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Brève histoire linguistique
de l'Espagne et de ses régions
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Remarque: les
débuts de l'histoire de l'Espagne se confondent avec celle du
Portugal. C'est pourquoi les premières parties de cet article sont
identiques (cf.
Brève histoire du Portugal et de sa
langue)
jusqu'à ce que l'Espagne et le Portugal forment deux entités
politiques distinctes au XIIe
siècle.
Lire aussi les politiques linguistiques coloniales en
Amérique latine.
Plusieurs groupes s'installèrent dans la péninsule
Ibérique dès l'Antiquité. Mentionnons les Ibères, les Phéniciens, les Celtes,
les Basques et les Carthaginois, sans oublier les Grecs et les Romains. Ceux qui
ont laissé les traces les plus profondes furent sans contredit les Romains, car
ils y ont laissé des peuples de langue romane et une religion, le christianisme.
Le seul peuple qui habitait la région dans l'Antiquité et qui s'y trouve encore, ce sont les Basques.
1.1 Les Ibères
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Dès l’époque néolithique, soit vers le quatrième
millénaire, un peuple aux origines encore mystérieuses, les Ibères,
s’établit en Europe occidentale. Le mot "Ibères" se trouve aussi en
Irlande (Hibernie antique) et dans le Caucase (l'Ibérie, aujourd'hui
Imérétie, est une région Géorgienne). Il semble que ce sont les
Indo-Européens qui ont ainsi appelé les peuples non-indo-européens
prédédents, et que ce mot signifie "fertiles". Le nom du fleuve Èbre
en provient aussi. Ils formaient plusieurs peuples, dont les
Lacetains, les Sordones, les Indigètes, les Hercavones, les Édétains,
les Contestains, les Bastules, les Turdétains, etc.
Mais d'où venaient les Ibères ? Certains historiens
sont d'avis qu'ils seraient originaires d'Asie, tandis que d'autres
affirment qu'ils seraient arrivés d'Afrique du Nord. On les a aussi
reliés aux Ligures de l'Antiquité que le géographe et historien grec
Strabon décrit comme «petits, râblés, de peau cuivrée et aux cheveux
bouclés», ainsi qu'aux Basques et aux Berbères actuels, mais ni la
linguistique ni la génétique n'ont pu trancher le débat. Nous savons
cependant avec certitude que, vers l'an 3000, les Ibères avaient
gagné la péninsule Ibérique pour se fixer le long de la Méditerranée
(voir la carte ci-contre).
Leur langue, l'ibère (avec plusieurs variétés
dialectales), une langue non indo-européenne, est attestée dans des
inscriptions qui n’ont pas encore été déchiffrées. Cette langue
autochtone devait progressivement s'éteindre vers le premier ou le
deuxième siècle de notre ère, pour être remplacée graduellement par
le latin et, plus tard, par les langues romanes.
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Au deuxième millénaire, les
côtes méditerranéennes furent occupées par les Phéniciens et les Grecs. Or,
ce sont les Grecs qui ont désigné la péninsule Iberia (en français:
Ibérie), sans doute en souvenir des premiers occupants, les Ibères.
1.2 Les Celtes
Vers l’an 1000, des vagues d’immigrants venus de
la Germanie et de la Gaule, les Celtes,
arrivèrent par le nord et s’établirent dans la vallée de l’Èbre, à
l’ouest de la région occupée par les Aquitains et les Ibères, ce qui
correspond aux régions actuelles de la Castille-La Manche, la Castille-et-León,
les Asturies, la Galice et le Portugal. À l'instar des Ibères, les Celtes
formaient plusieurs peuples: les Gallaeci, les Astures, les Vaccaei, les Carpetani, etc.
Parmi ceux-ci, les Lusitani (ou Lusitaniens en français) et les Vettones
(ou Vettons en français) sont venus avant
tous les autres; on les appelle les peuples «préceltiques». Les Lusitaniens furent à
l'origine de l'identité des Portugais. On croit aussi que les Ligures ont
peut-être également occupé la péninsule avant l’apparition des Celtes.
Par la suite, Celtes et Ibères ont coexisté et se sont mélangés en formant le fond
celtibère de la population de la péninsule. Les
Celtibères parlaient des variétés de langues celtiques,
des langues relativement différentes des variétés gauloises parlées au nord de la Péninsule,
la Gaule
(aujourd'hui la France). Ils ont laissé
des traces dans de nombreux noms de lieux comme Berdún, Salardú,
Navardún ou Conimbriga (au Portugal).
1.3 Les Basques et les autres peuples
Au nord, les Aquitani (ou Aquitaniens), des Proto-Basques,
furent les ancêtres des Basques actuels. Présents avant les Celtes, les
Proto-Basques descendraient des habitants de l'époque préhistorique. L'origine des
langues de ces anciens habitants est encore largement inconnue et elle se confond avec celle du basque.
Dans l'actuelle Algarve (sud du Portugal actuel) vécurent les Turdetani (ou Turdétaniens), un peuple ibère, mais
il y eut aussi dans l'actuelle
Andalousie (sud de l'Espagne) les Tardessos (ou Tartessiens), lesquels parlaient
des langues différentes de leurs voisins, probablement des langues apparentées
au berbère, donc de type chamito-sémitique.
Au cours du Ve
siècle, les Carthaginois venus de l’Afrique du Nord étendirent leur domination
dans le sud de la péninsule Ibérique; ils liquidèrent les Turdétaniens et les
Tartessiens. Dès le IIIe
siècle avant notre ère, les Carthaginois entrèrent en conflit permanent avec les
Romains qui ne les écrasèrent qu’en 201 avant notre ère. La civilisation
carthaginoise fut définitivement évincée lors de la victoire de Rome et après la
destruction de Carthage (en Tunisie) en -146, à la suite d'un siège de
quatre ans.
Débarrassée de sa grande rivale, Carthage, Rome entreprit
l'expansion de son empire, qui devait se poursuivre dans la péninsule Ibérique. Au
cours de la deuxième guerre punique (218-202 avant notre ère), les Ibères
accueillirent d'abord avec satisfaction les troupes romaines du général Scipion l'Africain
(235-183 av. notre ère), pour se libérer de la domination carthaginoise. Mais, devant la politique coloniale
répressive des Romains, les Ibères se ravisèrent. Les Romains
connurent alors certaines difficultés à imposer la «pax romana» dans toute la péninsule
Ibérique, qu'ils nommèrent Hispania,
un mot issu du phénicien ("i-shepan-im") latinisé en "I-span-ya" signifiant
«terre des lapins», car la péninsule Ibérique était reconnue pour
l'abondance de ses lapins.
2.1 La latinisation
des populations
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Au cours des siècles, le mot
Hispania (en
français: Hispanie) allait évoluer pour devenir
España ("Espagne"). La
romanisation complète de la péninsule prit deux cents ans. Elle se fit par étapes,
en partant de l'est vers l'ouest (voir la carte de gauche).
Les Romains occupèrent le Nord-Est en -218 et assujettirent quelques
peuples ibères (Sordones, Ausetani, Indigetes, Laietani). En l'an -197, tous
les autres Ibères (Cessetani, Ilercavones, Edetani, Contestani,
Bastetani, etc.), c'est-à-dire ceux qui habitaient le long de la
Méditerranée, passèrent sous le joug romain. En 157 avant notre ère, ce fut le
tour des Lusitaniens et des Vettons, puis des Vaccéens en -133 et enfin des Galiciens
("Gallaeci") en -29.
La romanisation fut plus rapide au sud-est, soit
en Hispania citerior (au sud de l’Èbre ou rio Ebro). Les
habitants, notamment les Bastetani, les Turdetani, les Carpetani et les
Celtibères, abandonnèrent rapidement, après une quarantaine d'années, leur langue pour parler le latin. Dans le Nord,
région
que les Romains appelaient alors l’Hispania ulterior
(la Galice, le Pays basque et le Portugal actuels), c'est-à-dire l’«Espagne lointaine», la
résistance fut farouche de la part des Lusitaniens, des Vettons, des Vaccéens et des Galiciens, car les Romains ne pacifièrent cette région qu’en l'an 29
avant notre ère.
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C'est évidemment dans les Baléares (à l'extrémité orientale)
que la latinisation (ou romanisation) se fit le plus rapidement, alors que
c'est en Galice et dans les Asturies qu'elle eut lieu le plus tardivement.
La latinisation se fit progressivement d'est en ouest, mais
elle ne se déroula pas au même rythme entre les habitants du Nord et ceux du
Sud; certaines populations du Nord se latinisèrent parfois plus tardivement,
soit à la fin du IIIe siècle de notre ère.
Par la suite, toute la péninsule Ibérique se latinisa, à l’exception des
Basques qui continuèrent à parler leur langue, malgré les pressions exercées
par les Romains. Quant à la langue ibère, elle disparut définitivement,
absorbée par le latin au cours des six siècles de l'occupation romaine.
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L’Hispania romaine fut organisée
et divisée en trois provinces: la Bétique
(ou Baetica) au sud, la Lusitanie (Lusitania)
au sud-ouest et la Tarraconaise (Tarraconensis)
dans le reste de la Péninsule. Puis furent ajoutées la
Carthaginoise (Carthaginensis) sous
la juridiction de la Tarraconaise et, au VIe
siècle, la Béarique ou Balearica
(îles Baléares). Étant donné que l’Hispania était située à
l’extrémité de l’Empire romain, donc plus isolée, le latin parlé dans ces
provinces demeura généralement plus archaïsant et moins ouvert aux innovations
linguistiques venues de Rome.
D’ailleurs, beaucoup de formes latines anciennes
furent conservées plus tard en castillan et en portugais. Par exemple, le vieux
mot latin mensa («table») a donné mesa en castillan et en
portugais, mais il a été abandonné en Catalogne, en Gaule et en Italie pour un
nouveau mot, tabula, devenu taula en catalan, table en
français et tavola en italien. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, lesquels
témoigneraient, comparativement au reste du monde romanisé, de l’évolution
un peu différente du latin dans l’ancienne Hispania.
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2.2 Le latin populaireLa langue latine parlée par les
populations ibéro-romanes ne correspondait guère au latin
classique écrit, celui par exemple utilisé au premier siècle avant notre ère par le poète Virgile ou l'orateur Cicéron.
Les Ibéro-Romans de l'Hispania parlaient le latin dit «vulgaire» (de vulgus : qui signifiait «peuple»),
un latin bien
différent de celui des siècles précédents. C'était ce qu'on appelle aussi le
latin populaire, c'est-à-dire celui des colons, des
soldats, des petits commerçants et des gens ordinaires,
avec ses variations locales et des influences linguistiques
de la part des différents peuples qui composaient l'Empire. La romanisation a d'abord
touché les villes, puis a gagné les zones rurales après une période plus ou
moins longue de bilinguisme provisoire. Affranchie
de toute contrainte, favorisée par le morcellement féodal et soumise au jeu
variable des lois phonétiques et sociales, cette langue latine dite
«vulgaire» ou «populaire» se développa librement sur un très vaste territoire. Elle
prit, selon les régions, les formes les plus variées. Dans l'ouest de la
péninsule (aujourd'hui le Portugal), ce latin populaire s'est
mélangé avec la langue lusitanienne préceltique, ce qui lui donna une
couleur particulière, et a abouti au
galaïco-portugais.
Finalement, les populations ibériques
firent plus que se latiniser, car vers le IIe
siècle de notre ère, elles s'étaient aussi toutes christianisées. Ainsi,
les peuples
autochtones n'adoptèrent pas seulement la langue latine, mais également la culture
romaine et, plus tard, le christianisme.
Les invasions germaniques commencèrent en 375 par
l'arrivée des Huns, un peuple d'Asie centrale dirigé par Attila (395-453), dans
l'est de l'Europe centrale. Comme par un effet de dominos, les Huns repoussèrent
d'autres peuples, essentiellement germaniques, vers l'ouest. Les Huns boutèrent
les Ostrogoths et les Suèves qui, à leur tour, refoulèrent les Wisigoths, les
Vandales, les Alains, les Francs, les Alamans, les Lombards, les Saxons, les
Angles, etc., vers l'ouest.
3.1 La multiplicité des royaumes
germaniques
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Les invasions germaniques se multiplièrent à un point tel qu'elles
mirent en péril l'Empire romain. Ces
peuples furent appelés par les Romains
«barbares», d'où l'expression «invasions barbares», car ils venaient de
l'extérieur de l'Empire romain, c'est-à-dire du Barbaricum, la «terre des
Barbares». Aujourd'hui, dans les pays de langue germanique, on utilise
plutôt le mot Völkerwanderung qui signifie «migration des peuples».
En Hispania, territoire situé à l'ouest de l'Europe, ces
invasions ne débutèrent qu'en 409 avec les
Vandales, puis elles furent suivies par les Suèves, les Alains et les Wisigoths. En 410, les Suèves s'installèrent en Galice; en 412, les Wisigoths, devenus
alliés des Romains, refoulèrent les Vandales en Bétique et dans les Baléares, les Alains en Lusitanie.
Seuls les Basques conservèrent leur identité en raison de leur isolement
dans les montagnes. Ils réussiront à fonder un royaume distinct avec
comme capitale Pampelune.
