Sardegna |
Sardaigne
Regione Autonoma della Sardegna (Région autonome de la Sardaigne)
(Italie) |
Capitale: Cagliari Population: 1,6 million (2019) Langue officielle: italien Groupe majoritaire: sarde (81,2 %) Groupes minoritaires: italien, sassarien, gallurien, tabarquin, catalan alguérois, génois Système politique: région autonome à statut spécial
Articles constitutionnels (langue): art. 3 de la Constitution de 1947 ; Statut d'autonomie de 1948 : aucune disposition linguistique.
Lois linguistiques nationales: Décret du président de la République du 31 mai 1974, n° 417 : Règlement sur le statut juridique du personnel enseignant, du personnel de gestion et d'inspection des écoles maternelles, primaires, secondaires et des écoles artistiques de l'État ; Loi du 14 avril 1975, n° 103 en matière de diffusion radiophonique et télévisée ; Décret du président de la République du 20 novembre 1991 (abrogé) ; Décret législatif du 16 avril 1994, n° 297, en matière d'instruction ; Loi du 15 décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques) ; Décret du président de la République, n° 345, du 2 mai 2001, portant sur les règles de protection des minorités linguistiques historiques ; Décret législatif du 12 septembre 2002, n° 223, sur le transfert des fonctions relatives à la protection de la langue et de la culture des minorités linguistiques historiques ; Loi du 3 mai 2004, n° 112 (Règles de principe en matière d'organisation du système de radiotélévision et de la RAI) ; Loi du 3 mai 2004, n° 112, en matière d'organisation du système de radiotélévision et de la RAI; Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16, sur le transfert de fonctions en matière de protection linguistique et de la culture des minorités linguistiques historiques dans la Région.
Lois régionales: Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26, sur la promotion et la valorisation de la culture et de la langue de la Sardaigne; Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22 sur la politique linguistique régionale. |
1 Situation géographique
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Située juste au sud de l'île de Corse, la Sardaigne (Sardegna en italien; Sardigna en sarde) est la deuxième plus grande île (24 090 km²) de la Méditerranée après la Sicile; elle se trouve à mi-chemin entre l’Italie et la Tunisie, et s'étend sur environ 267 km de long et sur 120 km de large.
La Sardaigne a obtenu son statut d’autonomie de l'Italie et forme une région «à statut spécial» depuis 1948: la Regione Autonoma della Sardegna. C'est l'une des cinq régions bénéficiant d'une autonomie politique et administrative avec la Vallée d'Aoste, le Trentin-Haut-Adige, le Frioul-Vénétie Julienne et la Sicile. Les 15 autres régions ne
bénéficient pas d'un statut particulier. Depuis le 9 mai 2005, la Sardaigne compte huit provinces: Cagliari, Nuoro, Sassari, Oristano, Olbia-Tempio, Ogliastra, Carbonia-Iglesias et Medio Campidano (voir la carte). |
2 L'organisation administrative et politique
La Loi constitutionnelle du 26 février 1948 — une loi nationale — a donné à la Sardaigne
le pouvoir de légiférer de manière exclusive dans les domaines qui sont énumérés à l'article 3 du Statut d'autonomie: l'enseignement primaire, les musées et les bibliothèques, l'organisation des services administratifs régionaux, la police locale, l'organisation et les limites géographiques des collectivités locales, les eaux minérales et thermales, l'agriculture et la forêt, l'industrie, le commerce et l'artisanat, le tourisme et l'hôtellerie, les travaux publics d'intérêt régional, les transports terrestres, l'urbanisme, la pêche et la chasse.
De façon générale, la législation régionale doit respecter les principes établis par les lois nationales italiennes ainsi que les obligations internationales de l'Italie.
On le voit, la question des langues ne faisait pas partie, sauf depuis tout
récemment, des domaines autorisés à la Région pour légiférer. À cette époque, le gouvernement italien se gardait la compétence exclusive en matière de langue pour la Sardaigne, considérant que les langues parlées dans l'île constituaient des dialectes de l'italien ("dialetti dell'italiano"). Il faut
mentionner que l’île était alors fort mal connue et méprisée non seulement par l’imaginaire collectif des habitants la péninsule, mais aussi par le gouvernement central de Rome.
Dans l'organisation politico-administrative, le Statut d'autonomie de 1948 prévoyait trois autorités pour représenter la Sardaigne :
1) le Conseil régional (Consiglio regionale) : le pouvoir législatif régional;
2) la Junte régionale (Giunta regionale) : le pouvoir exécutif régional;
3) le président de la Région (il Presidente della regione Sardegna) : le chef du pouvoir exécutif régional.
Le Conseil régional compte 60 membres (appelés "consiglieri": conseillers) élus pour cinq ans au suffrage universel à la représentation proportionnelle. Ce conseil exerce le pouvoir législatif et
supervise l'Exécutif régional. Le Conseil régional est l'équivalent d'un Parlement local, d'une Assemblée législative ou d'une Assemblée nationale. Le Conseil délibère dans le Palazzo del Consiglio regionale (palais du Conseil régional) situé dans la ville de Cagliari, la capitale de la Sardaigne.
Quant à la Junte régionale (équivalant à un Conseil des ministres), elle est composée du président élu au suffrage universel direct (en même temps que le Conseil régional) et de 12 «assesseurs» ("assessori") choisis et révocables par le président. Les membres de la Junte régionale sont responsables des différents secteurs ou «assessorats» de l'administration locale. Les assessorats sont les suivants: Affaires générales, réforme régionale; Planification, budget, crédit et aménagement du territoire; Autorités locales, finances et urbanisme; Protection de l'environnement; Agriculture et réforme agro-pastorale; Tourisme, artisanat et commerce; Travaux publics;
Industrie; Travail, formation professionnelle, coopération et sécurité sociale; Instruction publique, patrimoine culturel, information, divertissement et sport; Hygiène et santé et assistance sociale; Transport.
Depuis 2016, un "decreto legislativo" approuvé par le Parlement italien a transféré les compétences en matière de protection linguistique à la Région de Sardaigne. Il s'agit de l'article 2 du Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16, qui autorise le Conseil régional sarde à disposer des articles 9 et 15 de la Loi du 15 décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques). Dorénavant, la Sardaigne a le pouvoir de légiférer en matière de langues.
3 Données démolinguistiques
Sur une population de 1,6 million d'habitants que compte la Sardaigne, près de 1,3 million de locuteurs utilisent le sarde ou l'une de ses variétés comme langue maternelle.
3.1 Les langues parlées dans l'île
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Les Sardes constituent donc l'une des plus importantes minorités linguistiques de toute l'Italie (avec les Siciliens et les Frioulans) et même l'une des plus considérables d'Europe. En effet, 1,3 million de locuteurs parlent l'une des langues régionales de la Sardaigne, les autres s'exprimant en italien comme langue maternelle. La carte ci-contre
délimite plusieurs zones linguistiques dans l'île:
- une zone sarde logoudorienne (un’area logudorese) comprenant le logoudorien du Nord, le logoudorien central (ou nuorais) et le logoudorien commun (standard); - une zone sarde campidanienne (un’area campidanese) correspondant au sarde du Sud; - une zone liée à Alghero (un’area relativa ad Alghero) où l'on parle une variété locale de catalan; - une zone sassarienne (un’area del sassarese) correspondant à une variété de sardo-corse; - une zone castellanienne (un’area del castellanese) correspondant à une variété de sardo-corse; - une zone gallurienne (un’area del gallurese) correspondant à une autre variété de sardo-corse; - une zone tabarquine (un’area del tabarchino) correspondant à une variété de ligure; - une zone liée à l'agglomération de la ville d'Olbia (un’area relativa a Olbia), où l'on parle une variété particulière de gallurien.
Les zones marquées en vert indiquent les aires sardes, alors que les zones en jaune réfèrent à des zones sardo-corses. Quant au tabarquin, c'est une variété de ligure. |
- Les variétés linguistiques du sarde
Au même titre que l’italien, le sarde (en sarde: sardu) fait partie des langues romanes, plus particulièrement
du groupe italo-roman tel le toscan (aujourd’hui l’italien). Le sarde n'est pas, contrairement à
des affirmations de certains Italiens, un «dialecte de l'Italien». C'est une langue distincte issue du latin, comme l'italien ou l'espagnol. Par rapport aux autres langues romanes (italien, espagnol, français, etc.), l'un des traits essentiels du sarde est son caractère archaïsant ou conservateur.
En partie parce qu'elle est une île, la Sardaigne n'a pas connu certaines évolutions qui se sont produites au premier siècle de notre ère dans les autres langues romanes parlées sur le continent. L'île
s'est trouvée linguistiquement isolée du reste du monde romain dès cette époque.
Le sarde n'est pas parlé partout dans l'île, car il ne comprend que les variétés logoudorienne (en sarde: sardu logudoresu) et campidarienne (en sarde: sardu campidanesu). Le logoudorien connaît trois principales variantes:
- le logoudorien du Nord;
- le logoudorien central (ou nuorais);
- le logoudorien commun (ou sarde littéraire).
Le campidanien,
quant à lui, comprend les variantes suivantes:
- l'arborais, autour de la ville d'Oristano;
- le cagliaritain (casteddaiu), autour de la ville de Cagliari;
- l’ogliastrais (ollastrinu), dans la zone centre-orientale (province de l'Ogliastra);
- l'iglesientais, dans la zone sud-occidentale (province de Carbonia-Iglesias).
Toutes ces variantes sardes se caractérisent par un conservatisme encore plus grand et une fidélité au latin avec de
nombreux éléments archaïques du proto-sarde.
- Les langues des minorités historiques
Les autres langues autochtones sont considérées comme celles des «minorités historiques». Ce sont le sassarien ou sassarais (appelé sassaresu ; en italien: sassarese), le gallurien ou gallurais (appelé gadduresu ; en italien: gallurese), le tabarquin (appelé tabarchin; en italien: tabarchino) et le catalan d'Alghero ou alguérois (appelé alguerès; en italien: alghero). +
Le sassarien (env. 125 000 locuteurs) et le gallurien (env. 100 000 locuteurs) sont associés au sardo-corse; le tabarquin (environ 15 000 locuteurs), au ligure; et l'alguérois (entre 8600 et 20 000 locuteurs), au catalan. Le tableau ci-dessous
est tiré d'un rapport de 2007 intitulé Le Lingue dei Sardi, una ricerca sociolinguistica («Les langues des Sardes, une recherche sociolinguistique»). Ce rapport
avait été commandé par la Région autonome de Sardaigne aux universités de Cagliari et de Sassari.
Logoudorien (logudorese) |
76,0% |
21,9% |
2,1% |
100% |
Campidanien (campidanese) |
68,9% |
27,7% |
3,4% |
100% |
Alghérois (alghero) |
23,2% |
26,2% |
50,6% |
100% |
Sassarien (sassarese) |
27,3% |
40,5% |
32,2% |
100% |
Variante d'Olbia |
44,6% |
38,9% |
16,6% |
100% |
Gallurien (gallura) |
15,1% |
58,5% |
26,4% |
100% |
Tabarquin (tabarchino) |
12,2% |
35,6% |
52,2% |
100% |
|
Ce tableau (tableau n° 8.2 dans le rapport) présente les données numériques relatives aux variétés linguistiques de l'île. Comme nous pouvons le constater, les individus qui affirment connaître
l'une de ces langues sont nombreux dans les deux zones de références linguistiques sardes: la zone du logoudorien et celle du campidanien. Dans les municipalités de la zone linguistique logoudorienne, 2,1% des personnes interrogées ont déclaré
ignoré complètement étrangères la variante locale, alors que dans la zone campidanienne ce pourcentage est légèrement supérieur à 3% des cas répertoriés. Par conséquent, les locuteurs de ces deux zones sont ceux qui sont les plus compétents en tant que locuteurs actifs: 76% pour le logoudorien et 68,9% pour le campidarien..
Bien que dans les autres zones les locuteurs actifs soient moins nombreux, ils sont néanmoins présents dans des proportions non négligeables, surtout à Olbia (44,6%): 23,1% pour l'alguérois, 15,1% pour le gallurien et 12,2 % pour le tabarquin. |
Si nous considérons également les locuteurs passifs, c'est-à-dire ceux qui comprennent la langue sans nécessairement la parler, nous pouvons conclure que, dans toutes les régions de l'île, au moins une personne sur deux serait capable de comprendre une variante du sarde. On estime qu'en moyenne 75 % des habitants de l'île parlent ou comprennent le sarde. Le
taux des unilingues italophones serait d'environ 10%, alors que celui des unilingues sardes se situerait autour de 8 %
ou de 9 %, et serait en nette régression.
