Ciudad Autónoma de Ceuta

Ceuta

Cité autonome d'Espagne

Capitale:  Ceuta 
Population: 78 862 (2008)
Langue officielle: castillan   
Groupe majoritaire: castillan (env. 43 %) 
Groupes minoritaires: arabe dialectal ceutien (env. 40 %), judéo-espagnol (jaquitía), berbère, sindhi, tsigane, portugais, français, etc.
Système politique: l’une des deux villes autonomes de l'Espagne  
Articles constitutionnels (langue): art. 3 de la Constitution espagnole de 1978; Statut d'autonomie de 1995
Lois linguistiques:
Règlement sur la protection du patrimoine documentaire et du système archivistique du Ceuta (2003).

1 Situation géographique

Depuis 1995, Ceuta possède le statut de «ville autonome de l'Espagne» (en espagnol : Ciudad Autónoma de Ceuta). Enclavée sur la côte nord-ouest du Maroc, Ceuta, d'une superficie de 18,5 km², est située à l'embouchure méditerranéenne du détroit de Gibraltar en face de la péninsule Ibérique. Cette ville fait partie des «territoires non péninsulaires» de l'Espagne avec la ville de Melilla. Avant 1995, Ceuta faisait partie de la province de Cadix (Communauté autonome d'Andalousie).

L'enclave de Ceuta est également incluse dans l'Union européenne. Cependant, le Maroc revendique cette enclave espagnole sur son territoire; il estime que Ceuta (comme Melilla) est un vestige du colonialisme. Mais l'Espagne considère que Ceuta fait partie intégrante de son territoire en raison de sa population d'origine espagnole.

1.2 La barrière de Ceuta

Sur le côté terre, la ville est entourée d'une double clôture de six mètres de hauteur, couronnée de barbelés, sur une distance de 8 km. On l'appelle la «barrière de Ceuta» (en espagnol: Valla de Ceuta). C'est un véritable mur qui sépare la ville autonome du reste du Maroc. Son objectif est d'arrêter l'immigration illégale et la contrebande. Des postes de surveillance (miradors) sont répartis le long de la barrière; la Guardia civil exerce une surveillance constante.

De son côté, le Maroc a émis des objections à la construction de la barrière. Il estime que Ceuta constitue une portion occupée du territoire marocain. Comme on le sait, beaucoup de Marocains parviennent à traverser illégalement la «barrière» pour se réfugier en territoire espagnol.  

1.3 Le drapeau de la Ville

Le drapeau de la Ville de Ceuta représente huit triangles alternés de noir et de blanc (appelé gironné d'argent et de sable) avec au centre les armoiries de la Cité. Le gironné noir et blanc est identique à la Ville de Lisbonne, en souvenir de la conquête de la ville par les Portugais en 1415. L'écusson du centre est composé d'un champ d'argent, de cinq écus d'azur, disposés en croix, chacun chargé de cinq besants d'argent et une bordure de gueules chargée de sept châteaux d'or, dont deux au sommet et deux sur les flancs et trois à la pointe; le tout est surmonté d'une couronne de marquis. (Source: Wikipedia).

1.4 La dénomination officielle

La dénomination officielle pour désigner l'administration autonome de Ceuta est Gobierno de la Ciudad (en français: gouvernement de la Cité), ce qui correspondrait à un «Exécutif». Le gouvernement est composé du président ("Presidente") de «conseillers» ("Consejeros») équivalant à la fonction de «ministres». Le président est élu par l'Assemblée de Ceuta, mais nommé par le roi d'Espagne.

À l'instar des autres Communautés autonomes, la Ville de Ceuta utilise les termes Consejerías (ancien français: «conseillerie»), ainsi que conselleiro / conselleira (fr. «conseiller / conseillère»), qui servent à désigner les ministères et les ministres du gouvernement de Ceuta. On peut, en français, employer l'expression «ministre-conseiller» (ou «ministre-conseillère»), voire simplement «ministre», pour rendre compte adéquatement du terme conselleiro / conselleira ; le terme français «conseiller» correspond mal à la fonction dévolue aux conselleiros / conselleiras en Espagne, car ces postes n'ont rien à voir avec une «personne qui donne des conseils» conseiller juridique, conseiller d'orientation, etc. ou qui fait partie, par exemple, d'un conseil municipal. De plus, le mot vicepresident (fr. «vice-président») sert d'équivalent à «premier ministre». En Espagne, les termes ministerio (fr. «ministère») et ministro / ministra (fr. «ministre») désignent les ministères et les ministres du gouvernement central, et non ceux des Communautés autonomes; le premier ministre du gouvernement espagnol est désigné par l'expression Primer ministro (fr. «premier ministre»).  