Au milieu du Ve siècle, les Wisigoths occupaient déjà
toute la péninsule Ibérique ainsi que le sud de la France, soit de
Gibraltar jusqu’à Toulouse, ville retenue comme capitale de l'Empire
wisigoth. Dans la péninsule Ibérique, l’unification du territoire
wisigoth fut assurée lorsque la capitale se fixa à Tolède, beaucoup plus
au sud, après avoir cédé l’Andalousie aux Byzantins (556). |
À la fin du Ve siècle, l'Empire
romain d'Occident se trouvait morcelé en une
dizaine de royaumes germaniques (voir la carte historique): les
Ostrogoths étant installés en Italie, dans les actuelles Slovénie, Croatie et
Bosnie-Herzégovine et en Gaule à l'est du Rhône; les Wisigoths occupaient
l'Espagne et la France au sud de la Loire et à l'ouest du Rhône; les Francs
avaient pris les actuels Pays-Bas, Belgique et France au nord de la Loire ainsi
que la Germanie; les Angles et les Saxons avaient débarqué en Grande-Bretagne,
les Burgondes avaient envahi le centre-est de la France (Bourgogne, Savoie,
Suisse romande actuelle), les Alamans étaient refoulés en Helvétie, les Suèves
en Galice et une partie du Portugal, alors que les Vandales avaient conquis les
côtes du nord de l'Afrique et s’étaient rendus maîtres de la mer Méditerranée
par l'occupation des Baléares, de la Corse et de la Sardaigne. Tous ces empires
s'écrouleront rapidement, sauf celui des Francs (en France).
Le royaume suève fut
finalement intégré à celui du roi wisigoth, Léovigild, en 585, réalisant ainsi
l'unité politique des Wisigoths. Ces derniers, sous le règne du roi wisigoth
Recarède au premier siècle, se convertirent au christianisme en 589 et se
mélangèrent aux Ibéro-Romains, créant ainsi une sorte de fusion entre les
envahisseurs et les peuples conquis. Avec les invasions germaniques,
l'administration de l'État romain avait disparu en Occident, mais perdurait dans
l'Empire romain d'Orient, tandis que les rois
germaniques cherchaient à obtenir l'adoubement impérial en tant que préfets des
provinces occidentales. L'org
anisation
ecclésiastique en revanche s'était maintenue avec, comme langues savantes et
liturgiques, le latin dans la juridiction de l'Église de Rome et le grec dans
l'Empire romain d'Orient.
L'Église chrétienne devint un important instrument de stabilité au cours de
cette période.
3.2 La formation des langues romanes
Les Wisigoths, comme plusieurs autres peuples germaniques,
ne purent imposer leur langue, le wisigoth, déjà passablement romanisé dès le
cinquième siècle; ils adoptèrent plutôt celle des populations romanes qu'ils
avaient soumises, une langue qui n’était plus le latin d’origine, car celui-ci
s’était déjà beaucoup transformé; ce n'était plus du latin, mais du roman.
Seules quatre petites régions n'avaient pas été romanisées: le Pays basque où le basque,
une langue préindo-européenne, s'est maintenu, protégé par les montagnes, et les
trois régions des Cornouailles en Grande-Bretagne, de la Petite-Bretagne
continentale et des Asturies ibériques, où les Bretons, chassés des îles
Britanniques par les Anglo-Saxons, avaient maintenu ou réintroduit leurs idiomes
indo-européens celtiques. Ceux des Asturies adopteront finalement l'ibéro-roman.
Dans le reste de l'ancien Empire romain d'Occident,
les écoles et l'administration romaines avaient disparu, de sorte que le latin
populaire avait perdu de son uniformité et évolué de manières différentes dans
les royaumes germaniques des Wisigoths, des Suèves, des Francs, des Ostrogoths,
etc. Toutefois, le latin écrit, avec ses influences germaniques et romanes, est
demeuré la langue véhiculaire, liturgique et juridique: c'est le latin médiéval
qu'on appelle aussi le «latin d'Église» ou «latin ecclésiastique», très éloigné
du latin classique employé par le poète Virgile (au premier siècle avant notre
ère).
Ainsi, la langue romane
de cette époque était fragmentée en une multitude d'idiomes distincts que les
linguistes classent en groupes : ibéro-roman (à l'origine des langues
romanes de la péninsule Ibérique), gallo-roman (à l'origine des langues
romanes de l'espace gallo-francique), rhéto-roman (à l'origine des
langues romanes des Alpes et du Frioul), italo-roman (à l'origine des
langues romanes de la péninsule italique) et thraco-roman (à l'origine
des langues romanes orientales).
Ainsi sont apparues les très nombreuses langues
indo-européennes originaires du latin, les langues romanes. Autour des années
600, le latin populaire, remplacé par la multiplicité des langues ibéro-romanes,
n'était plus parlé dans la péninsule Ibérique (l'Hispania) où émergeront le
castillan, l'asturien, le léonais, l'aragonais, l'andalou, l'estrémadurien, le
murcien, le mirandais, le catalan, l'aranais, ainsi que le canarien, le
judéo-espagnol et l'açorien. En Galice, chez les Suèves, le roman avait acquis
des caractéristiques locales, ce qui allait le conduire à une forme de
proto-lusitain, à l'origine du galicien et du portugais.
Cliquer ICI,
s.v.p. pour connaître les distinctions entre les termes «castillan» et
«espagnol» employés comme synonymes ou non.
3.3 Les influences wisigothes en
castillan
Le règne des Wisigoths dura un peu plus d’un siècle, jusqu'à
l'arrivée des Maures (musulmans) en Hispania. Comme les Wisigoths n'ont jamais été très
nombreux, ils finirent pas adopter la langue des vaincus. Malgré tout, le wisigoth a laissé un certain nombre de mots dans la langue
castillane,
comme dans les autres langues de l'Hispania. On sait que le
wisigoth était parlé encore jusque dans la seconde moitié du VIe siècle et qu'il a pu survivre dans certaines régions jusqu'au milieu du
VIIe siècle. Non seulement les Wisigoths ont dû
encaisser de nombreuses défaites militaires, mais ils ont adopté le latin comme
langue maternelle, puis le catholicisme en plus d'être dans un environnement
très minoritaire au sein d'une population très romanisée. À la fin du
VIIe siècle, le wisigoth
était une langue morte, comme le latin.
Les traces linguistiques laissées par les Wisigoths dans la
langue castillane sont relativement nombreuses, soit près de 1000
mots. Au plan phonétique,
il n'existe aucune influence des Wisigoths en castillan. Cependant, il subsiste des
influences de leur morphologie et de leur lexique en castillan. Par
exemple, certains mots conservent le suffixe wisigothique -ing, qui
allait devenir -engo en castillan: abolengo («ascendance») et
realengo («obligation»).
Dans le vocabulaire, par exemple, la plupart des emprunts au wisigoth
concernent le domaine de la guerre, ce qui n'est guère surprenant, car les
contacts entre autochtones et Wisigoths ont été guerriers:
albergue («refuge» ou
«auberge»)
anca («croupe»)
ardido («courageux»)
bando («édit»)
bandido («bandit»)
barón («baron»)
bastión («bastion»)
botín («butin»)
brida («bride»)
burgo («quartier»)
campamento
(«campement») |
dardo («dard»)
despojar («piller»)
guisar («préparer»)
escarnir (< escarnecer : «ridiculiser»)
esgrimir («brandir»)
espuela («éperon»)
estampar («piétiner»)
galardón («récompense»)
ganar («gagner»)
gardar («surveiller»)
guiar («guider») |
espía («espion»)
heraldo («messager»)
indemnización («indemnisation»)
intrépido («intrépide»)
pago («paiement»)
rapar («raser»)
robar («voler»)
ropa («vêtement»)
talar («détruire»)
triscar («désorganiser») |
La liste
semble assez importante, surtout que la plupart de ces termes existaient déjà
en latin; ils ont donc été remplacés par des mots d'origine germanique. Ainsi,
le mot guerra («guerre») a remplacé le mot latin bellum. Or,
guerra est dérivé de la langue gothique comme suit : werra >
guerre > guerra («guerre», en français).
D'autres mots se rapportent à la
vie quotidienne, plus particulièrement le commerce, l'agriculture, le
logement, le vêtement, etc. : toldo («tente»), sala («salle»),
banco («banc»), jabón («savon»), toalla («serviette»),
ganso («oie»), fieltro («feutre»), estofa («étoffe»), cofia
(«coiffe»), falda («jupe»), atavío («parure»), sopra
(«soupe»), rueca («rouet»), parra («feuille de vigne»), marta
(«marte»), tejón («blaireau»), ganso («oie»), blanco
(«blanc»), gris («gris»), arpa («harpe»).
Un intérêt particulier mérite d'être souligné: l'influence
de la langue wisigothe sur l'anthroponymie, c'est-à-dire l'étude onomastique des
noms propres. De fait, de nombreux noms espagnols communs ont leur origine dans
la langue wisigothe. Par exemple, le nom Fernando provient d'une
combinaison de deux mots gothiques: frithu («paix») et nanth
(«insolent»). Les Hispano-Romans ont progressivement formé un nouveau nom,
Fridenandus, qui devint Fernando. Voici d'autres noms propres
d'origine wisigothe: Rodrigo, Rosendo, Argimiro, Elvira, Gonzalo et
Alberto.
On a certainement remarqué que certains germanismes en
espagnol correspondaient à des germanismes similaires en français: bandit, baron,
bastion, bride, camp, dard, escrime, éperon, gagner, garder, guider,
espion, indemnisation, intrépide, etc. Les Gallo-Romans, comme les Hispano-Romans, ont en effet emprunté de nombreux mots
aux vainqueurs; même si ceux-ci ont tous fini par perdre leur langue dans les
pays conquis, ils ont laissé des traces de celle-ci. Il existe des emprunts
germaniques en espagnol, mais également en portugais, en catalan, en occitan, en
français et en italien.
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Ayant pénétré en Gaule méridionale
et dans la péninsule Ibérique en 414 comme fédérés de l'Empire
romain, les Wisigoths avaient fondé un royaume avec comme
capitales successives Toulouse, puis Tolède après avoir été battus
par les troupes franques de Clovis à la bataille de Vouillé en 507
lorsqu'ils durent abandonner aux Francs le midi de la France. En
575, les Wisigoths conquirent le royaume des Suèves situé dans le
nord du Portugal et l'actuelle Galice.
Quelque deux siècles plus tard, en
Hispania, les Wisigoths étaient fort occupés à leurs querelles
internes et certains n'hésitèrent pas à engager des troupes «Maures»
(arabes et berbères d'Afrique du Nord) pour combattre leurs
adversaires. Le mot «Maures» évoque l'antique Mauritanie, grand
royaume berbère pré-islamique d'Afrique du Nord. Ces mercenaires
«Maures», découvrant un pays fort fertile, peuplé et politiquement
divisé, revinrent en force pour leur propre compte
en 711. Ces conquérants
installés principalement en Andalousie (dont le nom rappelle les
Vandales) et dans la vallée de l'Èbre (dont le nom rappelle les
Ibères) inaugurèrent la conquête et la longue période
arabo-musulmane appelée «Al-Andalus», qui durera sept siècles, soit
jusqu'en 1492, lorsque les troupes de Ferdinand d'Aragon et
d'Isabelle de Castille chasseront de Grenade le dernier souverain
musulman, le sultan Boabdil. |
4.1 Une mise au point sur les
appellations
Aujourd'hui, le mot «musulman» sert à désigner
les adeptes de l'islam. Toutefois, ce mot ne fut employé
en français qu'au XVIe
siècle; le mot «islam» ne fut attesté qu'en 1697. À l'époque de
l'occupation musulmane, les mots musulmán
et islam n'étaient pas davantage connus en castillan. C'était
alors l'époque romane, d'où surgiront plus tard le castillan et le
galaïco-portugais,
l'ancêtre du portugais. Les termes employés couramment pour désigner
la religion de l'islam étaient, selon les langues d'aujourd'hui, la
«loi de Mahomet» ou «loi des Sarrasins» (en français), la "Ley de
Mahoma" ou la "Ley de los Sarracenos" (en espagnol). Ceux que l'on
nomme comme des «musulmans» ("Musulmanes" en espagnol) étaient
désignés par les termes «Maures» ou «Sarrasins» ("Moros" ou "Sarracenos"
en espagnol).
En principe, le terme
Maure (du latin "Mauri")
servait à désigner les Berbères et Arabes d'Afrique du Nord, des Africains
censés venir de la Mauritanie, le «pays des Maures». Quant au mot
«Berbère», il s'agit à l'origine d'un mot employé par les Romains
pour nommer les «Barbares», lui-même issu du grec βάρßαρος
(ou bárbaros) signifiant «étranger»; le mot sera
modifié par la suite en «Berbère». À partir du VIIIe siècle, le
terme «Maure» aura comme sens de toute personne pratiquant la
«religion de Mahomet», ce qui désignera tout musulman (même si ce
mot n'existait pas encore) vivant en Hispania, qu'il soit
d'origine berbère, arabe ou ibérique.
