langues. Le nombre de locuteurs est estimé entre 1000 et 2500 locuteurs. Bien sûr, la langue la plus employée demeure le castillan!
Il convient de considérer aussi les différents degrés de conservation de la langue aragonaise. On distingue trois zones :
1) Les zones où l'aragonais est bien conservé (zonas donde el aragonés donde se conserva bien); c'est la langue habituelle des locuteurs parlant cette langue : bal d'Echo, bal de Chistau, A fueba, bal de Benás, Ribagorza (depuis Campo jusqu'à Graus) et Ballibió.
2) Les zones où l'aragonais est dans une phase régressive (zonas donde el aragonés se encuentra en una clara fase regresiva); le castillan est la langue habituelle des locuteurs qui utilisent également l'aragonais dans les communications informelles: bal d'Ansó, bal de Tena, bal de Bielsa, Aragüés, Sobrarbe central et méridional, Ayerbe et Galliguera, ainsi que les localités de Semontanos et de Barbastro en Huesca.
3) Les zones où l'aragonais est employé de façon très résiduelle (zonas donde el aragonés se emplea de una forma cada vez más residual); l'aragonais est limitée aux conversations informelles: bal d'Aragón, Zinco Billas et de Bal d'Onsella, Semontanos, Riberas del Ara, del Basa et du Güarga, Plana de Huesca.
On comprendra pourquoi l'UNESCO considère que l'aragonais est une langue en danger de disparition.
Elle est également perçue par l'Union européenne comme une langue minoritaire en danger de disparition. Aussi,
ses locuteurs s'efforcent-ils de faire pression sur les députés d'Aragon afin de promouvoir son usage. Or, les
principaux partis politiques aragonais se livrent depuis 1978 des batailles
linguistiques: si les partis de gauche tentent de protéger les langues
minoritaires que sont l'aragonais et le catalan, les partis de droite, notamment le PP (Parti populaire) et le PAR (Parti aragonais), font
tout pour favoriser le castillan aux dépens de l'aragonais et surtout du catalan, totalement évacué
depuis la Loi sur les
langues de 2013.
2.4 Le catalan dans la «Frange d'Aragon»
Le catalan est la troisième langue en usage en Aragon; il serait parlé par environ 40 000
ou 50 000 locuteurs dans la Franja Oriental de Aragón (en espagnol) ou en catalan Franja Oriental d'Aragó, c'est-à-dire la «Frange orientale d'Aragon», une bande frontalière avec la Catalogne d'une largeur de 15 à 30 km et d'une superficie de 5077 km². Familièrement, cette région est appelée la Franja, la «Frange». Ce territoire ne correspond à aucune structure administrative: tout en faisant partie de Communauté autonome d'Aragon, les frontières des comarques ne coïncident guère avec les aires linguistiques qui caractérisent la «Frange». La Frange d'Aragon fait partie de l'aire catalane, qui est parlée dans le Roussillon (département français des Pyrénées-Orientales), à Andorre, en Catalogne, au Pays valencien et aux îles Baléares, sans oublier la ville d'Alghero en Sardaigne. Dans la Frange d'Aragon, le catalan est appelé le «catalan d'Aragon» (en esp.: "catalán de Aragón" ou en catalan: "català a Aragó"). Dans la Frange, l'aire linguistique comprend les comarques de la Ribagorze, la Litera, de Bas-Cinca, de Bas-Aragon-Caspe, de Bas-Aragon et de Matarraña/Matarranya.
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Le catalan d'Aragon constitue un ensemble de parlers locaux qui maintiennent des caractéristiques distinctes du catalan occidental du Nord, même s'il en fait partie. Ces particularités sont souvent des «aragonismes» (aragonesismos), puisque cette langue a très été en contact avec l'aragonais au moment où cette langue n'avait pas encore été remplacée par le castillan. Le catalan d'Aragon, qui a maintenu aussi des caractéristiques particulières dans la prononciation. En fait, il s'agit
de ce qu'on appelle parfois le «dialecte de Ribagorce» de la province de Huesca. La plupart des catalanophones d'Aragon n'écrivent qu'en castillan.
En 2014, le catalan d'Aragon était parlé par 42 000 locuteurs, soit 88,8% de la
population adulte, bien que dans ce territoire aragonais ce ne soit pas une
langue officielle et n'ait presque aucune présence en termes d'administration et
d'événements publics, sauf dans un enseignement limité.
Comme dans tout l'Aragon, le catalan est fragmenté en plusieurs variétés locales dans la région de la frange orientale : fragatino (Fraga), tamaritano (de Litera Tamarite) maellano (Maella), etc.
Contrairement à l'aragonais, beaucoup de députés des partis de droite, surtout ceux
les membres du PP (Partido Popular : Parti populaire) et du PAR (Partido Aragonés : Parti aragonais), ne veulent pas entendre parler de mesures de protection. Ils sont même farouchement opposés à toute reconnaissance du catalan en Aragon. En
2013, le catalan fut même affublé du nom de LAPAO: "lengua aragonesa propia del área oriental"
(«langue aragonaise de l'aire orientale». Autrement dit, même le nom de la
langue fut supprimé. |
Connaissance de la langue - 2014 |
Comprendre |
Oui |
Non |
Oral |
98,5 % |
1,5 % |
Écrit |
72,9 % |
27,1 % |
Savoir parler |
Oui |
Non |
Oral |
88,8 % |
11,2 % |
Écrit |
30,3 % |
69,7 % |
|
Les tableaux qui suivent correspondent à une étude réalisée par
la Généralité de Catalogne en 2014 concernant la langue catalane
dans la Frange orientale. L'étude s'intitule "Els usos lingüístics a
la Franja, 2014 a Barcelona, 14 de juny de 2017", c'est-à-dire
«Usages linguistiques dans la Frange de 2014, Barcelone, le 14 juin
2017». Selon la Généralité de Catalogne, 98,5% des catalanophones
vivant dans ces municipalités de la Frange comprennent le catalan à
l'oral; 88,8% savent le parler; 72,9% savent le lire, mais seulement
30,3% savent l'écrire. En somme, le catalan d'Aragon n'est pas une
langue morte, bien qu'il ne bénéficie d'aucune reconnaissance
officielle. Sa vitalité repose sur sa proximité avec la Catalogne.
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Le tableau ci-dessous décrit le type de connaissance du catalan
selon l'âge.
Connaissance du catalan - 2014 |
Âge |
Très basse |
Peut parler, mais
peut lire et écrire
avec difficulté |
Élevée
dans toutes les compétences |
De 15 à
29 ans |
41,6 % |
15,4 % |
43,0 % |
De 33 à
44 ans |
40,3 % |
26,8 % |
32,9 % |
De 45 à
64 ans |
28,0 % |
47,0 % |
25,1 % |
65 ans
ou plus |
24,1 % |
58,5 % |
17,4 % |
Les générations plus jeunes, de 15 à 29 ans et de 33 à 44 ans,
ont une connaissance rudimentaire («très basse») du catalan (41,6% et 40,3%),
contrairement aux générations plus âgées (28,0% et 24,1%). Ces deux derniers
groupes peuvent parler le catalan , mais le lisent et l'écrivent avec
difficultés (47,0% et 58,5%). Ce qui est surprenant, c'est que les plus jeunes,
ceux âgés entre 15 et 29 ans, ont une connaissance élevée dans l'ensemble des
compétences.
Utilisation du catalan |
Langue |
2004 |
2014 |
Catalan |
64,4 % |
50,3 % |
Castillan |
35,2 % |
46,1 % |
Autres |
0,4 % |
3,7 % |
|
Le tableau ci-contre montre que la connaissance du catalan a
diminué entre 2004 et 2014; elle est passée de 64,4% en 2004 à 50,3%
en 2014. Par voie de conséquence, la connaissance du castillan a
progressé, passant de 35,2% à 46,1%. Les autres langues (elles ne
sont pas identifiées) ont également progressé. |
Comme on le constate, le catalan est une langue encore vivante dans la Frange d'Aragon, mais son prestige est quasi nul. La présence du catalan en Aragon a depuis toujours constitué un fait
«dérangeant» dans cette région de l'Espagne. Encore une fois, ce qui peut favoriser malgré tout le catalan d'Aragon, c'est sa proximité avec le catalan de la Catalogne.
2.5 Les langues immigrantes
En 2007, l'Aragon comptait quelque 124 400 immigrants, dont 41 000 Roumains, 12 700 Marocains, 11 4000 Équatoriens, 6300 Colombiens, 4200 Bulgares, 4000 Algériens, 3000 Portugais, 2800 Chinois, 2400 Polonais, 2200 Sénégalais, 2100 Argentins, 1800 Gambiens, 1700 Ukrainiens, 1500 Français, 1300 Italiens, etc. Les autres viennent de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Lituanie, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Russie, de la Moldavie, etc. Tous ces immigrants parlaient leur langue maternelle à leur arrivée, mais progressivement ils adopteront le castillan standard contribuant ainsi à minoriser davantage l'aragonais et le catalan.
2.6 Les zones linguistiques
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En 2009, les Cortès (Parlement) d'Aragon adoptaient dans la controverse la Loi sur les langues (Ley de Lenguas), officiellement
appelée la loi
n°
10/2009 du 22 décembre sur l'usage, la protection et la promotion des langues d'Aragon. Cette loi,
abrogée par la loi de 2013, reconnaissait la réalité trilingue de l'Aragon, le castillan étant la langue officielle, avec l'aragonais et le catalan comme «langues distinctives» (en espagnol: "lenguas propias") ou particulières. La loi prévoyait quatre zones linguistiques:
1. Une zone d'utilisation historique prédominante de l'aragonais, à côté du castillan, dans la partie nord de la Communauté autonome.
2. Une zone d'utilisation historique prédominante du catalan, à côté du castillan, dans la partie est de la Communauté autonome, la Frange orientale du Sud.
3. Une zone mixte d'usage historique des deux langues d'Aragon, à côté du castillan, dans la partie nord-est de la Communauté autonome, la Frange orientale du Nord.
4. Une zone d'utilisation exclusive du castillan avec des variétés et des particularités à l'ouest de la Frange du Nord.
Selon les annexes au texte de loi de 2009, la langue aragonaise et ses variétés locales
étaient couramment utilisées dans 137 localités dans la province de Huesca et 8 dans la province de Saragosse. En ce qui concerne le catalan, il
était utilisé dans 32 localités de Huesca, dans 24 localités de Teruel et 5 localités de Saragosse. Cependant, avec l'arrivée au pouvoir des partis de droite, cette reconnaissance
fut remise en question, surtout le catalan qui a été complètement évacué par la
Loi sur les langues
de 2013. |
3 Données historiques
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Après la défaite des Carthaginois contre les Romains durant les guerres puniques des IIIe et IIe siècles avant notre ère, l’Hispania fit partie de
l'Empire romain; elle fut
organisée et divisée en trois provinces: la
Bétique (ou Baetica) au sud,
la Lusitanie (Lusitania)
au sud-ouest et la Tarraconaise
(Tarraconensis) dans le reste de la Péninsule.
Puis au IVe siècle furent ajoutées
la Carthaginoise (Carthaginensis) et la Galice (et les
Asturies) sous la juridiction de la Tarraconaise et, au VIe
siècle, la Bélarique ou Balearica (îles Baléares).
Étant donné que l’Hispania était située à
l’extrémité de l’Empire romain, donc plus isolée, le latin parlé
dans ces provinces demeura généralement plus archaïsant et moins
ouvert aux innovations linguistiques venues de Rome. C'est à cette
époque que furent fondées des villes comme Cæsar Augusta (Zaragoza), Bilbilis (Calatayud) et Osca (Huesca). La région fut latinisée pour ensuite être conquise par les Wisigoths à la fin du Ve siècle de notre ère, puis par les Arabes sarrasins à la fin du VIIe siècle. L'incorporation progressive du monde musulman dans les villes contribua à enrichir la vie culturelle et artistique en Aragon, car les villes devinrent des foyers de culture actifs en mettant en contact le monde occidental avec le monde scientifique arabe.
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La région fut rattachée royaume de Navarre au Xe siècle. L'Aragon devint un royaume indépendant lorsque Ramire Ier (1035-1063) reçut le territoire en héritage de son père Sanche le Grand. En 1076, la Navarre fut annexée au royaume d’Aragon et, au cours du siècle qui suivit, d’autres territoires se rattachèrent au royaume grâce à des guerres victorieuses contre les Arabes (Maures). La langue aragonaise fut appelée au cours de cette période le navarro-aragonais.
3.1 L'union du royaume d'Aragon et des comtés catalans
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En 1137, Raimond Bérenger IV de Barcelone épousa Pétronille d'Aragon, ce qui impliquait l'union du royaume d'Aragon et des comtés catalans. Cette union dynastique constituait une confédération du royaume d'Aragon et des comtés catalans réputés indépendants, disposant chacune des entités
avec ses propres lois et ses institutions sous la couronne d'un prince unique:
ce fut le domaine de la Couronne d'Aragon. Raimond-Bérenger IV gouverna l'Aragon, sans en être roi, car il préféra porter le titre de «comte de Barcelone» et de «prince du royaume d'Aragon». Alphonse II d'Aragon (1157-1196), le fils de Raimond-Béranger IV, devint le premier souverain de la Couronne d'Aragon, portant simultanément les titres de comte de Barcelone, comte du Roussillon et roi d'Aragon. Dans les faits, c’est le comté de Barcelone qui constituait la composante prépondérante de la Couronne d’Aragon, politiquement, économiquement et démographiquement. Par conséquent, c'est le catalan qui demeurait la principale langue de communication, c'est-à-dire la langue des souverains et de la chancellerie, à côté de laquelle était également employé l’aragonais.
