Drapeau de l'Inde
État de Kerala

Kerala

(Inde)

Capitale: Thiruvananthapuram
Population: 31,8 millions (2001)
Langues officielles: malayalam et anglais
Groupe majoritaire: malayalam (96,7 %)
Groupes minoritaires: tamoul (1,8 %), toulou (0,3 %), kannada (0,2 %), konkani (0,1 %), télougou (0,1 %), marathi (0,1 %), hindi (0,0 %), gujarati, ourdou, anglais, bengali, oriya, népali, panjabi, sindhi, arabe.
Système politique: État de l'Union indienne
Articles constitutionnels (langue): art. 15, 29, 30, 120, 210, 343 à 350 de la Constitution de 1956 (en vigueur)
Lois linguistiques de l'Union: Code de procédure civile (1908); Ordonnance présidentielle de 1960; Loi sur les langues officielles (1963/1967); Loi sur les textes autorisés (lois fédérales) (1973); Règlements sur les langues officielles (1976/1987); Ordonnance n° 18 sur l'audition du procès et l'examen des témoins (1976); Loi sur la Commission nationale pour les minorités (1992); Loi sur les réseaux câblés de télévision (Réglementation) (1995); Loi sur la Commission nationale pour les établissements d'enseignement minoritaires (2004); Loi sur le droit à l'information (2005); Règlement sur la Commission nationale pour les établissements d'enseignement minoritaires (procédure d'appel) (2006); Directives relatives à la langue officielle de 2009; Loi sur le droit des enfants à une éducation gratuite et obligatoire (2009).
Lois de l'État:
Loi sur la langue officielle (1969); Loi modifiant la Loi sur la langue officielle (1973).

1 Situation générale

Le Kerala (en français: aussi Kérala) est État côtier de l'Inde d'une superficie de 38 863 m² (Inde: 3 287 590 km²) situé au sud -ouest du sous-continent. Cet État est limité au nord par l'État de Karnataka, à l'est par le Tamil Nadu, au sud par l'océan Indien et à l'ouest par la mer d'Arabie. La capitale de l'État est Thiruvananthapuram, mais sous sa forme anglicisée elle est aussi appelée Trivandrum. Le Kerala est devenu un État indien en 1956 à partir des anciennes principautés de Travancore, de Cochin et des districts de la province de Madras.

Le Kerala est aujourd'hui composé administrativement de 14 districts (terme officiel / terme anglicisé) : Alappuzha (Alleppey), Ernakulam, Idukki, Kannur (Canannore), Kasaragod, Kollam (Quilon), Kottayam, Kozhikode (Calicut), Malappuram, Palakkad (Palghat), Pathanamthitta, Thiruvananthapuram (Trivandrum), Thrissur (Trichur) et Wayanad (Wynad) (voir la carte des districts). Soulignons que le district de Mahé, qui constitue une partie du territoire de Pondichéry, est enclavé dans le Kerala.

Le nom de Kerala est la dénomination traditionnelle de l'ancien royaume tamoul de Chera. Il proviendrait de kera signifiant «palmier de coco» et alam signifiant «terre» ou «pays», ce qui correspondrait en malayalam à «terre des palmiers de coco» en raison de la présence des nombreux palmiers de cet État du Sud. Le habitants du Kerala sont des Malayalis, des Kéralites ou encore Kérelais (en français).

2 Données démolinguistiques

Avec ses 31,8 millions d'habitants (en 2001: 31 841 374) pour 38 815 km², le Kerala possède une densité élevée de population: 819 habitants au km ², contre 324 hab./km² pour l'ensemble du pays. C'est dans la plaine côtière où la concentration de population est la plus forte. Les principales villes sont les suivantes: Thiruvananthapuram (889 000 habitants), la capitale, Kozhikode ou Calicut (880 000 habitants) et Cochin (1,3 million d'habitants).

Par comparaison à la plupart des États indiens, le Kerala est une région peu multiethnique et multilingue, et peu multiconfessionnelle. Les habitants du Kerala se partagent en deux grandes familles linguistiques: les langues dravidiennes et les langues indo-iraniennes (famille indo-européenne). Cependant, ce sont les locuteurs des langues dravidiennes, qui appartiennent à la population originaire de cette région, car le Karnataka est un État du Sud, les États du Nord étant indo-iraniens. Le tableau qui suit illustre les langues parlées par plus de 1000 locuteurs (recensement de 2001).