2 Données démolinguistiques

La Cité autonome de Ceuta comptait officiellement une population de 78 861 habitants en 2008, mais il est probable quela population réelle soit beaucoup plus élevée. Selon les autorités espagnoles, la population européenne constitue à l'heure actuelle la majorité de la population ceutienne, soit 55 %, alors que le reste de la population, soit 45 %, est composée de populations arabes, juives (2,5 %), hindouistes (1 %) et tsiganes (0,5%), presque exclusivement des immigrants. La seule langue officiellement identifiée est le castillan, mais d'autres langues sont aussi parlées dans la cité autonome: l'arabe dialectal ceutien (dialecto árabe ceutí, appelé aussi dariya ou arabía sebtawíya), le judéo-espagnol (jaquitía), le berbère (tamazight), le sindhi, le tsigane, le portugais, le français, etc.

2.1 Le castillan

Le castillan est la langue officielle et en principe la langue maternelle d'une partie importante de la population, soit environ 43 %. Cependant, les hispanophones parlent aussi une variété dialectale espagnole, le melitano ; c'est en réalité une variété andalouse présente à Ceuta depuis le XVIe siècle. C'est particulièrement la norme parlée à Séville qui s'est répandue non seulement à Cauta, mais aussi à Mélilla et aux îles Canaries.

2.2 L'arabe ceutien

L'arabe ceutien, appelé dariya par le gouvernement espagnol, est une langue essentiellement orale et, par conséquent, dépourvue d'un code écrit. Cet arabe ceutien est le résultat de diverses influences, mais il est étroitement lié à la région de Yebbala située au nord du Maroc, qui comprend, entre autres, les habitants de Tanger, de Larache et de Tétouan. Il est possible de trouver des locuteurs dont la variété d'arabe provient d'autres régions, comme le Rif ou le Sus, mais en quantité beaucoup plus faible que le dariya. Les arabophones de Ceuta pratiquent généralement un bilinguisme où les influences espagnoles (phonétique, morphologiques, syntaxiques et lexicales) sont importantes. La langue socialement dotée de prestige est le castillan dans sa variété andalouse. La langue emprunteuse est l'arabe dariya.

Depuis plusieurs décennies, le nombre des locuteurs du dariya est en constante augmentation. Ainsi, en 1970, la population d'origine maghrébine ne devait pas excéder 10 %, alors qu'aujourd'hui elle a déjà dépassé les 40 %. Pour le gouvernement espagnol, il apparaît clairement qu'il existe un lien direct entre l'arrivée et la présence du dariya, et l'arrivée et la présence de la population d'origine nord-africaine. Par conséquent, la présence du dariya n'est pas traditionnelle, mais le résultat de l'afflux relativement récent et très important d'individus venant d'un autre pays. Voici la déclaration à ce sujet du gouvernement espagnol (Ministère de la Politique territoriale: Troisième Rapport au Conseil de l'Europe sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 2006-2019: .)

Para concluir esta parte introductoria, de los anteriores datos y consideraciones se pueden extraer varias conclusiones: en primer lugar, el dariya no puede considerarse una lengua regional o minoritaria según el actual concepto legal para las mismas recogido en la Carta Europea y en la declaración efectuada al respecto por el Reino de España; en segundo lugar, no es una lengua que, contextualizada geográfica y humanamente (con una amplia implantación local, con un origen extranjero y en continua progresión numérica), pueda considerarse en situación de peligro; y, en tercer y último lugar, no es en sentido estricto una lengua con una presencia tradicional o histórica en Ceuta, sino tan reciente como la afluencia de inmigrantes de origen magrebí. (Tercer informe sobre el cumplimiento en Espana de la Carte europea de la lenguas regionales o minoritarias, del consejo de Europa 2006-2010). Pour conclure sur cette partie de l'introduction, des données et des considérations précédentes il est possible de tirer plusieurs conclusions : d'abord, le dariya ne peut être considéré comme une langue régionale ou minoritaire en regard de l'actuel concept juridique selon les termes mêmes repris dans la Charte européenne et dans la déclaration faite par le Royaume d'Espagne; deuxièmement, ce n'est pas une langue qui, dans un contexte géographique et humain (avec une large implantation locale, une origine étrangère et en constante progression numérique), peut être considérée comme en danger; finalement en troisième lieu, le dariya n'est au sens strict une langue avec une présence traditionnelle ou historique à Ceuta, mais le résultat de l'afflux récent d'immigrants d'origine maghrébine. (Troisième rapport sur le respect en Espagne de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, du Conseil de l'Europe 2006-2010).