Le castillan n'était employé que dans les territoires de la Couronne de
Castille. En 1172, le Roussillon français fut conquis par l’Aragon. Par la suite, le royaume de Valence (en 1238), suivi par les îles Baléares (royaume de Majorque), puis la Sicile, la Sardaigne et la ville de Naples furent reprises aux Arabes et formèrent avec le royaume d’Aragon une confédération d’États
réunie sous la Couronne d’Aragon. Au cours de cette période, la Chancellerie royale aragonaise utilisait le latin comme langue écrite, mais le catalan et l'aragonais comme langues d'usage et, de façon occasionnelle, l'occitan. Dans la pratique, le catalan était la langue d'usage des royaumes autonomes de Valence et de Majorque (les îles Baléares). |
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Contrairement aux usages de l'époque, la Couronne d'Aragon développa un mode d'administration très décentralisé, une sorte de confédération arago-catalane, dont le but était de faire face aux grandes différences politiques, économiques et linguistiques des deux entités de la Couronne, c'est-à-dire l'Aragon et la Catalogne. D'un côté, l'Aragon conservait ses particularismes au sein de la Couronne d'Aragon, grâce à ses Cortès («Parlement») et aux pouvoirs étendus de sa noblesse. L'union de l'Aragon et de la Catalogne allait permettre d'annexer les royaumes de Valence et de Majorque (les îles Baléares).
Cependant, la Couronne d'Aragon trouvait devant elle un rival de taille en la Couronne de Castille, laquelle conservait sous sa juridiction la Galice, le Léon, la principauté des Asturies, la seigneurie de Biscaye, le royaume de Tolède, le royaume de Séville, le royaume de Cordoue et le royaume de Jaén. En 1412, la dynastie castillane des Trastàmara (sous Jean II de Castille) s’installa en Aragon et contribua à la propagation du castillan. Pendant que les classes riches et instruites se castillanisèrent, la population locale continua de parler l’aragonais.
Seuls le royaume de Navarre et le royaume du Portugal, des États chrétiens, demeuraient indépendants des deux couronnes de Castille et d'Aragon. Avant la conquête chrétienne du royaume de Murcie en 1296, celui-ci demeurait un État arabe indépendant, comme c'était le cas pour le royaume de Grenade au sud, qui fut gouverné par la dynastie arabe nasride jusqu'en 1492. |
3.2 L'union de l'Aragon et de la Castille
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En 1469, le mariage de Ferdinand II d’Aragon (futur Ferdinand V de Castille) et d’Isabelle Ire de Castille (1451-1504) unifia les couronnes d’Aragon et de Castille: les deux monarques régnèrent ensemble, même si les deux couronnes restèrent séparées. Les deux royaumes fusionnèrent officiellement en 1516 avec l’accession au trône d’Espagne de Charles Ier (futur Charles Quint). Les rois de la Couronne de Castille allaient posséder au XVIe siècle les titres de roi de Castille, de León, de Navarre, de Grenade, de Tolède, de Galice, de Murcie, de Jaén, de Cordoue, de Séville, de l'Algarve, d'Algésiras et de Gibraltar, sans oublier les îles Canaries, les Indes et la Terre ferme de l'Océan et les seigneuries de Biscaye et Molina. Les héritiers portaient le titre de «prince des Asturies». Toutefois, l’Aragon conserva sa propre administration et ses institutions particulières jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
L'usage généralisé du castillan débuta au XVIIIe
siècle avec l'avènement de la dynastie des Bourbon. Après la guerre de
Succession d’Espagne (1705-1715), le règne de Philippe V (1700-1746), petit-fils
de Louis XIV, fut marqué par une politique de centralisation, inspirée du modèle
absolutiste français. Philippe V occupa Barcelone, fit appliquer les lois
castillanes et abolit toutes les institutions gouvernementales qui existaient en
Aragon et en Catalogne (dont la Généralié). Le castillan devint la seule langue
officielle de l’administration publique dans toute l'Espagne, même si les
habitants continuaient de parler, selon les régions, le catalan, le basque,
l'aragonais, l'asturien, l'andalou, etc. .
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Lors du découpage administratif de l'Espagne en provinces (1833), l'Aragon fut divisée entre trois provinces : Huesca, Saragosse et Teruel. Dès lors, le castillan remplaça progressivement l'aragonais à la cour. La noblesse et les centres urbains furent les premiers foyers de la castillanisation. L'aragonais périclita tout en subissant une influence déterminante de la part du castillan et fut graduellement relégué à l'oral, à la ruralité et au discrédit social. La plupart des auteurs aragonais n'écrivaient déjà plus qu'en castillan.
Le bilinguisme aragonais-catalan dans le royaume d'Aragon et la confédération avec les Catalans était connu en dehors de l'Espagne, comme le fit remarquer l'écrivain français dans Lettres persanes (1721) présentées ici en français de l'époque:
J'ai ouï dire qu'un roi d'Aragon, ayant assemblé les États d'Aragon et de Catalogne, les premières séances s'employèrent à décider en quelle langue les délibérations seroient conçues : la dispute étoit vive, et les États se seroient rompus mille fois, si l'on n'avoit imaginé un expédient, qui étoit que la demande seroit faite en langage catalan et la réponse en aragonois. |
Cela signifie que le bilinguisme en Aragon se poursuivait encore en 1721, malgré la prédominance du castillan. C'est la dynastie des
Trastàmara qui,
ayant pris le relais de la Maison de Barcelone, intensifièrent le processus de castillanisation de la noblesse des royaumes de la confédération, davantage en Aragon et dans le Pays valencien qu'en Catalogne, même en leur laissant l’essentiel de leur autonomie politique. Divers bouleversements politiques et militaires conduisirent au rétrécissement graduel de l’espace catalanophone en Aragon et à la castillanisation de nombreuses localités au cours des siècles. Par exemple, le territoire de la Frange d'Aragon perdit un tiers de ses habitants à la suite des guerres napoléoniennes de 1808-1809 en Espagne.
3.3 La répression linguistique
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Au XIXe siècle, l’Aragon résista fermement aux troupes napoléoniennes, alors que la lutte pour la succession au trône (dès 1833) déchira la population aragonaise entre les partisans carlistes et révolutionnaires, et les libéraux. Le XXe siècle vit naître, dans la vallée de l’Èbre, un mouvement anarcho-syndicaliste qui, lors de la guerre d’Espagne (1936-1939), devint un groupe révolutionnaire tentant d’imposer un communisme agraire. Les batailles les plus sanglantes du conflit entre révolutionnaires aragonais et franquistes eurent lieu à Teruel et sur l’Èbre. Sous le règne du général Franco (1937-1975), la répression linguistique s'abattit sur les Aragonais qui ont dû voir leur langue interdite sur la place publique. Déjà affaibli par la prédominance du castillan, l'aragonais fut strictement limité aux échanges familiers en famille. De plus, une partie importante (environ 30%) de la population catalanophone quitta la «Frange» lors du retrait des forces républicaines en mars 1938, sous les bombardements de l’aviation franquiste. Cependant, après des années de dictature franquiste, l'aragonais vécut une certaine revitalisation. On assista à la création d'associations de défense et de promotion de la langue, à des tentatives de normalisation des variétés et de l'orthographe, à une grande créativité artistique, principalement littéraire.
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3.4 La Communauté autonome d'Aragon
En 1978, l'Aragon est devenue une communauté autonome disposant d'une grande autonomie dans plusieurs domaines. Tenue d'officialiser le castillan sur son territoire en vertu de l'article 3.1 de la Constitution espagnole, l'Aragon pouvait également promouvoir d'autres langues. Toutefois, au lieu de se référer à l’article 3.2 de
la Constitution espagnole pour jeter les bases de sa politique linguistique avec une ou deux
(trois) langues co-officielles, la Communauté autonome d'Aragon a plutôt choisi l’article 3.3 qui s'en tient à des
«particularités linguistiques distinctives» à protéger:
Article 3
1) Le castillan est la langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.
2) Les autres langues espagnoles sont également officielles dans les différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts.
3) La richesse des particularités linguistiques distinctives de l'Espagne est un patrimoine culturel qui doit faire l'objet d'une protection et d'un respect particuliers. |
Autrement dit, on a préféré le folklore à la co-officialité qui aurait impliqué des obligations pour les pouvoirs publics
aragonais. Étant donné que les locuteurs de l'aragonais et du catalan étaient en
1978 très minoritaires, la majorité castillane s'est contentée du minimum prévu par la Constitution, c'est-à-dire protéger le patrimoine culturel sans grand engagement autre que moral
et des mesures incitatives.
- Les velléités protectionnistes
Lors de l'adoption du Statut d’autonomie de 1982 (aujourd'hui abrogé
et remplacé en 2007), l’article 7 se lisait comme suit: «Les diverses particularités linguistiques de l'Aragon bénéficieront d'une protection en tant que parties intégrantes de leur patrimoine culturel et historique.» Ce genre de disposition ne va pas très loin au risque de demeurer simplement
des vœux pieux.
En 1984, la déclaration de Mequinenza devint le premier document juridique assurant une certaine protection au catalan d'Aragon: il devenait alors possible — seulement une possibilité! — pour un enfant de bénéficier de cours en catalan, à partir de l'année scolaire 1984-1985, sur une base volontaire. Cependant, il fallut attendre quinze ans plus tard, en 1999, avec l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel aragonais (1999) pour apprendre à l'article 4 que le catalan et l’aragonais sont lesdites «particularités linguistiques» ayant droit à une telle protection:
Article 4 [abrogé]
Langues minoritaires
L'aragonais et le catalan, langues minoritaires d'Aragon, dans le cadre duquel sont comprises les diverses particularités linguistiques, constituent une richesse culturelle distinctive et doivent être particulièrement protégés par l'Administration. |
Cette loi accordait le statut de «langues minoritaires» à l'aragonais et au catalan, lesquels devaient constituer «une richesse culturelle distinctive» et devaient être particulièrement protégés par l'administration aragonaise. Une disposition finale de cette loi prévoyait l’adoption d’une loi encadrant la co-officialité des deux langues ainsi que les droits de leurs locuteurs, particulièrement dans l’enseignement.
- La Loi sur les langues de 2009
Après maintes tergiversations, le Parlement aragonais finit par adopter
avec difficulté en 2009 la Loi n° 10 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon (aujourd'hui abrogée). Ce fut là le premier texte juridique réglementant l'emploi de l'aragonais et du catalan en tant que langues distinctives ou particulières de l'Aragon:
Article 2 [abrogé en 2013]
Les langues distinctives de l'Aragon
1) Le castillan est la langue officielle en Aragon. Tous les Aragonais ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.
2) L'aragonais et le catalan sont des langues indigènes et historiques de notre Communauté autonome.
3) À ce titre, ces langues bénéficient d'une protection; leur enseignement est garanti et favorisé, ainsi que le droit des locuteurs à les utiliser dans les domaines d'usage historique prédominant, en particulier en ce qui concerne l'administration publique.
4) La procédure pour déclarer les municipalités qui constituent des zones d'usage historique prédominant des langues est déterminée à l'article 9 de la présente loi, selon des critères sociolinguistiques et historiques. |
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Cette loi n° 10 de 2009 mettait en œuvre le découpage d’une zone catalanophone à l’est et d’une zone aragonophone au nord (voir la carte ci-contre). Dans ces deux zones, certains droits linguistiques limités pouvaient être exercés, dont le droit de communiquer avec l’administration aragonaise dans une langue minoritaire et de suivre des cours d’aragonais ou de catalan
sur une base volontaire. Dans les municipalités situées dans ces zones, la loi précisait que les municipalités pourraient offrir des services aux citoyens aragonais dans une autre langue qu'en castillan, et que l'administration aragonaise devait respecter dans les zones d'usage historique prédominant les langues distinctives de l'Aragon, selon les modalités prévues dans l'élaboration des règlements, notamment en éducation.
Bien sûr, ces mesures peuvent paraître peu impressionnantes par comparaison aux lois de la Catalogne, du Pays valencien et des îles Baléares, car les dispositions de la loi aragonaise de 2009 se limitaient à rappeler aux autorités locales leur devoir
à promouvoir l’aragonais et le catalan, identifiés simplement comme «les langues particulières originales et historiques de notre communauté autonome» (art. 2.2), ainsi qu’une responsabilité d’encadrer la formation des enseignants de ces langues (art. 26). Tout dans la loi de 2009 reposait sur le volontariat, la promotion, l'encouragement, sans jamais invoquer la moindre coercition et encore moins une quelconque pénalité en cas de non-respect de la loi.