Cependant, il ne fait aucun doute que, dans les situations de communication dite «haute», le code linguistique privilégié est l'italien, aussi bien dans les villes que dans les villages, surtout pour les types de communication suivantes: prier, saluer, offrir ses vœux et ses condoléances ou discuter de politique. L'italien est utilisé presque dans toutes les situations de communication, alors que les deux langues (italien et langue locale) sont rarement utilisées. En revanche, dans les situations de communication moins contrôlées ou plus affectives, les parlers locaux sont souvent plus utilisés dans les villes, du moins parmi les moins instruits (tableau 2.19 dans le rapport):
Langue utilisée dans diverses situations |
Italien |
Langue locale |
Les deux langues |
Total |
Pour prier |
90,0 % |
2,8 % |
7,1 % |
100,0 % |
Pour saluer |
73,2 % |
6,2 % |
20,6 % |
100,0 % |
Pour exprimer des souhaits/condoléances |
75,5 % |
6,1 % |
18,4 % |
100,0 % |
Pour parler de politique |
73,5 % |
7,0 % |
19,5 % |
100,0 % |
Pour raconter des histoires ou des fables |
70,6 % |
9,3 % |
20,1 % |
100,0 % |
Pour compter |
81,0 % |
11,9 % |
7,1 % |
100,0 % |
Pour penser |
66,4 % |
18,2 % |
15,4 % |
100,0 % |
Pour exprimer la joie et l'enthousiasme |
59,8 % |
15,4 % |
24,8 % |
100,0 % |
Pour parler de la vie quotidienne |
55,7 % |
14,3 % |
30,0 % |
100,0 % |
Pour raconter des blagues |
36,0 % |
21,5 % |
42,5 % |
100,0 % |
Pour gronder et menacer |
44,9 % |
30,5 % |
24,6 % |
100,0 % |
Pour exprimer sa colère |
39,7 % |
33,8 % |
26,4 % |
100,0 % |
Pour exprimer des jurons |
40,7 % |
31,5 % |
27,8 % |
100,0 % |
Pour parler au téléphone |
64,7 % |
3,1 % |
32,2 % |
100,0 % |
De façon générale, le sarde et ses variétés s'affirment comme des langues essentiellement orales, généralement transmises de bouche à oreille. Les variétés sardes n'ont été écrites dans le passé que par peu de locuteurs qui n'ont jamais suivi de règles très précises à ce sujet.
Le tableau suivant (tableau n° 8.5 dans le rapport) est intéressant, car il répartit les langues locales en fonction de l'âge des locuteurs dans les différentes zones linguistiques:
Zone linguistique |
Langue locale considérée |
15-34 ans |
35-59 ans |
60 + |
Logoudorie |
sarde |
59,7 % |
78,3 % |
94,3 % |
Campidanien |
sarde |
55,6 % |
69,8 % |
84,7 % |
Alghero |
catalan |
34,6 % |
56,0 % |
58,5 % |
Sassarien |
sassarien sarde |
42,8 % 17,9 % |
41,7 % 25,8 % |
38,3 % 43,6 % |
Olbia |
gallurien sarde |
34,4 % 20,3 % |
34,5 % 55,2 % |
59,5 % 59,5 % |
Tarbarquin |
tabarquin |
84,0 % |
86,1 % |
86,2 % |
Comme il fallait s'y attendre, la connaissance des langues est plus élevée chez la génération plus âgée (plus de 60 ans) et plus faible chez la génération des 15 à 34 ans. Nous pouvons constater que la langue locale la plus utilisée
par personne est le tabarquin, et ce, dans les trois classes d'âge. Cette situation s'explique par le fait que les locuteurs de cette langue habitent dans deux petites îles plus isolées du sud de la Sardaigne: la ville de Caloforte (6200 habitants) sur l’île de San Pietro et la ville de Calasetta (2900 habitants) sur l’île de Sant'Antioco, situées dans l’archipel de Sulcis. Le sassarien est également parlé à peu près dans les mêmes proportions (42,8 %, 41,7 %, 38,3 %) pour les trois groupes d'âge. Mais le gallurien, le catalan et les variantes du sarde sont manifestement plus parlées par la classe des 60 ans et plus. Le catalan alguérois ne semble pas être dans une situation confortable, car il est délaissé par les générations plus jeunes (34,6 %) et plus ou moins utilisé par les autres (56 % et 58,5 %).
- L'écriture sarde
En général, les Sardes qui écrivent en sarde le font sans trop se préoccuper de propositions orthographiques
visant à établir des règles fixes. Il existe bien une proposition de standardisation de la langue sarde, Limba Sarda Unificada, Sintesi delle Norme di base : ortografia, fonetica, morfologia, lessico («Langue sarde unifiée des règles de base: orthographe, phonétique, morphologie, lexique), mais ces règles n'ont pas été adoptées par un organisme officiel et ont donc exercé peu d'influence. Même le Conseil régional de la Sardaigne a fait marche arrière dans sa résolution n° 17 du 26 juin 2003. Pourtant, l'ouvrage avait été
rédigé par une commission d'experts qui n'ont tenu compte que des variétés du logoudorien et du campidanien.
Contrairement aux attentes politiques, la population a accueilli avec de grandes réserves la proposition de la LSU (Lingua sarda unificata). C'est le titre de la réglementation de base élaborée par la commission d'experts désignée par le Conseil régional de la Sardaigne et publiée en juillet 2001 par le Département de l'éducation. Dans la présentation, on précise que la réglementation peut être utilisée librement non seulement par les administrations publiques, mais également par les entreprises de toutes sortes (associations, organismes d'information, écoles, entreprises informatiques, etc.). La population sarde
a semblé avoir l'impression que ces travaux se sont faits sans elle et qu’elle continue d'être tenue à l’écart d’une question qui la concerne directement.
- Les parentés linguistiques
La Corse (France) et la Sardaigne (Italie) ont eu, à l'origine, le même parler que l'on considère parfois comme un témoin du monde romain en Afrique du Nord. En raison des aléas de l'histoire, les deux îles ont vu leur langue se fragmenter. Le parler commun s’est progressivement toscanisé en Corse et dans le nord de la Sardaigne, alors qu'il a conservé ses traits latins archaïsants dans le centre et le sud de la Sardaigne.
On a
toujours affaire à des langues romanes, mais elles n'appartiennent pas nécessairement aux mêmes sous-groupes bien qu'à une seule exception près, l'alguérois (groupe ibéro-roman), elles font toutes partie du groupe italo-roman, comme le toscan à l'origine de l'italien moderne. Ainsi, toutes les variantes du nord de la Corse, notamment le corse cismontano,
présentent des points communs avec les langues septentrionales de l'Italie: le toscan, le piémontais, le lombard, le ligure, l'émilien-romagnol, le vénitien, etc. Quant au corse oltramontano, il est davantage associé aux parlers locaux répandus en Italie méridionale, en Sardaigne et en Sicile. Ces deux noms de cismontano et d'oltramontano font référence aux montagnes du centre de l’île de Corse, qui séparent les deux groupes (voir la carte linguistique des îles de Corse et de Sardaigne).
En Sardaigne, le gallurien et le sassarien
comportent plus d'éléments communs avec le corse oltramontano qu'avec le logoudorien et le campadanien. Pour certains linguistes, le gallurien et le sassarien constituent des variantes méridionales du corse; on peut aussi parler de corso-sarde ou de sardo-corse. Le rapport de 2007 a préféré distinguer le gallurien de la ville d’Olbia du reste des municipalités de la région autonome, car elle représente une situation très particulière
résultant du contact entre la Sardaigne et la Gallura, une région historique et géographique du nord-est de la Sardaigne, autour des villes d'Olbia et de Tempio Pausania, où l'on parle une variante du corse, le gallurien.
Évidemment, le sarde logoudorien et le sarde campidanien demeurent les deux principales variantes du sarde; elles ont maintenu une structure syntaxique et lexicale
reflétant leurs racines latines. Elles ont des points communs avec les parlers méridionaux
d'Italie: sicilien, calabrien, lucanien, abruzzien, etc.
Quant au tabarquin, une variante du ligure, il est parlé dans les communautés de Carloforte sur l’île de San Pietro et de Calasetta sur l’île de Sant'Antioco, situées dans l’archipel de Sulcis, tout au sud de la Sardaigne. Enfin, l'alguérois est une langue importée de la Catalogne et demeure une variante régionale du catalan.
En fait, la Corse et le nord de la Sardaigne appartiennent à une aire linguistique italienne dite «centro-méridionale», alors que les variétés du centre et du sud de la Sardaigne constituent un groupe autonome, soit le sarde proprement dit, lui-même divisé en plusieurs variétés. En Corse, les diverses variétés linguistiques présentent
des écarts moins grands qu'entre les variétés sardes.
L'intercompréhension entre l'italien et le corse est relativement aisée, à tel point qu'une personne italophone et une autre corsophone pourront se comprendre partiellement sans interprète. L'italien, le corse, le sassarien et le gallurien sont également assez
intelligibles. Si l'intercompréhension entre le sarde logoudorien et le sarde campidanien est aisée, il n'en est pas ainsi entre ces deux langues et le groupe des langues précédentes. Les langues sardes comme le logoudorien et le campidanien sont relativement éloignées de l'italien comme de l'espagnol. Voici quelques exemples qui illustrent les ressemblances entre l'italien, le corse, le sassarien et le logoudorien:
Traduction |
Je suis né à Rome et j'y ai passé les meilleures années de ma jeunesse. |
Italien standard |
Sono nato a Roma e vi ho passato gli anni migliori della mia giovinezza. |
Corse cismontano |
Sò natu in Corsica è v'aghju passatu i più belli anni di a mio giuventù. |
Corse oltramontano |
Sòcu natu in Còrsica e v'agghju passatu i mèddu anni di a me ghjuvintù. |
Sassarien |
Soggu naddu a Sàssari e v'aggiu passaddu li megli’anni di la me' pizzinìa. |
Logoudorien |
Sò nàschidu in Sardigna e b'happo passadu sos mèzus annos de sa pizzinnìa mia. |
Ces quelques exemples témoignent surtout des ressemblances entre l'italien, le corse et le sassarien, mais
beaucoup moins des différences plus grandes avec le sarde logoudorien.
3.2 Le catalan d'Alghero (alguérois)
Dans cette même île de la Sardaigne, il existe une petite ville de 44 000 habitants du nom d'Alghero. Selon les données disponibles,
y réside une petite communauté de quelque 28 500 personnes (63 %) parlant le catalan, une autre langue romane. Le catalan parlé à Alghero, appelé alguérois ou alguerès en catalan, est un catalan archaïsant, conséquence de son isolement géographique du reste de l'aire linguistique catalane,
mais aussi fortement italianisé avec des influences sardes. Selon une enquête approfondie menée en 2004 sur l'emploi des langues à Alghero («Enquesta d’usos lingüístics a l’Alguer 2004»), réalisée sous l'initiative du gouvernement de la Catalogne ("Secretaria de Política Lingüística"), la connaissance de l'alguérois correspond au résultat suivant:
Connaissance du catalan |
Pourcentage |
Ceux qui comprennent le catalan |
90,1 % |
Ceux qui le lisent |
46,5 % |
Ceux qui le parlent |
61,3 % |
Ceux qui l'écrivent |
13,6 % |
L'enquête révélait que 22,4 % des Alguérois utilisaient le catalan local comme langue maternelle, contre 59,2 % pour l'italien et 12,3 % pour le sarde. Si l'on tient compte de la langue d'identification, 80,7 % des Alguérois s'identifient à l'italien, 14,6 % à l'alguérois et 4 % au sarde. La prédominance de l'italien, notamment à l'école, fait en sorte que le catalan tend à se transmettre de moins en moins auprès des générations plus jeunes. Toutefois, l'enquête de 2007 du gouvernement sarde révélait que 34,6 % des citoyens d'Alghero âgés de 15-34 ans pouvaient s'exprimer en catalan, contre 56% pour les 35-59 ans et 58,5 % pour les 60 ans et plus:
Zone linguistique |
Langue locale considérée |
15-34 ans |
35-59 ans |
60 + |
Alghero |
catalan |
34,6 % |
56,0 % |
58,5 % |
Il est possible de consulter une page consacrée à la description et à l'histoire de la langue catalane.