Pour l'Espagne, il ne saurait être question de protéger juridiquement l'arabe ceutien ou dariya. Évidemment, cette décision du gouvernement espagnol ne fait pas l'affaire des leaders de la communauté arabe de Ceuta.

2.3 Les langues d'usage

Le castillan et l'arabe ceutien sont manifestement les deux langues les plus utilisées à Ceuta. Les habitants d'origine européenne sont pour la plupart unilingues, tandis que les musulmans sont bilingues à divers degrés. Autrement dit, le castillan n'est pas exclusif aux Européens, car il peut être utilisé aussi, d'une part, par les membres de la communauté juive et de la communauté hindoue, d'autre part, par la population arabo-musulmane. À Ceuta, il est courant d'entendre une phrase en espagnol et une autre en arabe ceutien (dariya), puisque ce dialecte arabe est la langue d'une grande partie de la population; dans les écoles les enfants peuvent constituer jusqu'à 65 % de la population scolaire totale. Ainsi, le castillan et l'arabe ceutien sont les deux langues en contact dans la ville de Ceuta, laquelle compte un pourcentage élevé d'individus bilingues.

Parmi les autres langues parlées à Ceuta, citons le judéo-espagnol, appelé jaquitía, une variété du castillan médiéval utilisé par les juifs séfarades. Le berbère parlé à Ceuta est celui utilisé au Maroc, le tamazigh. Il existe aussi des travailleurs parlant le sindhi ou le tsigane. On ignore le nombre exact des locuteurs de toutes ces langues.

3 Bref historique

La péninsule de l'Almina est une presqu'île habitée depuis au moins deux siècles avant notre ère. Il s'agissait d'une population romaine exportatrice de produits agricoles. Cette population s'est graduellement christianisée, puis elle a commencé à subir les invasions des Vandales(429), des Wisigoths (439) et des Byzantins qui y établirent une garnison en 534. Ces derniers donnèrent à la ville le nom de «Septem», d'où dérivent «Septë», puis «Seuta» et finalement «Ceuta». La ville devint ensuite le siège d'une cathédrale et d'un évêque.

Au VIIIe siècle, l'avènement de l'islam allait marquer définitivement la ville de Ceuta. En 709, les musulmans commencèrent à assiéger Ceuta. Deux ans plus tard, un débarquement fut organisé sur la côte opposée. Ceuta et Tanger se rendirent devant l'ampleur des forces arabes.

3.1 Une ville musulmane et cosmopolite

Ceuta devint une ville musulmane durant sept siècles, après avoir été rasée en 740, puis elle fut reconstruite au cours des années suivantes par des Nord-Africains soumis à l'empire des Idrissides, maîtres de la quasi-totalité du nord de l'Afrique. Puis Abderrahman III prit Ceuta en 931 pour le compte du califat Omeya de Cordoue. Ceuta redevint dépendante du continent européen, une dépendance interrompue entre 1061 et 1084 lorsque la ville fut érigée en royaume indépendant (taifa). Cette période d'administration autonome prit fin lors de l'invasion des Almoravides qui poursuivirent leur lancée dans la péninsule Ibérique pour ne s'arrêter qu'en Aragon. Ce fut l'époque du règne de Yusuf ben Taxufin et de l'installation de sa cour à Ceuta. En même temps, une population européenne de négociants et de commerçants influents avait toujours cohabité à Ceuta.

Un demi-siècle plus tard, les Almohades conquirent la ville avant de repartir à l'assaut de la péninsule Ibérique. Ceuta abritait non seulement une société musulmane, mais aussi une communauté chrétienne (des négociants aragonais, marseillais et génois) et une communauté juive prospère. Il est arrivé aux Almohades de persécuter les juifs qu'ils confinaient dans des mellahs (quartiers juifs). Parfois ce fut le tour des chrétiens.

Ceuta devint une «seigneurie indépendante» entre 1232 et 1237 pour ensuite être sous le contrôle de la dynastie des Azafis, des Bénimérines, puis des Nasrides, selon les pactes fais ou défaits par les rois d'Aragon aux XIIIe et XIVe siècles. Ceuta commença son déclin politique et devint une ville mal défendue, ce qui attira la convoitise d'un autre conquérant, le Portugal.

