Jammu-et-Cachemire

Jammu-et-Cachemire

(Inde)

Capitale: Srinagar
Population: 10 143 700 (2001)
Langue officielle: ourdou
Groupe majoritaire: kashmiri (53,4 %)
Groupes minoritaires: dogri (21,7 %), hindi (18,4 %), panjabi (1,8 %), ladakhi (1%), shina (0,3 %), khandeshi (0,2 %), lahnda (0,1 %), balti (0,1 %), marathi (0,1 %), ourdou (0,1 %), halam (0,1 %), bhotia (0,1 %), bengali, etc.
Système politique: État de l'Union indienne
Articles constitutionnels (langue): art. 15, 29, 30, 120, 210, 343 à 350 de la Constitution de 1956 (en vigueur)
Lois linguistiques de l'Union:
Code de procédure civile (1908); Ordonnance présidentielle de 1960; Loi sur les langues officielles (1963/1967); Loi sur les textes autorisés (lois fédérales) (1973); Règlements sur les langues officielles (1976/1987); Ordonnance n° 18 sur l'audition du procès et l'examen des témoins (1976); Loi sur la Commission nationale pour les minorités (1992); Loi sur les réseaux câblés de télévision (Réglementation) (1995); Loi sur la Commission nationale pour les établissements d'enseignement minoritaires (2004); Loi sur le droit à l'information (2005); Règlement sur la Commission nationale pour les établissements d'enseignement minoritaires (procédure d'appel) (2006); Directives relatives à la langue officielle de 2009; Loi sur le droit des enfants à une éducation gratuite et obligatoire (2009).
Lois de l'État: Constitution du Jammu-et-Cachemire (1956).

1 Situation générale

Le Jammu-et-Cachemire (anglais: Jammu and Kashmir) est un État de l'Inde et une région revendiquée à la fois par l'Inde, le Pakistan et la Chine (voir la carte). Le Cachemire indien couvre une superficie de 92 437 km² (Inde: 3 287 590 km²), tandis que le Cachemire pakistanais représente 78 114 km² et le Cachemire chinois, 42 685 km², pour un total de 222 236 km², soit presque l'équivalent de la superficie du Royaume-Uni (244 820 km²).
Le Cachemire indien est bordé à l'ouest et au nord par le Pakistan, au nord et à l'est par la Chine, au sud par l'État de l'Himachal Pradesh et l'État du Panjab. Sa capitale est Srinagar.

L'État de Jammu-et-Cachemire compte trois régions: le Jammu (26 293 km²), la vallée du Cachemire (15 946 km²) et le Ladakh (50 198 km²) pour un total de 92 437 km², soit l'équivalent du Portugal (92 391 km²). Ces régions sont elles-mêmes divisées en 22 districts, dont 14 en Inde (voir la carte).

Les districts des trois régions (voir la carte) sont les suivantes:

- Région du Jammu: Kathua, Jammu, Udhampur, Rajouri, Poonch, Doda ;
- Région de la vallée du Cachemire: Anantnag, Pulwama, Srinagar, Budgam, Baramulla, Kupwara;
- Région du Ladakh («Petit Tibet»): Kargil et Leh.

Le Jammu est une région de plaines vallonnées, alors que la vallée du Cachemire est une région montagneuse et verdoyante, fermée à l'ouest et au sud par les hauts sommets enneigés de la chaîne du Pir Panjal et, à l'est, par la chaîne himalayenne avec les sommets de Nun; le fond de la vallée est à environ 1500 mètres d'altitude. Cette région abrite Srinagar, la plus grande ville (un million d'habitants) du Jammu-et-Cachemire. Quant au Ladakh, c'est la région du Jammu-et-Cachemire ayant l'altitude la plus élevée, une grande partie de son territoire dépassant les 3000 mètres pour atteindre parfois 7000 mètres. Avec son apparence désertique, cette région, appelée d'ailleurs le «Petit Tibet», ressemble davantage au Tibet (Chine) qu'à l'Inde. On y compte plus de 250 villages, regroupant plus de 230 000 habitants.

Le nom de Jammu est aussi une ville de 378 431 habitants (Jammu City) et un district (4,3 millions). Du temps que le Cachemire était gouverné par un maharaja, la ville de Jammu était la capitale d'été du souverain; Srinagar, la capitale d'hiver.

L'État du Jammu-et-Cachemire jouit d'une autonomie politique toute particulière dans l'Union indienne, ce qui explique, entre autres, qu'il demeure  le seul État à posséder sa propre constitution et son propre drapeau. Ce drapeau du Jammu-et-Cachemire représente une charrue manuelle sur fond rouge symbolisant le travail de la terre; les trois bandes verticales correspondent aux trois régions administratives que sont le Jammu, la vallée du Cachemire et le Ladakh. En principe, les lois de l'Union ne s'appliquent pas au Jammu-et-Cachemire sans son consentement.

2 Données démolinguistiques

Selon le recensement 2001, la population du Jammu-et-Cachemire était de 10,1 millions d'habitants répartis comme suit selon les régions et les districts: 
 
Région District Population (2001) Ethnie majoritaire Musulmans Hindous Bouddhistes Sikhs Autres
Jammu

Kathua
Jammu
Udhampur
Rajouri
Poonch
Doda
TOTAL (43,6 %)

   544 206
1 571 911
   738 965
   478 595
   371 561
   690 474
4 395 912
Dogris (67 %) 31 % 65 % SO 4 % SO
Cachemire (vallée) Anantnag
Pulwama
Srinagar
Budgam
Baramulla
Kupwara
TOTAL (54,0%
1 170 013
   648 762
1 183 493
   632 338
1 166 772
   640 013
5 441 391
Kashmiris (80 %) 95 % 4 % SO SO SO
Ladakh Leh
Kargil
TOTAL (2,3 %)
   117 637
   115 227
   232 864
Ladakhis (80 %) 52 % SO 47 % SO 1 %

Parmi les trois régions, le Ladakh est manifestement peuplé (2,3 % de la population), comparativement au Jammu (43,6 %) et à la vallée du Cachemire (54 %). Le Jammu est majoritairement hindou et de langue dogri; la vallée du Cachemire, massivement de langue kashmiri et musulmane; le Ladak, majoritairement de langue ladakhi et autant musulmane que bouddhiste.  

Toutefois, comme il est fréquent en Inde, le Jammu-et-Cachemire compte plusieurs ethnies et plusieurs langues. La langue majoritaire, le kashmiri, est parlée par seulement 53,4 % de la population de l'État. Bien que très majoritaire dans la vallée, il s'agit donc d'une majorité faible à l'échelle de l'État, et ce, d'autant plus que la langue officielle est l'ourdou, non pas le kashmiri. Le choix de l'ourdou, plutôt que l'hindi, comme langue officielle repose sur des motifs historiques et politiques (voir l'hindoustani). L'ourdou s'écrit selon la graphie arabo-persane dite nasta'līq.

Le Cachemire est un ancien État princier dirigé par un maharaja hindou jusqu'en 1947, mais avec une population majoritairement musulmane. Lors de la partition de l'Inde hindoue et du Pakistan musulman, le maharaja refusa de choisir d'appartenir à l'un des deux États. Attaqué par le Pakistan, il dut demander l'aide de l'Inde et dut accepter une intégration partielle à l'Union indienne. Le Pakistan avait choisi l'ourdou comme langue officielle parce qu'il était considéré comme une «langue islamique» et une langue véhiculaire entre les anciennes principautés et les États du Pakistan. Au Cachemire, cette perception de l'ourdou avait également cours, et ce, d'autant plus que la plupart des Kashmiris, des Jammuvis et des Ladakhis parlaient aussi l'ourdou comme langue seconde, et utilisaient l'ourdou comme seule langue écrite. Cette langue parut donc plus acceptable que le kashmiri, le dogri, le panjabi ou l'hindi qui, pour sa part, était associé à la religion hindoue. Même si l'ourdou était une langue nettement minoritaire, les dirigeants décidèrent de choisir cette langue pour les fins officielles de l'État.

