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Cantabrie(Cantabria) |
La Cantabrie (en espagnol: Cantabria) est une Communauté
autonome située au nord de l'Espagne; c'est un pays de montagnes,
sauf sur le littoral. Le territoire,
d'une superficie de 5221 km² (six fois moindre que la Catalogne ou
la Belgique), est délimité à l'est par le Pays basque (province
de Biscaye), au sud par la Castille-et-Léon (provinces de Palencia
et Burgos), à l'ouest par la
principauté des Asturies et au nord par la mer Cantabrique qui donne
sur l'océan Atlantique.
La Cantabrie est uniprovinciale, car elle ne compte qu'une seule province, et occupe le 27e rang des 50 provinces espagnoles pour sa population. La ville de Santander (181 800 hab.) en est la capitale. |
Le drapeau officiel de la Cantabrie est composé de deux bandes horizontales de largeur égale, blanche au haut et rouge au bas, avec le blason régional au centre. La conception du drapeau est héritée de celui de l'ancienne province maritime de Santander, lequel a été assigné par l'Ordonnance royale du 30 juillet 1845.
L'adjectif français de Cantabrie est cantabrique, cantabre ou cantabrien; on peut employer aussi le nom Cantabres (avec une majuscule initiale) pour désigner le peuple et cantabre ou cantabrien pour désigner la langue: les Cantabres parlent le cantabre ou le cantabrien. Sur le modèle castillan, on parlera plutôt de «cantabre» (< cántabro); sur le modèle anglais (< Cantabrian), de «cantabrien». Pour des motifs étymologiques et du fait le castillan est une langue latine comme le français, le terme cantabre — plus près de cántabro ou de cántabru — sera dorénavant utilisé dans cet article, bien que cantabrien paraisse tout aussi valable.
En 2008, la Cantabrie avait une population de 582 138 habitants, selon l'Institut national espagnol de la statistique (Instituto Nacional de Estadística), ce qui représente 1,2 % de la population espagnole. La plus grande partie de la population cantabre se trouve sur le littoral avec notamment la capitale, Santander, et ses 181 800 habitants, ainsi que Torrelavega, le second pôle urbain et industriel de la Cantabrie avec ses 55 900 habitants.
2.1 Les langues parlées
Il n'existe guère de statistiques officielles sur les langues parlées en Cantabrie. Il faut donc se résigner à des approximations. On peut estimer qu'au moins 90 % des Cantabres parlent l'espagnol (castillan) comme langue maternelle. Compte tenu que 5,7 % de la population est immigrante, qu'un certain nombre d'immigrants parle déjà l'espagnol parce qu'ils sont originaires de la Colombie, de l'Équateur ou du Pérou, il resterait moins de 4 % des locuteurs à parler une forme de l'asturo-léonais, plus particulièrement le cantabre appelé cántabro (cántabru en cantabre) ou montañés («montagnard» ou «habitant des montagnes»). À ce faible pourcentage il faut jouter aussi ceux qui parlent le portugais, l'arabe marocain, le roumain ou le moldave.
2.2 Le cantabre
Le cantabre ("cántabro") ou montañés (provient de Montaña, nom traditionnel de la région) est une langue ibéro-romane issue du latin. Parmi ces langues ibéro-romanes, se trouve l'asturo-léonais ("asturleonés") qui est appelé léonais (leonés en castillan; llingua llïonesa en léonais) en Castille-et-Léon (provinces de Léon, Zamora et Salamanque), asturien ("asturiano") dans la principauté des Asturies, extrémadurien ("estremeñu") en Extrémadure et mirandais ("mirandés") dans le district de Braganza au Portugal.
Dans le Livre Rouge de l'UNESCO sur les langues «en danger», le léonais, l'asturien et le mirandais sont désignés de façon distincte, tout en considérant le mirandais comme une variété du léonais. L'extrémadurien et le cantabre seraient aussi des variétés dialectales du léonais. Par comparaison aux autres langues asturo-léonaises, le cantabre est l'une des variétés les plus castillanisées.