Il existe aussi un autre terme pour désigner
les Maures: Sarrasins. Ce
mot d'origine latine, "Sarraceni", servait à désigner les Arabes
venant de l'Orient; d'ailleurs, en arabe, le mot "sarqîyîn"
signifie «habitants du désert». Mais les habitants de l'Hispania
favorisèrent "Moros" ou "Mouros", alors que les habitants du royaume
de France privilégièrent «Sarrasins» (attesté seulement en 1100).
Bref, les mots «Arabes», «Maures» et «Sarrasins» étaient souvent
synonymes. Aujourd'hui, les termes «Maures» et «Sarrasins» ont été
pratiquement oubliés, mais les Occidentaux continuent d'employer
faussement comme synonymes les mots «Arabes» et «musulmans», alors que ces mots ne sont pas
équivalents: d'une part,
les musulmans ne sont pas tous
arabophones, d'autre part, les
arabophones ne sont pas tous musulmans.
Lorsque, dans le cadre de cet
section sur l'Espagne, les mots «musulmans» et «islam» seront employés, il faudra se
souvenir que ces mêmes mots n'existaient pas à l'époque de la
conquête arabe en Hispania.
4.2 L'invasion musulmane
En avril 711, un contingent militaire d'environ 12 000
soldats, pratiquement tous berbères, dit-on souvent, commandés par le gouverneur
arabe de
Tanger, Tariq ibn Ziyad, débarqua à Gibraltar pour commencer l'invasion des royaumes chrétiens de l'Hispania
("invasión musulmana"). En réalité, on ne sait pas
grand-chose sur le caractère supposément «berbère» des conquérants musulmans,
car ce point est très contesté. Ce sont surtout les auteurs berbères modernes,
dans le cadre de la renaissance culturelle berbère, qui mettent ce point de vue
en avant-plan. Toutefois, à cette époque il n'y avait pas encore de statistiques
ethniques et, comme c'est l'arabe était la langue de communication, littéraire
et religieuse, il est bien difficile de savoir qui était ethniquement berbère ou
arabe. Qu'ils soient arabes ou berbères, ces conquérant étaient tous musulmans.
Cette invasion
arabo-berbère poursuivait en principe un objectif religieux: celui de
répandre la religion de l'islam en Europe, mais le pillage faisait
suite aux «récompenses». Pour cette raison, l'antagonisme
hispano-roman et arabo-musulman devint une lutte entre deux
civilisations, le monde chrétien, d'une part, le monde musulman,
d'autre part, les uns et les autres s'accusant d'être des
«infidèles».
- Conquête de la péninsule
Rapidement,
les guerriers maures prirent Séville, Ecija et Cordoue, la capitale.
Tout le Sud était acquis dès cette même année, puis vinrent la Catalogne en
712, le royaume de Valence et celui d'Aragon en 714. En 1716, dans
la dernière phase de leur campagne militaire, les Maures
atteignirent le nord-ouest de la péninsule, l'actuelle Galice, où ils
réussirent à prendre possession des villes de Lugo (Galice) et de
Gijón (Cantabrie). Les
Maures s'approprièrent toute la péninsule Ibérique en moins de cinq
années, sauf les îles Baléares qui résistèrent durant près de deux siècles
(jusqu'en 903). L'empire des Wisigoths fut complètement anéanti par
les Maures.
En 718, les Arab-Berbères franchirent les Pyrénées et
envahirent le Languedoc, puis se rendirent jusqu'à Nîmes en
Provence, d'où ils ramenèrent en Hispania un grand nombre de
captifs. La progression arabe ne fut arrêtée qu'en 732 à Poitiers
(France) par
Charles Martel (vers 690-741), le souverain du royaume des Francs. Mais pendant trois
cents ans, la France allait être attaquée par les Maures, qui seront
appelés «Sarrasins», mot attesté pour la première fois en français en
1100. Il faudra deux siècles de guerres
acharnées, des milliers de constructions détruites, des ravages et
des épidémies innombrables, pour mettre fin à l'occupation musulmane
en France et dans la péninsule Ibérique.
|
Pendant que les Maures de l'Hispania
franchissaient les Pyrénées en 718, le chef wisigoth
Pélage (ou "Pelayo"), réfugié
avec une petite armée dans les montagnes du nord de la péninsule,
fomenta une révolte contre les autorités musulmanes de Gijón. Il
tendit une embuscade au détachement militaire du nord de la
péninsule, qui fut décimé à la
bataille de Covadonga en 722. Bien que cette victoire
chrétienne fût avant tout symbolique, car elle
n'impliquait que quelques centaines de soldats berbères,
elle permit au royaume des Asturies de rester
indépendant du califat de Cordoue.
Pélage devint le premier roi des Asturies et fut
surnommé
«el restaurador»,
le restaurateur.
Par la suite, les Asturies demeurèrent le grand foyer
de résistance chrétienne autour d'Oviedo contre la domination musulmane
dans toute l'Hispania. En somme, parce que la frange nord de l'Hispania
parvint à
se libérer des Maures en 722, la
péninsule Ibérique ne fut jamais entièrement occupée par les
musulmans. Lorsque ces derniers prirent les Baléares en 903, le royaume des
Asturies, comprenant alors le Pays basque, la Cantabrie, les Asturies et
une partie de la Galice, était déjà indépendant.
|
- L'Espagne musulmane
Les musulmans désignèrent en arabe le
territoire conquis comme l'Al-Andalus, l'Espagne musulmane
("España musulmana"), qu'ils
gouvernèrent durant cinq cents ans dans le cas du Portugal et huit cents
ans pour l'Espagne. En 716 apparut pour la première fois sur une
pièce de monnaie le terme al-Andalus
(qui donnera Andalucía en espagnol,
Andalousie en français). Au début de la conquête, les
musulmans
étaient fort peu nombreux par comparaison aux peuples autochtones; les troupes maures étaient constituées de guerriers berbères,
tandis que seuls les chefs et les officiers étaient arabes. Au
Xe siècle, l'Al-Andalus
devint un foyer de haute culture et attira un grand nombre de
savants. La ville de Cordoue devint aussi la plus grande ville
d'Europe, qui brilla par son essor scientifique et artistique. Les
Arabes divisèrent l'Al-Andalus en un grand nombre de petits
territoires nommés taïfas : taïfa d'Almeria, taïfa d'Arcos,
taïfa de Badajoz, taïfa de Majorque, taïfa de Béja et d'Evora, taïfa
de Cordoue, taïfa de Grenade, etc. Ces taïfas étaient généralement
classées d'après l'origine ethnique de leur dirigeant, chef ou émir
: il y avait des taïfas berbères, des taïfas arabes, etc. Les taïfas
se faisaient fréquemment la guerre entre elles.
|
Le califat
de Cordoue (viiie-xe siècle),
fondé en 756, connut son apogée sous Abd al-Rahmān III (912-961). Les
chrétiens de la péninsule se réfugièrent dans les royaumes restés indépendants au nord
(les Asturies, le Léon, l'Aragon et les Pyrénées), tandis que la religion et la civilisation
musulmanes s’implantaient rapidement dans le reste de la péninsule. C'est
surtout dans le sud de l'Espagne que l'influence arabe se fit le plus sentir.
Après l'invasion de la péninsule, l'arabe fut adopté comme langue administrative dans les régions conquises. Presque toute la
péninsule connut une forte arabisation,
en raison d'abord de
l'immigration, puis aussi à cause de l'influence du Coran, le livre sacré de la nouvelle religion,
qui devait être lu en arabe. L'occupation musulmane favorisa la dispersion et le
repli des chrétiens vers le nord, mais aussi le morcellement du roman qui se
fragmenta en castillan, en andalou, en catalan, en navarrais, en aragonais, en asturo-léonais,
en galaïco-portugais, etc. Les zones les plus arabisées
furent l'Andalousie (l'Al-Andalus) et le centre de l'Espagne
jusqu'à la vallée de l'Èbre au nord-est, qui ont constitué l'Al-Ándalus
(l'Espagne arabe). |
Malgré les nouveaux
changements politiques et économiques, malgré les innovations
culturelles et scientifiques introduites par les conquérants
musulmans, les populations autochtones de la péninsule continuèrent à parler
leur langue locale tout en empruntant des mots d'origine arabe ou
mozarabe. C'est dans le lexique que la
langue arabe exerça la plus grande influence.
4.3 La formation du castillan
La langue espagnole actuelle, appelée castillan à cette
époque, apparut dans le
royaume de Castille durant cette longue période de l'occupation
arabo-musulmane dans la majeure partie de la péninsule Ibérique.
|
Le toponyme «Castille» ("Castilla") apparut vers
l'an 800 sous la forme d'un comté ("condado
de Castilla") vassal du royaume des Asturies,
avec comme capitale Burgos. Le comté de Castille
qui avait vu le jour en partie grâce à l'influence des Basques
était un territoire situé entre la Cantabrie et
le nord du León. Les terres que les Castillans avaient gagnées sur
les Arabes furent repeuplées en grande partie avec des Basques qui conservèrent leurs habitudes
linguistiques et occupèrent des fonctions importantes à la cour castillane, et
ce,
jusqu'au XIVe siècle.
En 1035, le comté de Castille devint le royaume de Castille
("Reino de Castilla").
Sous Alphonse III le Grand (838-910), le royaume
des
Asturies s'agrandit en englobant le León et la Galice.
En 1037, le roi Ferdinand
Ier
de Castille hérita du royaume de León
et unit les deux royaumes. À partir de 1390, sous
l'impulsion d'Henri III, roi de Castille, les héritiers de la
couronne d'Espagne prirent le titre de «prince des Asturies». On
peut donc dire que les Asturies constituent le berceau de la
monarchie espagnole. Au IXe
siècle, l'aire linguistique castillane demeurait encore limitée autour de la
ville de Burgos. Le castillan n'était pas plus important que, par exemple, le
galaïco-portugais, l'asturo-léonais
(ou asturien), le basque, le navarro-aragonais
ou le catalan. Il s'agissait de langues mineures par comparaison aux langues
mozarabes. Le castillan était même perçu comme un obscur
«dialecte» parlé dans le centre et le nord de la Péninsule.
|
On peut consulter à ce sujet la carte linguistique telle qu'elle pouvait se
présenter au milieu du Xe siècle (cliquer
ICI, s.v.p.). Au cours des
quatre siècles suivants,
l’asturien (asturo-léonais) demeurait encore la langue officielle des documents du royaume.
À cette époque, la langue castillane,
le navarro-aragonais, l'asturo-léonais et le galégo-portugais avaient
considérablement étendu leur espace linguistique aux dépens des langues mozarabes
(cliquer
ICI, s.v.p.). Plus au sud, une partie de la Galice (le nord du Portugal
actuel) devint indépendante, puis le royaume du Portugal se constitua
définitivement en 1139 avec ses frontières actuelles. En outre, certains idiomes
issus du latin se sont développés dans les zones intermédiaires tels que le
léonais, une sorte de «variété de transition» entre le galicien et le
castillan, et l’aragonais, qui se situerait entre le castillan et le
catalan.
4.4 La langue basque
|
Le
royaume basque de Pampelune fut fondé en tant
quentité politique indépendante vers 830. À la fin du
Xe
siècle, le royaume basque fit partie du
royaume de Navarre.
Ceux qui étaient devenus des Basques réussirent non seulement à
préserver leur autonomie, mais aussi à étendre leur royaume
jusqu’au-delà des Pyrénées (France): la Navarre comprenait alors la
Haute-Navarre (la Navarre espagnole actuelle) et la Basse-Navarre
(la Navarre française). Pendant le règne de Sancho III (999-1035), la
plupart des Basques vivaient encore sous une même autorité
politique. L’unité basque s’effrita
et, entre 1200 et 1370, toutes les
provinces basques espagnoles (Guipúzcoa en 1200, Alava en 1331 et Vizcaya en 1370) finirent par
être intégrées au royaume de Castille.
La Navarre allait être conquise
seulement en 1512
par le royaume d'Aragon, lequel sera intégré en 1516 dans le royaume
d'Espagne. Néanmoins, la langue basque joua un rôle non négligeable
en Hispania, notamment dans la formation de la langue
castillane. De fait, certaines habitudes
articulatoires et certaines particularités grammaticales des Basques
ont exercé une influence importante dans la formation de la langue
castillane, bien que le basque ne
soit pas une langue indo-européenne. |
Ainsi, en basque ancien, aucun mot ne pouvait commencer par la consonne [f].
L'influence du basque sur le castillan fut telle que de nombreux mots latins
subirent la suppression du [f] initial en castillan qui fut remplacé par un
autre phonème. Par exemple, le mot latin «farina» est devenu [harina] en
castillan; le verbe «fabulare» est passé à [hablar] («parler») en castillan; le
verbe «facere» est devenu «hacer»; le nom «filium» est devenu hijo. La consonne initiale latine
[f] s'est donc modifiée en [h] aspiré, une
fois passée au castillan, avant de disparaître dans la prononciation. Le
portugais, pour sa part, à l'instar du français, n'a pas connu cette influence
basque puisque les mêmes mots sont farinha (farine), falar
(parler), fazer (faire) et filho (fils).
