Le Panjab (ou Penjab,
mais Punjab en
anglais) dont il est
question ici est l'État
indien de 50 362 km², limité au nord par le
Jammu-et-Cachemire, à l'est par l'Himachal Pradesh,
au sud par l'Haryana et le Rajasthan et à l'ouest
par la province du Panjab au Pakistan. Ainsi, il y a
deux Panjab: le Panjab indien (50 362 km²) et le
Panjab pakistanais (205 344 km²
). Lors de l'Indépendance de l'Inde et de la
partition qui s'en suivit en 1947, chacun des deux
pays, le Pakistan et l'inde, a récupéré une partie
de la région du Panjab, dont le nom signifie «pays
des cinq rivières» (la Beas, la Chenab, la Jhelum,
le Ravi et le Sutlej), même s'il y en a six avec
l'Indus (voir la
carte).
La capitale du Panjab indien
est Chandigarh, que cet État partage avec
l'Haryana. Toutefois, cette ville ne fait partie
d'aucun des deux États, Chandigarh étant un
territoire de l'Union administré par le gouvernement
fédéral et représenté par un administrateur. Ainsi,
Chandigarh accueille les administrations du Panjab,
de l'Haryana et du
territoire fédéral de Chandigarh.
Le nom de
Chandigarh provient des mots
Chandi Mandir, un temple dédié à
la déesse Chandi, situé dans le
district de Panchkula. Le
terme Chandigarh signifie mot
à mot «le fort de Chandi». Le
territoire compte deux villes
satellites de Chandigarh : Panchkula
et Mohali. Les trois villes sont
connues comme étant «Chandigarh Tricity». Cela
étant dit, Amritsar demeure
la capitale religieuse, la ville
sainte des sikhs.
2 Données démolinguistiques
Selon le
recensement de 2001, la population du Panjab était de 24,3 millions
d'habitants, mais 27,7 millions en 2011. Contrairement à beaucoup d'États indiens, le
Panjab est une région peu multi-ethnique, peu multilingue et comptant trois
principales
confessions religieuses (sikhs, hindous et musulmans), avec une vingtaine de langues
différentes, et autant de petites langues en voie de disparition. La langue
largement majoritaire est le panjabi parlé par 91,6 % de la population;
hindous, sikhs et musulmans peuvent être des panjabiphones (parlant le
panjabi). La
langue minoritaire la plus importante est l'hindi (7, %), suivie de l'ourdou
(0,1 %). Toutes les autres langues ne sont parlées que par un petit nombre de
locuteurs, soit moins de 20 000. Presque toutes les langues utilisées comme
langue maternelle sont des langues appartenant au
groupe indo-iranien (ou
indo-aryen), c'est-à-dire des langues de la
famille indo-européenne.
Le tableau qui précède ne présente que les langues parlées
par plus de 1000 locuteurs; il ne témoigne pas des petites
langues parlées par un petit nombre de locuteurs.
2.1 Le panjabi
Le
panjabi (ou penjabi)
appartient à la
famille indo-européenne de la branche des
langues indo-iraniennes (ou indo-aryennes) parlée dans la
région du Panjab
(Pakistan et Inde), par environ 100 millions de locuteurs.
Comme l'hindi, le panjabi est issu du sanskrit, mais il
apparaît plus archaïsant. À l'écrit, les sikhs panjabiphones utilisent l'alphabet gourmoukhi (qui se lit de
gauche à droite), mais les hindous et musulmans
indiens emploient l'alphabet
devanagari (qui se lit de gauche à droite). Quant aux panjabiphones pakistanais,
ils ont recours à
l'alphabet shahmoukhi (qui se lit de
droite à gauche). La figure de gauche illustre
les alphabets gourmoukhi et shahmoukhi, alors que le tableau de
droite (cf. Wikipedia) fait référence au
gurmukhi.
Mot
Transcription
Signification
ਆਲੂ
ālū
pomme de
terre
ਦਿਲ
dil
cœur
ਗਾਂ
gã
vache
Le panjabi est
fragmenté en plusieurs variétés dialectales,
mais les linguistes ne semblent pas s'entendre
sur les critères de classement. Ainsi,
Ethnologue classe ces variétés en trois
groupes: le panjabi occidental
(Pakistan), le panjabi oriental (Inde) et
le panjabi mirpuri (Cachemire).
Panjab, Majhi
(districts de Gurdaspur et d'Amritsar,
districts de Firozpur et de Bhatyiana); Rajasthan
(district de
Ganganagar et de Bhatyiana); Haryana;
Delhi; Jammu-et-Cachemire.
27,1 millions en Inde
(2001)
Panjabi occidental
Pakistan)
lahnda, hindko, pahari-potwari,
etc.