Pour les philologues et les linguistes, l'asturien, le léonais (estrémadurien et cantabre) et le mirandais constituent trois variétés d'une même langue appartenant au sous-groupe asturo-léonais ("subgrupo asturleonés"). Voici un exemple de l'article 3 de la Constitution espagnole (le par. 2) en léonais, en asturien et en castillan:
Version française | Version léonaise | Version asturienne | Version castillane |
2) Les autres langues espagnoles sont également officielles dans les différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts. | 2) Las outras llinguas hespañolas sedrán tamién ouficiales nas respeutivas Comunidaes Autónomas d'alcuerdu cunos sous Estatutos. | 2) Les otres llingües españoles serán tamién oficiales nes respectives Comunidaes Autónomes acordies colos sos Estatutos. | 2) Las demás lenguas españolas serán también oficiales en las respectivas Comunidades Autónomas de acuerdo con sus Estatutos. |
En Espagne, le cantabre ("cántabro") n'est pas reconnu comme une «langue», mais comme un idiome ("idioma cántabro"), un dialecte ("dialecto cántabro"), un parler ("habla cántabra") ou une modalité linguistique autochtone de la Cantabrie ("modalidad lingüística autóctona de Cantabria"). Quant aux usagers eux-mêmes, ils préfèrent recourir à des termes tels que cántabru, puis pasiegu, lebaniegu, campurrianu et plus rarement montañés («montagnard»). Il est très rare qu'on emploi en Espagne l'expression lengua cántabra («langue cantabre»).Le cantabre est parlé dans diverses régions de l'ouest de la Cantabrie, spécialement dans la comarque de Saja-Nansa et les zones intérieures de la vallée de Pas (Pasiegos), de Soba, de Tudanca, de Carmora et des Herrerías. Il s'agit d'une aire linguistique qui s'étend des Asturies jusqu'en Cantabrie. Mais il est pratiquement disparu des grands centres urbains. |
Malgré ses variétés locales (selon les vallées), le cantabre présente une assez grande uniformité, surtout si l'on tient compte que cette langue n'a jamais connu de standardisation, qu'elle n'a jamais bénéficié d'un statut officiel quelconque et qu'elle a été soumise à une très forte pression de la part de la puissante langue castillane. Cela étant dit, le cantabre se distingue malgré tout en deux grandes variétés: le cantabre occidental ("cántabro occidental") et le cantabre oriental ("cántabro oriental"). Entre les deux, c'est la variété orientale qui semble la mieux conservée. Il n'existe pas de données statistiques sur le nombre des locuteurs du cantabre, mais nous savons qu'il est en processus de régression, voire de disparition, ce qui représenterait un très petit pourcentage.
En guise d'exemple, voici un texte intitulé
«L'últimu home» («Le dernier homme») dans ses variantes asturienne et cantabre (Wikipedia):Français | Asturien (asturiano) |
Cantabre (cantabro ou montañés) |
Castillan |
Une détonation a ébranlé la forêt. Le merle a volé au loin. L'écureuil est disparu dans le nid. Il y a eu une autre détonation, puis un autre. L'homme, alors qu'il tombait les mains ouvertes, les yeux vers l'infini et en versant beaucoup de sang dans toutes les parties de son corps, a poussé un mot, seulement un mot qui a résonné et continue aujourd'hui de résonner dans la forêt et dans toutes les Asturies: «Liberté!» |
Un españíu fizo tremar
el fayéu. El ñarbatu esnaló lloñe. L'esguil espaeció
nel ñeru. Hebo otru españíu, y darréu otru. L'home,
entós, mientres cayía coles manes abiertes, los
güeyos nel infinitu y el so cuerpu remanando per
tolos llaos abonda sangre, glayó una pallabra, una
pallabra namás, que resonó y güei sigue resonando na
biesca y en toa Asturies: «Llibertá!».
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Un españíu jizu temblar
el jayal. El miruellu voló largu. L'esquilu jospó
nel ñial. Hebo otru españíu, y darréu otru. L'hombri,
entós, mientris cayía conas manos abiertas, los
güejos nel sinfinitu y el su cuerpu esvarciando por
tolos laos sangri n'abondu, glarió una parabra, una
parabra namás, que retingló y hui sigui retinglando
ena viesca y en toa Asturias: «Libertá!».