Au plan lexical, le castillan a emprunté plusieurs mots au
basque, dont certains avaient déjà été pris du latin par le basque. Toutefois, les
mots espagnols dont l'origine est le basque sont en nombre réduit en espagnol
standard; on les trouve davantage en espagnol local, celui utilisé au Pays
basque, en Navarre, en Cantabrie ou en Aragon. Les quelques exemples suivants
peuvent illustrer ce fait:
Terme espagnol |
Terme basque |
Équivalent
français |
Explication |
Agur
|
agur |
au revoir |
Dérivée du latin augurium, cette
expression est utilisée près du Pays basque. |
Aña |
nodriza |
nourrice |
Employé surtout au Pays basque et en Cantabrie;
par extension: «gardienne d'enfant». |
Caca |
kaka |
merde (caca) |
Désigne les excréments humains,
mais aussi les défauts, les vices, etc. Employé
en Navarre.
|
Chabola |
txabola |
cabane |
Désigne une construction de mauvaise qualité; a
donné «geôle» en français dans le sens de cachot. |
Chapela |
txapela |
béret, chapeau |
En ancien français, on trouve chapel dans
le sens de «couronne de fleurs». |
Chichi |
txitxi |
viande comestible |
Terme utilisé uniquement avec les enfants.
|
Chistera |
txistera |
grand chapeau |
Terme dérivé du latin cistella qui a donné
cestita («panier») en espagnol. |
Espatadanza |
ezpatadantza |
danse typique des provinces basques |
Terme régionaliste au Pays basque et en
Navarre. |
Gabarra |
kabarra |
barque |
Terme dérivé du latin
carabus. |
Pacharán |
patxaran |
liqueur |
Liqueur obtenue par macération de prunes dans de
l'eau-de-vie anisée. |
Sapo |
zapoa |
reptile aquatique |
Ressemble à un crapaud. |
Sinsorgo |
zenzurgue |
personne insignifiante |
Régionalisme des provinces d'Alava, de Guipúzcoa
et de Biscaye. |
Socarrar |
sua + karra |
roussir |
Terme provenant du basque sua («feu») et
karra («animal») pour désigner une viande légèrement grillée. |
Zamarra |
zamarra |
blouson de pelisse |
Désigne un vêtement rustique fait de laine de
mouton. |
Bref, le vocabulaire espagnol d'origine basque comprend
surtout des termes évoquant des noms des minéraux, de plantes ou
d'animaux, ou des noms de vêtements, de la vie agricole ou de jeux. En voici
d'autres exemples: pizarra («ardoise»), chaparro («ardoise»),
boina vasca («béret basque»), zamarra («peau» ou «pelisse»),
aquelarre («chahut»), órdago («épatant»), etc. Le nombre
de mots d'origine basque en espagnol est limité parce que cette langue a
subi, tout au long de son histoire, de nombreuses «restrictions», pour ne pas
parler d'interdictions. En revanche, le basque a emprunté massivement au
castillan, de même qu'au français. Il n'en demeure pas moins que le basque, une langue préindo-européenne,
est la seule langue de toute la péninsule Ibérique à avoir survécu à la langue
latine, ce qui constitue une situation unique dans l'histoire de l'Espagne et du
Portugal.
4.5 L'apport de la langue arabe
La cohabitation entre les nouveaux
habitants et la population autochtone provoqua d'importants échanges
linguistiques. Le lexique des langue locales, y compris le castillan,
s’imprégna d’arabismes d’une manière impressionnante. Leur nombre s’élèverait à
plus de 5000 mots pour la seule langue castillane, sans compter les 1500 toponymes arabes qu’on
trouve encore en Espagne. Seuls le catalan, le galicien et l'aragonais subirent moins
l'influence de la langue arabe. Trois
régions du Nord échappèrent totalement à la domination musulmane: la Galice, les Asturies et le Léon. Ce qui restait du roman
(issu du latin populaire)
dans l’ouest de l’Europe se transforma en diverses langues qu’on peut regrouper
en trois grandes catégories: les
langues d’oïl au nord de la
France, les langues
d’oc au sud de la France et au nord de l’Espagne, les
langues castillanes
dans le reste de l'Espagne.
|
Au plan linguistique, les dialectes mozarabes
couvraient au Xe siècle la plus grande partie de la péninsule
Ibérique. Il s'agissait de langues romanes grandement influencées
par l'arabe et dont l'écriture était en alphabet arabe. Ce sont
surtout les Andalous qui parlaient cette langue mozarabe appelée
aussi l'aljamiado. Ce n'était pas une langue unifiée,
car elle était fragmentée en de nombreuses variété dialectales (voir
la carte ci-contre). Les Mozarabes étaient considérés par les
Arabes comme une communauté (chrétienne) repliée sur elle-même et
imperméable à toute influence de l'islam. Les Andalous continuèrent
d'utiliser le latin (en alphabet arabe) dans leurs cérémonies
religieuses et en firent un emblème de distinction
privilégié du christianisme en terre d'islam ibérique. Dans la vie
quotidienne, les Mozarabes étaient en grande partie arabisés, même
s'ils avaient rejeté l'islam. Le seul royaume de Grenade, sous la
dynastie des Nasrides, fut totalement arabisé après plusieurs
siècles de domination musulmane. La langue mozarabe
disparut avec la Reconquête; au fur et à mesure que de nouveaux
territoires étaient conquis, les populations du Nord venaient
les occuper en apportant avec elles leur langue romane. C'est
ainsi que le castillan s'étendit dans le Sud. |
Compte tenu de la durée de l'occupation
arabo-musulmane, de 711 à 1492, voire 1609 pour l'expulsion des
Mozarabes, la langue arabe ne pouvait qu'influencer
considérablement les langues ibéro-romanes de la péninsule. Étant
donné que c'est le castillan qui a fini par triompher sur la plupart
des autres langues (léonais, aragonais, catalan, etc.), c'est dans
cette langue que nous pouvons le mieux mesurer l'influence de
l'arabe.
En effet, l'arabe a enrichi le castillan par l'apport de nombreux mots, soit de 5000 à 6000 mots environ.
L'influence arabophone fut plus perceptible dans le sud et l'est de
la péninsule, c'est-à-dire dans l'Al-Andalus, là où se situe l'actuelle Communauté autonome d'Andalousie.
À
l'époque de l'occupation musulmane, c'était l'émirat de Cordoue,
puis le califat de Cordoue suivi des royaumes de Taifa. D'ailleurs,
seul le royaume de Grenade, sous la dynastie des Nasrides, fut
totalement arabisé après plusieurs siècles de domination musulmane.
Néanmoins, la langue arabe s'est infiltrée dans le castillan
péninsulaire et dans les autres langues romanes (portugais, catalan,
aragonais, etc.), car les élites locales, largement bilingues,
utilisèrent l'arabe en concurrence avec les parlers romans. L'arabe a donc
influencé tous les parlers locaux de la péninsule, y compris le
castillan qui s'est graduellement étendu vers le sud, sur les
anciennes terres musulmanes, là où le castillan n'avait jamais été
parlé.
L'influence de la langue arabe fut d'abord perceptible dans les
toponymes de la péninsule Ibérique, dont certains ont été romanisés
:
Albarracín (< Al Banū Razin);
Andalucía ou Andalousie
(< Ash-sharquía);
Algarve ( < al gharb : ouest ou occident);
Algeciras ou Algésiras (< Al Jazeera : île verte);
Badajoz (<
Batalyaws);
Gibraltar ( < Yabal Tāriq: "montagne de
Tariq"); |
Guadalajara (< Wādī al-Hijārah;
Guadalquivir
(< al-wādĩ al-kabir : «la grande
rivière»);
Jaén (< Jayyan);
Lisboa ou
Lisbonne ( < al-'Ishbūnah);
Madrid (< al-Magrīt);
Trafalgar ( < Taraf-al-ghar).
|
Voici une courte liste de
mots espagnols provenant de l'arabe:
aceite («huile»)
aceituna («olive»)
albaricoque («abricot»)
alcachofa («artichaut»)
alcalde («maire» ou «juge de paix»)
alcohol («alcool»)
alubia («haricot»)
café («café»)
diván («divan»)
el («le» ou «l'») |
elixir («élexir
escabeche («escabèche
fulano («type» ou «mec»)
hasta («jusque»)
he («voici»)
islam («islam»)
jarra («jarre»)
kermes («kermesse»)
latón («laiton»)
limón («citron») |
marfil
(«ivoire»)
marroquí («marocain»)
olé («olé»)
sultán («sultan»)
sandiyya («melon d'eau»)
sorbete («sorbet»)
siroco («sirocco»)
sultán («sultan» ou «roi»)
tambor («tambour»)
zanahoria («carotte») |
Par exemple, le mot espagnol albaricoque
(«abricot» en français) vient de l'arabe "al-barquq"
signifiant «prune»; alcachofa («artichaut») de l'ar.
"harsufa", «épine de la terre»; alcohol («alcool») de
l'ar. "al-kohl", «antimoine pulvérisé»; olé («olé»)
de l'ar. "wallah" ou "par Allah"; diván
(«divan») de l'ar. "diwan" «estrade à coussins»
; sultán («sultan») de l'ar. "soltân" «roi»;
tambor («tambour») de l'ar. "tabál" «instrument
de musique».
Dans
de nombreux cas, le castillan possède des doublets linguistiques latins et arabes,
qui ont un sens identique pour
désigner exactement la même réalité. Voici quelques exemples
d'entre eux, en considérant que le premier mot est d'origine arabe,
le second d'origine latine: aceituna («olive) et oliva («olive»);
aceite
(«huile») et óleo («huile»); alacrán
(«scorpion») et escorpión («scorpion»); jaqueca («migraine») et
migraña («migraine»); alcancía («tirelire») et
hucha («tirelire»).
La langue française possède aussi de
nombreux doublets, mais ils ne proviennent pas de l'arabe, mais
du latin classique emprunté au XVIe siècle. Ainsi, hôtel et hôpital sont des
doublets; ils proviennent tous les deux du même mot latin
hospitalis, mais l'évolution phonétique a abouti à hôtel,
tandis que, quelques siècles plus tard, l'emprunt a donné
hospital, puis hôpital. Le mot latin d'origine
populaire est toujours le plus éloigné, par sa forme, du latin
classique. On compte probablement quelques centaines de doublets
qui ont été formés également en français au cours de l'histoire:
raide/rigide, frêle/fragile, entier/intègre, loyal/légal,
aigre/âcre, avoué/avocat, étroit/strict, poison/potion, etc.
Le castillan a également emprunté un petit
nombre de mots provenant de l'arabe parlé au Maroc. Ces emprunts
s'expliquent par le fait que l'Espagne a exercé un protectorat
sur une partie du territoire marocain, ainsi que sur le Sahara
occidental au cours du XIXe et du XXe
siècle.
Il ne faut pas oublier
qu'à cette époque la civilisation arabe était, dans plusieurs
domaines, nettement en avance sur l’Occident. La langue arabe
elle-même était une langue savante codifiée, alors que les
ouvrages traduits en arabe donnaient accès à la philosophie
grecque, aux les sciences et aux techniques des Anciens. Les
plus grands noms de la littérature, de la philosophie, des
science, etc., étaient arabes. Les Arabo-Musulmans ont assuré
leur prospérité économique, non seulement par des conquêtes
militaires, mais également par l'importance des échanges
commerciaux, le développement des savoirs, leur grande capacité
à absorber les connaissances du monde et leur immense curiosité
à l’égard des autres cultures. Dans La grande histoire du
monde arabe (2015), le journaliste et écrivain français
Francois Reynaert [ré-nart] écrit à propos du monde arabe de
cette époque:
La civilisation
musulmane a été au plus haut quand elle a été tolérante, diverse,
ouverte à tous les courants de pensée qui préexistaient, avide de
tous les savoirs. |
À partir du XIIIe siècle,
le monde arabe amorcera définitivement son déclin. L'invasion
mongole (1258) entraînera la destruction complète de Bagdad (avec
de
200 000 à un million de morts), capitale de l’empire
arabo-musulman, le massacre de 24 000 savants arabes, la
destruction des bibliothèques, la sclérose de la religion
musulmane (influence des fatwas, des oulémas et des théologiens
du Coran), l'intégrisme obscurantiste, l'intolérance, la
fermeture et le repli sur soi. En même temps, le monde sera
témoin du décollage de l’Europe chrétienne et de la fin de la
prétendue supériorité arabo-musulmane.
Par la suite, les Arabes se fermeront
progressivement au monde extérieur et vivront marginalisés et à
l’écart de la société internationale; ils cultiveront des
stéréotypes hérités d’un passé révolu, non conforme aux réalités
contemporaines. Ils en viendront à momifier la langue arabe,
celle du Coran, sous prétexte qu’elle est intouchable. Malheureusement, ce sont les morts que l’on embaume et que l’on
momifie, et non pas les vivants.