3.3 Le génois et le tabarquin
|
On parle aussi en Sardaigne le génois et le tabarquin (en italien: tabarchino). Ces deux langues sont employées dans les petites îles du Sud-Ouest (archipel des Sulcis), notamment à Carloforte dans l'île de 51 km² de San Pietro (6400 hab.) ainsi qu'à Calasetta dans l'île de 115 km² de Sant'Antioco ou Saint-Antiochus (11 800 hab.). Le tabarquin est une forme régionale de ligure parlée dans les communes de Carloforte et de Calasetta, regroupant au total près de 15 000 personnes. Dans l'île de San Pietro, les habitants parlent une forme particulière de ligure, avec un mélange de génois, de tabarquin et de sarde. L'archipel des Sulcis fait partie de la province sarde de Carbonia-Iglesias. On compte de petites communautés parlant le corse du Sud (ou dialecte gadduresu ou gallurien) dans le nord de la Sardaigne. |
Ethnie |
Pourcentage |
Langue parlée |
Affiliation |
Localisation |
Sardes |
81 % |
sarde et italien |
langue romane |
Toute l'île |
Italiens |
16,3 % |
italien (seulement) |
langue romane |
Toute l'île |
Catalans |
1,7 % |
catalan (et italien) |
langue romane |
Alghero |
Tabarquins |
1 % |
tabarquin (et italien) |
langue romane |
Sant'Antioco |
3.4 L'avenir des langues des minorités historiques
Toutes les langues parlées en Sardaigne, sauf l'italien, ont connu des difficultés majeures qui n'ont jamais été résolues de quelque façon que ce soit. Il s'agit, répétons-le, des variétés de sarde (logoudorien et campidanien), ainsi que du sassarien, du gallurien, du tabarquin et du catalan d'Alghero.
- Les causes historiques
L'une des faiblesses de la langue sarde réside dans sa fragmentation dialectale, ce qui a pour effet de réduire à un plus petit nombre de locuteurs chacune des variantes locales, alors que tous les locuteurs
s'exprimant dans une même variété standard auraient un impact positif plus important. Les causes de cette fragmentation linguistique sont connues: elles sont d'abord d'ordre historique. Parmi les actions décisives figure la défaite de la Sardaigne
aux mains des Arago-Catalans qui ont d'abord imposé le catalan, puis surtout l’adoption de l’italien en 1760 en tant que langue officielle de l’administration publique et de l'école par le gouvernement italien.
Ce choix fait à cette époque fut confirmé avec la fondation de l'État unitaire italien en 1861 et la relégation de la Sardaigne dans sa partie marginale et périphérique. Le fascisme italien (1919-1945) contribua également à discréditer le sarde en allant même jusqu'à le diaboliser et, dans une certaine mesure, à le criminaliser par l'interdiction. Le faible degré d'instruction des masses sardes
les a rendus vulnérables. Après la Seconde Guerre mondiale, l’effondrement s’est
accéléré, coïncidant avec l’instruction généralisée strictement en italien. La stigmatisation
des langues sardes s'est brutalement affirmée et a produit des effets durables et difficiles à
contrer.
- La fragmentation dialectale
Lorsque les défenseurs du sarde proposent de l'instaurer à l'école et d'enseigner une norme écrite, la première question qu'on
leur pose est celle-ci: «Quelle langue sarde choisir?» La population est aux
prises avec un grand nombre de parlers locaux dont plusieurs sont inconciliables les uns avec les autres. L'absence de toute officialisation du sarde a
entraîné sa fragmentation. Il semble donc souhaitable, sinon urgent de doter le sarde d'une véritable norme commune à partir des travaux déjà réalisés et déjà
testés sur les plans grammatical, morphologique et syntaxique. À cela s'ajouterait un lexique enrichi de toutes les variantes sardes, avec un noyau lexical orienté de préférence vers les versions les plus répandues des mots connus.
Le problème crucial à résoudre avant toute tentative sérieuse d'officialiser l’usage de la langue sarde est celui de la standardisation des
nombreuses variétés dialectales. Personne ne saurait dire, à l’heure actuelle l'orientation
qui garantirait la véritable unification des diverses variantes de la langue sarde. Parmi les trois grands groupes dialectaux, le logoudorien a été traditionnellement la langue des grands poètes; il est en plus la variété dialectale dans laquelle ont été rédigés les Codes et les chroniques du Moyen Âge. C'est donc cette variante qui jouit du plus grand prestige littéraire.
De son côté, le campidarien pourrait invoquer en sa faveur le grand nombre de ses locuteurs (qu'on estime à plus de 600 000) et le prestige de la capitale.
Il existe un organisme appelé "Limba Sarda Comuna" (LSC) chargé d'élaborer une norme d'écriture
unique de la langue sarde. Celle-ci a été adoptée à titre expérimental en 2006 par la Région autonome de la Sardaigne pour la rédaction officielle de certains actes. Cependant,
bon nombre de Sardes s'opposent à cette normalisation. Les défenseurs de la diversité linguistique veulent protéger leur variété locale, ce sont les "localisti " (les «localistes»).
Ils estiment que le seul sarde valable est le leur. Par ailleurs, on trouve les "duovariantisti", ceux qui sont convaincus qu'il existe deux sous-systèmes linguistiques distincts: le campidanien et le logoudorien. Selon ce point de vue, il faut proposer une norme graphique spécifique pour chacune des variantes, dont celle appelée "Arrègulas" (Arrègulas po s’ortografia, sa fonètica, sa morfologia e su fueddàriu de sa bariedadi Campidanesa de sa Lingua Sarda) pour le campidanien et adoptée par la province de Cagliari à la place de la LSC, ce qui lui vaut d'être en opposition avec celle-ci.
En réalité, il n'existe pas beaucoup d'options. On pourrait
laisser aux locuteurs sardophones la possibilité d'utiliser leur variante spécifique dans toutes les circonstances de la vie publique. On pourrait aussi élaborer une norme unifiée qui devrait être acceptée dans toute l'île. Or, les deux points de vue ont leurs partisans. La première solution, si elle semble plus démocratique, pose
le problème de la non-standardisation dans la pratique. La seconde, qui est celle favorisée par les législateurs, présuppose que les Sardes se mettent d'accord sur une variante particulière codifiée par les soins d'un conseil de spécialistes et acceptée comme norme par l'ensemble des sardophones. Or, la création d'un tel « Consiglio per la Lingua e la Cultura dei Sardi » n'est pas pour bientôt.
- L'école et les médias
Dans les écoles, la situation s'est de plus en
plus aggravée au cours des dernières décennies. L'absence de choix offert aux
parents pour l'apprentissage du sarde au moment de l'inscription des enfants à l'école
suscite un désintérêt certain pour la survie du sarde. L'absence d'alphabétisation des citoyens dans ces langues historiques
a contribué à la régression des langues locales. En Sardaigne, tous les enfants apprennent l'italien. Les principaux médias, dont le poids a certainement été déterminant, ont ajouté un
barrage supplémentaire pour imposer l'unilinguisme italien; ils n'ont jamais fait du sarde un instrument de communication pour le grand public.
Il n'est guère surprenant que toutes les langues sardes sont en régression constante, de même que les autres langues des minorités historiques (sassarien, gallurien, catalan, tabarquin). La transmission intergénérationnelle
reste au minimum; les enfants qui apprennent aujourd'hui le sarde (ou l'une des langues locales) comme langue principale pourraient représenter la dernière génération de sardophones. Aujourd'hui, même ceux qui le parlent comme langue principale s'expriment souvent avec de grandes difficultés, car ils se
révèlent plus performants en italien. Ajoutons que la dépopulation de la Sardaigne rurale constitue un facteur d'accélération du phénomène.
- Une politique linguistique timorée
La politique linguistique de la Région est toujours demeurée timorée à l'égard des langues autochtones
de la Sardaigne. L'Office de la langue sarde (Ufficio della Lingua Sarda) a été créé en vertu de la loi n° 482 de 1999, mais il n'a jamais
vraiment fonctionné. Toutes les interventions du Conseil régional sarde ont été réduites, voire annulées, faute de moyens financiers. Les associations et mouvements culturels concernés ont bien tenté de compenser l'absence d'une politique publique par des initiatives autogérées, sans grands succès.
La politique linguistique actuelle, élaborée et exposée dans la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22,
suscite la perplexité. Aucune langue n'est proclamée officielle ou co-officielle, mais la Junte régionale veut
sauvegarder et promouvoir toutes les langues autochtones: le lougoudorien, le campidanien, le sassarien, le gallurien, le catalan et le tabarquin. Or, il faudrait tout reprendre à zéro en matière de valorisation et de normalisation linguistique. La loi ratisse trop large en voulant préserver et valoriser toutes les langues historiques. À vouloir
les sauvegarder toutes, on risque de n'en conserver aucune. La bouchée est trop grosse, mais choisir une langue, ce serait semer la controverse dans l'île.
- Vitalité et transmission
L’Unesco considère que le sarde est une langue en danger. De fait, la transmission de la langue est en perte de vitesse, surtout dans les zones urbaines où les plus jeunes générations l’abandonnent au profit de l’italien. Si le sarde
reste encore parlé couramment dans les communications quotidiennes, familières et privées, la langue n’en finit plus de perdre des locuteurs en raison de la situation de diglossie qui n’évolue pas: depuis plusieurs générations, le sarde est utilisé pour les communications informelles, l'italien pour les communications formelles. Finalement, le sarde ne voit croître aucune de ses fonctions. Il n’est même pas présent dans le paysage linguistique, sauf dans quelques rarissimes affiches bilingues. Il n'est jamais employé dans la signalisation urbaine ni sur les devantures des commerces et des établissements d'enseignement. L'italien règne
sans aucune concurrence!
Selon les résultats d’une enquête ISTAT (Institut national de statistique, 2007), la grande majorité des jeunes (15-24 ans) résidant dans les centres urbains
comptant plus de 20 000 habitants utilisent l’italien comme langue véhiculaire parce qu'ils s'y sentent plus liés (65,4% contre 28,8%). En revanche, dans les centres de moyennes et petites dimensions (moins de 20 000 habitants, majoritaires dans l’île), le rapport entre les langues locales et l’italien semble beaucoup plus équilibré (46,6 % et 44,3 %). Si, en milieu rural, le sarde demeure encore vivace, son absence d’emploi en milieu professionnel et formel, sans compter sa
stagnation en gain social, l'entraîne à la décroissance graduelle.
De façon générale, le prestige du sarde semble
très faible, les élèves du primaire e classant par exemple en sixième position parmi les langues considérées comme les plus importantes,
derrière d’autres langues comme l'anglais, le français, l'espagnol, l'allemand et l'italien. Quant au prestige des autres langues autochtones,
il est totalement inexistant.
- L'absence de statut officiel
La langue sarde ne bénéficie pas d'un statut officiel en Sardaigne. Les opinions des Sardes eux-mêmes sont extrêmement divisées envers toutes les tentatives visant à changer cette
situation. D'une part, l’usage des variétés littéraires du sarde est généralement accepté, sinon toléré,
d'autre part, toutes les initiatives visant à mettre la langue sur un pied d'égalité avec l'italien se heurtent à l’indifférence d'une grande partie du public, voire à l’hostilité ouverte de certains universitaires. Dès qu'un individu ou un organisme veut promouvoir la langue sarde autrement que
par l'évocation de la simple survivance linguistique ou la folklorisation de l'expression poétique, mais plutôt
par des mesures précises qui changeraient la donne en matière de statut, des tollés fusent de
partout.
Bref, les véritables opposants à la normalisation de la langue sarde, pourtant nécessaire et urgente, peuvent être les Sardes eux-mêmes.
Ils ont été conditionnés ainsi depuis plusieurs générations. Dès lors, on ne se surprendra pas que le sarde
est reconnu comme «une langue en danger» par l'Unesco.
4 Données historiques
Le peuplement de la Sardaigne provient de divers mouvements de population qui se sont produits depuis 6000 ans avant notre ère, c'est-à-dire bien avant que les habitants des îles n'adoptent le latin sous l'Empire romain. Certains historiens croient que plusieurs familles de langues avaient cohabité en Sardaigne
au cours de la période dite «nuragique» : une famille afro-ibérique au sud et une autre rhéto-ligure au nord.
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L’île de Sardaigne fut successivement envahie par les Phéniciens venus du Liban (entre le Xe et le VIIe siècle avant notre ère), les Carthaginois (VIIe siècle) et les Phocéens (VIe siècle), avant d'être occupée par les Romains dont la présence a été plus durable en raison de l'influence du latin, soit de 238 avant notre ère jusqu’à 476 de notre ère. Les légions romaines ont rapidement pénétré toutes les régions sardes, mais
elles mirent près d’un siècle à soumettre les populations autochtones de l’intérieur des îles (Corse et Sardaigne). Rome développa un réseau routier organisé en Sardaigne afin de faciliter le déplacement des troupes et des commerçants. La Sardaigne devint une des plus importantes provinces romaines productrices de blé, qu'elle exportait vers Rome,
devenant ainsi le grenier d'abondance de la capitale romaine. Les
Romains développèrent un réseau routier organisé en Sardaigne afin
de faciliter le déplacement des troupes et des commerçants.
