Pour le moment, on compterait quelques 350 000 utilisateurs
du globish, surtout sur Internet. Bref, il ne serait plus nécessaire
de maîtriser l'anglais pour communiquer dans le monde entier? C'est
sûrement une histoire à suivre!
3.3 Les difficultés de la langue
anglaise
Le dramaturge
anglais George Bernhard Shaw (1856-1950) avait
remarqué avec
esprit que l’anglais était certainement la langue la plus facile à mal
parler: «English is the easiest language to speak badly.» Ces propos
ont été repris par le célèbre linguistique américain d'origine lituanienne,
Edward Sapir (1884-1939), dans son ouvrage Linguistique. En 1908,
avec le soutien du président Theodore Roosevelt des États-Unis, de Bernard
Shaw et l'appui financier du philanthrope Andrew Carnegie, une société fut
fondée afin de simplifier l'orthographe anglaise sous le nom de "Simplified
Spelling Society". Cette Société estimait que la justification fondamentale
de toute modification de l'orthographe anglaise traditionnelle, c'était
qu'il devrait permettre d'améliorer l'alphabétisation et de réduire les
coûts d'apprentissage. En plus d'être plus rapide pour les enfants et les
étudiants étrangers à apprendre, la réforme de l'orthographe ne devait pas
placer d'obstacles inutiles pour ceux qui étaient déjà familiers avec
l'orthographe traditionnelle. Les résultats furent décevants.
De nombreux linguistes ont déjà évoqué le degré de difficulté
des langues, notamment de l'anglais. De là à penser qu'une langue «facile»
se répand mieux qu'une langue «difficile» apparaît comme une lapalissade.
Mais ce n'est pas aussi simple dans le merveilleux royaume des langues!
Évidemment, cette notion de difficulté repose sur des critères relatifs, car
une langue peut être considérée comme facile pour les uns, difficile pour
les autres. Le degré de difficulté dépend d'un grand nombre de causes
d'ordre social ou individuel. Par exemple, on répète souvent que la
proximité génétique entre deux langues rend plus facile l'acquisition d'une
autre langue. Selon ce principe, il peut paraître plus facile pour un
francophone d'apprendre l'espagnol (langue
romane) que l'anglais (langue
germanique) ou l'arabe (langue sémitique).
Mais ce n'est pas nécessairement aussi simple. Diverses considérations
peuvent entrer en ligne de compte de sorte qu'un francophone, par exemple
ayant toujours vécu au Maghreb, pourrait avoir plus de facilité à parler
l'arabe que l'espagnol ou l'anglais pour des raisons de proximité
géographique. Si la plupart des Hongrois instruits sont polyglottes, comment
expliquer que la plupart des Américains instruits soient plutôt unilingues?
Ce sont là des considérations sociales qui interviennent. Par ailleurs, une
langue peut se révéler aisée au plan phonétique, difficile au plan
grammatical; pour d'autres, ce serait l'inverse: facile au plan
morphologique, difficile au plan phonétique. Le japonais est réputé posséder
une grammaire facile, mais son écriture découragerait les personnes les plus
zélées.
Qu'en est-il de l'anglais? Le linguiste et professeur au
Collège de France Claude Hagège a tenté
de répondre à cette question dans son article «Difficiles (langues)» qu'on
trouve dans son Dictionnaire amoureux des langues (Paris, Plon /
Odile Jacob, 2009). Claude Hagège affirme d'abord que l'anglais est une
langue «assez hybride», puisqu'il est le résultat de trois rameaux
indo-européens: le celtique, le germanique et le latin.
- Le vocabulaire
Du fonds celtique, il ne reste plus beaucoup de traces, sauf dans la
toponymie anglaise de l'île de Grande-Bretagne: London, York, Kent,
Cornwall, Devon, etc. Ce sont tous d'anciens noms celtes. Si la base
germanique de l'anglais concerne presque tous les mots de la vie
quotidienne, la base latine touche pratiquement tous les mots savants. C'est
pourquoi cette triple appartenance lexicale rendrait l'anglais plus complexe
que d'autres langues. En réalité, la plus grande difficulté réside dans la
maîtrise des doublons, car ils sont nombreux anglais (liberty
/ freedom). Mais il s'agit là de difficultés plus théoriques
que réelles. Dans les faits, ceux qui apprennent l'anglais se heurtent à des
difficultés qui dépassent le vocabulaire.
