Corsica
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Corse
Collectivité territoriale de
Corse (CTC)
(Île formée de deux départements français)
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1 Situation générale
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La Corse (Corsica en corse) est une île de la Méditerranée située à 170 km au
sud de Nice (France), à 84 km de la péninsule italienne et à 14 km de lîle de la Sardaigne
(Italie). L'île a une superficie de 8681 km², ce qui
équivaut à 3,5 fois moins que la Belgique et à 1,6 % du
territoire français. C'est la quatrième île de la Méditerranée
après la Sicile, la Sardaigne et Chypre.
Juridiquement, il n'y a pas de capitale en Corse,
mais deux préfectures, Ajaccio et Bastia; l’Assemblée de Corse siège à
Ajaccio, sans autre prérogative. Ainsi, l'île de Corse forme
deux département français: la
Haute-Corse (no 2B)
dont le chef-lieu est Bastia et la Corse-du-Sud
(no 2A) dont le chef-lieu est
Ajaccio (voir
la carte détaillée). Bien qu'étant un État unitaire, la France
a néanmoins reconnu une certaine
autonomie régionale à quelques-uns de ces départements et territoires
d'outre-mer, notamment à l'île de Corse, qui a obtenu le statut de «collectivité
territoriale de Corse» ou CTC ("loi no 91-428 du 13
mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse"). L'expression collectivité
territoriale désigne ici, plus ou moins arbitrairement, les
habitants qui peuplent ces contrées. |
Dans toutes ces régions, la langue maternelle de la
majorité ou d'une bonne partie de la population n'est pas le
français, mais, par exemple, le
corse, le tahitien, le créole ou une langue mélanésienne. L'île de Corse et
les territoires d'outre-mer, tels que la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie
française, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion bénéficient
d'une autonomie particulière.
Depuis 1992, la loi Joxe a doté l’île
d’une «Assemblée de Corse» qui possède des pouvoirs importants dans l’administration
des affaires intérieures de l'île. Le 29 juillet 2000, au terme d’un
«processus de paix», l’île de Corse s’est vu octroyer une nouvelle
autonomie qui se traduit par des compétences plus étendues, la liberté d’«adapter»
des lois nationales (sous le contrôle de l'Assemblée nationale française), une assemblée unique, l’emploi
facultatif de la langue corse à l’école primaire, etc. Il s'agit en quelque sorte d'«accords de Matignon» (en
Nouvelle-Calédonie) adaptés à la Corse. Mais le «compromis corse» est étalé
dans le temps (jusqu’à 2004) et, comme nous le verrons, reste ouvert à différentes
interprétations. Le nouveau statut a été reconnu par la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002
relative à la Corse. En 2003, la Corse devenait une «collectivité
territoriale spécifique».
Le drapeau (voir
le haut de la page) de la Corse représente sur fond blanc
une tête de Maure, dont le front est ceint d'une bande de tissu blanc nouée
derrière la tête. Ce ne sont pas les Corses qui ont créé ce drapeau qui provient
des rois d'Aragon, le Maure symbolisant le guerrier sarrasin battu. Les rois
d'Aragon avaient comme emblème quatre têtes de Maure avec le diadème sur les
yeux.
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La signification de la présence de cette tête demeure plus ou moins
expliquée. L'hypothèse historique la plus vraisemblable laisse croire que la
tête de Maure soit apparue sur le
drapeau de l'île au XVIe
siècle, à la suite à l'établissement d'une carte créée par Mainaldi Galerati, un
géographe d'origine italienne, qui voulut représenter la carte des
possessions du roi d'Espagne, Philippe II. Étant donné que la
Corse n'avait pas d'emblème officiel à
cette époque, Galerati choisit pour l'île de la représenter avec une tête de
Maure en raison de sa proximité avec
la Sardaigne, dont le drapeau
porte quatre têtes de Maure séparées par une croix rouge. Le drapeau
d'Aragon porte dans l'un de ses
quartiers une croix de saint Georges entourée de quatre têtes de
Maures sur un champ d’argent, rappelant ainsi la victoire des
troupes chrétiennes guidées par Pedro Ier en 1096, contre l’armée
musulmane sur le coteau d’Alcoraz. |
C’est avec Pasquale Paoli (1725-1807) que le drapeau à tête de Maure
("Testa Mora") devint l’emblème officiel de la Corse, mais le héros corse releva sur la tête le
bandeau qui était placé sur les yeux. On croit que ce geste aurait été
interprété comme une manière pour la Corse d'ouvrir les yeux après plusieurs
siècles d'obscurantisme et de domination génoise. En 2010, la Collectivité
territoriale de Corse organisa un concours pour la réalisation de son logotype
afin de remplacer celui de 2004, jugé sans signification historique.
Par la délibération n° 10/213 AC en date du 26 novembre 2010, l’Assemblée de Corse
a approuvé une motion en corse décidant «d’adopter
la tête de Maure comme logo officiel de la Collectivité».
Le nouveau logotype devait intégrer les trois données
traditionnellement constitutives de l’identité visuelle de la collectivité : sa
nature (histoire, culture de la Corse, etc.), sa personnalité (valeurs qui
créent un sentiment d’appartenance, qui seront ici reprises par la tête de
Maure) et sa dynamique (compétences et orientations stratégiques que la Collectivité
territoriale de Corse veut
partager avec les citoyens).
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De plus, la tête de Maure ("Testa Mora"), symbole historique
de l'île de Corse, peut figurer depuis 2007 sur les plaques
d'immatriculation des véhicules français, si les propriétaires le
souhaitent. Pour le président du Conseil exécutif de Corse, le logo
régional est perçu comme «une liberté nouvelle qui permettra à
chaque propriétaire de véhicule de montrer son attachement à une
région en même temps qu'à un département». Si un individu choisit un
département corse, une tête de Maure coiffera le 2A ou le 2B. Même les gendarmes
de l'île portent la "Testa Mora" sur
leur uniforme. Rappelons que la "Testa Mora" fut décrétée emblème
officiel de la Corse par la Consulta Corte («l'Assemblée de Corse»)
le 24 novembre 1762. |
2 Données démolinguistiques
Au plan démographique, l’île comptait en 2010 une population de
309 700 habitants, dont 54 % en Haute-Corse et 46 % en Corse-du-Sud. On peut
constater aussi que 35 % des insulaires résident dans deux villes, soit 65 000 à Ajaccio en Corse-du-Sud
et 44 200 à Bastia tout au nord. Dans les autres villes, on trouve
Porto-Vecchio avec 11 309 personnes, Borgo (7644), Biguglia (6934), Corte
(6829), Calvi (5486), Furiani (5283), Lucciana (4246) et Ghisonaccia (3738). Ces
dix municipalités totalisent à elles seules plus de la moitié des habitants
(51,8 %) qui résidaient en Corse au 1er janvier
2012.
Au cours des années 2010, la
croissance
démographique de la Corse semble l'une des plus dynamiques de toute la France.
Cette croissance est due essentiellement à un excédent migratoire, le solde
naturel étant quasiment nul. Par exemple, depuis la décennie 1990, quelque 40 000 personnes se
sont installées dans l'île,
alors que 30 000 l'ont quittée, ce qui signifie que,
si l’on pose comme hypothèse un seul départ pour 2,5 arrivées, les échanges entre la
Corse et l’extérieur totalisent, entre 2006 et 2010, quelque 25 150 arrivées
pour 10 000 départs. Ainsi, à l’heure actuelle, au moins 18 personnes en moyenne
s’installent dans l'île chaque jour et sept en repartent.
Les nouveaux insulaires proviennent surtout des
régions de la Provence-Alpes-Côte d'Azur et de l'Île-de-France.
Près de 60 % des résidents seraient
d’origine corse. Précisons aussi que les Corses sont plus nombreux en dehors
de la Corse que dans l'île même. Ainsi, Marseille serait la première ville corse
au monde, avec environ 250 00 à 300 000 Corses. On
compte probablement autant de corsophones dans les
pays tels que l'Italie, le Canada, les États-Unis, Porto Rico, la Bolivie, Cuba,
l'Uruguay et le Venezuela.
L'Institut
national de la statistique et des études économiques (INSEE) place la Corse en
deuxième position, derrière l'Île-de-France, pour le pourcentage de sa
population immigrée, avec quelque 26 000 personnes, soit un habitant sur dix. Les Marocains constituent la première communauté étrangère de l'île; ils
regroupent même la moitié des résidents. C'est dans la plaine orientale, le sud
de l'île et la microrégion de Calvi, que les immigrants sont proportionnellement
les plus nombreux. Sur les murs, on voit de
plus en plus d'affiches racistes du type «Arabi fora» («Arabes dehors»)!
Mais il n'y a pas que les étrangers qui subissent des
propos désobligeants. C'est aussi le cas des «Métropolitains», appelés les «pinsutes»,
ceux qui viennent du continent et qui ne sont pas des Corses. Certains de ces
derniers affirment que les «pinsutes» n'ont rien à faire dans l'île. Quoi
qu'il en soit, ces propos témoignent que les Corses se sentent menacés dans leur
identité.
2.1 Les langues parlées dans l'île
Plusieurs langues sont parlées dans l'île de Corse. Outre
le français et le corse, on trouve l'arabe marocain, le portugais, l'italien,
l'espagnol, le grec, le bonifacien, etc.
- Le français
Le français demeure la
langue la plus parlée en Corse, langue maternelle et langue seconde réunies. Le
français est la langue maternelle des Métropolitains, mais aussi celle des
jeunes Corses.
À l'exception du corse et du bonifacien, les autres
langues sont parlées par les immigrants. L'arabe maghrébin (marocain) est la langue
numériquement la plus importante après le français. Il est suivi par le corse,
puis le portugais, l'italien, l'espagnol,
le grec, le bonifacien, etc.
- Le corse
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Le corse serait parlé
en principe par les Corses d'origine : la lingua corsa. À l'instar de l'italien et du français, le corse est une
langue
romane. Issu du latin comme les autres langues romanes, le corse
est néanmoins plus apparenté aux langues du
groupe italo-roman
tels que le toscan (aujourd’hui l’italien), le piémontais, le
génois, le lombard, l’émilien-romagnol, le vénitien, l’istrien, le
sicilien, le calabrien, le lucanien, l’abruzzien, etc.
Bien que le corse ait
subi une forte influence du toscan, il est apparu dans l'histoire avant la
naissance de l'italien standard, ce qui en fait une langue bien distincte, et
ce, d'autant plus que son vocabulaire comporte une part non négligeable de mots
d'origine ligure, mais il a aussi emprunté au génois, au toscan et au
français.
Pour des fins de comparaison, on peut consulter une
petite
liste de mots en corse et en italien, puis lire ensuite un
petit
texte dans ces mêmes langues. Évidemment, la parenté du corse avec
l'italien moderne (issu du toscan), accentué par la toscanisation du corse,
rend la communication des corsophones plutôt aisée avec les italophones. Un
Corse peut parler à un Italien ou vice-versa, et ils se comprennent assez
aisément.
Par ailleurs, la langue corse n'est pas unifiée et il subsiste
des variétés dialectales, surtout entre le Nord et le Sud, mais les locuteurs du
corse se comprennent entre eux malgré les différences régionales: l'ajaccien,
le bastiais, le cortenais,
le sartenais, etc.
Les linguistes italiens distinguent traditionnellement deux
grands groupes eux-mêmes divisés en variantes locales: le cismontano
(en corse: cismontincu) au nord et l'oltramontano
(pumuntincu
en corse) au sud. La variante cismontano, demeurée très
proche du toscan, comprend le dialecte de l'île de Capraia (d'où le capraiese
ou capraisien aujourd'hui considéré comme éteint) en
Toscane, le dialecte de Capocorso et le cismontano
proprement dit. Au sud, on trouve l'oltramontano, le sartenais,
ainsi qu'en Sardaigne les variantes apparentées que sont le gallurien (gallurese), le castellanien (castellanese)
et le sassarien, ces trois dernières étant aussi
considérées, selon les linguistes, comme des variantes
septentrionales du sarde. |
Toutes les variantes du Sud corse présentent certaines
caractéristiques communes avec les parlers de l'Italie méridionale (Abruzzes,
Basilicate, région de Naples, Calabre, Molise, Pouilles) ainsi qu'avec le sarde
(surtout le gallurien ou gadduresu et le sassarien ou
sassaresu
au
nord)
et le sicilien. Entre le Nord (cismontano) et le Sud (oltramontano),
il existe une variante de transition (n° 4). On peut consulter la
carte linguistique des îles de Corse et de
Sardaigne.