Quant au statut de co-officialité locale du catalan et de l’aragonais, elle est restée lettre morte, alors que ce statut avait été non seulement prévue par la Constitution (art. 3.2), mais également recommandé dans un rapport de 1993 ("Informe y Resolución del Justicia de Aragón sobre las lenguas minoritarias en Aragón") et un autre de 1997 ("Dictamen elaborado por la Comisión especial sobre la política lingüística en Aragón"). Or, pour la majorité castillanophone, les dispositions prévues dans la loi n° 10 de 2009 se voulaient innovantes, abstraction faite de la grande polarisation dont fait particulièrement l'objet la langue catalane en Aragon. |
3.5 La Loi sur les langues de 2013
Cependant, l’amélioration de la situation juridique du catalan et de l’aragonais rendue possible grâce à la loi n° 10 de 2009, qui rendait
«quasi officiels» l'aragonais et catalan, fut de courte durée. En effet, dès juin 2012, le gouvernement de l'Aragon, sous la direction de Luisa Fernanda Rudi Úbeda, membre du PP (Partido Popular : Parti populaire), présentait un nouvel avant-projet de loi sur les langues. Étant donné que le Parti populaire avait toujours été opposé à la reconnaissance du catalan dans la vie publique de l'Aragon, il ne s'est pas privé pour abroger la loi n° 10/2009 du 22 décembre sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon.
- La réduction des droits
linguistiques
Après de nombreux débats acrimonieux entre les députés, le Parlement aragonais adoptait la loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon. Ce faisant, le gouvernement voulait avant tout consolider le statut du castillan, sans lui opposer de véritable concurrence linguistique. Il s'agissait donc de promouvoir minimalement l'aragonais sur la base du volontariat et
de supprimer toute référence au catalan au profit de cette notion de «langues et particularités linguistiques distinctives d'Aragon» ("lenguas y modalidades lingüísticas propias de Aragón").
Finalement, l'administration aragonaise ne peut dorénavant que
«favoriser» l'usage de l'aragonais tout en laissant le libre choix aux parents à l'enseignement de cette langue (art. 12 de la loi n° 3/2013), et ce, dans deux zones d'usage historique prédominant dans les
régions pyrénéennes. Quant au catalan, sa protection étant jugée inacceptable par le PP (Parti populaire) et le PAR (Parti aragonais), le mot même de «catalan» disparut des dispositions de la loi. Bref, toute la protection juridique
doit se limiter à l'incitation ou à l'encouragement, sans recourir à la moindre coercition.
Il ne faut jamais imposer une langue minoritaire aux castillanophones!
Pourtant, la réussite de toute politique linguistique réside dans un savant mélange de moyens coercitifs et de moyens incitatifs accompagnés de mesures financières, avec en plus une large acceptabilité sociale, sinon c'est l'échec assuré. Dans le cas de l'Aragon, il manque manifestement de mesures coercitives et une acceptabilité sociale par les castillanophones pour assurer un minimum d'égalité d'une langue aragonaise qui ne peut certainement pas contrebalancer la puissante langue nationale. Par comparaison avec la loi n° 10/2009 sur les langues, cette nouvelle loi de 2013 constitue un recul pour la reconnaissance des langues minoritaires tels l'aragonais et surtout le catalan, cette dernière étant complètement mise au ban. Non seulement le castillan est assuré d'être la seule langue officielle, mais toute imposition de l'aragonais ou des particularités linguistiques distinctives de l'Aragon est interdite, puisque l'usage de celles-ci demeure strictement volontaire dans les domaines de l'administration, de l'éducation et de la justice.
- Les tractations politiques
Certains députés de la droite, qui ont aboli la loi de 2009, affirment que toutes les variétés parlées dans les zones pyrénéennes sont protégées par la loi de 2013 et soutiennent que l'ancienne loi était
trop «coûteuse» et qu'elle «obligeait» les fonctionnaires castillanophones à être bilingues. Cette exigence n'est pourtant jamais apparue dans la version de 2009, puisque la cohabitation des trois langues était prévue sans les imposer à qui que ce soit. La vérité est que la loi de 2009 fut approuvée presque in extremis par le gouvernement de l'époque, tandis que cette loi ne fut que faiblement appliquée
par la suite en raison des pressions des partenaires politiques.
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Le Parlement d’Aragon a renommé en 2013 la langue catalane parlée sur son territoire avec l’acronyme LAPAO; il a également changé le nom de l’aragonais en LAPAPYP. Le castillan (LAPOLLA) est maintenant considéré comme la seule langue officielle dans tout l’Aragon, tandis que le LAPAO (anciennement catalan) et le LAPAPYP (aragonais) sont des langues
tout à fait secondaires. En vérité, non seulement le catalan et l'aragonais sont disparus dans le
texte de la loi, mais ils sont devenus innommables. Quant au mot "lapao", il
devint en quelques heures l'un des termes les plus populaires des réseaux sociaux en Espagne.
LAPAO =
Lengua aragonesa propia del área oriental (langue aragonaise propre à la zone orientale);
LAPAPYP =
Lengua aragonesa propia de las áreas pirenaica y prepirenaica (langue aragonaise originaire des régions pyrénéennes et prépyrénéennes); LAPOLLA =
Lengua
aragonesa
propia de
otros
lindos
lugares de Aragón (langue aragonaise propre à d’autres beaux endroits en Aragon) |
Ces acronymes ont été utilisés dans
les instances officielles en Aragon pour désigner l’aragonais de 2013 à 2015,
selon la Loi des langues de 2013. |
Cette appellation a été approuvée le
9 mai 2013 aux Cortès d’Aragon, et la création d’une Académie aragonaise de la
langue était également prévue afin de déterminer les toponymes et les noms
officiels de la communauté.
Il faut reconnaître que la Communauté autonome d'Aragon est soumise aux aléas de la petite politique. Si les partis de gauche, tels le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), le CHA (Chunta Aragonesista : Union aragonaise) et l'UI (Izquierda Unida : Gauche unie), appuient généralement les mesures de protection concernant l'aragonais et le catalan, les partis de droite (PP: Parti populaire; PAR: Parti aragonais) les combattent vigoureusement. Lorsque ces derniers sont au pouvoir, ils privilégient uniquement le castillan. Or, ce sont le Parti populaire et un parti régional minoritaire appelé PAR, qui ont modifié la Loi sur les langues de 2009.
L’opposition a vivement dénoncé l'instrumentalisation politique des questions linguistiques, qui chercherait à affaiblir les langues minoritaires en ne les appelant pas par leur nom. Elle a aussi ridiculisé «l'insulte à l’intelligence» et le «ridicule» de changer le nom officiel de la langue catalane en Aragon. Les experts universitaires ont également critiqué cette décision qui va à l’encontre de tous les critères scientifiques. Après les élections régionales de 2015, le nouveau gouvernement socialiste d’Aragon a annoncé son intention d’abroger la loi.
Si le Nord conserve encore un certain usage de l'aragonais, à l'est c'est le catalan, mais le castillan demeure néanmoins la seule langue officielle du gouvernement autonome. L'aragonais, qui fut la langue de l'ancien royaume d'Aragon pendant des siècles, semble n'être plus que l'ombre de lui-même.
En 2015, le candidat socialiste à la présidence de la
Communauté autonome d'Aragon, Francisco Javier Lambán Montañés, a obtenu le
soutien du Parti socialiste ainsi que de quatre autres partis pour occuper le
poste de président pendant encore quatre ans. Au lendemain de son élection, le
président d'Aragon, Javier Lambán, annonçait que le gouvernement qu'il dirigeait
allait présenter un projet de loi aux Cortès «le plus rapidement possible» pour
abroger la loi linguistique de 2013 et revenir au modèle de la Loi sur les
langues de 2009. Le président Lambán a insisté sur le fait que son intention
était de revenir à la formulation de l'existence des trois langues en Aragon, le
castillan, le catalan et l'aragonais. Toutefois, il a aussi expliqué qu'il
ne peut y avoir qu'une seule langue officielle en Aragon, le castillan. Le
problème, c'est d'avoir suffisamment de voix aux Cortès pour pouvoir mener à
bine sa politique. Son mandat fut renouvelé en 2019 sans que le gouvernement ait
réussi à abroger la Loi sur
les langues de 2013.
4
Le statut évolutif des langues en Aragon
Le statut des langues a été et est mentionné dans plusieurs documents
juridiques importants:
1. la Constitution espagnole de 1978 (en vigueur);
2. le Statut d'autonomie de 1982 (abrogée);
3. la
Loi sur le patrimoine culturel aragonais de 1999 (modifiée et en vigueur);
4. la Loi n° 10/2009 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon (abrogée);
5. la
Loi organique sur la réforme du Statut d'autonomie de l'Aragon de 2007 (en vigueur);
6. la Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon (en vigueur).
4.1 La Constitution espagnole et le castillan
Lorsqu'il n'existe pas de disposition dans la législation d'une communauté autonome, c'est l'article 3.3 de la Constitution espagnole qui s'applique, car le castillan est la langue espagnole officielle de l'État : «Le castillan est la langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.»
Rappelons que, si tous les Espagnols ont le devoir de connaître le castillan, cette obligation ne s'applique pas au catalan, au basque et au galicien, encore moins à l'aragonais. L'usage de ces langues minoritaires en Espagne ne constitue pas une obligation, mais simplement un droit, encore faut-il que le Statut d'autonomie le prévoie. Même en cas de co-officialité, les langues ne sont pas officielles au même degré: la langue officielle de toute l'Espagne demeure le castillan, ce qui lui assure une préséance certaine. Il faut bien comprendre que, en termes de droits linguistiques, la Constitution espagnole reconnaît deux catégories de citoyens et deux catégories de territoires.
Ainsi, la Constitution prévoit un État espagnol unilingue composé de territoires officiellement unilingues (les castillanophones) et de territoires officiellement bilingues pour les
Catalans (Catalogne, Baléares et Pays valencien), les Basques (Pays basque et Navarre) et les
Galiciens (Galice). Comme la Constitution est muette sur l'aragonais et le catalan d'Aragon et que le Statut d'autonomie de l'Aragon de 1982 n'en faisait pas davantage mention, seul le castillan bénéficie du statut d'officialité. L'aragonais et le catalan n'ont aucun statut au sens juridique du terme, hormis la notion floue de «particularités linguistiques distinctives» prévue à l'article 3.3 de la Constitution espagnole.
Bien sûr, cette absence de reconnaissance officielle a souvent été critiquée. Beaucoup ont reproché au gouvernement aragonais de ne pas avoir respecté l'article 3.2 de la Constitution espagnole en vertu de laquelle les langues autres que le castillan «seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives, en accord avec leurs statuts». Certains croient cet article implique un caractère obligatoire, ce qui signifierait que cette situation correspondrait à une discrimination par rapport aux langues des autres communautés autonomes. Techniquement, seul le castillan peut être obligatoire.
4.2 Le Statut d'autonomie de 2007: des particularités linguistiques distinctives
La Loi organique sur la réforme du Statut d'autonomie de l'Aragon abrogeait le Statut d'autonomie de 1982. Dans les deux cas, le texte ne contient aucune référence ni à l'aragonais ni au catalan, ni même au castillan. L'article 7 du Statut de 2007 se limite à prévoir des mesures de protection pour les diverses « langues et particularités linguistiques distinctives d'Aragon» (en castillan: ''Las lenguas y modalidades lingüísticas propias de Aragón''):
Article 7
Langues et particularités linguistiques distinctives
1) Les langues et les particularités linguistiques distinctives d'Aragon constituent l'une des manifestations les plus importantes du patrimoine historique et culturel aragonais et une valeur sociale de respect, de compréhension et de coexistence.
2) Une loi des Cortès d'Aragon déterminera les zones d'usage prédominant des langues et des particularités distinctives de l'Aragon, réglementera le système juridique et les droits d'utilisation des locuteurs de ces territoires, favorisera la protection, le rétablissement, l'enseignement, la promotion et la diffusion du patrimoine linguistique de l'Aragon, et favorisera dans les zones d'usage prédominant l'emploi des langues distinctives dans les communications entre les citoyens et l'administration publique aragonaise.
3) Nul ne peut être discriminé pour un motif de langue. |
Cette même notion, rappelons-le, est présente à l'article 3.3 de la Constitution espagnole : «La richesse des diverses particularités linguistiques de l'Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l'objet d'une protection et d'un respect particuliers.» Dans l'intention du législateur, ces «particularités linguistiques» ou «spécificités linguistiques» sont associées aux éléments du patrimoine culturel et historique de l'Aragon. La culture constitue l'un des domaines relevant de la juridiction du gouvernement autonome, qui était, en ce sens, tenu de veiller à la conservation et à l'étude des manifestations spécifiques de l'Aragon et de ses «spécificités linguistiques». Malheureusement, ces mesures n'auraient pas été respectées par le gouvernement autonome, du moins jusqu'à la seconde moitié des années 1980.