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Un estallido hizo temblar el hayedo. El mirlo voló lejos. La ardilla desapareció en el nido. Hubo otro estallido, y luego otro. El hombre, entonces, mientras caía con las manos abiertas, los ojos en el infinito y su cuerpo vertiendo por todas partes mucha sangre, gritó una palabra, sólo una palabra, que resonó y hoy sigue resonando en el bosque y en toda Asturias: «Libertad!». |
On se rend compte qu'il existe parfois des différences relativement importantes entre l'asturien et le cantabre, surtout au plan phonétique (fizo/jizu, fayéu/jayal, tremar/temblar, etc.), mais il en existe parfois au plan lexical (ñarbatu /miruellu).
Il existe une association fondée en 1976 appelée Asociación para la Defensa de los Intereses de Cantabria (ADIC: «Association pour la défense des intérêts de la Cantabrie»), mais ses objectifs portent davantage sur la promotion et la défense des particularités de la culture et de l'histoire de la Cantabrie que sur la langue. Néanmoins, l'un de ses objectifs consiste à assurer «la récupération, la diffusion et la défense du "parler" cantabre ou montagnard».
Estatutos
Asociación para la Defensa de los intereses
Artículo 4 Para el desarrollo y logro de
los objetivos de la Asociación, esta realizará
las actividades siguientes: b) Recuperación, difusión y defensa del “habla” cántabra ó montañesa. c) Divulgar y fomentar los deportes autóctonos de Cantabria. d) Recuperación, defensa y divulgación de la arquitectura tradicional cántabra, tanto en su faceta rural como urbana. e) Difusión, recuperación y promoción de las diferentes manifestaciones musicales y folclóricas. f) Protección y recuperación de los distintos oficios artesanales y costumbristas de Cantabria, en todas sus manifestaciones. |
Statuts de
l'Association pour la défense des intérêts
Article 4 Pour le développement et la
réalisation des objectifs de l'Association, les
activités suivantes seront entreprises: b) La récupération, la diffusion et la défense du "parler" cantabre ou montagnard. c) Divulguer et favoriser les sports autochtones de la Cantabrie. d) La récupération, la défense et la diffusion de l'architecture traditionnelle cantabrique, tant dans sa dimension rurale qu'urbaine. e) La diffusion, la récupération et la promotion des différentes manifestations musicales et folkloriques. f) La protection et la récupération des différents métiers d'artisanat et de mœurs de la Cantabrie, dans toutes leurs manifestations. |
Il en est ainsi du Partido Regionalista de Cantabria (PRC), un parti régionaliste fondé en 1978, mais ses intérêts demeurent strictement politiques et autonomistes. En général, les groupes de défense du cantabre demandent au gouvernement local de classer cette langue comme "Bien de Interés Cultural (BIC)", c'est-à-dire «bien d'intérêt culturel».
La Cantabrie possède une histoire ancienne remontant à quelque 10 000 ans, comme en témoignent les peintures rupestres de l'Altamira. Lorsque les conditions climatiques s'améliorèrent, les bergers néolithique et de l’âge des métaux colonisèrent les hauts pâturages de la région d’où se retiraient les glaciers. Au premier millénaire avant notre ère, apparut un peuple que les Romains appelleront les «Cantabres» qui affronteront les légions romaines.
Mais Rome finira par
soumettre la région qui fera partie de la province de Tarraconensis. La présence
de Rome en Espagne dura sept siècles. Les Romains n'ont pas
seulement transmis une administration territoriale, mais ils
ont aussi laissé un ensemble de coutumes sociales et
culturelles, dont la langue latine qui deviendra, selon les
régions, le galicien, l'asturien (et le cantabre), le
castillan, l'aragonais, le catalan, l'andalou, etc.
Le processus de romanisation de la Cantabrie
était déjà terminé au IVe
siècle de notre ère.