En France, les Corses d’origine demeureraient parmi les derniers grands groupes
linguistiques minoritaires importants (avec les Alsaciens) à avoir conservé
(théoriquement) leur langue ancestrale. Cependant, compte tenu d'une
population d'origine peu nombreuse (env. 150 000 hab.) et de la force
d'attraction considérable du français, les risques de minorisation et d’assimilation
restent très élevés.
- Le bonifacien
Le bonifacien est une langue bien particulière
parlée dans la
ville de Bonifacio, située à l'extrémité méridionale de la Corse
(voir la carte).
Il s'agit d'une variété du génois
aux caractéristiques plus conservatrices que sur la continent (par exemple, en
Ligurie en Italie). La population de la ville est d'origine génoise et serait
installée en deux vagues successives aux XIIe et
XIIIe
siècles. Cette population s'est trouvée par la suite coupée de la
mère patrie et aurait évolué en vase clos. Le nombre des locuteurs du
bonifacien est certainement limité et restreint aux gens de plus de 60 ans. En
corse, le bonifacien est considéré comme une variante du corse (d'origine
italo-romane). Or, d'un point de vue historique, le bonifacien est avant tout
une variante du génois, c'est-à-dire d'origine romano-celtique.
2.2 Un dénombrement officieux
En raison de l'absence de statistiques officielles sur les
langues, il est
impossible de dénombrer précisément le nombre des locuteurs du corse. Au point de vue social, le corse n'a pas encore gagné
toutes ses batailles, car dans un rapport du 21 novembre 2000 le rectorat d'Ajaccio
faisait ainsi état de deux mouvements apparemment contradictoires:
À la
suite d'une véritable fracture culturelle survenue au cours des années
soixante, le corse a généralement cessé d'être la langue maternelle des
jeunes générations; en contrepartie, on assiste à une valorisation de la
langue qui fait l'objet de nombreux travaux de recherche, et à son entrée
dans des domaines d'où elle était autrefois exclue, à commencer par
l'école. |
Cela signifie que la langue corse ne serait pas transmise
de la part de la génération précédente, malgré son enseignement quasi
généralisé. Bref, le corse ne serait plus aujourd'hui la langue
maternelle de l'écrasante majorité des jeunes Corses. Certes, les générations
les plus âgées comprennent le corse et le parlent parfaitement, même s'ils ne
l'écrivent généralement pas (dans une proportion de 95 %). Pour la majorité
de ces personnes, c'est réellement leur langue maternelle, mais cette pratique
diminue nettement avec les groupes moins âgés. On assiste à cette situation paradoxale: le corse
est de plus en plus enseigné aujourd'hui dans les établissements scolaires, mais
la pratique privée de la langue et la transmission familiale sont quasiment
éteintes. Beaucoup de jeunes Corses comprennent la langue, en connaissent
quelques phrases, mais en ont très souvent une pratique assez sommaire, sinon
aucune pratique du tout. Le chiffre de 60 % de locuteurs semble donc très
au-dessus de la réalité.
Cela dit, des études réalisées au début du XXe siècle
révélaient que près de 100 % de la population corse parlait alors le corse.
En 1982, un enquête du RINSEE laissait croire que 70 % des insulaires, c’est-à-dire
96 % de la population d’origine corse, comprenait cette langue et que
86 % la parlait régulièrement. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes n'ont plus le corse comme
langue maternelle, mais la plupart l'ont appris après l'âge de 18 ans pour des
raisons militantes ou identitaires. Selon une enquête menée auprès des élèves du
lycée de Bastia (L'Express du 21 juin 2001), 63 % avaient des grands-parents corsophones, 60 % des parents corsophones et 13 % des frères et sœurs
corsophones. Ce n'est certainement plus le cas aujourd'hui!
De fait, en l’absence de données
fiables, les estimations varient entre 20 % et 70 % de la population, qui
parlerait encore le corse, ce qui donne une «marge d'interprétation» fort
élevée et trop imprécise. Une chose est sûre: dans la vie formelle, il y a plus
de gens qui parlent le français que le corse! Dans les foyers, cela peut varier
entre 20 % et 70 % de la population! Le Comité consultatif le nombre des
locuteurs du corse à 60 % de 150 000 locuteurs, ce qui ferait 90 000 (voir
le tableau). En fait, s'il y avait plus de 70 000 corsophones dans les années 1980, il devrait en rester
aujourd'hui environ 20 000. Selon le collectif Parlemu corsu et le Comité
consultatif pour la promotion des langues régionales, s'il y a 50 000
personnes qui parlent bien le corse au quotidien, ce serait déjà beaucoup.
Les organismes Projet Josué, d'une part, et Ethnologue, d'autre part, les estime à quelque 31 000 en Corse,
contre 125 000 à 150 000 pour tous les pays.
(LR)
Langue régionale |
(P)
Population régionale totale |
(L)
Locuteurs régionaux -
Tableau % |
(PS)
Population scolaire 2008
- 18 % P |
(E)
Élèves en LR en 2008 - Pourcentage |
(EB)
Enseignement bilingue
2010 - % |
Corse
romane |
250 000 |
150 000 |
60
% |
45 000 |
34 598 |
77
% |
7 059 |
21 % |
Selon l'UNESCO, le corse peut être considéré comme une langue
en grand danger de disparition.
2.3 Le recul du corse
La tendance générale des trente dernières
années a montré un changement progressif du corse vers le français. Autrement
dit, comme partout en France, les langues régionales accusent un sérieux
recul, ce qui constitue pour certains un «modèle d’efficacité», pour d’autres,
un mauvais exemple d’«État assimilateur». Dans les faits, il semble qu’environ
20 % à 60 % de la population posséderait une certaine maîtrise du corse.
Enfin, environ 98 % des Corses d’origine seraient bilingues (corse-français).
Devant ces faits, on comprend que les Corses aient demandé des compétences
plus étendues en matière de langue.
Les corsophones sont en effet à peu près tous bilingues
(corses-français) et ils pratiquent la diglossie. Dans leurs conversations
quotidiennes, les corsophones peuvent passer constamment du corse au français,
selon les circonstances du moment. Généralement, le français est réservé
aux communications plus formelles, le corse en famille ou entre amis. Cette
pratique diglossique a donné lieu à un système linguistique parfois hybride
et appelé le «français régional de Corse». Ce phénomène peut se traduire
par l'emploi, entre autres, d'un mot ou de plusieurs mots corses dans une phrase
française ou de mots français dans une phrase corse (THIERS, 1989). On
parle parfois du francorsu pour désigner cette variété linguistique
caractérisée par l'alternance systématique du français et du corse.
En somme, selon l'Unesco, le corse fait partie des langues
menacées de disparition avant la fin du XXIe
siècle. En octobre
2007, au cours d’un voyage en Corse, l'ex-président Nicolas Sarkozy était intervenu
sur la langue corse par ces propos : «S’il faut aller plus loin pour que la
langue corse reste vivante, je suis prêt à aller plus loin. La seule limite,
c’est que le français demeure la langue de la République.» Bien que
d'inspiration très libérale, cette déclaration devait demeurer lettre morte,
car ce président français a rarement été capable de mettre en
œuvre
ses politiques réformistes.
3 Données
historiques
La première présence étrangère connue est celle des Grecs
d'origine phocéenne en 565 avant notre ère. Implantés à Aleria dans une zone
déjà peuplée de Corses (les «Corsi»), les Grecs qui sont plusieurs milliers,
décidèrent de fonder une ville nouvelle. Ils formèrent une société hétéroclite
avec une population étrusque majoritaire et des minorités grecques, corses,
carthaginoises, sardes et syracusiennes. Puis les guerres puniques avec Carthage
entraînèrent la mainmise de Rome dans l'île. Avant la domination romaine, nous
ignorons quelles étaient les langues parlées en Corse. Chose certaine, la
population autochtone appelée «Corse» ne parlait pas le corse d'origine latine.
3.1 La colonie romaine
La présence romaine en Corse a commencé au milieu du IIIe
siècle avant notre ère pour ne s’arrêter qu’au milieu du Ve
siècle de notre ère. Nous savons, d'après le témoignage du Romain Sénèque qui
dut s'exiler dans l'île en 41 par l'empereur Claude, qu'au premier siècle de
notre ère les Corses ne parlaient pas le latin. En effet, Sénèque disait ne pas
comprendre les indigènes corses : «On a bien de la peine à manier le vocabulaire
latin quand on n’entend parler autour de soi que le jargon d’un peuple barbare
si grossier qu’il choque même les oreilles des barbares peu policés» (Ad
Polybium, De consolatione III, 17, 9). Outre ses préjugés, Sénèque,
qui était né en Espagne, considérait que la langue des Corses ressemblait à
celles des Ibères, ses compatriotes. En réalité, nous n'en savons rien, car les
hypothèses relatives à la caractérisation linguistique de cette communauté
restent pour l’instant de pures spéculations. Après sept ou huit ans d'exil,
Sénèque fut autorisé par Agrippine (sœur de l'empereur de Caligula et épouse de
l'empereur Claude) à retourner à Rome afin de se charger de l'éducation de son
fils Néron.
|
Durant sept
siècles, le Corse fut fortement latinisée avant d'être christianisée (à partir
du IIe
siècle). Jusqu’au Ve siècle de notre ère, la Corse et la Sardaigne (Corsica-Sardinia
en latin) constituaient une seule province romaine. Il est possible
que cette unité politique s’accompagne d’une certaine unité
linguistique.
Par exemple, certains mots présents en
Sardaigne et dans le sud de la Corse ne se retrouvent pas ailleurs
dans l'Empire romain : agnone/angioni («gros agneau"
ou «broutard») provient de agnu avec un suffixe en -one,
alors que c'est agnellu qu'on trouve ailleurs comme base de
la dérivation. Il existerait de nombreuses autres similitudes entre
la langue corse, la langue sarde, la langue sicilienne et certains
parlers locaux de l'Italie méridionale. |
Finalement, les Corses ont parlé le latin avant les Gaulois et l’ont
conservé intact plus longtemps après la chute de l’Empire romain. Autrement
dit, la langue corse est restée plus près du latin que l’italien et les
autres langues parlées en Italie. Les exemples de mots latins présents à peu
près tels quels demeurent très nombreux dans la langue corse d'aujourd’hui. Il faut dire que
l’isolement et l’insularité ont contribué fortement à la durabilité du
latin qui, néanmoins, s’est corsifié en une sorte de variété romane
régionale au cours des siècles qui ont suivi la
disparition du latin (CHIORBOLI, 1999).
3.2 Les invasions
La Corse fut ensuite envahie successivement à partir du Ve
siècle par les Vandales et les Ostrogoths. En 552, la Corse, en même temps que la Sardaigne,
fut rattachée à
l'Empire romain d'Orient
par Justinien I (Byzance), mais en 590 le pape Grégoire le
Grand organisa l'administration religieuse de l'île. À partir du VIIIe siècle, les
Sarrasins d’Espagne et d’Afrique du Nord (Maures, Berbères et Arabes)
multiplièrent les attaques sur les côtes corses et coupèrent tout contact de
l’île au continent durant près de trois siècles, sans être capables de
l’envahir. En 725, les Lombards envahirent l'île et l'occupèrent durant une
trentaine d'années, ce qui obligea les insulaires à
se replier à l’intérieur de l’île.
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Ensuite, comme pour toute l'Italie du Nord, l'île de Corse fit
partie en 775 de l'empire de Charlemagne. Celui-ci
devint alors le «roi des Francs et des Lombards» et céda la Corse à
la papauté, avant de se faire couronner empereur
du Saint-Empire romain germanique à Rome par le pape Léon III, le 25
décembre 800. Dans les années qui suivirent, l'Italie
subit alors l'influence de la langue franque et il en fut ainsi de
la Corse, ce qui ne fut pas le cas de la Sardaigne.
