|
République de Vanuatu
|
|
Vanuatu
Republic of Vanuatu
République de Vanuatu
Ripablik blong Vanuatu
|
Capitale:
Port-Vila
Population: 300 000 (est. 2019)
Langues officielles: anglais,
français, bichlamar
Groupe
majoritaire:
bichlamar (langue seconde)
Groupes minoritaires: de 106 à 120
langues mélanésiennes, trois langues polynésiennes, français, anglais,
chinois hakka, vietnamien
Système politique:
république unitaire
Articles constitutionnels (langue):
art. 3, 5, 28, 64 et 86 de la
Constitution de 1980 (version
consolidée de 2013)
Lois linguistiques:
Loi sur le mariage (1971);
Loi sur les commissions
d'enquête (1974);
Code de procédure criminelle
(1981);
Loi sur les services publics
(1981);
Loi sur l'interprétation (1981);
Loi sur les tribunaux insulaires (1983);
Loi relative à
l’Institut de formation des enseignants de Vanuatu (2001);
Loi relative à la codification des textes français et anglais des lois
de Vanuatu (2003);
Loi sur le Conseil national des langues
(2005);
Politique linguistique nationale de
Vanuatu (2012) ;
Loi sur l'éducation (2014).
|
1 Situation géographique
|
La république de Vanuatu (terme qui, dans
les langues du nord du pays, signifie «notre pays») forme un archipel de la
Mélanésie dans le Pacifique-Sud (voir la carte de
l'archipel). Cet archipel est composé d'une douzaine de grandes îles (Espiritu
Santo, Malekula, Éfaté, Tanna, Erromango, etc.) et environ 80 petites îles ou
îlots, qui dessinent sur la carte une sorte de «Y».
Le Vanuatu est un un
archipel montagneux dont la superficie atteint seulement 14 765 km² (deux fois
moins que la Belgique), mais dont les eaux territoriales s'étendent sur une
superficie de 450 000 km², soit un peu moins que l'Espagne (504 748 km²).
L'archipel est entouré par d'autres États: les îles Salomon au nord, les îles
Fidji et Tuvalu à l'est, la Nouvelle-Calédonie (France) au sud, la
Nouvelle-Zélande au sud et, plus à l'ouest, l'Australie et la
Papouasie-Nouvelle-Guinée (voir la carte du
Pacifique). La capitale, Port-Vila, est située dans l'île d'Éfaté
(ou Vaté).
Le Vanuatu est divisé en six provinces
administratives:
Province |
Population
(2009) |
Superficie (km²) |
Capitale |
Malampa |
36 727 |
2779 km² |
Lakatoro |
Pénama |
30 819 |
1198 km² |
Longana |
Sanma |
45 855 |
4248 km² |
Luganville |
Shéfa |
78 723 |
1455 km² |
Port-Vila |
Taféa |
32 540 |
1628 km² |
Isangel |
Torba |
9 359 |
882 km² |
Sola |
- |
234 023 |
12 190 km² |
- |
|
2
Données démolinguistiques
La population vanuataise était estimée à
quelque 220 000 habitants en 2005, mais à 300 000 en 2019. Les six îles les plus importantes, soit Espíritu Santo,
Éfaté ou Vaté (1100 km²), Mallicolo ou Malekula (2053 km²), Tanna (1628 km²),
Pentecôte et Maéwo, regroupent plus de 80 % de la population. Les deux
seules villes sont Port-Vila, la capitale, sur l'île Shéfa (ou île Vaté),
qui concentre 10 % de la population totale de l'archipel, et Luganville sur l'île d'Espiritu Santo.
La capitale du Vanuatu (env. 44 000 hab.), Port-Vila, donne
l'image d'une ville cosmopolite où se mêlent les cultures européennes,
vietnamiennes, chinoises et mélanésiennes.
Les habitants du Vanuatu sont appelés officiellement des
Ni-Vanuatu
ou Vanuatais (en français). La presque totalité de la population est
constituée de Mélanésiens (97,7 %), mais on y trouve aussi des
Européens
(britanniques et français: 1,1 %), des Asiatiques
et différents peuples polynésiens originaires des autres îles du Pacifique. Les non-Mélanésiens habitent généralement les deux principaux centres urbains que
sont Port-Vila (île de Éfaté) et Lugainville (île
de Espíritu
Santo).
Les habitants de ce petit pays d'environ 300 000 habitants parlent plus d’une centaine de langues diverses et des
différences, parfois considérables, s'affirment d'une île à l'autre, mais aussi
de village à village. La plus grande particularité du Vanuatu réside dans son
impressionnante densité linguistique, l'une des plus fortes de la planète. En fait, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon
et le Vanuatu ont en commun le fait de posséder une multiplicité de langues,
mélanésiennes pour les îles Salomon et le Vanuatu,
mélanésiennes et
papoues pour
la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Les trois langues officielles du Vanuatu sont
le français, l’anglais et le bichlamar (ou bislama en anglais). Le français et
l’anglais sont les langues de l’éducation ; le bichlamar est la langue
nationale. Selon Ethnologue (2016), l’anglais est parlé par 5400 personnes
(1,7%) comme langue maternelle et par 120 000 (40%). Le français est parlé par
6300 locuteurs (2,1%) et par 83 500 (27%) locuteurs au total. Quant au
bichlamar, il est parlé par au moins 74% de la population du Vanuatu. De plus,
pour environ 90 000 locuteurs (30%), c'est la langue maternelle ou la langue
d'usage. Le bichlamar sert de langue véhiculaire entre locuteurs de langues
maternelles différentes.
Selon le recensement de 2009, la population âgée de cinq ans et
plus sachant lire et écrire présente les répartitions suivantes:
Langue
d'alphabétisation |
% |
Langue
parlée à la maison |
% |
Bichlamar |
74% |
Langue mélanésienne |
63% |
Anglais |
64% |
Anglais |
2% |
Français |
37% |
Français |
0,6% |
Autre langue |
50% |
Autre langue |
0,5% |
|
Ces deux tableaux illustrent que le bichlamar
est parlé par une majorité des Vanuatais, mais que
l'anglais suit de près. Toutefois, il n'y a aucune
indication sur la proportion des locuteurs comme
langue maternelle. Étant donné le grand nombre de
langues parlées au Vanuatu (environ 120 langues pour
300 000 habitants), ces langues mélanésiennes
comptent relativement peu de locuteurs, soit environ
une langue pour 2100 habitants, dont beaucoup
d’entre elles sont en danger. |
Par ailleurs, au point de vue de la religion, les fidèles des différentes Églises
protestantes (58 %) sont plus nombreux que les catholiques (15,2 %) et que les
adeptes des religions traditionnelles (7,5 %).
2.1 Les langues
autochtones
Rappelons-le, on compte au Vanuatu de 106 à 120 langues,
selon les critères retenus pour différencier les langues et les dialectes
dispersés dans les 90 îles pour moins de 200 000 locuteurs. C'est la plus
forte densité linguistique du monde, selon la linguiste Claire Moyse. Toutes
les langues autochtones sont parlées par de très petites communautés
linguistiques. D’ailleurs, on ne compte que 12 langues parlées par plus de
2000 locuteurs, le chiffre maximal de 3000 locuteurs par langue n'étant atteint
que par trois d'entre elles. Sauf quelques exceptions, les langues parlées au
Vanuatu appartiennent au groupe mélanésien de la famille austronésienne. La
population est partagée entre 110 langues
mélanésiennes, trois
langues
polynésiennes (wallisien, tahitien et tongien), ainsi qu’une langue
sino-tibétaine (chinois hakka) et une langue de la
famille
austro-asiatique (le vietnamien) provenant de l’immigration.
Plusieurs des langues mélanésiennes ne comptent plus que quelques locuteurs et
certaines d’entre elles semblent inexorablement condamnées à disparaître.
2.2 Le bichlamar
Il n'y a pas de statistiques fiables sur les langues parlées au
Vanuatu. Les estimations portent à croire que plus de 75% de la population peut
s'exprimer sous une forme ou une autre du bichlamar. Cependant, ce serait la
langue maternelle d'environ 5% de la population, soit autour de 15 000
locuteurs, ce qui serait l'équivalent du français et de l'anglais réunis.