4.3 La Loi sur le patrimoine culturel aragonais et les langues minoritaires
En 1999, la Loi n° 3 sur le patrimoine culturel aragonais énonçait que l'aragonais et le catalan étaient les «langues minoritaires d'Aragon», dans le cadre duquel sont comprises les diverses spécificités linguistiques qui constituent
«une richesse culturelle propre» et doivent être particulièrement protégées par l'administration. Cependant, des modifications ultérieures en 2015 et en 2016 ont passablement changé la portée de l'article 4 des «Langues minoritaires» devenues des «Langues et particularités linguistiques distinctives»,
c'est-à-dire des objets patrimoniaux:
Article 4 [1999, abrogé]
Langues minoritaires
L'aragonais et le catalan, langues minoritaires d'Aragon, dans le cadre duquel sont comprises les diverses particularités linguistiques, constituent une richesse culturelle distinctive et
doivent être particulièrement protégés par l'Administration.
|
Article 4 [en vigueur 2015-2016]
Langues et particularités linguistiques distinctives d'Aragon
1) L'aragonais et le catalan d'Aragon, dans lesquels leurs variétés dialectales sont incluses, sont les langues et les particularités linguistiques visées à l'article 7 du Statut d'autonomie d'Aragon de 2007 et à la loi 3/2013 du 9 mai sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon.
2) Le patrimoine linguistique aragonais constitue l'ensemble des biens matériels et immatériels d'importance linguistique liés à l'histoire et à la culture des langues et des particularités linguistiques d'Aragon. |
Il faut comprendre que le patrimoine historique aragonais concerne en réalité les biens immobiliers d'intérêt culturel comprenant les monuments d'intérêt culturel historique, les sites historiques, les zones archéologiques, les jardins historiques, les châteaux, les grottes, les abris et les lieux qui contiennent des manifestations d'art rupestre et des monuments mégalithiques dans tous leurs types existant en Aragon. L'article 6 de cette loi prévoit un «devoir de préservation» pour ces objets du patrimoine, l'aragonais et le catalan n'en faisant pas partie. D'ailleurs, la seconde disposition finale de la
Loi sur le patrimoine culturel qui prévoyait la nécessité d'adopter une éventuelle loi sur les langues déclarant co-officiels l'aragonais et le catalan, notamment en matière d'enseignement, a été abrogée le 30 janvier 2010:
Seconde disposition finale [abrogée]
Langues d'Aragon
Une loi sur les langues d'Aragon fournira le cadre juridique spécifique pour réglementer la co-officialité de l'aragonais et du catalan, langues minoritaires d'Aragon, ainsi que l'efficacité des droits de leurs communautés linguistiques respectives, tant en ce qui concerne l'enseignement et la langue propre, que la normalisation complète de l'usage de ces deux langues dans leurs territoires respectifs. |
4.4 La Loi sur les langues de 2009
|
La Loi sur les langues de 2009,
adoptée dans la
controverse, fut officiellement appelée la Loi n° 10 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon.
Aujourd'hui abrogée, elle réglementait l'emploi de l'aragonais et du
catalan en tant que langues distinctives ou particulières («langues
propres») de l'Aragon. La loi fut approuvée au Parlement (Cortès)
avec le soutien des partis politiques de gauche, le PSOE (Partido
Socialista Obrero Español : Parti socialiste ouvrier espagnol)
et le CHA (Chunta
Aragonesista : Union aragonaise). Mais elle fut combattue
par les partis de droite: le PP (Partido Popular : Parti
populaire), le PAR (Partido
Aragonés : Parti aragonais) et même par le parti
d'extrême-gauche, l'UI (Izquierda Unida : Gauche unie) pour
d'autres raisons. Les partis de droite sont généralement opposés à
toute reconnaissance du catalan dans la partie orientale de l'Aragon
(«la Frange d'Aragon»), tandis que l'UI va jusqu'à préconiser la co-officialité
du castillan, de l'aragonais et du catalan en Aragon. Autrement dit,
pour le PP et le PAR, la loi va trop loin; pour l'UI, elle n'est pas
pas assez ambitieuse. La loi 10/2009 a été adoptée alors que Marcelino
Iglesias Ricou, membre du Parti socialiste ouvrier espagnol, le
PSOE, était alors le président de l'Aragón (du 2 août 1999 au 14
juillet 2011). |
Dans la Loi
sur les langues de 2009, le statut de l'aragonais et du catalan est ambigu,
car à l'article 2 seul le castillan est officiel. Mais l'aragonais et le catalan
sont des langues locales historiques de la Communauté autonome d'Aragon:
Article 2
[abrogé]
Les langues distinctives de l'Aragon
1) Le castillan est la langue officielle
en Aragon. Tous les Aragonais ont le devoir de le connaître et le
droit de l'utiliser.
2) L'aragonais et le catalan sont des
langues indigènes et historiques
de notre Communauté autonome.
3) À ce titre, ces langues bénéficient
d'une protection; leur enseignement est garanti et favorisé, ainsi
que le droit des locuteurs à les utiliser dans les domaines
d'utilisation historique prédominante, en particulier en ce qui
concerne l'administration publique.
4) La
procédure pour déclarer les municipalités qui constituent des zones
d'utilisation historique prédominante des langues est déterminé à
l'article 9 de la présente loi, selon des critères
sociolinguistiques et historiques. |
La grande différence par rapport aux autres lois en ce qui a
trait au statut des langues, c'est que, en tant que «langues indigènes et
historiques», ces deux langues, l'aragonais et le catalan, bénéficiaient ainsi
d'une protection; leur enseignement était garanti et favorisé, ainsi que le
droit des locuteurs à les employer dans les domaines d'usage historique
prédominant, en particulier en ce qui concerne l'administration publique. Compte
tenu de ces mesures, on dirait dans d'autres pays, que ces langues ont acquis le
statut de «langues officielles» localisées, c'est-à-dire limitées à des zones
précises. Mais, en Aragon, on n'ose pas aller jusque là, sauf la Gauche unie.
4.5 La réforme linguistique de 2013
|
À la suite des élections aragonaises de 2011, le Parti populaire (PP) et le
Parti aragonais (PAR), deux partis de droite, ont pris le pouvoir en
Aragon. Comme ces deux partis se sont opposés à l'adoption de la
Loi sur les langues de 2009, la candidate à la présidence du gouvernement de l'Aragon, Mme Luisa Fernanda
Rudi, exprima lors de son discours d'investiture, le 27 juin 2011,
la position de son parti concernant la loi sur les langues.
Résolument de droite (Parti populaire), elle annonçait alors que son
gouvernement allait abroger la loi 10/2009.
Ce faisant, ce gouvernement voulut consolider le statut du
castillan, sans lui opposer de concurrence linguistique. Son
intention était de promouvoir en douce l'aragonais et bannir toute
référence au catalan au profit des «langues et des particularités
linguistiques distinctives d'Aragon» ("lenguas y modalidades
lingüísticas propias de Aragón). |
Luisa Fernanda Rudi proposa un nouveau projet de loi qui, en même temps, protégerait l'usage des langues particulières d'Aragon et annulerait les aspects de la loi actuelle imposant la normalisation du catalan et de l'aragonais. Voici à ce sujet les propos de Mme Luisa Fernanda Rudi:
No puedo finalizar este apartado sin dejar constancia aquí de que mi Gobierno remitirá a estas Cortes un proyecto de ley de reforma de la actual ley de lenguas, una reforma que al mismo tiempo que proteja y desarrolle el uso de las modalidades lingüísticas propias, derogue aquellos aspectos de la actual que imponen la denominada normalización del catalán y del aragonés.» [Aplausos.] |
[Je ne saurais terminer ce discours sans signaler ici que mon gouvernement va soumettre à cette assemblée des Cortès un projet de loi réformant l'actuelle loi sur les langues, une réforme qui en même temps protégera et étendra l'usage des particularités linguistiques distinctives et abrogera les aspects de la loi actuelle imposant la normalisation du catalan et de l'aragonais. [Applaudissements.] |
Le statut des langues se trouve considérablement modifié avec la
Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon:
Article 2
Les langues et les particularités linguistiques distinctives d'Aragon
1)
Le castillan est la langue officielle utilisée en Aragon. Tous les Aragonais ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.
2) En plus du castillan, l'Aragon possède comme distinctives, originales et historiques,
les langues aragonaises avec leurs particularités linguistiques d'usage prédominant dans les zones septentrionales et orientales de la Communauté autonome.
3) À ce titre, elles bénéficient d'une protection; elles sont favorisées dans leur enseignement et leur rétablissement, et le droit des locuteurs à son usage dans les zones d'utilisation historique prédominante avec l'administration publique est reconnu. |
Une première constatation s'impose: l'absence d'allusion au catalan d'Aragon. Seconde constatation: les langues aragonaises (au pluriel) sont des langues distinctives ("propias"), originales ("originales ") et historiques ("históricas ") avec leurs particularités linguistiques d'usage prédominant dans les zones septentrionale et orientale de la Communauté autonome. Non seulement il ne s'agit pas là d'une réelle avancée pour l'aragonais, mais c'est un net recul pour le catalan d'Aragon. Dans les faits, il ne reste plus en vigueur que la
Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon.
C'est donc à partir de cette loi (Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Arago) que fera suite la présentation de la politique linguistique de la Communauté autonome d'Aragon. Selon le texte, le chapitre I reconnaît la pluralité linguistique de l'Aragon et garantit aux Aragonais l'usage des langues et des particularités linguistiques distinctives comme un patrimoine historique et culturel qui doit être préservé. Le chapitre II prévoit les zones d'utilisation des langues et des particularités linguistiques distinctives ainsi que la déclaration émanant du gouvernement d'Aragon.
Quant au chapitre III, il traite de l'Académie aragonaise de la langue comme institution responsable de l'élaboration et de la fixation des règles relatives à l'utilisation des langues et des particularités linguistiques distinctives. Le chapitre IV concerne spécifiquement la caractérisation des langues et des particularités linguistiques distinctives comme partie du patrimoine culturel aragonais et prévoit diverses mesures pour leur préservation, leur protection et leur promotion. L'enseignement des langues et des particularités linguistiques distinctives est régi par le chapitre V du projet de loi, ainsi que d'autres aspects reliés à la politique éducative en matière de langue. Le chapitre VI contient différentes règles concernant l'usage des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon dans les communications entre l'administration et les citoyens, avec une référence particulière aux publications officielles, à la toponymie et à l'anthroponymie.
5 La politique linguistique
La dénomination officielle pour désigner le gouvernement autonome est Gobierno
de Aragón
(en français: gouvernement d'Aragon), ce qui équivaudrait à un «Exécutif gouvernemental». Selon les dispositions du Statut d'autonomie de 1982 (chapitre I du Titre II), le gouvernement composé du président ("Presidente"), d'un vice-président ("Vicepresidente") et de «conseillers» ("Consejeros») équivalant à la fonction de «ministres». Le président est élu par le parlement d'Aragon ("Cortes de Aragón"), mais nommé par le roi d'Espagne.
À l'instar des autres Communautés autonomes, l'Aragon utilise les termes Departemento et consejero / consejera (fr. «conseiller / conseillère») qui servent à désigner les ministères et les ministres du gouvernement d'Aragon. On peut, en français, employer l'expression «ministre-conseiller» (ou «ministre-conseillère»), voire simplement «ministre», pour rendre compte adéquatement du terme conselleiro / conselleira ; le terme français «conseiller» correspond mal à la fonction dévolue aux consejeros / consejeras en Espagne, car ces postes n'ont rien à voir avec une «personne qui donne des conseils»
— conseiller juridique, conseiller d'orientation, etc. — ou qui fait partie, par exemple, d'un conseil municipal. De plus, le mot vicepresident (fr. «vice-président») sert d'équivalent à «premier ministre». En Espagne, les termes ministerio (fr. «ministère») et ministro / ministra (fr. «ministre») désignent les ministères et les ministres du gouvernement central, et non ceux des Communautés autonomes; le premier ministre du gouvernement espagnol est désigné par l'expression Primer ministro (fr. «premier ministre»).
La politique linguistique de l'Aragon ne se compare pas du tout à celle de la Catalogne (catalan), du Pays basque (basque), de la Galice (galicien), du Pays valencien (catalan) ou des îles Baléares (catalan). Dans ces cinq communautés autonomes, les mesures de protection à l'égard de la langue nationale minoritaire sont très élevées. En Aragon, la situation est très différente, car les partis politiques n'ont jamais réussi à s'entendre à ce sujet. Avant l'adoption de la Loi sur les langues ou plus précisément la Loi 10/2009 du 22 décembre sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon, la politique linguistique se résumait à un argumentaire strictement identitaire, sans réelle mesure de protection. La seule langue officielle est le castillan, celle qui est obligatoire par défaut, selon la Constitution espagnole de 1978.
5.1 Les langues de la législation
Aux Cortès d'Aragon (Parlement de Saragosse), les parlementaires ne se sont exprimés traditionnellement qu'en castillan. Les lois n'étaient adoptées et promulguées dans cette seule langue. Nul n'était autorisé à employer oralement une autre langue que le castillan. Toutefois, les articles 28 et 29 de la Loi n° 10/2009 du 22 décembre sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon (abrogée) laissait entrevoir certaines possibilités à ce sujet, mais la Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Arago a supprimé toute velléité en ce sens. Quant à l'article 7 du Règlement des Cortès d'Aragon (2017), il n'interdit pas formellement une autre langue que le castillan, mais il laisse entendre que les Cortès adapteront leurs procédures en fonction de la législation en vigueur:
Article 6
Langues
Les Cortès de Aragon adapteront leurs
procédures internes et externes, ainsi que leurs relations avec les citoyens,
aux obligations découlant de la
législation en vigueur sur les langues
et en vertu des dispositions du Statut d'autonomie. |
Or, la législation en vigueur fixe l'emploi de la langue aragonaise sur une base volontaire dans les zones d'usage prédominant, ce qui ne concerne pas les Cortès qui siègent à Saragosse, là où aucune langue minoritaire n'est reconnue.