Le tableau qui suit présente les langues parlées par plus de 1000 locuteurs:
 

Langue maternelle Locuteurs (2001) Pourcentage Groupe linguistique
kashmiri 5 425 733 53,4 % langue indo-iranienne
dogri 2 205 560 21,7 % famille dravidienne
hindi 1 870 264 18,4 % langue indo-iranienne
panjabi   190 675 1,8 % langue indo-iranienne
ladakhi   101 466 1,0 % famille sino-tibétaine
shina    34 206 0,3 % langue indo-iranienne
khandeshi     24 767 0,2 % langue indo-iranienne
lahnda    22 224 0,2 % langue indo-iranienne
balti    19 240 0,1 % famille sino-tibétaine
marathi    14 432 0,1 % langue indo-iranienne
ourdou (officiel)    13 251 0,1 % langue indo-iranienne
halam    13 049 0,1 % famille sino-tibétaine
bhotia    12 930 0,1 % famille sino-tibétaine
bengali    12 017 0,1 % langue indo-iranienne
malayalam    10 063 0,0 % famille dravidienne
oriya      9 087 0,0 % langue indo-iranienne
bhili      8 483 0,0 % langue indo-iranienne
népali      8 199 0,0 % langue indo-iranienne
télougou      7 509 0,0 % famille dravidienne
pachtou      7 395 0,0 % langue indo-iranienne
tibétain      6 390 0,0 % famille sino-tibétaine
assamais      6 070 0,0 % langue indo-iranienne
kannada      4 418 0,0 % famille dravidienne
gujari (gojri)      3 936 0,0 % langue indo-iranienne
tangsa      1 683 0,0 % famille sino-tibétaine
anglais      1 000 0,0 % langue germanique
manipouri      1 000 0,0 % langue indo-iranienne

Seules trois langues dépassent le million de locuteurs: le kashmiri, le dogri et l'hindi. Si le panjabi et le ladakhi ont plus de 100 000 locuteurs, les autres langues ne sont parlées que par de petites communautés. Même l'ourdou, la langue officielle, ne compte que 13 000 locuteurs (0,1 %). Le tableau ne présente aucune des langues parlées par moins de 1000 locuteurs. Le Jammu-et-Cachemire en abrite quelques dizaines, dont plusieurs en voie de disparition, surtout parmi les langues sino-tibétaines

La carte ci-contre illustre quelques-unes des langues réparties dans une aire linguistique identifiable au Jammu-et-Cachemire. On constate que le ladakhi (101 466), parlée dans le Ladakh, est la langue ayant la plus grande extension géographique du Jammu-et-Cachemire, suivie du kashmiri (5,4 millions), parlé dans la vallée du Cachemire (districts de Kupwara, Baramulla, Srinagar, Anantnag, Bugdam, Pulwama, Rajouri, Udhampur et Doda), ainsi que du dogri (2,2 millions) parlé dans la région de Jammu (districts de Udhampur, Jammu et Kathua), et du gojri (ou gujari), une langue indo-iranienne (proche de l'hindi) parlée dans les districts de Kupwara, Poonch, Rajouri et Doda et ceinturant l'aire du kashmiri. Le gojri, parlé par près de 700 000 locuteurs dans toute l'Inde (Uttar Pradesh, Haryana, Madhya Pradesh, Rajasthan, Maharashtra, Gujarat, Panjab et Delhi), compte moins de 4000 locuteurs au Jammu-et-Cachemire. C'est la langue des Gujars et des Bakarwals du Jammu-et-Cachemire.

Cela étant dit, malgré une relative concentration des langues sur le territoire, on trouve plusieurs langues dans toutes les régions du Jammu-et-Cachemire. Ainsi, dans la région du Jammu, outre le dogri, sont aussi employés le kashmiri, le gojri, l'hindi, la panjabi et l'ourdou. Dans la vallée du Cachemire, en plus du kashmiri, les langues sont le gojri, l'hindi, le panjabi, l'ourdou et le dogri. Dans le Ladakh, outre le ladakhi, ce sont surtout le balti, le shina, le tibétain et le kashmiri.

Dans le Cachemire pakistanais (ou Azad-Cachemire), le panjabi est une langue dominante, ainsi que le shina (langue indo-iranienne) et le balti (langue-sino-tibétaine), dont l'aire est située des deux côtés de la ligne de démarcation ou «ligne de contrôle». La carte ne montre pas les nombreuses petites communautés sino-tibétaines qui, en raison de la topographie accidentée de la région, vivent dans des hameaux isolés.

Par ailleurs, les populations habitant le Cachemire sont très divisées au plan religieux. En effet, dans le Jammu, les hindous constituent 65 % de la population; les musulmans, 31 %, et les sikhs, 4 %. Dans la vallée du Cachemire, l'islam est pratiqué par 67 % de la population, le reste étant partagé par les bouddhistes, les hindous et les sikhs. Dans le Ladakh, les musulmans constituent 52 % de la population, presque tous les autres étant des bouddhistes, avec environ un millier de chrétiens. Dans le district de Leh, les bouddhistes tibétains forment la majorité, tandis que dans le district de Kargil les musulmans sont majoritaires. Au final, dans le Jammu-et-Cachemire, les musulmans constituent 67 % de la population; les hindous, 30 %; les bouddhistes, 1 %; les sikhs, 2 %.

3 Bref historique

L'histoire du Jammu-et-Cachemire est associée à l'histoire du Cachemire lui-même, qui existait depuis 300 ans avant notre ère. Le Cachemire a formé un royaume bouddhiste jusqu'à l'arrivée des musulmans dans la région de Ladakh, vers le VIIIe siècle.

3.1 La période musulmane

Avec l'avènement de l'islam dans la vallée du Cachemire au XIIIe siècle, le persan, l'arabe et le turc ont pénétré dans la région. Le persan a même été la langue véhiculaire entre les divers peuples qui ont habité la région, y compris avec les Aryens d'origine indo-européenne, à un point tel que le persan a relégué le sanskrit à l'arrière-plan. À l'époque, le Cachemire était surnommé le Iran-i-saghee, c'est-à-dire «le Petit Iran». Musulmans et hindous cohabitèrent de façon harmonieuse jusqu'à l'arrivée du sultan Sikandar Butshikan du Cachemire (1389-1413). En effet, le sultan Sikandar persécuta les hindous et ordonna la destruction de toutes les «images d'or et d'argent»; il se mérita ainsi le surnom de «destructeur des idoles». Le Cachemire devint un royaume musulman.

Par ailleurs, la langue apportée par les Aryens a fini par anéantir tous les dialectes régionaux pour donner naissance à une nouvelle langue appelée apabhramsh, d'où sont issus l'haryanavi, le khadiboli (ou kauravi) et le braj bhasha, lesquels seront considérés plus tard comme des dialectes de l'hindi. 

Le Cachemire subit l'invasion moghole au XVIe siècle, ces envahisseurs musulmans venus de l'Ouest prirent progressivement le contrôle des régions du nord de l'Inde, dont le Cachemire. L'Empire moghol marqua l'apogée de l'expansion musulmane en Inde. Au cours de cette période, l'Inde était appelée Hindoustan, c'est-à-dire «terre des hindous» en persan. C'est à cette époque qu'apparut une nouvelle langue connue comme l'ourdou, parfois appelée lashkari, ourdou-i-Moalla Raikhta («la langue du campement et de la cour») ou encore hindoustani. L'ourdou est une langue qui avait emprunté de nombreux mots à l'arabe, au persan et au turc. Par la suite, la puissance moghole commença à péricliter, alors que plusieurs petits États princiers indiens obtinrent leur indépendance. En 1707, avec le décès d'Aurangzeb, disparut le dernier grand Moghol, ce qui allait entraîner au Cachemire l'arrivée de l'empire de Ahmad Shah Durrani, le premier padishah de l'Afghanistan. En annexant le Cachemire, il devint roi du Cachemire. Après la bataille de Panipat (1761), opposant les Marathes aux Afghans, les Indiens demeurèrent longtemps affaiblis. Ahmad Shah confia la garde des territoires conquis à des chefs indiens qui l’avaient aidé pendant le combat.