En proie à l'anarchie et déchirée par de
terribles luttes féodales, la population corse fit appel au pape,
considéré alors comme le propriétaire de l’île. L'administration pontificale dura deux siècles. La papauté
y envoya des légats pour manifester son autorité directe et dut parfois y
mener des expéditions militaires. L'île aurait donné un pape corse à l'Église
catholique du nom de Formose, de 891 à 896. La Corse, devint
progressivement une monnaie d'échange au service de la papauté qui
arbitrait sa politique entre la république de Pise et la république
de Gênes jusqu'à ce que le pape Grégoire VII (de 1073 à 1085) confie
en 1077 l'administration de la Corse aux Pisans. |
3.3 La trêve pisane (1077-1284)
De la fin du XIe
siècle jusqu'à à la fin du XIIIe siècle, soit
jusqu'à la victoire de Gênes sur Pise en 1284, son éternelle rivale, la Corse
bénéficia des avantages de la colonisation pisane. À la même époque, Pise était
devenue un centre commercial primordial et contrôlait une grande partie de la
marine marchande et marine de guerre de la Méditerranée. Pise avait la
réputation de faire partie de l'une des quatre républiques maritimes prospères
avec Amalfi, Gênes et Venise. Grâce à leur activité commerciale, ces villes
jouissaient d'une grande autonomie politique au point d'avoir un gouvernement
autonome, de frapper monnaie, de posséder une importante flotte et d'avoir des
colonies commerciales dans les ports méditerranéens. Or, la république de Pise
était située en Toscane, la patrie du grand écrivain florentin, Dante Alighieri
(1265-1321).
La Toscane bénéficiait déjà d'un courant littéraire italien
majeur qui allait se poursuivre jusqu'au XVe siècle.
Durant la colonisation pisane, la Corse vit apparaître de nombreux
couvents et églises à l'architecture pisane. L'administration pisane utilisait
le toscan médiéval comme langue officielle.
À cette époque, le corse, appelé la lingua corsa,
était devenu une langue romane tout à fait distincte du latin, mais ce n'était
pas encore le corse tel qu'on le connaît aujourd'hui. Cette période, qui s’est
accompagnée d’un vaste programme de construction d’églises romanes, s'est
révélée déterminante pour la constitution de la langue corse, car elle lui a
donné ses caractéristiques particulières. Ce qui caractérise la langue corse,
c'est sa «toscanisation» qui a commencé au nord pour se propager progressivement
jusqu'au sud de l'île. Les correspondances entre le corse et l’ancien toscan
médiéval, celui de Dante et de Boccace, touchent toutes les structures de la
langue : la phonétique, la morphologie, le lexique et la syntaxe. Par exemple,
les formes verbales du corse, comme sapemu («nous savons») ou sentimu
(«nous sentons»), sont similaires à celles de l’ancien toscan et s’opposent à
celles du toscan moderne (sapiamo et sentiamo). Il serait possible
d'y ajouter de nombreux autres exemples, mais ils alourdiraient cet article.
Mentionnons seulement encore des tournures telles babbitu («ton
père») ou mammata («ta mère») avec un possessif postposé qu'on
retrouve également les dialectes toscans médiévaux. La tosacanisation a amené
aussi les influences germaniques issues des invasions franques en Toscane.
3.4 La colonie génoise (1284-1768)
En 1195, la république de Gênes y avait déjà implanté,
sous l'administration pisane, une colonie à Bonifacio. Ce sont les Génois qui construisirent les villes importantes
d'aujourd'hui telles que Bastia, Ajaccio et Calvi. En
1284, la rivalité entre Gênes et Pise pour le contrôle de l’île aboutit à la
victoire de Gênes qui écrasa Pise lors de la bataille navale de la Meloria. La
république de Gênes récupéra les droits de Pise sur la Corse et sur la
Sardaigne. Mais ces droits lui furent très tôt contestés par la papauté et le
roi d'Aragon, investi du titre de «roi de Corse et de Sardaigne». Finalement, la
Sardaigne fut abandonnée en 1320 aux Aragonais, mais la Corse, elle, resta
génoise.
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Déjà implantés à Bonifacio et à Calvi, les
Génois contrôlèrent l’économie et l’administration de la Corse.
Contrairement à la présence pisane, la colonisation génoise fut
ressentie de façon négative par les Corses du fait que la Corse fut
exploitée comme une véritable colonie avec des droits à payer à la
République, dont la taille et la gabelle jugées excessives.
Aux impôts et taxes classiques s'ajoutèrent graduellement des taxes
exigées par les représentants locaux de Gênes sur
l'île. De plus, cette colonisation allait durer plus de 450 ans.
Au cours
du Moyen Âge, notamment au XIIIe siècle,
la république Gênes connut une période de grande prospérité et de
montée en puissance grâce à son commerce de la soie, des épices, de
l'or, des pierres précieuses dans les ports de la Méditerranée et
dans ceux de la mer Noire, chasse gardée des Génois. De plus, les
croisades apportèrent à Gênes une prospérité accrue en raison du
transport des troupes chrétiennes outre-mer.
Dans les communications écrites moins officielles, les Génois écrivaient
couramment en toscan, la langue de Dante, qui
constituait alors la langue de culture pour une grande partie de l'Italie; la Corse ne
faisait pas exception à cette pratique. Les Corses, pour leur part, parlaient la
lingua corsa, mais ils avaient emprunté de nombreux mots au génois,
mais surtout au
toscan. C'est en ce sens qu'on peut parler de «toscanisation» de la langue
corse. En fait, les Corses parlaient entre eux la langue corse, mais pratiquaient
une langue administrative («officielle») — le toscan — avec plus ou moins
d'habileté dans des circonstances particulières (justice, textes officiels,
rapports avec les autorités) et qui était en train de devenir progressivement
l’italien que nous connaissons aujourd'hui. L'influence toscane fut
déterminante pour la langue corse, car elle eut comme conséquence de rompre
l'ancienne unité linguistico-culturelle avec le sarde, la Sardaigne ayant
fonctionné dans le même cadre administratif byzantin que la Corse.
|
La langue génoise n'était parlée
dans l'île que dans la colonie de peuplement de Bonifacio, constituée par deux
vagues successives de colons de la Ligurie orientale,
dont les descendants ont conservé encore la langue, avec des caractéristiques
particulières.
Pour la plupart des
non-corsophones de cette époque, notamment les Génois, les Toscans et les
Français, la langue corse était perçue comme de l’«italien
corrompu». On croyait même que le corse n’était qu’un mélange de grec,
de toscan, de sicilien, de sarde et de génois, d’où sa réputation de
«langue corrompue», mais qui démontrait éloquemment l’ignorance de ces
gens à propos de l’histoire de la langue corse. Encore aujourd'hui, beaucoup de nos
contemporains croient que «le corse est de l’italien corrompu»,
voire un «sous-produit de l'italien».
Il faut dire que, jusqu'au milieu du XXe siècle, on n'a considéré socialement que les
langues «à statut officiel», les autres n’étant perçues que comme de
«vulgaires dialectes».
Rappelons que, de son côté, la Sardaigne subissait
la domination catalano-aragonaise.
Malgré une omniprésence politique de près de cinq siècles, les Génois n'ont,
somme toute, laisser que peu de mots génois aux Corses, car ils utilisaient
eux-mêmes le toscan comme langue écrite (CHIORBOLI,
1999). Les historiens de la langue corse admettent que celle-ci aurait
emprunté une centaine de mots au génois, ce qui semble peu, compte tenu d'une
occupation de près de cinq siècles.
De façon périodique, les Corses ont voulu se débarrasser
de la tutelle des Génois. Les insulaires corses se révoltèrent régulièrement,
n'hésitant pas à demander de l'aide contre les Génois, tantôt à l'Autriche tantôt à la
France. En 1731, la république de Gênes fit appel aux troupes de
l'empereur Charles VI du Saint-Empire afin de rétablir l'ordre en Corse. En juin
1733, le représentant du Saint-Empire négocia un accord qui accordait au Corses
certaines concessions garanties par l'empereur, mais les Génois ne les
respectèrent guère dès que les troupes de Charles VI quittèrent l'île. La
rébellion reprit quelques mois plus tard.
En 1737, lors de la convention de Versailles, les troupes
de Louis XV s'engagèrent à intervenir en Corse à la condition que la république
de Gênes en fasse la demande. Gênes obtint de la France l'envoi d'un
corps expéditionnaire de 8000 hommes; seule la moitié devait aller sur l'île,
alors que les autres devaient attendre à Gênes en cas de besoin. Les Français
réussirent à rétablir l'ordre, mais les Corses poursuivirent leur révolte contre
les Génois.
En 1746, les Français durent intervenir une seconde fois pour permettre
aux Génois de reprendre les villes prises par une coalition d'Anglais,
d'Autrichiens et de Sardes. Le traité d'Aix-la-Chapelle de 1748 renvoya tous les
belligérants au statu quo ante bellum,
c'est-à-dire le retour à la situation préexistante.
En novembre 1755, le général de la «nation corse», Pasquale Paoli, fit de l’île
un État indépendant doté d’une constitution, d’une administration, d’une justice et
d’une armée. Parallèlement à son œuvre politique, Paoli ouvrit de
nombreuses écoles et créa à Corti l’université de Corse. En 1762, il fit
adopter le drapeau à la tête de Maure et créa une monnaie. En somme, la Corse
était devenue un État indépendant... en sursis.
3.4 Une île française depuis 1769
En mai 1768, Louis XV, qui refusait de reconnaître la
République corse comme légitime, envoya son armée prendre possession de l'île.
En échange, il annulait la dette de Gênes par le traité de Versailles du 15 mai
1768. Dans les faits, la république de Gênes cédait la Corse, parce qu'elle ne
la possédait plus. En réalité, le traité de Versailles de 1768 n’était à
l’origine qu’un traité dit «de conservation». En raison d'une rente annuelle
d’environ 200 000 livres tournois, pour une durée de dix ans, la république de
Gênes n'avait pas cédé ses «droits de souveraineté» sur la Corse à la France,
car celle-ci n'était chargée que d’administrer et de pacifier l’île. Ruinée, la
Gênes se montrait incapable de rembourser à la France les frais occasionnés par
la «pacification» des troupes de Louis XV exigés dans les deux derniers articles
«séparés et secrets» du traité de Versailles. Après mai 1778, faute de
recouvrement, la Corse devenait ipso facto une possession française. La
somme demandée par la France pour la rembourser de ses investissements s'élevait
à plus de 30 millions de livres tournois, une somme que la France était
largement en mesure de fournir. Bref, la Corse est un territoire français
qui n'a jamais été officiellement ni acheté ni cédé.
- Pasquale Paoli
|
Le 9 octobre
1768, les troupes nationalistes de Pasquale Paoli
(1725-1807),
figure emblématique en Corse surnommée le "Babbu di un Patria" («le père
de la Corse»),
mirent en déroute l'armée française lors de la
bataille de
Borgo, près de Bastia. La France fut extrêmement
surprise par cette défaite de son armée; Louis XV pensa même à laisser
tomber la Corse, mais le duc de
Choiseul,
n'acceptant pas que la France se couvre de ridicule en abandonnait la
lutte, organisa une seconde expédition qui, le 8 mai 1969, battit
les Corses à Ponte Novu (à
Castello di Rostino sur le fleuve Golo).
C'est alors que l'île passa définitivement sous domination française.
