- Le sud des
Pyrénées
En 1232, le roi
Jacques Ier d'Aragon
(1208-1276), dit le Conquérant (en catalan Jaume I el
Conqueridor), entreprit la conquête du
territoire qui allait devenir le Royaume de Valence, mais le conflit dura
jusqu'au traité d'Almizra de
1244, signé entre la Couronne d'Aragon et la Couronne de Castille pour fixer
les frontières des royaumes de Valence et de Murcie. Les nouveaux
arrivants venus de la Catalogne n'occupèrent que la zone côtière, tandis
que l'intérieur fut repeuplé partiellement par les habitants du Royaume
d'Aragon, lesquels parlaient soit l'aragonais, soit le castillan. Néanmoins, le repeuplement par des chrétiens demeura
relativement lent, car
à la fin du règne de Jacques Ier
d'Aragon le
Royaume de Valence était toujours habité massivement par des Arabes. Cette
réalité a laissé des marques encore manifestes
dans la langue des locuteurs du Pays valencien :
on y parle le catalan (ou valencien) sur les côtes et le castillan dans l'arrière-pays.
En 1229, une expédition, comprenant 15 000 hommes
aragonais et catalans, avait débarqué à l'île Majorque (Baléares),
s'était emparée de la ville de Palma et avait passé les habitants
musulmans au fil de l'épée. Les survivants s'étaient enfuis vers
l'Afrique ou avaient été réduits en esclavage. Les Catalans repeuplèrent
les îles Baléares de catalanophones en quelques
années. Durant tout le Moyen Âge, le catalan resta la langue véhiculaire
des habitants du Royaume d’Aragon, du nord des Pyrénées en passant par la
Catalogne (devenue la Generalitat de Catalunya), le Pays valencien, les
îles Baléares et la Sardaigne. Cette époque fut pour les Catalans une
période de grand épanouissement économique, littéraire et artistique, ce
qui eut pour effet d'assurer l'expansion de la langue hors de ses frontières
d'origine.
- Le traité de Corbeil (1258)
Une vieille querelle, dont les causes
remontaient à près de 500 ans,
opposait la France à l'Aragon : la première revendiquait la Marche
d'Espagne, tandis que l'autre avait des prétentions sur le midi de la
France. En 1258, par le traité de Corbeil, rédigé en latin
et signé au prieuré de Saint-Jean-en-l'Isle entre les représentants de Jacques Ier
d'Aragon et de Louis IX (dit saint Louis), la France renonçait à ses
prétentions sur la Catalogne, tandis que le roi d'Aragon renonçait à
certaines de ses prétentions dans le Languedoc (sauf Montpellier). Le roi
d'Aragon, Jacques Ier, abandonnait son
rêve d’expansion vers le nord en cédant tous ses droits sur
le Languedoc, y compris Carcassonne. En fait, il renonçait à ses
prétentions sur la Provence et le Languedoc, à l'exception de
Montpellier, c'est-à-dire les domaines de Marguerite de Provence,
l'épouse du roi de France. En contrepartie, le roi de France
renonçait à ses prétentions sur toute la Catalogne, la Cerdagne
et le Conflent,
malgré des privilèges hérités de ses prédécesseurs
carolingiens.
|
Renonciations (comtés) de Louis IX |
Renonciations (comtés) de Jacques Ier |
12. Roussillon
13. Conflent
14. Cerdagne
15. Urgel
16. Barga
17. Ripoll |
18. Besalu
19. Peralada
20. Empuries
21. Gérone
22. Osona
23. Barcelone |
|
1. Toulouse
2. Comminges
3. Foix
4. Carcassonne
5. Razès
6. Narbonne |
7. Béziers
8. Lodève
9. Nîmes
10. Provence
11. Montpellier |
|
|
L'objectif du traité était
d'échanger des territoires de façon à ce qu'aucune enclave ne subsiste de
part et d'autre de la frontière franco-aragonaise, ce qui n'a pas été
vraiment accompli. En effet, la question du comté de
Montpellier était restée en suspens, de même qu'une incertitude
concernant le Roussillon qui, de toute façon,
revenait à la France en 1659. Le traité de
Corbeil marquait la limite territoriale entre les langues d'oc et le
catalan, mais des Français se sont retrouvés en Catalogne, et des
Catalans en France. De plus, la limite entre les deux royaumes
demeura encore floue, peu claire et apte à de nombreux malentendus entre les
sujets du roi de France et ceux du roi d'Aragon, avec le résultat que les
limites frontalières
ne furent à peu près jamais respectées.
La Couronne d'Aragon atteignit son apogée avec la conquête du Royaume
de Valence et la prise de possession de la Sardaigne, de la Sicile et, même
temporairement, de la Corse et du Royaume de Naples. Les Catalans vont
en outre fonder un duché éphémère en Grèce. Cette expansion territoriale explique
l'emploi du catalan au Pays valencien, aux Baléares et dans un quartier
de la ville d'Alghero en Sardaigne. À cette époque, les
Catalans s’affirmèrent comme la première puissance de la Méditerranée
occidentale.
Le déclin de la Catalogne s'amorça après la peste noire de 1348.
Cette pandémie fut à l'origine transmise par des
bateaux génois en 1347, puis elle parvint dans les ports
méditerranéens, avant de se généraliser dans toute l'Europe occidentale :
au total, 25 millions de victimes en Europe seulement, et autant en
Asie. En Espagne, la peste décima jusqu'aux deux tiers de la
population, en particulier en Aragon et en Catalogne, au cours de neuf
vagues épidémiques qui se produisirent entre 1348 et 1401. Dans le
Royaume d'Aragon, environ 40 % des habitants furent victimes de la
peste. De fait, les épidémies, les pestes, les révoltes paysannes, le
banditisme et les incursions turques finirent par fragiliser
gravement la Catalogne. Forcément, les ravages dus à la peste noire
entraînèrent
des conséquences sur le nombre des locuteurs du catalan en réduisant
considérablement les effectifs.