Les populations de la Galice, des Asturies, de la
Castille, de la Navarre, de l'Aragon, du Léon et de la Catalogne n'avaient jamais baissé les bras devant
l'occupation des Maures. Des foyers de résistance s'étaient maintenus dans tout le
nord de la péninsule. Rappelons la bataille de Covadonga de 722, qui avait permis au roi Pélage des Asturies de rendre son
royaume indépendant des Maures. Les Asturies, incluant une partie de la Galice,
la Cantabrie, le Pays basque (Navarre), constituèrent le noyau de départ de la
véritable
Reconquista («Reconquête»), qui permit aux royaumes chrétiens d'Espagne et du
Portugal de chasser les Maures au sud de la péninsule Ibérique. La chasse aux
Maures fut interprétée à l'époque comme une croisade spécifique à la péninsule
Ibérique. Les papes appelèrent en plusieurs occasions les chevaliers européens à
la croisade dans la péninsule. Des ordres militaires furent fondés dans ce but:
Ordre de Calatrava, Ordre d'Aviz, Ordre de Santiago (Ordre de
Saint-Jacques-de-l'Épée), Ordre de Montjoie, Ordre d'Alcántara, Ordre de
Saint-Georges d'Alfama, etc.
5.1 Le
début de la Reconquête
|
La véritable reconquête chrétienne,
appelée la
Reconquista, commença en
1212, alors que, sous le règne d'Alphonse
VIII de
Castille (1155-1214), une grande armée de coalition d'Aragonais,
de Castillans, de Léonais, de Navarrais, de Portugais et de Français, se rassembla à Tolède, au sud de Madrid. De là, les troupes
chrétiennes avancèrent jusqu'au royaume musulman de Grenade (l'Andalousie
actuelle) en accumulant d’importantes victoires. L'affrontement final entre les
armées chrétiennes et musulmanes se produisit à Las Navas de Tolosa (aujourd'hui dans la
province de Jaén en
Andalousie), où les chrétiens remportèrent leur plus
éclatante victoire. Au cours des XIIe et XIVe
siècles, les chrétiens allaient profiter de
l'émiettement des forces musulmanes et des rivalités
entre les seigneurs musulmans pour poursuivre la
Reconquête, car le royaume de Grenade résista
longtemps.
La Reconquête ne devait se
terminer que deux siècles plus tard à Grenade, le 2
janvier 1492, lorsque Ferdinand II d'Aragon et
Isabelle de Castille, les «Rois catholiques» (Los
Reyes Católicos), chassèrent le dernier
souverain musulman de la péninsule, Boabdil de
Grenade, achevant l'unification de l'essentiel de
l'actuelle Espagne — excepté la Navarre, incorporée
en 1512. |
5.2 L'expansion de
la Castille
Après la victoire de
1212, les Castillans reprirent les
Baléares en 1229, Cordoue
en 1236, Jaén en1246, Séville en 1248, Jérez et Cadix en 1250. Seul subsista le
royaume de Grenade qui connut pendant deux siècles une
grande civilisation musulmane.
|
Les chrétiens, surtout en Navarre, au
León et en Castille, continuèrent de s’affronter
entre eux dans des guerres incessantes pour
déterminer leurs propres frontières, ce qui ne
pouvait que favoriser les Maures. En effet, ces
luttes intestines permirent au royaume de
Grenade de consolider son pouvoir, sinon de
l'étendre aux dépens des chrétiens.
Pendant ce temps, en
1230, sous le règne de Ferdinand III, appelé aussi saint Ferdinand de
Castille (Fernando el Santo), roi de Castille de 1217 à 1230, puis
roi de Castille et de León de 1230 à 1252, le royaume de Galice fut
définitivement intégré au royaume de Castille et de León. Ferdinand III fut
l'un des rois ayant le plus profondément marqué l'Espagne médiévale
non seulement parce qu'il a réuni les royaumes de Castille et
de León, mais aussi parce qu'il a fait progresser la Reconquête en
repoussant les Maures vers le sud de la péninsule Ibérique. C'est
pourquoi il fut canonisé en 1671 par le pape Clément X (du
29 avril 1670 au 22 juillet 1676).
|
Entre-temps, les îles Baléares étaient
assujetties au royaume d’Aragon allié
aux comtes catalans. La conquête arago-catalane entraîna un bouleversement
profond chez les insulaires. Le repeuplement catalan commença aussitôt et il se
prolongea durant quelques siècles. Ayant acquis une grande autonomie politique
au sein du royaume d'Aragon, les Catalans firent passer sous leur autorité non
seulement les îles Baléares (en 1229 et 1230) dont les habitants finirent par
adopter la langue catalane, mais aussi le royaume de Valence (1238), la
Sicile (1282) et la Sardaigne (1321). Les Catalans s’affirmèrent alors comme la
première puissance de la Méditerranée occidentale. Cependant, en 1343, les
Baléares passèrent à nouveau sous la couronne d’Aragon, puis sous celle de
l’Espagne, mais l'usage du catalan perdura partout dans l'archipel.
5.3 L'union de
l'Aragon et de la Castille
|
En 1469, le roi d'Aragon,
Ferdinand II (1452-1516), épousa la
future Isabelle de
Castille (1451-1504), qui deviendra
reine de Castille en 1474. Les deux monarques
régnèrent ensemble, même si les deux couronnes
demeuraient séparées. Les armées de Ferdinand
d'Aragon et d’Isabelle de Castille envahirent le
royaume de Grenade en 1487. Malaga, la plus
fortifiée des cités grenadines, tomba en août
1487; à la fin de 1489, les villes de Guadix,
Almuñecar, Almeria et Baza tombèrent. Au début
de 1490, il ne restait plus que la ville de
Grenade. Le 2 janvier
1492, après plusieurs mois de siège,
les forces unifiées du roi d'Aragon et de la
reine de Castille prirent Grenade, le dernier
bastion musulman.
Le sultan Boabdil dut remettre
les clés de la ville aux souverains d'Aragon et
de Castille; puis il fut forcé de s'exiler avec
toute sa cour en Afrique où il n'avait
jamais mis les pieds. La prise de Grenade valut
à Isabelle et Ferdinand de recevoir du pape
Alexandre VI Borgia, un Espagnol du nom de
Rodrigo de Borja, le titre de "Reyes Católicos"
(«Rois Catholiques»). |
|
Deux mois après la prise de Grenade, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de
Castille signèrent le décret d’expulsion des Juifs de la péninsule. Plus de 200 000
Juifs d'Espagne et du Portugal quittèrent le territoire pour aller
trouver refuge en Afrique du Nord, où le sultan Bajazet II les
accueillit à bras ouverts. Dans leur pays d'accueil, ils se firent
connaître sous le nom de Séfarades (signifiant «Espagne», en
hébreu). Parce qu'ils pratiquaient surtout le commerce, les Juifs allaient contribuer
à l'essor économique et commercial de l'Empire ottoman. Leur langue, le
judéo-espagnol, allait se maintenir durant quelques siècles.
Après les Juifs, ce fut le tour des musulmans
restés dans la péninsule. Ferdinand d’Aragon et
Isabelle de Castille organisèrent l'Inquisition espagnole afin de
pourchasser les musulmans non convertis à la religion catholique. Ceux
qui refusèrent ouvertement de professer la religion des souverains
furent expulsés du pays comme les juifs, une décennie plus tôt. De
nombreux musulmans préférèrent rester sur place et continuèrent de
pratiquer leur foi en secret; ces «faux» convertis, appelés
Moriscos
(«les petits Maures») ou «Morisques», seront
définitivement expulsés en 1609 par
Philippe III d'Espagne (qui était aussi roi du Portugal et des Algarves), dans des conditions déplorables.
Il faut comprendre que, à cette époque, l'unité
d'un pays résidait avant tout dans la religion, non dans la
langue. C'est pourquoi les "Rois Catholiques" n'imposèrent pas
le castillan, et ce, d'autant plus que les autres langues
(hormis l'arabe) étaient des langues «chrétiennes». L'expression connue
alors était "Hablar cristiano", c'est-à-dire «parler chrétien»,
ce qui signifiait «parler clairement», pas en arabe ou en
charabia ("algarabía"). |
Évidemment,
cela n'empêcha pas au castillan de progresser en même temps que
la puissance économique et culturelle de la Castille. C'est
d'ailleurs en 1492 que fut publiée en latin la première
grammaire de l'espagnol d'Antonio Nebrija, la Gramática
castellana, avec comme titre la
Grammatica Antonii Nebrissensis.
La grande nouveauté d'Antonio de Nebrija est d'avoir rédigé la
première grammaire castillane, voire la première parmi les
grammaires romanes, qui servira de modèle.
Lorsque l'ouvrage fut présentée à la reine
Isabelle à Salamanque, celle-ci s'interrogea sur l'utilité de ce
livre. L'évêque d'Avila, Hernando de Talavera, a alors répondu à
la place de l'auteur par des mots prophétiques en expliquant que
la diffusion de la langue castillane apporterait aussi les idées
du pays à de futures conquêtes:
Después de que Su Alteza haya sometido a bárbaros
pueblos y naciones de diversas lenguas, con la
conquista vendrá la necesidad de aceptr las leyes
que el conquistador impone a los conquistados, y
entre ellos nuestro idioma; con esta obra mía, serán
capaces de aprenderlo, tal como nosotros aprendemos
latín a través de la gramática latina |
[Après que Son
Altesse ait soumis des peuples et des nations de
langues différentes à des barbares, avec la conquête
viendra le besoin d'accepter les lois que le
conquérant impose aux vaincus, et parmi eux notre
langue; avec mon ouvrage, ils pourront l'apprendre,
tout comme nous apprenons le latin à travers la
grammaire latine.] |
La publication de cette
grammaire allait devenir un outil pour la diffusion de
l'espagnol, car après 1492 l'empire s'étendait à une grande
partie du globe. De fait, c'est en 1555 que fut appliquée sur
les populations conquises la première politique linguistique
espagnole, lorsqu'on décida d'évangéliser les peuples
autochtones en castillan. Ce genre de décision avait déjà été
pris en 1526 lorsqu'un édit obligea les Morisques de Grenade à
abandonner leurs vêtements traditionnels, leurs coutumes et leur
langue arabe, bien que son application ait été retardée grâce à
des contributions financières de la part des vaincus.
|
À la fin de la Reconquête espagnole, le paysage politique se présentait
ainsi:
- au nord: la
principauté d'Andorre, de langue
catalane et le royaume de Navarre, de langue basque;
- au nord-est: le royaume d’Aragon
(Catalogne, Valence, Baléares, Sardaigne et, en 1409, la Sicile, de langue
catalane;
- à l’ouest: le royaume du Portugal,
de langue portugaise
- le reste du pays: le royaume de Castille
(Léon, Asturies, Cordoue, Estrémadure, Galice, Cadix, Séville), de
langue castillane.
Rappelons qu’en 1512 le royaume de Navarre fut annexé par Ferdinand d’Aragon au royaume de Castille et que la Basse-Navarre au
nord sera intégrée à la France lorsque Henri IV (1572-1610) devint à la fois
roi de France et de Navarre (celle du Nord). Protégé par ses montagnes, le
Portugal constituait déjà un royaume tentant de s'affranchir de la tutelle
castillane.
|
5.4 La
castillanisation du territoire
Durant tout le Moyen Âge, le castillan avait
subi la concurrence du catalan, mais aussi de l'aragonais, du léonais, de
l'asturien, du galaïco-portugais. En effet, les habitants du royaume d’Aragon, du
nord des Pyrénées et en Catalogne (devenue la Generalitat de Catalunya),
au Pays valencien, aux îles Baléares et en Sardaigne, avaient utilisé le catalan
comme langue véhiculaire. Cette époque avait été pour les Catalans une période
de grand épanouissement économique, littéraire et artistique. Avec l'union des
royaumes d'Aragon et de Castille en 1469, s'amorça une longue castillanisation
qui s'accentua
au fur et à mesure de l'expansion du royaume.
|
Au moment où Burgos était devenu en 1037 la capitale du royaume unifié
de Castille et León (jusqu'en 1492), l'aire d'origine du castillan demeurait
encore limitée; elle ne couvrait qu'une petite partie de la Vieille-Castille
(aujourd'hui la Communauté autonome de Castille-et-León). En 1200, l'aire du
castillan avait quadruplé pour s'étendre vers le sud et atteindre ce que sont
aujourd'hui les communautés autonomes de Madrid et de
Castille-La Manche. Vers
1300, le castillan s'étendit vers l'ouest, vers l'est et vers le sud
(Estrémadure, Aragon,
Andalousie et Murcie).
En 1492, au moment où
Christophe Colomb, mandaté par l'Espagne, découvrait l’Amérique, inaugurant une
ère d’hégémonie espagnole, le castillan occupait déjà la plus grande partie de
l'actuelle Espagne. Cependant, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon
n'imposèrent pas l'unité linguistique, l'unité recherchée était avant tout
religieuse. L'expression très courante à cette époque était "Hablar cristiano",
littéralement «parler chrétien», ce qui signifiait «parler clairement» et non
pas en «algarabía», en charabia, c'est-à-dire en arabe.
En 1494, le pape Alexandre VI
contraignit les Espagnols et les Portugais à signer le
traité de Tordesillas, qui traçait les limites territoriales
entre l'Espagne et le Portugal: tout ce qui serait découvert à
l'ouest du méridien (l'Amérique moins le Brésil) devait appartenir à
l’Espagne, et à l'est (le Brésil et l'Afrique) au Portugal.
|
En Europe,
Ferdinand V, roi de la Castille entre 1474 et 1504, étendit sa souveraineté sur le
royaume de Naples aux dépens des rois de France (Charles VIII et Louis XII),
puis sur le royaume de Navarre (1504). L'Espagne s'implanta aussi dans le
Sahara-Occidental entre 1509 et 1524, qui tomba ensuite sous la domination du
Maroc. À la mort de Ferdinand V en 1516, l’Espagne contrôlait le sud de
l’Italie, la Navarre et, plus au nord, la Cerdagne et le Roussillon. En
1659, le traité des Pyrénées allait faire perdre aux Catalans la Catalogne du
Nord au profit du royaume de France.