Langue maternelle Locuteurs (2001) Pourcentage Groupe linguistique
malayalam 30 803 747 96,7 % famille dravidienne
tamoul     596 971 1,8 % famille dravidienne
toulou (tulu))    122 995 0,3 % famille dravidienne
kannada      81 406 0,2 % famille dravidienne
konkani      61 376 0,1 % langue indo-iranienne
télougou     48 633 0,1 % famille dravidienne
marathi      31 841 0,1 % langue indo-iranienne
hindi      26 386 0,0 % langue indo-iranienne
gujarati      17 741 0,0 % langue indo-iranienne
ourdou      13 492 0,0 % langue indo-iranienne
anglais        5 087 0,0 % langue germanique
bengali       3 387 0,0 % langue indo-iranienne
oriya       3 032 0,0 % langue indo-iranienne
népali       2 715 0,0 % langue indo-iranienne
panjabi       1 696 0,0 % langue indo-iranienne
sindhi        1 205 0,0 % langue indo-iranienne
arabe        1 245 0,0 % famille chamito-sémitique

Le Kerala est ainsi l'un des États les plus linguistiquement homogènes qui soient en Inde. En effet, la langue majoritaire est le malayalam parlé par 96,7 % de la population, ce qui est tout à fait exceptionnel. De plus, les langues minoritaires numériquement importantes sont des langues dravidiennes : le tamoul, le toulou, le kannada et le télougou. Parmi les langues indo-iraniennes, seul le konkani se détache du lot, mais avec uniquement 0,1 % de la population. Toutes les autres langues sont parlées par une proportion infime de la population.

2.1 Le malayalam

Le malayalam, la langue officielle de l'État du Kerala, appartient aux langues du groupe du sud de la famille dravidienne ; il s'est séparé du tamoul autour du Xe siècle. Il s'écrit au moyen d'un alphabet semi-syllabaire (37 consonnes et 16 voyelles) dérivé du grantha et appelé Kolezhethu (alphabet malayalam).

Cette langue est surtout parlée au Kerala (près de 97 % de la population), mais elle est aussi employée aux îles Laccadive, ainsi qu'au Karnataka et au Tamil Nadu, où elle n'a aucun statut, sauf celui d'être l'une des 22 langues constitutionnelles de l'Inde.

Le terme malayalam est vraisemblablement formé des racines dravidiennes mala et alam, qui signifient respectivement «montagne» et «terre» pour «terre des montagnes».

La langue malayalam compte plusieurs variétés dialectales qui sont subdivisées en trois groupes:

1) le malayalam méridional: ce sont les variétés du Sud, appelées aussi «dialectes du Travancore», du nom de l'ancienne principauté du XVIIIe siècle. Ces variétés, au nombre de trois (dialecte du Nord, dialecte central et dialecte du Sud), sont assez proches de la langue tamoule. C'est la variété du Nord qui sert de norme au malayalam standard.

2) le malayalam central: les habitants du centre de l'État du Kerala parlent des variétés différentes de celles du Sud, mais néanmoins apparentées. 

3) le malayalam septentrional: ce sont les variétés du Nord, quelque peu reliées aux variétés centrales, mais avec des influences du kannada. La variété la plus connue est le mappila, ou dialecte de Malabar, parlé par la population musulmane dans les districts de Malappuram, Kozhikode (Calicut), Kannur (Cannanore) et Kasaragod.

La langue malayalam n'est pas encore complètement normalisée, ce qui entraîne des effets négatifs dans la promotion de la langue officielle.  Récemment, le Kerala Language Institute (Institut linguistique du Kerala) a pris l'initiative de standardiser le malayalam en réduisant le nombre de caractères, mais, comme ce n'est guère une obligation, ce se sont pas tous les établissements d'enseignement ni tous les médias qui suivent le mouvement. 

2.2 Les minorités linguistiques et religieuses

Les langues minoritaires du Kerala ne sont guère nombreuses, compte tenu qu'il s'agit d'un État de l'Inde. Les langues minoritaires numériquement importantes sont le tamoul, le toulou, le kannada et le télougou, sans oublier le konkani, l'une des 22 langues constitutionnelles de l'Inde.