Paoli émigra aussitôt en Angleterre, mais fut rappelé par l'Assemblée
constituante en 1790, puis fut nommé président du Directoire
départemental en Corse et général de la Garde nationale au nom de la
France révolutionnaire. |
Pasquale Paoli ne se considérait pas comme
français, mais comme italien. Dans une lettre datée de 1768, Pasquale Paoli
écrivit en italien (toscan) ce qui suit contre les envahisseurs
français :
[Noi Corsi] Siamo Italiani per
nascita e sentimenti, ma prima di tutto ci sentiamo italiani per lingua, costumi
e tradizioni… E tutti gli italiani sono fratelli e solidali davanti alla Storia
e davanti a Dio… Come Corsi non vogliamo essere né servi e né "ribelli" e come
italiani abbiamo il diritto di essere trattati uguale agli altri italiani… O non
saremo nulla... O vinceremo con l'onore o moriremo con le armi in mano… La
nostra guerra di liberazione è santa e giusta, come santo e giusto è il nome di
Dio, e qui, nei nostri monti, spunterà per l'Italia il sole della libertà. |
[Nous, (les Corses), sommes des Italiens de
naissance et des sentiments, mais tout d'abord nous nous sentons italiens par la
langue, les racines, les coutumes et les traditions... Et tous les Italiens sont
des frères et solidaires devant l'Histoire et devant Dieu…. Comme Corses, nous
ne voulons pas être des esclaves, ni des «rebelles» et, comme les Italiens, nous
avons le droit d'être traités comme tous les autres frères italiens.... Ou nous
serons libres ou nous ne serons rien… Nous gagnerons avec honneur ou nous
mourrons (contre les Français) les armes à la main... Notre guerre de libération
(contre la France) est juste et sainte puisque le nom de Dieu est saint et
juste, et ici sur nos montagnes apparaîtra pour toute l'Italie le soleil de la
liberté.] |
En fait, Pasquale Paoli a même désiré que la
langue italienne devienne la langue officielle de sa «république
corse». La Constitution corse de 1755 fut rédigée en italien et
a été utilisée comme un modèle pour la Constitution américaine
de 1787. En outre, en 1765 Paoli a fondé dans la ville de Corte
la première université de Corse (où l'enseignement a été donné
en italien). Paoli parlait le
corse, le français et l'anglais, mais écrivait en toscan pour tous les actes officiels, ainsi que
dans sa correspondance personnelle. Il vécut moins de trente ans en
Corse, quinze ans à Naples et quarante ans en Grande-Bretagne.
En 1793, Pasquale Paoli prit position contre la
Convention, rompit ses relations avec la France et fit appel
à l’Angleterre qui administra l’île de 1794 à 1796. La Corse fut donc
anglaise durant deux ans. Dans l'intervalle, le 30 novembre 1789, à
l'Assemblé constituante, le député
corse Antoine-Christophe Salicetti déclara : «La Corse fait partie intégrante de
l'Empire français.» L'île, qui était jusqu'alors une province autonome, fut
rattachée à la France. En 1790, la Corse devint un département français.
- Napoleone Buonaparte
Lorsqu'est né Napoleone Buonaparte à Ajaccio en 1769 , la Corse venait d'être
rattachée par la force à la France. L'île avait été indépendante depuis 1756
sous la conduite de Pascal Paoli. Le père de Napoleone, Charles Buonaparte,
avait été un des lieutenants de Paoli. Après s'être battu contre les Français
jusqu'à la défaite de Paoli, il se rallia à la France et s'employa activement à
gagner la faveur des nouveaux maîtres. À l'âge de neuf ans, le jeune Napoleone,
qui ne parlait que le corse, fut envoyé en France pour y recevoir, dans une
école militaire (celle de Brienne), l'enseignement que le roi payait aux fils
des familles nobles dépourvues de fortune. Dans ce milieu très monarchiste, où
il était considéré comme un «étranger» et en butte aux sarcasmes de ses
camarades, le jeune Napoléon allait devenir, par réaction, non seulement un
républicain, mais aussi un patriote corse exalté. Il apprit le français en trois
mois, au point de faire librement la conversation. Mais, toute sa vie, il
gardera son accent corse et ne maîtrisera parfaitement le français qu'à la fin
de son règne.
Très attaché à son île, Bonaparte retourna à maintes reprises en
Corse, où les luttes de clans avaient repris: d'un côté, les
«paolistes» soutenant la monarchie à l’anglaise,
de l'autre, les bonapartistes, à la Révolution. Bonaparte se fit élire
lieutenant-colonel du
2e
bataillon de volontaires de la Corse en mars 1792.
|
Bonaparte
considérait que la Révolution pouvait rendre la liberté à sa Corse
natale. En mai 1793,
Bonaparte, qui a alors 24 ans, débarqua à Ajaccio avec l'armée
républicaine afin de mettre un terme à la révolte des partisans de
Paoli. Des villages entiers ont été massacrés, femmes et
enfants compris. Devant la
résistance acharnée des Corses et après avoir échappé à un attentat,
Bonaparte décida de rembarquer en emmenant sa famille. Il dut
renoncer au rêve d'être le plus grand homme de Corse.
Devenu premier consul en décembre 1799,
Bonaparte engagea rapidement la réintégration de la Corse à la
France. Parallèlement au projet révolutionnaire dans
l’hexagone, l’unité du pays a été fondée sur une unité linguistique.
Dès lors, tout ce qui n’était pas français fut relégué au rang de
«patois» et devait être «anéanti». Cette idéologie valait aussi pour
la Corse. |
Néanmoins, la Corse étant une île, la
population locale a continué de parler le corse, alors que les
documents officiels étaient généralement rédigés en italien
(toscan). Cette situation dura jusqu’en 1830, alors que
l'administration française commença à utiliser le français et, par
méfiances à l'égard des insulaires, interdit aux corsophones
d'obtenir un emploi public.
Sous le Second Empire
(1848-1870), l’italien, le corse et le français furent parallèlement
utilisés jusqu’à ce que Napoléon III exige, en 1854, que les actes civils
officiels soient tous rédigés exclusivement en français; à Bastia, les
opéras chantés en italien furent même interdits.
Dans les années 1880, Jules Ferry mit en place une série
de mesures destinées à affaiblir les langues régionales de France. Avec
l'adoption de la loi Ferry, qui instituait
la gratuité de l'école primaire (1881) et rendait obligatoire (1882)
l'enseignement primaire ainsi que la laïcisation des programmes scolaires (voir
le texte de la loi Ferry), le français devait finalement s'imposer sur
tout le territoire de la France, y compris en Corse. Principal outil de
l’expansion républicaine et de l’éradication des autres langues au profit du
français, les langues locales comme le corse devinrent de vulgaires patois
illégitimes. Lors de la
Troisième République (1870-1940), le français devint obligatoire partout dans
l’île, c'est-à-dire dans les écoles, les tribunaux et l'Administration; l’italien disparut
comme langue de culture et le corse ne survécut comme langue orale
que dans les communications informelles.
Toutefois, le rejet du corse par les autorités
métropolitaines, conjointement à l’implantation du français, a eu pour
conséquence d’engendrer une prise de conscience de la spécificité et de
l’autonomie de la langue locale, le corse. C'est pourquoi le français ne s'est pas
imposé rapidement en Corse. Au contraire, l'influence de la langue française
fut très lente durant tout le XIXe siècle. C'est au début du
siècle suivant que la francisation s'accentua considérablement avec l'imposition
de l'enseignement primaire obligatoire en français, alors que le corse était
interdit. Cette
influence se ressentira alors par la modification du vocabulaire, mais aussi de
la
morphologie et de la syntaxe dans la langue corse.
3.5 L’autonomie de la collectivité territoriale de
Corse
Depuis la fin des guerres napoléoniennes, les soulèvements sporadiques
corses ont toujours entraîné des mesures de répression de la part de la
Métropole, ce qui a favorisé le développement des tendances autonomistes des
insulaires. Dans les années 1970, les revendications des Corses aboutirent à
des affrontements violents, parfois sanglants. En 1972, le ministère de
l'Éducation nationale s'opposait encore à l'enseignement «facultatif» du
corse sous prétexte que «le dialecte corse n'a pas encore trouvé ni son
unité ni sa codification». En 1974, le corse fut reconnu
comme «langue régionale» par le gouvernement français; il fut admis dans
l'enseignement comme «matière facultative». En 1982, la Corse fut dotée d'un
statut particulier de collectivité territoriale, ce qui n'a pas empêché les
nationalistes de l'île de poursuivre leurs revendications vers une autonomie
réelle.
Ce n’est qu’après plusieurs années de négociation que l'Assemblée
nationale de Paris a adopté, le 4 avril 1991, la Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse. Cette
loi consacrait un nouveau statut particulier à la Corse: élection au suffrage
universel d'une «Assemblée de Corse» dotée de pouvoirs élargis en matière
de développement, d'éducation, de communication, etc. En regard du centralisme
dont a toujours fait preuve la France, ces pouvoirs paraissaient assez
considérables même s'ils ne comprenaient pas de compétence législative.
La Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse
de 1991 fut discrètement négociée en Corse même auprès de représentants
officieux autonomistes: le gouvernement français désirait mettre un terme aux
querelles interminables avec la Corse. Au plan linguistique, le statut de la
Corse n'était pas très nettement défini: on ne traitait que de «la langue et de
la culture corses» aux articles 44, 52 et 54 de la loi. L'Assemblée corse peut
aménager un plan de développement pour la culture, l'enseignement, la radio et
la télévision, le tout destiné à la promotion de «la langue et de la
culture corses». En somme, il ne s'agit rien de vraiment exceptionnel en ce qui
concerne la protection de la langue corse. Voici les articles 44 et 52 de la
Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse:
Article 44
Le conseil économique, social et culturel de Corse est également consulté,
obligatoirement et préalablement, sur tout projet de délibération concernant
l'action culturelle et éducative, notamment pour la sauvegarde et la diffusion
de la langue et de la culture corses.
Il donne avis sur les résultats de leur mise en
œuvre.
Il établit, en outre, un rapport annuel sur les activités des sociétés
mentionnées à l'article 54. Ce rapport est adressé à l'Assemblée par le
président du Conseil exécutif.
Article 52
Sur proposition du Conseil exécutif qui recueille l'avis du conseil
économique, social et culturel de Corse, l'Assemblée détermine les activités
éducatives complémentaires que la collectivité territoriale de Corse
organise.
L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement de
l'enseignement de la langue et de la culture corses, prévoyant notamment les
modalités d'insertion de cet enseignement dans le temps scolaire. Ces
modalités font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité
territoriale de Corse et l'État.
|
Malgré tout, quelques jours après l'adoption de la loi, le Conseil
constitutionnel (l'équivalent d'une sorte de «Cour suprême» en France) a abrogé
l'article 1er de la
Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse pour inconstitutionnalité. Cet article avait la teneur suivante:
Article 1er
La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante
que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la
préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques
et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de
l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du
présent statut.
|
C'est le terme même de peuple corse qui
a mis le feu aux poudres. Pour
certains, cette notion était contraire au principe d'une «République une et
indivisible»; pour d'autres, c'était susciter des revendications de la part
des «peuples» bretons, alsacien, catalan, basque, etc. Le gouvernement
français avait espéré donner une satisfaction symbolique au mouvement
autonomiste corse en reconnaissant l'existence d'un «peuple corse». La crainte
de voir n'importe quel groupe minoritaire réclamer sa reconnaissance comme
«peuple»
à la République a suffi pour provoquer une levée de boucliers chez de
nombreux Français. De son côté, le FLNC (Front de libération nationale de la
Corse) a fait savoir que, faute de «peuple corse», il reprenait le sentier de
la guerre. Tout était donc à recommencer puisque les leaders corses estimaient
que, sans le reconnaissance du «peuple corse», leur statut est dénué de
toute substance politique et qu'il fallait passer à autre chose.
D'ailleurs, l'Assemblée de Corse a adopté, le 26
juin 1992, une Motion sur l'officialisation de la langue corse
qui, bien que non approuvée par la République, reflétait mieux les
revendications des représentants de la Corse.
3.6 Le nouvel accord en 2000 et la loi de
2002
C’est pourquoi, le 29 juillet 2000, la Corse s’est vu octroyer une
nouvelle autonomie avec des compétences plus étendues, la liberté d’«adapter»
des lois nationales (sous le contrôle du Parlement français), l’emploi
facultatif de la langue
corse à l’école, etc. Les «nouvelles compétences» prévues pour
l'Assemblée de Corse concernent l'aménagement du territoire, le développement
économique, l'éducation, la formation professionnelle, les sports, le
tourisme, la protection de l'environnement, la gestion des infrastructures et
des services de proximité, et les transports. Ces transferts seraient opérés
en favorisant la formation de «blocs de compétence». L'État conserverait la
capacité de mettre en œuvre les politiques nationales et d'exercer un
contrôle. L’Assemblée de Corse pourra déroger à certaines dispositions
législatives nationales dans des conditions que le Parlement français définirait. Ces
expérimentations (un à deux ans) devraient être évaluées avant que le
Parlement ne décide de les maintenir, les modifier ou les abandonner (décision
du Conseil constitutionnel de juillet 1993). Après une révision
constitutionnelle (vers 2004), il serait possible à la collectivité
territoriale d'adapter, dans certains domaines, des dispositions législatives
qui ne seraient pas soumises à une validation ultérieure du Parlement.