3.2 La domination sikh

Profitant de l’affaiblissement des Marathes, une nouvelle force émergea en Inde : les Sikhs. Ceux-ci commencèrent à harceler les positions afghanes, ce qui obligea à intervenir encore en Inde. En 1780, après la mort de Ranjit Deo, le raja de Jammu, le Cachemire fut envahi par les Sikhs. Il conquirent d'abord la vallée du Cachemire, puis le Ladakh et le Baltistan, les régions à l'est et au nord-est du Jammu. L'importance de langue persane diminua au Cachemire avec la fin du régime afghan et le début de la domination sikh règle. Toutefois, l'ourdou avait toujours été utilisé dans les tribunaux et l'administration gouvernementale.

3.3 Un État princier

Les Sikhs conservèrent le Cachemire jusqu'en 1846, alors qu'ils furent battus par les Britanniques qui vendirent ensuite le territoire à Gulab Singh (1792-1857), le fondateur et le maharaja de l'État princier de Jammu-et-Cachemire. Cette vente du Cachemire par les Britanniques s'est faite au coût de 7,5 millions de roupies, officialisée lors du traité d'Amritsar, lequel précisait le statut de la principauté de ce territoire. En vertu du traité, le maharaja du Cachemire régnait sur le pays, mais demeurait sous le contrôle de l'administration britannique, selon le système du «contrôle indirect» ("indirect rule"). Le Cachemire devenait donc un État vassal bénéficiant d’une relative autonomie, au profit du Royaume-Uni.

Mais Gulab Singh pratiqua une politique de répression religieuse, car il voulait imposer l'hindouisme, alors que 94 % de la population était musulmane. Comme il fallait s'y attendre, des mouvements de résistance se formèrent dans la principauté. Gulab Singh décéda en 1857, alors que son fils, Ranbir Singh, annexa les émirats du Hunza, du Gilgit et du Nagar au royaume. Les maharajas du Cachemire continuèrent la même politique répressive à l'égard des musulmans, et le tout se termina dans le sang en 1931. Quelques années plus tard, en 1934, le maharaja Hari Singh (1895-1961) autorisa une certaine forme de démocratisation en promulguant la constitution d'une assemblée législative.


Hari Singh
(1895-1961)

Au cours du règne des maharajas, les Britanniques ont toujours incité les dirigeants à utiliser l'ourdou, alors considéré comme une langue véhiculaire, de façon à stabiliser le régime politique, renforcer le contrôle administratif et faciliter les communications avec les Indiens du Sud.

Lors de l'accession de l'Inde à l'indépendance et à la partition de l'Inde en 1947, le maharaja Hari Singh du Cachemire refusa de se joindre au Pakistan musulman et à l'Inde hindouiste, préférant demeurer un État indépendant. En fait, le maharadja du Cachemire se trouvait dans une situation intenable: la vaste majorité de sa population était musulmane et souhaitait se rattacher au Pakistan, comme plusieurs autres régions de l’Inde. Toutefois, comme le maharadja était lui-même hindou, il voulut plutôt que son royaume se joigne à l’Inde. C'est pourquoi il préféra opter pour l’indépendance du Cachemire. Mais le nouveau gouvernement du Pakistan voyait les choses autrement. Selon la théorie des deux nations (musulmans et hindous) et l'idéologie panislamique, qui avaient présidé à la création du Pakistan, un État islamique créé par les musulmans pour les musulmans indiens, le Cachemire peuplé majoritairement de musulmans devait revenir au Pakistan, non à l'Inde. C'est pourquoi le Pakistan planifia l'invasion du Cachemire en envoyant ses commandos et mercenaires pachtounes (Razakars) à pénétrer au Cachemire afin de forcer le maharaja à entendre raison.

Mais Hari Singh demanda l'aide de l'Inde pour repousser l'invasion. À la demande du maharaja, le premier ministre de l'Inde, Jawaharlâl Nehru, décida d'appuyer le monarque hindou tout en garantissant aux Cachemiriens, en novembre 1947, le droit à l'autodétermination par la promesse d'un plébiscite national sur l'avenir du territoire. En fait, le rattachement du Cachemire à l’Union indienne était une condition préalable à toute intervention militaire. Une partie du Cachemire s’est donc retrouvée sous le contrôle du Pakistan, et une autre sous celui de l’Inde.

3.4 Un État indien controversé

Bien que la majorité de la population musulmane ait manifesté de s'unir au Pakistan, le maharaja, de religion hindoue, finit par céder aux pressions de l'Inde en signant, le 26 octobre 1947, l'accession de son pays à l'Inde (voir l'Instrument d'adhésion). Le territoire du Jammu-et-Cachemire fut aussitôt accepté dans l'Union Indienne, sous réserve d'un référendum organisé par le gouverneur général de l'Inde, lord Mountbatten. En effet, celui-ci avait fait part à Hari Singh du souhait de son gouvernement «qu’aussitôt la loi et l’ordre rétablis au Cachemire, et son territoire libéré des envahisseurs, la question de l’accession de l’État soit fixée par une consultation du peuple».

- La première guerre

Mais ce fut aussi le début de la première guerre indo-pakistanaise, qui ne prit fin que le 1er janvier 1949, avec la signature d’un cessez-le-feu conclu sous l’égide de l’ONU qui entérina de facto l’existence de deux Cachemires de part et d’autre d’une ligne de cessez-le-feu, la fameuse «ligne de contrôle» ("Line of Controle»): le Jammu-et-Cachemire (100 000 km², entre six et sept millions d’habitants) et l’Azad-Cachemire (13 000 km² et environ trois millions d’habitants), une région dépourvue de souveraineté et contrôlée entièrement par Islamabad. L'ONU exigeait un référendum organisé par l'Inde de façon à faire choisir le sort du Cachemire par la population. Cependant, le Pakistan refusa de rendre les territoires conquis et créa une nouvelle province avec l’Azad-Cachemire (le «Cachemire libre»). L’Inde se servit de ce prétexte pour ne pas organiser le référendum, d'autant plus qu'il était à craindre que la population musulmane du Cachemire bascule en faveur du Pakistan. Jusqu'à maintenant, l'Inde 'est toujours refusée d'organiser le référendum, alors que le Pakistan exigeait de respecter la résolution de l'ONU.

- La Constitution indienne

En 1950, l'article 370 de la Constitution indienne accordait au Jammu-et-Cachemire une autonomie plus élargie que les autres États indiens:

Constitution of India

Section 370.

Temporary provisions with respect to the State of Jammu and Kashmir.

1)
Notwithstanding anything in this Constitution,—

(a) the provisions of article 238 shall not apply in relation to the State of Jammu and Kashmir;

(b) the power of Parliament to make laws for the said State shall be limited to—

(i) those matters in the Union List and the Concurrent List which, in consultation with the Government of the State, are declared by the President to correspond to matters specified in the Instrument of Accession governing the accession of the State to the Dominion of India as the matters with respect to which the Dominion Legislature may make laws for that State; and

(ii) such other matters in the said Lists as, with the concurrence of the Government of the State, the President may by order specify.

Constitution de l'Inde

Article 370

Dispositions provisoires en ce qui concerne l'État de Jammu-et-Cachemire

1)
Nonobstant les dispositions de la présente Constitution,

(a) Les dispositions de l'article 238 ne s'appliquent pas à l'État de Jammu-et-Cachemire;

(b) Le pouvoir du Parlement d'adopter des lois pour ledit État est limité:

(i) aux domaines de la Liste de l'Union et la Liste concurrente qui, en consultation avec le gouvernement de l'État, sont déclarés par le président comme correspondant aux domaines indiqués dans l'Instrument d'accession régissant l'adhésion de l'État au Dominion de l'Inde dans les domaines en ce qui concerne ceux de la Législature du Dominion peut adopter des lois pour cet État; et

(ii) autres domaines desdites listes que, avec l'approbation du gouvernement de l'État, le président peut préciser par ordonnance.

L'article 370 contient aussi des notes explicatives importantes concernant la présidence de l'État autonome et sur le pouvoir limité du Parlement d'adopter des lois.

En 1954, on ajouta un article 35A à la Constitution indienne. C'est un article qui habilite l'Assemblée législative de l'État du Jammu-et-Cachemire à définir les «résidents permanents» de l'État et à accorder des droits et privilèges spéciaux à ces mêmes résidents permanents. Cet article 35A a été ajouté à la Constitution indienne par un décret présidentiel, le Décret constitutionnel de 1954 (Application au Jammu-et-Cachemire), publié par le président de l'Inde, le 14 mai 1954, en vertu de l' article 370. L’État du Jammu-et-Cachemire a défini ces privilèges comme la possibilité d’acheter des terres et des biens meubles, de voter et de contester des élections, de rechercher un emploi dans le gouvernement et de bénéficier d’autres avantages de l’État, tels que l’enseignement supérieur et les soins de santé. Les résidents non permanents de l'État, même s'ils étaient citoyens indiens, n'ont pas droit à ces «privilèges».