Le Kerala comptait, en 2001, 56,1% d'hindous (ce qui est peu en Inde), 24 % de musulmans, 19% de chrétiens et 1 % pour les autres religions. Il existe une petite communauté juive de quelques milliers de personnes (env. 8000), dont les origines remonteraient au IVe siècle; ils ont utilisé durant plusieurs siècles une langue aujourd'hui disparue, le judéo-malayalam. La minorité musulmane, fait exceptionnel, parle le malayalam et non l'ourdou, comme c'est le cas pour la quasi-totalité des adeptes de l'islam en Inde. Au point de vue juridique, les musulmans du Kerala font officiellement partie d'une minorité religieuse dont le statut est reconnu par la Constitution indienne (art. 30). Le Kerala se distingue en Inde pour sa grande tolérance à l'égard des diverses religions.

3 Bref historique du Kerala

Le sud de l'Inde a, tout au long de son histoire, c'est-à-dire des débuts de l'ère paléolithique jusqu'à l'époque moderne, abrité des cultures différentes aux origines diverses. À l'exception de quelques brèves périodes, cette région est toujours demeurée indépendante du nord de l'Inde, et a développé un fonds culturel et linguistique différent.

Dans son histoire ancienne, cette immense région peut être appelée le Dravida ou encore le Tamilakam («le pays des Tamouls»), soit le sous-continent indien qui comprenait à l'origine l'actuel Tamil Nadu et l'actuel Kerala.

Le pays tamoul connut trois grands empires: les Pandya (VIe siècle av. notre ère), les Chera (IIe siècle av. notre ère) et les Chola (Ier siècle av. notre ère). Chacun de ces royaumes s'est taillé son propre territoire dans des régions de langue tamoule, mais ils se sont fait constamment la guerre afin d'occuper tour à tour le Tamilakam, ainsi qu'en totalité ou en partie l'île du Sri Lanka actuel.

Des traces d'anciens travaux d'irrigation, datant du IIe siècle avant notre ère, témoignent de l'importance de l'agriculture à cette époque. De plus, d'importantes quantités de pièces de monnaie romaines, ainsi que des marques de la présence de commerçants romains, ont été découvertes à Karur et à Arikamedu, ce qui montre que le commerce extérieur était florissant avec la Rome antique. Mais les Arabes avaient été les premiers à venir sur les rives du Kerala; ils ont été suivis par les Romains, puis les Égyptiens et les Grecs.

L'une des premières fois que le Kerala, connu sous le nom de Keralaputra signifiant «fils des Chera», a été mentionné au cours de l'histoire, c'est au IIe siècle avant notre ère, et ce, dans une inscription laissée par l'empereur Mauryan Asoka le Grand, dont le royaume s'étendait dans l'actuel Kerala, le Tamil Nadu, de même qu'au Sri Lanka. Le philosophe Pline l'Ancien (23-78) mentionne dans son Histoire naturelle (Naturalis historia) que les villes voisines de Kodungallur et Pattanam formaient le premier port d'importance en Inde.

3.1 Les dynasties tamoules

Les trois dynasties tamoules, les Pandya (à Madurai), les Chera (côte de Malabar) et les Chola (à Thanjavur, alors Tanjore), ont régné dans la région en développant une culture et une langue uniques, tout en contribuant au développement de l'une des littératures les plus anciennes du monde. Au IIIe siècle de notre ère, une autre dynastie, les Kalabhra appelés Kalappirar, vint occuper le pays tamoul et provoqua le déplacement des trois dynasties régnantes. Ces envahisseurs étaient décrits comme des rois mauvais et barbares, venus des régions situées au nord du pays tamoul. Ils furent renversés à leur tour par les dynasties Pandya et Pallava, alors émergentes à nouveau, qui restaurèrent les royaumes traditionnels. Sous les Pallava (de religion hindoue), les Tamouls s'établirent également aux îles Maldives.

La dynastie Chola resurgit au IXe siècle en écrasant les Pandya et les Pallava, puis en étendant son empire sur tout le sud de l'Inde. Dans sa plus grande extension, l'empire Chola s'étendit du Bengale jusqu'au Sri Lanka. Les Chola connurent leur apogée sous Rajaraja Chola I et Rajendra Choladeva. C'est aussi sous leurs règnes que l'Inde vécut la seule période de puissance maritime de son histoire. La langue tamoule servait alors de langue officielle et de langue véhiculaire dans tout le royaume.