Cependant, après la domination romaine, puis celle des Vandales (476-534), celle de l’Empire byzantin (534-711) et celle des Arabes qui dévastèrent ses côtes de 711 à 1016,
l'île s'appauvrit au plus grand profit des envahisseurs. En somme, cette île
était trop bien située géographiquement pour ne pas susciter la convoitise.
Ce sont donc toutes ces invasions qui ont façonné le peuple sarde au
cours de l'histoire. |
4.1 La domination arago-catalane
Dans le but de se défendre, les Sardes firent appel aux républiques de Gênes et de Pise qui, après avoir éliminé les Arabes, se disputèrent l’île (entre les XIe et XIIIe siècles). L'arrivée des Génois et des Pisois entraîna pour la première fois l'infiltration de la langue italienne en Sardaigne, notamment parce que de nombreux ouvriers venus de Toscane construisirent des églises, des monastères, des châteaux et des tours. En 1297, le pape Boniface VIII attribua l’île de Sardaigne (en même temps que la Corse) au roi d’Aragon, qui l’occupa par la force en 1300 afin d’y chasser les Génois. La couronne arago-catalane ne conquit définitivement l’île qu’en 1325.
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Durant tout le Moyen Âge, le castillan avait subi la concurrence du catalan, mais aussi de l'aragonais, du léonais, de l'asturien, du galaïco-portugais. Les habitants du royaume d’Aragon, du nord des Pyrénées et
de Catalogne (devenue la Generalitat de Catalunya), au Pays valencien, aux îles Baléares et en Sardaigne, avaient utilisé le catalan comme langue véhiculaire. Cette époque avait été pour les Catalans une période de grand épanouissement économique, littéraire et artistique. Le catalan devint la langue de l'administration et de la culture dans toute la Sardaigne, tandis que le sarde commençait sa période de déclin comme langue véhiculaire, puisque son rôle était réduit à celui d'une simple langue orale employée par les insulaires d’origine sarde. Les Catalans firent d’Alghero leur capitale en Méditerranée, après en avoir expulsé les Sardes et les Génois. Étant donné qu'une colonie de Catalans s'était installée
à leur place, il ne s'agissait donc pas d'une coexistence pacifique entre envahisseurs et habitants, mais bien d'une purification ethnique suivie d'un repeuplement de la ville, ce qui a rendu plus facile et plus évidente la présence de la langue catalane. La domination catalane, qui dura 350 ans, exerça une influence considérable sur la langue sarde. Par décision des tribunaux généraux, les statuts des cités sardes furent tous traduits en catalan.
L'usage de cette langue perpétua même après l'unification des couronnes d'Aragon et de Castille, de sorte que les édits du vice-roi ont continué à être publiés en catalan. |
Avec l'union des royaumes d'Aragon et de Castille en 1469 s'amorça une longue castillanisation qui s'accentua au fur et à mesure de l'expansion du royaume. Malgré cette castillanisation progressive de l’aristocratie, le catalan demeura la langue dominante sur l’île de Sardaigne jusqu’au XVIIIe siècle. Le castillan (espagnol) en tant que langue officielle en Sardaigne n'a supplanté le catalan qu'au début du XVIIIe siècle; celui-ci fut utilisé dans les archives publiques jusqu'en 1780 et au-delà. De nombreux termes proviennent de la langue espagnole, comme le nom des chaînes de montagnes.
4.2 Le Royaume de Savoie
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En 1416, le comte de Savoie, Amédée VIII, avait obtenu du
Saint-Empire romain germanique l'érection
de son comté en duché. La Savoie correspondait à l'ensemble des territoires obtenus par la Maison de Savoie depuis le XIe siècle, appelés également «les États de Savoie». Le duc obtint le royaume de Sicile en 1713. Après une brève période autrichienne (1708-1718), le traité de Londres céda la Sardaigne en échange de la Sicile en 1720 au duc de Savoie
qui fut proclamé roi des «États sardes» (ou roi du royaume de Sardaigne), ce qui eut pour effet de réduire l’emploi du catalan dans l’administration, car dès 1764 l’italien devint la langue officielle de l'île.
Rappelons que la Savoie comprenait alors une partie de la France (Annecy, Chambéry, etc.), le Piémont en Italie, avec Turin comme capitale, la Sicile et la Sardaigne (voir la carte de gauche). En Savoie, le français devint la langue officielle de la partie occidentale, mais l'italien
le fut dans la partie orientale, ainsi qu'en Sardaigne. Cependant, le duché de Savoie
fut annexé par les troupes révolutionnaires françaises en 1792 pour devenir le département du Mont-Blanc, avec pour chef-lieu l'ancienne capitale du duché, Chambéry. Après l'occupation de Genève, la partie continentale du duché fut détachée pour former le département du Léman en 1798.
En 1814-1815, ce fut la Restauration sarde et le retour du duché de Savoie pour
quelques décennies.
En 1860, à la suite d'un plébiscite, l’ouest de la Savoie fut annexé à la France de Napoléon III, alors que la Sardaigne fut incorporée au Royaume d’Italie en 1861, ce qui entraîna la disparition définitive du catalan dans l’administration et dans l’Église catholique au profit de l’italien. Par la suite, la généralisation du système scolaire italien fit que le sarde et le catalan restèrent des langues dépourvues de prestige social. L’aire catalanophone se réduisit à la seule ville d’Alghero, au nord-ouest de l’île.
Cette petite ville de 44 000 habitants (2019) se présente aujourd’hui comme une enclave catalane en terre sarde. |
Contrairement à la France, l’Italie n’a jamais réellement réprimé l’usage de la langue sarde, sauf pendant la période fasciste à partir de 1919. Néanmoins, de façon plutôt sournoise, les autorités italiennes ont fait en sorte que la langue sarde soit dépouillée de sa valeur sociale. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, la Sardaigne avait vécu sa propre histoire complètement détachée du reste de l’histoire nationale italienne et se caractérisait par
la volonté des Sardes insulaires à ne pas relier leur histoire à celle de l'Italie continentale,
alors qu'ils en faisaient partie. En même temps, ils ne semblaient pas prendre conscience de leurs droits par rapport à leur appartenance à l'Italie.
4.3 La période fasciste (1919-1945)
Les premières manifestations fascistes apparurent en 1921 avec l'arrivée des «Faisceaux italiens de combats» (en italien: "Fasci italiani di combattimento"), qui seront connus sous le nom de «Chemises noires» (en italien : "camicie nere" ou "squadristi"). Dès lors, la Sardaigne, comme tout le reste de l'Italie, fut frappée
d'une vague de violence sans précédent par des équipes fascistes. Des villes comme Cagliari, Sassari, Ittiri, Tempio, La Maddalena, Terranova, etc., durent subir fréquemment de
graves affrontements. Les vingt années de fascisme marquèrent l'entrée définitive de la Sardaigne dans le
régime italien fascisant. La Sardaigne fut intégrée de façon coloniale à la culture nationale par son mode de vie, ses coutumes, ses visions générales et ses slogans politiques imposés par l'école. C'est d'ailleurs par l'éducation que les fascistes lancèrent une action répressive contre l'emploi de la langue sarde, surtout dans les villes.
En effet, les grands centres urbains de l'île connurent une réorganisation de la vie sociale, tandis que l'arrivée des médias eut tôt fait de mettre la population sarde au diapason des idéologies propagées en Italie, ce qui eut comme résultat de transformer radicalement le mode de vie traditionnel des insulaires. Comme on pouvait s'y attendre, la langue italienne prit racine dans toutes les classes bourgeoises, puis moyennes. Toutefois, la propagande fasciste n'a pu atteindre les paysans qui formaient encore la grande majorité de la population insulaire. Ainsi, une grande partie de l'île resta étrangère aux transformations venues du continent. La Sardaigne pastorale des régions conserva son modèle ancestral de production et resta imperméable aux nouvelles idées, et ce, malgré les interventions déclenchées par la législation
favorisant la langue italienne.
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Adversaire de la démocratie, du parlementarisme, de la société libérale, du capitalisme et de la liberté économique, Benito Mussolini appliqua une politique linguistique fasciste fondée sur le «tout-italien» et l'exclusion ou l'interdiction des autres langues. En ce sens, il fit adopter plusieurs lois pour restreindre ou plutôt pour supprimer les droits linguistiques des minorités d'Italie, notamment dans la Vallée d'Aoste (contre le français), dans le Trentin-Haut-Adige, notamment dans la province de Bolzano (contre l'allemand) et dans le Frioul-Vénétie Julienne (contre le slovène et le croate).
En Sardaigne, Mussolini se contenta d'exercer la répression linguistique dans les villes, estimant que la langue sarde était déjà affaiblie. Pour lui, la politique d'assimilation forcée semblait plus nécessaire dans les régions frontalières parce que l'italien y paraissait plus menacé en raison du
fait que des pays voisins partageaient la même langue (selon le cas: le français, l'allemand
ou le slovène). La Sardaigne étant une île, avec une langue parlée nulle part ailleurs, paraissait moins menaçante.
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À partir de 1925, les registres de l'état civil de l'Italie durent être rédigés exclusivement en italien, y compris en Sardaigne. Un décret de la même année, le décret-loi du 22 novembre 1925, n° 2191 (Disposozioni riguardanti la lingua d'ensegnamento nelle scuole elementari), interdit l’enseignement, même facultatif, de toute autre langue que l'italien dans les écoles. Puis le Décret royal du 5 février 1928, n° 577, imposa l'enseignement de l'unique langue italienne, ce qui supprimait l'enseignement des langues minoritaires, donc
de toute autre langue en Sardaigne:
Article 272
À partir de l'année scolaire 1923-1924, dans toutes les premières années des écoles primaires allophones, l'enseignement doit être offert en italien. Au cours de l'année scolaire 1924-1925, même dans les deuxièmes années de ces écoles, l'enseignement doit être en italien. Au cours des années scolaires suivantes, il sera procédé de façon similaire pour les trois années jusqu'à ce que, dans le nombre d'années égal à celui de l'ensemble des cours, dans toutes les classes, l'enseignement soit donné en italien. Jusqu'à ce que le remplacement de la langue d'enseignement soit conforme aux dispositions des paragraphes précédents, aucun instituteur, sauf en cas de nécessité, ne pourra enseigner dans une autre langue que l'italien, à moins qu'il ne soit dûment autorisé. |
Pour Mussolini (1931), l'école devait être un instrument du fascisme:
La scuola italiana in tutti i suoi gradi e i suoi insegnamenti si ispiri alle idealità del Fascismo, educhi la gioventù italiana a comprendere il Fascismo, a nobilitarsi nel Fascismo e a vivere nel clima storico creato dalla Rivoluzione Fascista. |
L'école italienne, dans tous ses degrés et son enseignement, doit être basée sur les idéaux du fascisme, éduquer la jeunesse italienne en lui inculquant le fascisme, s'ennoblir par le fascisme et vivre dans un climat historique créé par la révolution fasciste. |
L'article 1er du décret-loi royal du 15 octobre 1925, n° 1796, interdit aussi l'emploi d'une autre langue que l'italien dans les tribunaux:
Article 1er
1) Dans toutes les affaires civiles et pénales qui sont traitées dans les tribunaux du royaume, l'italien doit être exclusivement employé.
2)
La présentation des demandes, des actes, des
recours et des écrits généralement rédigés dans une
autre langue que l'italien est considérée comme nulle et
non avenue et ne doit pas empêcher l'entrée en vigueur des dispositions de la
loi.
3) Les procès-verbaux, les rapports d'experts, les actes d'accusation, les décisions et toutes les actions et mesures en général, qui ont un lien quelconque avec la justice civile et pénale et qui sont rédigés dans une autre langue que l'italien sont nuls.
4) Quiconque n'est pas en mesure de comprendre l'italien ne peut pas être inscrit sur les listes des jurés. |
Cette politique linguistique d'interdiction était destinée à supprimer tous les droits linguistiques des minorités, ce qui, selon l'idéologie fasciste, devait nécessairement favoriser l'expansion de l'italien. Évidemment, le fascisme fut une période clé pour la langue italienne. Le régime lança une campagne d’italianisation d'orientation puriste: il fallait bannir les mots étrangers dans la langue italienne. Le rôle principal de l'Accademia d'Italia fut donc de supprimer toute présence de mots exotiques, les «exotismes» (en italien: esotismi). Il faut noter que les interdits du régime fasciste étaient circonscrits à la langue écrite et ne s'appliquaient pas à la langue parlée.