Mais l'Assemblée constituante n'accepta qu'en 1956 le rattachement à l’Inde en déclarant que cette accession à l’Inde était «finale et irrévocable», alors que le Pakistan maintenait son occupation sur le reste du Cachemire. L'Assemblée constituante décida aussi de maintenir l'ourdou comme langue officielle de l'État. Les autres langues parlées dans l'État, comme le kashmiri, le dogri, l'hindi et le panjabi furent délaissées au profit de l'ourdou jugée une langue plus «musulmane». De plus, les langues locales majoritaires comme le kashmiri et le dogri furent considérées comme inaptes à servir de langue véhiculaire et culturelle. Le maharaja Hari Singh est décédé le 26 avril 1961. Son fils Yuvraj (le prince héritier), Karan Singh, né en mars 1831 à Cannes (France), a été désigné Sadr-e-Riyasat (régent de la province) et gouverneur de l'État en 1964, tout en demeurant titulaire du maharaja de Jammu-et-Cachemire. En 1967, Karan Singh démissionna de son poste de gouverneur et devint, à la demande de la première ministre Indira Gandhi, à 36 ans, le plus jeune ministre du gouvernement indien. Depuis, le prince Karan Singh a été ministre à plusieurs reprises, puis est devenu diplomate (ambassadeur aux États-Unis en 1990), auteur, philosophe, sénateur, et... francophile accompli, grand admirateur de Charles de Gaulle. Depuis la démission de Karan Singh, le gouverneur de l'État de Jammu-et-Cachemire est désigné par le gouvernement central de New Delhi.

- Perpétuation du conflit

L'Inde et le Pakistan s'affrontèrent encore dans deux autres guerres, soit en 1965 et en 1971, sans compter un conflit de moindre envergure dans le district de Kargil en 1999. Comme toujours, ces conflit donnèrent lieu à de nouvelles résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, lesquelles resteront lettre morte.

Auparavant, la Chine s'était mise officiellement de la partie en 1962. En effet, le président Mao Mao Tsé-toung avait déclaré la guerre à l'Inde le 10 octobre 1962 et occupé le territoire de l'Aksai Chin, ainsi que l'Assam et la région du futur État indien de l'Arunachal Pradesh. L'armée chinoise se retira de tous les territoires occupés, sauf en Aksai Chin au Cachemire, qui fut unilatéralement annexé à la Chine. L’implantation chinoise se trouve à être entérinée par le développement d’infrastructures de communication. En effet, depuis 1957, une route militaire de 2743 km de longueur, la "China National Highway 219" (la N219), relie la Région autonome ouïgoure du Xinjiang (Ouïgour) à la Région autonome du Tibet. Néanmoins, le territoire, même pratiquement inhabité de l'Aksai Chin, est toujours revendiqué par l'Inde.  Pour l’Inde, la situation est sans ambiguïté: «Notre position, selon un haut fonctionnaire, est parfaitement claire : la totalité de l’État du Jammu-et-Cachemire fait partie de l’Union depuis son rattachement à l’Inde, en 1947. Là-dessus, il ne peut pas y avoir de compromis.»

De son côté, le Pakistan demeure tout aussi inflexible, de même que l'Organisation des Nations unies. Bref, depuis 1947, le conflit persiste parce que le Pakistan et l'Inde ne trouvent pas de terrain d’entente, et parce qu'aucun des trois pays concernés ne reconnaît l'adhésion des zones revendiquées par les autres. Quant aux populations, elles n'ont jamais été consultées, ni au Pakistan, ni en Inde, encore moins en Chine. En fait, les parties indo-pakistanaises n'ont réussi à s'entendre, en 1972 à Shimla (Inde), que pour respecter la «ligne de contrôle» (ou ligne de démarcation) tracée par les observateurs de l'ONU en décembre 1971. En somme, pour New Delhi, le Cachemire fait partie intégrante de l’Inde, alors que pour Islamabad le Cachemire est, depuis 1947, un «territoire disputé» et son son statut reste à définir par un référendum local... que l'Inde pourrait perdre. De son côté, la Chine ne reculera jamais. Il n'existe donc plus de réelles percées dans le règlement de ce conflit qui perdure depuis plus de soixante ans.

Pendant ce temps, l'Inde trouve tous les prétextes pour calmer le jeu entre les séparatistes du Front de libération du Jammu-et-Cachemire (JKLF), les groupes pro-indiens et les islamistes pro-pakistanais (le mouvement Hezb-ul Mujahiddin). Quant au soutien des Pakistanais envers les groupes extrémistes, il n'a eu pour effet que d'augmenter les tensions dans cette région. D'un côté, les forces de sécurité indiennes se permettent des exactions contre les méchants «séparatistes», de l'autre, les autorités pakistanaises soutiennent ouvertement les groupes extrémistes favorables à un rattachement du Cachemire au «pays des purs» (Pakistan). Néanmoins, l'Inde a progressivement imposé sa tutelle sur le Jammu-et-Cachemire en rapprochant son statut de celui des autres États indiens et en ne se privant pas pour intervenir ouvertement dans les affaires politiques locales.

Finalement, les affrontements entre l'armée indienne (350 000 soldats) auraient fait, selon les autorités 12 000 morts, mais 50 000 selon les Kashmiris, sans compter les innombrables femmes violées, les disparitions de fillettes et les orphelins, les maisons détruites, les pillages, etc. Quant au Pakistan, il n'est plus perçu comme un «agresseur» et administre en droit l'Azad-Cachemire et les Territoires du Nord, tandis que le Jammu-et-Cachemire fait maintenant partie intégrante de l'Union indienne. Autrement dit, la division du Cachemire entre le Pakistan et l'Inde fait l'affaire des deux protagonistes, la Chine ayant déjà tiré ses marrons du feu, tandis que les populations sont écartelées entre trois États.

- La révocation de l'autonomie en 2019

En août 2019, l’Inde a décidé de frapper un grand coup contre la portion du Cachemire qu’elle contrôle. Elle a emprisonné 300 dirigeants du Cachemire indien et elle a aussi abaissé son statut en le réduisant à un simple territoire, alors qu’auparavant il était un État autonome. La population du Cachemire indien est à 68 % musulmane. Une grande partie des Cachemiris indiens rêvent avant tout de redevenir un État complètement indépendant ou d'être rattachés au Pakistan (en second lieu). De son côté, le gouvernement indien invoque des dangers pour la sécurité des touristes et pour l’économie en général, ce qui semble suffisant pour justifier son intervention militaire. Cette décision explosive vise à placer sous une tutelle plus directe de New Delhi cette région revendiquée par le Pakistan. La plupart des habitants de cette région himalayenne sont hostiles à l’Inde et ils sont très attachés à leur autonomie qui prévalait depuis les débuts de la république fédérale indienne il y a sept décennies. Le gouvernement indien prétend qu’une fois le danger jugulé, il pourrait redonner au Cachemire son statut d’autonomie. Le décret présidentiel abolissant le statut spécial de l’État du Jammu-et-Cachemire est entré en vigueur et remplace aussitôt les articles constitutionnels relatifs au Jammu-et-Cachemire, en particulier l’article 370 et l'article 35A.

Au point de vue juridique, le gouvernement indien s'est trouvé à abolir unilatéralement ces deux articles de la Constitution indienne. L'article 370 garantit le statut d'autonomie du Cachemire indien, alors que l'article 35A interdit aux habitants du reste de l’Inde à acheter des propriétés au Jammu-et-Cachemire. Or, le gouvernement indien a autorisé les habitants du reste de l’Inde à acheter des propriétés au Jammu-et-Cachemire. Les Cachemiris craignent que l’Inde lance contre eux une politique de colonisation intérieure, ce qui aurait pour effet de les minoriser chez eux. Étant donné qu'il est probable que le gouvernement ait agi de manière inconstitutionnelle en faisant fi des articles 370 et 35A de la Constitution, la cause sera vraisemblablement portée devant les tribunaux, mais ceux-ci pourraient mettre de nombreuses années avant de trancher la question. Par conséquent, si le gouvernement indien viole sa propre constitution, les autres acteurs politiques pourraient décider de faire de même.