Pour communiquer efficacement entre eux, les Vanuatais utilisent le bichlamar
(appelé aussi pidgin bislama); on trouve principalement l'écriture
bichlamar, bichelamar et bislama (en anglais et en bichelamar). Cette langue tire son origine du
pidgin-english parlé dans toutes les mers du Pacifique-Sud au XIXe siècle. En
réalité, le bichlamar est un pidgin dérivé de l’anglais et formé à
partir de 1860. On estime qu'entre 80% à 90% du vocabulaire serait d’origine anglaise, 4%
d’origine mélanésienne, et 3 % seulement d’origine française. Le bichlamar
possède une forme phonétique simplifiée de l'anglais et incorpore des
expressions familières du français et de l'espagnols. Au point de vue
grammatical, il est plus simple que l'anglais, ce qui signifie que les concepts
nouveaux ou complexes doivent être décrits de manière fonctionnelle, ce qui rend
les expressions beaucoup plus longues que l'anglais. Lorsqu'il devient une
langue maternelle, comme c'est souvent le cas au Vanuatu, il s'agit d'un créole.
Au XIXe siècle, les marchands portugais recherchaient des
pêcheurs néo-hébridais pour captuter des «biches de mer» (en français moderne:
des holothuries) qu'on appelait alors en portugais bicho do mar («bête
de mer»), d'où le nom bislama utilisé pour désigner la langue parlée
entre les marchands et les pêcheurs (ou plongeurs). Il semble que le terme
portugais bicho do mar ait été de loin préféré aux termes anglais
sea-slug («limace de mer»), sea-cucumber («concombre de mer») ou
holothurian («holothurie»). Les Français, pour leur part, ne
connaissaient que les mots cocombre de mer et holothurie. Les
holothuries, une fois séchées, servaient de condiments dans de nombreux mets
chinois, surtout depuis l'expansion du commerce entre la Chine et les îles du
Pacifique-Sud. C'est en 1885 que le premier Français à associer le bichlamar à
une langue fut H. Le Chatrier qui mentionnait que les langues communes dans
l'archipel étaient l'anglais, le français et «le canaque appelé le bichlamar».
D'autres mentionnaient plutôt «le patois bêche-de-mer» et en anglais le
«beach-la-mar».
À l'origine, le bichlamar servait de langue de communication par excellence entre les nombreux groupes
linguistiques du pays et des îles de la région environnante. Le bichlamar, aujourd'hui passé au stade du créole,
s'est même transformé en symbole de la «mélanésianité
locale» et concurrence directement les langues mélanésiennes de l’archipel.
On assiste de plus en plus à la pidginisation des langues locales, lesquelles
perdent progressivement des parties importantes de leur vocabulaire respectif au
profit du bichlamar. Du fait que le bichlamar puise de plus en plus dans la
langue anglaise pour trouver les mots qu'il lui manque, il sert à favoriser
l'apprentissage et l'expansion de l'anglais. De cette façon, il s'éloigne de son
objectif d'origine, celui de servir de langue véhiculaire entre les communautés
vanuataises.
Voici un petit extrait de l'article 3 de la
Constitution de 1980, qui témoigne que le bichlamar, malgré ses similitudes avec
l'anglais, demeure néanmoins une langue distincte:
Texte bichlamar |
Texte
anglais |
Texte français |
3. (1)
Lanwis blong Repablik blong Nyuhebredis, hemia Bislama. Trifala
lanwis blong mekem ol wok long kantri ya, i gat Bislama mo Inglis mo
Franis. Tufala big lanwis blong edukesen long kantri ya, i gat
Inglis mo Franis. |
3. (1) The
national language of the Republic of Vanuatu is Bislama. The
official languages are Bislama, English and French. The principal
languages of education are English and French. |
3. (1) La
langue véhiculaire nationale de la République est le bichlamar. Les
langues officielles sont l'anglais, le bichlamar, le français. Les
langues principales d'éducation sont l'anglais et le français.
|
Les seuls mots communs avec l'anglais sont Repablik/Republic,
Bislama/Bislama et Inglis/English, qui sont d'ailleurs des
emprunts à l'anglais, alors que le mot bislama est un emprunt au
bichlamar. Dans le contexte multilingue du Vanuatu, les représentations des
locuteurs du bichlamar sur leur langue peuvent varier et devenir
ambivalentes. Dans un mémoire de maîtrise, M.-A.
Thivoyon présente ainsi des perceptions à la fois positives et négatives
:
Caractéristiques positives |
Caractéristiques négatives |
Langue nationale et l’une des langues
officielles |
Absence de norme |
Seule langue commune, symbole de
l’unité nationale |
Associé à un passé colonial peu
reluisant |
Flexibilité et capacité à s’adapter
aux différents locuteurs |
Pas considéré comme une «vraie langue» |
Principale langue utilisée dans tout
type d’échange |
Considéré comme du «mauvais anglais»,
qui nuit à l’apprentissage de l’anglais |
Langue de l’urbanité et de la
modernité |
Menace pour les langues locales |
De plus en plus employé à l’écrit,
récemment intégré en éducation |
Auparavant exclu de l’enseignement,
maintenant principalement utilisé à l’oral |
Au Vanuatu, on dit : "Bislama i no wan stret lanwis",
c'est-à-dire «le bichlamar n’est pas une vraie langue». Autrement dit, le
bichlamar s’apparenterait à une «demi-langue» (haf lanwis), une
«fausse langue» (giaman lanwis) ou une «sous-langue», ce qui
l'opposerait à l’anglais et au français incarnant des «vraies langues» (tru
lanwis). En somme, le bichlamar, bien qu'il soit une
langue co-officielle avec l'anglais et le français, il n'est pas considéré
comme une langue appropriée; il est communément surnommé "broken English"
(«anglais cassé»»). Nombreux sont les citoyens vanuatais qui croient que le
bichlamar ne convient pas pour l'enseignement dans les écoles.
Dans les faits, le ministère de
l'Éducation a recours au bichlamar pour transmettre des informations
importantes aux parents, que ce soit pour les sensibiliser sur le soutien
aux écoliers, sur les frais de scolarité, etc. Le bichlamar demeure aussi la
langue dans laquelle sont menées une grande partie des affaires du pays, la
langue dans laquelle les motions parlementaires sont débattues et dans
laquelle les unités des forces de police sont formées. Ce n'est donc pas
simplement «la langue de la rue». C'est l'une des trois langues officielles,
c'est la langue nationale et elle joue un rôle fonctionnel très important
dans la société. Il apparaît donc insolite qu'elle soit exclue, sinon
interdite, dans l'éducation des citoyens. Néanmoins, le bichlamar est
utilisé principalement parlé dans les centres urbains. L'emploi du bichlamar
semble un moyen de se démarquer dans un univers où l’anglais et le français
restent normalement des langues de prestige. Ainsi, le bichlamar s’impose
comme une langue permettant de se démarquer socialement.
3.2 Les langues
métropolitaines: le français et l'anglais
Le français et l'anglais ont maintenu leur statut de langues
co-officielles de
l'État, mais seule une très faible minorité d'individus utilise le français
(environ 6000) ou l'anglais (3000 ou 4000)comme langue maternelle. Il s'agit essentiellement de Français ou
de Britanniques qui sont demeurés au Vanuatu après l'indépendance (environ
1000 par communauté). Encore plus rares sont ceux qui peuvent prétendre être
bilingues français-anglais. Aussi, peut-on dire que le bilinguisme
français-anglais au Vanuatu n'est réservé qu'aux institutions.
Au plan strictement administratif, on peut rattacher approximativement
60 % de la population vanuataise à la communauté anglophone et environ 40 % à la
communauté francophone, c’est-à-dire à l'Administration française ou à l’Administration
anglaise. Du point de vue sociolinguistique, la situation n'est cependant pas
aussi claire, du fait qu'avant 1965, on avait laissé le soin de l'éducation
aux mains des communautés religieuses et que le nombre de pasteurs anglophones
était beaucoup plus élevé que celui des prêtres français. Cette situation
semble avoir produit un rapport de l'ordre de trois contre un en faveur de
l'anglais quant à l'influence exercée et à l'enseignement dispensé pour
cette période. C’est pourquoi, aujourd’hui, on estime que l'anglais est
parlé «techniquement» par les deux tiers de la population et le
français, en principe, par l’autre tiers. Historiquement, les francophones sont
concentrés essentiellement dans les îles du Nord, d'Espiritu-Santo et de
Mallicolo (voir la carte de
l'archipel).