- La phonétique
Ceux qui apprennent l'anglais constatent rapidement que cette langue possède
une grande variété de timbres vocaliques (voyelles) et diphtongués pour
lesquels les distinctions ne sont pas toujours aisées: bad
(«mauvais»), bat («chauve-souris»), bit («un peu»), bear
(«ours»), to bet («parier»), to bite («mordre»).
Les règles de prononciation de
l'anglais sont presque toutes soumises à de nombreuses exceptions, ce qui
rend imprévisibles un grand nombre de mots pour lesquels il est très facile
de trébucher. Un étranger doit apprendre que recipe («recette») se
prononce [resIpI], alors que
pipe («tuyau») est prononcé [pajp], mais receipt («reçu») est
prononcé [risit]. Bref, la prononciation de l'anglais apparaît totalement
irrationnelle pour un hispanophone ou un germanophone.
Quant à l'accent tonique, il présente
d'innombrables caprices pour un étranger qui croit que la prononciation de
chaque mot doit être apprise séparément.
En principe, l'accent tonique d'un mot est placé
par défaut
sur la première syllabe,
à moins qu'il n'y ait une
règle pour le placer ailleurs dans le mot. Le problème, c'est que la
présence de suffixes et de préfixes peut exiger le déplacement de l'accent
tonique, mais pas toujours et il faut tenir compte s'il s'agit d'un mot à
deux syllabes ou à trois syllabes. C'est ainsi
qu'on a dilatory («dilatoire, lent»), mais perfunctory
(«superficiel, de pure formalité»), mischief («mauvais coup»), mais
misgiving («soupçon»), to conquer («conquérir»), mais consanguinity
(«consanguinité»), etc.
- L'orthographe
Pour se moquer de l'orthographe anglaise, l'écrivain George
Bernard Shaw (1856-1950) rapporte que le mot fish devrait s'écrire «ghoti».
Il explique que le graphème se prononce [f] comme dans enough, le
graphème [o] se prononce [i] comme dans women et que [ti] se prononce
[sh] comme dans nation. Évidemment, il s'agit d'une blague,
mais elle témoigne de l'incohérence de
l'orthographe en anglais. Il est très important de comprendre que
l'orthographe anglaise et la prononciation anglaise semblent arbitraires,
surtout pour des scripteurs habitués à une écriture plus phonétique.
Par exemple, si le mot tongue («langue») se prononce [tong] sans -e
final, pourquoi argue («se disputer») ne se prononce-t-il pas [arg]
mais [agju]? Et si enough («assez») se prononce [enuff], pourquoi bough
(«branche») ne se prononce-t-il pas [buff] mais [baw]? Évidemment, on
trouverait des exemples similaires avec l'orthographe française, toute aussi
incohérente.
Des lettres ou groupes de lettres en anglais renvoient à des prononciations
différentes. Par exemple, dans les mots suivants, la graphie -ough
renvoie à une prononciation différente:
Bref, il est difficile, voire
impossible, de déduire la prononciation d’un mot à sa simple lecture.
C'est encore George Bernard Shaw qui aurait dit que la Grande-Bretagne et
les États-Unis étaient «deux nations séparées par une même langue» ("two
nations divided by a common language"), parce que l'orthographe britannique
pouvait être différente de l'américaine: centre/center, colour/color,
traveller/traveler, etc. À l'expérience, la plupart des jeunes Chinois
et des jeunes Japonais n'atteignent pas les connaissances suffisantes pour
bien prononcer l'anglais, et ce, après
2000 heures d’études, alors qu'en 250 heures ces jeunes apprentis réussissent à prononcer
correctement l’espéranto.