Néanmoins, l'article 18 de la Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon (ou Loi sur les langues de 2013) précise que «toute personne peut s'adresser par écrit aux Cortès d'Aragon dans l'une ou l'autre des langues et des particularités distinctives d'Aragon, et il peut lui être répondu, en plus du castillan, dans cette langue:
Article 18
Les Cortès d'Aragon
1) La réglementation sur l'usage des langues et des particularités distinctives d'Aragon dans les activités internes et externes des Cortès d'Aragon sera établie par règlement.
2) Toute personne peut s'adresser par écrit aux Cortès d'Aragon dans l'une ou l'autre des langues et des particularités distinctives d'Aragon, et il peut lui être répondu, en plus du castillan, dans cette langue. |
Cette disposition ne concerne pas les délibérations des Cortès d'Aragon, mais la possibilité de s'adresser par écrit dans une autre langue (l'aragonais) à cette instance et de recevoir une réponse à la fois en castillan et dans cette langue. Bien que ce soit possible, les délais de réponse en aragonais peuvent être tellement longs qu'il est préférable de s'adresser en castillan.
5.2 La justice
Depuis la mise en place des communautés autonomes, une procédure dans une cour de justice d'Aragon doit se dérouler en castillan. L'article 19 de la Loi sur les langues de 2013 énonce que «
tout citoyen peut s'adresser par écrit à la justice d'Aragon dans l'une ou l'autre des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon, et il lui sera répondu, en plus du castillan, dans cette langue».
Article 19
La justice d'Aragon
1) La justice d'Aragon, dans l'exercice de sa juridiction, doit veiller à la protection des droits linguistiques reconnus par la présente loi et le respect de ses dispositions par les autorités publiques.
2) Tout citoyen peut s'adresser par écrit à la justice d'Aragon dans l'une ou l'autre des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon, et il lui sera répondu, en plus du castillan, dans cette langue.
3) La justice d'Aragon peut publier des rapports écrits et des documents, en plus du castillan, dans les langues et particularités distinctives d'Aragon. |
Il ne s'agit pas ici de la langue des procès, mais des communications administratives entre les justiciables et la
justice, pas les tribunaux. Lorsqu'un citoyen tient absolument à employer une autre langue, que ce soit l'aragonais, le catalan ou l'anglais, la Cour procède
au moyen de l'interprétariat.
De là à obtenir des procès en aragonais ou en catalan, il y a encore beaucoup de travail à faire de la part des autorités aragonaises.
L'article 231 de la Loi organique espagnole sur le pouvoir judiciaire (LOPJ) énonce que, dans tous les actes judiciaires, les juges, les procureurs, les greffiers et les autres fonctionnaires de l’administration judiciaire doivent obligatoirement utiliser le castillan, langue officielle de l’État. Ce même article prévoit également que les juges, les magistrats, les procureurs et les autres fonctionnaires des tribunaux peuvent aussi utiliser les langues co-officielles particulières des communautés autonomes. Étant donné que seul le castillan a acquis le statut de langue officielle en Aragon, il n'est pas possible qu'un procès se déroule dans une autre langue.
Cependant, il est autorisé par le
Code du droit foral d'Aragon (2011) d'employer les langues minoritaires dans les régimes matrimoniaux devant notaire (art. 196), les accords de succession (art. 382) et les testaments (art. 412) :
Article 196
Langue des régimes
Les régimes matrimoniaux peuvent être rédigés dans l'une ou l'autre des langues ou particularités linguistiques d'Aragon que les contractants choisissent. Si le notaire autorisé ne connaît pas la langue ou la variété choisie, les régimes sont conclus en présence et avec l'intervention d'un interprète, pas nécessairement officiel, mais désigné par les contractants et accepté par le notaire, qui doit signer le document.
Article 382
Langue des accords de succession
Les accords de succession peuvent être rédigés dans l'une ou l'autre des langues ou variétés linguistiques d'Aragon que les contractants choisissent. Si le notaire autorisé ne connaît pas la langue ou la variété choisie, le contrat est conclu en présence et avec l'intervention d'un interprète, pas nécessairement officiel, mais désigné par les contractants et accepté par le notaire, qui doit signer le document.
Article 412
Langue des testaments
1) Les testaments notariés peuvent être rédigés dans l'une ou l'autre des langues ou variétés linguistiques d'Aragon que les testateurs choisissent. Si le notaire autorisé ou, le cas échéant, les témoins ou d'autres personnes impliquées dans le testament ne connaissent pas la langue ou la variété linguistique choisie, celui-ci doit être décerné en présence et avec l'intervention d'un interprète, pas nécessairement officiel, désigné par les testateurs et accepté par le notaire qui doit signer le document.
2) De même, les testaments fermés et holographes peuvent être rédigés dans l'une ou l'autre des langues ou variétés linguistiques d'Aragon. |
L'article 21 de la Loi sur les langues de 2013 autorise l'usage de l'une ou l'autre des langues ou des particularités linguistiques d'Aragon dans les actes notariés:
Article 21
Actes notariés
Les actes notariés peuvent être rédigés
dans l'une ou l'autre des langues ou des particularités linguistiques
d'Aragon dans les cas et les conditions prévues par le droit civil applicable. |
Il faut dire que ce type de document concerne davantage la sphère privée qu'un procès.
5.3 Les services gouvernementaux
Étant donné que le castillan est la langue officielle, l'administration publique se doit de n'employer que cette langue avec les citoyens. C'est le cas de façon absolue avec les fonctionnaires de l'État espagnol, tant à l'oral qu'à l'écrit. Cependant, les communications orales au sein de l'administration autonome peuvent se faire en aragonais, mais non en catalan, et sur une base strictement locale. Il en est ainsi des administrations municipales, plus précisément dans certaines municipalités aragonophones
et catalanophones. L'article 2 de la
Loi sur les langues de 2013 énonce bien que le castillan est obligatoire et que «tous les Aragonais ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser», mais en plus du castillan les langues distinctives historiques bénéficient d'une protection dans les zones d'usage historique prédominant avec l'administration publique:
Article 2
Les langues et les particularités linguistiques distinctives d'Aragon
1) Le castillan est la langue officielle employée en Aragon. Tous les Aragonais ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.
2) En plus du castillan, l'Aragon possède comme distinctives, originales et historiques les langues aragonaises avec leurs particularités linguistiques d'usage prédominant dans les zones septentrionales et orientales de la Communauté autonome.
3) À ce titre, elles bénéficient d'une protection ; elles sont favorisées dans leur enseignement et leur rétablissement, et le droit des locuteurs à son usage dans les zones d'usage historique prédominant avec l'administration publique est reconnu. |
C'est donc au niveau de certaines
municipalités du Nord et de l'Est qu'il est possible de communiquer en aragonais
ou en catalan.
- Les zones d'usage historique prédominant de la langue aragonaise distinctive
|
L'article 5 de la Loi sur les langues de 2013 prévoit deux zones d'usage historique prédominant de la langue aragonaise distinctive:
Article 5
Zones d'usage des langues et des particularités linguistiques distinctives
En plus du castillan, langue utilisée dans toute la Communauté autonome aux fins de la présente loi, il existe en Aragon:
a) Une zone d'usage historique prédominant de la langue aragonaise distinctive dans les aires pyrénéennes et prépyrénéennes de la Communauté autonome, avec ses particularités linguistiques.
b) Une zone d'usage historique prédominant de la langue aragonaise distinctive dans l'aire orientale de la Communauté autonome, avec ses particularités linguistiques. | |
Cet article 5 ne mentionne que l'aragonais comme «langue distinctive», y compris dans la Frange d'Aragon (la
zone orientale), puisqu'il ne subsiste aucune allusion au catalan de cette zone. Les
articles 16 et 17 de la Loi sur les langues de 2013 laissent croire que «tous les citoyens ont le droit de s'exprimer oralement et par écrit, en plus du castillan, dans les langues et particularités linguistiques distinctives de l'Aragon, dans leurs zones respectives d'usage prédominant»:
Article 16
Relations entre les citoyens avec l'administration publique
Tous les citoyens ont le droit de s'exprimer oralement et par écrit, en plus du castillan, dans les langues et particularités linguistiques distinctives de l'Aragon, dans leurs zones respectives d'usage prédominant, en conformité avec les dispositions de la présente loi.
Article 17
Publications officielles
Les dispositions, résolutions et accords provenant des organismes institutionnels de la Communauté autonome peuvent, en plus du castillan, être également publiés dans les langues et les particularités linguistiques distinctives au moyen d'une édition séparée dans le Bulletin officiel d'Aragon, lorsque cela est décidé par l'organisme responsable de ces dispositions ou ces accords. |
L'expression «dans les langues et les
particularités linguistiques distinctives» est ambiguë, car la seule langue
dûment mentionnée dans la loi est le castillan. Dans le texte, on trouve des
expressions byzantines du type «langues aragonaises» (ce qui inclut le
castillan), «langue aragonaise distinctive» (ce qui inclut le castillan),
«patrimoine linguistique aragonais» (ce qui inclut le castillan). Lorsque la loi
mentionne les mots «langue aragonaise», elle ne fait pas nécessairement allusion
à l'aragonais, mais toute langue aragonaise, donc parlée en Aragon, ce qui peut
désigner en plus du castillan, l'aragonais et le catalan. D'ailleurs, l'article 20 de la Loi sur les langues de 2013 utilise l'expression «dans la langue et la variété distinctive», ce qui suppose
n'importe quelle langue:
Article 20
Les autorités locales
1) Dans les zones d'usage historique prédominant des langues et des particularités linguistiques distinctives, les débats des organismes des institutions locales peuvent se tenir dans la langue et la variété distinctive concernée, sans préjudice de l'usage de la langue castillane.
2) Les actes, accords et autres documents officiels, y compris les sociétés locales dans les zones visées au paragraphe précédent peuvent être rédigés, en plus du castillan, dans la langue ou la variété linguistique concernée. |
En 2009, les Cortès (Parlement) d'Aragon avaient adopté dans la controverse la Loi sur les langues (Ley de Lenguas), officiellement appelée Loi n° 10 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon. Cette loi reconnaissait la réalité trilingue de l'Aragon, le castillan étant la langue officielle, avec l'aragonais et le catalan comme «langues distinctives» (en castillan: "lenguas propias") ou «particulières». La loi prévoyait alors quatre zones linguistiques:
1. Une zone d'usage historique prédominant de l'aragonais, à côté du castillan, dans la partie septentrionale de la Communauté autonome.
2. Une zone d'usage historique prédominant du catalan, à côté du castillan, dans la partie orientale de la Communauté autonome, c'est-à-dire la Frange orientale du Sud.
3. Une zone mixte d'usage historique des deux langues d'Aragon, à côté du castillan, dans la partie nord-est de la Communauté autonome, la Frange orientale du Nord.
4. Une zone d'usage exclusif du castillan avec des variétés et des particularités à l'ouest de la Frange du Nord.
Tout cela est disparu avec la Loi sur les langues de 2013. Il ne reste plus que deux zones d'usage historique prédominant de la langue aragonaise distinctive: l'une dans la partie septentrionale, l'autre dans l'aire orientale de la Communauté autonome. Le catalan est totalement exclu de toute protection.
- La publicité institutionnelle
Par ailleurs, l'article 6 de la Loi n° 16 sur la publicité institutionnelle (2003) autorise l'usage des langues et des particularités linguistiques d'Aragon:
Article 6
Langues de rédaction
Pour l'usage du castillan ou de certaines des particularités linguistiques aragonaises, la publicité institutionnelle réglementée dans la présente loi doit être adaptée aux dispositions dans la réglementation en vigueur. |
Compte tenu des prescriptions de la Loi sur les langues de 2013, la publicité se fait toujours en castillan et se trouve limitée pour l'aragonais.
- L'incitation sans la coercition
Quoi qu'il en soit, les communications publiques écrites ont toujours été exclusivement en castillan. De plus, il n'a jamais été obligatoire de connaître le catalan ou l'aragonais de la part des employés de la fonction publique aragonaise. Autrement dit, la connaissance d'une autre langue que le castillan n'a jamais constitué un critère d'embauche. D'ailleurs, l'article 11 de la Loi sur les langues de 2013 semble s'en remettre à des vœux pieux, car il ne s'agit que de «favoriser», de «promouvoir» et d'«encourager» les langues et les particularités linguistiques, étant donné qu'il ne subsiste aucune obligation de la part des administrations:
Article 11
Promotion culturelle des langues et des particularités linguistiques distinctives
Dans la promotion de la langue comme véhicule de la culture et, en particulier, en ce qui concerne les bibliothèques, les vidéothèques, les centres culturels, les musées, les archives, les académies, les théâtres et les cinémas, ainsi que les œuvres littéraires et les productions cinématographiques, les manifestations culturelles populaires, les festivals, les industries culturelles et les nouvelles technologies, il revient au gouvernement d'Aragon, en particulier dans les zones d'usage historique prédominant des langues et des particularités linguistiques:
a) d'encourager l'expression et les initiatives dans les langues et les particularités linguistiques, et faciliter l'accès aux œuvres produites dans ces langues.
b) de favoriser les activités culturelles reliées à la promotion des langues et des particularités linguistiques de l'Aragon.
c) de veiller à ce que les organismes chargés d'organiser ou de soutenir les diverses formes d'activités culturelles faisant partie de façon adéquate des connaissances culturelles et de la pratique des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon dans les activités dont l'initiative s'appuie sur celles-ci ou apportent leur soutien.
d) de favoriser la participation directe aux services et aux programmes d'activités culturelles de la part des représentants des locuteurs des langues et des particularités linguistiques.
e) de soutenir les sociétés chargées de rassembler, de rechercher, d'archiver, de cataloguer, de recevoir en dépôt et d'exposer ou de publier des œuvres produites dans les langues et les particularités linguistiques distinctives, ainsi que d'encourager leur création là où il n'existe ni institutions ni services de prévu.
f) de coopérer avec des associations et des institutions en signant des accords ou en instaurant des politiques de subvention. |
Dans ces conditions, le castillan fait partie des
langues et des particularités linguistiques distinctives de l'Aragon.