3.2 Le Régime portugais

Le roi Jean Ier du Portugal envoya son armée conquérir la ville de Ceuta le 21 août 1415. Le Portugal désirait acquérir un point de soutien pour ses navires qui transitaient par le détroit de Gibraltar. Ceuta permettait alors de débloquer les routes de l'or, de l'ivoire et des épices venant de l'intérieur de l'Afrique pour ensuite atteindre l'Europe. Bref, le Portugal voulait contrôler le trafic maritime et lutter contre les Génois et la piraterie barbare. Après avoir pris Ceuta, Jean Ier laissa au capitaine don Pedro de Meneses le soin de jeter les bases de son gouvernement, avec une garnison de 2700 hommes. Des ecclésiastiques furent chargés de convertir les musulmans. La ville resta longtemps au mains des Portugais en raison de la division des seigneurs marocains. Elle servit de tête de pont en Afrique, au service de l'empire du Portugal,  la première colonie parmi les territoires d'outre-mer.

En 1479, le Portugal et l’Espagne signèrent le traité d’Alcaçovas, par lequel les deux pays se partageaient les zones d’influence sur le royaume du Maroc; l’Espagne y reconnaissait Ceuta comme une possession portugaise. En 1494, le traité de Tordesillas reconnut à nouveau Ceuta en tant que possession portugaise. En 1509, l’Espagne et le Portugal signèrent le traité de capitulation de Cintra dans lequel l’Espagne reconnaissait pour la troisième fois n’avoir aucun droit sur toutes les colonies portugaises dans les côtes marocaines allant de Ceuta jusqu’à Boujdour. 

3.3 Le Régime espagnol

À la suite du décès du roi Sébastien Ier en 1580, le Royaume du Portugal fut intégré à la monarchie espagnole, ce qui faisait de Ceuta un territoire espagnol. En 1640, le Portugal força l’Espagne à reconnaître son indépendance, mais Ceuta préféra demeurer sous la souveraineté de Philippe IV d’Espagne. La Ville de Ceuta conserva ses institutions, ses codes, ses prérogatives et ses privilèges. En 1694, Ceuta se vit imposer un long siège par le sultan Muley Ismail (1672-1727), qui ne prit fin que par la mort d'Ismail en 1727. Ce fut une période de conflits qui remodelèrent la ville et ses fortifications, entraînant le transfert de nombreux habitants à l'Almina. En 1702, la ville de Ceuta avait été attaquée par l'Angleterre, mais avait pu résister. Le rocher de Gibraltar fut conquis en 1704 par l'Angleterre. 

La population devint rapidement hispanophone avec l'arrivée massive d'Espagnols venus du continent européen, surtout de l'Andalousie. Après une courte période de bilinguisme portugais-espagnol, le castillan devint la langue dominante de la ville de Ceuta. Les nobles conservèrent le pouvoir, tandis que les autres s'engagèrent dans l'armée ou dans le clergé. Les classes populaires s'adaptèrent rapidement, mais les minorités musulmanes souffrirent du changement : les contacts avec le Maroc furent réduits au minimum, les juifs furent expulsés en 1708 (pour revenir un siècle plus tard). Au cours de cette période, à partir de 1792, s'installa une petite communauté d'Algériens, les Mogataces, chassés d'Oran par les troupes espagnoles. 

Au XVIIIe siècle, la ville se militarisa considérablement; la garnison militaire, renforcée. L'Espagne reconstruisit la cathédrale, dressa des églises et des monastères, des bâtiments publics, des hôpitaux, des pharmacies, etc. La ville fut agrandie à la suite en partie de l'édification de nouvelles murailles.

En 1859, l'Espagne déclara la guerre au Maroc («guerre d’Afrique»). Mais Ceuta manquait d'un port pouvant lui assurer secours et approvisionnement. Ceuta devint un «port franc», un quai solide fut construit, une nouvelle bourgeoisie débarqua à Ceuta et s'installa définitivement. Peu à peu des musulmans venus des régions environnantes vinrent trouver refuge dans la ville. De nombreuses familles juives arrivèrent de Tétouan pour vivre à Ceuta. Ensuite, les premier Indiens des Indes commencent à arriver de Gibraltar pour constituer aujourd'hui la quatrième communauté en importance.