4 La politique linguistique

La politique linguistique pratiquée au Jammu-et-Cachemire sert avant tout à valoriser la langue officielle, l'ourdou, qui n'est parlée que par une faible portion de la population comme langue maternelle. L'État de Jammu-et-Cachemire est le seul État de l'Inde doté de sa propre constitution. La Constitution a été promulguée par une assemblée constituante et est entrée en vigueur le 26 janvier 1957. L'Inde n'a pas le pouvoir d'abroger ou de suspendre la Constitution de l'État. L'Inde n'a pas non plus la juridiction d'intervenir dans le choix de la langue officielle du Jammu-et-Cachemire, sauf en matière de langue officielle en rapport avec l'Union (l'hindi et l'anglais), ainsi que pour les communications entre l'État et les autres États, et la langue de la procédure en Cour suprême. 

4.1 La politique à l'égard de langue officielle

La langue officielle de l'État de Jammu-et-Cachemire est l'ourdou. L'article 145 de la Constitution de 1957 est sans ambiguïté à ce sujet, même si l'anglais peut être aussi employé à des fins officielles:
 

Article 145

La langue officielle de l'État est l'ourdou, mais l'anglais doit, à moins que la Législature n'en dispose autrement par une loi, continuer d'être employé pour toutes les fins officielles de l'État pour lesquelles cette langue a été utilisée immédiatement avant la mise en vigueur de la présente Constitution.

La Constitution de l'État ne tient pas compte des dispositions de la Constitution indienne sur la protection des minorités, notamment l'article 29:
 

Article 29

Protection et intérêts des minorités

1) Tout groupe de citoyens résidant sur le territoire de l'Inde ou sur toute partie de celui-ci et ayant une langue, une écriture ou une culture distinctes a le droit de les conserver.

2) Aucun citoyen ne peut se voir refuser l'admission dans un établissement scolaire tenu par l'État ou subventionné à même des fonds publics uniquement pour des raisons de religion, de race, de caste ou de langue.

De toute façon, le Parlement indien n'a, en principe, qu'une juridiction limitée au Jammu-et-Cachemire, contrairement aux autres États. C'est que le Jammu-et-Cachemire, par comparaison, bénéficie encore d'une plus grande autonomie (voir le texte de l'«Instrument d'adhésion») dans de nombreux domaines. C'est pourquoi l'unique langue utilisée par l'État est l'ourdou, les autres langues étant laissées pour compte.  L'ourdou est la langue des débats parlementaires, mais l'anglais sert aussi pour les textes écrits, les lois étant adoptées à la fois en ourdou et en anglais.

Les langues autorisées dans l'administration de l'État sont l'ourdou, l'anglais et l'hindi. Le rôle fonctionnel des autres langues importantes, comme le kashmiri ou le dogri, dans le domaine des communications écrites, est réduit au minimum, et uniquement pour les lettres personnelles reçues par l'Administration. Celle-ci a d'ailleurs tendance à répondre uniquement en ourdou ou en anglais lorsque des requêtes sont adressées dans une langue régionale, la correspondance officielle étant généralement limitée à l'ourdou, l'anglais ou l'hindi.

4.2 La politique générale à l'égard des langues régionales

L'État de Jammu-et-Cachemire a développé une politique particulière au sujet des langues régionales minoritaires. Dans les faits, toutes les langues de l'État sont des langues minoritaires, sauf le kashmiri parlé par 53,4 % de la population. Même l'ourdou, la langue officielle, est une langue numériquement minoritaire, car elle n'est parlée comme langue maternelle que par 0,1 % de la population. Mais il s'agit d'une langue dont le statut est celui d'une langue majoritaire.

- L'idéologie de la suprématie supranationale musulmane

Il faut comprendre que dans cet État peuplé majoritairement de musulmans, les élites locales ont toujours perçu l'ourdou comme une langue «musulmane» et qu'ils ont conçu une politique de valorisation de l'ourdou pour ses valeurs religieuses. Toutes les autres langues, sauf l'anglais, sont associées à des langues «laïques» s'opposant à l'identité prétendument islamique de l'ourdou. Toute la question linguistique de la part de l'élite intellectuelle et administrative est perçue à travers un prisme politique et religieux. Tous les mouvements destinés à sauvegarder et à promouvoir les langues locales telles que le kashmiri, le dogri, le gojri (gujar), le ladakhi, le shina, le balti, etc., se sont heurtés à une ferme opposition, sinon une véritable hostilité. 

La plupart des Cachemiriens instruits ont fait leurs études à l'Université islamique d'Aligarh de l'État indien d'Uttar Pradesh, où l'idéologie dominante considère l'ourdou comme le symbole de l'identité culturelle musulmane. Cette idéologie provient de la stratégie de la Ligue musulmane adoptée avec succès par Muhammad Ali Jinnah (1876-1848) — homme politique indien musulman chiite, président permanent de la Ligue musulmane, fondateur et premier gouverneur du Pakistan en 1947. Surnommé Baba-e-Qaum («le Père de la Nation») au Pakistan, il a toujours milité pour l'unité indo-musulmane. Il a poursuivi ses efforts pour mobiliser la communauté musulmane autour des symboles de l'islam, de l'identité musulmane et de l'ourdou associé à l'islam (contrairement à l'hindi associé à l'hindouisme). C'est ce qui explique pourquoi les élites du Jammu-et-Cachemire ont accordé la primauté de l'islam sur la langue, consolidant ainsi la division religieuse entre les musulmans, les hindous et les bouddhistes du Cachemire.

Pour le prince Karan Singh, toujours maharaja en titre du Jammu-et-Cachemire, les dirigeants musulmans ont complètement modifié la tradition de tolérance religieuse dans l'État: «Malheureusement, les sunnites durs en provenance du Pakistan et de l’Afghanistan ont changé tout cela : ils ont interdit les cinémas, et ont forcé les femmes à porter le voile sous peine de se faire jeter de l’acide au visage.» C'est le régime autoritaire des ayatollahs!

- La dynamique du «majoritarisme»

Ainsi, la politique du gouvernement de l'État concernant les langues maternelles locales, y compris le kashmiri majoritaire, reflète la dynamique du «majoritarisme» musulman, selon laquelle l'appartenance ethnique religieuse supranationale est superposée à l'appartenance ethnique et linguistique. Le juriste Otto Pfersmann de l'Université de Paris cite ainsi le philosophe américain Ronald Dworkin dans La démocratie et le droit: «Le majoritarisme, explique ce dernier, ne voit dans la démocratie qu’un régime politique caractérisé par une règle de décision permettant à une majorité quelconque d’imposer ses vues à une quelconque minorité.» C'est ce qu'on appelle aussi la «dictature de la majorité» ou la «tyrannie de la majorité», une majorité fonctionnelle il va sans dire, à défaut d'une majorité numérique. Au Jammu-et-Cachemire, cette idéologie consiste à modeler les politiques culturelles des musulmans du Cachemire sur des fondements religieux plutôt que sur la base de l'appartenance ethnolinguistique et culturelle, ce qui contribue ainsi à nier le patrimoine culturel indigène laïc.

Le même phénomène s'est produit au Pakistan voisin, où l'ourdou, la langue officielle du pays, a été imposée afin d'évincer les langues maternelles locales. Si une telle pratique est vue comme «normale» au Pakistan, elle semble plus exceptionnelle en Inde, alors que l'Union indienne prévoit des mesures constitutionnelles spécifiques pour la promotion des langues maternelles et la protection des droits des minorités linguistiques et culturelles. Même les fonctionnaires de l'État du Jammu-et-Cachemire ignorent le kashmiri, la langue majoritaire, et il ne leur est pas toujours possible de communiquer réciproquement avec le public. L'introduction du kashmiri, du dogri, du panjabi, du gojri dans certaines écoles est plus ou moins réussie et aucun effort n'a été fait pour s'assurer que la situation puisse s'améliorer. Pourtant, des demandes incessantes ont été formulées non seulement pour le kashmiri, le dogri et le gojri, mais aussi pour le pahari, le ladhakhi, le bhadarwahi, le kishtwari, le balti, le purigpa et le gaddi, sans succès.