Après plus d'un siècle sans présence étrangère, les Wisigoths s'installèrent dans la région au VIe siècle, mais le royaume wisigoth fut menacé au début du VIIIe siècle par l'invasion arabe. Cet événement provoqua le repli des populations ibéro-romaines jusque dans les montagnes du Nord. Au cours des derniers siècles du premier millénaire chrétien, la société cantabre se transforma graduellement de sorte de nouvelles populations abandonnèrent les montagnes et s'installèrent dans les vallées autour des monastères et des églises. |
Puis des chefs chefs wisigoths et un grand nombre d’habitants cantabres s’unirent pour donner naissance à la monarchie asturo-cantabre, avec le roi Alphonse Ier, fils du duc de Cantabrique. Alphonse Ier réussit à introduire dans les montagnes de nombreux chrétiens soumis par les Arabes sur le plateau et c’est avec eux qu’il renforça la population des Asturies et de la Cantabrique.
3.1 Le royaume des Asturies
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Sous le règne d'Alphonse II (791-842), les liens avec l'Europe chrétienne se développèrent, renforcés par le début du culte voué à saint Jacques, à Compostelle, en Galice. Sous Alphonse III le Grand (838-910), le royaume des Asturies s'agrandit en englobant la Galice et le León, prit le nom de «royaume de León», et la capitale fut transférée d’Oviedo à León en 914. De nouveaux immigrants arrivèrent en Cantabre durant la première moitié du IXe siècle venant des vallées du Nord. On donna le nom de foramontanos (Cantabres originaires de Malacoria) à ces nouveaux arrivants de culture latine, qui vont repeupler le nord de la Castille et du Léon. Le christianisme y pénètre définitivement. Le règne d'Alphonse III (866-910) marqua le sommet de la puissance du Royaume des Asturies. À la fin de son règne, la frontière chrétienne s'étendait déjà jusqu'au au Douro, le fleuve qui prend sa source en Espagne et traverse le Portugal où il se jette dans l'océan Atlantique près de Porto. |
3.2 Le royaume de Castille
En 1230, le royaume de León fut intégré au royaume de Castille,
tout en maintenant des institutions séparées, des lois
différentes et des systèmes économiques indépendants, même si les deux royaumes partageaient le
même monarque. À partir de 1390, sous l'impulsion d'Henri III, roi de Castille,
les héritiers de la couronne d'Espagne prirent le titre de «prince des
Asturies». Au cours des XIIe et
XIIIe siècles et même une grande partie au
XIVe
siècle, l’asturien
(asturo-léonais) demeura la langue officielle des documents
du royaume asturo-léonais(voir la carte).
Au nord de l'Espagne, le pouvoir naval des villes côtières se poursuit tout au long du XIVe siècle avec le développement de la «Fraternité des Quatre Villes», une fédération des quatre ports les plus importants de la Cantabrie : San Vicente de la Barquera, Santander, Laredo et Casdtro Urdiales. Ces villes purent bénéficier de la juridiction maritime exclusive sur la totalité de la région. C'est un privilège qui fut également accordé aux villes basques vizcayennes, ce qui créa une forte concurrence avec les Cantabres. |
En 1466 Henri IV (en esp.: Enrique) donna la ville de Santander au deuxième marquis de Santillana, Diego Hurtado de Mendoza qui, face à la résistance des habitants, essaya de l'occuper par la force. N'ayant pas réussi à vaincre les habitants de Santander, appuyés pas ceux de Trasmiera, Henri IV dut concéder à la ville de Santander le titre de "Noble y Leal" («Ville noble et loyale»). Les ports de la Cantabrie, surtout Laredo et Santander, jouèrent un rôle important dans la politique impériale des rois Charles V (Carlos V) et Philippe II (Felipe II), parce que ces villes portuaires constituaient des points d'embarquement pour les voyages dans le nord de l'Europe et servaient de base pour les flottes et les armées royales. Il s'agit là d'une des causes les plus importantes de la castillanisation rapide du territoire cantabre. Ces immenses brassages de population venant du monde entier et débarquant dans les ports du Nord avant de rejoindre Madrid, Tolède ou d'autres villes importantes, ont fait reculer la langue asturo-léonaise locale plus rapidement qu'ailleurs.