En 1877, Alphonse XII fut accueilli à Ceuta. La visite du roi d'Espagne permit de maintenir la liaison télégraphique avec la côte espagnole. Mais ce sont les militaires qui administrèrent désormais la ville de Ceuta: ils préconisèrent la disparition des portes, des ponts et des herses, ils élargirent les chemins et les routes, etc. On construisit de nouveaux ports (Puntilla, España et Alfau). En 1911, le statut de colonie pénale fut aboli à l'occasion de la nomination du général Alfau en tant que haut commissaire de l'Espagne au Maroc. La population commença à croître sensiblement en raison de la prospérité et du besoin de main-d'œuvre pour la construction du port et du chemin de fer entre Ceuta et Tétouan.

En 1931, la Seconde République fut bien accueillie à Ceuta. Cet événement permit de récupérer la mairie, auparavant supprimée par le général Primo de Rivera, pour la transformer en hôtel de ville destiné au conseil municipal. Le système d'éducation, jadis contrôlé par les militaires et les ecclésiastiques, devient exclusivement laïc. Lorsqu'en 1936 le Maroc se souleva contre la France, Ceuta retomba aux mains de la garnison espagnole. Le Maroc devint indépendant en 1956, mais Ceuta, comme Melilla, resta sous domination espagnole, en vertu de leur appartenance antérieure à l’Espagne. Toutefois, très tôt, la politique extérieure de Rabat s’est donné pour objectif de récupérer tous les territoires qui forment l’espace géographique marocain.

Par la suite, Ceuta fut aux prises avec le rationnement, la suspension des lignes de transport régulières (chemin de fer, autocars, etc.) et la démilitarisation. À partir des années 1960, Ceuta connut une époque d'âge d'or commercial grâce aux avantages fiscaux et au système de franchise dont bénéficiait la ville. Le commerce était alors considéré comme le seul facteur de richesse, négligeant ainsi l'importance de l'industrie de la pêche. Les habitants développèrent un fort sentiment autonomiste à un point tel que, à la suite de violentes manifestations massives, le gouvernement espagnol décida d'accorder à Ceuta par la loi organique du 13 mars 1995 un statut d'autonomie à la ville sous le nom de Ciudad Autónoma de Ceuta. Depuis lors, Ceuta bénéficie d'une décentralisation progressive, accompagnée d'un transfert de compétences et de personnel, de la part de l'administration nationale à l'administration autonome. Ainsi, Ceuta est dotée d'une plus grande représentativité institutionnelle. Par ailleurs, l'entrée de l'Espagne dans l'Union européenne entraîna d'importants investissements structurels qui ont stimulé l'économie locale. En 1995, à la suite des accords de Schengen (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal), une nouvelle politique d'immigration fut adoptée avec comme résultat l'entrée massive d'immigrants marocains et algériens. 

En juillet 2002, lors de la plus grave crise bilatérale vécue depuis des décennies, le Maroc décida d’occuper l’îlot d’El Perejil («île Persil»), petit rocher inhabité situé à l’ouest de Ceuta, ce qui provoqua une riposte, dix jours plus tard, de la part des forces spéciales espagnoles qui le reprirent. Cet épisode obligea ensuite la diplomatie américaine d'intervenir afin de trouver une issue rapide à la crise.

Aujourd'hui, le Maroc revendique toujours cette enclave espagnole qu'est Ceuta, tout comme Melilla. Il estime qu'il s'agit d'un vestige du colonialisme. Néanmoins, Ceuta demeure toujours une ville frontalière entre le Nord et le Sud, entre l'Atlantique et la Méditerranée, entre le Maghreb et l'Europe. La ville est aussi restée fermement espagnole, tout en se gouvernant presque toute seule et en conservant un regard permanent sur l'Europe. Quant à la revendication marocaine, elle demeure toujours d’actualité, mais les habitants, tant les Européens que les musulmans, affichent leur choix de «l’hispanité».