Le castillan progressa
naturellement avec la puissance politique et économique de la
Castille, suivie d'un développement culturel, sans qu'aucune
décision politique ne soit nécessaire. La castillanisation du territoire
espagnol entraîna le long déclin des langues autres que le
castillan: le catalan, le basque, le galicien, etc., bien que le catalan continuât de
bénéficier de son statut de langue officielle dans les anciens territoires
catalans. Quoi qu'il en soit, cette castillanisation finit nécessairement par
se faire aux dépens des langues concurrentes: le basque, le galaïco-portugais,
l'asturo-léonais, le navarro-aragonais et le catalan (cliquer
ICI, s.v.p.).
C'est sous le règne de
Charles Quint, dernier empereur du
Saint-Empire
romain germanique, que l'Espagne connut son apogée, puisque l'Empire
colonial espagnol débuta en 1492.
|
Né le 24 février 1500 à Gand (Flandre),
Charles de Habsbourg, archiduc d'Autriche, hérita en 1506, à la mort de
son père Philippe Ier
du royaume de Bourgogne (incluant les Pays-Bas et la Franche-Comté),
puis des royaumes de Castille et de Léon; en 1516, du royaume d’Espagne
(incluant l'Amérique espagnole) à la mort de son grand-père maternel
Ferdinand V; du royaume de Naples et de la Sicile (incluant la
Sardaigne); en 1519, il fut élu empereur du Saint-Empire romain
germanique sous le nom de Charles Quint. Le Saint-Empire comprenait
alors l'Allemagne,
le Luxembourg et la Suisse. À la tête d'un immense
État, Charles Quint devint le plus puissant monarque européen de son temps. La France était
alors encerclée par les possessions (en jaune) de Charles Quint.
Élevé en
Flandre, Charles Quint parlait le français comme langue maternelle parce qu'il était
prince bourguignon. Il parlait aussi l’espagnol
(castillan), l’allemand, l’italien, le latin et un peu le
néerlandais. C’est d’ailleurs ce monarque polyglotte qui aurait affirmé: «Je
parle espagnol à Dieu, italien aux femmes, français aux hommes et allemand à mon
cheval.» |
Néanmoins, Charles Quint était
davantage imprégné de la culture flamande que de la culture castillane, et sa méconnaissance des problèmes
espagnols
déclencha des révoltes qu’il dut réprimer.
|
C'est sous son règne que furent menées
l’exploration et la conquête des Amériques : conquête de l’Empire aztèque au
Mexique par Hernán Cortés, de 1519 à 1521, et conquête de l’Empire inca au Pérou
par Francisco Pizarro, de 1531 à 1533. Le 11 mars 1526, Charles Quint avait
épousé sa cousine, l’infante Isabelle du Portugal, sœur du roi Jean
III de Portugal (lui-même marié avec Catherine d’Autriche, sœur
cadette de Charles Quint, pour appuyer son alliance avec l’Espagne
et le Saint Empire romain germanique).
En 1526, un décret
de Charles Quint conduisit la plupart des musulmans d'Espagne à se
faire chrétiens, à l'exception de ceux qui partaient clandestinement
pour l'Afrique du Nord. Les musulmans restés en Espagne et
leurs descendants furent désignés sous le nom de «Morisques» (Moriscos
en castillan). Non seulement, les Morisques furent obligés
d'abandonner leurs vêtements traditionnels et leurs coutumes, mais
l'usage de la langue arabe fut aussi interdit. C'est sur ces
populations arabophones que fut appliquée la première politique linguistique
espagnole. |
Épuisé par les luttes constantes
qu'il avait menées durant une quarantaine d’années, Charles Quint décida
d’abdiquer en faveur de son fils aîné, Philippe II, mais il conserva
la couronne impériale jusqu'à sa mort en 1558 au
monastère de Yuste en Espagne. Vers 1550, l’Espagne contrôlait presque tout
le continent sud-américain, l’Amérique centrale, la Floride, Cuba et, en
Asie, les Philippines. Évidemment, l'expansionnisme de l'Espagne allait
contribuer à la propagation du castillan (mais aussi le castillan méridional
d'Andalousie) dans les Amériques et en Asie. Le
16 janvier 1556, Philippe devient également roi des Espagnes sous le nom de
Philippe II, ainsi que de leurs dépendances en Méditerranée et aux
Amériques (voir la carte des Anciennes possessions
et colonies de l'Empire espagnol). C'est sur ces
populations conquises que fut appliquée en 1555, pour la seconde fois, la politique
linguistique espagnole: il fallait évangéliser les indigènes en castillan.
6.1 Philippe II et les Morisques
L'interdiction linguistique devint effective en 1567.
Cette année-là, la "Pragmática Sanción" («Pragmatique Sanction») ou "Pragmática
antimorisca" (Pragmatique antimorisque») était un édit sous la forme d'une
«sanction» promulguée par le roi Philippe II
(1527-1598). Le président de la
Chancellerie royale de Grenade, Pedro de Deza, la rendit publique le 1er de
l'an 1567 et commença à l'appliquer.
I.
Prohibir hablar, leer y escribir en arábigo en un plazo de tres
años.
II.
Anular los contratos que se hicieran en aquella lengua.
III.
Que los libros escritos en ella, que poseyeron los moriscos,
fueran presentados en un plazo de treinta días al presidente de
la Chancillería de Granada,
y que, una vez examinados, se devolvieran los que no tuvieran
inconveniente en poseer personas creyentes para que sus
propietarios los poseyeran otros tres años.
IV.
Que los moriscos se vistieran a la castellana, no haciéndose "marlotas",
"almalafas"
ni calzas, y que sus mujeres fueran con las caras destapadas. |
I. Interdire
de parler, de lire et d'écrire en arabe dans les trois ans.
II.
Annuler les contrats qui ont été faits dans cette langue.
III. Que
les livres qui y étaient écrits, que possédaient les Moriscos,
soient présentés dans les trente jours au président de la
Chancellerie de Grenade, et que, une fois examinés, ceux qui
n'avaient pas d'objection à posséder des personnes croyantes
soient renvoyés pour que leurs propriétaires les possédent pour
trois autres années.
IV. Que
les Moriscos s'habillent en castillan, qu'ils ne deviennent pas
des «marlotas», des «almalafas» ni des «calzas" et que leurs
femmes soient à visage découvert. |
Bien que, à cette époque, la langue arabe
soit parlée par beaucoup de chrétiens en Égypte, en Syrie et à l'île de
Malte, cela ne fit pas changer d'avis le souverain espagnol. Le 9 avril de
1567, Philippe II décida d'expulser, et pour toujours, plus de 300 000
compatriotes de son royaume. Si l'Espagne, au début du XVIIe siècle,
comptait sept millions d'habitants, le monarque espagnol n'en expulsa pas
moins de 4,3 % de ses sujets, simplement parce qu'ils ne voulaient pas être
chrétiens et changer de religion.
|
Par la suite, Philippe II dut faire face à la révolte des
Morisques à partir de 1568. Les Morisques (de l'espagnol
"Morisco") étaient des musulmans
d'Espagne convertis de force au catholicisme lorsque les Rois Catholiques
eurent renié leurs accords permettant aux Arabes de conserver leur religion
en Espagne. Ils représentaient 20 % de la
population dans le Royaume d'Aragon et près de 40 % dans la région
valencienne. Beaucoup de ces Morisques avaient conservé leur identité arabe
et leur langue, tout en étant devenus apparemment chrétiens; certains pratiquaient la
religion musulmane en secret.
Philippe II décida d'appliquer la Réforme
catholique dans ses États et de combattre l'hérésie, que ce soit contre les
calvinistes des Pays-Bas ou contre les Morisques de Grenade et de Valence. Philippe II interdit l'usage de leur langue et
de leur culture, les noms arabes, les ornements islamiques, etc.. Ces
interdictions provoquèrent la révolte des Morisques, suivie d'une dure
répression. Le soulèvement morisque prit fin à l'issue d'une déportation
massive ordonné par Philippe III vers le nord de l'Espagne en septembre
1609. La région de Valence perdit ainsi une grande partie de ses habitants.
|
Trente ans plus
tard, près de la moitié des quelque 400 localités qu'avaient occupées les
Morisques restaient abandonnées, et ce, en dépit de la migration forcée de milliers de
familles chrétiennes du royaume, que ce soit des Aragonais, des Catalans,
des Majorquains ou des Castillans. Le règne de Philippe II fut marqué par
l'obscurantisme religieux et l'âge d'or de l'Inquisition espagnole.
6.2 La perte du Portugal
|
En 1640, le royaume du Portugal se souleva et se sépara
de l'Espagne qui ne reconnut l'indépendance du pays qu'après une
longue guerre et en échange de la cession de l'enclave de
Ceuta (1668), située
en Afrique occidentale du Nord, un port du détroit de Gibraltar à la frontière
marocaine. La frontière politique qui s'est fixée
définitivement entre le Portugal et la Galice produisit peu à peu ses effets sur
la langue utilisée dans l'ouest de l'Espagne.
Le Portugal resta coupé de ses
racines galiciennes et subit diverses influences. Ainsi, alors que le
galicien du Nord (galéïco-castillan) commençait à être colonisé par l'Espagne et
empruntait massivement au castillan, le galicien du Sud (galeïco-portugais)
subissait l'influence de l'arabe. Plus tard, alors que la région était soumise à la
dynastie des ducs de Bourgogne et à l'influence des moines de Cluny (célèbre
abbaye de Bourgogne), le galicien du Sud emprunta une partie de son vocabulaire
au français. Le terme «portugais» (portuguese) remplaça définitivement celui de
galego pour désigner la langue parlée par les Portugais, ce qui scella la
fragmentation du galego en deux langues. Dans les siècles qui
suivirent, les Galiciens furent de plus en plus influencés par le castillan qui
imprégna fortement leur langue.
|
6.3 L'avènement des Bourbons d'Espagne
|
La population espagnole était de six millions en 1700;
elle passera à onze millions à la fin du siècle. L'usage généralisé du castillan
dans toute l'Espagne débuta avec l'avènement de la dynastie des Bourbons.
Après la guerre de Succession
d’Espagne (1705-1715), le règne de Philippe V (1700-1746), petit-fils de Louis XIV,
fut marqué par une politique de centralisation, inspirée du modèle absolutiste
français. Philippe V occupa Barcelone, fit appliquer les lois castillanes et abolit
toutes les institutions gouvernementales qui existaient en Catalogne (dont la Generalitat).
Le
castillan devint la seule langue officielle de l’Administration publique dans
toute l'Espagne, même si les habitants continuaient de parler, selon les
régions, le catalan, le basque, l'aragonais, l'asturien, l'andalou, etc.
Sous la règne de Philippe V (1706-1715), les Baléares
virent leur autonomie de plus en plus réduite, car le souverain remplaça les
institutions catalanes par des institutions castillanes, supprima des
droits civils et interdit l'usage du catalan dans l'Administration,
puis dans les tribunaux, les écoles, etc. La langue catalane
subit alors la domination du castillan qui se répandit parmi la grande majorité
de la population. Par la suite, la castillanisation gagna encore du terrain non
seulement aux Baléares, mais aussi en Catalogne, au Pays valencien et en
Aragon.
|
Rappelons qu'en 1713, au
traité d'Utrecht, l'Espagne avait perdu Gibraltar au profit de la
Grande-Bretagne, alors que la Sardaigne revenait aux Pays-Bas, la Sicile au
duché de Savoie (qui l'échangera avec la Sardaigne), Milan et Naples à
l'Autriche. De son côté, la France avait perdu les territoires nord-américains
de Terre-Neuve, de l’Acadie et de la baie d’Hudson ainsi que l’île
Saint-Christophe aux Antilles.
6.4 Les Amériques
|
Mais l'Espagne poursuivait sa domination sur les
territoires qu'on appelait alors la Nouvelle-Espagne: la Floride, le Texas, la Californie, puis
sur une grande partie de l’ouest des États-Unis. De plus, le
traité de
Paris de 1763 cédait toute la Louisiane
française
à l'Espagne, qui constituait un territoire alors considérable. Ainsi, les Espagnols
occupaient une très grande partie du territoire américain actuel.
Contrairement à ce qui s'était passé en Amérique du Sud, l'Espagne laissa
généralement les Amérindiens de la Louisiane parler leurs langues
ancestrales et ne s'opposa pas à ce que les Français, les Canadiens et les
Acadiens pussent continuer à parler le français; ils construisirent même
leurs propres écoles et employèrent le français dans l'Administration de la
Louisiane.