Principalement
au Panjab pakistanais.
60,6 millions au Pakistan (2000).
Panjabi de Mirpur
(Cachemire)
mirpuri
Cachemire,
district de Mirpur (Azad-Cachemire).
1,0 million en Inde (2000)
Selon le linguiste
George Abraham Grierson (1851-1941), dans son volume
Linguistic Survey of India (entre 1904-1928), il y
aurait quatre dialectes du panjabi parlés en Inde et au
Pakistan: le dialecte de Majhi, le dialecte de Malwi, le
dialecte de Doabi et le dialecte de Pwadhi.
1) Dialecte de Majhi
Le
dialecte Majhi est le dialecte de prestige du
panjabi parlé au centre du Panjab où vit la
majorité des locuteurs de cette langue. C'est le
dialecte de la région historique de Majha, qui
comprend, au Pakistan, le Lahore, le Sheikhupura,
le Kasur, l'Okara, le Gujranwala, le Wazirabad,
le Sialkot, le Narowal, le Gujrat et une partie
du district de Jhelum; au Pakistan, les
districts d'Amritsar, de Tarn Taran Sahib et de
Gurdaspur
2) Dialecte de Malwi:
Le dialecte de Malwi est parlédans la partie orientale du
Panjab indien dans les secteurs
de Ludhiana, Ambala, Bathinda,
Ganganagar, Malerkotla, Fazilka
et Ferozpur au sud; il est également
parlé dans l'État de l'Haryana.
3) Dialecte de Doabi:
Le dialecte de Doabi est
parlé dans le Panjab indien. Le mot Do Aabi
signifie «pays entre deux rivières» et désigne
les variétés dialectales entre les rivières Beas
et Sutlej, mais inclut les districts de
Jalandhar, Nawanshahr, Kapurthala et Hoshiarpur.
4) Dialecte de
Pwadhi:
Le dialecte de Pwadhi est
parlé dans la région de la région de Powadh (Puadh
ou Powadha) du Panjab pakistanais une partie de
l'État de l'Haryana entre les rivières Satluj et
Ghaggar.
Le problème, c'est que
les données d'Ethnologue et les données du linguiste Grierson ne
concordent guère, même qu'il apparaît difficile de concilier les
deux propositions. Le panjabi occidental correspondrait au
dialecte de Majhi surnommé lahnda par Grierson. Mais les dialectes de Malwi et de Doabi
seraient des variétés du panjabi oriental. Grierson ne parle
pas du hindko, du saraiki, du khetrani, du marwari ni du
mirpuri. Les linguistiques indiens contemporains ont
aujourd'hui évité d'utiliser le terme de lahnda et ont désigné les
dialectes «lahnda du Sud» comme le saraiki et le «lahnada du
Nord» comme le potwari, le «lahnda occidental» comme le hindko.
Aujourd'hui, le dogri parlé au Cachemire n'est plus
considéré comme un dialecte du panjabi, alors que le mirpuri
est perçu comme un dialecte du potwari parlé dans le
district de Mirpur.
Pour d'autres linguistes,
les langues lahnda font partie d'un groupe de
langues
indo-iraniennes constituant une macrolangue, dont feraient
partie le hindko, le khetrani, le panjabi occidental, le
potwari, le mirpuri et le derawali, mais dont ne ferait pas
partie le panjabi oriental de l'Inde.
Symbole sikh
Le Panjab indien
est réputé pour abriter la plus importante communauté
sikhe au monde. On estime la communauté sikhe en Inde
à quelque 20 millions de personnes, soit environ 2% de
la population indienne. Les Sikhs constituent à la
fois une ethnie (écrire Sikhs avec une majuscule,
par opposition aux Pakistanais, Népalis, Assamais,
etc.) et une
communauté religieuse (écrire sikhs, avec une minuscule,
par opposition aux musulmans, hindous, chrétiens, etc.) et ils
sont installés principalement au Panjab indien, mais
ils sont aussi présents dans l'Haryanan et l'Himachal
Pradesh, ainsi que dans la région de Delhi. Ailleurs
dans le monde, on trouve aussi d'importantes
communautés sikhes au Pakistan, au Royaume-Uni, au
Canada, aux États-Unis, en Australie, à Singapour, au
Kenya, en Indonésie, etc. Néanmoins, le Panjab désigné
comme la «terre des Sikhs», ne recouvre qu'une faible
partie de l'ancien Panjab ou
Panjab historique qui comprenait non seulement
le Panjab indien et le Panjab pakistanais, mais
également l'Haryana, l'Himachal Pradesh.