4 La politique linguistique

Il n'existe aucun article formel sur la langue dans le Statut d'autonomie de 1995 : Ley Orgánica 1/1995 (Estatuto de Autonomía de Ceuta). En effet, l'article 5 ne porte que sur le «patrimoine» d'intérêt particulier pour la Cité autonome: 

Article 5

1.
Les droits et les devoirs fondamentaux de Ceuta sont prévus dans la Constitution.

2. Les institutions de la Ville de Ceuta, dans le cadre de ses compétences, exercent leur juridiction avec les objectifs suivants:

a) Améliorer les conditions de vie, augmenter le niveau culturel et celui du travail de tous les Ceutiens.

b) Promouvoir les conditions dans lesquelles la liberté et l'égalité des Ceutiens sont réelles et efficaces, en facilitant la participation des Ceutiens au développement politique, économique, culturelle et sociale de Ceuta.

c) Adopter des mesures pour promouvoir l'investissement et le progrès économique et social de Ceuta, en offrant des emplois et en améliorant les conditions de travail.

d) Surmonter les facteurs économiques, sociaux et culturels qui déterminent le déracinement collectif de la population ceutienne.

e) Promouvoir la qualité de vie en protégeant la nature et l'environnement, le développement des équipements sociaux et l'accès pour toutes les sections de la population aux bienfaits de la culture.

f) Protéger et valoriser le paysage et le patrimoine historique et artistique de Ceuta.

g) Mettre en œuvre un système de communication efficace qui améliore l'interaction humaine, culturelle et économique.

h) Promouvoir et stimuler les valeurs de compréhension, de respect et d'appréciation de la diversité culturelle de la population ceutienne.

Seul le paragraphe h) traite de la «diversité culturelle de la population ceutienne», sans même mentionner la question de la langue qui ne semble guère préoccuper les autorités.

Dans la Constitution espagnole de 1978, l'article 149 précise que l'État central jouit d'une compétence exclusive pour la défense du patrimoine culturel, artistique et monumental espagnol contre l'exportation et la spoliation:

Article 149

1) L'État jouit d'une compétence exclusive pour les matières suivantes:

28. La défense du patrimoine culturel, artistique et monumental espagnol contre l'exportation et la spoliation; musées, bibliothèques et archives qui appartiennent à l'État, sans préjudice d'une gestion par les communautés autonomes;

Ce serait donc le gouvernement central qui régirait le patrimoine culturel. Qu'arriverait-il si une communauté autonome ou une cité autonome considérerait que la langue fait partie du patrimoine culturel?

4.1 Le statut officiel du castillan par défaut

Le Statut d'autonomie de 1995 accordé à la Ville de Ceuta n'accordait aucune reconnaissance officielle ni au castillan ni à aucune autre langue. En conséquence, seul l'article 3 (trois paragraphes) de la Constitution espagnole s'applique à Ceuta, car le castillan est la langue espagnole officielle de l'État, donc de celle de ses éléments constitutifs :

Article 3

1) Le castillan est la langue espagnole officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser.

2) Les autres langues espagnoles seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives en accord avec leurs Statuts. 

3) La richesse des diverses modalités linguistiques de l'Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l'objet d'une protection et d'un respect particuliers.

De toute façon, il n'existe aucune loi particulière adoptée par l'Assemblée de Ceuta proclamant le castillan comme langue officielle. Le castillan est par conséquent la «langue officielle par défaut». Ce fait pourrait témoigner de l'absence de problèmes apparents en matière de langue, mais ce n'est pas le cas.

Rappelons que, si tous les Espagnols ont le devoir de connaître le castillan, cette obligation ne s'applique pas au catalan, au basque et au galicien, encore moins aux autres langues non reconnues. L'utilisation des langues minoritaires en Espagne ne constitue pas une obligation, mais simplement un droit, et encore seulement pour le catalan, le basque et le galicien. Les langues ne sont donc pas officielles au même degré: la langue officielle de toute l'Espagne demeure le castillan, ce qui lui assure une préséance certaine.  Il faut bien comprendre que, en termes de droits linguistiques, la Constitution espagnole reconnaît deux catégories de citoyens et deux catégories de territoires.

Ainsi, la Constitution prévoit un État espagnol unilingue composé de territoires officiellement unilingues (les castillanophones) et de territoires officiellement bilingues (pour les Catalans, les Basques et les Galiciens). Comme la Constitution espagnole est muette sur toute langue parlée à Ceuta et que le Statut d'autonomie n'en fait pas davantage mention, seul le castillan bénéficie du statut d'officialité.

4.2 La langue de la Cité autonome de Ceuta

Aucun texte juridique ne fait allusion à la langue officielle de la Cité autonome, ni à quelle que langue que ce soit. La seule langue utilisée à l'Assemblée de Ceuta est le castillan. Il en est ainsi dans les dans les tribunaux et dans l'Administration. Comme le castillan est la langue officielle et que tous les citoyens connaissent en principe cette langue, seul le castillan est employé. Les seuls documents écrits et déposés dans un tribunal doivent être rédigés en castillan.