Le mépris de la part de l'Administration locale s'est même transformé en une forte hostilité à l'égard des langues maternelles considérées comme des rivales culturelles à la langue ourdoue. Les fonctionnaires les plus réactionnaires perçoivent les langues locales comme des sources d'insurrection fondamentaliste. On se méfie surtout des hindous et des bouddhistes. Il s'agirait d'une politique concertée de la part de la direction et de la bureaucratie musulmanes pour supprimer la diversité des identités linguistiques et ethnoculturelles, dont le patrimoine apparaît comme une cause de conflits et de divisions. C'est pourquoi les autorités ont privilégié une identité supranationale musulmane destinée à gommer les langues et les cultures différentes.

Certains observateurs du gouvernement central de Delhi s'inquiètent d'ailleurs des résultats des recensements décennaux au Jammu-et-Cachemire, car le nombre des locuteurs des langues régionales diminue graduellement, alors que la population augmente sans cesse. On croit que les locuteurs de certaines langues ont été volontairement intégrés dans le décompte des langues telles que l'hindi, le rajasthani, le panjabi, le pahari, l'ourdou, etc., de façon à restreindre le nombre des locuteurs des «petites» langues. Il est possible aussi que les visées assimilationnistes des autorités cachemiriennes aient enfin atteint leurs objectifs. 

- Les pratiques anticonstitutionnelles

Il n'est pas inutile de rappeler que la Constitution indienne prévoit la protection des langues minoritaires dans toute l'Union indienne. Manifestement, les dispositions constitutionnelles de l'Union ne s'appliquent pas au Jammu-et-Cachemire. Les autorités cachemiriennes se permettent même de ne jamais répondre aux questionnaires envoyés officiellement de la part du commissaire aux minorités linguistiques («Commissioner Linguistic Minorities» ou CLM), qui propose des recommandations aux différents gouvernements des États.

L'ourdou utilise l'alphabet arabo-persan. Or, les autorités gouvernementales cherchent à imposer cet alphabet aux langues des minorités linguistiques. Par exemple, le kashmiri employait depuis des générations l'alphabet sharda (ou charada), un alphabet typiquement cachemirien né au VIIIe siècle. Toutefois, cet alphabet est aujourd'hui totalement ignoré dans l'écriture de la langue kashmiri, puisque c'est l'alphabet arabo-persan qui a été imposé. De plus, le gouvernement de l'État a adopté l'alphabet arabo-persan comme alphabet additionnel pour le dogri et le panjabi, ainsi qu'au balti et au ladakhi (qui employaient l'alphabet tibétain) et à plusieurs autres langues, afin de donner une allure plus «musulmane» à ces langues. Il en résulte que certaines minorités importantes du Cachemire n'ont pas seulement été privées de l'accès à leur riche littérature ancienne, mais leur droit de préserver et de promouvoir leur patrimoine culturel a aussi été dénié. Dans la foulée de cette politique d'islamisation linguistique, le gouvernement a changé les dénominations de centaines de villes et de villages du Cachemire de façon à supprimer les appellations d'origine sanskrite pour les remplacer par des appellations islamiques.

La Films Division of India, fondée en 1948, qui relève du ministère de l'Information et de la Radiodiffusion, a adopté comme politique de doubler les films étrangers en 13 langues, y compris en kashmiri, mais ces films ne sont pas disponibles au Cachemire dans cette langue, parce que le gouvernement local a demandé au gouvernement central de les acheminer en ourdou seulement. Pourtant, la Loi fédérale sur le droit à l'information de 2005 autorise l'usage des langues locales:
 

The Right to Information Act, 2005 No. 22 of 2005

Section 4

4)
All materials shall be disseminated taking into consideration the cost effectiveness, local language and the most effective method of communication in that local area [...].

Section 6.

1)
A person, who desires to obtain any information under this Act, shall make a request in writing or through electronic means in English or Hindi or in the official language of the area in which the application is being made, accompanying such fee as may be prescribed [...].

Loi sur le droit à l'information de 2005, no 22

Article 4

4)
Tout l'équipement doit être diffusé en tenant compte de la rentabilité, de la langue locale et de la méthode la plus efficace pour communiquer dans un secteur; [...]

Article 6

1)
Quiconque désire obtenir une information en vertu de la présente loi doit faire une demande par écrit ou par des moyens électroniques en anglais, en hindi ou en la langue officielle du district d'où provient la demande, avec les frais qui peuvent être exigés [...].

Par ailleurs, les subventions du gouvernement central accordées au ministère local de l'Éducation et destinées au développement de la langue et de la littérature kashmiri ont été dépensées à d'autres fins, notamment à la promotion de l'ourdou. De même, toute l'aide financière fournie par le Centre de traduction (Centre for translation) de l'Inde au Cachemire n'a jamais été utilisée. En lieu et place, ces fonds ont été attribuées à la promotion de l'ourdou parce que ces fond auraient été «détournées par erreur» pour la langue régionale.

Dans tous les cas, il s'agit d'infractions évidentes aux articles 29, 30 et 350 de Constitution indienne.

4.3 La politique linguistique en éducation

Dans cette perspective, il serait pour le moins surprenant que la politique appliquée en éducation soit permissive à l'égard des communautés minoritaires. Elle ne l'est pas, bien au contraire! Au Jammu-et-Cachemire, l'enseignement est généralement dispensé en ourdou, à tous les niveaux, du primaire à l'université. Aucune des langues régionales parlées dans l'État n'est enseignée dans les écoles. Tout au plus, il est possible pour les Kashmiris, les Dogris, les Panjabis, les Ladakhis, les Baltis, etc., de recourir à l'hindi ou à l'anglais en lieu et place de leur langue maternelle. Dans les montagnes du Ladakh, la plupart des habitants ne parlent que le ladakhi, pas beaucoup l'ourdou ou l'hindi, sauf à Leh, la capitale. Rappelons que certaines langues parlées dans le Jammu-et-Cachemire ont le statut de langues constitutionnelles en Inde: le kashmiri, le dogri, le panjabi, l'hindi, l'ourdou, le malayalam, le népali, etc. Or seuls l'ourdou, l'anglais et, à des degrés moindres, l'hindi sont enseignées dans les écoles. En général, les Jammuvis plaident, outre l'anglais, pour l'enseignement du dogri, les Kashmiris pour celui du kashmiri et les Ladakhis pour celui du ladakhi, mais fort peu sont prêts à préconiser l'ourdou.  L'introduction du kashmiri et du dogri comme langues officielles complémentaires dans leurs districts respectifs a été envisagée par le gouvernement, mais aucun effort réel n'a été entrepris à cette fin, même à titre expérimental.

- Le kashmiri

La langue kashmiri, langue majoritaire à 80 % dans la vallée du Cachemire, exerce un rôle très limité en éducation dans l'État de Jammu-et-Cachemire. Immédiatement après l'indépendance de l'Inde, le kashmiri fut introduit comme discipline d'études dans les écoles primaires de la vallée du Cachemire. Puis cet enseignement fut supprimé en 1955 sous prétexte de réduire «charge de travail» des enfants dans les écoles. En effet, l'enfant devait apprendre quatre langue : sa langue maternelle, l'ourdou, l'hindi et l'anglais. Le fardeau parut trop lourd pour ces enfants. C'est pourquoi l'ourdou a continué d'exercer son rôle dominant dans l'enseignement. En plus de l'anglais, et l'hindi au secondaire, c'est la seule discipline obligatoire dans tout le cursus scolaire. Dans certains cas, l'hindi sert de langue alternative aux langues régionales, notamment dans la région du Jammu. Pourtant, des experts indiens avaient préparé des manuels, mais aucun ne fut disponible pour l'enseignement de la langue maternelle.

De plus, des enquêtes de la part d'organisations non gouvernementales avaient effectuées dans les années soixante-dix auprès de la population de la vallée du Cachemire. Ces enquêtes ont révélé que les Kashmiris désiraient que leurs enfants reçoivent leur instruction en kashmiri dans une proportion de 83 % au premier cycle du primaire, 48 % dans le second cycle et 49 % préféraient l'anglais au secondaire.  Finalement, le kashmiri a été introduit comme une matière d'étude dans quelques établissements d'enseignement et comme un matière facultative dans certaines écoles secondaires.