8.1 L'union de
l'Aragon et de la Castille
Sous le règne de
Jean II d'Aragon
(1398-1479), la crise s'envenima davantage pendant une longue guerre
civile déclenchée entre le roi et son fils Charles de Viane qui avait
reçu l'appui des élites catalanes. Afin de conserver son trône, Jean II
d'Aragon fut
contraint de demander l’aide des Français. En échange,
il perdait le Roussillon et la Cerdagne. Réunis dans les Cortès
(«Parlement»), les Catalans obtinrent la libération du prince et le
rétablissement de ses droits d'héritier. Pour conserver le pouvoir, Jean II d'Aragon dut
aussi consentir au mariage de son fils avec Isabelle de Castille, mais Charles
fut empoisonné en 1461 avant le mariage, avec le résultat qu'Isabelle
finit par épouser en 1469 Ferdinand qui devint Ferdinand II d'Aragon.
|
Le mariage en 1469 de Ferdinand d'Aragon
et d'Isabelle de Castille
eut pour effet de réunir les deux royaumes d'Aragon et de la
Castille, ce qui devait marquer aussi à court terme la fin de la
dynastie catalane. Les deux
monarques régnèrent ensemble, même si les deux couronnes demeuraient
séparées.
En 1487, les
armées de Ferdinand d'Aragon et d’Isabelle de Castille envahirent le
Royaume de Grenade. Malaga, la plus fortifiée des cités grenadines,
tomba en août 1487; à la fin de 1489, les villes de Guadix, d'Almuñecar,
d'Almeria et de Baza tombèrent également. Au début de 1490, il ne restait que la ville de Grenade encore aux mains des musulmans. Le 2 janvier
1492, après plusieurs mois de
siège, les forces unifiées du roi d'Aragon et de la reine de
Castille allaient prendre Grenade, le dernier bastion musulman en
Espagne. Tous
ces événements contribuèrent à assurer le prestige du Royaume de
Castille. Grâce à Ferdinand d'Aragon, le
Royaume de Castille devint une puissance mondiale de premier ordre. Ce fut
aussi l'âge d'or de la littérature espagnole (castillane). |
Quant aux Catalans, ils supportèrent mal la nouvelle autorité castillane.
S'engagea alors
le début de la rude concurrence du catalan avec le castillan, car l'Espagne unifiée imposa la castillanisation du royaume, bien que le catalan
continuât de bénéficier de son statut de langue officielle dans les anciens
comtés de la Catalogne. Néanmoins, le long déclin de la
langue catalane était amorcé.
Les Catalans ont appelé cette période la «Decadència», la «décadence», une période
dans laquelle
la langue catalane entra dans un processus de régression qui durera jusqu'au
XIXe siècle. Pendant trois siècles, les Catalans
vont se rebeller à de nombreuses reprises
pour défendre leurs droits face au pouvoir castillan de plus en plus
expansionniste; ils chercheront vainement à échapper à l'emprise militaire de l'Empire
espagnol.
8.2 Le traité des
Pyrénées de 1659
Au cours du XVIIe siècle, l'Espagne vécut sous le règne des souverains
issus de la Maison d'Autriche, notamment Charles Quint (1500-1558) et ses successeurs.
Charles Quint monta sur le trône d'Espagne en 1516 sous le nom de Charles Ier
d'Espagne. Dans cet
immense empire, la Catalogne constituait un État autonome, conservant ses
institutions traditionnelles et sa langue. Toutefois, dorénavant, en raison de
la
prépondérance incontestable de la Castille, la Catalogne devait demeurer à l'écart des affaires
politiques et financières de
l'Espagne, notamment dans les échanges avec le Nouveau Monde, c'est-à-dire l'Amérique,
car tout passait essentiellement par Séville et Madrid. Bref, la découverte de l'Amérique en 1492
entraîna le déplacement des échanges commerciaux de la Méditerranée vers
l’Atlantique, ce qui accentuait la régression de la Catalogne et de sa langue.
|
Les difficultés
économiques s'aggravèrent en Catalogne. Qui plus est,
la Couronne d'Espagne de Philippe
IV (Felipe IV) cherchait à financer par de lourds impôts
ses guerres hispaniques, dont la guerre de Trente
Ans (de 1618 à 1648) contre la France, un conflit qui déchira l'Europe
durant trois décennies. La guerre contre la France accrut encore
les tensions entre la Generalitat de Catalogne et le
gouvernement espagnol. Philippe IV voulut
unifier les États d'Espagne, mais rencontra une
vive opposition en Catalogne. En 1640, la
Generalitat
se souleva contre Philippe IV. Elle proclama la République catalane, puis
en janvier 1641 désigna le roi de France, alors
Louis XIII, comme le comte de Barcelone et le
souverain de la Catalogne. Aussitôt,
les Français entrèrent en Catalogne et en
1642 occupèrent les villes de Barcelone, de Collioure, de
Perpignan et de Salses, de sorte que la plus grande partie
du Roussillon fut maintenue sous contrôle français, tandis
que les troupes espagnoles de Philippe IV étaient chassées du
territoire.
La
principauté de la Catalogne fut
placée sous souveraineté française durant une dizaine
d'années, ce qui allait influencer la langue
catalane par des emprunts lexicaux au français:
acròbata, assemblea, camuflatge, canapè,
carrabina, crema, gendarme, hotel, moda,
motivació, retard, xampinyó (champignon),
etc. |
Pour la France, cette intervention en Catalogne
présentait une occasion d'ouvrir un front sur le
territoire espagnol afin d'affaiblir les forces de Philippe
IV et de disposer éventuellement d'une monnaie d'échange. Mais la situation ne
pouvait perdurer. Profitant de la déception des indépendantistes
catalans devant les excès de l'armée française, Philippe IV
envoya en 1652 une armée dirigée par le général
Juan José d'Autriche, afin de «pacifier» la Catalogne. Le
général
mit fin rapidement à la rébellion et imposa la domination
espagnole sur toute la région.
|
Au
traité des Pyrénées de 1659, conclu
entre Louis XIV et Philippe IV d'Espagne, les Catalans perdirent
la Catalogne du Nord au profit du Royaume de France.
Cette région correspond aujourd’hui au
département des Pyrénées-Orientales, dont la préfecture est Perpignan. Les catalanophones
de France résistèrent
aux nouvelles autorités et continuèrent à utiliser leur langue.