3.3 La castillanisation
En 1469, Ferdinand II d’Aragon épousa Isabelle de Castille et les deux royaumes (l'Aragon et la Castille) n'en firent plus qu'un. L’Espagne alors unifiée imposa progressivement la castillanisation du royaume, bien que le catalan continuât de bénéficier de son statut de langue officielle dans les anciens comtés de la Catalogne. En 1492, la prise de Grenade par Ferdinand II d’Aragon chassa définitivement les Arabes de la Péninsule. Dès lors, s'amorça alors un long déclin des langues autres que le castillan. La castillanisation se fit aux dépens des langues concurrentes: le basque, le galégo-portugais, l'asturo-léonais, le navarro-aragonais et le catalan (cliquer ICI, s.v.p.). Toute ces langues ont périclité, sauf dans les régions montagneuses.
C'est sous le règne de Charles Quint (1516-1556) que furent menées l’exploration et la conquête des Amériques : conquête de l’Empire aztèque au Mexique par Hernán Cortés, de 1519 à 1521, et conquête de l’Empire inca au Pérou par Francisco Pizarro, de 1531 à 1533. Vers 1550, l’Espagne contrôlait presque tout le continent sud-américain, l’Amérique centrale, la Floride, Cuba et, en Asie, les Philippines. Évidemment, l'expansionnisme de l'Espagne allait contribuer à exporter le castillan (mais aussi le castillan méridional d'Andalousie) dans les Amériques et en Asie.
L'usage généralisé du castillan dans toute l'Espagne rurale débuta avec l'avènement de la dynastie des Bourbons. Après la guerre de Succession d’Espagne (1705-1715), le règne de Philippe V (1700-1746), petit-fils de Louis XIV, fut marqué par une politique de centralisation, inspirée du modèle absolutiste français. Philippe V occupa Barcelone, fit appliquer les lois castillanes et abolit toutes les institutions gouvernementales qui existaient en Catalogne (dont la Generalitat). Le castillan devint la seule langue officielle de l’Administration publique dans toute l'Espagne, même si les habitants continuaient de parler, selon les régions, le catalan, le basque, l'aragonais, l'asturo-léonais (cantabre), l'andalou, etc.
Au cours du XVIIe siècle, l'Espagne dut faire face à la concurrence croissante des autres puissances maritimes. Les hommes et les ressources de la Cantabrie occupèrent une place de choix en raison de la proximité des ports de mer. Il fallut construire des galions, des frégates et toutes sortes de navires de guerre, sans compter les canons de fer fondu. La castillanisation du territoire cantabrique évinça de plus en plus les parlers locaux, dont l'asturo-léonais (cantabre). La région cantabrique apparut comme la plus alphabétisée de tout le pays, alors que la capitale, Santander, atteignait un développement culturel sans précédent. L'asturo-léonais fut définitivement relégué au rang de langue orale au profit du castillan.
3.4 La liquidation des langues locales et leur normalisation
Au début du XXe siècle, l'industrialisation des villes du nord de l'Espagne refoula l'asturo-léonais (le cantabre) dans les montagnes de la Cantabrie. Cette situation se perpétua jusqu'au régime du général Franco, de 1939 à 1975. Au plan linguistique, le caudillo ("chef") pratiqua une politique répressive à l'égard des diverses langues parlées qui différaient du castillan. Toutes les langues non castillanes furent pourchassées et interdites dans la vie publique, comme le catalan, le basque, le galicien, l'aragonais, l'asturo-léonais, l'andalou, etc. On entendait souvent à cette époque des slogans du genre: Si eres español, habla la lengua del imperio («Si tu es espagnol, parle la langue de l'Empire») ou encore habla en cristiano («Parle chrétien»), ce qui pourrait être l'équivalent ibérique du Speak white («Parle la langue des Blancs») des anglophones du Canada à l'égard des francophones (avant les années soixante-dix)!