3 Données historiques
L'archipel de Vanuatu est habité par les Mélanésiens depuis plusieurs
millénaires. En 1606, l'explorateur portugais Pedro de Queirós découvrit
l'île d'Espiritu Santo. L'archipel fut redécouvert en 1768 par le célèbre
navigateur français Louis-Antoine de Bougainville qui le nomma
Grandes
Cyclades du Sud. En 1773, le navigateur britannique
James Cook lui donna le
nom de New Hebrides (ou
Nouvelles-Hébrides) en souvenir des îles Hebrides dans son Écosse natale. La plupart des îles conservèrent le nom donné à
cette époque: Tanna, Erromango, Ambrym, etc.
3.1 L'arrivée des
communautés religieuses
Les premiers missionnaires presbytériens (britanniques)
arrivèrent au Vanuatu en 1839, suivis en 1860 par les anglicans et, en 1887, par
les catholiques français; ces communautés religieuses entrèrent aussitôt en
rivalité. Des colons britanniques venus d'Australie et des colons français de la
Nouvelle-Calédonie commencèrent à s'y
établir dès 1854
au détriment des autochtones, ce qui provoqua des révoltes chez ces derniers
suivies de sanglantes répressions de la part des Européens (Français et
Britanniques). Les infections apportées par les navires — choléra, petite
vérole, grippe, pneumonie, fièvre jaune, dysenterie — provoquèrent des épidémies
dans la population, ce qui aurait fait passer leur nombre supposément de moins
d'un million au début
du XIXe siècle à quelque 650 000 en 1870 et, vingt ans plus tard, à 100 000, pour
atteindre 41 000 habitants en 1935; les îles d'Anatom et d'Erromango ne
conservèrent que 5 % de leur population d'origine.
En 1882, John Higginson, un
spéculateur terrien français d'origine irlandaise, fonda la Compagnie
calédonienne des Nouvelles-Hébrides (CCNH). Il acquit plus de 20 % des terres
exploitées par les Britanniques et les chefs locaux. En 1894, rebaptisée Société
française des Nouvelles-Hébrides (SFNH), la Compagnie possédait 55 % des terres
cultivables du Vanuatu.
Tout au cours de cette période, les colons français se
méfièrent des missionnaires presbytériens qui, pour leur part, les faisaient
passer auprès de leurs convertis pour les «représentants du diable». Partagés
entre les deux pouvoirs, les Mélanésiens choisissent l'un ou l'autre et se
prononcent la plupart du temps en choisissant soit le système d'enseignement
francophone soit le système anglophone. Les
rivalités s'accentuèrent entre les Français et les Britanniques. Quant aux
Mélanésiens, partagés entre les deux communautés, ils optèrent pour l'un ou pour
l'autre camp; ils se prononçaient généralement en choisissant un système
d'enseignement francophone (catholique) ou anglophone (protestant).
3.2 Le condominium franco-britannique
Pour éviter les risques d'affrontement entre les deux
communautés, la France et la Grande-Bretagne proclamèrent, en 1878, la
neutralité de l'archipel des Nouvelles-Hébrides, puis instituèrent en 1887 une
convention navale mixte. Ce fut la loi du 30 juillet 1901 qui officialisa le
statut du condominium sur les Nouvelles-Hébrides. D'une part, la Grande-Bretagne
s'appuyait sur le statut de ses colonies voisines (l'Australie, les îles
Fidji et les îles Salomon) pour exercer son autorité, d'autre part, la France
affirmait sa présence en raison de la Nouvelle-Calédonie. Par la Convention de Londres (1906), les deux
puissances décidèrent d'établir un régime de
condominium (appelé «condominium franco-britannique») qui fut précisé
par un protocole en 1914 (officiellement ratifié en 1923), au terme duquel
chaque pays avait autorité sur ses ressortissants, et tous deux, conjointement,
sur la population autochtone. Ces accords établissent une influence égale entre
les deux pouvoirs coloniaux, sans souveraineté exclusive. Dans le Protocole
entre la Grande-Bretagne et la France concernant les Nouvelles Hébrides (Protocol
between Great Britain and France Respecting the New Hebrides) de 1906,
l'article 18 énonçait ainsi les langues officielles:
Article 18
Langues officielles
Les langues officiellement
usitées devant le Tribunal mixte seront la langue française et la langue
anglaise. Les débats seront interprétés et la rédaction des jugements
devra être faite dans les deux langues lorsque le procès aura lieu entre
ressortissants français et britanniques. Il en sera de même lorsqu'il
s'agira, quelles que soient les parties, d'un litige immobilier ou d'une
requête à fin d'immatriculation. Les registres du greffe devront être
tenus dans les deux langues |
À cette époque la population totale était d'environ 65 000
Mélanésiens, 2000 Français et 1000 Britanniques. Français et Britanniques
disposaient de droits égaux, mais les autochtones n'avaient aucun État à eux et
restaient subordonnés aux coloniaux. Chacune des deux grandes communautés
bénéficiait de ses services propres; par exemple, il existait deux polices, deux
services de santé, deux régimes éducatifs, deux systèmes judiciaires, deux
systèmes pénitentiaires, deux monnaies, etc. Au moment de la création du
condominium en 1906, la population totale était d'environ 2000 Français, 1000
Britanniques et 65 000 insulaires.
- Le bichlamar
Ce fut l'époque où le bichlamar connut sa plus grande
vitalité parce qu'il constituait une sorte de «lien fondateur» chez les
différentes communautés. Il était surtout parlé par les autochtones illettrés et
analphabètes, mais il s'est enrichi par des apports linguistiques locaux,
surtout par la langue anglaise. N'oublions pas que tout l'archipel comptait une
bonne centaine de langues, ce qui ne pouvait que causer des difficultés de
communication. C'est purquoi les populations ont eu recours au pidgin-english. À
cette époque, le pidgin-english était parlé et compris dans la plupart des îles
mélanésiennes, que ce soit aux Nouvelles-Hébrides comme aux îles Fidji, en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Salomon ou en Nouvelle-Calédonie. Encore
aujourd'hui, ce pidgin-english est parlé au Vanuatu, en
Papouasie-Nouvelle-Guinée et dans les îles Salomon. Au Vanauatu, il s'est appelé
«bichlamar».
Finalement, il en est résulté deux États dans le pays. Dans l'administration publique, la
Résidence
française ne fonctionnait qu'en français et la
British Residency
qu'en anglais, avec des droits de résidence et de commerce égaux pour les
sujets français et britanniques. Pour l'enseignement, les Mélanésiens du
Vanuatu ont dû «subir» deux systèmes séparés: l'un contrôlé par la
France, l'autre par la Grande-Bretagne. Pour la plupart des habitants de l'archipel,
la connaissance de «l'autre langue» est toujours demeurée sans intérêt. Le
condominium, tout en évitant le partage géographique de l'archipel, laissait
surtout une grande sphère d'autonomie et de liberté à la population mélanésienne
qui put ainsi conserver sa culture propre. Néanmoins, la rivalité franco-britannique
s'est perpétuée
jusqu'à nos jours.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis établirent une
grande base aéronavale sur l’île de Espiritu Santo. Dès lors, l'archipel
devint une base alliée essentielle dans la lutte contre le Japon. Le pays connut
alors une brève période de prospérité.
- Le mouvement
nationaliste autochtone
Au cours des années 1960, un mouvement
nationaliste autochtone — le Nagriamel — revendiqua les terres sur lesquelles voulaient
s'étendre les colons européens déjà installés. Par la suite, les
Nouvelles-Hébrides bénéficièrent d'institutions telles que le Conseil
consultatif en 1957, qui mèneront à l'autonomie en 1975. Une pétition fut
déposée aux Nations unies en 1971 par le leader du mouvement, Jimmy Stevens,
revendiquant l'indépendance du pays. La même année, le pasteur Walter Lini
(1942-1999) fonda le Parti national des Nouvelles-Hébrides, qui devint plus tard
le Vanuaaku Pati, un mouvement essentiellement anglophone. Dès lors, le
désaccord entre les anglophones (majoritaires) et les francophones
(minoritaires) s'accrut, mais une trêve permit l'adoption d'un projet de
Constitution en septembre 1979. En novembre de la même année, les élections
furent remportées par le parti anglophone de Walter Lini, qui devint
premier ministre. Les francophones des îles Espíritu Santo et Tanna tentèrent
alors de faire sécession (sous la conduite de l'anglophone Jimmy Steevens). Un
contingent franco-britannique intervint pour réduire cette tentative de
sécession. Par la suite, l'attitude du gouvernement de Vanuatu resta toujours
méfiante par rapport aux influences françaises; cette méfiance s'amplifia à la
suite des conflits qui eurent lieu en Nouvelle-Calédonie.