L'article 6 de la Loi n° 5 de la Communauté autonome d'Aragon sur les relations avec les communautés aragonaises de l'extérieur (2000) énonce que les membres des Communautés aragonaises doivent favoriser l'organisation d'activités à caractère didactique et de vulgarisation concernant les langues et les parlers pour les communautés aragonaises existantes hors du territoire de la Communauté autonome d'Aragon:
Article 6
Compétences pour les membres des Communautés aragonaises
1) Dans le but de faire prendre part aux membres des Communautés aragonaises de la réalité d'Aragon, l'administration de la Communauté autonome d'Aragon, dans le cadre de ses compétences, devra :
b) Favoriser l'organisation d'activités à caractère didactique et de vulgarisation, de cours et de programmes audiovisuels, qui facilitent la connaissance entre les membres des Communautés aragonaises relativement à la culture, l'histoire, l'économie, les langues et les parlers, les coutumes et les traditions, le tourisme et la réalité aragonaise. |
L'aragonais est une langue particulière et théoriquement propre à l'Aragon;
selon le texte précédent, l'aragonais pourrait être un «parler», car le texte
original emploie les termes "las lenguas y hablas". Quoi qu'il en soit, on peut trouver un petit nombre de locuteurs
de l'aragonais dans les communautés autonomes voisines tels la Catalogne, le Pays valencien, la Navarre et la Castille-La Manche.
5.4 La toponymie et l'odonymie
Le choix des dénominations toponymiques (lieux) et l'odonymiques (voies urbaines) relèvent de la juridiction des municipalités situées dans les zones d'usage historique prédominant des langues et des particularités distinctives. L'article 22 de la Loi sur les langues de 2013 précise que ces dénominations doivent être approuvées par l'Académie aragonaise de la langue ("Academia Aragonesa de la Lengua"):
|
Article 22
La toponymie
1) Dans les zones d'usage historique prédominant des langues et des particularités distinctives, la dénomination officielle des toponymes peut être, en plus du castillan, celle traditionnellement employée dans le territoire, sous réserve des dispositions prévues par la législation aragonaise de l'administration locale, tant en ce qui concerne les municipalités que les comarques (communes).
2) Il revient au département du gouvernement d'Aragon compétent en matière de politique linguistique d'entendre l'Académie aragonaise de la langue pour fixer les toponymes de la Communauté autonome, ainsi que les noms officiels des territoires, des agglomérations de population et des routes interurbaines.
3) Les routes urbaines peuvent avoir une dénomination bilingue: celle en castillan et celle traditionnelle, dont la détermination revient aux municipalités. |
Avant l'adoption de la
Loi sur les langues de 2013, une soixantaine de municipalités avaient déclaré le catalan comme étant
d'usage prédominant sur leur territoire. Avec l'abrogation de la Loi n° 10 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon (2009), le bilinguisme ne se voit plus reconnu, car c'est le rejet du caractère co-officiel du catalan; on parle alors d'une "cooficialidad velada", c'est-à-dire d'une co-officialité voilée. Sauf exception, le bilinguisme est
quasi inexistant, du moins visuellement. |
L'article 23 de la Loi n° 7 sur l'administration locale d'Aragon (1999)
laisse entendre que le nom d'une municipalité doit être en castillan ou
dans la langue traditionnelle de leur toponymie, ce qui
supposerait, par exemple, un unilinguisme catalan, mais la phrase suivante
prescrit l'usage simultané de la dénomination dans deux langues, et ce sur
autorisation:
Article 23
Dénomination
La dénomination des municipalités doit être en castillan ou dans la langue traditionnelle de leur toponymie. Cependant, dans les zones du territoire aragonais où l'usage d'une autre langue ou d'une particularité linguistique est généralisé, le gouvernement d'Aragon peut aussi autoriser, sur demande préalablement fondée, l'usage simultané de la dénomination dans cette langue. |
L'article 67 du Décret n° 346/2002 du 19 novembre du gouvernement d'Aragon approuvant le Règlement sur le territoire et la population des organismes locaux d'Aragon reprend en des termes similaires la même disposition:
Article 67
Dénomination des municipalités
1) Toutes les municipalités ont leur propre dénomination à caractère officiel.
2) La dénomination des municipalités doit être en castillan ou dans la langue traditionnelle de sa toponymie. Cependant, dans les zones du territoire aragonais où l'usage d'une autre langue ou d'une particularité linguistique est généralisé, le gouvernement d'Aragon peut aussi autoriser, l'usage simultané de la dénomination dans les deux langues, sur demande préalable de la Mairie et selon les dispositions prévues
à l'article suivant. |
|
Cet «article suivant» (cf. 67.2) correspond à l'article 68 qui décrit la procédure prévue pour modifier une dénomination toponymique. Il faut au préalable un vote des deux tiers de la part d'un conseil municipal pour modifier le nom d'une commune, d'un village ou d'une municipalité. La résolution du conseil municipal doit être acheminée au département de la Présidence et des Relations institutionnelles (''Departamento de Presidencia y Relaciones Institucionales''). Par la suite, si la résolution est acceptée, elle sera publiée par décret du gouvernement d'Aragon dans le Bulletin officiel d'Aragon (''Boletín Oficial de Aragón'') et inscrite au Registre des organismes locaux (''Registro de Entidades locales'').
Bref, il n'existe plus en pratique de "Ciudad bilingüe". |
L'article 47 de la
Loi sur les voies de circulation d'Aragon (1998) traite de la signalisation routière: la signalisation d'information doit être bilingue, en tenant compte des langues et des particularités linguistiques d'Aragon comme des parties intégrantes de son patrimoine culturel et historique.
Article 47
Signalisation d'orientation et d'information
Dans tous les cas, tout en respectant la réglementation de base internationale et nationale, la signalisation d'information doit être bilingue, en tenant compte des langues et des particularités linguistiques d'Aragon comme des parties intégrantes de son patrimoine culturel et historique. |
Dans le Décret n° 206/03 du 22 juillet du gouvernement d'Aragon approuvant le Règlement général de la loi n° 8/98 du 17 décembre sur les voies de circulation d'Aragon (2003), l'article 108 reprend les mêmes dispositions à cet égard:
Article 108
Signalisation bilingue
1) Dans tous les cas, tout en respectant la réglementation de base internationale et nationale, la signalisation d'information doit être bilingue, en tenant compte des langues et des particularités linguistiques d'Aragon comme des parties intégrantes de son patrimoine culturel et historique.
2) Les conditions et les critères pour la mise en place d'une signalisation bilingue doivent être établis par le gouvernement d'Aragon, sur proposition conjointe des départements de la Présidence et des Relations institutionnelles, des Travaux publics, de l'Urbanisme et des Transports, et de la Culture et du Tourisme. |
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On aurait pu, bien sûr, préciser de quelles langues il s'agit, mais le législateur a préféré ne pas aller plus loin. De toute façon, la Loi sur les langues de 2013 exclut le catalan et maintient dans
des limites strictes l'usage de l'aragonais. La signalisation bilingue en Aragon est quasiment inexistante.
L'un des panneaux de signalisation routière ci-contre (A) indique la direction vers la ville de Saragosse. En castillan, c'est Zaragoza, mais le terme de Saragossa est en catalan. Ce panneau bilingue est situé à Valence (Valencia); il indique l'autoroute N-234 reliant Sagunto (Pays valencien) à Burgos (Castille-et-León) en passant près de Saragosse.
L'autre panneau (B) indique la ville d'Uesca, située dans la province de Huesca en terre aragonaise. C'est l'une des rares municipalités bilingues.On y lit Bienvenius/Bienvenidos, Ziudat bilingüe/Ciudad bilin^¨ue, Charramos aragonés/Hablamos castellano. |
5.5 Les droits des consommateurs
En Aragon, les consommateurs peuvent être des personnes physiques, des personnes morales ou des entités associatives sans personnalité juridique. La Loi sur les consommateurs et les usagers d'Aragon (2006) reconnaît à tous les Aragonais les droits suivants: la protection de la santé et de la sécurité, le droit des intérêts économiques, le droit à l'éducation et le droit à l'information. Ce droit à l'information se transmet notamment par la langue. L'article 24 de la Loi n° 8/1997 sur le statut du consommateur et de l'usager oblige le gouvernement d'Aragon à adopter des mesures appropriées pour protéger et favoriser l'usage des langues et des particularités linguistiques propres à l'Aragon:
Article 24
Protection les langues et les particularités linguistiques de la Communauté autonome d'Aragon
Le gouvernement d'Aragon adoptera des mesures appropriées pour protéger et favoriser l'usage des langues et des particularités linguistiques propres à l'Aragon, en relation avec les droits à l'information au consommateur et à l'utilisateur reconnus par la présente loi. |
Dans une loi plus récente, l'article 24 de la Loi n° 16/2006 sur les consommateurs et les usagers d'Aragon (2006) impose l'usage du castillan pour toute information sur les produits de consommation, mais en autorisant aussi la possibilité d'employer aussi les langues et les particularités linguistiques distinctives en Aragon:
Article 24
Principe général
3) Toutes les informations juridiquement exigibles doivent contenir du moins en castillan et, sans préjudice pour le gouvernement d'Aragon d'adopter
des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l'emploi des langues et des particularités linguistiques distinctives en Aragon
en relation au droit à l'information reconnu au consommateur dans la présente loi.
Article 39
Particularités concernant l'information
En plus de se conformer aux exigences d'information énoncées dans la présente loi, le fournisseur de services de la société d'information qui effectue des activités d'embauche électronique est tenu d'informer le consommateur de manière claire, compréhensible, sans ambiguïté et, avant d'entamer le processus de recrutement sur les cas qu'exige la loi régissant la société d'information et tenus, dans tous les cas, de ce qui suit:
a) De respecter les différentes procédures à suivre pour conclure le contrat. d) De respecter la ou les langues dans lesquelles le contrat peut être signé. |
Cependant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. L'aragonais et le catalan ne sont pas encore des langues à égalité avec le castillan dans l'espace public. Ainsi, tout l'affichage public est en castillan, que ce soit les enseignes gouvernementales ou commerciales, mais certains toponymes, de façon bien exceptionnelle, peuvent être rédigés en aragonais, voire en catalan. De façon générale, tous les panneaux routiers et la signalisation n'apparaissent qu'en castillan. Il est extrêmement rare qu'un commerçant utilise une affiche rédigée dans une autre langue que le castillan. En réalité, les seuls cas où la publicité est utilisée en une autre langue que le castillan demeurent les campagnes en faveur de l'aragonais ou du catalan, ou encore lors de certaines fêtes patronales locales.
En somme, l'usage des langues minoritaire reste facultatif et épisodique. Même dans les régions où l'on parle l'aragonais ou le catalan, il est probable que le gouvernement autonome ainsi que les entreprises et les commerçants craignent la réaction hostile des castillanophones devant toute utilisation trop visible d'une langue
minoritaire perçue comme «conflictuelle».
5.6 Les organismes linguistiques
Les organismes linguistiques en Aragon ne sont pas nombreux parce que certains ont été abolis depuis 2013 par la Loi n° 3 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon.
- L'Académie aragonaise de la langue
L'Académie aragonaise de la langue ("Academia Aragonesa de la Lengua") est une institution scientifique aragonaise à caractère officiel et public, dont la création a été approuvée le 9 mai 2013 dans les Cortès d'Aragon par la Loi n° 3 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon. Cette académie remplaçait l'Académie de la langue aragonaise et l'Académie aragonaise du catalan, lesquelles avaient été par la Loi n° 10/2009 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon, aujourd'hui abrogée.
La fonction de l'Académie aragonaise de la
langue est de servir d'organisme consultatif sur la politique linguistique et de déterminer les normes relatives à l'usage correct des langues et des particularités linguistiques distinctives d'Aragon, et de conseiller les autorités publiques et les institutions sur les questions reliées à l'usage des langues, ainsi que leur promotion sociale (voir l'article 7 de la
Loi n° 3/2013 sur les langues). L'Académie comprend 15 membres élus à parts égales par le gouvernement de la Diputación General de Aragón (Conseil général d'Aragon), les Cortès aragonaises et l'Université de Saragosse.