La promulgation de la Constitution espagnole de 1978 et la création des 17 Communautés autonomes constituèrent le point de départ pour une nouvelle ère d'organisation politique. C'est ainsi que la Cantabrie devint une Communauté autonome. Au point de vue linguistique, la castillanisation était terminé, car le Statut d'autonomie de 1981 (Ley Orgánica 8/1981, Estatuto de Autonomía para Cantabria) ne prévoyait aucune disposition pour quelque langue que ce soit, y compris pour le castillan. Cependant, dans d'autres communautés autonome, la Catalogne, le Pays valencien, les îles Baléares, le Pays basque, la Navarre et la Galice, des langues co-officielles apparurent et entreprirent leur «normalisation».
La politique linguistique du gouvernement de la Cantabrie est typique d'une politique de non-intervention. Non seulement il n'existe aucune disposition linguistique dans le Statut d'autonomie de 1981, mais il n'en existe pas davantage dans aucune loi, à l'exception des lois scolaires qui traitent de la langue d'enseignement, le castillan, ou des langues étrangères (anglais, allemand, français et italien).
4.1 La langue de la Communauté autonome
La Cantabrie est un territoire unilingue castillan, sans qu'il ne soit nécessaire de proclamer une quelconque langue officielle. En conséquence, seul l'article 3 (trois paragraphes) de la Constitution espagnole s'applique dans la Communauté autonome de Cantabrie, car le castillan est la langue espagnole officielle de l'État, donc de celle de ses États constitutifs :
Artículo 3
1) El castellano es la lengua
española oficial del Estado. Todos los españoles tienen el deber de
conocerla y el derecho a usarla. |
Article 3
1) Le castillan est la langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser. 2) Les autres langues espagnoles seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives en accord avec leurs Statuts. 3) La richesse des diverses modalités linguistiques de l'Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l'objet d'une protection et d'un respect particuliers. |
De toute façon, il n'existe aucune loi particulière adoptée par le Parlement cantabrique proclamant le castillan comme langue officielle. Le castillan est par conséquent la «langue officielle par défaut». Ce fait témoigne aussi de l'absence de «problèmes» en matière de langue.
Rappelons que, si tous les Espagnols ont le devoir de connaître le castillan, cette obligation ne s'applique pas au catalan, au basque et au galicien, encore moins aux autres langues comme l'asturien ou l'une de ses variantes comme le cantabre. L'utilisation de toute langue minoritaire en Espagne ne constitue pas une obligation, mais simplement un droit, à la condition que le Statut d'autonomie prévoie une autre langue co-officielle, ce qui n'est pas le cas pour la Cantabrie.
Ainsi, la Constitution prévoit un État espagnol unilingue composé de territoires officiellement unilingues (les castillanophones) et de territoires officiellement bilingues (pour les Catalan, les Basques et les Galiciens). Comme la Constitution espagnole est muette sur le galicien, le léonais, l'asturien ou le cantabre, et que le Statut d'autonomie n'en fait pas davantage mention, seul le castillan bénéficie du statut d'officialité.
C'est pourquoi le castillan est la seule langue admise au Parlement de Santander, au gouvernement, dans l'Administration, les tribunaux, les médias, etc., bref dans toute la vie publique.
4.2 La reconnaissance du patrimoine culturel
La loi 11/1998 du 13 octobre sur le patrimoine culturel de la Cantabrie ne prévoit aucune disposition en matière de langue. La loi emploie les termes «patrimoine culturel» ("Patrimonio Cultural"), «patrimoine ethnographique» ("patrimonio etnográfico"), «éléments patrimoniaux» ("elementos patrimoniales"), «patrimoine oral» ("patrimonio oral"), «biens culturels» ("bienes culturales"), «droit à la culture» ("derecho a la cultura"), «identité culturelle» ("identidad cultural"), mais le mot LANGUE n'apparaît jamais. Bien, sûr, le «patrimoine oral» dont il est question peut comprendre la langue, mais pourquoi le législateur a-t-il préféré bannir le mot «lengua» ou «idioma» dans le texte? Le gouvernement cantabre serait-il si timoré sur les questions linguistiques? Ou bien, c'est l'indifférence totale!
Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas avec des lois de ce genre (Loi sur le patrimoine culturel) qu'une langue en voie de disparition, comme le cantabre, va être sauvegardée. Non seulement la langue n'est pas mentionnée ni évoquée formellement, mais rien dans cette loi n'accorde un quelconque droit aux citoyens, encore moins aux locuteurs des langues. Si les Catalans ou les Basques bénéficiaient d'une telle loi, ce serait la révolution! Même la province canadienne la plus unilingue anglaise, Terre-Neuve-et-Labrador, n'oserait faire si peu à l'égard de sa minorité francophone. De fait, on trouve au moins une loi scolaire qui reconnaît aux francophones de recevoir leur instruction dans leur langue. Pas en Cantabrie, qui ne reconnaît pas une quelconque minorité linguistique sur son territoire!
L'Asubiu, l'une des rares associations voués à la défense de la langue cantabre, "Asociación por la defensa del habla montañesa», plus précisément association pour la défense du parler montagnard, a demandé au gouvernement cantabre que cette langue soit déclarée «bien d'intérêt culturel» ("Bien de Interés Cultural"), afin d'éviter l'«abandon complet» dans lequel se trouve cette «modalité linguistique» de la région. Cette association a entamé ses démarches en septembre 2003 auprès du ministère de la Culture ("Consejería de Cultura") pour intégrer le «parler cantabre» ("habla cántabro") au sein du patrimoine culturel, mais l'Administration n'a jamais répondu à cette demande, ni même envoyé un accusé de réception. Selon la vice-présidente de la Communauté autonome de Cantabrie (Mme Dolores Gorostiaga Saiz), qui est également ministre aux Relations institutionnelles, il n'y aurait pas lieu de mépriser ces revendications, mais la Cantabrie a d'autres priorités ("otras prioridades"), d'autant plus que ce "habla cántabra no está reconocidaparler", c'est-à-dire que ce parler cantabre n'est pas même reconnu. C'est tout dire du peu d'intérêt que le gouvernement porte au patrimoine linguistique, et ce, d'autant plus que si le cantabre n'est pas reconnu, c'est en raison de la non-intervention du gouvernement local.
4.3 L'éducation
La langue d'enseignement est la seule qui soit digne d'un intérêt «législatif» de la part du gouvernement cantabre, car elle ne concerne que la langue officielle, le castillan, sauf pour les programmes d'enseignement des langues étrangères.
- Le castillan
La Communauté autonome de Cantabrie respecte les dispositions de la Loi organique 2/2006 du 3 mai sur l'éducation (Ley Orgánica 2/2006, de 3 de mayo, de Educación), une loi de l'État espagnol. Dans l'enseignement primaire, c'est l'article 17 qui s'applique, mais uniquement pour la langue castillane :
Artículo 17.
Objetivos de la
educación primaria.
|
Article 17
Objectifs de l'éducation primaire
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Quant à l'enseignement secondaire, c'est l'article 23 de la même loi:
Artículo 23.
Objetivos.
|
Article 23
Objectifs
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Étant donné que la Communauté autonome de Cantabrie n'a pas de «langue co-officielle», la seule langue d'enseignement demeure le castillan. De plus, dans toutes les écoles, on n'enseigne que la langue et l'histoire de la Vieille-Castille, en ignorant généralement l'histoire et la culture spécifiques de la Cantabrie.
Pour ce qui est de la législation de la Communauté autonome, l'article 3 du décret 56/2007 du 10 mai instituant le programme d'études de l'enseignement primaire dans la Communauté autonome de Cantabrie énonce les objectifs de l'enseignement primaire, dont la maîtrise du castillan et l'apprentissage d'au moins une langue étrangère:
Artículo 3. Objetivos de la Educación Primaria. La Educación Primaria contribuirá a desarrollar en los niños y niñas las capacidades que les permitan: e) Conocer y utilizar de manera apropiada la lengua castellana y desarrollar hábitos de lectura. f) Adquirir en, al menos, una lengua extranjera la competencia comunicativa básica que les permita expresar y comprender mensajes sencillos y desenvolverse en situaciones cotidianas. |
Article 3 Objectifs de l'enseignement
primaire |
L'article 4 du même décret présente ainsi les disciplines obligatoires dans les écoles primaires:
a) Connaissance du milieu naturel, social et culturel.