Pour soutenir les campagnes de propagande lexicographique, les médias de la presse écrite et radiophonique furent incités à participer à la cause patriotique italianisante. L'Unione Sarda, fondée en 1889 et imprimée à Cagliari, est devenue en Sardaigne l'instrument le plus efficace de la propagande fasciste dans le sud de l'île. Avec l'avènement de la radio, la langue italienne cessait d'être une langue écrite et littéraire destinée à l'élite. Diffusée auprès du peuple, la langue italienne devenait une langue nationale orale. La radio proposait un modèle uniforme de prononciation; elle pratiquait aussi un langage nouveau, concis, mais dépouillé, dépourvu de termes savants, désuets ou recherchés. Même les annonceurs à la radio et plus tard à la télévision durent suivre des cours d'italien pour utiliser la bonne prononciation sans influence dialectale et, dans de nombreux cas, ils durent s'inscrire à des cours particuliers de phonétique et d'orthoépie. Pendant que la langue italienne «se modernisait», la langue sarde conservait ses particularités distinctives qui la rendaient «archaïsante». L'arrivée du cinéma devint également un grand diffuseur de l'italien standard. Le rôle du cinéma fut d'autant plus important qu'à l'époque une bonne partie de la population adulte était encore analphabète et n'avait accès ni à la presse écrite ni à l'école.
Sous le régime fasciste, grâce à l'avènement de la radio et du cinéma (plus tard de la télévision), l'italien officiel se
fit entendre dans toutes les régions de l'Italie, sans compter que l'apprentissage obligatoire de l'italien dans les écoles contribua
aussi à assurer la connaissance de cette langue. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les Italiens, y compris les habitants de la Sardaigne, avaient été mis en contact avec l'italien officiel. Au cours de cette période, de nombreux termes sardes furent éliminés dans les noms de lieux locaux pour être remplacés par des mots italiens. La
«désardisation» était commencée et n'allait plus s'arrêter.
4.4 La région autonome
En 1948, après la Seconde Guerre mondiale, quatre régions autonomes à statut spécial furent créées: la Sardaigne, la Sicile, le Trentin-Haut-Adige et la Vallée d'Aoste; en 1963, le Frioul-Vénétie Julienne fut ajouté. Ce sont là des régions où s'étaient manifestées de fortes tendances autonomistes. Les articles 114 et 116 de la Constitution italienne reconnaissaient ce statut spécial aux régions du Trentin-Haut-Adige/Südtirol, du Frioul-Vénétie Julienne, de la Sardaigne, de la Sicile et de la Vallée d'Aoste:
Article 114
1. La République se compose des Communes, des Provinces, des Villes métropolitaines, des Régions et de l’État.
2. Les Communes, les Provinces, les Villes métropolitaines et les Régions sont des entités autonomes ayant un statut, des pouvoirs et des fonctions propres, conformément aux principes établis par la Constitution.
3. Rome est la capitale de la République. Son statut est réglé par la loi de l’État.
Article 116
1. Le Frioul-Vénétie Julienne, la Sardaigne, la Sicile, le Trentin-Haut Adige/Südtirol et la Valle d'Aosta/Vallée d'Aoste disposent de formes et de conditions particulières d'autonomie, conformément à leurs statuts particuliers respectifs, adoptés par loi constitutionnelle.
2. La région autonome du Trentin-Haut Adige/Südtirol se compose des provinces autonomes de Trente et de Bolzano.
3. Des formes et des conditions particulières ultérieures d'autonomie concernant les matières visées au troisième paragraphe de l’article 117 et les matières visées au deuxième paragraphe dudit article aux alinéas l), pour ce qui est de l'organisation de la justice de paix, n) et s), peuvent être attribuées, par la loi de l’État, à d'autres Régions, à l'initiative de la Région intéressée, après avoir reçu l'avis des collectivités locales, dans le respect des principes fixés par l'article 119.
4. Ladite loi est adoptée par les Chambres à la majorité absolue de leurs membres, sur la base d’une entente entre l'État et la Région intéressée. |
La Sardaigne avait obtenu son Statut d’autonomie en 1948, mais celui-ci ne contenait aucune disposition linguistique. Depuis le début des années 1970, des mouvements autonomistes sardes ont maintes fois tenté de réclamer auprès de Rome des droits linguistiques. Les Sardes
nationalistes n'ont pas cessé de réclamer un statut qui, d’une part, les reconnaîtrait comme une minorité linguistique, d’autre part, ferait du sarde la langue nationale de l’île et l'une des langues co-officielles avec l’italien.
Pendant plusieurs décennies, une bonne demi-douzaine de projets de loi ont été présentés pour rendre le sarde co-officiel, mais aucun n'a été adopté, les partis politiques ne s'étant jamais entendus sur un seul des projets proposés.
Dès lors, la langue sarde devenait un instrument de combat, les défenseurs de cette langue
constatant qu'avec la modernisation le sarde était en danger. Ils réussirent à faire introduire des études sur la langue dans les deux universités de la Région, soit à Cagliari, la capitale, et à Sassari.
Ces établissements devinrent très rapidement des leviers indispensables pour les
nationalistes.
Quant au gouvernement central, il revendiquait le droit exclusif de traiter des questions linguistiques; il continuait à s'opposer aux décisions du gouvernement régional qui préconisait la reconnaissance de la langue sarde à égalité avec l'italien. Certaines élites sardes espéraient que l’Union européenne prenne en compte la spécificité des régions périphériques et insulaires comme la Sardaigne. La spécificité culturelle de cette
région semblait de fait être mise en valeur par une partie de la population insulaire au moment même où la langue sarde régressait pendant que l’élite politique locale réclamait un nouveau statut d’autonomie.
Dans les faits, il n'y a jamais eu de réelle volonté politique pour régler la question linguistique en Sardaigne jusqu'à l'adoption de la Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26, sur la promotion et la valorisation de la culture et de la langue de la Sardaigne. Mais cette loi était assujettie aux contraintes imposées par Rome qui conservait la main haute sur la politique linguistique en Sardaigne, notamment par la Loi du 15 décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques).
4.5 Le transfert des compétences linguistiques à la Région
Ce n'est que deux décennies plus tard que le gouvernement italien consentit à transférer ses pouvoirs en la matière à la Région de Sardaigne: Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16, sur le transfert de fonctions en matière de protection linguistique et de la culture des minorités linguistiques historiques dans la région. Finalement, l'année suivante, la Région — le Conseil régional — adoptait la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22 sur la politique linguistique régionale.
Cette loi de 2017-2018 réglementant la langue sarde et les autres langues parlées dans l'île (catalan, gallurien, sassarien et le tabarquin) a été adoptée avec 25 voix pour et 20 voix contre. La loi ouvre la voie à une administration publique bilingue, comme cela se produit déjà dans d'autres communautés linguistiques mieux protégées, à commencer par la Vallée d'Aoste et la province de Bolzano.
La loi permet d'enseigner l'histoire de la langue sarde dans les écoles. De plus, des contributions financières aux médias et
à la production d'outils informatiques sont prévues, afin de favoriser la naissance d'une télévision et d'une radio en
langue sarde. L'organisme central créé par la loi est la Consulta de su sardu qui aura la tâche de proposer une norme linguistique et une norme orthographique. L’adoption de cette loi répond à une urgence et
pas seulement à une simple mesure de protection de l’identité sarde.
Au cours des dernières décennies, l'emploi du sarde a régressé et de plus en plus de jeunes ne connaissent pas
une langue présumée maternelle et sont évidemment incapables de la parler. Le but de la loi est de limiter ce phénomène de régression en s’appuyant avant tout sur son enseignement dans les écoles. L’Unesco, pour sa part, considère que le sarde est une langue en danger.
5 Un statut juridique ambigu
La Sardaigne est donc restée depuis 1948 une région autonome dont la seule langue officielle est l’italien, alors que 81 % des habitants parlent le sarde
ou l'une de ses variétés. Les Sardes n'ont toujours bénéficié que d'une faible protection juridique à cet effet,
du moins jusqu'en 2017. Il suffit de consulter à la fois la législation nationale et la législation régionale pour s'en rendre compte.
5.1 La législation nationale
Dans la loi nationale du 15 décembre 1999, n° 482, intitulée Norme in materia di tutela delle minoranze linguistiche storiche (en français: Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques), le premier paragraphe de l’article 1er rappelle que «la langue officielle de la République est l’italien».
Le second paragraphe énonce que «la République, qui valorise le patrimoine linguistique et culturel de la langue italienne, fait la promotion et la valorisation des langues et des cultures protégées» :
Article 1er
1) La langue officielle de la République est l'italien.
2) La République, qui valorise le patrimoine linguistique et culturel de la langue italienne, fait la promotion et la valorisation des langues et des cultures protégées par la présente loi. |
L’article 2 est plus explicite, car il énumère les minorités touchées par la loi, dont le sarde et le catalan:
Article 2
En vertu de l'article 6 de la Constitution et en harmonie avec les principes généraux établis par les organisations européennes et internationales, la République protège la langue et la culture des populations albanaise, catalane, germanique, grecque, slovène et croate, et de celles qui parlent le français, le franco-provençal, le frioulan, le ladin, l'occitan et le sarde. |
Il semble clair que le catalan et le sarde sont expressément nommés
dans la liste des langues protégées. Cette loi de 1999 prévoit les mêmes règles d’application minimale que la loi de 1991 (Décret du président de la République du 20 novembre 1991) en matière de protection linguistique. Il faut, d’une part, qu’une minorité forme au moins 15 % de la population d’une municipalité, d’autre part, que le Conseil provincial et le tiers au moins des conseillers municipaux aient approuvé majoritairement la procédure d’adoption prévue par la loi.
En ce qui concerne la Sardaigne, l’application de la loi est laissée à l’initiative des communes. Pour le moment, il semble que seule la municipalité d’Alghero ait pris des mesures timides pour promouvoir la langue locale, le catalan d'Alghero. Dans les faits, la loi nationale du 15 décembre 1999, n° 482, ne reconnaît pas le sarde dans la vie publique de la Région autonome, tant dans le domaine administratif que judiciaire. D'ailleurs, jamais la loi ne fait référence au sarde dans les écoles publiques, l'affichage, l'administration publique, le monde du travail, etc. Ce serait le tollé chez les Romains! C'est une loi incitative, pas du tout coercitive! Ainsi, le paragraphe 2 de l’article 1er du Décret du président de la République du 20 novembre 1991, aujourd'hui abrogé, se lit comme suit: «La République protège la langue et la culture des populations frioulane et sarde.»
Article 1er [abrogé]
1) La République protège la langue et la culture des populations d'origine albanaise, catalane, germanique, grecque, slave et bohémienne ainsi que de celles qui parlent le ladin, le français, le franco-provençal et l'occitan.
2) De plus, la République protège la langue et la culture des populations frioulane et sarde. |
C'est vraiment fort peu, dans la mesure où un tel libellé risque de demeurer un vœu pieux! De toute façon, ce décret a été abrogé depuis l'adoption de la loi n° 482 du 15 décembre 1999 (Norme in materia di tutela delle minoranze linguistiche storiche).
Depuis 2016, un "decreto legislativo" approuvé par le Parlement italien,
répétons-le, a transféré les compétences en matière de protection linguistique à la Région de Sardaigne. Il s'agit de l'article 2 du Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16, qui autorise le Conseil régional sarde à disposer des articles 9 et 15 de la Loi du 15 décembre 1999, n° 482 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques).
Cette délégation des pouvoirs en matière de langue est fondamentale, car dorénavant la Sardaigne a la
possibilité de légiférer dans ce domaine, sauf que cette mesure aurait dû être
appliquée en 1948, pas en 2016.
5.2 La législation régionale
En 1993, le Conseil régional avait adopté la Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26, sur la promotion et la valorisation de la culture et de la langue de la Sardaigne (en italien: Tutela e valorizzazione della cultura e della lingua della Sardegna). Par exemple, à l’article 2, la loi précisait ce qu’on doit entendre par la valorisation de la culture et de la langue sardes: tout est lié à l’histoire,
à la tradition populaire, à la production littéraire écrite et orale, à l’expression artistique et musicale, etc. Bref, du folklore, rien de solide comme protection juridique!
En 2017-2018, ce fut l'adoption de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22 sur la politique linguistique régionale. Cette loi a été élaborée par la Junte régionale selon trois grands objectifs intimement liés:
1. réactiver la transmission intergénérationnelle des compétences linguistiques;
2. fournir la réglementation appropriée pour les compétences transférées de l'État italien à la Région de Sardaigne, à la suite du Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16;
3. garantir un statut officiel à la langue sarde et vaincre la stigmatisation négative qui accompagne ce parler pour qu'il redevienne «la langue de l'avenir» et le facteur central de tout modèle de développement.