À la suite de plusieurs mouvements de contestation en faveur du kashmiri et des efforts entrepris par des enseignants de haut niveau, un département de kashmiri a été créé à l'Université du Cachemire. Au début des années soixante-dix, le kashmiri a été introduit comme un matière pour les étudiants du troisième cycle à cette université. En 1971, le kashmiri fut autorisé à être enseigné comme langue seconde aux enseignants stagiaires en cours d'emploi au Centre linguistique régional du Nord (Northern Regional Language Centre) du Central Institute of Indian Languages (Institut central des langues indiennes). Un nombre limité de ces stagiaires a reçu une formation en kashmiri afin de l'enseigner dans les écoles. Le CIIL a préparé des documents pédagogiques destinés à l'enseignement, puis l'expérience s'est arrêtée là.

À la fin des années quatre-vingt-dix, une enquête sociolinguistique sur l'usage de la langue karshmiri révélait notamment que l'emploi du kashmiri chez les enfants était limitée principalement aux communications orales à la maison avec les aînés; son usage ne dépasserait pas les 50 % dans la communication entre les aînés et les enfants au Jammu. En général, les enfants préféraient employer l'hindi ou l'anglais à la maison avec leurs parents. Dans les écoles, les enfants n'employaient pas le kashmiri, même avec d'autres enfants ou des enseignants de langue kashmiri. De plus, les enfants ne lisent généralement pas ou n'écrivent pas en kashmiri, sauf pour environ 10 % d'entre eux, et ils emploient alors l'alphabet devanagari. Enfin, la plupart des parents préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles où l'on apprend l'anglais ou l'hindi, car, quoi qu'il en soit, l'ourdou doit être enseigné dans tous les établissements d'enseignement. En somme, le kashmiri, la langue de la très grande majorité de la population de la vallée du Cachemire, n'est absolument pas valorisée dans l'enseignement, même parmi les Kashmiris.

Récemment, une pétition a circulé afin d'inciter le gouvernement de l'État à introduire le kashmiri dans les écoles primaires.  Voici un court extrait de cette pétition:

To: The Government of Jammu and Kashmir State

A Petition imploring the Government of Jammu and Kashmir to implement the decision made by the previous government in November 2000 to introduce the native languages of the State as compulsory subjects in both government and private schools.

We,

The People and the Civil Society of the State of Jammu and Kashmir,

In presenting this Petition to the Government of that State,

Urge and Call Upon the Government to afford our concerns the highest consideration, and to implement the decision of November 2000 introducing our native languages in schools.

1. In the November of 2000, the Jammu and Kashmir Government adopted a decision to introduce Kashmiri and other native languages in all the schools of the state, whether state-run or privately run. This decision was a historic and momentous one for these languages. The Kashmiri language has been the vehicle through which Kashmiris have expressed their culture and their values from times immemorial. It was through Kashmiri that the great saints of Kashmir - Lalla Ded and Nundrishi - communicated their message to the great masses of Kashmir. When the Kashmiri people were suffering under tyrannical rule before 1947, it was the Kashmiri language that provided the channel through which the voices of progress and communal harmony found expression. It is of the utmost importance to preserve the cultural heritage of which Kashmiri language is the bearer. The decision to introduce Kashmiri in schools would go a long way towards promoting the Kashmiri language. Unfortunately, it appears that this decision has not been implemented, particularly in relation to private schools.

2. For a language to survive and flourish, it is essential that it be taught in schools. By teaching our native languages in schools, we will guarantee the emergence of an educated community that is literate in Kashmiri and other native languages. By keeping Kashmiri out of schools we are unwittingly implementing a process of language loss and language shift, with the result that Kashmir is slowly but steadily disappearing, especially among the elites in Srinagar. Among these people, children are no longer being taught Kashmiri at home but only Urdu/Hindi. These parents cannot be blamed - they are, after all, looking after the interests of their children. However, what is to be blamed is the educational policy that relegates the mother tongues to the undignified status of spoken slangs by keeping them out of schools. Had our native languages been taught in schools (and thereby opened up vistas of employment) our parents would have an incentive to teach their children to speak Kashmiri and other native languages such as Pahari, Gojri, Shina, Ladakhi or Dogri.

[...]

Destinataire: le gouvernement de l'État du Jammu-et-Cachemire

Objet: Pétition implorant le gouvernement du Jammu-et-Cachemire de mettre en œuvre la décision prise par le gouvernement précédent en novembre 2000 afin de proposer les langues maternelles de l'État comme des disciplines obligatoires dans les écoles publiques et privées.

Nous,

Peuple et citoyens de la société civile de l'État de Jammu-et-Cachemire,

En présentant cette pétition au gouvernement de cet État,

Nous exhortons et demandons au gouvernement de recevoir nos intérêts en haute considération et mettre en œuvre la décision de novembre 2000 en introduisant nos langues maternelles dans les écoles.

1. En novembre de 2000, le gouvernement du Jammu-et-Cachemire a pris la décision d'introduire le kashmiri et d'autres langues maternelles dans toutes les écoles de l'État, autant publiques que privées. Cette décision était historique et importante pour ces langues. La langue kashmiri a été le véhicule par lequel les Kashmiris ont exprimé leur culture et leurs valeurs depuis des temps immémoriaux. C'était par les Kashmiris que les grands saints du Cachemire - Lalla Ded et Nundrishi - ont communiqué leur message aux grandes masses du Cachemire. Lorsque que le peuple kashmiri souffraient du régime tyrannique avant 1947, c'était le kashmiri qui a fourni le canal par lequel les voix du progrès et l'harmonie commune ont trouvée leur expression. Il est de la plus haute importance de préserver le patrimoine culturel dont la langue kashmiri est porteuse. La
décision d'introduire le kashmiri dans les écoles serait un long chemin vers la promotion de cette langue. Malheureusement, il semble que cette décision n'a pas été mis en œuvre, particulièrement en ce qui concerne les écoles privées.

2. Pour qu'une langue puisse survivre et prospérer, il est essentiel qu'elle soit enseignée dans les écoles. En apprenant nos langues maternelles dans les écoles, nous allons garantir l'émergence d'une communauté instruite qui sache lire et écrire en kashmiri et en d'autres d'autres langues maternelles. En maintenant le kashmiri à l'extérieur des écoles, nous mettons inconsciemment en œuvre un processus de disparition et de transfert linguistique, avec comme résultat que le kashmiri disparaît lentement mais sûrement, particulièrement parmi les élites de Srinagar. Chez ces élites, le kashmiri n'est plus appris aux enfants à la maison, mais seulement l'hindi/ourdou. Les parents de ces enfants ne peuvent pas être blâmés, car après tout ils veillent sur l'intérêt de leurs enfants. Cependant, la politique d'éducation , qui relègue les langues au statut indigne d'argots parlés gardés hors de l'école, doit être blâmée.  Si nos langues maternelles étaient enseignées dans les écoles (et par conséquent propices aux emplois), nos parents auraient une motivation à apprendre à leurs enfants à parler le kashmiri et d'autres langues maternelles comme le pahari, le gojri, le shina, le ladakhi ou le dogri.

[...]

Jusqu'ici, le gouvernement a toujours prétendu que la langue kashmiri n'est pas apte à l'enseignement en raison des problèmes de standardisation et de normalisation. Le problème, c'est que la normalisation et la modernisation de cette langue ne peuvent être résolues qu'une fois que le kashmiri soit pourvu de fonctions appropriées en l'éducation, dans l'administration et les médias. C'est seulement après ces fonctions auront été précisées que les mesures à prendre pour la valorisation de cette langue seront significatives. Alors, en attendant, on tourne en rond.

- Le ladakhi

Dans le Ladakh où plus de 80 % des Ladakhis utilisent le ladakhi dans la vie de tous les jours, l'ourdou a été imposé comme unique langue d'enseignement. les enfants apprennent l'ourdou à l'école, mais ils continuent à employer le ladakhi une fois sortis de l'école. Pour les Ladakhis, l'ourdou reste uniquement une langue seconde. Lorsqu'ils ont à choisir, ils préfèrent de loin l'anglais ou l'hindi, rarement l'ourdou qui demeure néanmoins la langue officielle de l'État.