L'Académie aragonaise de la langue devait être composée de deux instituts : l'Instituto de l'aragonés et l'Institut Aragonès del Català, lesquels peuvent proposer au à l'Académie les normes d'usage correct de l'aragonais et du catalan d'Aragon. Cependant, en septembre 2021, les Cortès ont suspendu l'Institut Aragonès del Català et annulé les nominations de l'Académie aragonaise de la langue.
Finalement, le 21 mars 2022, l'Instituto de l'Aragonés et l'Institut Aragonès del Català furent rétablis à Saragosse et intégrés à l'Académie aragonaise
de la langue. Non seulement les deux instituts peuvent proposer des normes de bon usage du
castillan, de l'aragonais et du catalan d'Aragon, mais ils aussi ont le pouvoir d'inventorier et de mettre à jour leur lexique, d'encourager son utilisation, son enseignement et sa diffusion, de mettre en œuvre à la formation des enseignants ou de conseiller les pouvoirs publics et les institutions sur les questions liées deux langues.
- La Société de linguistique aragonaise
La Société de linguistique aragonaise ("Sociedad de Lingüística Aragonesa" ou SLA; en aragonais,
"Sociedat de Lingüistica Aragonesa") est une association privée, fondée en 2004 et dédiée à la promotion de la langue aragonaise. La SLA a produit une alternative à l'orthographe Huesca (Grafía Huesca), considérée comme trop artificielle par les tenants de l'orthographe SLA. Cette dernière est basée sur des conventions orthographiques communes à d'autres langues romanes telles que le catalan et l'occitan. Les objectifs principaux de la SLA sont de contribuer à une meilleure compréhension de l'espace linguistique haut aragonais, en étroite interaction historique dans les zones catalane et gasconne. La Société publie un magazine appelé De Lingva Aragonensi.
- L'Académie de la langue aragonaise [obsolète]
L'Académie de la langue aragonaise ("Academia de la Lengua Aragonesa" en castillan;
"Academia d'a Luenga Aragonesa", en aragonais) était une institution scientifique à caractère public, qui figurait dans la Loi n° 10/2009 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon, en tant qu'autorité linguistique pour la langue aragonaise. Ses statuts ont été approuvés le 5 avril 2011, mais cette académie n'a jamais été constituée. La Loi n° 3/2013 sur les langues a supprimé cette académie, ainsi que l'Académie aragonaise du catalan, et a réattribué ses fonctions prévues en 2009 entre le gouvernement d'Aragon et l'Académie aragonaise de la langue.
On peut lire une traduction des statuts (abrogés) à la suite du Décret n° 87 du gouvernement d'Aragon approuvant les statuts de l'Académie de la langue aragonaise (2011).
- L'Académie aragonaise du catalan [obsolète]
L'Academia Aragonesa del Catalán (en catalan:
"Académia Aragonesa del Català") était une institution scientifique officielle et publique, créée par la loi n° 10/2009
en tant qu'autorité linguistique de la langue catalane en Aragon. Ses statuts ont été approuvés par le gouvernement d'Aragon le 5 avril 2011, publiés au
Journal officiel d'Aragon le 18 avril 2011, mais l'Académie n'a jamais été constituée. Elle fut dotée d'une personnalité juridique propre pour exercer ses fonctions avec une autonomie organique, fonctionnelle et budgétaire, garantissant ses objectifs et son indépendance.
On peut lire une traduction des statuts (abrogés) à la suite du
Décret n° 89 du gouvernement d'Aragon approuvant les statuts de l'Académie aragonaise du catalan (2011).
- Le Conseil supérieur des langues d'Aragon [obsolète]
Le Conseil supérieur des langues d'Aragon ("Consejo Superior de las Lenguas de Aragón";
"Consello Superior d'as Luengas d'Aragón", en aragonais; "Consell Superior de les Llengües d'Aragó", en catalan) se voulait un organisme consultatif du gouvernement aragonais créé par la
Loi n° 10/2009 sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon, et dont les normes de fonctionnement ont été approuvées par le décret 88/2011 du gouvernement d'Aragon. Il avait son siège officiel dans la ville de Saragosse et ses compétences couvraient différentes fonctions consultatives et informatives en matière de politique linguistique, en relation avec les langues existantes dans la communauté autonome d'Aragon. Toutefois, son existence fut de courte durée : elle a été créée en 2009 et supprimée en 2013 conformément à la nouvelle Loi n° 3/2013 sur les langues. Ses fonctions ont été
confiées à l'Académie aragonaise de la langue et au gouvernement d'Aragon.
Compte tenu de la législation en vigueur, les écoles publiques dans la Communauté autonome d'Aragon sont dans l'obligation d'offrir un enseignement en castillan. Les autorités doivent respecter les dispositions de la législation espagnole, la Loi organique n° 2 sur l'éducation (Ley Orgánica 2/2006, de 3 de mayo, de Educación). Dans l'enseignement primaire, c'est l'article 17 qui s'applique:
Article 17
Objectifs de l'éducation primaire
L'éducation primaire doit contribue à développer chez les filles et les garçons des habiletés qui leur permettent :
e. De connaître et d'utiliser de manière appropriée la langue castillane et, s'il y a lieu, la langue co-officielle de la Communauté autonome et de développer des habitudes de lecture.
f. D'acquérir dans au moins une langue étrangère les compétences de base en communication, qui leur permettent d'exprimer et de comprendre des messages simples et de fonctionner dans des situations quotidiennes. |
Quant à l'enseignement secondaire, c'est l'article 23 de la même loi:
Article 23
Objectifs
L'éducation secondaire obligatoire doit contribuer à développer chez les élèves les habiletés qui leur permettent :
h. De comprendre et d'exprimer correctement, à l'oral et à l'écrit, dans la langue castillane et, s'il y a lieu, dans la langue co-officielle de la Communauté autonome, des textes et des messages complexes, et débuter leurs connaissances par la lecture et l'étude de la littérature.
i. De comprendre et de s'exprimer dans une ou plusieurs langues étrangères de manière appropriée. |
La législation espagnole est claire dans la mesure où elle impose l'enseignement du castillan et, s'il y a lieu, dans la langue co-officielle de la Communauté autonome. Or, étant donné que la Communauté autonome d'Aragon n'a pas de «langue co-officielle», la seule langue d'enseignement demeure en principe le castillan. De plus, dans toutes les écoles, on n'enseigne que la langue et l'histoire de l'Espagne et de l'Aragon.
- Le volontariat
En 1999, avec l'adoption de la Loi n° 10/2009 du 22 décembre sur l'utilisation, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon — loi abrogée par la Loi n° 3/2013 sur les langues —, l'enseignement de l'aragonais et du catalan fut autorisé... sur une base volontaire (par. 1):
Article 22
L'enseignement des langues distinctives
1) Le droit à l'enseignement dans les langues et les particularités linguistiques d'Aragon est garanti dans les zones d'usage historique prédominant, mais l'apprentissage doit être volontaire. Le gouvernement d'Aragon, au moyen du département chargé de l'Éducation, doit assurer ce droit grâce à une offre suffisante dans les établissements d'enseignement.
2) Ce droit précédent est également garanti dans les zones de transition et d'accueil, et dans les localités où il y a des établissements d'enseignement de référence pour les élèves des municipalités situées dans les zones d'utilisation historique prédominante dans les langues distinctives.
3) Sans préjudice des dispositions des paragraphes précédents, le gouvernement d'Aragon doit prendre des mesures pour assurer sur l'ensemble du territoire de la Communauté autonome l'enseignement de l'histoire et de la culture dont les langues qui sont l'expression des langues distinctives d'Aragon. |
La
Loi sur les langues de 2013 reprend ces mêmes dispositions sur le fait que l'enseignement de l'aragonais ou du catalan doit se faire sur une base volontaire:
Article 12
L'enseignement des langues et des particularités linguistiques distinctives
1) Le droit à l'enseignement dans les langues et ses particularités linguistiques distinctives d'Aragon est reconnu dans les zones d'usage historique prédominant, dont l'apprentissage doit être volontaire. Le gouvernement d'Aragon, au moyen du département chargé de l'Éducation, doit assurer ce droit grâce à une offre suffisante dans les établissements d'enseignement.
2) Ce droit précédent est également garanti dans les localités où il y a des établissements d'enseignement de référence pour les élèves des municipalités situées dans les zones d'usage historique prédominant dans les langues et particularités distinctives. |
Dans la même loi, l'article 13 énonce que l'enseignement des langues et des particularités linguistiques distinctives doit être encouragé:
Article 13
Programme d'études
1) Dans les zones d'usage historique prédominant des langues et des particularités linguistiques distinctives, leur enseignement est encouragé, conjointement avec le castillan, et établi à tous les niveaux et toutes les étapes.
2) Le gouvernement d'Aragon doit promouvoir l'édition du matériel pédagogique pour l'employer dans les matières concernant les langues et les particularités distinctives dans les établissements d'enseignement d'Aragon. |
En Aragon, l'enseignement d'une autre langue ne peut être imposé aux castillanophones; ceux-ci ne sont pas tenus d'apprendre l'aragonais ou le catalan. Le Tribunal constitutionnel a déjà imposé des limites à ce sujet pour la Catalogne: nul ne peut être tenu de parler la langue catalane à l’école ou dans les administrations locales.
Les objectifs généraux de l'enseignement primaire sont précisés à l'article 8 de l'Arrêté du 6 mai du département de l'Éducation, de la Culture et du Sport approuvant le programme d'études de l'enseignement primaire pour la Communauté autonome d'Aragon (2005):
Article 8
Objectifs généraux de l'enseignement primaire
Afin de développer les capacités prévues dans l'enseignement primaire, les élèves doivent atteindre tout au long de l'étape les objectifs suivants:
f) Comprendre et produire des messages oraux et écrits en castillan et, le cas échéant, dans les langues distinctives de la Communauté autonome d'Aragon, en tenant compte des différents buts et des contextes de communication, ainsi qu'en acquérant des habitudes de lecture.
g) Comprendre et produire des messages oraux et écrits, simples et en contexte, dans une ou deux langues étrangères.
h) Communiquer par des moyens d'expression verbale, corporelle, visuelle, plastique, musicale et mathématique, en développant un raisonnement logique, formel et précis, ainsi que la sensibilité esthétique, la créativité et la capacité d'apprécier les œuvres et les manifestations artistiques.
|
Mais l'expression «le cas échéant» ne concerne pas les langues distinctives de la Communauté autonome d'Aragon. Comme on peut le constater, l'enseignement des «langues distinctives d'Aragon peut être offert (cf. «le cas échéant»), car ce n'est pas obligatoire. Le même
arrêté du 6 mai 2005 précise à l'article 22 que les établissements qui offrent un enseignement en relation avec les langues distinctives de la Communauté autonome d'Aragon, l'aragonais et le catalan, doivent élaborer des projets linguistiques qui facilitent l'apprentissage fonctionnel de ces langues:
- L'enseignement de la langue aragonaise
La loi aragonaise permet l'enseignement des langues «distinctives», mais qu'en est-il à ce sujet, puisque cet enseignement n'est pas obligatoire, mais facultatif
et qu'il comprend aussi bien le castillan? En général, celui-ci est offert du mois de janvier au mois de juin pour une période totale de soixante heures. Les localités où des cours en aragonais sont donnés
en principe sont les suivantes: Aínsa, Almudévar, Albalate de Cinca, Albalatillo, Alcolea de Cinca, Alcubierre, Angüés, Ansó, Ayerbe, Barbastro, Belver de Cinca, Benasque, Bielsa, Biescas, Binéfar, Boltaña, Castillazuelo, Estadilla, Fañanás, Graus, Fonz, Grañén, Huesca, Jaca, Monzón, Plan, Robres, Sabiñánigo, Santa Lecina, Siétamo, Sariñena, Tardienta, Tierrantona et Torla. Tout cela donne l'impression que les cours dans les langues aragonaise et catalane sont d'une grande importance.
En fait, il faut distinguer deux types d’enseignement de la langue aragonaise dans l'enseignement primaire:
1) comme une matière linguistique: une heure par semaine;
2) comme langue d'instruction : jusqu’à six heures par semaine.
L’enseignement de la langue aragonaise a commencé en 1997 comme projet pilote dans quatre écoles. De nos jours, il existe une vingtaine d’écoles où la langue aragonaise est enseignée comme une «matière scolaire», bien que de nombreuses écoles puissent donner des cours aragonais après les heures de classe. Le nombre d’élèves de la petite enfance et de l’enseignement primaire apprenant l’aragonais a augmenté de façon
relativement importante en passant de 50 élèves en 1997 à 1068 en 2017. Néanmoins, la situation actuelle de la langue aragonaise dans les écoles n’est pas très favorable par rapport à d’autres langues au sein du système d'éducation.
Chaque école organise les cours d'aragonais à
sa façon. Dans les faits, l'aragonais est une «matière scolaire» dans seulement six établissements d’enseignement primaire et de la petite enfance. Pour résumer, on peut affirmer que l'enseignement de l'aragonais constitue en Aragon une «matière optionnelle» hors programme, qui est généralement donnée uniquement dans les centres urbains. Si des cours dans les «langues distinctives» sont effectivement offerts dans d'autres localités, ils sont généralement fragmentaires: par exemple, ce peut être une seule classe dans une
seule école. Il n'y a rien de systématique et tout se déroule sur la base du volontariat. Il y a aussi un manque important de personnel enseignant qualifié. De nombreuses mairies du Haut-Aragon ont signé des manifestes pour la défense de l'aragonais et son introduction dans les écoles, mais cet enseignement ne s'est que rarement concrétisé.