L'article 30 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, abroge les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 23, 24, 26 et 27 de la Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26. Bref, la loi de 1997 se trouve abrogée dans sa quasi-totalité,
par exemple l'article 1er de la Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26, qui précisait ce qui suit sur les finalités de la loi précédente:
Article 1er (abrogé)
Finalités
1) La Région autonome de la Sardaigne assume l'identité culturelle du peuple sarde comme un bien principal à valoriser et à promouvoir, et détermine dans son évolution et dans sa croissance la fondation fondamentale de toute intervention destinée à développer le progrès personnel et social, le progrès du développement économique et de l'intégration interne, et à édifier une Europe fondée sur la diversité des cultures régionales.
2) À cette fin, il garantit, défend et valorise l'expression libre et multiforme des identités, besoins, langages et productions culturelles en Sardaigne, conformément aux principes inspirés par le Statut spécial. |
L'article 9 de la loi
n° 2 portant sur le «Catalogue
général
du patrimoine culturel de la Sardaigne» demeure l'un des rares articles à
avoir survécu.
5.3 La promotion de l'identité linguistique
L'article 1er de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, considère «l'identité linguistique du peuple sarde comme un bien primordial»:
Article 1er
Principes
1) La Région considère l'identité linguistique du peuple sarde comme un bien primordial et
soutient dans son affirmation l'hypothèse de tout progrès personnel et social.
2) La Région fonde sa politique linguistique sur les principes de transparence, l'éthique publique, la participation démocratique, la planification, la rationalisation, l'efficacité et l'efficience. |
Ce premier article donne le ton à la loi: les langues des minorités historiques de la Sardaigne ne
donnent pas lieu à un droit, mais à une affirmation de l'identité linguistique des Sardes. La loi ne confère aucun statut d'officialité — quoi qu'on en dise — à quelque langue que ce soit, même pas à l'italien qui
jouit de ce statut sans avoir besoin de la loi régionale. D'ailleurs, l'article 2 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, énonce que toutes ces langues «font partie du patrimoine immatériel de la Région qui adopte toutes les mesures utiles pour leur protection, leur valorisation, leur promotion et leur diffusion»:
Article 2
Objet, but et champ d'application
1) La langue sarde, le catalan d'Alghero et le gallurien, le sassarien et le tabarquin font partie du patrimoine immatériel de la Région qui adopte toutes les mesures utiles pour leur protection, leur valorisation, leur promotion et leur diffusion.
2) La présente loi régit les compétences de la Région en matière de politique linguistique. En particulier, elle contient:
a) des mesures visant à protéger, à promouvoir et à améliorer les langues sarde et catalane d'Alghero; b) des mesures visant à promouvoir et à renforcer le sassarien, le gallurien et le tabarquin; c) les modalités de l'enseignement également en italien de l'histoire, de la littérature et d'autres disciplines liées à la Sardaigne.
3) Les interventions visées au paragraphe 2 ont les objectifs suivants:
a) promouvoir la croissance et la diffusion des langues dans la société, dans les institutions et dans les médias; b) soutenir l'éducation plurilingue dans les écoles de tous les niveaux; c) favoriser la réactivation de la transmission intergénérationnelle des compétences linguistiques. |
Dans cette perspective, l'adoption de mesures utiles pour assurer la protection, la valorisation, la promotion et la diffusion des langues ne correspond qu'à des vœux pieux à défaut de les transformer en droits pour les citoyens et d'accorder un statut formel de co-officialité. Nulle part dans la loi, on
ne peut lire une déclaration du genre de celle qu'on trouve à l'article 38 du Statut spécial de la Vallée d'Aoste: «La langue française et la langue italienne sont à parité en Vallée d'Aoste.» Selon la législation en vigueur dans la Vallée d'Aoste, l’administration régionale est officiellement bilingue. Ainsi, les citoyens de la Vallée ont le droit de communiquer oralement ou par écrit en français avec l’administration locale et l’administration centrale dont le bureau est installé dans la région. Rien de tel en Sardaigne! On ne trouve pas dans la loi régionale de la Sardaigne un énoncé qui affirmerait que le sarde est officiel avec l'italien.
5.4 La langue de la justice
En matière de justice, l’italien reste la langue de l’État, qui refuse tout document rédigé dans une autre langue que l’italien. Le sarde est une langue employée très occasionnellement dans un tribunal, notamment lorsque, dans un interrogatoire, toutes les parties impliquées parlent le sarde. Cet usage, par ailleurs peu fréquent et généralement limité aux tribunaux ruraux, ne correspond pas à un droit reconnu, mais à une simple pratique tolérée et strictement occasionnelle. Le juge, de toute façon, doit rendre sa sentence en italien puisque le sarde n’est pas officiellement permis. Quoi qu’il en soit, tous les Sardes parlent l’italien (dans une proportion d'au moins 90 %).
La loi régionale ne traite donc pas de cette question qui ne
relève pas du tout de sa juridiction, mais de celle de l'État italien.
5.5 Les services publics
Lorsqu'il s'agit de services publics assurés par le gouvernement central, l'italien est forcément de mise et la seule langue employée avec les citoyens.
Or, la situation est exactement la même avec les services publics donnés par la Région. Les Sardes ne bénéficient officiellement d'aucun service administratif dans leur langue. Cependant, les fonctionnaires locaux, tous des Sardes, utilisent fréquemment le sarde lorsque leurs concitoyens s’adressent à eux dans cette langue, une question de simple bon sens, pas de droit. Évidemment, les documents officiels ne sont rédigés qu’en italien.
Dans le domaine de l'administration, l'article 10 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, prévoit la présence dans les bureaux publics d'un personnel apte à répondre aux demandes du public dans les langues des minorités historiques (sarde, catalan, sassarien, gallurien, tabarquin):
Article 10
Réglementation des fonctions administratives
1) La Région, en application de l'article 3 du décret législatif n° 16 de 2016, réglemente l'exercice des fonctions administratives liées à la mise en œuvre des dispositions des articles 9 et 15 de la loi n° 482 de 1999 en faveur de la langue sarde et du catalan d'Alghero, définis comme langues des minorités historiques au sens de l'article premier de la même loi, concernant:
a) la présence dans les bureaux publics d'un personnel apte à répondre aux demandes du public dans les langues des minorités historiques;
b) la possibilité, pour les membres des organismes collégiaux électifs, d'intervenir dans les langues des minorités historiques, selon les procédures définies par leurs statuts et règlements respectifs, et de garantir la présence de personnel qualifié afin de garantir, en même temps, à ceux qui déclarent ne pas connaître les langues des minorités historiques, la traduction en italien;
c) la publication de documents officiels et de documents de l'État, de la Région et des autorités locales devant être traduits dans les langues des minorités historiques, sans préjudice de la valeur légale exclusive du texte italien. |
Non seulement cela fait beaucoup de langues dont il faut tenir compte (sarde, sassarien, gallurien, tabarquin, catalan), mais qu'arrive-t-il s'il n'y a pas de personnel apte à répondre aux demandes du public dans ces langues? Ces services concernent-ils toute l'île? Y a-t-il des pénalités en cas de non-respect? La loi ne le prévoit pas, pas plus qu'elle ne précise s'il s'agit du sarde logoudorien ou du sarde campidanien, ou des deux!
- Les bureaux d'aide linguistique
L'article 11 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, prévoit un réseau de «bureaux linguistiques» (Ofitzios de su sardu):
Article 11
Bureaux linguistiques (Ofitzios de su sardu)
1) La Région, afin d'assurer une mise en œuvre généralisée et uniforme des articles 9 et 15 de la loi n° 482 de 1999, est dotée d'une organisation administrative articulée sur le territoire régional. À cette fin, elle crée un réseau de bureaux linguistiques comprenant un bureau linguistique régional, dont un à Alghero, un à Sassari, un à Gallura et un à Carloforte avec un maximum de 10 bureaux linguistiques exerçant une activité de coordination territoriale (Ofitzios de su sardu) et offrant des services à plusieurs municipalités. |
Il s'agit de bureaux d’aide linguistique pour les activités de traduction écrite et orale dans l'administration, la formation du personnel en service, le soutien aux activités de communication et de promotion institutionnelles (notamment dans la création de sites Web multilingues), les activités de tutorat dans les écoles pour l'enseignement, l'assistance et les conseils, y compris sur l’utilisation de la norme orthographique, en faveur des entités publiques et privées, la prise en charge pour l’offre de cours destinés aux citoyens et le soutien aux entreprises pour l'utilisation dans la communication et les espaces publics. Ces bureaux doivent être installés dans les bâtiments des administrations provinciales.
- La langue dans les services publics
L'article 12 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, correspond à des mesures de valorisation, non à des prescriptions juridiques qui accorderaient aux citoyens, comme dans la Vallée d'Aoste, le droit de communiquer oralement ou par écrit dans les langues mentionnées dans la loi sarde:
Article 12
Emploi de la langue dans les services publics du système régional et dans la communication institutionnelle
1) Aux fins visées au paragraphe 1 de l'article 10, la Région encourage et soutient l'emploi des langues des minorités historiques dans les services publics du système régional visés au paragraphe 2 de l'article 1 de la loi régionale n° 31 de 1998 et favorise le bilinguisme dans les communications institutionnelles.
2) En particulier, les administrations du système de région doivent assurer la traduction, avec la même importance graphique que l'italien dans les cas suivants:
a) les armoiries officielles et toutes leurs reproductions destinées à la communication interne et externe; b) la rédaction des actes et des documents publiés d'une importance particulière, sans préjudice de la valeur juridique exclusive des documents dans le texte italien; c) la désignation des organismes et des structures organisationnelles du système régional; d) les sites Web et les communication au moyen des réseaux sociaux. |
En réalité, la loi régionale de 2017 n'accorde pas des
droits linguistiques aux citoyens, mais aux organismes publics. Pour les
citoyens, la loi encourage et soutient la langue des minorités historiques, ce
qui est bien loin du droit d'employer sa langue dans les services publics.
- Les certifications linguistiques
L'article 9 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, attribue des «certifications linguistiques» à ceux et
à celles qui prouvent leur connaissance de la langue:
Article 9
Certification linguistique
1) La connaissance de la langue est attestée par la certification linguistique émise par des personnes autorisées, publiques et privées.
2) À cette fin, une liste spéciale des personnes autorisées à émettre les certifications est établie à la présidence de la Région.
3) La Région doit, en accord avec les études de l'Université de la Sardaigne et les instituts sur la culture et la langue catalane qualifiés, appliquer à la langue sarde et au catalan d'Alghero les critères de certification du
Cadre
européen commun de référence pour les langues (CECRL). |
La loi ne précise pas à qui on donne de tels certificats, si
c'est aux citoyens ou aux fonctionnaires. Or, le fait d'attribuer de telles «certifications linguistiques» n'est
rien d'autre que de fournir un papier administratif sans grande valeur dans la vie quotidienne, si ces
certifications ne donnent pas accès, par exemple, à un meilleur emploi ou à une
meilleure rémunération.
- La toponymie
L'article 13 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22,
appuie le rétablissement des dénominations en langue sarde dans les municipalités, les rues, les places, les hameaux et les localités, mais ce n'est pas une obligation:
Article 13
Toponymie et conception des affiches
1) Conformément à l'article 10 de la loi n° 482 de 1999, la Région soutient, conformément aux traditions et aux coutumes locales, la recherche et le rétablissement des dénominations en langue sarde dans les municipalités, les rues, les places, les hameaux et les localités en général, ainsi que la préparation de la signalisation verticale bilingue correspondante.
2) Aux fins visées au paragraphe 1 et en collaboration avec les autorités locales, la Région veille à la reconnaissance et au catalogage du patrimoine historique linguistique et toponymique, ainsi qu'à la préparation et à la diffusion de l'atlas linguistique et toponymique de la Sardaigne.
3) Le nom officiel en langue sarde, à ajouter à la dénomination en italien, doit être approuvé par les autorités locales à la suite d'un accord avec la Région.
4) La toponymie et les noms catalans officiels d'Alghero doivent être approuvés par l'administration municipale d'Alghero. |
|
Il est vrai que la toponymie dans l'île de Sardaigne est massivement
en italien, alors que les influences linguistiques sont très diverses. Bien que la base lexicale du sarde soit en grande partie d'origine latine, la toponymie sarde conserve encore des traces des langues parlées par les anciens Sardes d'avant la conquête romaine, à tel point que les noms de lieux témoignent encore
d'étymologies proto-sardes et, dans une moindre mesure, phénico-puniques. Au Moyen Âge, la langue sarde a
subi des influences gréco-byzantines, ligures, toscanes, catalanes, castillanes et finalement italiennes. Dans les faits, la plupart des toponymes ont été italianisés plutôt que sardisés.