4.2 les conquêtes musulmanes

Toutefois, à partir du VIIIe siècle, les conquêtes musulmanes dans le Nord-Ouest avaient commencé à transformer l'Inde et, par voie de conséquence, le Tamil Nadu. Les royaumes se disloquèrent sous la pression des envahisseurs. Néanmoins, le Tamilakam ou Dravida résista à l'islamisation, alors que le reste du sous-continent vit l'effondrement d'un bouddhisme qui cherchait peu à se défendre. Les régions tamoules de devinrent de plus en plus distinctes au plan politique, surtout après que les royaumes des Pandya et des Chola eurent perdu le contrôle de la région au XIIIe siècle. La région de l'actuel Kerala fut morcelée en petites principautés, dont les plus importantes furent Calicut au nord et le Travancore au sud. Les musulmans arabes dominèrent le commerce maritime à partir des côtes du Kerala jusqu'à l'arrivée des Portugais au XVe siècle. Même les Chinois fréquentèrent les ports kéralais.

Puis les régions tamoules virent alors évoluer leur langue et leur littérature de façon différente et le tamoul du Tamil Nadu se fragmenta en malayalam à l'ouest (Kerala) et en télougou au nord-est (Andhra Pradesh) et en kannada au nord-ouest (Karnataka). Au XVe siècle, les transformations étaient définitives. Le territoire tamoul passa lors sous la domination du royaume hindou de Vijayanagara. Entre-temps, la langue malayalam s'imprégna de l'influence sanskrite, ce qui contribua à la distinguer du tamoul. Le malayalam créa son propre alphabet (le kolezhethu), distinct de l'alphabet tamoul.

4.3 Les colonisations européennes

À partir du XVIe siècle, les puissances européennes commencèrent à fonder des colonies et des avant-postes dans le sud de l'Inde. En 1498, le Portugais Vasco de Gama (1469-1524) débarqua au Kerala afin de mettre fin au contrôle des Arabes sur le commerce des épices. Les râja de Cochin (ou Kochi) se montrèrent favorables aux Portugais et les autorisèrent à installer un comptoir. En 1503, il fit construire la première forteresse portugaise en terre indienne à Cochin, sur la côte de Malabar (Kerala). Les Portugais furent très surpris de trouver des chrétiens au Kerala. Cette petite communauté chrétienne était installée là depuis le Ier siècle de notre ère et avait été renforcée par l'arrivée de nouveaux chrétiens syriaques venus de Bagdad en 192. Ces chrétiens parlaient le malayalam au XVIe siècle et ils se désignaient eux-mêmes comme des «Nazaréens». Mais les succès des Portugais attisèrent la convoitise des Hollandais qui réussirent à chasser leurs rivaux de leurs forteresses. Les Portugais revinrent plus tard, mais établirent leur quartier général pour les «provinces du Sud» à Goa, siège du vice-roi du Portugal. Cependant, les Hollandais écrasèrent les Portugais, envahirent le Kerala et réussirent à maintenir leur suprématie jusqu'à ce que les Britanniques et les Français parviennent à les déstabiliser. Au XVIIIe siècle, de violents conflits eurent lieu entre les Britanniques, les Français, les Portugais et les Hollandais pour le contrôle des comptoirs commerciaux.

À la fin du XVIIIe siècle, la majeure partie du sud de l'Inde était contrôlée par la Grande-Bretagne. Les Britanniques accrurent ensuite leur influence jusqu'à contrôler, vers 1850, la majeure partie du territoire de l'Inde actuelle, le Pakistan, le Bangladesh (Bengale) et le Sri Lanka (Ceylan).

Sous le régime britannique, le Kerala faisait partie depuis 1806 de la British Madras Presidency («présidence de madras), qui comprenait le sud de l'Inde, c'est-à-dire l'actuel Tamil Nadu, la côte de Malabar dans le nord du Kerala, les îles Laccadive (Lakshadweep Islands), l'Andhra Pradesh, une partie de l'Orissa et du Karnataka ainsi que la région du Tulu Nadu, avec comme capitale de la Présidence Madras (maintenant Chennai). Bref, la plus grande partie du Kerala actuel ne faisait pas partie de la présidence de Madras, mais constituait un État princier, le Travancore, vassal de l'Empire britannique. Sa capitale était Thiruvananthapuram, l'actuelle capitale du Kerala qui était dirigée par un maharaja. Le dernier maharaja du Travancore fut Chitira Tirunal Balarâma Varma (1931-1949). Pendant tout le Raj britannique, les Anglais en profitèrent pour extraire les ressources naturelles du pays à leur profit, mais la colonisation britannique suscita d'énorme oppositions dans tout le pays.