Du côté espagnol, l'Espagne obtenait la fin du soutien français au
Royaume du Portugal, indépendant depuis la révolte de 1640, ainsi que la
renonciation des prétentions françaises au comté de Barcelone. Au cours des
négociations, les Catalans furent
toujours tenus à l'écart.
Ils ne prirent connaissance du traité des Pyrénées que trois mois plus
tard, soit en février 1660. La France obtint le Roussillon, le
Vallespir, le Conflent, le Capcir et la vallée du Carol, en plus de tous
les villages qui jouxtaient le Conflent et le Capcir, soit 33
villages. Considérée comme une ville, Llivia en fut exclue
et c'est la raison pour laquelle cette ville est toujours
espagnole de nos jours, enclavée dans la France.
L'application du traité des Pyrénées
s'étendit sur plusieurs années quoique, en définitive, de
façon partielle.
|
Ce n'est qu'en 1682 que commença la
francisation en Catalogne du Nord. En 1700, Louis XIV interdit le catalan
dans l’Administration et dans tous les actes officiels. Le décret
stipule «qu'à l'avenir toutes les Procédures & les Actes publics qui se
feront dans lesdits Païs,
seront couchés en Langue Françoise» et non plus «dans ladite Langue
Catalane» (voir
le décret d'interdiction de 1700). Dès lors, le catalan de France
était appelé à régresser. D'une province relativement marginale, Louis XIV
réussit en quelques années à intégrer le Roussillon pour en faire une
province incontournable de sa politique extérieure.
8.3 La guerre de Succession
d'Espagne (1714)
En 1700,
Charles II
d'Espagne, le dernier roi des Habsbourg, décédait sans héritier,
mais avait désigné
Philippe d'Anjou, le petit-fils de Louis XIV, comme son
successeur au trône. Dès lors, même si le risque de réunion
des couronnes française et espagnole semblait réduit, les
monarchies européennes craignirent de voir l'Espagne devenir
une sorte de protectorat français. C'est pourquoi toutes les autres puissances européennes se
soulevèrent contre la France et l'Espagne, ce qui déclencha
la longue guerre de Succession
d’Espagne (1702-1717).
|
Les Catalans, pour leur
part, appuyaient la candidature de l'archiduc
Charles d'Autriche contre Philippe d’Anjou de
France, favorisant ainsi le
camp de la Maison des Habsbourg contre celle des
Bourbons. La ville de Barcelone fut assiégée par
les troupes franco-espagnoles et ne se rendit
qu'après une résistance de cinq jours, soit le
11 septembre 1714. Cette défaite
fut à
l'origine de la fête nationale de la Catalogne (Diada Nacional de Catalunya).
Ensuite, la
Catalogne se soumit pour un siècle.
Vainqueur de la guerre de Succession,
Philippe V (1683-1746) accéda au trône d'Espagne que Louis XIV avait
revendiqué pour lui au moyen d'alliances matrimoniales. Mais cette reconnaissance du
petit-fils du roi de France par tous les pays d'Europe s'est
faite au prix de pertes territoriales importantes pour la
France et l'Espagne. Pendant que Louis
XIV perdait l'Acadie,
Terre-Neuve et la
Baie-d'Hudson, l'Espagne perdait
Gibraltar, Minorque
aux Baléares et des territoires en Italie.
L'Espagne demeura sous
influence française et Philippe V pratiqua une politique de
centralisation administrative à la française. Ainsi, la
Catalogne, le Pays valencien et les Baléares se virent
imposer en 1716 les décrets («decretos») de la
Nueva Planta (la
«nouvelle base»). |
|
Ces décrets de Philippe V
prescrivaient un modèle juridique, politique et
administratif commun à toutes les provinces d'Espagne, y
compris dans les régions catalanophones (Catalogne, Pays
valencien et Baléares). Philippe V décréta l'abolition du
Parlement catalan (Generalitat), de son gouvernement
et des conseils municipaux.
Le droit
catalan fut supprimé, de même que l'Université de la Catalogne. Le
castillan devint la seule langue officielle de
l’Administration publique, alors que le catalan restait la
langue de la majorité des habitants de cette région.
Dans le
Decreto de Nueva Planta Cataluña 1716, il était
clairement énoncé que les affaires au cours des audiences
royales devaient se dérouler en langue castillane: «Las
causas en la Real Audiencia se sustanciarán en lengua
castellana [...]». |
Par la suite, la castillanisation gagna du terrain partout
en Espagne, notamment en Catalogne, au Pays valencien, en Aragon
et aux îles Baléares. En Sardaigne toutefois, le catalan demeura la langue dominante
malgré la castillanisation de l’aristocratie locale jusqu’en 1720, alors
que l’île fut incorporée au Royaume d’Italie, ce qui entraîna la quasi-disparition
du catalan. En somme, la petite principauté d’Andorre
resta le seul territoire où le catalan se maintint en tant que langue
officielle.
Au cours de
la seconde moitié du XVIIIe
siècle, la Catalogne s'intégra progressivement à
la nation espagnole, tout en s'affirmant au plan
de l'économie. La Catalogne vécut
en effet une grande transformation économique et sociale
dans les domaines de l'agriculture, de la pêche,
de l'industrie manufacturière, de l'amélioration
des moyens de communication, etc. La bourgeoisie
catalane se développa et pénétra le marché
national espagnol. Ce fut le début de
l'industrialisation de la
Catalogne
et de l'apparition du prolétariat. La croissance
de Barcelone fut considérable: elle devint la
seconde ville d'Espagne après Madrid. Les
Catalans devinrent bilingues (catalan et
castillan) dans les villes,
mais ils sont restés unilingues catalans dans les
campagnes.
9.1 Les
premières manifestations
En 1812, la Catalogne fut annexée à l'empire français par
Napoléon, ce qui favorisa son aspiration à l'autonomie, laquelle s'exprima dans un
mouvement catalaniste. Au cours du XIXe
siècle, le catalan connut une
certaine renaissance, appelée la Renaixença. Celle-ci fut assez forte en
Catalogne et aux îles Baléares, mais
relativement faible au Pays valencien et en
Aragon, et inexistante en France et en Italie
(Sardaigne). La langue catalane redevint une
langue de culture et une langue scientifique,
mais ne regagna pas son statut de langue
officielle. Le combat pour la nation et la
langue catalanes prit de l'ampleur. En 1873 fut
proclamée la Première République espagnole, mais
le régime fut marqué par une forte
instabilité et la démission successive de
plusieurs présidents, tandis que l'armée
exerçait un pouvoir grandissant. Finalement, un
coup d'État organisé par les monarchistes mit
fin à la République dès janvier 1874. Une
monarchie constitutionnelle fut instaurée en
janvier 1875 avec le roi Alphonse XII (de 1875 à
1885).