3.3 L'indépendance
L'indépendance fut proclamée le 30 juillet
1980, les Nouvelles-Hébrides devenant officiellement la
république de Vanuatu. Le pays fut aussitôt placé sous les feux de
l'actualité internationale en raison de la grave crise politique qui résultait du
désaccord entre la majorité anglophone et la minorité francophone. De nombreux
francophones décidèrent de fuir en Nouvelle-Calédonie où ils pouvaient continuer
de vivre en français. Au moment de l'indépendance, le pays ne comptait que 32
écoles privées en français (pour 126 classes) et 40 écoles publiques (pour 123
classes). Ce nombre d'écoles française était largement inférieurs à celui des
écoles anglaises où il existait une certaine prise en charge des écoles par les
parents d'élèves.
- Les problèmes avec les
francophones
<Aussitôt
après l'indépendance, en septembre 1980, une révolte sécessionniste venant des francophones des
îles Espíritu Santo et Tanna fut mâtée sans
ménagement avec l'aide de l'armée de la Papouasie-Nouvelle-Guinée appuyée par la
logistique de l'Australie. Ce malheureux épisode de l'histoire du pays fit
apparaître les francophones comme des «traîtres» à l'égard de leur pays, tandis
que l'image de la France fut grandement ternie parce qu'elle avait promis des
armes. Par la suite, les
relations entre le Vanuatu et la France demeurèrent très tendues. Le nouvel
État, voulant marquer son indépendance, a même chassé deux ambassadeurs
français. La grande majorité des ressortissants français quittèrent le Vanuatu,
reçurent des compensations de la part du gouvernement français pour la perte de
leurs terres, qui revinrent toutes aux Mélanésiens. Par la suite, toute la vie
politique de Vanuatu resta marquée par l'opposition entre anglophones et
francophones. La Vanuatu a adhéré à la Francophonie en décembre 1979 tout en
demeurant membre du Commonwealth.
L'anglophone Georges Ati Sokomanu
fut élu président de la République. En 1983, Vanuaaku Party (en anglais) remporta
les élections. En 1987, Walter Lini, le chef du Vanuaaku Party, remporta les élections.
Étant donné que les fonctionnaires locaux étaient majoritairement de langue
anglaise, la plupart des documents ne furent rédigés qu'en anglais. Même le mot
«Vanuatu» devint un objet de controverse, car les francophones souhaitèrent en
vain l'orthographe «Vanouatou». Tout observateur étranger ne peut manquer de
relever l’orthographe du mot Vanuatu. Les francophones ont demandé
l'orthographe Vanouatou en respectant la prononciation, à l’instar
d’autres graphies telles que Tombouctou, Kaboul ou Zoulou.
Mais c'est la graphie Vanuatu qui s'est imposé et non une version bilingue
Vanuatu/Vanouatou.
En janvier 1989,
l'ancien déchu et emprisonné; l'anglophone Karlomnana Timakata fut élu à son
poste. En septembre 1991, Walter Lini dut se retirer pour être remplacé par un autre
anglophone, mais en décembre le parti francophone remporta les élections et le
francophone Maxime Carlot Korman devint premier ministre. L’arrivée de
francophones au pouvoir eut pour effet d’instaurer un certain équilibre entre
les deux communautés avec l’aide de la France et de ses deux possessions
d’outre-mer en Océanie, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. En 1994, le
francophone Jean-Marc Leyé fut élu président de la République. La victoire de l’UMP
(Union des partis modérés) aux élections de 1995 vit pour la première fois
l’arrivée à la tête du gouvernement du francophone Serge Vohor. En mars 1999, John Bani,
un anglophone, fut élu à la tête de l'État. Depuis novembre 1999, un gouvernement de
coalition de cinq partis fut mis en place, mais ce gouvernement semblait
fragile, les partis qui le composaient ayant des intérêts divergents, alors que le premier
ministre n'était pas le chef du parti le plus important de la coalition.
- La mainmise des
anglophones
Bref, durant une longue décennie, la
classe politique a été anglophone avec le résultat que les francophones ont été
relégués à l’arrière-plan. Ainsi, le recensement de 2003 révélait que le nombre
d'enfants inscrits dans les écoles de langue française et dans celles des écoles
de langue anglaise s'est considérablement modifié. Alors que les francophones et
les anglophones se partageaient les écoles dans environ 50 %, l'égalité est
disparue au profit des anglophones qui comptent 70 % des élèves, contre 28 %
pour les écoles françaises. Dans ces conditions, la vie politique reste encore marquée par
l'opposition entre les deux «communautés» linguistiques. Dans le but de dénouer l'impasse, le
gouvernement a présenté en 2005 un projet de loi créant le
Conseil national des langues de Vanuatu (''Vanuatu National Language Council'').
La même année, le gouvernement présentait aussi un projet de
Politique
linguistique nationale.
À partir des élections d'octobre 2012, le
Parlement fut victime d'une très grande fragmentation de la trentaine de partis
en lice, seize obtinrent des représentants dont quatre députés indépendants. La
vie politique de l'archipel devint dès lors sujette à une grande instabilité
politique. En janvier 2016, à la suite d'élections anticipées, 17 formations
politiques et 8 députés indépendants se partagèrent les 52 sièges. Onze partis
se sont entendus pour former le gouvernement.
Quoi qu'il en soit, la compétition entre
francophones et anglophones demeure un fait majeur dans la vie politique du
Vanuatu, mais avec un léger avantage pour les anglophones. La francophonie au
Vanuatu semble relativement boiteuse en raison du manque de supports logistiques
tels que les journaux exclusivement de langue française afin qu'ils intervenir
en faveur de cette communauté. Pour le moment, la situation paraît bloquée
puisque rien ne change, malgré les appels à l'aide de la part des francophones
auprès de la France. Bref, le manque d’implication de l’ambassade de France dans
les projets concernant la francophonie vanuataise porte les francophones du pays
à conclure que la Francophonie reste la propriété de la France.
4 La politique linguistique
Depuis son accession à l’indépendance, on ne peut pas dire que le Vanuatu
a établi une réelle politique linguistique en faveur des langues locales.
Sous prétexte que le pays est relativement pauvre, les responsables politiques
ont jusqu’ici mis l’accent sur les priorités économiques, les questions
linguistiques étant laissées pour compte. Le Vanuatu n'a même jamais adopté
de véritable législation en matière linguistique. Cependant, il existe quelques
textes juridiques comptant des dispositions linguistiques, que ce soit dans la
Constitution ou dans des lois ordinaires portant sur le mariage, l'éducation,
les permis de conduire, les commissions d'enquête, les services publics, le code
criminel, l'interprétation des lois, etc.
Selon l'article 3 de la
Constitution, le Vanuatu est un État officiellement
trilingue:
Article 3
Langue nationale et langues officielles
1) La langue véhiculaire nationale de la
République est le bichlamar. Les langues officielles sont l'anglais, le
bichlamar, le français. Les langues principales d'éducation sont l'anglais
et le français.
2) La République protège les différentes
langues locales qui font partie de l'héritage national, et peut déclarer
l'une d'elles langue nationale. |
Dans son projet de
Politique
linguistique nationale, présenté pour la première fois au public
à la IIe Conférence sur la langue nationale
tenue au campus Emalus de l'Université du Pacifique-Sud et financé par l'UNESCO,
le gouvernement innove en explicitant par écrit le trilinguisme du pays. Cette
politique est fondée sur des principes
promulgués dans la Constitution nationale, mais également promouvoir le
multilinguisme au rang d’actif national, promouvoir l’égalité des chances
d’accès à toute langue officielle et promouvoir l’accès de tout citoyen aux
chances d’apprendre les langues. De plus, les
langues locales ou indigènes restent les langues maternelles de nombreux
enfants; c'est pourquoi elles doivent être promues pour être parlées par des
générations à venir. Le Vanuatu a l’obligation d’utiliser, d’écrire et de
promouvoir et protéger les langues indigènes. Enfin, le projet de politique
encourage l’apprentissage
des langues «immigrantes», les langues autres que les deux langues
principales de l’éducation ou le bichlamar, ou les langues indigènes.