En Sardaigne, le visage linguistique reste essentiellement italien. Il existe aujourd'hui de rares affiches bilingues en sarde et en italien, dont celle de gauche avec le sarde en haut et l'italien en dessous. Les commerçants n'affichent jamais en sarde. Les poteaux indicateurs, les affiches publiques et les panneaux publicitaires apparaissent entièrement en italien, sauf de façon très occasionnelle où le sarde peut trouver une petite place. |
L'un des problèmes majeurs dans l'affichage linguistique demeure cependant l'absence d'une orthographe unifiée et d'une toponymie standardisée.
Aucune initiative n'a pu être entreprise ni avec l'Azienda Nazionale Autonoma delle Strade ou ANAS ("Société nationale autonome des routes"), ni avec les provinces administrant le réseau routier régional.
- La norme orthographique
L'article 8 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22,
désigne l'organisme chargé de créer une norme orthographique à laquelle le support de la région est subordonné.
Il s'agit de la "Consulta de su sardu", dont le nom officiel est uniquement en
langue sarde, qui désigne une sorte d'office ou de conseil de la langue sarde :
Article 8
Consulta de su sardu
1) Afin de garantir la participation la plus large de la communauté régionale, la "Consulta de su sardu", ci-après dénommée "Consulta", est créée pour la définition de l'orthographe de la langue sarde.
4) La Consulta doit élaborer une proposition de norme linguistique et orthographique en sarde et la mettre à jour. La proposition doit prendre en compte les macro-variétés historiques et littéraires du campidarien et du Logoudorien, les discussions
menées au sein des communautés locales, les normes de référence adoptées par la Région à des fins expérimentales pour la langue écrite de l'Administration régionale et les résultats de ses expériences, les domaines et le calendrier proposés pour son application et les éléments de vérification de son efficacité. |
La loi définit également une norme linguistique «administrative» pour les documents
émanant du système régional (Conseil régional, Junte régionale, conseillers, administrations locales, agences régionales et instituts). La norme linguistique devrait indiquer les formes lexicales à adopter, lesquelles sont symboliquement représentatives de la Sardaigne pour les actes officiels. Les autorités locales, les écoles, les associations et les particuliers ne seront tenus que d’adopter la norme orthographique. Tous sont libres de choisir la norme linguistique, mais il est possible de choisir la norme régionale, l'une des variétés littéraires historiques ou d'autres normes locales. Bref, la liberté est totale,
d'où le risque de ne pas en adopter.
5.6 L'éducation
L'italien est la langue de l’éducation à tous les niveaux depuis la loi Casati du 13 novembre 1859. L'enseignement primaire compte deux cycles. Le programme du premier cycle comprend les matières obligatoires suivantes: l'enseignement religieux, la lecture, l'écriture, l'arithmétique élémentaire, la langue italienne, les notions élémentaires du système métrique. Il faut
être âgé de six ans pour être inscrit dans une école primaire du premier cycle. Cette instruction élémentaire est obligatoire et donnée gratuitement dans toutes les municipalités ou communes, tant aux filles qu'aux garçons. Le système d'éducation sarde est régi par les lois italiennes et reflète donc le modèle pédagogique national.
Depuis 1985, l’État italien a reconnu aux Sardes le droit d’apprendre la langue locale au primaire ainsi qu’au premier cycle du secondaire. En l’absence d’une législation officielle, le gouvernement régional de la Sardaigne s'est engagé dans une politique éducative de prise en compte de la langue sarde dans l'éducation de base «en vue d'une meilleure acquisition de l'italien national» dont l'usage reste généralisé dans la sphère publique.
L'article 17 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, impose aux établissements d'enseignement primaire et secondaire d'insérer, dans l'horaire prévu au programme, un enseignement des langues des minorités historiques, selon des modalités spécifiques à chaque ordre et niveau scolaire:
Article 17
Enseignement et utilisation des langues véhiculaires
1) En vertu de l'article 4 de la loi n° 482 de 1999 concernant les écoles maternelles, les écoles primaires et les écoles secondaires de premier niveau situées dans les municipalités délimitées conformément au paragraphe 5 de l'article 2, les établissements d'enseignement doivent insérer au parcours éducatif linguistique, dans l'horaire prévu au programme, l'enseignement des langues des minorités historiques ainsi que l'enseignement des langues des minorités historiques dans toutes les matières du programme, selon des modalités spécifiques correspondant à chaque ordre et niveau scolaire.
2) La Région doit promouvoir dans les établissements d'enseignement secondaire des minorités historiques les langues de ces minorités historiques dans toutes les matières du programme, dans le cadre de l'amélioration de l'offre éducative visée dans la loi du 13 juillet 2015, n° 107 (Réforme du système national d'éducation et de formation et délégation pour la réorganisation des dispositions législatives en vigueur). |
La loi ne précise pas ces langues selon les municipalités concernées, ni le nombre d'heures à consacrer à cette activité pédagogique. L'article 20 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, traite du personnel enseignant en précisant que les activités pédagogiques doivent être exercées par des enseignants ayant au moins une connaissance de la langue de niveau passablement avancé de type C1, et certifiée. Le problème, c'est le manque de personnel qualifié pour enseigner ces langues parce qu'il n'existe pas encore d'écoles de formation à cet effet!
L'article 19 de la même loi prévoit des ateliers pédagogiques parascolaires dans les langues de l'île:
Article 19
Ateliers pédagogiques parascolaires en langue sarde
1) La Région soutient, dans les écoles de tous les niveaux, la mise en place d'ateliers pédagogiques en dehors des heures de cours, dans lesquels les activités se déroulent en sarde, en catalan d'Alghero, en sassarien, en gallurien et en tabarquin. Les laboratoires peuvent également être ouverts aux familles des élèves. |
Dans les écoles maternelles, les enfants sardes apprennent l’italien, alors qu'ils parlent presque tous le sarde ou une langue dite «des minorités historiques». Il n'existe aucune école primaire de langue sarde, mais les cours de sarde sont autorisés, encore en dehors des heures de classe, aux élèves dont les parents en ont fait la demande formelle. Cependant, lorsque les élèves suivent ces cours, ils ne peuvent pas
ordinairement bénéficier de manuels rédigés en sarde. La situation est exactement la même dans
les écoles secondaires. Seulement un petit nombre d’écoles enseignent le sarde sur une base facultative, tandis que cette langue est totalement absente dans le domaine de la formation professionnelle.
L’enseignement du sarde présente de nombreuses difficultés, amplifiées par la fragmentation du groupe linguistique sarde et par une hiérarchisation sociale des variétés du répertoire, le campidanien étant plus favorisé. S’ajoute à cela la pénurie de professeurs formés pour enseigner le sarde. De plus, il faut considérer que l’insertion d’heures supplémentaires dans le programme scolaire déjà dense pourrait engendrer une forme de rejet de la part des élèves. Avec tous ces problèmes, il n’est pas surprenant que la plupart des objectifs dans l’enseignement du sarde n’ont jamais été atteints.
Pour le moment, la seule issue possible, voire nécessaire, serait de passer d'une scolarisation unilingue en italien à une scolarisation bilingue en italien et en sarde, afin de redonner une certaine dignité à la langue sarde, de valoriser le patrimoine linguistique et culturel des Sardes et de maintenir leur identité comme insulaires. Sans croire qu'un jour le sarde pourrait prétendre supplanter l’italien, l’école peut contribuer à la reconnaissance du sarde par une formation scolaire
réellement multilingue.
La formation universitaire de base en Sardaigne atteint un bon niveau grâce aux universités de Cagliari (environ 30 000 étudiants) et de Sassari (11 000 étudiants), la deuxième ville de l'île, située au nord. Les cours se donnent tous en italien, sauf les cours spécialisés en langue étrangère.
Il est cependant à déplorer que la plupart des diplômés finissent par quitter l'île pour le continent.
5.7 Les médias
Dans les médias, il n’existe aucun quotidien ni aucun périodique en langue sarde. Il est vrai que certaines publications, telles que les revues La grotta della vipera, Sa Sardigna, Su Populu Sardu et Sa Republica encouragent leurs collaborateurs à rédiger certains essais en langue sarde. Cependant, ces quelques tentatives ne changent pas grand-chose au caractère essentiellement italien de ces revues. De plus, dans les
textes composés en sarde, on trouve souvent des réflexions portant sur le langage concernant cet usage inhabituel et peu commode d'une langue qui normalement ne sert que pour la communication orale ou pour la poésie.
Certains journaux en langue italienne diffusent parfois des articles rédigés en
sarde. Le problème de la forme linguistique à employer devient ainsi plus important aux yeux de la personne qui écrit que le message lui-même qu'elle veut transmettre.
L'emploi du sarde à la radio et à la télévision reste rarissime et réservé à la publicité commerciale, mais certaines stations locales privées diffusent des émissions en sarde. TeleAzzura de Nuoro, chef-lieu de la province du même nom, diffuse une demi-heure de sarde par jour. TeleSardegna de Nuoro diffuse une heure par jour en sarde, en plus
de quelques émissions culturelles. Le décret législatif n° 177 de 2005 imposait dans son article 7 à tout concessionnaire de services publics la production d'œuvres audiovisuelles européennes réalisées par des producteurs indépendants, afin de promouvoir la langue et la culture italiennes, et de préserver l'identité nationale:
Decreto legislativo n. 177/2005 Testo unico dei servizi di media audiovisivi e radiofonici
Articolo 7.
Principi generali in materia di informazione e di ulteriori compiti di pubblico servizio nel settore dei servizi di media audiovisivi e radiofonici
4) Il presente testo unico individua gli ulteriori e specifici compiti e obblighi di pubblico servizio che la società concessionaria del servizio pubblico generale radiotelevisivo è tenuta ad adempiere nell'àmbito della sua complessiva programmazione, anche non informativa, ivi inclusa la produzione di opere audiovisive europee realizzate da produttori indipendenti, al fine di favorire l'istruzione, la crescita civile e il progresso sociale, di promuovere la lingua italiana e la cultura, di salvaguardare l'identità nazionale e di assicurare prestazioni di utilità sociale.
Articolo 45.
Definizione dei compiti del servizio pubblico generale radiotelevisivo.
2) Il servizio pubblico generale radiotelevisivo, ai sensi dell'articolo 7, comma 4, comunque garantisce:
f) la effettuazione di trasmissioni radiofoniche e televisive in lingua tedesca e ladina per la provincia autonoma di Bolzano, in lingua ladina per la provincia autonoma di Trento, in lingua francese per la regione autonoma Valle d'Aosta e in lingua slovena per la regione autonoma Friuli-Venezia Giulia; |
Décret législatif n° 177/2005 Texte unique des services de médias audiovisuels et radiophoniques
Article 7
Principes généraux concernant l'information et d'autres tâches de service public dans le domaine des services des médias audiovisuels et radiophoniques
4) La présente loi codifiée définit les tâches et les obligations supplémentaires et spécifiques du service public que le concessionnaire d'un service grand public de radiodiffusion et de télévision doit remplir dans le cadre de sa planification globale, même si elle n’est pas informative, y compris la production d'œuvres audiovisuelles européennes réalisées par des producteurs indépendants, dans le but de favoriser l'éducation, la croissance civile et le progrès social, afin de promouvoir la langue et la culture italiennes, de préserver l'identité nationale et de garantir des avantages sociaux.
Article 45
Définition des tâches du service de radiotélévision grand public
2) En vertu du paragraphe 4 de l’article 7, le service de radiotélévision grand public garantit toutefois:
f) la réalisation d'émissions de radio et de télévision en langues allemande et ladine pour la province autonome de Bolzano, en langue ladine pour la province autonome de Trento, en langue française pour la région autonome de la Vallée d'Aoste et en slovène pour la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne; |
Bref, le décret ne prévoyait pas d'émissions en langue sarde, mais uniquement des émissions de radio et de télévision en langues allemande et ladine pour la province autonome de Bolzano, en langue ladine pour la province autonome de Trento, en langue française pour la région autonome de la Vallée d'Aoste et en slovène pour la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne.
Toutefois, en 2017, la Région de Sardaigne et la RAI (la radiotélévision nationale italienne) ont trouvé un accord pour assurer un certain nombre d'heures d'émissions en sarde. Un horaire comprenant un espace régional sur Radio 1 et une émission de télévision sur Rai 3 peut garantir 344 heures d'émissions de radio, dont 144 en sarde.