Au début du
XXe siècle, la
Lliga Regionalista (Ligue régionaliste)
entreprit de promouvoir
l'autodétermination de la Catalogne. La région fut constamment agitée par ce mouvement
catalaniste, et ce, d'autant plus que les masses populaires urbaines
revendiquaient l'amélioration de leurs conditions de vie particulièrement misérables à
cette époque. Les campagnes de promotion du
catalan permirent la création en 1907 de l’Institut d’Estudis Catalans, qui
élabora la codification de la langue, publia des grammaires et des
dictionnaires. En 1909, la reprise de
la guerre contre le Maroc et le système de
recrutement provoquèrent une grève générale à
Barcelone, laquelle se transforma en une
insurrection populaire, vite réprimée avec
violence.
9.2 Le
rétablissement de la Generalitat
En 1931, la proclamation de la
Seconde République espagnole (1931-1939) faisait de
l'Espagne «un État intégral, compatible avec l'autonomie des
Municipalités et des Régions ("Un Estado integral,
compatible con la autonomía de los Municipios y de las
Regiones"), conformément à l'article 1er
de la Constitution espagnole. Le nouveau régime politique
permit de rétablir la Generalitat de Catalunya avec des compétences considérables
et de récupérer le statut de langue officielle du catalan (perdu au
XVIIIe
siècle). Pendant ce temps, le roi Alphonse XIII abandonnait Madrid et partait en
exil sans avoir abdiqué.
La Generalitat entreprit de restaurer l’usage du catalan dans
l’enseignement, les médias, l’édition, etc. En vertu de l'article 1er du
Statut d'autonomie de
1932, la
Catalogne était constituée en région autonome au sein de l'État espagnol,
son
territoire couvrant les provinces de Barcelone, de Tarragone, de Lérida
et de Gérone. L'article 2 du
Statut d'autonomie
(1932)
reconnaissait que «la langue
catalane est, comme le castillan, une langue officielle en
Catalogne»:
Article 2
1)
La langue catalane est, comme le castillan, une langue officielle en
Catalogne.
Pour les communications officielles de la Catalogne avec le reste de l'Espagne, ainsi
que les communications avec les autorités de l'État avec la Catalogne, la langue
officielle sera le castillan .
2)
Toute disposition ou décision officielle émise en Catalogne doit être
publiée dans les deux langues.
La notification doit également être faite de la même manière, à la demande d'une
partie intéressée .
3)
Dans le territoire catalan, les citoyens, quelle que soit leur langue
maternelle, ont le droit de choisir la langue officielle qu'ils
préfèrent dans leurs relations avec les tribunaux, les autorités et
les fonctionnaires de toutes sortes, tant pour la Generalitat que pour
la République.
|
Toutefois, il
convient de bien comprendre la portée de la Constitution espagnole de 1931 et du
Statut d'autonomie de 1932.
La Constitution espagnole de 1931 donnait le droit aux régions d'employer les
«langues de provinces et des régions» (art. 4):
Artículo
4 1) El
castellano es el idioma oficial de la República.
2) Todo español tiene obligación de saberlo y derecho de
usarlo, sin perjuicio de los derechos que las leyes del Estado
reconozcan a las lenguas de las provincias o regiones.
3) Salvo lo que se disponga en leyes especiales, a nadie se
le podrá exigir el conocimiento ni el uso de ninguna lengua
regional. |
Article 4
1) Le
castillan
est la
langue
officielle
de la
République.
2) Tout Espagnol
a le devoir de la connaître et le droit d'en faire usage, sans
préjudice des droits que les lois de l'État reconnaîtront aux
langues des provinces ou des régions.
3)
Sauf une disposition contraire
prévue dans
des lois particulières,
nul ne pourra
exiger ni la
connaissance
ni l'usage
d'aucune
langue
régionale. |
L'article 50 de la Constitution de 1931 allait plus loin en autorisant l'enseignement
des «langues respectives» ("lenguas respectivas") dans les régions autonomes:
Artículo 50
1) Las regiones autónomas podrán
organizar la enseñanza
en sus lenguas respectivas, de acuerdo
con las facultades que se concedan en sus Estatutos.
2) Es obligatorio el estudio de
la lengua castellana, y ésta se usara también como instrumento
de enseñanza en todos los centros de instrucción primaria y
secundaria de las regiones autónomas. El Estado podrá mantener o
crear en ellas instituciones docentes de todos los grados en el
idioma oficial de la República.
3) El Estado ejercerá la suprema inspección en todo el
territorio nacional pata asegurar el cumplimiento de las
disposiciones contenidas en este Artículo y en los dos
anteriores.
4) El Estado atenderá a la expansión cultural de España
estableciendo delegaciones y centros de estudio y enseñanza en
el extranjero y preferentemente en los países hispanoamericanos. |
Article 50
1) Les régions autonomes peuvent
organiser l'enseignement dans leurs
langues respectives, conformément
aux pouvoirs conférés dans leurs Statuts.
2) L'étude de la langue
castillane est obligatoire; elle est utilisée en outre comme
véhicule d'enseignement dans tous les établissements
d'enseignement primaire et secondaire des régions autonomes.
L'État peut maintenir ou créer dans ces régions des
établissements d'enseignement, à tous les niveaux, dans la
langue officielle de la République.
3) L'État exercera sa haute
supervision dans tout le territoire national pour assurer
l'accomplissement des dispositions contenues dans le présent
article ainsi que dans les deux articles précédents.
4) L'État veillera à l'expansion
culturelle de l'Espagne, en établissant des délégations et des
centres études et d'enseignement à l'étranger et préférablement
dans les pays hispano-américains. |
Ces deux textes imposaient plusieurs restrictions
aux acquis dans les domaines de la politique, de l’administration et de la
justice. L'une des langues officielles, le castillan, était «plus officielle» que
l'autre et une prépondérance était établie.