4.1 Les langues de la
législature
En principe, les trois langues officielles
sont admises au Parlement et, dans l'interprétation d'un texte législatif,
toutes ses versions dans les langues officielles du Vanuatu font également foi
(art.17 de la
Loi sur l'interprétation):
Article 17
Version authentique
(1) Dans l'interprétation d'un texte législatif, toutes ses versions
dans les langues officielles du Vanuatu font également foi.
(2) Lorsqu'il existe une différence entre deux ou plusieurs
versions d'un texte législatif, la préférence sera accordée dans
l'interprétation du texte à la version qui, selon le sens le plus fidèle,
assure le mieux la réalisation des objectifs selon l'intention et le sens
du texte.
(3) Dans le présent
article:
«texte législatif» désigne toute disposition dans une loi du Parlement ou
un arrêté, un règlement, une ordonnance, un avis, une proclamation ou un
autre instrument juridique adopté ou émis sous l'autorité d'une loi du
Parlement;
«version» désigne une version publiée par ou sous l'autorité du
gouvernement ou de toute autorité publique du Vanuatu. |
Comme l'indique le paragraphe 2, s'il existe une
différence entre deux ou plusieurs versions d'un texte législatif, la préférence
sera accordée dans l'interprétation du texte à la version qui, selon le sens le
plus fidèle, assure le mieux la réalisation des objectifs selon l'intention et
le sens du texte.
En 2003, le Parlement a adopté la
Loi relative à la codification des textes français et anglais des lois
de Vanuatu. En vertu de cette
loi, les versions anglaise et française des lois doivent être codifiées et
officielles.
Dans les faits, l'anglais correspond à la «langue officielle écrite»,
c'est-à-dire celle des lois, des décrets, des règlements, des notes de
service, des formulaires administratifs, etc. Autrement dit, tous les documents
officiels (lois, règlements, formulaires, etc.) sont d'abord rédigés en anglais,
puis traduits plus ou moins rapidement en français. On assiste ainsi à une
véritable triglossie: les lois
sont discutées en bichlamar, promulguées en anglais et traduites en français.
De
plus, les lois ne sont pas toutes
traduites en français et les services de traduction simultanée prévus n'ont
jamais été mis en œuvre, faute d'argent. L'anglais est aussi prépondérant
au plan de l'affichage et conserve l'exclusivité dans les médias tant écrits
qu'électroniques. Bref, bien que placé sur un pied d'égalité avec l'anglais dans la Constitution,
le français n'occupe qu'une place très restreinte: celle de «langue
officielle traduite».
4.2 Les langues de la
justice
Dans le domaine de la justice, l'anglais,
le français et le bichlamar sont les trois langues officielles. Cependant, ces
langues ne sont pas équivalentes dans la pratique. Le
Code de procédure criminelle
(1981) donne une certaine idée du statut réel des langues. Tout accusé ou
témoin a le droit d'obtenir les services d'un interprète s'il ne comprend pas la
langue utilisée au tribunal. C'est au juge de décider de recourir aux services
d'un interprète assermenté, dans la mesure où il ne connaît pas suffisamment la
langue d'un accusé ou d'un témoin (par. 4):
Article 121
Interprétation d'un témoignage de la part d'un accusé ou de son avocat
(1) Chaque fois qu'un témoignage est donné dans une langue
qui n'est pas comprise par l'accusé et qu'il est physiquement présent, il
doit recevoir une traduction du tribunal dans une langue qu'il comprend.
(2) S'il apparaît de la part de l'avocat que le témoignage est
rendu dans une autre langue que l'anglais ou le français et qu'il n'est
pas compris par celui-ci, il doit recevoir une traduction en anglais ou en
français selon le cas.
(3) Lorsque les documents sont déposés comme preuve formelle,
il relève de la discrétion du président du tribunal de les faire traduire
si cela lui paraît nécessaire.
(4) Lorsque le président du tribunal est convaincu qu'il connaît
suffisamment l'anglais, le français ou le bichlamar, il peut, sans avoir
recours à un interprète assermenté, entreprendre une traduction prévue en
vertu du présent article ou qui peut être nécessaire à un procès à partir
d'une ou d'autres langues mentionnées qu'il connaît.
|
Il y a aussi la
Loi sur les tribunaux insulaires de
1983 dans laquelle il est précisé que le bichlamar est la langue normale des
tribunaux insulaires. Si un accusé ou un témoin ignore cette langue, la cour
peut ordonner une traduction dans une langue comprise par l'accusé ou le témoin:
Loi sur les tribunaux
insulaires de 1983 [chap. 167]
Ordonnance 4
Dispositions diverses
Article 4
Langue et traduction
(1) La langue de chacun des tribunaux est le bichlamar et, si dans
une cause ou une affaire la cour considère qu'une partie ou un témoin
produit une déposition alors qu'il est incapable de comprendre
suffisamment le bichlamar, la cour désigne une personne appropriée et
adéquate pour traduire ses propos.
(2) Le greffier peut s'il connaît la langue de la partie ou du
témoin traduire la procédure si c'est nécessaire.
(3) Lorsque le greffier ou un employé agit comme interprète tel
qu'il est susmentionné, aucune rémunération ne doit être payée pour le
respect de la traduction, mais si quelqu'un d'autre qu'un greffier ou un
employé sert d'interprète, cette personne aura droit au paiement
d'honoraires prescrits pour la rémunération de ses services.
(4) Les honoraires prescrits pour la traduction doivent être
assumés
en premier lieu par le demandeur.
(5) Avant la traduction à toute audience de la cour, l'interprète
prêtera serment ou prononcera la formule suivante:
Je jure par Dieu
tout-puissant (ou sincèrement et solennellement, je déclare et
j'affirme) que je ferai de mon mieux pour interpréter et expliquer
vraiment à la cour et au témoin les propos tels que je devrai
interpréter et expliquer. Que Dieu me vienne en aide.
Article 16
Témoignage rapporté en présence de l'accusé et devant être traduit si
nécessaire
(1) Sauf dispositions contraires expressément prévues, tout le
témoignage rapporté au cours d'un procès doit l'être en présence de
l'accusé.
(2) La langue de la cour est le bichlamar et, chaque fois qu'un
témoignage est apporté dans une langue que l'accusé ne comprend pas,
celui-ci
doit recevoir une traduction du tribunal dans une langue qu'il comprend.
|
En fait, l'anglais règne en maître au plan des
communications écrites, mais les procès se déroulent aussi souvent en
français qu'en anglais ou en bichlamar, ce qui n'empêche pas les juges de
toujours prononcer leurs sentences uniquement en anglais.
4.3 Les langues des
services gouvernementaux
Dans les faits, la place du bichlamar équivaut au statut de «langue
officielle parlée», que ce soit au conseil des ministres,
dans les ministères, dans l'administration, sur la place publique, etc. Afin
d'être compris des masses «anglophones» et «francophones», les ministres
font leur discours en bichlamar. Néanmoins, privé d'une orthographe
normalisée et codifiée, et exclu de l'école, le bichlamar joue un rôle
subalterne et reste confiné à la communication orale.
Dans le domaine des services
gouvernementaux, la
Constitution prévoit (art.
64, par. 1) que ceux-ci doivent être assurés dans n'importe laquelle des
langues officielles:
Article 64
Droit du
citoyen aux services dans sa langue
1)
Tout citoyen de Vanuatu peut obtenir, dans celle des langues officielles
qu'il pratique, les services qu'il est en droit d'attendre de l'administration
de la République.
[...] |
Les services sont effectivement partout assurés en anglais et en bichlamar,
puis éventuellement en français dans les zones où résident les «francophones».
Dans l'ensemble de l'administration publique, les langues de travail sont
l’anglais écrit et le bichlamar à l'oral, parce que la plupart des
fonctionnaires sont anglophones. En réalité, le
français demeure peu présente entre les fonctionnaires. Seuls les ministères
de l'Éducation et des Finances garantissent des services en français.
L'un des
rares textes législatifs à traiter de la langue dans l'Administration est la
Loi sur les services publics
(1981). L'article 18 énonce que toute déposition devant le Conseil
disciplinaire de service public peut être présentée en français, en anglais et
en bichlamar.