- L'enseignement de la langue catalane
Bien que l’enseignement facultatif de la langue catalane dans les écoles aurait déjà été possible dans les dernières années du franquisme, et encore plus facilement dans le cadre de la
Constitution espagnole de 1978 et du
Statut d’autonomie de 1982 (abrogé), il a fallu attendre l’année scolaire 1984-1985 pour que cet enseignement commence dans une douzaine de municipalités de l’Aragon oriental: Fabara/Favara, Mequinenza/Mequinensa, Nonaspe/Nonasp, Fraga, Tamarite de Litera/Tamarit de Llitera, Castillonroy/Castellonroi, Alcampell, Puente de Montañana/El Pont de Montanyana, Aren/Areny de Noguera, Sopeira, Bonansa et Montanuy/Montanui.
Selon les données obtenues grâce au recensement de la population et du logement de 2011 de l’Institut national de la statistique, exploité par le Séminaire aragonais de sociolinguistique (en 2017), le nombre de locuteurs du catalan en Aragon est d’environ 55 500 personnes, mais ceux qui connaissent un peu cette langue s’élèveraient à 90 000. L'enseignement de la langue catalane – volontaire pour les élèves, pendant les heures de classe, avec un minimum d’une heure et demie et un maximum de trois heures par semaine – est passé de 12 établissements avec 791 élèves au cours de l’année scolaire 1984-1985, à 30 établissements d'enseignement (21 établissements de la petite enfance et de l’enseignement primaire et 9 pour l’enseignement secondaire).
En ce qui concerne les données numériques des élèves pour l'année scolaire 2014-2015, la réalité de l'enseignement de la langue catalane dans la Communauté autonome d'Aragon est réduite à 2331 élèves de l'enseignement infantile et primaire (1191 a la province de Huesca , 551 dans la province de Teruel et 489 dans la province de Saragosse). On peut ajouter 1376 élèves du baccalauréat pour un total d'environ 3700 jeunes répartis en 26 écoles publiques. On compte aussi huit établissements qui proposent des projets linguistiques bilingues et trilingues (espagnol/catalan ou espagnol/catalan/anglais). À cela s’ajoutent les élèves inscrits en langue catalane dans les Écoles officielles de langues (un total de 95 étudiants). Tout cela fait un total de près de 5000 étudiants qui choisissent la langue catalane comme matière scolaire. Rappelons que la région catalane d'Aragon compte actuellement 57 220 habitants.
Le 11 juin 2003, un accord (actuellement en vigueur) a été signé entre la Généralité de Catalogne et le gouvernement d’Aragon pour établir les termes de la collaboration dans la promotion de l’enseignement de la langue catalane, conformément aux liens historiques, culturels et linguistiques entre les deux communautés. Il est prévu de promouvoir l’apprentissage du catalan et l’innovation éducative à laquelle il se réfère. Malgré les progrès réalisés au fil du temps de ces trente dernières années, la situation de l'enseignement du catalan en Aragon est clairement perfectible. La population aragonaise de langue catalane traverse une période qui ne lui est pas très favorable en raison des limitations de la part du gouvernement aragonais.
- Le programme «Les Aragonais en classe»
Afin d'élargir le nombre d'établissements scolaires dans lesquels les élèves peuvent acquérir des connaissances de la langue aragonaise, la Direction générale de la politique linguistique a élaboré un programme intitulé "El aragonés en el aula": «Les Aragonais en classe»! Ce programme instauré en 2017 vise à promouvoir la «dignité du patrimoine linguistique aragonais» ("la dignificación del patrimonio lingüístico aragonés"), afin de sensibiliser la communauté scolaire sur cette «richesse patrimoniale» et soutenir le personnel enseignant qui pratique des activités relatives à la langue aragonaise dans les écoles.
L'offre s'adresse aux établissements d'enseignement publics et privés concernés non universitaires de la Communauté autonome d'Aragon, ce qui inclut l'enseignement préscolaire, primaire et secondaire, ainsi qu'aux centres ruraux d'innovation pédagogique. Les établissements sélectionnés dans cette offre sont intégrés au programme «Les Aragonais en classe», pour lesquels ils doivent assurer la collaboration d'un enseignant qui coordonne le programme dans l'école.
Le programme vise à atteindre les objectifs suivants :
a) Stimuler dans les établissements d'enseignement la connaissance de la réalité linguistique aragonaise, avec une référence particulière à l'aragonais.
b) Promouvoir une attitude positive des élèves envers le patrimoine culturel aragonais en général et envers le patrimoine linguistique aragonais, en particulier.
c) Initier les élèves à la connaissance de la langue aragonaise et de ses manifestations culturelles (littérature, folklore, musique, arts du spectacle, etc.).
On peut consulter deux arrêtés ministériels sur cette question en cliquant ici s.v.p.
- Les langues étrangères
La Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon est muette sur l'enseignement des langues étrangères. L'article 17 de la Loi sur la jeunesse d'Aragon (2007) ne fait que promouvoir des activités pédagogiques qui favorisent l'enseignement des langues étrangères:
Article 17
Jeunesse et éducation
g) promouvoir des activités éducatives qui favorisent le développement intégral de l'individu, avec une incidence particulière dans le domaine de la technologie, des langues étrangères et de l'éducation aux valeurs. |
Mais l'article 25 de l'arrêté du 6 mai 2005 est plus précis parce qu'il prescrit d'offrir un enseignement bilingue dans une langue étrangère,
Article 23
Enseignement bilingue des langues étrangères
Afin d'offrir un enseignement bilingue dans une langue étrangère, les établissements agréés par le département de l'Éducation, de la Culture et des Sports doivent inclure dans leur projet de programme les éléments de planification linguistique permettant de développer l'apprentissage fonctionnel de cette langue. |
En Aragon, les langues étrangères les plus populaires sont l'anglais et le français,
mais il est possible d'apprendre le portugais, l'allemand ou la japonais. Cependant, on trouve des établissements d'enseignement qui offrent l'aragonais ou le catalan en tant que langue étrangère; ce sont des cours destinés aux élèves du primaire en raison de deux à trois heures par semaine; c'est seulement une ou deux heures au secondaire. Dans ces conditions, le castillan demeure la langue d'enseignement.
- L'enseignement aux adultes
L'enseignement aux adultes constitue une activité pédagogique importante en Aragon, notamment en raison des immigrants au nombre d'environ 150 000. La Loi n° 2 sur l'apprentissage tout au long de la vie adulte dans la Communauté autonome d'Aragon (2019) met l'accent sur la formation professionnelle et la culture aragonaise et ses langues particulières:
Article 6
Procédure de formation
1) Pour atteindre le but et les objectifs énoncés dans la présente loi, la procédure suivante sera entreprise:
a) Formation visant à obtenir les qualifications incluses dans le système d'éducation.
b) Formation professionnelle visant à l'acquisition et à l'amélioration des compétences professionnelles permettant aux individus d'accéder à une activité professionnelle, d'améliorer leur situation d'emploi ou d'exercer de nouvelles professions.
c) Formation pour le développement personnel et la participation à la vie sociale et culturelle, avec un accent particulier sur la culture aragonaise et ses langues particulières. |
Le gouvernement a créé pour ce faire les Écoles officielles de langues ("Escuelas Oficiales de Idiomas"):
Article 26
Formation et intégration linguistique dans les langues
1) Les Écoles officielles de langues sont des centres dans lesquels sont élaborés des programmes d'apprentissage par l'acquisition et la mise à jour de compétences linguistiques et de communication interculturelle.
2) L'administration de l'éducation doit favoriser l'apprentissage de différentes langues dans les Écoles officielles de langues de la Communauté autonome d'Aragon, dans le but que l'acquisition et l'amélioration de l'usage de différentes langues favorisent et facilitent l'insertion ou le perfectionnement au travail.
3) Le département chargé de l'enseignement non universitaire doit promouvoir l'espagnol auprès des étrangers dans le but que l'acquisition et l'usage de l'espagnol facilitent l'intégration, l'inclusion et l'insertion sociale et professionnelle, et favoriser l'enseignement des langues particulières d'Aragon. À cette fin, une offre flexible doit être disponible dans les Écoles officielles de langues, les Centres d'éducation aux adultes, les agents sociaux et les autres entités collaboratrices de la Communauté autonome d'Aragon, laquelle offre sera adaptée aux intérêts et aux besoins de la population adulte.
4) Le département responsable de l'enseignement non universitaire doit collaborer avec le département responsable de la formation pour l'emploi afin de promouvoir la mise en œuvre de programmes spécifiques permettant l'acquisition et la certification des compétences linguistiques pour entrer sur le marché du travail, de préférence par l’intermédiaire des Écoles officielles de langues ou des Centres d’éducation aux adultes. |
Dans ces écoles, c'est le castillan (l'espagnol) qui sert de langue obligatoire à connaître pour des étrangers, les autres langues n'étant que des vœux pieux.
5.8 Les médias
Tous les médias utilisent le castillan comme langue de communication, que ce soit à l'oral ou à l'écrit. La plupart des journaux et magazines proviennent de Saragosse, parfois des provinces de Huesca et de Teruel, mais aucun ne paraît ni en catalan ni en aragonais. Il existe quelques revues culturelles à caractère très local publiées en catalan ou en aragonais. Il est possible d'acheter des journaux «étrangers», soit en Catalogne soit en France.
En ce qui concerne les médias électroniques, à part les stations radiophoniques locales (en catalan), aucun n'émet en d'autres langues que le castillan. Même la Corporation aragonaise de radio et de télévision (Corporación Aragonesa de Radio y Televisión) créée en 1987 par le gouvernement autonome ne prévoit d'émissions ni en aragonais ni en catalan. Il existe des émissions radiophoniques sur Radio-Huesca d'une durée de trente minutes par semaine. Il n'y a bien là rien d'exceptionnel, sinon le recours à de simples vœux pieux.
À l'heure où la plupart des États d'Europe ont adopté la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, il paraît plutôt insolite que des citoyens espagnols s'opposent encore à sauvegarder des langues minoritaires sur leur territoire
de peur que la concurrence soit trop forte ou qu'ils doivent payer plus d'impôt
pour des services bilingues. Le discours des opposants à l'aragonais et au
catalan fait penser à la situation des Américains devant l'espagnol: ils craignent de voir apparaître le spectre de la tour de Babel. Beaucoup de Français s'opposent également à la promotion des langues régionales parce qu'ils redoutent la balkanisation de leur pays.
La réalité est tout à fait autre: le groupe majoritaire a surtout peur de devoir
apprendre la langue minoritaire, ce qui paraît inacceptable.
Or, d'autres modèles, dont la Finlande, pour ne prendre qu'un seul exemple, montre bien que la sauvegarde des langues minoritaires n'entraîne pas nécessairement le babélisme linguistique tant appréhendé
et n'oblige au bilinguisme qu'une très faible proportion du groupe majoritaire. D'ailleurs, la protection juridique ne peut protéger les trop petites minorités dispersées géographiquement. La loi ne peut pas non plus empêcher l’assimilation des petites minorités dont les membres abandonnent volontairement leur langue. Si la loi ne peut faire supprimer tous les inconvénients liés à la condition minoritaire, elle peut en revanche permettre à certaines minorités bien organisées de garantir leur survie et le respect des individus appartenant à ces minorités.
Si la Loi n° 10/2009 du 22 décembre sur l'usage, la protection et la promotion des langues distinctives d'Aragon constituait une avancée certaine, la
Loi n° 3/2013 sur l'usage, la protection et la promotion des langues et des variétés linguistiques d'Aragon constitue un net recul. En ce sens, l'Aragon a encore beaucoup de chemin à parcourir, car la situation actuelle paraît anachronique. Il n'est pas normal que, dans un pays démocratique comme l'Espagne, des membres d'une minorité nationale
historique aient à subir des traitements différents selon qu'ils habitent l'Aragon, la Catalogne ou le Pays basque.
Il faut espérer que le calme reviendra en Aragon et que les Cortès pourront adopter des mesures législatives plus généreuses à l'égard de leurs deux principales minorités historiques. Quand on compare la situation juridique de l'Aragon avec celle de la Catalogne, du Pays basque ou des Baléares, il y a de quoi rester songeur, et ce, d'autant plus que ce sont des Aragonais qui sont contre leur propre langue ancestrale, l'aragonais, voire le catalan d'Aragon. De plus, les partis politiques ne s'entendent pas entre eux sur le statut des langues de leur territoire, ce qui, d'une part, favorise le marchandage et le chantage, d'autre part, une politique linguistique ambivalente toujours soumise aux aléas du parti politique au pouvoir. Ce ne sont pas les intérêts des citoyens qui comptent, mais ceux des politiciens de l'âge des dinosaures, figés dans leurs préjugés et leur rigidité. Dans ces circonstances, les Aragonais doivent s'habituer à vivre des hauts et des bas avec les langues aragonaise
et catalane, car rien ne semble être acquis de façon définitive dans cette communauté autonome dont l'origine remonte à la Couronne d'Aragon, alors que l'aragonais et le catalan étaient des langues prestigieuses.
L'Espagne