9.3
La guerre civile espagnole
L'avènement de la Seconde
République avait réveillé beaucoup d'espoir non seulement
chez les autonomistes, mais aussi chez les ouvriers et les
paysans. Puis les réformes se sont fait attendre. De vastes
pans de la population se trouvèrent déçus, car les malaises
sociaux, économiques, culturels et politiques, qui
accablaient l'Espagne depuis plusieurs générations, se
perpétuaient. Le coup d'État de 1936 provoqua l'effondrement
de la Seconde République, avec des conséquences
extrêmes. L'Espagne devint le lieu d'affrontement des
grandes puissances et le terrain de manœuvre des grandes
armées européennes. Ce fut la guerre civile espagnole
(1936-1939), tristement célèbre avec ses 400 000 morts, qui
opposa, d'une part, le camp des républicains composé de
loyalistes à l'égard du gouvernement légalement établi de la
Seconde République,
d'autre part, les nationalistes de droite dirigés par le
général Francisco Franco. Celui-ci fut élu, le 1er
octobre 1936, «chef du gouvernement de l'État espagnol» par
une junte militaire.
Le général Franco conquit le Pays basque en
octobre 1937, puis l'Aragon et la Catalogne, alors que tombait Barcelone le 26
janvier 1939, puis finalement Madrid le 28 mars. Le reste de l'Espagne fut
conquis
un mois plus tard, tandis que les derniers combats avaient lieu à Alicante
(Pays valencien). Dès le 1er avril 1939, Franco
pouvait annoncer que «la guerre est finie». La livraison d'armes de la part des
Allemands et des Italiens avait donné un net avantage aux nationalistes de
Franco.
|
10.1 La fin de l'autonomie
catalane
Mais la guerre civile et la
victoire du général Franco mirent fin à l’autonomie accordée aux Catalans.
Lorsqu’en mars 1938 les troupes franquistes pénétrèrent sur le territoire
catalan, l'une des priorités de Franco fut d'abroger le Statut d'autonomie de la
Catalogne par la loi du 5 avril 1938 (Ley
de derogació de l´Estatut de Catalunya pel general Franco).
La Catalogne allait alors
connaître l'une des périodes les plus tragiques de son
histoire. En effet, Francisco Franco étouffa toute velléité
d’opposition et interdit brutalement l’usage public du
catalan dans toute l’Espagne, cette interdiction devant se
maintenir jusqu’en 1975, l’année
de sa mort.
|
Contrairement aux régimes précédents qui
avaient tenté d'en finir plus ou moins pacifiquement avec la pluralité linguistique en Espagne, Franco
eut recours à des moyens différents et plus efficaces pour faire appliquer sa politique,
notamment les techniques de communications et la coercition dans les écoles.
Pendant cette période, l'autonomie catalane disparut de façon brutale.
10.2 La répression
linguistique
Un décret adopté le 28 juillet 1940, le
Décret portant création de l'usage
exclusif de l'espagnol dans les services publics (Decreto estableciendo el uso exclusivo del
español en los servicios públicos), illustre parfaitement la
répression linguistique exercée par le régime de Franco. Voici les deux premiers
articles du décret (traduction):
Article 1er
(traduction)
À partir du 1er
août prochain, tous les fonctionnaires
intermédiaires des sociétés provinciales et municipales dans cette
province, quelle que soit leur catégorie, qui s'exprimeront à
l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments officiels dans autre langue
que celle officielle de l'État seront «ipso facto» destitués, sans
qu'aucun appel ne soit recevable.
Article 2
S'il y a des
manquements commis par des fonctionnaires rémunérés, titulaires d'un
poste ou responsables d'unités administratives ou d'organismes qui
sont en instance d'être réintégrés, ces manquements permettront de
clore le dossier dans l'état où il se trouve, et entraîneront la
destitution immédiate du contrevenant, sans aucun recours. |
En 1945, une ordonnance ministérielle
instaurait l'emploi obligatoire du castillan dans les écoles: Nueva ley de educación primaria que sólo
permite enseñar en castellano («Nouvelle loi sur l'éducation primaire
autorisant un enseignement en castillan seulement»).
Même dans les
prisons, il fut
interdit de parler
une autre langue
que l'espagnol
(castillan).
Évidemment, le catalan
fut prohibé dans les raisons sociales, les marques de commerce et les cinémas.
Il fut proscrit durant
quarante longues années dans tous les domaines de la vie publique. Aucun livre
en catalan ne fut imprimé, sinon dans la clandestinité; la langue catalane ne fut plus enseignée et les Catalans
furent souvent discriminés pour des motifs linguistiques dans leur propre pays. Il fallait, pour le régime franquiste, réduire
à néant l'identité catalane en s'attaquant à la langue et aux diverses
expressions de la culture. De nombreux nationalistes catalans — dont
Jordi Pujol, futur président de la Catalogne — furent emprisonnés pendant
des années. Durant de longues décennies, le catalan ne put être employé qu’à
l'intérieur du foyer familial. Les années qui suivirent se caractérisèrent par
une stratégie globale de résistance culturelle.
Les Catalans s'attiraient de sévères réprimandes
de la part des franquistes lorsqu'ils parlaient catalan: Perro separatista («Chien
séparatiste»), Quién es el perro que ha ladrado? («Qui est le chien qui a
aboyé?»), Si eres español, habla la lengua del imperio («Si tu es
espagnol, parle la langue de l'Empire») ou encore habla en cristiano
(«Parle chrétien»), ce qui pourrait être l'équivalent ibérique du Speak white
des anglophones du Canada à l'intention des francophones! Un très grand nombre d’écrivains catalans
se résignèrent à l'exil.
En 1968, le chanteur catalan Lluis Llach
devint une des figures de proue dans le combat pour la
culture catalane sous le franquisme. Il
compara le régime à un poteau pourri dans la chanson "L'Estaca"
(en français: «le pieu»), dont le refrain est «II tombera, tombera, tombera» ("Segur que tomba, tomba, tomba").
Cette chanson devint l'hymne de la résistance à Madrid. Franco mourut le 20
novembre 1975. La voie de la démocratisation était désormais ouverte pour le
prince Juan Carlos de Bourbon, qui devenait roi d'Espagne. En peu de temps, il
écarta les franquistes conservateurs de la scène politique et entreprit de
transformer le pays en une démocratie moderne.