4.4 L'indépendance de l'Inde et ses conséquences

En 1947, l'Inde allait obtenir son indépendance des Britanniques. La principauté de Travancore eut en principe le choix entre deux options: rester un État indépendant ou s'intégrer à l'Union indienne ou au Pakistan, ce choix revenant au prince et non à la population de l'État. Le 18 juin 1947, le maharaja Chithira Thirunal proclama l'indépendance du Travancore. Les autorités indiennes entamèrent aussitôt des négociations avec le grand divan (ministre) du maharaja, sir Chetpet Pattabhirama Ramaswamy Iyer (1936-1947), afin d'intégrer la principauté dans l'Union.  Le grand divan n'était pas en faveur de l'indépendance, mais il désirait une plus grande autonomie pour le Travancore, sur le modèle de l'Union américaine. Les autorités indiennes et C.P. Ramaswamy Iyer en arrivèrent à un accord à la fin de juillet 1947, mais l'accession à l'Union indienne ne pouvait pas effectif qu'avec l'approbation du maharaja. Les négociations demeurèrent en suspens. Puis la principauté fut secouée par de nombreuses révoltes à un point tel que le pays se trouva avec deux gouvernements en conflits, dont l'un était dirigé par les communistes. Le mouvement fut violemment écrasé par l'armée du maharaja, ce qui entraîna plusieurs centaines de morts. Les désordres se multiplièrent et le grand divan Ramaswamy Iyer dut démissionner et se réfugier à Londres. Puis il entreprit une sorte de tour du monde, visita les États-Unis, et donnant des conférences.

Sous la «pression» du ministre indien de l'Intérieur, Vallabhbhai Patel (1875-1950), le maharaja Chithira Thirunal dut, le 1er juillet 1949, réunir le Travancore avec la principauté de Cochin pour former le Travancore-Cochin (ou Thiru-Kochi). Le maharajah devint le chef du nouvel État princier avec le titre de rajapramukh, tout en étant subsidiaire de l'Union indienne. Des élections permirent à Pattom A. Thanu Pillai de devenir premier ministre ("Chief Minister") de l'État du Thiru-Kochi. En 1954, le Congrès tamilnadu du Travancore lança un mouvement afin de réunir les régions de langue tamoule, ce qui impliquait la fusion du sud du Travancore et des régions avoisinantes de l'État de Madras (ancien nom du Tamil Nadu). Rappelons que, au moment de l'indépendance de l'Inde (1947), la présidence de Madras était devenue l'«État de Madras» et comprenait le Tamil Nadu actuel, ainsi qu'une partie du Karnataka et de l'Andhra Pradesh, les frontières actuelles datant de 1956, c'est-à-dire lors de la Loi sur la réorganisation de l'État (State Reorganisation Act).

Au 1er novembre 1956, le district de Malabar fut réuni pour former le nouvel État du Kerala, sur la base des frontières linguistiques (le malayalam). Les élections pour la nouvelle Assemblée législative du Kerala ont été tenues en 1957. Elles ont permis la formation d'un gouvernement dirigé par le communiste E. M. S. Namboodiripad. Beaucoup d'Indiens ont alors cru qu'il s'agissait du premier gouvernement communiste démocratiquement élu dans le monde.  En mettant l'accent sur l'éducation, le développement humain, les réformes et le maintien de son identité, et ce, en acceptant les influences étrangères, le Kerala est devenu une sorte de modèle pour l'Inde. Aujourd'hui, l'État du Kerala est considéré comme un État indien ayant la réputation d'être l'un des plus à gauche du pays.

4 La politique linguistique

L'État du Kerala a élaboré une politique linguistique destinée à rendre officielle la langue locale majoritaire, le malayalam, tout en assurant certains droits aux locuteurs du tamoul et du kannada, les autres minorités ayant le droit de recourir à l'anglais. Le malayalam est fortement majoritaire au Kerala, mais l'État a néanmoins légiféré pour reconnaître le malayalam comme la langue officielle, au même titre que l'anglais.

