En 1479, le Portugal et l’Espagne signèrent le traité d’Alcaçovas, par lequel les deux pays se partageaient les zones d’influence sur le royaume du Maroc; l’Espagne y reconnaissait Ceuta comme une possession portugaise. En 1494, le traité de Tordesillas reconnut à nouveau Ceuta en tant que possession portugaise. En 1509, l’Espagne et le Portugal signèrent le traité de capitulation de Cintra dans lequel l’Espagne reconnaissait pour la troisième fois n’avoir aucun droit sur toutes les colonies portugaises dans les côtes marocaines allant de Ceuta jusqu’à Boujdour.
3.3 Le Régime espagnol
À la suite du décès du roi Sébastien Ier en 1580, le Royaume du Portugal fut intégré à la monarchie espagnole, ce qui faisait de Ceuta un territoire espagnol. En 1640, le Portugal força l’Espagne à reconnaître son indépendance, mais Ceuta préféra demeurer sous la souveraineté de Philippe IV d’Espagne. La Ville de Ceuta conserva ses institutions, ses codes, ses prérogatives et ses privilèges. En 1694, Ceuta se vit imposer un long siège par le sultan Muley Ismail (1672-1727), qui ne prit fin que par la mort d'Ismail en 1727. Ce fut une période de conflits qui remodelèrent la ville et ses fortifications, entraînant le transfert de nombreux habitants à l'Almina. En 1702, la ville de Ceuta avait été attaquée par l'Angleterre, mais avait pu résister. Le rocher de Gibraltar fut conquis en 1704 par l'Angleterre.
La population devint rapidement hispanophone avec l'arrivée massive d'Espagnols venus du continent européen, surtout de l'Andalousie. Après une courte période de bilinguisme portugais-espagnol, le castillan devint la langue dominante de la ville de Ceuta. Les nobles conservèrent le pouvoir, tandis que les autres s'engagèrent dans l'armée ou dans le clergé. Les classes populaires s'adaptèrent rapidement, mais les minorités musulmanes souffrirent du changement : les contacts avec le Maroc furent réduits au minimum, les juifs furent expulsés en 1708 (pour revenir un siècle plus tard). Au cours de cette période, à partir de 1792, s'installa une petite communauté d'Algériens, les Mogataces, chassés d'Oran par les troupes espagnoles.
Au XVIIIe siècle, la ville se militarisa considérablement; la garnison militaire, renforcée. L'Espagne reconstruisit la cathédrale, dressa des églises et des monastères, des bâtiments publics, des hôpitaux, des pharmacies, etc. La ville fut agrandie à la suite en partie de l'édification de nouvelles murailles.
En 1859, l'Espagne déclara la guerre au Maroc («guerre d’Afrique»). Mais Ceuta manquait d'un port pouvant lui assurer secours et approvisionnement. Ceuta devint un «port franc», un quai solide fut construit, une nouvelle bourgeoisie débarqua à Ceuta et s'installa définitivement. Peu à peu des musulmans venus des régions environnantes vinrent trouver refuge dans la ville. De nombreuses familles juives arrivèrent de Tétouan pour vivre à Ceuta. Ensuite, les premier Indiens des Indes commencent à arriver de Gibraltar pour constituer aujourd'hui la quatrième communauté en importance.
En 1877, Alphonse XII fut accueilli à Ceuta. La visite du roi d'Espagne permit de maintenir la liaison télégraphique avec la côte espagnole. Mais ce sont les militaires qui administrèrent désormais la ville de Ceuta: ils préconisèrent la disparition des portes, des ponts et des herses, ils élargirent les chemins et les routes, etc. On construisit de nouveaux ports (Puntilla, España et Alfau). En 1911, le statut de colonie pénale fut aboli à l'occasion de la nomination du général Alfau en tant que haut commissaire de l'Espagne au Maroc. La population commença à croître sensiblement en raison de la prospérité et du besoin de main-d'œuvre pour la construction du port et du chemin de fer entre Ceuta et Tétouan.
En 1931, la Seconde République fut bien accueillie à Ceuta. Cet événement permit de récupérer la mairie, auparavant supprimée par le général Primo de Rivera, pour la transformer en hôtel de ville destiné au conseil municipal. Le système d'éducation, jadis contrôlé par les militaires et les ecclésiastiques, devient exclusivement laïc. Lorsqu'en 1936 le Maroc se souleva contre la France, Ceuta retomba aux mains de la garnison espagnole. Le Maroc devint indépendant en 1956, mais Ceuta, comme Melilla, resta sous domination espagnole, en vertu de leur appartenance antérieure à l’Espagne. Toutefois, très tôt, la politique extérieure de Rabat s’est donné pour objectif de récupérer tous les territoires qui forment l’espace géographique marocain.
Par la suite, Ceuta fut aux prises avec le rationnement, la suspension des lignes de transport régulières (chemin de fer, autocars, etc.) et la démilitarisation. À partir des années 1960, Ceuta connut une époque d'âge d'or commercial grâce aux avantages fiscaux et au système de franchise dont bénéficiait la ville. Le commerce était alors considéré comme le seul facteur de richesse, négligeant ainsi l'importance de l'industrie de la pêche. Les habitants développèrent un fort sentiment autonomiste à un point tel que, à la suite de violentes manifestations massives, le gouvernement espagnol décida d'accorder à Ceuta par la loi organique du 13 mars 1995 un statut d'autonomie à la ville sous le nom de Ciudad Autónoma de Ceuta. Depuis lors, Ceuta bénéficie d'une décentralisation progressive, accompagnée d'un transfert de compétences et de personnel, de la part de l'administration nationale à l'administration autonome. Ainsi, Ceuta est dotée d'une plus grande représentativité institutionnelle. Par ailleurs, l'entrée de l'Espagne dans l'Union européenne entraîna d'importants investissements structurels qui ont stimulé l'économie locale. En 1995, à la suite des accords de Schengen (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal), une nouvelle politique d'immigration fut adoptée avec comme résultat l'entrée massive d'immigrants marocains et algériens.
En juillet 2002, lors de la plus grave crise bilatérale vécue depuis des décennies, le Maroc décida d’occuper l’îlot d’El Perejil («île Persil»), petit rocher inhabité situé à l’ouest de Ceuta, ce qui provoqua une riposte, dix jours plus tard, de la part des forces spéciales espagnoles qui le reprirent. Cet épisode obligea ensuite la diplomatie américaine d'intervenir afin de trouver une issue rapide à la crise.
Aujourd'hui, le Maroc revendique toujours cette enclave espagnole qu'est Ceuta, tout comme Melilla. Il estime qu'il s'agit d'un vestige du colonialisme. Néanmoins, Ceuta demeure toujours une ville frontalière entre le Nord et le Sud, entre l'Atlantique et la Méditerranée, entre le Maghreb et l'Europe. La ville est aussi restée fermement espagnole, tout en se gouvernant presque toute seule et en conservant un regard permanent sur l'Europe. Quant à la revendication marocaine, elle demeure toujours d’actualité, mais les habitants, tant les Européens que les musulmans, affichent leur choix de «l’hispanité».