Au secondaire, l'article 4 du Décret 40/2002 du 28 mars instituant le programme d'études de l'enseignement secondaire obligatoire dans la Communauté autonome de Cantabrie présente les objectifs linguistiques qui suivent :
Artículo 4. Objetivos. |
Article 4 Objectifs b) Comprendre et
s'exprimer avec justesse dans la langue ou les
langues étrangères comme objet d'étude. |
Selon l'article 5 du décret 40/2002, les cours sont les suivants:
a) Sciences de la nature.
b) Sciences sociales, géographie et histoire.
c) Éducation physique.
d) Éducation plastique et visuelle.
e) Langue et littérature castillanes.
f) Langues étrangères.
g) Mathématiques.
h) Musique.
i) Technologie.
Au baccalauréat, le
Décret 41/2002 du 28 mars instituant le programme d'études du baccalauréat dans la Communauté autonome de Cantabrie énonce les mêmes objectifs, dont la maîtrise du castillan et d'une langue étrangère:
Artículo 4. Objetivos. El currículo del Bachillerato tendrá como objetivo desarrollar en los alumnos las siguientes capacidades: a) Dominar la lengua castellana. b) Expresarse con fluidez y corrección en una lengua extranjera. [...] |
Article 4 Objectifs |
a) Dans le premier cours : - Éducation physique. - Philosophie I. - Langue castillane et littérature I. - Langue étrangère I. - Religion ou société, culture et religion. |
b) Dans le second cours : - Philosophie II. - Histoire. - Langue castillane et littérature II. - Langue étrangère II. |
- Les langues étrangères
L'enseignement des langues étrangères revêt une assez grande importance en Cantabrie. En général, les langues autorisées par la Communauté autonome sont l'anglais, le français, l'allemand et l'italien. L'espagnol fait aussi partie de cet enseignement s'il est destiné aux étrangers ou aux immigrants. Deux textes juridiques régissent cet enseignement des langues étrangères:
L'objectif du ministère de l'Éducation est d'obtenir que tous les établissements d'enseignement puissent dispenser deux programmes de formation bilingues, dont l'un en anglais, l'autre dans une autre langue. Le Ministère désire surtout mettre un terme à l'ignorance traditionnelle des étudiants en matière de langue étrangère lorsqu'ils terminent leurs études. Le français demeure la première langue choisie (après l'anglais) dans les écoles secondaires. Suivent évidemment l'italien et l'allemand.
La politique de la Communauté autonome de Cantabrie correspond à une politique typique de non-intervention, ce qui est plutôt rare en Espagne. Il est inutile de protéger le castillan, une langue parlée par toute la population, si l'on fait exception des immigrants arrivés plus récemment. Quant aux langues minoritaires, elles ont été déclarées des «dialectes» ou des «parlers» qu'il est inutile de protéger. La législation ne fait jamais allusion à une autre langue que le castillan, hormis les cours destinés à l'apprentissage des langues étrangères.
Pourtant, les langues minoritaires, comme le cantabre, ne sauraient constituer une menace pour la toute-puissante langue castillane. Mais la tradition en Espagne est de n'accorder des droits qu'aux langues co-officielles (galicien, catalan et basque) reconnues par la Constitution espagnole et les statuts d'autonomie. Ce qui apparaît valable pour le galicien en Galice et le basque au Pays basque, par exemple, ne l'est manifestement pas avec le cantabre en Cantabrie. En ce sens, la politique linguistique de cette Communauté autonome apparaît comme l'une des moins généreuses de toute l'Espagne, puis que le gouvernement local ne manifeste guère l'intention de sauvegarder cette langue du patrimoine linguistique.
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