Enfin, le gouvernement français s'est montré disposé à se placer dans la
perspective d'une suppression des deux départements de la Corse et
de l'instauration d'une collectivité unique à l'expiration du mandat de l'Assemblée de Corse en 2004, «tout en relevant que cette perspective n'a pas
à être concrétisée durant la présente législature et qu'elle impliquerait
une révision constitutionnelle». Cependant, ce qu’on a appelé le
«compromis corse» est étalé jusqu’en 2004 et reste ouvert à diverses
interprétations. Le projet de loi que les députés français étaient appelés à
voter vise à doter la Corse d’un troisième statut particulier
en vingt ans.
Encore une fois, beaucoup de Français ont alors redouté que ce processus ne fasse tache
d’huile dans d’autres régions de la France, notamment en Alsace, en
Bretagne, au Pays basque, etc. Les Français comprennent en général qu’on
veuille promouvoir l’enseignement du corse, mais en autant que le français
demeure la seule langue officielle. Rendre le corse obligatoire à l’école
équivaudrait, selon certains, à la «corsification des emplois», ce qui
serait inacceptable dans la fonction publique... pour les Français
métropolitains.
Finalement, les députés de l’Assemblée nationale française ont adopté, le mardi
22 mai 2001, en première lecture, par un vote solennel, le projet de loi
relatif à la Corse: c'est la loi no 2002-92 du 22 janvier 2002
relative à la Corse. Comme d’habitude, les nationalistes corses considèrent
que le projet est vraiment un minimum et qu'il y a encore beaucoup de chemin à
parcourir pour amener la réforme à son terme, tandis que les opposants croient
que «ce projet de loi n'est pas un texte décentralisateur, mais
l'enclenchement d'un processus conduisant à l'indépendance de la Corse». On
parle même d’une «honte pour la démocratie» et d’une «faillite des
chefs».
Quoi qu’il en soit, le Sénat a modifié de fond en
comble le projet de loi sur la Corse, notamment sur les transferts législatifs
et réglementaires à l'Assemblée de Corse, ainsi que sur l'enseignement de la langue corse.
Contre l'avis du gouvernement, les sénateurs ont modifié
l'article 7 sur l'enseignement de la langue corse, en insistant sur
son caractère facultatif.
Article 7
I. - Il est inséré, dans la section 4 du chapitre II du titre Ier du livre
III de la deuxième partie du Code de l'éducation, un article L. 312-11-1 ainsi
rédigé :
« Art. L. 312-11-1. - La langue corse est une matière enseignée dans le
cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse.»
II. - Le deuxième alinéa de l'article L. 4424-5 du code général des
collectivités territoriales est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement
de l'enseignement de la langue et de la culture corses, dont les modalités
d'application font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité
territoriale de Corse et l'État.
« Cette convention prévoit les mesures d'accompagnement nécessaires, et
notamment celles relatives à la formation initiale et à la formation continue
des enseignants. »
|
Selon la formule retenue par les sénateurs, la
langue corse est «une matière dont l'enseignement est proposé dans le cadre
de l'horaire normal des écoles de Corse». Les députés avaient décidé que
«la langue corse est une matière enseignée dans le cadre normal des écoles
maternelles et élémentaires de Corse». De plus, le Conseil constitutionnel a
maintenu les décisions les positions du Sénat. Dans sa
décision du 17 janvier 2002, le
Conseil constitutionnel a considéré que le pouvoir d'adopter des lois, qui
appartient au Parlement français, ne peut être transféré à l'Assemblée de
Corse. En revanche, le soin d'élaborer des règlements, lequel relève du
gouvernement, pourra être transféré, selon le Conseil constitutionnel, à
cette assemblée sous certaines conditions. De même, le Conseil a donné le feu
vert à l'enseignement de la langue corse «dans le cadre de l'horaire normal
des écoles maternelles et élémentaires» de l'île, en insistant
toutefois sur le caractère facultatif de cet enseignement.
Ainsi, la loi sur la Corse (loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002
relative à la Corse) est entrée en vigueur, même si elle ne va pas aussi loin
que l'aurait espéré l'ancien premier ministre français (Lionel Jospin). Pour les
nationalistes corses, cette loi constitue encore «un échec». La nouvelle loi
sur la Corse donnera à l’Assemblée de Corse le pouvoir d’«adapter des
lois de la République» et leurs règlements d’application, mais pour chacune des
«adaptations législatives» demandées par l’Assemblée de Corse, une loi
votée par le Parlement de Paris devra «fixer la nature et la portée» de «l’expérimentation»,
qui aura lieu pour un «délai fixé». De même, l’adaptation d’un
règlement sera conditionnée à une «habilitation» préalable du Parlement. Bref,
l'Assemblée de Corse se sent muselée.
En fait,
il s'agit à peine d'une «délégation de pouvoirs», alors que les Corses auraient
espéré une «dévolution» un peu à l'exemple de celle des Gallois au
Royaume-Uni. Enfin, le 6 juillet 2003, les 191 000 électeurs de Corse ont
rejeté par 50,98 % des voix un nouveau statut administratif de l'île, défendu
par le gouvernement français et prévoyant le regroupement de leurs deux
assemblées territoriales en une seule entité. Le ministre français de
l'Intérieur a déclaré que les Corses conserveront leur statut quo. C'était
la première fois que les Corses étaient appelés à se prononcer sur l'avenir
de leur île en proie depuis des décennies à la violence nationaliste. Les
opposants à la réforme proposée ont cru que le OUI aurait renforcé une
certaine autonomie déjà dotée de plus de compétences qu'aucune autre
région métropolitaine. Mais la victoire du NON replaça les milieux
nationalistes corses dans la tourmente.
3.7 La co-officialité du corse de 2013
|
Le 17 mai 2013, au terme de deux jours de débats et de travaux en commission, l'Assemblée de
Corse a fini par adopter la proposition de statut pour la co-officialité et la
revitalisation de la langue corse par 36 voix en sa faveur et 11 non-participations au
vote. Plus d'une centaine d'amendements avaient été déposés à l'issue de la première journée de travaux.
Aucun vote n'a été exprimé contre ce texte qui, en revanche, a reçu les voix des
deux groupes nationalistes, d'un conseiller territorial de droite et de la
majorité de gauche, à l'exception des élus de la Gauche républicaine qui n'ont
pas participé au vote. Bref, la co-officialité de la langue corse et du français
a été reconnue par la Corse, pas par la France.
Les Propositions pour un statut de co-officialité et la revitalisation de la
langue corse prévoient l'utilisation de la langue corse dans tous les domaines
de la vie publique, économique et sociale (éducation, services publics, médias).
Afin de protéger, d'encourager et de normaliser l’usage du corse
dans tous les domaines et garantir l’emploi officiel du français et
du corse à parité, les propositions prévoient aussi un vaste plan de
formation, notamment du personnel de la fonction publique. |
L'article 3 des
propositions déclare que
«le français et le corse
sont les langues officielles de la Corse» sur tout le territoire administré par
la CTC (Collectivité territoriale de Corse):
Articulu 3 I lingui ufficiali
1) U francesi è u corsu sò i lingui ufficiali di a
Corsica. I puteri publichi adottani i misuri parmittindu di guarantiscia l’impiegu
di a lingua corsa à tempu com’è lingua di u sirviziu è com’è lingua di u
travaddu.
2) U corsu è u francesi, in quant’è chè lingui
ufficiali à nantu à u tarritoriu amministratu da a CTC, poni essa impiigati
indistintamenti è senza discriminazioni da tutti i citadini è in tutti i so
attività privati o publichi. L’atti ghjuridichi sò ridattati in i dui lingui
ufficiali.
3) Un attu di enunciazioni in lingua corsa ùn hè micca
di obligu ch’iddu fussi suvitatu o pricidutu da a so traduzzioni francesi. A
traduzzioni sistematica di l’atti publichi ùn fendu micca lagnanza, di a
signaletica privata è publica for’di nicissità di sicurità, di l’opari, di i
prudutti di cumunicazioni, di i tupunimi è di i pruduzzioni culturali ùn sarà
ricircata. |
Article 3
Les langues officielles
1)
Le français et le
corse sont les langues officielles de la Corse. Les pouvoirs publics adoptent des mesures permettant de garantir
l’emploi de la langue corse à la fois comme langue de service et comme langue de
travail.
2)
Le corse et le
français, en tant que langues officielles sur le territoire
administré par la CTC, peuvent être employés indistinctement et
sans discrimination par les citoyens et citoyennes dans toutes leurs activités
privées ou publiques. Les actes juridiques sont dressés en l'une et l'autre des deux
langues officielles.
3)
Un acte
d’énonciation en langue corse n’est pas obligatoirement suivi ou
précédé par sa traduction française. La traduction
systématique des actes publics ne faisant pas grief, de la signalétique privée et publique
hors nécessité de sécurité, des ouvrages, des produits de communication, des
toponymes et des productions culturelles ne sera pas recherchée.
|
L'article 4
des propositions précise que les citoyens
qui ont le droit de s'exprimer librement dans l'une ou l'autre langue dans leurs
communications avec les pouvoirs publics, sans subir de discrimination pour des
motifs linguistiques:
Articulu 4 I dritti
linguistichi
1) In cunfurmità à a leghji n°94-665 di u 4 di austu di
u 1994 rilativa à l'impiegu di a lingua francesi è in u quadru di u prisenti
statutu ugnunu t’hà u drittu di :
a) Cunnoscia i dui lingui ufficiali,
b) Sprima si indifarintimenti è senza una scelta
imposta in i dui lingui ufficiali, à l’urali è à u scrittu, in i so
rilazioni incù i puteri publichi è in i so atti publichi è privati,
c) Essa accoltu in l'una o quidd’altra di i dui
lingui ufficiali in i tarmini stabiliti da a prisenti leghji,
d) Ùn subiscia discriminazioni pà via di a lingua
ufficiali chì omu usa.
2) Ugnunu pò adrizzà si à i tribunali pà ch’iddi
prutighjissini ghjudizialmenti u so drittu à usà di a lingua di a so scelta in i
situazioni di a vita di ugni ghjornu. Hè un drittu individuali ricunnisciutu à u
citadinu, è micca una cuazzio i fatta à i tribunali di renda i so atti in lingua
corsa. |
A rticle
4
Les droits linguisti ques
1)
Conformément à la
loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
et dans le cadre du présent statut chacun
a le droit de:
a)
connaître les
deux langues officielles,
b)
s'exprimer
indifféremment et sans choix imposé dans ces deux langues officielles, oralement et par écrit, dans ses
relations avec les pouvoirs publics et dans ses actes publics et privés,
c)
être
accueilli dans l'une et l'autre des deux langues officielles dans
les termes établis par la présente loi,
d)
ne pas subir
de discrimination en raison de la langue officielle qu'il utilise.
2)
Chacun peut
s'adresser aux tribunaux pour qu'ils protègent judiciairement son droit à utiliser la langue de son choix dans les
situations de la vie courante. Il s’agit d’un droit individuel reconnu au citoyen, non d’une
contrainte faite aux tribunaux de rendre leurs actes en langue corse.
|
L'article 9 des propositions
est consacré à l'enseignement bilingue.