Cette situation dans l'enseignement dure depuis fort longtemps au Ladakh. Déjà en 1935, sous le régime britannique, un rapport de l'organisme bouddhiste Kashmir Raj Bodhi Mahasabha, était publié à Srinagar au sujet de l'imposition de l'ourdou. Voici un petit extrait de ce rapport, car il permet une certaine compréhension de la pratique des langues dans l'enseignement:

"The infliction of Urdu - to them a completely foreign tongue - on the Ladakh Buddhists as a medium of instruction in the primary stage is a pedagogical atrocity which accounts, in large measure for their aversion to going to school. Nowhere in the world are boys in the primary stage taught through the medium of a foreign tongue. And so, the Buddhist boy whose mother tongue is Tibetan must struggle with the complicacies of the Urdu script and acquire a knowledge of this alien tongue in order to learn the rudiments of Arithmetic, Geography, and what not.... This deplorable and irrational practice is being upheld in face of the fact that printed text books for all Primary school subjects do exist in Tibetan and have been utilized with good results by the Moravian Mission at Leh". L'imposition de l'ourdou, pour eux une langue complètement étrangère, aux bouddhistes du Ladakh comme langue d'instruction dans l'enseignement primaire est une atrocité comme approche pédagogique, qui explique, dans une large mesure, leur aversion pour fréquenter à l'école. Nulle part au monde il n'existe des garçons pour lesquels l'enseignement primaire est dispensé par l'intermédiaire d'une langue étrangère. Ainsi, les garçons bouddhistes, dont la langue maternelle est le tibétain, doivent combattre la complexité de l'alphabet ourdou et acquérir une connaissance de cette langue étrangère afin d'apprendre les rudiments de l'arithmétique, de la géographie, etc. Cette pratique déplorable et irrationnelle est maintenue dépit du fait que les manuels imprimés pour toutes les matières dans les écoles primaires existent en tibétain et qu'ils ont été utilisées avec de bons résultats par la mission des Moraviens à Leh".

Pour beaucoup de Ladakhis, l'année 1947, celle de l'indépendance de l'Inde, est perçue comme celle de leur asservissement aux dirigeants musulmans du Jammu-et-Cachemire.

- Le dogri

Le dogri est une langue majoritaire au Jammu. Il est parlé par 67 % des habitants de cette région. Pourtant, cette langue ne bénéficie d'aucun statut dans l'État de Jammu-et-Cachemire. Le dogri est doté de sa propre grammaire, de son dictionnaire, et il existe de nombreux volumes dans cette langue. Malgré cela, le dogri n'est pas enseigné dans les écoles primaires. Il n'est enseigné qu'au niveau secondaire comme matière facultative et à l'université comme discipline spécialisée. 

En somme, la situation des langues régionales est catastrophique dans le domaine de l'éducation. Malgré les requêtes incessantes pour l'enseignement des langues régionales, tant de la part des organisations bénévoles que de la part des fonctionnaires du gouvernement central, aucun effort n'a été consenti de la part du gouvernement de l'État. Certains parlent d'ailleurs de génocide. Les autorités semblent avoir oublié que, une fois que les enfants sont capables de lire dans leur langue maternelle, ils deviennent plus aptes à apprendre une autre langue sans confusion phonétique ou grammaticale.

4.4 Les médias

Compte tenu de tout ce qui précède, il faut s'attendre à ce que les médias privilégient l'ourdou et, dans une moindre mesure, l'anglais. De fait, malgré la publication de centaines de journaux et de périodiques en ourdou et certains en anglais, pratiquement aucun journal ou périodique n'est publié dans une langue locale du Jammu-et-Cachemrie. Le journal Sheeraza, qui est publié par l'Académie culturelle du Jammu-et-Cachemire en kashmiri, en dogri, en gojri (gujari) et en bodhi, n'a qu'un tirage limité dans les cercles littéraires. La population locale s'en remet exclusivement aux journaux et périodiques ourdous et anglais, sauf s'ils proviennent des États voisins et paraissent alors en panjabi (Panjab) ou en hindi (Himachal Pradesh et Delhi). Quelques journaux hebdomadaires continuent de paraître périodiquement, mais ils disparaissent après un courte période, alors que le gouvernement de l'État ne fait jamais d'effort pour apporter un soutien à ces publications. Le Jammu-et-Cachemire est probablement le seul État de l'Inde où la presse locale n'est jamais publiée dans une langue régionale. Pourtant, les enquêtes du gouvernement central révèlent que 47 % des personnes interrogées préféreraient que leurs journaux soient dans les langues locales.

Après l'indépendance de l'Inde, le kashmiri, le dogri et le panjabi dans les radios d'état ont pu jouer un rôle non négligeable. Il existait alors des émissions de nouvelles dans ces langues et de nombreux auteurs ont écrit des programmes à l'intention des locuteurs de ces langues. Aujourd'hui, l'usage des langues locales demeure très limité à la radio et surtout à la télévision. De façon générale, les programmes des médias électroniques sont diffusés massivement en ourdou, en hindi et en anglais. De plus, les peu nombreuses émissions diffusées en kashmiri ou en dogri, par exemple, ne sont jamais écoutées par les jeunes qui préfèrent les émissions en anglais. 

Dans les faits, seuls Radio-Kashmir, une division de All India Radio, et Doordarshan (une télévision indienne) diffusent des émissions dans quelques langues locales, dont le kashmiri et le dogri. C'est que ces deux médias sont disponibles par câble et par satellite dans toute l'Inde, ce qui les rend forcément accessibles au Jammu-et-Cachemire.   

En absence d'une politique favorisant les langues locales de la part de l'État du Jammu-et-Cachemire, les problèmes liés à la valorisation de ces langues vont se poursuivre.

L'État du Jammu-et-Cachemire pratique une politique de valorisation de la langue officielle, tout en déniant les droit des minorités linguistiques, ce qui constitue une violation manifeste de la Constitution de l'Union indienne. C'est le seul État de l'Inde à agir de la sorte. Cette situation s'explique par le fait que le Jammu-et-Cachemire bénéficie d'un statut particulier au sein de l'Union indienne. Le gouvernement central n'a pas autant de pouvoir dans cet État que dans les autres États de l'Union. Il en résulte que les dispositions constitutionnelles concernant les minorités linguistiques ne sont pas respectées. Les autorités du Jammu-et-Cachemire ne fait même aucun effort en ce sens.

Malgré les demandes incessantes des citoyens et des représentants des principales communautés, les Kashmiris, les Dogris, les Ladakhis, les Panjabis, etc., le gouvernement de l'État reste sourd à toute revendication en matière de langue. En vain, depuis des décennies, les Kashmiris réclament-ils le kashmiri dans les écoles; les Dogris, le dogri; les Ladakhis, le ladak. Ils se heurtent tous à un mur de béton inébranlable. Les élites politiques au pouvoir sont des fondamentalistes musulmans (sunnites) qui considèrent l'ourdou comme une langue musulmane. Dans ces conditions, tous les mouvements destinés à sauvegarder et à promouvoir les langues locales sont perçus comme des revendications antimusulmanes, parce que, si elles aboutissaient, ces revendications contribueraient à affaiblir les positions privilégiées de l'ourdou et, présume-t-on, de l'islam.

Au Jammu-et-Cachemire, l'État n'est pas là pour servir ses citoyens, il est là pour maintenir une élite politico-religieuse disposant de pouvoirs exorbitants. Cet ancien État princier était tolérant en matière de religion, mais néanmoins autoritaire en politique. Aujourd'hui, le Jammu-et-Cachemire est totalitaire sur les questions religieuses, culturelles, éducatives et politiques. Ce n'est donc pas un État démocratique, contrairement au reste de l'Inde. L'État du Jammu-et-Cachemire est même l'État indien le plus réactionnaire de tout le pays. C'est, dans ce pays, l'antimodèle, celui qu'il ne faut pas suivre. Il faut dire que, pour avoir la paix et ne pas attiser davantage les tisons, l'État central se montre quelque peu complice de cette situation déplorable.

Dernière mise à jour: 21 févr. 2024

L'Inde

 

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