4.1 Le malayalam comme langue co-officielle

La Loi sur la langue officielle du Kerala de1969 ne définit que très sommairement la politique linguistique de l'État. Aucun article ne proclame le malayalam comme langue officielle de l'État, bien que la loi porte le titre de Loi sur la langue officielle ("Kerala Official Language Act"). Le texte de la loi parle de «langue d'usage dans les projets de loi» ("language to be used in Bills"), ce qui limite la portée de la loi au seul domaine de la législation. La loi ne compte que deux articles, dont le premier ne concerne que le litre de la loi. Ainsi, toute la loi tient essentiellement aux dispositions de l'article 2 et à la «langue d'usage» dans la législation:

Article 2

Langue d'usage dans les projets de loi

La langue d'usage dans:

(1) les projets de loi présentés ou modifiés pour être présentés à  l'Assemblée législative de l'État du Kerala;

(2) les lois adoptées par la Législature de l'État du Kerala;

(3) les ordonnances promulguées par le gouverneur en vertu de l'article 213 de la Constitution; et

(4) les décrets, ordonnances, règlements ou décrets-lois présentés par le gouvernement en vertu de la Constitution ou d'une loi adoptée par le Parlement ou la Législature de l'État du Kerala;

doit être le malayalam ou l'anglais.

Même si les deux articles de la Loi sur la langue officielle (1969) ne précisent aucune autre mesure en faveur de langue officielle, elle suppose que l'anglais est tout aussi officiel que le malayalam. Cependant, le titre de la loi fait allusion à une seule langue officielle: Loi sur la langue officielle ("Kerala Official Language Act").

En 1973, la loi a été modifiée par la Loi modifiant la Loi sur la langue officielle (Kerala Official Language Amendment Act). On lit à l'article 2 que le malayalam et l'anglais sont les deux langues officielles comme langues d'usage aux fins officielles de l'État du Kerala:

Article 2

Modification du titre long

Pour le titre long de la Loi sur la langue officielle du Kerala (législation) de 1969 (loi 7 de 1969), ci-après mentionnée comme la loi principale, le texte est remplacé par le suivant, à savoir:

«Loi prévoyant l'adoption du malayalam et de l'anglais comme langues d'usage aux fins officielles de l'État du Kerala.»

Les articles 3 à 5 de la Loi modifiant la Loi sur la langue officielle (1973) sont là pour modifier les dispositions de la loi de 1969 afin de rendre l'anglais et le malayalam tout aussi officiels.

La législation et les pratiques du Kerala en matière de politique linguistique semblent différentes, car contrairement aux États voisins comme le Tamil Nadu, l'Andhra Pradesh et le Karnataka, qui ont adopté des mesures rigoureuses pour promouvoir leur langue officielle locale, le Kerala s'en tient à deux langues officielles et ne promeut pas le malayalam. De fait, le malayalam n'a jamais atteint le niveau de parité avec l'anglais, alors que dans la plupart des autres États la langue régionale officielle tient tête à l'anglais et demeure généralement prépondérante. Pas au Kerala, car l'enseignement de la langue officielle n'est même pas obligatoire, que ce soit dans les écoles ou la formation des fonctionnaires. 

Le gouvernement a bien tenté par diverses ordonnances de modifier le rapport de forces entre l'anglais et le malayalam, considéré seulement comme l'une des deux langues officielles, mais ce fut en vain. Tant que la législation en vigueur ne sera pas modifiée en faveur du malayalam, il sera très difficile d'inverser le rapport de forces favorable à l'anglais. Ainsi, tous les fonctionnaires qui n'ont jamais reçu de formation en malayalam — ce n'est pas obligatoire — seront toujours contre les mesures favorisant cette langue, puisque cette méconnaissance les défavoriserait. Pour l'instant, leur connaissance de l'anglais leur donne du pouvoir. Dans les autres États du Sud, la connaissance de la langue officielle locale est une obligation pour l'obtention d'un emploi dans la fonction publique, mais au Kerala la maîtrise du malayalam n'est pas considérée comme une condition essentielle pour obtenir un tel emploi.

Il en résulte que l'Administration locale fonctionne davantage en anglais qu'en malayalam et que les services aux citoyens sont, selon le cas, tantôt en malayalam tantôt en anglais. Bref, le Kerala est l'un des États les plus anglophiles de toute l'Inde.

Selon beaucoup de Kéralais, le gouvernement devrait modifier sa politique linguistique et sa législation en faveur du bilinguisme pour favoriser nettement le malayalam. Les examens de la Commission de service public du Kerala (Kerala Public Service Commission) pour la sélection des employés du gouvernement devraient se dérouler en malayalam, non en anglais, et la maîtrise du malayalam devrait être une condition essentielle pour accéder à des postes dans la fonction publique. Par la suite, le gouvernement ne devrait émettre des communiqués qu'en malayalam. Par le fait même, la langue du pouvoir judiciaire au Kerala ne devait être autorisée qu'en malayalam. Enfin, l'apprentissage du malayalam devrait être obligatoire pour tous les Kéralais. Toutefois, en vertu de la Constitution indienne, s'il est illégal d'interdire l'usage de l'anglais, il est possible d'assurer la promotion de la langue officielle locale, sans nuire à l'anglais.