Articulu 9
A generalizazioni di l’insignamentu bislinguu
L’insignamentu dispinsatu in Corsica t’hà
vucazioni ad accumpagnà i sculari versu un bislinguisimu francesi-corsu, apartu
à u plurilinguisimu.
a) L’insignamentu bislinguu sarà
giniralizatu sigondu à u calendariu è i mudalità d’insirimentu di a lingua
corsa in u tempu scularu difiniti da u Pianu di sviluppu di l’insignamentu
di a lingua corsa arristatu da l’Assemblea di Corsica, à tutti i liveddi di
a scularità, da a scola materna à l’insignamentu supiriori.
b) À u primariu è à u sigundariu, u
sistema educativu prupunarà sigondu à u pianu di sviluppu è d’insignamentu
di a lingua corsa fissatu da l’Assemblea di Corsica trè tippi di filieri : i
filieri chì integrani l’insignamentu di a lingua corsa in una fasa
transitoria, i
filieri bislingui paritarii è i filieri bislingui chì pruponani un sistema
di immersioni precoci.
c) À a fini di a scularità ubligatoria,
tutti i sculari devini avè una cunniscenza minima di liveddu B2 in i dui
lingui ufficiali.
U corsu hè u vettori di cumunicazioni nurmali di
sprissioni in l’attività pidagogichi o amministrativi rializati in u quadru di u
sistema educativu.
I sculari chì integrani u sistema educativu corsu
in u mentri di a so scularità ricevini un aiutu spiciali è cursi di richjappu pà
a so amparera di u corsu.
I cumpitenzi acquistati in lingua corsa sò
validati in i stessi cundizioni è sigondu à i stessi cuifficenti chè a lingua
francesi in tutti l’esami è diplomi di u sigondu gradu rimissi in Corsica. |
Article 9
La généralisation de l’enseignement bilingue
L’enseignement dispensé en Corse a pour objectif
d’amener les élèves au bilinguisme français-corse, ouvert au
plurilinguisme.
a)
L’enseignement
bilingue sera généralisé selon le calendrier et les modalités d’insertion de la langue corse dans le temps
scolaire définies par le Plan de développement de l’enseignement de la langue corse
arrêté par l’Assemblée de Corse, à tous les niveaux de la scolarité, de la
maternelle à l’enseignement supérieur.
b)
Au primaire et au
secondaire, le système éducatif proposera conformément au plan de développement de l’enseignement de la langue
corse arrêté par l’Assemblée de Corse trois types de filières: les filières
intégrant l’enseignement de la langue corse qui ont un caractère transitoire, les filières
bilingues paritaires et les filières bilingues proposant le système de l’immersion
précoce.
c)
À l’issue de la
scolarité obligatoire, tous les élèves doivent avoir une
connaissance minimum de niveau B2 dans les deux langues
officielles. Le corse est un véhicule normal d’expression dans les activités pédagogiques
ou administratives réalisées dans le cadre du système éducatif.
Les élèves intégrant le système éducatif corse
durant leur scolarité reçoivent un soutien spécial et des cours de rattrapage pour leur
apprentissage du corse.
Les compétences acquises en langue corse sont
validées dans les mêmes conditions et selon les mêmes coefficients que la
langue française dans tous les examens et diplômes du second degré délivrés en
Corse.
Pour les élèves n’ayant pas réalisé au moins trois
années d’études secondaires dans des établissements de l’Académie de Corse, un
règlement établi par la CTC et l’autorité académique précisera les conditions de
dispense en fonction des types de situation rencontrés.
|
Parmi les autres articles importants, citons l'article
16 qui impose la maîtrise de la langue corse par les fonctionnaires et
agents publics affectés en Corse:
Articulu 16
U ricrutamentu è a furmazioni di i funziunarii
a) A maistria di a lingua corsa
cirtificata da u liveddu B2 da i funziunarii è agenti publichi salvu
insignamentu affettati in Corsica faci parti di una furmazioni statutaria
ubligatoria.
[...] |
Article
16
Le recrutement et la formation des fonctionnaires
a)
La maîtrise de la
langue corse certifiée par le niveau B2 par les fonctionnaires et agents publics hors enseignement affectés en Corse
fait l’objet d’une formation statutaire obligatoire.
[...] |
Il faut comprendre que ces «propositions» ne constituent pas une
loi. Bien que l’Assemblée de Corse ait reconnu le droit de connaître et
d'apprendre la langue corse et de s'exprimer dans cette langue, à l'oral comme à
l'écrit, dans tous les actes de la vie publique, même si elle veut promouvoir
l’enseignement du corse dans les écoles, de faire apprendre le corse aux
fonctionnaires ou d'imposer l’usage du corse dans la toponymie, ces propositions
demeurent sans effet, parce qu’elles n’ont pas d'assise légale, et ce, d'autant
plus que l'Assemblée de Corse n'a pas les moyens d'imposer de telles mesures.
Évidemment, cette réforme sur la co-officialité de la langue corse et du français
n'a que fort peu de chance d'être acceptée par la majorité francophone de l'île,
sans compter le rejet systématique des Français du continent. En effet, pourquoi
apprendraient-ils une langue minoritaire comme le corse? Tout Français
naturellement jacobin est contre le fait d'enseigner une langue locale dans les
écoles. Par exemple, si un citoyen du Sud est amené à s'installer en Bretagne
pour son travail, il devrait faire apprendre le breton à ses enfants? C'est une
sottise pour lui et il ne saurait en être question!
Le ministre de l'Intérieur, à l'époque, Manuel Valls (qui deviendra premier
ministre), s'était dit «défavorable» au
statut de co-officialité de la langue corse, votée par l'Assemblée de Corse.
Pour le gouvernement français, il n’y a qu’une langue de la République,
c’est le français. Pour M. Valls: «Il n’est pas concevable qu’il y ait sur une partie du
territoire, une deuxième langue officielle.» Tout accroc à cette règle constitue
une atteinte à l'unité nationale. Étrangement, Manuel Valls est d'origine
catalane, un région d'Espagne où existe la co-officialité des langues (catalan
et espagnol). M. Valls a obtenu la citoyenneté française en 1982 à la suite de
ses études universitaires en France. Outre le français, il parle lui-même le
catalan, en plus de l'espagnol et de l'italien. Il a sûrement oublié ses
origines.
Quoi qu'il en soit, la manière jacobine de voir la réalité n'est pas la seule
qui existe. Ainsi, le statut de co-officialité locale existe en Espagne, au Royaume-Uni et en
Italie, et dans plusieurs autres pays. En Afrique du Sud, la
Constitution de 1996
reconnaît onze langues officielles, dont deux langues «blanches» (anglais et
afrikaans) et neuf langues «noires» de type bantou: le ndébélé, le sotho (ou
sepedi), le sesotho (sotho du Sud), le swazi, le tsonga, le tswana, le venda, le
xhosa et le zoulou. Quant à l'Inde, qui compte 22
langues constitutionnelles, c'est un modèle du genre.
Pour ce qui est des Propositions pour un statut de co-officialité et la revitalisation de la
langue corse, elles risquaient
d'être invalidées par le Conseil constitutionnel, compte tenu du fait que la France a refusé
de ratifier la Charte européenne des langues minoritaires en mai
2013,
contrairement à l'engagement de campagne pour l'élection présidentielle de
François Hollande. De toute évidence, cette promesse non tenue a été faite pour
attirer les votes de la gauche bretonne, basque ou corse, sensible à ces
questions. L'application du statut de co-officialité nécessiterait, en outre,
une révision de la Constitution actuellement en discussion entre les élus corses
et le gouvernement français. À cet égard, le président de la République avait
déclaré lors de son déplacement en Corse, le 3 octobre 2014 qu’«on ne change pas
la Constitution simplement par la volonté du président de la République, cela
suppose une majorité des 3/5e au Congrès».
Paul Giacobbi, président du Conseil exécutif de Corse et président de la
Collectivité territoriale de Corse, déclarait de son côté: «La
reconnaissance de la langue corse et d’une langue en général est, au-delà de la
Constitution, un droit naturel des peuples. Par conséquent, nous le contester
est tout à fait scandaleux.» M. Giacobbi a prévenu qu'il allait agir au plan
international pour forcer la France dans ses retranchements :
J’examinerai, à fond, tous les recours sur le
plan international, y compris la mise en évidence des contradictions de la
France qui voudrait imposer, avec arrogance, à d’autres pays de faire vis-à-vis
de leurs langues minoritaires ce qu’elle se refuse, elle, à faire pour ses
propres langues minoritaires. Le tibétain au Tibet, oui ! Mais le corse en
Corse, la France ne peut pas ! Parce qu’elle a des principes ! C’est çà le
scandale !
|
N’en déplaise à M. Giacobbi, si cela ne tient qu'à la majorité des Français,
la langue corse ne sera jamais inscrite dans la Constitution française, et pour
eux, c’est très bien ainsi. La France reconnaît bien le droit des peuples à
disposer d’eux même, mais ce droit ne vaut que pour les peuples opprimés comme
les Tibétains, car selon la législation française il n'y a
pas de «peuple corse», même comme composante du «peuple français».
Depuis la fin de 2015, l’Assemblée de Corse est dirigée par des
nationalistes. Le président de l'Assemblée, Jean-Guy Talamoni, et aussi chef du
parti indépendantiste Corsica Libera, répète souvent: «La Corse n’est pas
française.» Les Corses nationalistes demandent l'abolition des deux départements
français – la Haute-Corse et la Corsedu-Sud – au profit d’une collectivité
territoriale unique. Le combat pour un nouveau statut doit aboutir le 1er
janvier 2018, similaire à la Guyane et à la Martinique. Évidemment, les leaders
nationalistes militent pour la «co-officialité de la langue corse». Selon Jen-Guy
Talamoni:
Il y a bien des propositions, comme la création
d'une agrégation de langue corse. C'est très bien, nous l'avons demandé, mais
cela n'est pas au centre de nos revendications, cela ne suffira pas pour sauver
notre langue. Ce qu'il s'est passé aujourd'hui, ce n'est pas une surprise. C'est
la confirmation d'une position qui a été affirmée de façon ancienne. Et, pour
notre part, nous avons bien sûr réaffirmé notre revendication fondamentale tout
en sachant parfaitement qu'elle ne pourrait pas être satisfaite immédiatement." |
Encore une fois, pour le gouvernement français, la co-officialité
linguistique n'est pas possible, car elle mettrait en danger l'unité nationale.
Vraiment, M. Manuel Valls, originaire de la Catalogne, a oublié que le statut du
catalan, sa propre langue maternelle, est celui de la co-officialité, comme
c'est le cas non seulement en Espagne, mais aussi dans certaines régions en
Afrique du Sud (tous les États), au Canada (Nouveau-Brunswick et Nunavut), aux
États-Unis (Hawaï, Guam et Porto Rico), en Belgique (Bruxelles), en Inde
(plusieurs États), en Italie (Vallée d'Aoste et Bolzano), en Suisse (quatre
cantons), en Russie, etc. Pour l'instant, la situation linguistique en Corse
semble bloquée.
3.8 Le terrorisme corse
Au cours de l'histoire, l'utilisation de
la violence à des fins politiques a constitué une pratique courante pour
certains États, mais aussi pour des groupes
ou des individus motivés par diverses revendications. La première apparition du mot
«terrorisme» provient de la «Terreur» lors de la Révolution française en 1793.
Au cours du XIXe siècle,
le terrorisme fut utilisé pour désigner une violence contre des États, par
exemple en Irlande lors de la domination
britannique, en Russie tzariste ou dans les Balkans dominés par l'Empire
ottoman.
|
En Corse, le terrorisme a commencé en 1976
avec la création du FLNC, le Front de libération nationale corse,
qui luttait pour défendre
la «nation corse» face au «colonialisme français». Très actif au cours des
années 1970 et 1980, les membres du FLNC ont mené de nombreux d'attentats,
notamment contre des résidences
secondaires occupées par des vacanciers, mais aussi des meurtres de notables
locaux, des guerres fratricides entre mouvements ennemis, des
explosions de voiture piégée à Bastia et, entre autres, l'assassinat
du préfet de Corse (1998), le plus haut représentant de l’État
français dans l’île. Les assassinats commis depuis quelques
décennies en Corse ont fait que le taux de meurtre par habitant en
Corse est devenu le plus élevé d'Europe. C’était là le signe certain
d’un pourrissement de la situation. |
L'élan du FLNC s'est ensuite
calmé à la suite des attentats du
11 septembre 2001 aux États-Unis, lesquels ont changé la donne en Corse comme au Pays
basque ou en Irlande du Nord. Lorsque Al-Qaeda a commencé à frapper dans un
pays, l'organisation terroriste local corse en a pris pour son rhume! Désormais,
les actions terroristes corses
allaient paraître beaucoup plus difficiles à justifier. En effet, le
terrorisme islamique a eu pour effet d'éclipser le terrorisme corse, irlandais
et basque. De fait, les pouvoirs publics et la presse en général ont semblé mieux
s'accommoder des «bombes corses» que des «cellules islamistes» ou
djihadistes. Toutefois, à partir de 2010, les membres de l'organisation
terroriste corse ont menacé de se réunir
à nouveau pour reprendre leurs activités. En témoignent, chaque année, des
dizaines d'attentats à la bombe, notamment contre les gendarmeries corses, afin
de dénoncer «l'attitude ultra-jacobine de la France».