- La grammaire
Les difficultés de l'anglais ne se limitent pas à la phonétique ni à
l'orthographe qui est proprement aberrante (comme en français).
La grammaire anglaise est également en cause. Nous pourrions évidemment
citer comme exemples la liste des 180 verbes irréguliers en anglais: be/was/been
(«être»), bear/bore/borne («porter»), begin/began/begun
(«commencer»), choose/chose/chosen («choisir»), do/did/done
(«faire»), etc. Cependant, bien que cette liste de verbes soit pénible
à apprendre, elle ne compte pas parmi les plus grandes difficultés de la
langue anglaise.
Pour beaucoup d'élèves qui apprennent l'anglais, la principale difficulté concerne
plutôt les expressions idiomatiques qu'on rencontre dans la combinaison des
verbes avec des adverbes ou des prépositions. Cette combinaison des
mots-outils aux verbes constitue parfois des problèmes redoutables. Citons quelques exemples:
Expression idiomatique |
Traduction |
to bear someone out |
«donner raison à quelqu'un» |
to buy someone off |
«acheter le silence de quelqu'un» |
to catch on |
«saisir l'occasion» |
to catch out |
«prendre quelqu'un sur le fait» |
to hold forth (to the crowd) |
«haranguer une foule» |
to hold in |
«réprimer» ses désirs |
to hold up |
«soutenir»; «lever quelqu'un» (en l'air) |
to come out |
«se dévoiler»; «dévoiler son homosexualité» |
to do in
|
«tuer» ; «assassiner» |
to do out
|
«faire nettoyer» (une chambre/salle) ou «améliorer» |
to do away with |
«se
débarrasser» ; «supprimer» |
to do over |
«refaire des
travaux (embellissement)» |
to for for someone
|
«s'en prendre à quelqu'un» |
to give in |
«capituler»; «céder» |
to give out |
«abandonner»; «distribuer»;
«tomber en panne» |
to give over |
«céder le pas» |
to sell out |
«liquider» ; «trahir» (ses principes) |
to
sell off |
«solder» ;
«écouler à bas prix» |
to
sell back |
«revendre» |
to
sell up |
«vendre son
affaire» ou «faire saisir»; «liquider» |
to take off |
«décoller»; «s'envoler» |
to take over |
«prendre en charge» |
to take down |
«décrocher» (un tableau);
«abattre (un mur) |
to take in |
«rentrer»; «recueillir» |
Ce genre de construction est typique aux
langues germaniques ; il est présent en allemand, en néerlandais, en suédois, etc.,
mais en anglais ces constructions ont pris avec les siècles une très grande
importance. L'anglais en possède un nombre considérable, c'est-à-dire beaucoup plus que
dans les autres langues germaniques. Le problème pour quiconque apprend
l'anglais, c'est que ces petits mots (adverbes ou prépositions), en apparence
tout à fait anodins, qui apparaissent parfois seuls, parfois en groupes de
deux ou de trois, en arrivent à modifier le sens des verbes, souvent de
façon radicale, sans oublier les variantes britanniques et américaines qui
entrent en ligne de compte. Pour beaucoup d'étrangers, ces constructions
paraissent arbitraires et absurdes, et extrêmement difficiles à maîtriser
dans la mesure où elles modifient le sens des verbes.
Mais l'anglais ne se contente pas de si peu. Il existe bien
d'autres difficultés, mais les exemples précédents peuvent suffire à
illustrer que l'anglais n'est pas aussi simple qu'on veut bien le laisser
croire. En France, même le ministère de l'Éducation nationale a fini par le
reconnaître dans le Bulletin officiel, no 6, du 25 août 2005, destiné au
«Programme de l'enseignement des langues vivantes étrangères au palier 1 du
collège» (annexe III):
Anglais (Langue vivante 1)
Il convient par ailleurs de garder à l'esprit le
statut spécifique de l'anglais au sein du système éducatif français et les
conséquences qui en découlent. L'anglais est en effet la seule langue présente
dans tous les types d'enseignement et elle est étudiée par la grande majorité
des élèves. On trouvera bien entendu les raisons de ce choix dans l'omniprésence
de la langue anglaise dans le monde contemporain, y compris dans la vie
quotidienne des Français. Mais cette impression de familiarité peut être
trompeuse : elle risque d'occulter le fait qu'apprendre
l'anglais nécessite implication et travail régulier.