Évidemment, ce point de vue de privilégier le malayalam n'est pas partagé par tous les Kérelais, car 96,7 % de ceux-ci parlent le malayalam sans avoir besoin de d'assurer la promotion de cette langue. Néanmoins, il faut reconnaître que, si le malayalam est parlé quotidiennement par la quasi-totalité de la population, il est loin d'avoir acquis le prestige dont il a droit au sein de l'État du Kerala.

4.2 Les langues minoritaires

Les langues minoritaires sont relativement nombreuses, mais numériquement peu importantes, si l'on fait exception du tamoul, du toulou et du kannada. En plus du malayalam et de l'anglais, l'article 6 de la Loi modifiant la Loi sur la langue officielle (1973) prévoit des mesures à l'intention des minorités ou collectivités locales situées dans des zones ou districts où leurs membres constituent au moins 15 % de la population:

Article 6

Insertion du nouvel article 3

Après l'article 2 de la loi principale, l'article suivant est inséré, c'est-à-dire:

«Article 3. Dispositions spéciales à l'intention des minorités

Nonobstant les dispositions de la présente loi, les dispositions particulières qui suivent s'appliquent à l'intention des minorités linguistiques dans l'État, à savoir:

(a) Les membres d'une minorité tamoule et kannada dans l'État peuvent employer leur langue respective dans leur correspondance avec le gouvernement de l'État au secrétariat et à la direction des ministères ainsi qu'avec tous les fonctionnaires du gouvernement de l'État installés dans ces zones déclarées par le gouvernement et destinées à une minorité linguistique, dont l'objet et les réponses envoyées dans ce cas doivent être également dans leurs langues minoritaires respectives.

Les zones (tehsils) et districts reconnus sont les suivants pour le tamoul: les tehsils (parties de district) de Peerumedu, Devikulam et Udumbanchola dans le district d'Idduki à l'est; les tehsils de Chittoor et Palakkad dans le district de Palakkad à l'est. Le tamoul est aussi parlé dans la capitale, Thiruvanantpuram. Pour le kannada, c'est le tehsil de Kasargod dans le district de Kasargod (complètement au nord). Dans le district d'Ernakulam, une partie de la population parle le konkani, mais cette minorité n'est pas reconnue.

En pratique, les ordonnances et règlements importants de l'État sont traduits en tamoul et en kannada. Plusieurs lois sont aussi traduites dans ces deux langues. C'est le contrôleur de district ("District Collector") qui est responsable des traductions. Les requêtes sont acceptes dans la langue de ces deux minorités et les fonctionnaires répondent généralement dans la même langue. Les candidats à certaines postes de la fonction publique peuvent demander d'utiliser leur langue lors de l'examen d'admission. De toute façon, la connaissance du malayalam n'est pas une condition préalable pour le recrutement.

4.3 L'éducation

Le monde de l'enseignement est relativement plurilingue. Les langues d'enseignement sont le malayalam, l'anglais, le tamoul, le kannada, le konkani et le gujarati. Cependant, ces langues ne sont pas sur un pied d'égalité. Dans les établissements publics, le malayalam et l'anglais sont enseignées à parité sur la base de l'éducation bilingue. Dans les établissements privés, l'anglais demeure généralement la seule langue d'enseignement, car le malayalam n'est pas obligatoire.

Le gouvernement a prévu des mesures pour les minorités. Le nombre d'élèves exigé pour autoriser un enseignement dans la langue d'une minorité est de huit par classe. Pour l'enseignement du primaire, les langues d'enseignement autorisées, outre le malayalam et l'anglais, sont  le tamoul et le kannada. On comptait en 2005-2006 moins de 300 écoles primaire (premier cycle) tamoules (10 000 élèves) et moins de 100 pour le kannada (18 000 élèves), pour un ratio maître/élève supérieur pour le kannada. Dans le second cycle, le nombre d'élèves est nettement moindre: 23 écoles pour le tamoul (1300 élèves) et 31 pour le kannada (6500 élèves). Au secondaire,  en 2005-2006, on dénombrait 9 écoles en tamoul (2000 élèves) et 14 en kannada (5800 élèves). Le tamoul peut aussi être enseigné comme discipline ou matière dans d'autres écoles (une quinzaine), de même que le konkani et le gujarati, alors que le toulou n'est jamais enseigné.