Il est vrai que les autorités françaises tardent à régler
le litige avec la Corse. Devant l'inaction du gouvernement français, le
mouvement du FLNC, la branche armée des Corses autonomistes, n'a pas hésité à
reprendre ses exactions qui, comme c'est souvent le cas, causent plus de torts à
des innocents qu'au gouvernement. D'un côté, il y a le
peuple corse qui désire obtenir plus d'autonomie, voire l'indépendance de manière légale,
ce qui paraît tout à fait légitime, de l'autre, les extrémistes qui font
exploser des bombes dans les bâtiments publics ou
dans les villas des «pinsutes» (Français, Allemands, Britanniques, etc.).
Loin de condamner la lutte armée, les
dirigeants nationalistes corses en soulignent la
contribution. Lors de son élection en décembre 2015, le
président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a
agité le poing en déclarant:
Dans les années 1970, on était en train de
disparaître, sous nos yeux: notre peuple, notre langue, notre culture, notre
littoral, qui était en passe d’être bétonné par des spéculateurs immobiliers.
[...] Qu’est-ce qui pouvait être fait ? Accepter qu’un petit peuple venu du fond
des âges, avec sa langue, sa culture, sa manière de participer au monde,
disparaisse? [...] Nous n’avons pas été détruits parce qu’il y a des gens qui
sont restés debout et qui ont pris les armes. |
Bien entendu, la grande majorité des Corses dits modérés n'approuve
pas ces actions, mais en général cette majorité silencieuse ne les condamne
jamais. Personne ne les dénonce et
tout le monde attend que ces groupuscules fassent plier le gouvernement. Si cela
se réalise, les «modérés» en récupéreront les fruits, mais si cela n'aboutit
pas, les
extrémistes feront le travail de sape qui amènera un jour l'État à vouloir se
départir de
cette population. Autrement dit, tout le monde, du moins en Corse, y gagnerait à ce petit jeu !
En tout cas, c'est ce que pensent bien des Français.
4 Le statut
juridique actuel du corse
Le corse n’a pas encore à l’heure actuelle de
véritable statut juridique, et cela, bien
qu’il jouisse d’une certaine reconnaissance officielle au plan
régional. La plupart des Corses d'origine parlent le corse dans la vie privée,
mais dans les situations formelles de communication cette langue reste
sous-employée. Par exemple, à l'Assemblée de Corse
(il y en a deux), le
français demeure généralement la langue d'usage, mais certains grands débats
suscitent parfois l'émergence du corse, surtout de la part des conseillers
nationalistes et autonomistes. Au plan local, beaucoup de conseillers
municipaux délibèrent en corse, mais n'écrivent et ne lisent les actes
officiels qu'en français.
4.1 Les tribunaux
À part les situations informelles, toutes les communications avec l’administration
de l’État ou de l’île ne se déroulent qu’en français. Dans les cours
de justice, il n’est pas non plus possible d’obtenir un procès en
corse, même si tout
le monde parle corse, c'est-à-dire l'accusé, les témoins, les avocats, le juge, etc. Il ne s’agit donc pas
là d’un droit, car une telle pratique entraînerait la nullité du procès.
De toute, façon, il n’existe pas de possibilité de
traduction simultanée et les documents qui ne sont pas rédigés en français
ne sont pas admis dans les tribunaux. En somme, le français demeure donc la seule
langue utilisée en matière de justice.
4.2 Les services administratifs
En ce qui a trait aux services publics, l’emploi du corse est nul.
Le gouvernement français n’a jamais entrepris une quelconque politique de
promotion à l’égard du corse dans la vie publique et encore moins dans ses
relations avec les citoyens. D’ailleurs, les documents administratifs ne sont
rédigés qu’en français. Cependant, occasionnellement, certains citoyens s’expriment
en corse lorsque les fonctionnaires parlent aussi cette langue, surtout si la
communication demeure informelle (la famille, la pluie, le beau temps, etc.). Pour ce qui
relève des autorités régionales, elles ne tiennent pas compte de la
maîtrise du corse dans le recrutement de leurs employés. La République
considérerait l'emploi du corse comme une
corsification des fonctions de l'État, ce qui
irait à l'encontre de la Constitution française qui garantit à tout citoyen
l’égalité sur l’ensemble du territoire national et d’outre-mer. Dans cette
perspective, l'égalité ne vaut que pour la majorité qui parle le français.
Il n’est pas surprenant que, sous la pression des citoyens corsophones, l’Assemblée
de Corse ait tenté à plusieurs reprises d’officialiser l’usage du corse.
Déjà, en 1983, l’Assemblée avait adopté à l’unanimité la motion
suivante:
L'Assemblée de Corse se voit investie, aux termes de la loi portant
décentralisation de la Corse, de la lourde charge de définir une «politique
culturelle» qui s'apparente en fait à un véritable plan de sauvetage culturel. Elle
a pris acte du caractère fondamental de la langue comme ciment de la culture, et de
l'urgence de mettre en oeuvre une réelle politique de réappropriation culturelle qui
traduise la volonté de l'assemblée de rendre sa langue à son peuple. Consciente du
caractère historique de ses responsabilités, l'Assemblée de Corse a décidé de
s'engager dans une politique de bilinguisme dans le cadre d'un plan triennal qui sera
élaboré en concertation avec l'État, ce bilinguisme étant compris de la maternelle à
l'université. Le bilinguisme, pratiqué de façon extrêmement satisfaisante dans de
très nombreuses régions du monde et, plus près de nous, en Europe, fera l'objet d'une
étude sur ses applications contemporaines, son fonctionnement [...] Dès la prochaine
rentrée scolaire sera mise en place une formation accélérée des formateurs [...] et
l'enseignement de la langue fera l'objet d'une modulation horaire sur la base du principe
de l'enseignement obligatoire [...]. Cette définition de la politique culturelle de notre
Assemblée concernant la langue appellera des démarches nécessaires auprès de l'État
afin de mettre en harmonie éventuellement des dispositions légales et réglementaires
qui s'opposeraient à une application cohérente du statut particulier, par l'usage
éventuel de l'article 27. D'ores et déjà, parallèlement, l'usage de la langue corse
sera généralisé dans le cadre de la toponymie des lieux, des villages, des villes, dans
le cadre de l'information et de la formation audio-visuelles, ainsi que pour certains
actes de la vie publique. |
La réponse du gouvernement français, datée du 30 septembre 1983 et
signée de la main du premier ministre de lépoque (Pierre Mauroy), opposa au
président de lAssemblée de Corse une fin de non-recevoir enrobée dans un
raisonnement qu'on pourrait qualifier de quelque peu mielleux et manipulateur:
Vous comprendrez que les actions engagées par l'État dans ce domaine ne
peuvent l'être que dans le respect du pluralisme auquel le gouvernement et le peuple
français sont profondément attachés, il ne saurait donc être question si l'on
considère la demande des Français et les besoins de formation des jeunes dans des
domaines de plus en plus diversifiés, d'imposer à ceux qui ne voudraient pas le suivre
un tel enseignement, quelle que soit la richesse de son apport culturel. En définitive,
ne croyez-vous pas que la richesse et le dynamisme d'une langue et d'une culture ne
sauraient être mieux assurés que dans la liberté et la possibilité effective donnée
à tous dy avoir accès? |
Il y a eu aussi la
Motion sur l'officialisation de la langue corse
adoptée par l'Assemblée de Corse le 26
juin 1992 et les Propositions pour un statut de co-officialité et la revitalisation de la
langue corse de mai 2013.
Même la déclaration d'un prénom corse à un
fonctionnaire de l'état civil peut être interprété par ce dernier comme le
signe d'un «militantisme politique». L'employé de l'État peut manifester une
attitude bienveillante, voire paternaliste, ou au contraire réagir par des
tracasseries administratives fort déplaisantes.
Théoriquement, l’officier d’état civil peut
refuser d'enregistrer un prénom qui pose problème, mais les cas du genre
demeurent néanmoins rarissimes. Dans ces conditions,
les Corses sont peu enclins à utiliser formellement le corse.
5 L’enseignement
du corse
En 1985, la circulaire Savary, le texte réglementaire officiel du
gouvernement français, précisait que «cet enseignement sera basé sur le
volontariat des élèves et des enseignants». L’ordre est formel: «Il n'est
pas question d'imposer la langue et la culture régionales comme matière
obligatoire, pas plus que d'obliger les enseignants à la dispenser.»
Dans le seul cas où le volontariat d'un maître
correspondrait à une demande des
familles, on fera apprendre des comptines à l'école maternelle, on pourra
faire intervenir le corse dans le cadre des «activités d'éveil» de l'école
élémentaire, on ménagera dans les collèges une heure hebdomadaire
d'enseignement facultatif de «culture et langue régionales» pourvu qu'un
minimum de 15 élèves en ait fait la demande. Quelques années plus tard, en
juin 1992, l’Assemblée de Corse adopta une motion sur l'officialisation de la
langue corse (art. 1). On peut
consulter la Motion
du 26 juin 1992 sur l'officialisation de la langue corse. À l'article 5,
on pouvait lire: «Pour l'année scolaire 1992-93, la
langue corse est enseignée à tous les élèves de l'Académie de Corse, à
tous les niveaux, à raison de trois heures hebdomadaires au minimum.»
Évidemment, la République n’a pas plus reconnu cette nouvelle motion,
cela d’autant plus que les Corses parlent encore du «peuple corse» (art. 2).
Cette simili-loi – parce que ce n’est pas une loi – n’a rien changé à
la situation juridique du corse dans l’île. Même si l’Assemblée de Corse
reconnaît le droit de connaître et d'apprendre la langue corse et de
s'exprimer dans cette langue, en parole ou par écrit, dans tous les actes de la
vie publique (art. 3), même si elle prétend imposer l’usage du corse dans la
toponymie (art. 4), même si elle veut promouvoir l’enseignement du corse dans
les écoles (art. 5), la motion reste lettre morte parce qu’elle n’a pas
d'assise légale, et ce, d'autant plus que l'Assemblée de Corse n'a pas les
moyens d'imposer une telle mesure.
Dans le domaine de l'éducation publique, il n'existe pas d'école officielle
en langue corse. Étant donné que, selon la législation française en vigueur,
le corse ne peut être obligatoire, la seule langue d'enseignement reste le
français. Pourtant, l'article 52 du Statut de Corse de 1991 autorise les
autorités locales à réglementer la langue de l'enseignement:
Article 52
Sur proposition du Conseil exécutif qui recueille l'avis du conseil économique,
social et culturel de Corse, l'Assemblée détermine les activités éducatives
complémentaires que la collectivité territoriale de Corse organise.
L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement de
l'enseignement de la langue et de la culture corses, prévoyant notamment les modalités
d'insertion de cet enseignement dans le temps scolaire. Ces modalités font l'objet d'une
convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l'État.
|
Depuis une dizaine d'années, les autorités corses ont fait de réels
efforts pour assurer un enseignement de qualité de la langue et la culture
corses: création d'un CAPES (certificat), nomination d'inspecteurs
pédagogiques, dotation en postes de professeurs, implantation de laboratoires
de langue dans les établissements du second degré, développement d'outils
pédagogiques modernes, édition de livres pour les différents niveaux, etc. La
dernière estimation de 2002 fait état de 21 400 élèves du primaire,
7400 collégiens et 2000 lycéens qui suivaient ces enseignements. Quelque
2000 élèves supplémentaires pratiquaient la langue dans des cursus prévoyant le
même nombre d'heures de cours en corse qu'en français. À la rentrée 2003, quatre
nouveaux sites d'enseignement bilingue ont ouvert leurs portes.