L'anglais est en effet, contrairement aux idées reçues,
une langue difficile pour les francophones,
en particulier à l'oral. Une importance particulière doit être accordée
la maîtrise de la langue orale et cette maîtrise ne peut être acquise que dans
le cas d'un
entraînement systématique et substantiel. |
Si apprendre l'anglais nécessite une implication et un travail
régulier, ainsi qu'un entraînement systématique et substantiel, c'est que l’anglais est une langue difficile,
pas juste pour les francophones, même pour les
Britanniques et les Américains. Le linguiste Claude Hagège (2009) rappelle aussi
que «les locuteurs anglophones maîtrisent l'anglais plus tard que les
hispanophones ne maîtrisent l'espagnol et les sinophones, le chinois
(mandarin)» parlé. Pour lui, la conclusion est simple: «L'anglais est une langue
difficile.» Or, Claude Hagège est reconnu pour être polyglotte, avec des
connaissances dans une cinquantaine de langues, dont l'espagnol, le
portugais, l'italien, l'anglais, l'arabe, le chinois mandarin, l'hébreu, le
russe, le hongrois, le turc, le persan, le malais, l'hindi, le japonais,
etc. Le professeur Hagège possède notamment une
très bonne maîtrise de toutes
les grandes langues internationales dans lesquelles il lui est aisé de
donner des conférences dans le monde entier. S'il considère que l'anglais est une langue
«difficile», il peut avoir raison, car il
Par ailleurs, des études sur la dyslexie (problèmes de lecture ou de langue
écrite) — voir la revue Science d'avril 2001 — démontraient que les
langues réputées «difficiles» au plan phonétique, comme l'anglais, auraient un
fort taux de
dyslexie. Au contraire, des langues plus «régulières» comme l'espagnol,
l'italien ou l'allemand, semblent connaître un taux de dyslexie plus faible.
Ainsi, il y a deux fois moins de dyslexiques chez les petits Italiens de dix
ans que chez les Américains du même âge. Physiologiquement, Anglais,
Américains, Français, Italiens, etc., sont à égalité devant ce problème,
mais cette égalité s'arrêterait au cerveau. Le Royaume-Uni est le pays où se
trouve le taux le plus élevé de dyslexiques en Europe: les élèves
britanniques sont les derniers à savoir lire dans toute l'Europe. On peut se demander pourquoi les Italiens lisent-ils
mieux? Selon le professeur Eraldo Paulesu de l'Université Bicocca de Milan:
«La différence ne tient pas à la langue elle-même. Elle tient à leurs
systèmes d'écriture, qui varient en complexité pour des raisons d'ordre
historique.»
Pour les chercheurs, ces résultats ne semblent pas
très surprenants, si l'on observe la structure même des langues. Avec plus de
mille façons différentes (exactement 1120 graphèmes) d’écrire la quarantaine
de phonèmes de l'anglais, les dyslexiques anglophones apparaissent les plus
démunis, même devant les francophones, pourtant assez mal lotis eux aussi. Par contre,
la langue italienne ne nécessite que 33 combinaisons de
lettres pour orthographier ses 25 phonèmes. Par conséquent, lire l'italien
demanderait moins d'effort que lire l'anglais! En matière de complexité
linguistique, l’anglais tient le haut du pavé des langues appelées
«irrégulières». Au final, des spécialistes recommandent de dispenser les
dyslexiques sévères de l'apprentissage de l'anglais écrit.
Il
n'en demeure pas moins que
toutes les difficultés relatives à l'anglais ne sauraient empêcher la
planète entière de vouloir apprendre cette langue, ce qui ne les élimine pas
pour autant.