Toutefois, l'article 24 de la Constitution espagnole énonce que nul ne peut être privé de défense. Lorsqu'un accusé ou un témoin, d'origine espagnole ou étrangère (maghrébine), affirme ne pouvoir s'exprimer en castillan, il a le droit de recourir aux services d'un interprète.

Article 24

1) Toute personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans que, en aucun cas, elle ne puisse être privée de défense.

2) De la même manière, chacun a le droit de recourir à un juge ordinaire déterminé par la loi, à la défense et à l’assistance d’un avocat, d’être informé sur les accusations portée contre lui, à un procès public, sans retard excessif et avec toutes les garanties, à les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas témoigner contre lui-même, à ne pas s'avouer coupable et à la présomption d'innocence.

La loi régit les cas où, pour des motifs de parenté ou de secret professionnel, nul n'est tenu de faire des déclarations sur des faits présumés criminels.

Pour sa part, le Tribunal constitutionnel n'emploie que le castillan et n'accepte pas les procédures d'appel dans les langues co-officielles, à plus forte raison lorsqu'il n'existe pas de langue co-officielle, comme dans la Cité autonome de Ceuta.

En ce qui a trait aux services gouvernementaux, tant ceux du pouvoir central que ceux de la Cité autonome, l'Administration s'en tient aux dispositions constitutionnelles qui déclarent que le castillan est la langue officielle. Si, par inadvertance, un citoyen fait parvenir une lettre dans une autre langue dans un bureau du gouvernement, l'Administration se contente de retourner le document sans même y répondre. Toutes les dénominations des toponymes doivent être en castillan.

Le Règlement sur la protection du patrimoine documentaire et du système archivistique du Ceuta (2003) demeure l'un des rares textes juridiques mentionnant le terme de «langue», sans en mentionner aucuen:

Article 4

Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) «Document», tel que défini par la loi n° 16/1985 sur le patrimoine historique espagnol, correspond à toute expression en langue naturelle ou conventionnelle et toute autre expression en langue orale ou écrite, naturelle ou conventionnelle, et tout autre graphique, son ou image, recueilli sur un support matériel, y compris les supports informatiques. Les copies d'éditions sont exclues.

Article 41

1) En cas de transfert de documents sur support informatisé, lorsque cela se produit, l'expéditeur enverra avec les mêmes spécifications techniques sur les langues et les supports du programme des informations permettant sa récupération.

2) Pour leur garde, les fichiers auront le support de l'équipement informatique de la Ville autonome de Ceuta.

Bref, Ceuta ne fonctionne qu'en castillan.

4.3 L'éducation

Compte tenu de la législation en vigueur, les écoles publiques dans la Cité autonome de Ceuta sont dans l'obligation de dispenser un enseignement en castillan. C'est pourquoi Ceuta respecte les dispositions de la Loi organique espagnole 2/2006 du 3 mai sur l'éducation (Ley Orgánica 2/2006, de 3 de mayo, de Educación). Dans l'enseignement primaire, c'est l'article 17 qui s'applique:

Article 17

Objectifs de l'éducation primaire

L'éducation primaire doit contribue à développer chez les files et les garçons des habiletés qui leur permettent :

e. De connaître et d'utiliser de manière appropriée la langue castillane et, s'il y a lieu, la langue co-officielle de la Communauté autonome et de développer des habitudes de lecture.

f. D'acquérir dans au moins une langue étrangère les compétences de base en communication, qui leur permettent d'exprimer et de comprendre des messages simples et de fonctionner dans des situations quotidiennes.

Quant à l'enseignement secondaire, c'est l'article 23 de la même loi organique espagnole 2/2006, qui s'applique :

Article 23

Objectifs

L'éducation secondaire obligatoire doit contribuer à développer chez les élèves les habiletés qui leur permettent :

h. De comprendre et d'exprimer correctement, à l'oral et à l'écrit, dans la langue castillane et, s'il y a lieu, dans la langue co-officielle de la Communauté autonome, des textes et des messages complexes, et débuter leurs connaissances par la lecture et l'étude de la littérature.

i. De comprendre et de s'exprimer dans une ou plusieurs langues étrangères de manière appropriée.