5.1 Les écoles primaires
La politique d'enseignement de la langue et de la
culture corses se présente selon deux modalités différentes:
a) une offre généralisée de l'enseignement de la langue corse
comme objet d'étude, à raison de trois heures hebdomadaires ; le
corse peut être étudié dans ce cadre comme «option, langue
vivante 2» ou «langue vivante 3» ;
b) un enseignement bilingue, où le corse est la langue
d'enseignement des différentes disciplines non linguistiques au
même titre que le français; l'enseignement en corse peut occuper
jusqu'à 50 % de l'emploi du temps des élèves (13 heures
hebdomadaires en premier degré).
Selon les estimations officielles, le corse est enseigné dans la plupart des
écoles primaires. Cette situation s’explique en grande partie par les campagnes
menées pour que la loi Deixonne de 1951 s'applique aussi au corse. De façon
plus précise, en 1995, quelque 76 % des élèves des écoles primaires
recevaient un enseignement du corse en raison de six heures/semaine dans le
cadre d’activités dites «d’éveil»; on estime à 85 % la proportion des
élèves qui, en 1998, apprenaient le corse. 260 écoles
De plus, en vertu de son statut facultatif, le corse demeure au bas de l’échelle des disciplines. La principale limite
du dispositif actuel réside dans le principe de volontariat des maîtres et des
familles. Quant à ceux qui n'apprennent pas
le corse, ce n'est d'abord pas parce que leurs parents refusent cet enseignement, mais
parce que celui-ci n'est pas offert: ou bien le professeur ne le parle pas ou
bien il refuse de l'enseigner. Autrement dit, lorsque l'enseignement du corse
est proposé, la plupart des élèves l'étudient.
5.2 Au secondaire
Il n'existe aucune statistique officielle concernant le temps consacré au
corse dans les écoles secondaires. Les élèves semblent assez nombreux dans
les deux premières années; dès la troisième année, l’alourdissement des
horaires provoque un brusque fléchissement des effectifs scolaires. Devant cet
échec, des expériences ont été tentées avec les «classes
méditerranéennes» ouvertes dans deux collèges: le collège du Finusellu
d’Ajaccio et le collège Clémenceau de Sartène.
Les élèves de ces sections étudient en même temps le corse et une autre
langue romane – italien ou espagnol – et reçoivent une initiation au latin
tout en tenant compte l'apport des langues romanes étudiées dont le français.
L'objectif est de parvenir à un bilinguisme ou un plurilinguisme au terme du
premier cycle (au secondaire) en s'appuyant sur la parenté entre les langues
romanes. Or, l’île de Corse n’entretient à peu près aucun lien ni avec l’Italie
ni avec l’Espagne. C’est pourquoi les projets qualifiés de
«méditerranéens» semblent manquer de réalisme.
5.3 Le constat d’échec
Au bout du compte, il n'est guère surprenant de constater que cette
politique d’enseignement du corse ait conduit à des constats d'échec. Ainsi,
pour les 5000 enfants du primaire qui font du corse – sur un effectif total
d'environ 20 000 –, ce nombre ne représente par rapport à ce que l'on
enseigne en langue française que 1 % du total. Quant au secondaire, une analyse
conduite par des enseignants révèle que l’enseignement facultatif du corse
se solde par des résultats catastrophiques, coûte très cher et reste donc
inutile. En réalité, c'est d'abord parce que l'utilité sociale et scolaire du
corse est considérée par tous comme dérisoire et que, face aux matières
obligatoires — français, mathématiques, etc., toutes auréolées d'une
énorme valeur culturelle —, le corse ne pèse pas lourd dans la balance.
Bref, confronté à la méfiance du pouvoir politique français mais aussi à
la force des préjugés et à la dévalorisation sociale, l'enseignement de la lingua
corsa ne semble pas, jusqu’ici, être la panacée dont avaient rêvé ses
défenseurs. Tel qu'il est, cet enseignement représente certainement un acquis
culturel, mais son utilité dans la vie réelle n’étant pas clairement
apparue, la tendance actuelle est de le considérer comme un aboutissement
institutionnel folklorique, plutôt que comme une étape dans l’apprentissage
pédagogique.
Au chapitre de la langue corse, l’accord de juillet 2000,
qui est devenu la loi no 2002-92 du 22 janvier 2002
relative à la Corse, prévoit un
enseignement de la langue corse «dans l'horaire normal des écoles maternelles
et élémentaires», sauf en cas de volonté contraire des parents. Autrement dit, il
faudra que le citoyen ait recours à une démarche négative du type: «Je ne
veux pas que mon enfant reçoive un enseignement en corse.» Beaucoup dénoncent
l’hypocrisie de cette mesure. Voici l’article 7 (L. 312-11-1) de la nouvelle
loi sur le statut de la Corse:
Article 7
1) La langue corse est une matière enseignée dans le
cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse.
|
Un second paragraphe (L. 4424-5)
se lit comme suit:
2) L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement
de l'enseignement de la langue et de la culture corses, dont les modalités
d'application font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité
territoriale de Corse et l'État.
3) Cette convention prévoit les mesures d'accompagnement nécessaires, et
notamment celles relatives à la formation initiale et à la formation continue
des enseignants. |
Le recrutement des
enseignants devra être effectué «à leur choix par deux concours dont l'un
comporterait des épreuves de langue corse». À la différence avec les
autres langues régionales (alsacien, breton, basque, etc.) parlées en France,
le ministère de l'Éducation nationale a prévu des modalités différentes
pour l'enseignement du corse: en Corse, cet enseignement sera généralisé,
donc accessible partout. Mais que l’on enseigne «en» corse ou «le» corse,
chaque école devra disposer d’au moins un enseignant corsophone. Aujourd’hui, 43
% des professeurs des écoles ne veulent pas l’enseigner.
Et la tendance semble augmenter, car le panel
représentatif des enfants de la maternelle et du primaire est plus conséquent du
fait de l’apport très significatif de l’immigration maghrébine et
négro-africaine.
6 La langue corse dans la vie sociale
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la place de la lingua
corsa dans la vie sociale soit réduite. Ainsi, dans les médias écrits, de
nombreux magazines traitent de la vie corse, mais peu sont rédigés
entièrement en corse, puisque beaucoup de gens ont même du mal à lire le
corse. On ne compte qu’un seul quotidien en corse, le Scontru
(5000 exemplaires), mais des
quotidiens français comme La Corse et Corse-Matin comportent
régulièrement des articles en corse. Certains magazines comme A Fiara, U
Ribombu et Arritti sont étroitement liés à des organisations
politiques, alors que d'autres tels que A Pian d'Avretu et Agora
traitent de la vie culturelle corse en général; au total, on compte six
périodiques diffusés en corse. En somme,
seuls des journaux typiquement nationalistes à petits tirages sont régulièrement
édités en langue corse.
Une chaîne de télé, France 3 Corse, diffuse en langue corse,
quelque 40 minutes par semaine. Pour la radio, en revanche, l'usage du corse est
plus considérable. On dénombre aujourd'hui cinq stations (pour 250 000
habitants), dont Radio Corsica Frequenza Mora et Alta Frequenza,
qui diffusent des émissions (30 % à 40 % du temps d’antenne)
d'importance variable en corse. Les radios locales telles que Radio Corti
Vivu, Voce Nustrale, Corti Calvi, Porto Vecchio, etc.,
émettent presque entièrement en corse.
Radio Nostalgie, une radio
nationale qui diffuse ses émissions dans toutes les régions françaises, fait
entendre de nombreuses chansons corses sur l’ensemble de la région corse, tout
en conservant ses programmes habituels .
L'article 54 de la loi de 1991 accorde des pouvoirs en matière de
communication à l'Assemblée de Corse, mais l'absence de décentralisation des
services de radiotélévision française réduit de beaucoup la portée de
cette disposition.
Article 54
La collectivité territoriale de Corse, après consultation du conseil économique,
social et culturel de Corse, conclut avec les sociétés publiques du secteur audiovisuel
qui ont des établissement en Corse des conventions particulières en vue de promouvoir la
réalisation de programmes de télévision et de radiodiffusion ayant pour objet le
développement de la langue et de la culture corses et destinés à être diffusés sur le
territoire de la Corse.
Elle pourra également, avec l'aide de l'État, favoriser des initiatives et promouvoir
des actions dans les domaines de la création et de la communication avec toute personne
publique ou privée ressortissante des États membres de la Communauté européenne et de
son environnement méditerranéen.
|
Du côté de l'affichage public, les
panneaux sont généralement
couverts de graffitis
destinés à faire disparaitre toute trace de français ou de... corse, c'est
selon:
En revanche, la publicité commerciale
est rédigée en français uniquement et ne semble pas trop souffrir du
vandalisme généralisé.
En somme, quand on compare la situation du corse avec celle de certaines
autres langues régionales en France, on ne voit pas en quoi le statut
particulier de la Corse est venu changer l'ordre des choses. Les corsophones
adoptent dans leur île un comportement diglossique: ils se contentent
d'utiliser leur langue maternelle pour l'usage privé, le français pour la vie
officielle. Dans les faits, il y a fort à parier que le nouveau statut d'autonomie
de 2002 ne permettra pas de réaliser la promotion de la langue corse dans la mesure où il ne
lui procure qu'une reconnaissance juridique bien mince.
D'ailleurs, la plupart des nationalistes corses n'accordent
que peu de crédibilité aux institutions mises en
place par Paris. Ils considèrent que le statut particulier de la Corse est
«vide de substance politique réellement alternative». Les dispositions prévues
et destinées à élargir les compétences de la collectivité territoriale et
à favoriser le développement économique par diverses mesures fiscales
semblent déjà poser d’autres problèmes. De plus, le texte prête déjà à
des interprétations contradictoires, tandis que son succès dépend du
rétablissement de la paix civile. Pourtant, la France a déjà démontré,
notamment lors de l’accord de Nouméa pour la Nouvelle-Calédonie (1998), qu’elle
pouvait faire preuve d’une certaine audace. Le statut proposé en 2003 a été
refusé par une très faible majorité (50,98 %) lors du référendum tenu le 6
juillet 2003.
Enfin, intervenir sur le statut du corse suppose aussi des
améliorations sur le code linguistique lui-même, ce qui semble avoir été
oublié. Les linguistes corses ont encore du boulot! Est-ce qu'on veut remplacer le français par le corse? Ou
préfère-t-on un simple
cataplasme dont le but serait de calmer les revendications nationalistes? C'est
là l'un des problèmes soulevés par ce qu'on appelle l'«ambiguïté corse».
On souligne souvent que toutes les grandes îles de la Méditerranée, à
l'exception de la Crète, ont un statut d'autonomie qui leur reconnaît des
compétences très étendues: c'est le cas des Baléares, de la Sicile et de la
Sardaigne. Il n'est pas certain que les Corses doivent lorgner du côté des
îles italiennes (Sicile et Sardaigne) dont l'expérience a démontré que cette
autonomie ne concernent jamais le domaine de la langue. Toutefois, le cas des
Baléares mériterait que les nationaliste corses s'y penchent de plus près. Il
s'agit d'une autonomie réelle qui tient compte de la langue locale, le catalan,
dont le statut est à parité avec la langue nationale, le castillan. En
attendant, les nationalistes corses peuvent bien rêver, car non seulement la France ne semble pas prête
à aller dans le sens d'une plus grande autonomie, mais, si la tendance
démographique se maintient au cours des prochaines décennies, les Corses seront
grandement minorisés dans leur l'île. Si le diagnostic de l'Unesco est juste,
l'existence du corse comme langue vivante est hautement menacée et, faute de
locuteurs, les revendications autonomistes risquent alors de perdre leur
légitimité.
Dernière mise à jour:
16 févr. 2024
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La
France
Les
DOM-TOM
(départements et territoires d'outre-mer)