Aujourd'hui, on se rend compte qu'une grande partie de la
toponymie du sud des États-Unis est héritière de la colonisation espagnole (voir
la carte des Anciennes possessions et colonies de
l'Empire espagnol).
|
Les principes de la Révolution française de 1789 influencèrent une partie de
l’élite espagnole. En 1793, après l’exécution de Louis XVI, l’Espagne s’allia
aux autres puissances européennes et entra en guerre contre la France. En
mai 1808, Napoléon installa sur le trône d’Espagne son frère
Joseph Bonaparte et envahit l'Espagne.
L’occupation du pays par les armées napoléoniennes eut de graves conséquences en
Amérique. Les colonies sud-américaines refusèrent de reconnaître Joseph
Bonaparte pour roi; leur loyalisme tourna rapidement au séparatisme, malgré le
retour de Ferdinand VII (1814-1933). Les colonies d’Amérique finirent par
acquérir tour à tour leur indépendance, grâce entre autres à l’action de Simón
Bolívar.
Voir l'article sur
L'Empire colonial espagnol en
Amérique (1492-1826).
7.1 Les guerres civiles
Au plan intérieur, les libéraux, ayant obtenu la majorité aux Cortes
de Cadix, qui s'étaient réunis de 1811 à 1813, adoptèrent, le 12 mars 1812, la
nouvelle Constitution espagnole. Cette constitution anti-absolutiste instaura un
gouvernement parlementaire, supprima l’Inquisition, limita le pouvoir du clergé
et de la noblesse. Ferdinand VII (1814-1833), à son retour en Espagne en 1814,
abrogea aussitôt la Constitution de Cadix et restaura l’absolutisme royal. La
répression menée contre les libéraux entraîna en 1820 une guerre civile. Dès
1826, l’Empire espagnol d’Amérique n’existait plus, à l’exception de Cuba et de
Porto Rico.
|
Après la guerre
civile de 1833 à 1839, les gouvernements espagnols successifs imposèrent des
administrateurs unilingues castillans dans toutes les régions, ainsi que l'usage
de la seule langue castillane, ce qui provoqua un ressentiment profond de la
part des Basques et des Catalans à l’égard de Madrid.
On assista à la renaissance du catalanisme, qui se concrétisa par la
valorisation de la langue et de la littérature catalanes. La république
espagnole fut proclamée en 1873, mais la monarchie des Bourbons fut restaurée
l'année suivante en la personne d'Alphonse XII (1874-1885).
En 1859, l'Espagne déclencha la guerre d'Afrique
contre le Maroc de façon à lui arracher des territoires. En 1884, soit après
trois siècles de domination marocaine (depuis 1541), l’Espagne réussit à rétablir son protectorat sur le
Sahara espagnol, comme l’y autorisait la Conférence de Berlin consacrée au
partage de l'Afrique (cf. la Déclaration de protectorat du 26
décembre 1884). Dès cette époque, les frontières du Sahara espagnol
(devenu le Sahara-Occidental) furent fixées. En juin 1900, la France
et l'Espagne signèrent le traité de Paris qui définissait la
frontière entre le Río de Oro (espagnol) et la Mauritanie
(française). La convention de Paris de 1904, la convention de Paris
accorda le territoire de Cap Juby et de l'enclave d'Ifni à
l'Espagne. L’Espagne
conservait également son influence sur le Rif, entre Tanger, Ceuta
et Melilla. Le
Sahara restera espagnol jusqu'en 1975.
Entre 1900 et 1903, la France occupa une
partie du Maroc. L'Espagne imposa sa langue officielle dans
les territoires colonisés, pendant que la France fera de même avec
le français. L'Espagne dut composer avec la résistance des
populations berbères. |
7.2 La guerre hispano-américaine de
1898
À l’issue de la
guerre hispano-américaine
(1898), qualifiée par John Hay (alors secrétaire d'État américain) de
«magnifique petite guerre» («splendid little war»), et de la victoire des
Américains, l'Espagne dut céder l'île de Cuba,
l'île de Porto Rico, l'île de
Guam et les
Philippines contre une «compensation» de 20 millions de dollars versée par les
Américains aux Espagnols. La
victoire de l'Amérique sur l'Espagne revêtait un caractère hautement symbolique:
c'était la victoire du Nouveau Monde sur l'Ancien Monde, la fin de l'épopée coloniale
de l'Espagne et le début de la puissance coloniale américaine (voir la carte des Anciennes possessions et colonies
de l'Empire espagnol).
Les Espagnols pouvaient ainsi constater les faiblesses et les retards de leur
pays sur le reste de l'Europe occidentale.
Désormais, la politique coloniale espagnole allait s’orienter vers l’Afrique (en
Guinée espagnole, aujourd'hui
Guinée équatoriale), alors que l’Espagne n'allait plus jouer qu’un rôle
secondaire dans les affaires internationales.
7.3 La Seconde République (1931-1939
Avec Alphonse XIII monté sur le trône en 1902, la
situation politique espagnole s'aggrava. Les deux partis politiques, conservateur et libéral,
se révélèrent incapables d'assurer les transformations politiques nécessaires et
de faire face aux mouvements autonomistes, notamment au Pays basque et en
Catalogne. Une dictature s'ensuivit, acceptée par le roi, mais elle se solda par
un échec; le général Miguel Primo de Rivera abandonna le pouvoir en 1930.
L'année suivante, Alphonse XIII quitta l'Espagne (pour Paris, puis Rome) sans abdiquer, alors qu'une nouvelle
constitution instituait
la Seconde République espagnole, laïque et
parlementaire. Le gouvernement ferma l’Académie militaire générale de Saragosse
et réduisit considérablement le nombre des officiers; en raison de plusieurs
tentatives de putsch, l'armée représentait un danger pour l'État. L'autonomie, déjà accordée à la
Catalogne, fut étendue au Pays basque, les deux régions les plus nationalistes.
La Constitution espagnole de 1931 donnait le droit aux régions d'employer leurs langues
respectives (art. 4):
Artículo
4 1) El
castellano es el idioma oficial de la República.
2) Todo español tiene obligación de saberlo y derecho de
usarlo, sin perjuicio de los derechos que las leyes del Estado
reconozcan a las lenguas de las provincias o regiones.
3) Salvo lo que se disponga en leyes especiales, a nadie se
le podrá exigir el conocimiento ni el uso de ninguna lengua
regional. |
Article 4
1) Le
castillan
est la
langue
officielle
de la
République.
2) Tout Espagnol
a le devoir de la connaître et le droit d'en faire usage, sans
préjudice des droits que les lois de l'État reconnaîtront aux
langues des provinces ou des régions.
3)
Sauf une disposition contraire
prévue dans
des lois particulières,
nul ne pourra
exiger ni la
connaissance
ni l'usage
d'aucune
langue
régionale. |
L'article 50 allait plus loin en autorisant l'enseignement
des «langues respectives» dans les régions autonomes:
Artículo 50
1) Las regiones autónomas podrán
organizar la enseñanza en sus lenguas respectivas, de acuerdo
con las facultades que se concedan en sus Estatutos.
2) Es obligatorio el estudio de
la lengua castellana, y ésta se usara también como instrumento
de enseñanza en todos los centros de instrucción primaria y
secundaria de las regiones autónomas. El Estado podrá mantener o
crear en ellas instituciones docentes de todos los grados en el
idioma oficial de la República.
3) El Estado ejercerá la suprema inspección en todo el
territorio nacional pata asegurar el cumplimiento de las
disposiciones contenidas en este Artículo y en los dos
anteriores.
4) El Estado atenderá a la expansión cultural de España
estableciendo delegaciones y centros de estudio y enseñanza en
el extranjero y preferentemente en los países hispanoamericanos. |
Article 50
1) Les régions autonomes peuvent
organiser l'enseignement dans leurs langues respectives,
conformément aux pouvoirs conférés dans leurs Statuts.
2) L'étude de la langue
castillane est obligatoire; elle est utilisée également comme
véhicule d'enseignement dans tous les établissements
d'enseignement primaire et secondaire des régions autonomes.
L'État peut maintenir ou créer dans ces régions des
établissements d'enseignement, à tous les niveaux, dans la
langue officielle de la République.
3) L'État exercera sa haute
inspection dans tout le territoire national pour assurer
l'accomplissement des dispositions contenues dans le présent
article ainsi que dans les deux articles précédents.
4) L'État veillera à l'expansion
culturelle de l'Espagne, en établissant des délégations et des
centres études et d'enseignement à l'étranger et préférablement
dans les pays hispano-américains. |
En même temps, l'État rendait obligatoire l'étude du
castillan et son emploi dans tout l'enseignement primaire et secondaire.
Il convient toutefois de bien comprendre la portée de cette
constitution de 1931; elle apportait plusieurs restrictions aux acquis
dans les domaines de la politique, de l’administration et de la justice.
D'abord, les autorités régionales étaient tenues de
publier toute disposition ou décision officielle dans les deux langues,
la castillane et l'autre langue co-officielle. Par ailleurs, le texte ne
prévoyait pas que la langue régionale soit forcément la langue
administrative prédominante, puisque tout citoyen avait le droit de
choisir la langue officielle qu’il préférait dans ses rapports avec les
tribunaux, les autorités et les fonctionnaires de toute catégorie, aussi
bien ceux de la région autonome que ceux de la République. De plus, dans
les communications officielles de l'État avec les régions autonomes, le
castillan était considéré comme la seule langue officielle. Quoi qu'il
en soit, ces droits linguistiques accordés aux locuteurs des langues minoritaires
en Espagne allaient disparaître durant plus de quarante ans.
En 1936, une nouvelle guerre civile éclata en Espagne. Une
partie de l'armée restée fidèle à la monarchie se souleva contre le gouvernement
et remit en cause les autonomies accordées à la Catalogne et au Pays basque. La
vie politique fut perturbée par des accès de violence et l’exaspération d’une
armée méprisée, en mal de pouvoir.
8.1 Le caudillo («guide»)
|
Un jeune général, Francisco Franco, chef d’État-major général de
l’armée, s'était réfugié au Maroc. Durant l'été de 1936 Franco et ses troupes
phalangistes rejoignirent l'Espagne à partir de la ville de Ceuta. Ayant convaincu Mussolini et Hitler de
l’aider à organiser un pont aérien à grande échelle vers l’Espagne, Franco
débarqua avec l’armée d’Afrique dans le sud de la péninsule; soutenu par des
troupes italiennes, Franco s'empara de Malaga, le 8 février 1937. Aidé par la
marine de guerre allemande, il dirigea une marche victorieuse en semant la
terreur jusqu’à Madrid, avec pour cri de guerre le célèbre «Viva la muerte!»
En avril 1937, Franco transforma la Phalange
(une formation d’inspiration fasciste fondée par José Antonio Primo de Rivera en
1933) en parti unique dont il prit la tête. Au cours de son premier gouvernement
(janvier 1938), il réduisit considérablement les lois fondamentales de la
démocratie. Franco s’octroya le titre de caudillo («guide») et s’arrogea la
double fonction de chef de l’État et du gouvernement, ce qui eut pour effet d'instaurer une dictature militaire pendant près
de quarante ans. Après une guerre de trois années, les républicains durent
s'avouer vaincus devant les nationalistes appuyés par l'Allemagne de Hitler,
l'Italie de Mussolini et le Portugal de Salazar.
Mais le régime
franquiste s'installait dans un pays ruiné et décimé par la guerre, avec 145 000
morts, 134 000 fusillés, 630 000 victimes de maladies et de malnutrition, et 440
000 exilés. |
8.2 La répression linguistique
L'idéologie unitaire de Franco reposait sur un ensemble de
symboles hérités de la Reconquête, des Rois Catholiques et des grands noms de la
culture nationale tels Cervantès et Thérèse d'Avila. Pour lui, les Siècles d'or
de l'Espagne correspondaient à la castillanisation du territoire voulue et
décrétée par les empereurs espagnols. Or, cette castillanisation s'est effectuée
à l'époque sans qu'aucune décision politique ne soit nécessaire. Dans les faits,
Franco s'est plutôt inspiré du modèle centralisateur importé de France et
pratiqué durant la Révolution française.
Au plan linguistique, le
caudillo pratiqua une
politique répressive à l'égard des
langues autres que le castillan (espagnol): surtout le basque
et le catalan, mais également l'aragonais, l'asturien, l'andalou, etc. Dès 1936,
les partisans de Franco parlaient de la Catalogne et du Pays basque comme des
«cancers de la nation» ("cáncer de la nación").
L'un de ses plus fidèles collaborateurs, Wenceslao González Oliveros
(1890-1965), fut non seulement l'un des plus ardents adversaires du catalan,
mais on estime
que
85 % des
exécutions,
qui eurent lieu dans la
province de
Barcelone après la guerre civile, furent ordonnées sous
son mandat. Il affirmait
:
España se alzó, con
tanta o más fuerza contra los Estatutos desmembrados que contra el
comunismo y que cualquier tolerancia del regionalismo llevaría otra
vez a los mismos procesos de putrefacción que acabamos de extirpar
quirúrgicamente. |
[L'Espagne
est levée,
avec
autant sinon plus de
force contre les
statuts
démembrés,
que
contre le communisme
et toute
tolérance
du régionalisme
entraînerait à nouveau
les mêmes processus
de putréfaction
que nous avons
simplement enlevés de façon chirurgicale.] |
Les langues
régionales furent toutes pourchassées et interdites dans la vie publique. Franco précisa sa
politique dans un discours de 1939 intitulé "La unidad nacional la queremos
absoluta, con una sola lengua, el castellano y una personalidad, la española"
(«L'unité nationale que nous voulons est totale, avec une seule langue,
l'espagnol, et une personnalité, l'espagnole»).