Article 18
Modalités pour consigner un témoignage devant le Conseil
(1) Dans toute audition devant le Conseil, la déposition des
témoins est enregistrée de la façon suivante:
(a) La déposition de chaque témoin est consignée
par écrit en anglais, en
français ou en bichlamar par le président ou en sa présence, et entendue
sous sa direction et supervision personnelle et signée par le président
pour faire partie
du dossier; |
L'article 6 de la
Loi sur les commissions d'enquête
(1974) prévoit que les délibérations de la
Commission sont effectuées en bichlamar, en anglais ou en français, avec au
besoin interprètes qualifiés, et que le compte rendu des délibérations et le
rapport des commissaires doivent être rédigés en bichlamar, en anglais et en
français:
Article 6
Les règles de procédure
(1) Les Commissaires peuvent adopter des règlements, compatibles avec
les conditions de leur commission, pour la conduite de la procédure devant
eux, les dates et lieux de leurs réunions et leur ajournement, comme ils
l'estiment approprié.
(2) La délibérations de la Commission
sont effectuées en bichlamar, en anglais ou en français, tel qu'il en sera
décidé le ou les président, et là où ce sera réalisable des interprètes
dûment qualifiés dans chaque langue concernée seront employés. Le compte
rendu des délibérations et le rapport des commissaires doivent être rédigés en
bichlamar, en anglais et en français. |
La
Loi sur le mariage
(1971) précise qu'un avis écrit doit être affiché
de façon visible dans un endroit à l'intérieur ou à l'extérieur des églises dans
l'une des langues officielles et, si nécessaire, dans une langue comprise par
les parties. Enfin, dans les Lois consolidées (chap. 9, art. 3), il est prévu
que, pour obtenir un permis de conduire, il faut «une connaissance ordinaire de l'anglais, du français ou du
bichlamar» («a knowledge of simple English, French or Bislama»).
De façon générale, le français est une
«langue de traduction» dans les rouages administratifs, et la version française
des textes peut arriver avec beaucoup de retard.
L'affichage au Vanuatu est massivement en
anglais, que ce soit les institutions gouvernementales, la
signalisation routière, la publicité, les raisons sociales des
commerces, les écoles, les restaurants, les hôtels, la police, etc.
C'est un «pays anglais», bien qu'on y trouve aussi des affiches en
bichlamar, surtout dans la publicité et certains panneaux routiers.
En ce qui a trait à l'emploi du français, c'est rarissime et il
reste cantonné dans les institutions comme l'Alliance française ou
les entreprises françaises.
Le bilinguisme est peu fréquent, mais il est
possible dans les affiches du gouvernement. Il y a plus d'affiches
bilingues bichlamar-anglais que d'affiches en anglais et en
français. Le trilinguisme bichlamar-anglais-français est presque
inexistant.
4.4 Les langues des
médias
Dans les médias,
la situation présente un ensemble assez disparate. S'il existe des journaux
quotidiens privés uniquement en anglais (Vanuatu Daily Post) ou en
bichlamar (Tam Tam), la presse unilingue francophone est presque inexistante.
L'Hebdo du
Vanuatu est un hebdomadaire; lancé le 11 décembre 2008, il est le premier
journal du Vanuatu publié exclusivement en langue française. On compte quelques
publications en français sur une base hebdomadaire et mensuelle, dont la durée de vie des titres
est très variable.
Au Vanuatu, la presse est souvent trilingue (anglais, français et bichlamar): le
Vanuatu Weekly et Port Vila Presse, mais il faut comprendre que
les articles en français et en bichlamar sont en réalité des traductions de
l'anglais.
Le Vanuatu ne possède qu'une
seule corporation nationale qui offre les services de radio et de télévision: la
Société de Radiodifusion et de Télévision du Vanuatu (SRTV). Elle opère, en
trois langues, une station de télévision (Television Blong Vanuatu, TBV) et
trois stations de radio. Toutefois, plus de 70 % des émissions radiophoniques de
la SRTV sont en bichlamar. On peut aussi capter les ondes de BBC, ABC Radio,
Radio-France et Radio-Nouméa (Nouvelle-Calédonie) sur les ondes de radio FM.
Par ailleurs, la télévision n'occupe pas une grande place au Vanuatu. La
minorité des Vanuatais (Ni-Vanuatu) qui possèdent un appareil écoute surtout les
nouvelles quotidiennes offertes en français, anglais et bichlamar. Depuis
quelques années, le bouquet français Canal+ transmis par satellite est
accessible sur abonnement au Vanuatu.
5 Les langues de l'enseignement
L'anglais et le français sont les deux seules langues d'enseignement au
Vanuatu, bien que des cours d'alphabétisation dans les langues mélanésiennes soient
prévus au début du primaire. Le français a gardé ses positions privilégiées dans le système
scolaire, du primaire à la fin du secondaire. En 2015, les écoles anglophones
comptaient 68% des enfants d'âge scolaire contre 32% pour les écoles
francophones. La langue maternelle des enfants du primaire est le bichlamar pour
15% des écoliers (56 écoles) ou une langue mélanésienne pour 85% (315 écoles)
des autres. Cependant, les langues d'enseignement demeurent l'anglais et le
français.
Selon l'article 6 de la
Loi sur l’éducation de 2014,
les langues principales de l'éducation sont l’anglais et le français, et tous
les élèves, pendant leur éducation primaire, doivent recevoir leur instruction
ou en français ou en anglais:
Article 6
Politique linguistique
1) Selon le paragraphe 3.1 de la Constitution, les principales
langues d’instruction sont l’anglais et le français.
2) En primaire, un élève reçoit l’instruction en français ou en
anglais.
3) Tout élève entrant en secondaire doit poursuivre son
instruction dans sa première langue d’instruction et commencer à
étudier l’autre langue d’instruction.
4) Toutefois, les dispositions du paragraphe 3) n’empêchent pas
un élève qui a suivi une éducation primaire dans une langue de
poursuivre ses études secondaires dans l’autre langue d’instruction.
5) Sur avis du
directeur général, le ministre peut, par arrêté,
décider qu’une ou des matières spécifiques soient enseignées dans
une ou des écoles précises en langue vernaculaire locale ou en
bichlamar.
|
Le paragraphe 5 de cet article de la
Loi sur l’éducation énonce que
des matières «spécifiées» (non reliées à la langue) peuvent être enseignées dans
une langue vernaculaire ou en bichlamar.
Article 5
Écoles publiques et écoles privées
6) Aux fins du présent article :
- école offrant l’instruction en une seule langue désigne une école
anglophone ou une école francophone établie et fonctionnant au même
lieu ou en un lieu différent mais au sein de sa propre organisation,
doté d’un Conseil scolaire et d’une association scolaire
communautaire ;
- école offrant l’instruction en deux langues désigne une école
anglo-francophone établie et fonctionnant en un même lieu avec une
seule administration, un seul Conseil scolaire et une seule
association scolaire communautaire, offrant l’éducation primaire ou
l’éducation secondaire.
|
Il y a eu des classes-pilotes qui ont
tenté l'expérience au premier cycle du primaire. Mais l'expérience ne s'est pas
étendue très loin en raison des problèmes de disponibilité du personnel
enseignant et des manuels. Il ne semble pas prévu de généraliser l’enseignement
dabs les nombreuses langues vernaculaires. De plus, l'article 8 de la
Loi sur l’éducation précise qu'aucun enfant ne peut se voir refuser son admission
dans une école pour des raisons de sexe, de religion, de nationalité, de race,
de langue ou de handicap physique.
- L'éducation bilingue
Durant les premières années de l'indépendance, le secteur
de l'éducation a été largement dominé par les élites anglophones. Toutefois, la
nette amélioration des relations avec la France a fait que la langue française
n'est plus ouvertement contestée. Non seulement, le gouvernement a nommé un
ministre responsable de l'éducation francophone, mais il a adopté en 2001 la
Loi sur l’éducation (revue en 2014) qui confirme le caractère bilingue de l'éducation en
scindant le système scolaire en deux voies parallèles, l'un sous la direction
administrative d'un ministre francophone, l'autre sous celle d'un ministre
anglophone. Le choix de la «filière francophone» ou de la «filière anglophone»
appartient aux familles. Il est fréquent qu'une famille ayant plusieurs enfants
les place dans des différentes filières.
Pour les francophones, la promotion du bilinguisme
constitue un élément essentiel pour inverser le processus en cours de
marginalisation du français. L'enseignement de la seconde langue, conformément
au paragraphe 3, intervient la première année du secondaire (collège); le
français ou l'anglais devient alors langue seconde ou langue étrangère. Selon le
paragraphe 5, le ministre peut, dès le primaire, introduire le bichlamar (la
langue vernaculaire) en cas de difficultés en plus du français ou de l'anglais.