Depuis quelques années, le Service de la langue et de la culture sardes ("Servizio lingua e cultura sarda") de la Région publie la liste des stations de radio en Sardaigne qui bénéficient d'un financement pour la création d'émissions radiophoniques en langue sarde. Voici
les stations de radio qui reçoivent un tel financement variant entre 1,4 million
et 2 millions de dollars US:
- Radio Nuoro Centrale - (Radio Nuoro Centrale Srl) > 18.167,82
€
- Radio Cuore - (Radio Cuore di Dessì M.L. & C. Sas) > 18.167,82 €
- Radio Sintony - (Radio Sintony
- Studio 101 Sas) > 17.342,01 €
- Radio Macomer Centrale - (Radio Macomer Centrale Snc)
> 15.415,13 €
- Radio Press - (Deltamedia) > 13.213,61 €
- Radio X - (Radio X Srl)
> 13.213,61 €
La création d'au moins une radio et d'une chaîne de télévision exclusivement
dans les langues des minorités historiques est encouragée. L'article 22 de la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22, prévoit des allocations pour soutenir l'emploi de la langue sarde, du catalan d'Alghero, du sassarien, du gallurien et du tabarquin dans les médias, l'édition, les technologies de l'information et du web.
Article 22
Interventions dans les domaines des médias, de l'édition, de l'informatique et du Web
1) En application des dispositions de l'article 14 de la loi n° 482 de 1999 et pour atteindre les objectifs fixés par la présente loi, la Région soutient et encourage l'emploi de la langue sarde, du catalan d'Alghero, du sassarien, du gallurien et du tabarquin dans les médias, l'édition, les technologies de l'information et du web. |
La Région peut d'ailleurs soutenir les activités des responsables privés
visant la préservation et la promotion de la langue sarde, du catalan d'Alghero, du sassarien, du gallurien et du tabarquin (art. 25 de la
loi régionale n° 22):
Article 25
Soutien aux organismes privés
1) La Région, conformément à l'article 14 de la loi n° 482 de 1999, afin de réaliser les objectifs de la présente loi, soutient les activités des responsables privés ayant pour objet statutaire l'étude, la recherche, la formation, la préservation et la promotion de la langue sarde, du catalan d'Alghero, du sassarien, du gallurien et du tabarquin, en particulier:
a) la diffusion des langues afin également de favoriser la transmission intergénérationnelle; b) la réalisation de projets d'étude et de recherche; c) les activités de formation et de mise à jour permanente; d) la certification linguistique visée à l'article 9.
2) Les destinataires des contributions sont des responsables reconnus et profondément ancrés dans le territoire régional qui peuvent se vanter de mérites particuliers dans la promotion du bilinguisme et qui exercent une activité qualifiée et continue dans les domaines visés au paragraphe 1. La Junte régionale, au moyen d'une résolution approuvée conformément aux modalités prévues à l’article 27, définit les critères d’octroi des contributions. |
La Région mise entièrement sur le volontariat dans l'emploi des langues des minorités historiques. De plus, que ce soit la Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26 (pratiquement abolie) ou la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22,
les deux ont pour objectif la promotion et la valorisation de la culture et des langues de la Sardaigne avec comme résultat qu'il s'agit de législations strictement «culturelles», qui n'accordent que des droits symboliques aux citoyens sardes. La loi de 2017 ne correspond pas à une loi qui accorderait le droit, par exemple, de recevoir des services en sarde dans l'administration judiciaire et dans l'administration publique, et de recevoir son instruction dans cette même langue dans les écoles publiques.
6 Les Catalans d’Alghero
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La ville d'Alghero compte 44 000 habitants. Environ 22,4 % des Alguérois utiliseraient le catalan local comme langue maternelle, contre 59,2 % pour l'italien et 12,3 % pour le sarde. C'est la troisième ville universitaire de l'île après Cagliari et Sassari. Le catalan d’Alghero ne bénéficie guère plus de reconnaissance juridique que le sarde, exception faite de la loi du 15 décembre 1999, n° 482, qui reconnaît un certain nombre de langues minoritaires et dont l’application est laissée aux conseils municipaux. La Loi régionale du 15 octobre 1997, n° 26 fait référence à la protection de la langue et de la culture en Sardaigne et du catalan à Alghero, et il en est
de même avec la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22. Le catalan n’est pas interdit dans les tribunaux d'Alghero, mais les éventuels frais d’interprète doivent être assumés par les intéressés. Évidemment, il n’est pas question de service public quelconque en catalan ni d’école reconnue par l’État italien. Cependant, dans une seule école, une trentaine d’élèves étudient des rudiments de catalan sur une base volontaire.
La langue catalane demeure relativement visible dans la ville
d'Alghero, surtout dans le centre historique où les rues peuvent porter des noms en italien et en catalan, parfois
avec la dénomination catalane ("Plaça del Municipi") placée au dessus de celle en italien ("Piazza Municipio").
Sur proposition de la Commission de la toponymie, la Junte régionale admet
vouloir doubler la plupart des appellations en italien et en catalan dans la
ville. Toutefois, ces noms représentent pour la plupart des célébrités italiennes (Carducci, Pascoli, Dante, Togliatti, Giolitti, Don Sturzo, Matteotti, De Gasperi, etc.),
mais peu d'artistes catalans (Miró, Espriu, etc.) ou alguérois (Sari, Giglio, etc.). |
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À Alghero, il existe un magazine appelé L'Alguer i Revista de l'Alguer. Les Catalans sont quand même «chanceux» dans la mesure où ils bénéficient d’une radio communautaire (Radio Sigma) et d’une télévision (Tele Ribera del Corall) diffusant 10 % de ses émissions en catalan. En somme, c’est vraiment peu par rapport à ce qui se passerait en Catalogne
même, mais pour l'Italie ce n’est pas mal, même si l'État italien a bel et bien signé (01/02/1995), ratifié (03/11/1997) et mis en vigueur (01/03/1998) la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales de l'Union européenne!
On peut affirmer que la langue sarde, sans oublier les autres langues de l'île, est très menacée dans sa vitalité par l'italien dans la mesure où elle ne jouit d’aucune reconnaissance,
sinon d'une très faible, dans la vie publique. Elle reste la langue parlée à la maison par environ 75 % des familles. À ce sujet, l'attitude de l'État italien a toujours été en complète contradiction avec les dispositions relatives à la protection des minorités inscrites à l'article 6 de la Constitution du 27 décembre 1947, qui proclame que «la République protège par des mesures appropriées les minorités linguistiques». Cette
attitude est également contradictoire avec l’article 1er de la loi du 15 décembre 1999 (Règles en matière de protection des minorités linguistiques historiques), qui proclame que «la République [...] fait la promotion et la valorisation des langues et des cultures protégées par la présente loi». En tous les cas, le statut d'autonomie accordé en 1948 à la Sardaigne n’a produit aucun effet au plan linguistique, au contraire de certaines autres régions autonomes d'Italie, comme la Vallée d’Aoste et la province de Bolzano dans le Trentin-Haut-Adige.
La situation sociolinguistique de la Sardaigne et les tentatives répétées,
en même temps inutiles, des élus locaux de faire reconnaître le sarde ont toujours confirmé cette mauvaise réputation qu'a le gouvernement italien d'être l'un des plus inefficaces qui soient. On pourrait se demander, par exemple, pourquoi l'État italien n'a jamais accordé aux Sardes ce que les germanophones ont obtenu dans la province de Bolzano,
ou au moins dans la province d'Udine (Frioul-Vénétie Julienne). Ou bien les Sardes ne font pas le poids
comparativement aux germanophones de Bolzano, ou bien le sarde n'est pas considéré comme une «langue» par
rapport à l'allemand (alors que les germanophones ne parlent pas l’allemand standard, mais l’une des variétés dialectales de type austro-bavarois). Ou, plus probablement, les magouilles politiques ont empêché toute solution concernant la protection linguistique de cette importante minorité historique. Quoi qu'il en soit, le modèle sarde, jusqu'à récemment, n'était certainement pas le plus bel exemple à suivre en matière de protection linguistique!
Heureusement, le Décret législatif du 13 janvier 2016, n° 16, a apporté une lueur d'espoir
aux sardophones et aux autres minorités historiques de la Sardaigne, car ce décret a transféré les compétences du gouvernement national en matière de langue à la Région de Sardaigne. Dorénavant,
elle pourra prendre les décisions pour les langues parlées dans l'île. Toutefois, ce ne sera pas facile de corriger une situation qui se dégrade depuis plusieurs siècles. Il est peut-être malheureusement trop tard pour prendre des mesures énergiques
garantissant la survie des langues parlées en Sardaigne.
Quoi qu'il en soit, la Loi régionale du 3 juillet 2017, n° 22 sur la politique linguistique régionale ne semble pas
prendre de mesures contraignantes pour changer la situation linguistique. Elle n’est pas conçue en termes de droits, mais en termes de promotion et de valorisation. Avec une telle loi, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Les mots «langues officielles» n’y apparaissent même pas et il y a plusieurs raisons:
1) la langue sarde n’est pas unifiée;
2) la controverse peut devenir énorme en cas d’unification, car chacune
des communautés voudra conserver sa variété linguistique;
3) la normalisation du sarde n’est pas pour demain;
4) les règles orthographiques et grammaticales ne sont pas encore adoptées
ni admises;
5) les Sardes ne sont pas prêts à changer leurs habitudes linguistiques;
6) l’État sarde ne semble pas prêt à en faire une langue officielle à adopter
pour toutes les circonstances ni à prendre les mesures nécessaires à cet effet;
7) la loi ratisse trop large en retenant tous les variantes du sarde, ainsi que le sassarien, le gallurien et le catalan d’Alghero.
À vouloir sauvegarder trop de langues, elle
risque de n'en sauver aucune! Il existe une expression du XVIIe siècle
empruntée au monde de la chasse: un chasseur qui tente de courir plusieurs
lièvres à la fois risque de rentrer bredouille!
Dans la situation où se trouvent les langues parlées en Sardaigne, il n'y a pas d'autre solution préalable que l'unification linguistique suivie d'une normalisation dans tous les rouages de l'administration régionale. Le problème, c'est que si c'était réalisable pour le français dans la Vallée d'Aoste,
pour l'allemand dans la province de Bolzano et pour le slovène dans le Frioul-Vénétie Julienne, c'est
loin d'être le cas en Sardaigne où les langues parlées ne jouissent d'aucun prestige, contrairement au français, à l'allemand et au slovène. Tant que l'organisme Consulta de su sardu ne réussira pas à unifier la langue sarde, la situation ne pourra pas progresser, et ce, d'autant plus que les langues locales sont en concurrence entre elles, en plus de devoir tenir tête à l'italien. Une mission quasi
impossible!
Dans les faits, le sarde, ou toute autre langue locale, peut être utilisé comme "idioma locale" ou comme "forma dialettale"
remplissant des rôles folkloriques et touristiques, mais pas en tant que langue co-officielle avec l'italien,
partageant des fonctions et une dignité égales. Beaucoup d'Italiens, sardophones ou non, sont contre tout bilinguisme
dans l'île. On dit en Sardaigne: "À sardin est prus bellu" («la langue sarde
est la plus belle»), cela doit apparemment suffire! La question déterminante, c'est de savoir si les Sardes veulent vraiment changer leur destin linguistique, car le prix à payer pour
une petite société pourrait être très élevé aux points de vue économique, social, éducatif et politique.
L'idéal est une chose, l'atteindre, une autre, surtout avec des moyens
strictement incitatifs. Dans toute politique linguistique, il faut prévoir un
savant mélange de moyens coercitifs et de moyens incitatifs accompagnés de
mesures financières, avec en plus une large acceptabilité sociale, sinon c'est
l'échec assuré. Dans le cas de la Sardaigne, il manque avant tout de mesures
coercitives et une acceptabilité sociale pour assurer l'égalité d'une langue qui
ne peut certainement pas contrebalancer la puissante langue italienne, surtout si
le gouvernement local s'entête à protéger toutes ses langues.
Il faut enfin considérer que la
législation linguistique en Italie dépend grandement des politiques du gouvernement central.
Celui-ci, jusqu'à présent, a tenu les régions autonomes dans un carcan juridique
qui les a toujours empêchées d'adopter des mesures linguistiques concrètes.
Il aurait fallu que l'État central accorde tous les pouvoirs aux régions
autonomes pour leur permettre de légiférer sur la langue. C'est ce qui explique
aussi ce laxisme linguistique, ce laisser-aller qu'on observe depuis
longtemps dans de nombreuses régions italiennes et dont
la Sicile est partie prenante.
Dernière mise à jour:
18 févr. 2024
Les États non souverains