En réalité, plus l'élève monte dans l'échelle de la scolarité, moins il étudie dans sa langue maternelle. Dans les établissements d'enseignements supérieurs, comme les universités, rares sont les cours qui se donnent en malayalam, car l'anglais est la langue généralisée. 

Le système d'éducation dans les écoles publiques fonctionne selon le principe de la "three-language formula", c'est-à-dire la «formule des trois langues» ou la «formule trilingue»:

1) le malayalam, le tamoul, le kannada, le konkani, le gujarati ou l'anglais comme première langue;
2) le malayalam, le tamoul, le kannada, le konkani, le gujarati ou l'anglais comme langue seconde;
3) le malayalam, le tamoul, le kannada, l'hindi, l'ourdou, le sanskrit ou l'arabe comme troisième langue.

Ce sont les parents qui décident du choix de la langue d'enseignement qu'ils désirent pour leurs enfants.

4.4 Les langues des médias

Il n'y a pas de législation restreignant l'utilisation de la langue dans les médias au Kerala. La plupart des journaux sont publiés en malayalam: Deepika, Malayala Manorama (Kottayam), Mathrubhumi (Kozhikode), Deshabhimani Daily (Kochi), Kaumudi Jalakami, Kerala Express, Kerala Kaumudi, Madhyamam Daily (Calicut), Mangalam; le plus grand magazine est le Malayalam Varikha.

Dans les médias électroniques, les stations de radio diffusent majoritairement en malayalam, dans toutes les villes de l'État. Cependant, plusieurs stations diffusent en anglais, d'autres en hindi, en tamoul, en kannada, en télougou, en toulou, etc.

Pour la télévision, Doordarshan est le diffuseur du gouvernement central de l'Inde et son canal DD Chandana est diffusé en malayalam. Il existe près d'une vingtaine de canaux de télévision en malayalam: Asianet, Surya TV, Kairali TV, Jeevan TV, Asianet Plus, Amrita TV, Malayalam Television, etc. D'autres canaux diffusent en anglais: Star World, Reality TV, Discovery Channel, AXN, Discovery Kids, Animal Planet, National Geographic.  Au Kerala, il y a aussi des canaux diffusant en hindi (Sony, Zee TV, Star Plus, Doordarshan, Star Utsav, Sab TV, Sahara One) et en tamoul (Sun TV, Jaya TV, Vijay TV et Raj TV).

L'État du Kerala a élaboré une politique limitée concernant la valorisation de la langue officielle, à la limite de la non-intervention. La langue officielle régionale, le malayalam, ne bénéficie que fort peu de protection juridique. La législation est le seul domaine où cette langue jouit d'une telle protection, une protection qu'elle doit partagée avec l'anglais. Pour le reste, c'est la politique de la non-intervention qui caractérise le Kerala, puisque la langue officielle ne constitue pas une obligation juridique dans les écoles publiques.

Au plan des langues minoritaires, le Kerala respecte pour l'essentiel les dispositions de la Constitution de l'Union, notamment en raison de la protection accordée au kannada et au tamoul. Les mesures de protection pour les autres langues (toulou, konkani, télougou, marathi, gujarat, etc.) laissent grandement à désirer, car elles sont inexistantes. Autrement dit, les locuteurs des plus petites langues (tribales) ne se voient pas reconnaître de droits, cette situation étant d'ailleurs généralisée dans toute l'Inde.

Dans l'ensemble, le Kerala n'est pas un État très interventionniste, même pour sa langue officielle. La protection est minimale pour deux langues minoritaires, presque nulle pour les autres, démesurée pour l'anglais. C'est un État juridiquement bilingue (malayalam-anglais), unilingue dans les faits (malayalam), sauf en éducation où le bilinguisme est généralisé. Dans l'état actuel des choses, beaucoup de Kéralais sont satisfaits de la situation. Les plus nationalistes considèrent que la politique linguistique n'est guère adéquate; les minorités voudraient davantage de protection; seuls les anglophiles sont entièrement satisfaits de la situation.

Dernière mise à jour: 21 févr. 2024

L'Inde

 

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