Par ailleurs, les Vanuatais semblent avoir
peu d'estime pour leur système d'éducation qu'ils croient être «de qualité
moyenne». Cette situation proviendrait, d'une part, du bas niveau des
enseignants, d'autre part, de la pénurie de manuels et de matériels
pédagogiques, sans oublier l'état souvent délabré des bâtiments et de leur peu
d'entretien.
- Le secondaire
Au Vanuatu, l'enseignement secondaire, d'une
durée de deux à trois années, ne touche qu'un nombre limité de jeunes, soit
environ moins de 500 élèves. De plus, l'entrée au secondaire est contrôlé par la
réussite à un examen qui se présente sous forme d'un concours dont les places
sont comptées.
En ce qui a trait aux études supérieures,
les étudiants anglophones ont accès à l'Université
de Nouvelle-Zélande, alors que les francophones se dirigent vers l'Université du
Pacifique-Sud en Nouvelle-Calédonie. Des bourses sont accordées, la plupart
du temps par les ambassades d'Australie et de France, les principaux bailleurs
de fonds du Vanuatu. Autrement dit, l'enseignement supérieur n'existe pas
au
Vanuatu.
Pour l'instant, le français et l'anglais, seules langues d'enseignement,
servent de critères à l'appartenance linguistique et au bilinguisme. La
population vanuataise se divise donc en «francophones» et en «anglophones»,
selon que les individus ont été inscrits à l'école française ou à l'école
anglaise. Au Vanuatu, est «anglophone» toute personne ayant été à l'école
anglaise ou qui est membre d'une église protestante, ou encore, sympathisante
du Vanuaaku Pati, le parti gouvernemental culturellement anglophile. Le
qualificatif «francophone» s'applique aux individus ayant fréquenté l'école
française, aux catholiques et aux opposants du Vanuaaku Pati.
- Les programmes unifiés
d'enseignement
Le gouvernement du Vanuatu a tenté dépasser
ce clivage des langues dans l'enseignement en proposant un enseignement unique
dans le but de consolider l'unité de la nation vanuataise. Au lieu d'avoir un
«enseignement anglophone» et un «enseignement francophone», le Ministère a
introduit en 1994 la notion de «programmes unifiés d'enseignement». Cette notion
apparaît dans les documents intitulés en anglais The Unified Curriculum
Introduction and Overview et Le programme unifié de l’école primaire et
vue d'ensemble. Ces documents présentent des objectifs, des principes
d'enseignement et des compétences générales du programme scolaire et des
matières individuelles, des objectifs généraux et spécifiques, un tableau de
séquences cohérentes de la première année à la sixième pour les différentes
matières: les langues, les mathématiques, l'éveil (science de l'environnement et
sciences sociales, santé, nutrition, agriculture et instruction religieuse), le
théâtre, l'art et l'éducation physique. Les programmes doivent tenir compte en
même temps des particularités culturelles propres à chaque communauté
linguistique et des éléments communs aux deux communautés
Mais l’école vanuataise actuelle reflète encore, selon un rapport gouvernemental de septembre 1999,
«l'éternel conflit qui subsiste politiquement entre les francophones et
les anglophones et ses retombées sur l'Éducation nationale». En effet,
il arrive parfois que des élèves d’une école doivent, au gré des
changements de gouvernements, passer successivement, par exemple, du français à
l'anglais puis de nouveau au français. Pour résoudre de tels conflits,
certains tentent de proposer la création d'écoles bilingues qui pourraient
servir ensuite de projet pilote pour le reste du pays.
Encore aujourd'hui, dans les écoles
anglophones, l'anglais est enseigné comme matière (langue seconde) et le
français, comme langue étrangère; dans les écoles francophones, le français est
enseigné comme matière (langue seconde) et l'anglais comme langue étrangère. Des
résolutions ont déjà été adoptées pour employer les langues vernaculaires
(mélanésiennes) comme moyen d'enseignement dans les classes 1 à 3, puis par le
bichlamar dans les classes 4 à 6. Dès lors, l'anglais et le français seraient
enseignés comme matières à la fin de l’école primaire et les écoles secondaires
utiliseraient l’une de ces deux langues comme langue moyen d'instruction.
Toutefois, ces résolutions n'ont jamais été mises en place.
6 L'énoncé de la politique de bilinguisme
Au Vanuatu, le bilinguisme institutionnel demeure
jusqu'à présent presque symbolique pour un pays bilingue: le
français ne joue pas le rôle d'une véritable langue officielle, rôle tenu
actuellement par l'anglais à l'écrit et par le bichlamar à l'oral. Selon
J.-M.
Charpentier, tout au plus, le français partage avec l'anglais le rôle d'une
langue de relations internationales :
C'est dans cette optique que les dirigeants le maintiennent comme langue
enseignée, espérant ainsi profiter à la fois des aides accordées aux pays
membres du Commonwealth et de celles distribuées par les organismes
francophones. Au Vanuatu, le maintien ou le renoncement à la langue
française est un choix d'ordre politique et culturel, le français n'étant
pas une nécessité absolue pour l'État en question.
|
Il suffit d'observer la participation soutenue du Vanuatu aux instances
internationales francophones pour constater que le but des dirigeants politiques
est manifestement de solliciter l'aide financière, principalement de la France
et du Canada. La politique du bilinguisme institutionnel du Vanuatu ne vise pas
à protéger les «francophones», mais à tirer profit de leur présence afin
d'obtenir des ressources financières et culturelles des autres pays
francophones, cela dans l'espoir d'un meilleur développement économique et
technologique. Ce n'est pas pour rien que la république de Vanuatu
est à la fois membre du Commonwealth et de la Francophonie.
6.1 La politique
linguistique de 2005
Néanmoins, grâce à la coopération
internationale, le gouvernement a présenté en 2005 un projet de
Politique
linguistique nationale. Cette politique vise un objectif de plurilinguisme
très ambitieux. En effet, cette politique est destinée à promouvoir le
bichlamar comme langue nationale; le bichlamar, l’anglais et le français comme
langues officielles; l’anglais et le français comme principales langues
d’enseignement; l'usage de toutes les langues et tous les dialectes indigènes de
Vanuatu; l'apprentissage des langues «immigrantes» (autres que le bichlamar,
l’anglais et le français et les langues indigènes) qui sont parlées au Vanuatu,
comme le mandarin, le japonais, etc. Voilà beaucoup d'objectifs pour un pays de
300 000 habitants, comptant une centaine de langues, avec des moyens financiers
limités.
En 2010, le gouvernement décidait de mettre
en œuvre
des solutions d’unification du système d'éducation au secondaire afin d’offrir aux élèves une
école multilingue. Les programmes doivent tenir compte à la fois des
particularités culturelles spécifiques à chaque grande communauté linguistique
et des éléments communs à ces deux communautés. L'anglais et le français
resteraient les principales langues d’enseignement à tous, mais les langues
vernaculaires seraient aussi valorisées, car elles sont «porteuses de la
culture, des valeurs et des traditions ancestrales». Bref, le Vanuatu n'a pas réussi en trente ans d'indépendance à rendre
ses trois langues officielles à égalité de statut. De là à promouvoir à la fois
les autres langues vernaculaires et les langues immigrantes, le projet
n'apparaît pas très réaliste, sauf s'il s'agit de simples déclarations de
principe à l'égard de ces mêmes langues. L'expérience des autres pays démontre que vouloir favoriser un
plurilinguisme trop ambitieux
revient en définitive à noyer le poisson dans l'eau et à favoriser la langue la
plus forte, en l'occurrence l'anglais. Une telle attitude équivaut à ne pas
faire de choix.
Il semble évident qu’il y avait un grand
désir de réforme en éducation, mais le système a très peu changé depuis les
politiques linguistiques de la période coloniale. En particulier, il semble que
les débats entre anglophones et francophones détournent l'attention des autres
efforts pour inclure les langues vernaculaires et le bichlamar dans
l'enseignement. Il apparaît clair qu’il existe un certain nombre d'objectifs et
de programmes qui devaient être mieux compris dans un enseignement de la langue
maternelle. Dans les faits, le bichlamar et les langues vernaculaires
mélanésiennes ne sont pas considérés comme nécessaires pour faire ses études,
car l'anglais et français sont les seules langues jugées utiles dans l'économie,
alors que toutes les autres langues sont considérées comme limitées.