La nouvelle Constitution de 1978 permit
non seulement la rétablissement de la Generalitat de
Catalunya, mais aussi la création de 17 communautés autonomes, dont
certaines ont pu conserver le catalan comme langue co-officielle: la Catalogne, le
Pays valencien et les îles Baléares, alors que la Galice et le Pays basque ont
maintenu comme langue co-officielle le galicien ou le basque.
1) Andalousie (Andalucía)
2) Aragon (Aragón)
3) Canaries (Canarias)
4) Cantabrie (Cantabria)
5) Vieille-Castille (Castilla y La Macha)
6) Castille-et-Léon (Castilla y León) |
1)
castillan
2) castillan et
aragonais
3) castillan
4) castillan
5)
castillan
6)
castillan et asturien |
7) Catalogne (Cataluña / Catalunya)
|
7)
castillan et catalan + aranais pour le val d'Aran |
8) Communauté de Madrid (Comunidad de Madrid)
9) Communauté forale de Navarre (Comunidad
Foral de Navarra) |
8)
castillan
9) castillan et basque |
10) Communauté valencienne (Comunidad
Valenciana)
11) Estrémadure (Estremadura)
12) Galice (Galicia) |
10) castillan et catalan (valencien)
11) castillan
12) castillan et
galicien |
13) Îles
Baléares (Islas Baleares)
14) La Rioja: castillan |
13)
castillan et catalan
14) castillan |
15) Pays basque (Pais Vasco / Euskadi)
16) Principauté des Asturies (Principado de
Asturias)
17) Région de Murcie (Region de Murcia) |
15)
castillan et basque
16) castillan et asturien
17)
castillan |
Chacune des communautés autonomes s'est vu accorder un
statut d'autonomie particulier, une sorte de constitution interne élaborée par une
assemblée d'élus locaux (députés et sénateurs) mais aussi adoptée par les Cortès
Generales (Parlement et Sénat espagnols). Les communautés autonomes assument maintenant des compétences
exclusives dans de nombreux domaines: les institutions gouvernementales locales
(parlement, gouvernement, administration, écoles), l'aménagement du territoire
et la protection de l'environnement, les chemins de fer et les routes (celles qui ne
traversent qu'un seul territoire d'une communauté autonome), l'agriculture et
l'exploitation forestière, la chasse et la pêche, le développement économique,
la culture, l'enseignement et l'emploi des langues, la santé et
l'assistance sociale, le tourisme et le loisir, la police. Les Communautés
autonomes disposent ainsi de larges pouvoirs qui leur permettent de se gouverner
localement, mais les municipalités ne sont pas assujetties aux gouvernements
communautaires; elles demeurent complètement autonomes dans leurs champs de
compétence.
11.1 La
Constitution espagnole
En matière
de langue, l'article 3 de la Constitution nationale
de 1978 reconnaît l'existence des autres langues espagnoles
également officielles, sans en nommer une seule :
Article 3
1)
Le castillan est la
langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le
devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.
2)
Les autres langues espagnoles sont également officielles dans les
différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts.
3)
La richesse des
particularités linguistiques distinctives de l'Espagne est un
patrimoine culturel qui doit faire l'objet d'une protection et d'un
respect particuliers. |
En Espagne, connaître la langue officielle de
l'État est une obligation constitutionnelle. En effet, aucun Espagnol, même
lorsqu'il est autorisé à utiliser une autre langue dans une communauté autonome,
ne peut ignorer le castillan. Cette obligation de connaître une
langue (le castillan) ne s'applique pas au catalan, au basque, au galicien ou à
toute autre langue locale en Espagne. L'emploi des langues minoritaires en
Espagne ne constitue pas une obligation, mais simplement un droit. Les
langues ne sont donc pas officielles ou co-officielles au même degré: la langue
officielle dans toute l'Espagne demeure le castillan, ce qui lui assure une
préséance certaine.
De toutes les Communautés autonomes, ce sont surtout la
Catalogne, le Pays valencien, les îles Baléares, la Galice et le Pays basque
qui se distinguent au plan linguistique, car leur langue locale est co-officielle
avec le castillan. Il faudrait tout de même faire mention des «langues particulières» non
officielles: le basque
en Navarre, l'aragonais en Aragon, l'asturien dans les Asturies, l'aranais au
val d'Aran (sous la juridiction de la Catalogne).
11.2 Le catalan
dans les Communautés autonomes
|
Trois Communautés autonomes ont le
catalan comme langue co-officielle avec le castillan: la Catalogne, le
Pays valencien et les îles Baléares. En Aragon, les catalanophones
occupent une petite partie du territoire.
- La Catalogne
Les principales dispositions
juridiques qui accordent un statut officiel au catalan émanent des
textes appelés «statuts d'autonomie», notamment le
Statut
d'autonomie de 1979 (aujourd'hui abrogé) et le
Statut d'autonomie
de 2006 (modifié par le Tribunal constitutionnel).
Comme on pouvait s'y attendre, la
Communauté autonome de la Catalogne agit en tant que véritable chef de
file lorsqu'il est question de promouvoir l'usage du catalan. Cette
affirmation a été renforcée en 2006 par l'approbation de la réforme du
Statut d'autonomie de la Catalogne de 1979. Le nouveau Statut
d'autonomie maintient les mêmes éléments essentiels, notamment
l'affirmation que le catalan est la «langue propre» de la Catalogne
(art. 6.1), la langue normale de l'enseignement (art. 6.1) et la langue
officielle à côté du castillan (art. 6.2).