2.2
Les langues minoritaires
La Panjab indien n'a
pratiquement pas de langues minoritaires, du moins en terme
d'importance numérique. La seule langue qui se détache du
groupe de ces langues est l'hindi parlé par 7,5 % de la
population, soit 1,8 million de locuteurs sur un total de 24,3 millions
d'habitants (2001). Autrement dit, le Panjab est
relativement homogène linguistiquement. Cependant, la
communauté hindiphone constitue une puissante minorité au
Panjab, puisque 180 millions de locuteurs parlent cette
langue dans les États voisins.
En ce qui concerne les religions, le
Panjab est la «terre des sikhs». En effet, la religion sikhe est pratiquée par
près de 60 % de la population de cet État indien, les autres
individus pratiquant
l'hindouisme (37 %), l'islam (1,5 %), le christianisme (1,2
%), le bouddhisme (,01 %), etc. Toutefois, dans
le sud du Panjab, environ 65 % population
est hindouiste, contre 30 % de sikhs. Dans la partie
pakistanaise du Panjab, environ 97 % de la population est
de confession musulmane.
3 Données historiques
Les découvertes archéologiques révèlent que la région
du Panjab était habitée dès 7000 ans avant notre ère. De petites
communautés vivaient dans la vallée de l'Indus vers 3000 ans avant notre
ère et des villes furent fondées.
Étant donné que
le
Panjab constitue une vaste plaine, il allait devenir très tôt le couloir des
invasions, une région ouverte sur le Pakistan et l’Inde du Nord.
À partir de 1600 avant notre ère, des tribus aryennes
(indo-européennes), venues du Nord, envahirent la région et, à partir de
l'actuel Panjab et de l'actuel Haryana, conquirent toute l'Inde
septentrionale. C'est dans cette région stratégique que la civilisation védique a
commencé et que naquit la langue sanskrite, la langue mère de l'hindi.
C'est en sanskrit que fut rédigé le récit sacré du Mahabharata, qui
raconte la grande épopée de la dynastie Bharata, d'où l'Inde tire son
nom Bharat. Il s'agit là d'une œuvre immense du début de la
littérature indienne: elle compte 100 000 couplets, soit sept fois
l'Iliade et l'Odyssée, trois fois la Bible, et raconte la lutte pour le
pouvoir de deux branches rivale d'une famille royale, les Kauravas et
les Pandavas (quelque 2000 ans avant notre ère). Au premier millénaire
de notre ère, le modèle politique des Aryens s'est diffusé dans toute
l'Asie du Sud-Est ainsi que dans l'Asie himalayenne. Les souverains ont
alors adopté le sanskrit, l'astrologie, les mathématiques et la
littérature des Indiens.
Au fil des siècles, divers
envahisseurs occupèrent la région: les Huns, les Turcs et
les Afghans gagnèrent des batailles décisives pour
l'histoire de la région. Après la chute de l'empire des
Gupta au milieu du VIe
siècle de notre ère (535), le nord de l'Inde fut à nouveau
fragmenté en plusieurs royaumes. Les Huns établirent leur
suprématie sur le Panjab. Ce fut après cette période que
l'un des plus grands empereurs de l'Inde antique,
Harshvardhan ou Harsha (590-648), a commencé un règne qui
dura plus d'une quarantaine d'années. Son empire s'étendit
sur tout le nord de l'Inde. On croit que la langue panjabi
était utilisée au Panjab vers le XIe
siècle, mais les premiers textes ne seraient apparus qu'au
XIVe
siècle. Cependant, le panjabi n'a jamais été utilisé dans
les sphères du pouvoir.
3.1 La
domination moghole et l'Empire sikh
La religion sikhe (du
sanskrit sikh: «disciple» ou «adepte d'une doctrine
religieuse») fut fondée au Panjab par Guru Nanak (1469-1539), qui cherchait à
concilier l'hindouisme et l'islam en une seule religion. Il enseigna
«l'unité de Dieu, de fraternité de l'homme, le rejet de la caste et la
futilité de idole culte.» Il fut suivi par neuf maîtres,
le dernier d'entre eux ayant été le gourou Gobind Singh (1666-1708;
gourou de 1675 à 1708). Le panjabi ne fut employé que comme
langue religieuse par les sikhs et, bien sûr, comme langue
vernaculaire par le peuple. La région passa entre les mains des
Moghols à partir de 1526, lorsque Babur vainquit Ibrahim
Lodi, le dernier sultan de Delhi à la bataille de Panipat.
Les Moghols avaient été «persanisés» et islamisés; ils
avaient
introduit en Inde une littérature et une culture
persanes, ainsi qu'une architecture dont le Taj Mahal —
dans l'État de l'Uttar Pradesh — est l'exemple le plus
connu. L'empire moghol marqua l'apogée de l'expansion
musulmane en Inde. Toutefois, si la culture musulmane exerça
une grande influence en Inde, l'islamisation de la
population fut toujours relativement limitée, les Indiens
demeurant de fervents hindous, seule une minorité de la
population indienne s'étant convertie à l'islam.