6.2 La politique
linguistique nationale de 2012
La Politique
linguistique nationale de 2012 porte exclusivement sur l'éducation,
notamment sur l'enseignement bilingue. L'objectif du ministère de l'Éducation
est que tous les élèves à la fin du secondaire doivent apprendre le français et
l’anglais. Lorsque la langue d'enseignement de l'école est le français, les
élèves apprendront l'anglais comme langue étrangère, et si la langue
d'enseignement de l'école est l'anglais, les élèves apprendront le français
comme langue étrangère.
2.0 POLITIQUE
2.1 Langue d’instruction
Les écoles et les enseignants doivent:
a) enseigner soit en français soit en anglais dans toutes les écoles. Toutefois, dans les deux premières années d'école, le
bichlamar ou une langue vernaculaire locale peut être utilisé, alors que soit le français ou soit l'anglais est introduit lors du second semestre de l'année 3. À la fin de l'année 3, la langue d'enseignement devrait être soit le français soit l’anglais, cependant, les enseignants continueront à utiliser, aussi longtemps que nécessaire, les langues vernaculaires locales agréées pour aider les enfants alors qu’ils opèrent la transition vers le français ou vers l’anglais.
b) avec l'approbation du ministre, et sur recommandation du directeur général, enseigner certaines matières en bichlamar ou une langue vernaculaire locale. Les rédacteurs des programmes recommanderont au directeur général les sujets à enseigner dans la langue vernaculaire locale ou le bichlamar.
c) continuer à utiliser le bichlamar ou une langue vernaculaire pour aider les enfants à comprendre des concepts ou à acquérir des compétences.
d) décider quelle langue, soit le français ou soit l’anglais, sera utilisée comme langue d'enseignement après avoir consulté et reçu l’approbation de leurs communautés et en consultation avec les agents provinciaux et du MdE qui examineront les exigences en matière de fonds et la disponibilité des ressources nécessaires.
e) utiliser la langue convenue d'enseignement pour enseigner toutes les matières du programme d'études approuvé à l'exception de celles à enseigner en
bichlamar selon l’approbation du ministre de l'Éducation.
|
C'est un système relativement complexe, car toutes les
écoles doivent permettre d'utiliser le bichlamar ou une langue vernaculaire
dans les trois premières années du primaire. Durant tout le cursus scolaire,
les écoliers pourront apprendre jusqu'à quatre langues. La politique
linguistique nationale de 2012 confirme que la langue d'enseignement doit
être d'abord la langue vernaculaire (mélanésienne) et le bichlamar, puis
l'anglais et le français comme langue d'instruction progressive dans toute
l'instruction formelle, afin d'encourager l'enseignement bilingue.
Pour plus de clarté, le nombre de langues parlées par les élèves a reçu une étiquette numérique:
L1 : la langue dominante que les enfants utilisent à la maison et dans la communauté où vivent des enfants et leurs parents;
cette langue est habituellement leur langue maternelle qui, au Vanuatu, pourrait être une langue vernaculaire, le bichlamar, le français ou l’anglais.
L2 : l'une des langues principales de l'éducation que les enfants apprendront et qui est soit le français
soit l'anglais, selon ce qui a été accepté comme la langue d'enseignement dans
l'école (LDE).
L3 : la principale langue d'enseignement non utilisée comme LDE;
cette langue sera enseignée comme langue étrangère à la 4e année.
L4 : les autres langues étrangères étudiées par les élèves spécialisés en études de langue à un niveau supérieur de la scolarité.
|
Évidemment, l'emploi du bichlamar comme
langue vernaculaire dans les écoles est en train de devenir la cause d'un
débat houleux dans le domaine de l'éducation. D'abord, c'est la langue
maternelle d'un très petit nombre de personnes au Vanuatu. Ensuite, ce n'est
pas une langue valorisée au point de vue social, alors que la population
semble plutôt indifférente dans son rôle à l'école. Par contre, les
fonctionnaires au sein du gouvernement continuent de défendre son
enseignement à l'école.
Par ailleurs, La France apporte aussi son
financement pour l'un des bâtiments de la future université nationale. Il
s'agit d'un moyen pour la France de promouvoir la Francophonie dans cette
partie du monde très courtisée par les influences étrangères. La future
université bilingue du Vanuatu doit ouvrir ses portes en 2020, sur les
locaux de l'actuelle Agence universitaire de la Francophonie.
Le Vanuatu pratique une politique de
bilinguisme institutionnel un peu bancal. Dans la pratique, c'est
l'équivalent du statut juridique différencié ou infériorisant qui prévaut, et
ce, aux dépens du français et à l'avantage de l'anglais.
Cette forme de bilinguisme aboutit nécessairement à une forme de discrimination
linguistique. Le bilinguisme vanuatais découle des vicissitudes de l'histoire.
Les rivalités commencées lors de la colonisation entre Français et Britanniques
se sont perpétuées et n'ont jamais cessé. Depuis l'indépendance, les
«francophones» ont perdu beaucoup de pouvoir parce qu'ils sont minoritaires et
également parce qu'ils n'ont à peu près jamais contrôlé le pouvoir politique.
Depuis 1991, la classe politique dite francophone s’affirme
davantage, mais les rivalités demeurent. Forcément, le bilinguisme
institutionnel en souffre. Mais des espoirs d'amélioration subsistent, notamment
grâce à la coopération internationale, notamment de la part de la France. Bien
qu'elle soit limitée à l'éducation, la
Politique
linguistique nationale déposée en 2012 peut rétablir un équilibre entre
l'anglais et le français. Pour les domaines extérieurs à l'éducation, par
exemple la fonction publique, les services administratifs, l'affichage, etc., le
déséquilibre persiste toujours au sein d'une population dont aucune des trois
langues officielles n'est parlée comme première langue par une partie significative de la population.
Dernière mise à jour:
31 déc. 2023
Bibliographie
- CHARPENTIER, Jean-Michel. «La francophonie en Mélanésie,
extension et avenir», dans Anthropologie et sociétés, vol. 6, no
2, Québec, Département d'anthropologie de l'Université Laval, 1982, p. 107-126.
- DÉLÉGATION DU GROUPE SÉNATORIAL FRANCE-VANUATU
- ÎLES DU PACIFIQUE.
Le
Vanuatu: survivance de la francophonie dans un archipel du Pacifique-Sud,
Paris, Sénat, Compte rendu de la mission effectuée au Vanuatu et en
Nouvelle-Calédonie, 9 au 19 septembre 2000.
-
GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et
constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international
de la langue française, 1993, 131 p.
JARRAUD-LEBLANC. Cendrine. «Le Vanuatu entre anglais, français et
bislama» dans Hermès, La Revue, 2013/1, n° 65, p. 97-102.
LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur,
coll. "Synthèse", 1992, 708 p.
MOYSE-FAURIE, Claire. «Langues
minoritaires et politiques linguistiques: le cas des langues
océaniennes», dans Mémoires no 8, Société de
Linguistique de Paris, 1999, p. 79-104.
PIPITE, Jean. «La francophonie au Vanuatu»
dans Hermès, Paris, n° 40, 2004, p. 302-307. En ligne: [http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/9564/1/HERMES_2004_40_302.pdf].
ROSSILLON, Philippe (sous la direction de). Atlas
de la langue française, Paris, Bordas, 1995, 127 p.
THIVOYON, Marie-Ambrym. «Le multilinguisme au
Vanuatu : entre perception, politiques et pratiques», mémoire de
maîtrise, Université de Genève, 2015.
VANDEPUTTE-TAVO, Leslie. «Mécanismes
d’identification linguistique et jeunesse urbaine à Port-Vila (Vanuatu)
: une approche anthropologique» dans Journal de la Société des
Océanistes, 2011, n° 133, p. 241-254.
VANDEPUTTE, Leslie. L’ambiguïté des représentations à l’égard du bislama,
langue nationale du Vanuatu (Mélanésie), mémoire de maîtrise en
traduction, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2018,
118 p.
WURM, S.A. «Nouvelles-Hébrides» dans Papouasie-Nouvelle-Guinée, sept. 1998, [www.ciral.ulaval.ca/geo/CLNM4_Intro_WurmF.html].
WAUTHION, Michel. Politique linguistique en
Franconésie, Nouméa, Université de la Nouvelle-Calédonie, octobre
2005.
YACOUB, Joseph. «L’Océanie
et ses minorités» dans Les minorités dans le monde,
Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 709-110.
|