Le
Statut d'autonomie de 2006 incorpore trois nouvelles dispositions d'une grande
portée. La première vise à corriger l'asymétrie qui existe quant à
l'obligation de la connaissance des langues co-officielles, le castillan
et le catalan. À ce sujet, l'article 6.2 énonce que
«toutes les personnes ont le droit d'utiliser les deux langues
officielles, et les citoyens de Catalogne ont le droit et le devoir de
les connaître et de les
utiliser l'une ou l'autre».
|
Un autre élément ajouté découle de la condition de «langue propre» : le
catalan doit être «la
langue utilisée habituellement et de préférence par les administrations
publiques et les médias publics de Catalogne» (art. 6.1),
ainsi que dans l'enseignement. En
dernier lieu, un paragraphe (art. 6.2) sur les droits et obligations
linguistiques a été inséré. Il en ressort que le personnel des
administrations publiques de Catalogne, c'est-à-dire l'administration de
la justice et le ministère des Finances et des Registres publics, est tenu
d'accueillir le citoyen et de lui répondre dans la langue officielle de son
choix, sans que cela ne puisse causer une quelconque
discrimination, par exemple sans entraîner
un retard indu dans le traitement des requêtes
ou des documents.
Le processus de rédaction du
Statut d'autonomie
de 2006 fut long et très compliqué. Le premier texte proposé par le
Parlement, approuvé par 90 % des votes exprimés,
fut profondément modifié par le gouvernement espagnol, à l'époque dirigé
par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Une fois le nouveau texte
approuvé par le Parlement espagnol (les Cortès Generalès) et par référendum
en Catalogne, le Parti populaire (PP) — le principal parti d'opposition
— décida de le soumettre au Tribunal constitutionnel. Après quatre
années de délibérations, pendant lesquelles des tractations entre les
partis politiques dans la nomination des juges furent omniprésentes, le
Tribunal détermina que 14 articles étaient inconstitutionnels, en plus
de réduire la portée de 27 autres articles.
En ce qui a trait à la
langue catalane, le Tribunal a refusé l'emploi du terme «de
préférence» (art. 6.1) au catalan en matière de langue dans les
administrations publiques. Finalement,
l'arrêt
du 28 juin 2010 a rétabli
l'asymétrie favorable au castillan lorsqu'il est question du devoir des
citoyens de connaître une langue particulière.
Au-delà des limitations d'ordre linguistique, l'arrêt
du Tribunal constitutionnel confirme que cette instance a préséance sur
la volonté démocratique exprimée par les Catalans, voire par le Parlement
espagnol.
- Le Pays
valencien
Au Pays valencien, la réforme du
Statut d'autonomie ne causa pas de tremblement de terre ni de
polémique. Cette attitude n'est sûrement pas étrangère au fait que le Parti populaire
(PP) détient une majorité absolue dans cette communauté depuis
plusieurs années. Le Parti populaire soutient, depuis longtemps, et ce,
avec l'appui des mouvements d'extrême droite et du
Parti socialiste ouvrier
espagnol (PSOE), que la variante
dialectale parlée au Pays valencien n'est pas le catalan. C'est ainsi
que le valencien, dénomination historique du catalan dans le
Pays valencien, est reconnu comme langue co-officielle dans le
Statut d'autonomie
de 2006: «La langue particulière (propre) de la
Communauté valencienne est le valencien.» Cette mesure de
«sécession linguistique» a été décidée non pas par la population, mais
par des partis politiques de droite, alors que du point de vue
scientifique cette conception ne tient pas la route.
Au Pays valencien, tout individu a le
droit de connaître et d'utiliser le valencien, mais ce n'est pas une
obligation. Dans le domaine scolaire, l'accent est mis sur
l'enseignement du valencien, mais, nuance importante, pas
nécessairement en valencien. De plus, la
Loi sur l'usage et
l'enseignement du valencien (1983) fait état de la possibilité
que certaines régions du territoire valencien soient exemptes de
l'utilisation et de l'enseignement du valencien. Malgré tout, le
Statut d'autonomie
de 2006 affirme que la langue co-officielle, le valencien, a
besoin d'une protection spéciale. Il est admis que tout citoyen peut utiliser l'une ou l'autre des langues co-officielles auprès des
organismes du gouvernement local et se faire répondre dans la même
langue.
- Les îles
Baléares
D'après le
Statut d'autonomie
de 2007, le rôle du
catalan dans les îles Baléares n'est pas différent de celui des
territoires déjà mentionnés. Le catalan est la «langue propre» ou
particulière et, avec
le castillan, il est la langue officielle (art. 4). Les autres articles
du Statut d'autonomie des Baléares se rapprochent davantage du statut
accordé au
Pays valencien qu'à celui consenti à la Catalogne. Les citoyens des Baléares ont
le droit, mais non le devoir ou l'obligation, de connaître et
d'utiliser le catalan. Ici aussi, nul ne peut subir de discrimination
pour des motifs linguistiques (art. 4.2).
Afin de garantir
les droits linguistiques,
les institutions des Baléares doivent créer les conditions qui
favorisent
la connaissance des deux langues officielles au sein de la population. Ainsi, le
citoyen qui s'adresse à l'administration de la Communauté autonome en
catalan ou en castillan a le droit d'obtenir une réponse dans la langue
de son choix (art. 14.3).
-
La Frange d'Aragon
Le catalan constitue la troisième langue en usage
en Aragon après le castillan et l'aragonais; il serait parlé par environ 40 000 locuteurs
dans ce qu'on appelle la Franja Oriental de Aragón (en espagnol), c'est-à-dire la «Frange
orientale d'Aragon», une bande frontalière avec la Catalogne d'une
largeur de 15 à 30 km et d'une superficie de 5077 km². Familièrement,
cette région est appelée la Franja, la Frange. Ce
qui favorise le catalan d'Aragon, c'est sa proximité avec le catalan de
la Catalogne.
En 2004, le Secrétariat à la politique linguistique de la Generalitat de
Catalunya effectué une enquête sur les locuteurs du catalan dans la Frange
d'Aragon: quelque 70,5 % des habitants de la Frange avaient
le catalan, ou l'une de ses variétés, comme langue maternelle, ce qui
représentait quelque 27 800 locuteurs. Dans la Frange, le castillan arrivait en seconde position
avec 26,4 % des locuteurs (10 400). De plus, 62 % des Aragonais de la région utiliseraient seulement le catalan,
Il s'agit donc d'une langue vivante bien que son prestige soit quasi
nul.
Résultat de l'Histoire, le catalan
est parlé hors de l'Espagne: dans la principauté d'Andorre, dans le
département français des Pyrénées-Orientales et dans la ville d'Alghero
en Sardaigne (Italie).