Étant donné que la Cité autonome de Ceuta ne dispose pas d'une «langue co-officielle», la seule langue d'enseignement doit être le castillan. De plus, dans toutes les écoles, on n'enseigne que la langue et l'histoire de la Castille et de la Vieille-Castille, en ignorant généralement l'histoire et la culture spécifiques de la Cité autonome de Ceuta. Les enfants peuvent se faire réprimander s'ils parlent en arabe avec leurs camarades de classe.

Dans les écoles, plus de 65 % des élèves inscrits au primaire ont l'arabe ceutien ou dariya comme langue maternelle et non le castillan. Étant donné que le castillan demeure une langue seconde pour la majorité des élèves et que l'enseignement est dispensé comme une langue première, les écoles de Ceuta enregistrent un taux d'échec élevé. Certains considèrent que l'échec scolaire à Ceuta est simplement scandaleux. Il semble que l'absence d'écoles bilingues soit la principale cause de cet échec qui touche près de la moitié des élèves.

Beaucoup revendiquent le droit de pouvoir apprendre l'arabe à l'école, mais encore là il semble difficile de concilier les intérêts divergents des différentes communautés. De plus, l'arabe qui serait éventuellement enseigné devrait vraisemblablement être l'arabe classique, une langue encore plus inconnue des élèves que le castillan. Les musulmans de Ceuta organisent des cours d'arabe classique dans les écoles coraniques rattachées aux mosquées. Leur motivation semble davantage être d'ordre religieux plutôt que les nécessités de la communication avec le monde arabe.

Par ailleurs, de nombreux Ceutiens d'origine européenne demandent de suivre des cours d'arabe dialectal afin de se faire comprendre des Arabes dans la rue, afin de faciliter leurs achats lorsqu'ils traversent la frontière ou afin de parler avec leur femme de ménage, qui sont presque toutes marocaines. Il existe des problèmes du même ordre dans les postes de police, les hôpitaux et les cliniques, les écoles, etc. Connaître l'arabe dialectal serait un grand atout dans certaines circonstances.

Il existe à Ceuta un Centro de Lenguas Modernas de la Ciudad Autónoma de Ceuta et un Instituto de Idiomas de Ceuta S.L. Ces deux organismes sont consacrés à l'apprentissage des langues étrangères auprès de la population. Les langues étrangères les plus prisées par les élèves sont l'anglais, le français et l'arabe classique. Les études universitaires se font exclusivement en castillan.

4.5 Les médias

Dans le territoire de la Cité autonome de Melilla, la totalité des journaux et magazines sont publiés en castillan, mais il n'existe que deux journaux locaux: El Pueblo de Ceuta («Le Peuple de Ceuta») et El Faro. Il n'existe pas de journaux spécifiques pour la minorité arabophone, mais celle-ci peut s'approvisionner par les journaux du Maroc.

Les principales stations de radio sont Radios 1 et 3 (Radio Nacional d'Espagne), Radio Clásica, Cadena Dial, Cadena Cope, Onda Cero, M80 Radio Ceuta, Máxima FM, Punto Radio, Radio Amistad, Radio Ceuta, Radiolé Costa del Estrecho. Elles diffusent toutes en castillan.

Pour la télévision, les canaux nationaux sont Tele5, Antena3, Cuatro, TV1 et TV2. Le canal local, la Radio Televisión Ceuta (RTVCE), ne diffuse également qu'en castillan.

La politique de la Cité autonome de Ceuta est caractérisée par la non-intervention en matière de langue officielle. Il semble inutile de protéger le castillan, une langue parlée par la majorité de la population, si l'on fait exception des arabophones. La législation locale ne traite pas davantage des langues parlées sur son territoire, que ce soit pour le castillan ou l'arabe. La Cité autonome de Ceuta semble se comporter selon la tradition courante en Espagne: il s'agit de n'accorder des droits qu'à la langue officielle, dans la mesure où il n'existe pas de langue co-officielle. Il est néanmoins injustifiable que les droits de la minorité arabophone soient à ce point négligés. L'Espagne a décidé que l'arabe ceutien ne constitue pas une langue minoritaire, mais une langue immigrante. Le problème, c'est qu'un jour les arabophones seront tous nés dans la Cité et que leur langue fera partie des langues locales. Quoi qu'il en soit, la démographie risque de changer la donne. On peut croire que les autorités locales, fortes de leur autonomie, finiront par reconnaitre l'arabe ceutien ou dariya comme langue co-officielle avec le castillan. Il faudra commencer par accepter l’enseignement de l’arabe dans les écoles.

Dernière mise à jour: 17 févr. 2024
   

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