Au Pays basque, le
régime autoritaire de Franco interdit l'usage du basque, brûla publiquement les
livres écrits en cette langue et supprima les noms basques de la toponymie et
des registres d’état civil. Devant la répression, les bascophones de la Navarre
quittèrent progressivement la région et se concentrèrent au nord de la province,
près du Pays basque français.
Un décret adopté le 28 juillet 1940, le
Décret portant création de l'usage
exclusif de l'espagnol dans les services publics (Decreto estableciendo el uso exclusivo del
español en los servicios públicos), illustre parfaitement la
répression linguistique exercée par le régime franquiste. Voici les deux
premiers articles du décret (traduction):
Article 1er
À partir du 1er
août prochain, tous les fonctionnaires
intermédiaires des sociétés provinciales et municipales dans cette
province, quelle que soit leur catégorie, qui s'exprimeront à
l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments officiels dans autre langue
que celle officielle de l'État seront «ipso facto» destitués, sans
qu'aucun appel ne soit recevable.
Article 2
1)
S'il y a des
manquements commis par des fonctionnaires rémunérés, titulaires d'un
poste ou responsables d'unités administratives ou d'organismes qui
sont en instance d'être réintégrés, ces manquements permettront de
clore le dossier dans l'état où il se trouve, et entraîneront la
destitution immédiate du contrevenant, sans aucun recours. |
Contrairement aux
régimes précédents qui avaient tenté d'en finir avec la pluralité linguistique
en Espagne, Franco pouvait recourir à des moyens différents pour faire appliquer
sa politique, notamment les techniques de communications et la coercition dans
les écoles. En 1945, une ordonnance ministérielle ordonnait l'emploi obligatoire
du castillan dans les écoles: Nueva ley de educación primaria que sólo
permite enseñar en castellano («Nouvelle loi sur l'éducation primaire
autorisant un enseignement seulement en castillan»). L'article 7 de la
Loi du 17 juillet 1945 sur l'enseignement primaire
rendait obligatoire l'enseignement du castillan, sans mentionner l'interdiction
d'enseigner une autre langue:
Article 7
Langue nationale
La langue espagnole, lien fondamental de la communauté hispanique,
est obligatoire et fait l'objet d'une culture spéciale comme
instrument indispensable d'expression et de formation humaine, au
cours de toute l'éducation primaire nationale.
|
Compte tenu du contexte
de l'époque, cela signifiait l'interdiction de toute autre langue. Même dans les
prisons, il fut
interdit de parler
une autre langue
que l'espagnol.
Évidemment, le catalan
fut prohibé dans les raisons sociales, les marques de commerce et les cinémas.
En Catalogne, le
général Franco supprima le statut d'autonomie par la loi du 5 avril 1938 (Ley
de derogació de l´Estatut de Catalunya pel general Franco). Puis le catalan fut interdit, les
livres en catalan, brûlés, tandis que les imprimeries furent sujettes à une
censure brutale. Les Catalans s'attiraient de sévères réprimandes de la part des
franquistes lorsqu'ils parlaient catalan:
Perro separatista («Chien
séparatiste»),
Quién es el perro que ha ladrado? («Qui est le chien qui a
aboyé?»),
Si eres español, habla la lengua del imperio («Si tu es
espagnol, parle la langue de l'Empire») ou encore
habla en cristiano («Parle chrétien»), ce qui pouvait être l'équivalent ibérique du
Speak white des anglophones du Canada à l'intention des francophones! Un très grand nombre d’écrivains catalans décidèrent
de s’exiler. Durant de longues décennies, le catalan ne put être employé qu’à
l'intérieur du foyer familial. Les années qui suivirent se caractérisèrent par
une résistance culturelle d’ordre général.
Aux Baléares, le caudillo eut recours à toute une
série de mesures en vue de réprimer la culture et la langue catalanes. Les
habitants des Baléares subirent une scolarisation accélérée en castillan et un
accroissement des moyens de communication modernes (radio et télévision) en
castillan, sans oublier l'usage radical de cette seule langue dans tous les
rouages de l'Administration.
Durant les dernières années du régime franquiste, de forts
mouvements d’opposition (ouvriers, étudiants, intellectuels) se manifestèrent à
Madrid, au Pays basque et en Catalogne. Bien qu’illégales, de nombreuses grèves
éclatèrent et l'action terroriste de l’ETA (Euzkadi Ta Azkatasuna: «Pays
basque et liberté») au Pays basque s’amplifia. Le gouvernement répondit,
comme toujours, par une répression aveugle.
À l’étranger, le Maroc devint indépendant en 1956, mais
l'Espagne conserva le Sahara espagnol, les enclaves de Ceuta et de Melilla, de
même que les petites îles Chafarinas; Ceuta devint une ville fortifiée, Melilla
resta une ville portuaire. En 1968, la Guinée espagnole
accéda à
l’indépendance en devenant la
Guinée équatoriale. Sept ans plus tard, l'Espagne acceptait de céder
la province du Sahara espagnol (Sahara-Occidental) au Maroc et à la Mauritanie,
mais il conservait les enclaves de Ceuta et Melilla (ainsi que les îles
Chafarinas, dorénavant militarisées). En 1979, le Sahara-Occidental sera entièrement occupé par le Maroc.
|
Au lendemain de la mort de Franco, soit le 22 novembre 1975,
Juan Carlos Ier
(Jean-Charles, petit-fils d'Alphone
XIII) devint roi
d'Espagne. Une réforme radicale des structures politiques
s'imposait de toute urgence. Le nouveau souverain afficha aussitôt sa volonté
de démocratisation du pays. En juillet 1976, il obligea le premier ministre
franquiste, Carlos Arias Navarro, à démissionner et lui désigna pour successeur
Adolfo Suárez González, qui fut le grand architecte du passage réussi de
l’Espagne vers la démocratie. La pierre angulaire du processus démocratique
demeure la
Loi sur la réforme politique ("Ley 1/1977, de 4 de enero, para la
reforma política") présentée par le gouvernement Suárez, adoptée par les Cortes,
le 18 novembre 1976, et par le peuple espagnol, au référendum du 15 décembre
1976 (avec 94,2 % de OUI).
Cette loi, qui a un rang constitutionnel —
c'est une «loi
fondamentale», selon la terminologie franquiste —,
permettait d'assurer les bases juridiques
nécessaires à la réforme des institutions espagnoles issues de la dictature
franquiste; elle permettait aussi que se déroulent, le 15 juin 1977, les premières
élections démocratiques depuis l'instauration du régime franquiste. Par la
suite, le Congrès des députés ("Congreso de los Diputados") et le Sénat ("Senado")
furent chargés de rédiger la nouvelle Constitution que le roi approuvera, le 27
décembre 1978, au cours d'une session conjointe des deux Chambres. Cette
constitution de 1978 reconnut en Juan Carlos comme l'héritier légitime de la dynastie. |
9.1 La Constitution de 1978
Ainsi, depuis 1978, l'Espagne n'est plus un État unitaire comme
la France ou la Norvège. L'État espagnol a délégué une partie de ses pouvoirs à
des gouvernements locaux: les Communautés autonomes.
L'Espagne compte aujourd’hui 17 Communautés autonomes réparties dans autant de
régions :
|
1) Andalousie
(Andalucía):
castillan
2) Aragon (Aragón):
castillan
3) Canaries (Canarias):
castillan
4) Cantabrie (Cantabria):
castillan
5) Vieille-Castille (Castilla
y La Macha): castillan
6) Castille-et-Léon (Castilla
y León): castillan
7) Catalogne (Cataluña /
Catalunya): castillan et catalan
(+ aranais pour le val d'Aran)
8) Communauté de Madrid (Comunidad
de Madrid): castillan
9) Communauté forale de Navarre
(Comunidad Foral de Navarra):
castillan et basque
10) Communauté valencienne
(Comunidad Valenciana): castillan et
catalan (valencien)
11) Estrémadure (Estremadura):
castillan
12) Galice (Galicia):
castillan et galicien
13) Îles Baléares (Islas
Baleares): castillan et catalan
14) La Rioja: castillan
15) Pays basque (Pais
Vasco / Euskadi): castillan et basque
16) Principauté des Asturies
(Principado de Asturias):
castillan
17) Région de Murcie (Region
de Murcia): castillan |
Chacune des Communautés autonomes s'est vu accorder un
statut d'autonomie propre, une sorte de constitution interne élaborée par une
assemblée d'élus locaux (députés et sénateurs) mais adoptée par les Cortès
Generales (Parlement et Sénat espagnols). Les enclaves espagnoles de Ceuta
et de Melilla, appelées Soberanía in Africa («souveraineté en Afrique»),
ont le statut de «villes autonomes».
9.2 La communautarisation de l'Espagne
Les Communautés autonomes (et les «villes autonomes» de
Ceuta et Melilla) assument maintenant des
compétences exclusives dans de nombreux domaines: les institutions
gouvernementales locales (parlement, gouvernement, administration, écoles),
l'aménagement du territoire et la protection de l'environnement, les chemins de
fer et les routes (qui ne traversent qu'un seul territoire d'une Communauté
autonome), l'agriculture et l'exploitation forestière, la chasse et la pêche, le
développement économique, la culture, l'enseignement et l'emploi des langues,
la santé et l'assistance sociale, le tourisme et le loisir, la police. Les
Communautés autonomes disposent ainsi de larges pouvoirs qui leur permettent de
se gouverner localement, mais les municipalités ne sont pas assujetties aux
gouvernements communautaires; elles demeurent complètement autonomes dans leurs
champs de compétence.
En raison de l’accession de l’Espagne à la
Communauté européenne en 1986, les villes de Ceuta et Melilla furent considérées
comme des «territoires espagnols» et, depuis lors, font partie de l'Union
européenne (depuis 1992) tout en conservant leur statut de ports libres en
Afrique.
- Le statut des langues
|
De toutes les Communautés autonomes, ce sont surtout la
Catalogne, le Pays valencien, les îles Baléares, la Galice, la Navarre et le Pays basque qui
se distinguent au plan linguistique. En effet, ces régions ont obtenu un statut
de co-officialité avec le castillan :
- Galice: galicien
et castillan;
- Catalogne, Pays
valencien et Baléares: catalan (ou valencien) et castillan;
- Pays basque et Navarre : basque et castillan.
En second lieu viennent l'aragonais en Aragon, l'asturien dans les Asturies, l'aranais au val
d'Aran (sous la juridiction de la Catalogne), l'andalou en Andalousie, sans
oublier le canarien aux îles Canaries, le léonais en Castille-et-Léon, l'estrémadurien
en Estrémadure, le murcien à Murcie et le cantabrien en Cantabrie. Cependant,
ces langues n'ont jamais obtenu un statut de co-officialité: ou bien
elles ont un statut symbolique ou bien elles ne bénéficient d'aucun statut. |
- La question régionaliste
La «question régionaliste» est demeurée un
sujet brûlant en Espagne. La Catalogne et le Pays basque, en particulier, ont
décidé de rechercher une plus grande autonomie sans qu’il y ait pour autant une
rupture totale avec le pouvoir central de Madrid. La scène politique a continué
à être dominée par la violence au Pays basque jusqu'à ce que l’ETA (Euskadi Ta
Askatasuna: «Pays basque et liberté» en basque) annonce
une trêve «unilatérale et illimitée», le 17 septembre 1998, mais
l’organisation séparatiste basque a refusé de s’auto-dissoudre, tant que la
question basque ne serait pas résolue. Finalement, le 20 octobre 2011,
l'organisation indépendantiste basque annonça «la fin définitive de son action
armée».
Pendant
que des politiciens catalans et basques pensent déjà à des stratégies pour
accroître leur autonomie, d'autres régions, dont les Baléares, l'Aragon, les
Asturies et l'Andalousie, suivent le dossier de près afin d'étoffer leurs
propres revendications, notamment en matière de langue. Depuis lors, Madrid a
accepté de reconsidérer les statuts d'autonomie de plusieurs Communautés autonomes
afin de les réactualiser.
Il semble évident qu'un jour l'Espagne devra revoir sa
constitution pour la moderniser. L'Espagne reste encore accrochée au concept
d'un pays qui n'accorde qu'une place restreinte à la différence. Dans les faits,
l'État espagnol demeure unilingue et ne reconnaît aucune autre langue co-officielle, ni au parlement de Madrid, ni dans les cours de justice, ni dans
l'administration publique. C'est pourquoi il apparaît souhaitable que l'état
actuel du régime linguistique de l'Espagne, même s’il s’est révélé largement
positif, ne soit qu'une période de transition destinée à consolider une société
encore plus démocratique et culturellement plus ouverte. Mais les dinosaures
sont encore nombreux en Espagne et ils ne baisseront pas pavillon facilement.
L'histoire de l'Espagne nous enseigne pourtant que, sans volonté politique, les
langues peuvent mourir.
Dernière mise à jour: le
18 février, 2024
L'Espagne