12.1 La
principauté d'Andorre
La principauté d’Andorre est le seul État souverain
au monde à avoir adopté le catalan comme unique langue officielle. On peut
consulter à ce ce sujet le
Règlement
sur l'usage de la langue officielle en public
(2005). Notons qu'Andorre
est le seul pays d’Europe où ses propres ressortissants d'origine sont
minoritaires. En effet, les hispanophones forment au moins 38% des locuteurs,
contre 36 % pour les catalanophones, 11,5 % pour les lusophones (portugais) et
plus de 6 % pour les francophones. Il reste encore 6 % ou 7 % pour d'autres
langues. Par crainte d’être minorisés au plan linguistique, les Andorrans catalanophones
ont cherché à se protéger par un grand nombre de lois et de règlements. C’est pourquoi les
citoyens de ce pays ont toujours appuyé leur gouvernement dans sa volonté de catalaniser le territoire. C'est ce qui explique que l'État andorran a prévu de
nombreuses dispositions juridiques pour favoriser le catalan.
12.2 La Catalogne
française
En France, le catalan est une
langue parlée par quelque 110 000 locuteurs sur une population de 440 000
habitants dans le
département des Pyrénées-Orientales (no 66). Cette région correspond
à ce qu'on appelle la Catalogne du Nord (Catalunya del Nord),
tout autour de la ville de Perpignan. La variante géographique du catalan parlée en
France est traditionnellement connue sous le nom de catalan
septentrional ou plus souvent roussillonnais.
Bien que le catalan soit considéré comme
l'une des langues régionales de France, celui-ci ne bénéficie d'aucun
statut juridique particulier. La politique linguistique pratiquée en
Catalogne du Nord a toujours favorisé le français au détriment du
catalan; cette francisation dirigée par les autorités françaises s'est
étendue dans toute la région. Aujourd'hui, l'usage du catalan n'est
autorisé que partiellement à l'école et dans les médias.
12.3 La
Sardaigne
Le catalan est aussi parlé
en Sardaigne (Italie). Il y existe une petite communauté
catalanophone de 28 500 locuteurs, concentrée dans la
ville d'Alghero (40 000 habitants), celle-ci étant située dans une
péninsule au nord-ouest de l’île. Comme en France, il n’est pas question
de service public quelconque en catalan, ni d’école reconnue par l’État
italien, bien que, dans une seule école, une trentaine d’élèves étudient
des rudiments de catalan sur une base volontaire. La seule loi pouvant
concerner la protection du catalan est la
Loi du 15
décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités
linguistiques historiques), mais cette protection s'est révélée bien
mince.
L'histoire de la langue catalane est
intimement liée à des événements politiques et militaires, comme
c'est le cas de nombreuses autres langues (anglais, français, espagnol,
portugais, russe, allemand, etc.). Entre le XIe
et le XIVe siècle, le
catalan vécut une longue période d'expansion due à la fois aux armées
catalanes et au commerce florissant des bourgeois de la Catalogne. L'union de
l'Aragon et de la Castille en 1459 allait entraîner le début du déclin
du catalan au profit du castillan (espagnol). Dès lors, il devenait
presque impossible pour les Catalans de s'opposer militairement aux
armées des souverains castillans. Plus tard, la guerre de Trente
Ans (1618-1648) et le traité des Pyrénées (1659) fragilisèrent encore
davantage la Catalogne. Ensuite, la guerre de Succession et l'avènement
du Bourbon Philippe V (1683-1746),
petit-fils de Louis XIV, au trône d'Espagne scellèrent le sort de la
langue catalane dans tout le pays devenu très centralisé au profit des
autorités de Madrid et de la langue castillane. Par la suite, la castillanisation gagna du terrain
dans toute l'Espagne accentuant ainsi le déclin du catalan dont le
statut se réduisait à celui d'une simple langue régionale. Seule la petite principauté d’Andorre
put résister au castillan et au français, protégée par ses montagnes des
Pyrénées.
Le milieu du XIXe
siècle vit
apparaître en Catalogne et un peu partout en Espagne des mouvements
autonomistes. En 1931, la proclamation de la Seconde République espagnole
(1931-1939) permit aux Catalans de restaurer la Generalitat de Catalunya avec des compétences considérables
et de récupérer le statut du catalan comme langue officielle perdu depuis des
décennies. Mais la Seconde République ne survécut pas aux innombrables
problèmes sociaux, économiques, culturels et politiques, qui accablaient
l'Espagne depuis plusieurs générations. Le coup d'État de 1936 provoqua
l'effondrement de la République et le déclenchement de la guerre civile. La
Catalogne connut alors l'une des périodes les plus tragiques de son
histoire. Le général Franco étouffa toute velléité d’opposition et
interdit brutalement l’usage public du catalan dans toute l’Espagne,
cette interdiction s'étant maintenue jusqu’à sa mort en 1975.
Le nouveau régime démocratique issu
de la Constitution de 1978 permit
non seulement la restauration du catalan en Catalogne, au Pays valencien
et aux îles Baléares, mais de redonner aussi la restitution de son statut au basque au
Pays basque et en Navarre, ainsi qu'au galicien en Galice. Aujourd'hui,
certaines d'entre
les 17 communautés autonomes ont pu conserver le catalan comme langue co-officielle, soit la Catalogne, le
Pays valencien et les îles Baléares, alors que la Galice et le Pays basque ont
maintenu comme langue co-officielle le galicien ou le basque. Parmi
toutes les langues régionales d’Espagne – le basque, le galicien, le
catalan des îles Baléares et celui du Pays valencien –, seul le catalan
de la Catalogne semble, en dépit d’une forte immigration castillanophone,
en mesure de tenir tête au castillan, en raison du dynamisme économique
de la bourgeoisie catalane, de son habileté politique et de ses
ambitions européennes. Il est probable que ce succès de la langue
catalane ait une effet d'entraînement pour les autres langues, y compris
l'aragonais et l'asturien. Mais il y a encore loin de la coupe aux
lèvres. Les dinosaures espagnols savent veiller au grain et veulent
conserver les prérogatives du castillan, notamment parmi les dirigeants
du gouvernement central.
Dernière révision en
date du
18 févr. 2024
On peut consulter des articles spécifiques sur les
politiques linguistiques et la langue catalane dans
les documents suivants :
Espagne -
Europe