Après l'assassinat du gourou Gobind (1708), les sikhs furent persécutés
par les musulmans moghols.
Le Panjab allait être intégré dans l'Empire moghol musulman du
XVIe siècle jusqu'au
milieu du XVIIIe
siècle. C'est le persan qui servit
de langue administrative durant toute la domination moghole.
À la mort de l'empereur
moghol Aurangzeb en 1707, les Marathes commencèrent à
affaiblir l'Empire moghol et à étendre leur emprise dans la
région qui est aujourd'hui le Maharashtra, puis entre 1720
et 1760 la plus grande partie du territoire du Madhya
Pradesh actuel. Ensuite, la région se fractionna de nouveau en
petits États, ce qui allait favoriser la colonisation
britannique. En effet, les Britanniques attisèrent la concurrence
entre les différents groupes religieux pour contrôler le
sous-continent.
En ce qui concerne le
Panjab, un chef sikh, Ranjît Singh (1780-1839), réussit à
unifier la région qui était éclatée en de nombreuses entités
sous la direction de nombreux chefs de guerre. En 1799,
Singh avait
rendu le pays indépendant. Il prit alors le titre de maharajadhiraaja
(ou maharaja) en avril 1801 et étendit
progressivement son domaine en annexant Amritsar aux dépens
des Moghols, ainsi que de nombreuses autres villes telles
Ludhiana (1806), Kangra et Jammu (1809), Wazirabad (1810),
Faridkot (1807), Attock (1813) et Multan (1818), pour
occuper ensuite le Cachemire en 1819 et Peshawar
(aujourd'hui au Pakistan) en 1823. En
1836, le Panjab constituait le plus grand empire sikh de l'histoire, mais il allait
bientôt être annexé par les Britanniques en 1849.
Signalons que le Panjab,
même sous le régime du maharaja Ranjit Singh,
le panjabin'a jamais acquis de statut officiel, bien que ce
fût la langue parlée par la majorité de la population. En conséquence,
le persan a occupé la fonction unique de langue administrative,
judiciaire et
juridique. Par la suite, le persan et l'ourdou sont demeurés les langues
véhiculaires et culturelles dominantes chez les élites du Panjab.
3.2 La
colonisation britannique
Les Britanniques administrèrent un territoire
immense, qui s'étend aujourd'hui du Pakistan jusqu'à la Birmanie en
incluant l'Inde et le Bangladesh. Le territoire regroupait des
«provinces» sous administration directe et des États princiers sous
suzeraineté britannique. Trois «présidences» (anglais: "Presidencies")
furent créées: la présidence du Bengale (1773), la
présidence de Madras (1864) et la présidence de Bombay
(1847). Les villes de Calcutta, Madras et Bombay devinrent
des capitales administratives, mais le vice-roi résidait à
Calcutta.
- La
présidence du Bengale
Après trois guerres contre
l'Empire marathe, guerres appelées «guerres
anglo-marathes», les Britanniques s'installèrent dans
l'Inde du Nord et entreprirent la conquête du Panjab. La seconde guerre anglo-sikhe de
1848 à 1849 entraîna la bataille de Gujarat le 21
février 1849, alors que les Britanniques vainquirent les
Sikhs du Panjab avec l'aide des cipayes,
des soldats indiens incorporés dans les troupes de la
Compagnie anglaise des Indes orientales. Le 2 avril
1849,
les Britanniques annexèrent le
Panjab en
tant que nouvelle province de l'Inde britannique, ce qui
comprenait la plus grande partie de l'actuel Haryana. La
province du Panjab fit partie de la «présidence du Bengale.
Les États
princiers du nord (Loharu, Nabha, Jind et Patiala)
furent administrés par l'Agence centrale de l'Inde
("Central India Agency"). Dans ces «provinces»,
l'Administration britannique avait alors juridiction sur
22 districts et 16 principautés; la capitale était
Nagpur.
Dès 1854, un document
intitulé Magna Charta of English Education in India
("Grande Charte de l'enseignement de l'anglais en Inde")
présentait une politique linguistique par laquelle l'anglais
serait utilisé dans le domaine du pouvoir, mais que les
langues vernaculaires seraient employées pour répandre les
connaissances parmi le peuple. La même année, les
fonctionnaires britanniques œuvrant au Panjab avaient
préparé une politique en éducation pour l'enseignement des
langues. Comme l'ourdou était déjà employé dans le
nord-ouest de l'Inde, il a semblé préférable de perpétuer ce
système au lieu de l'anglais. Néanmoins, les «autochtones»
qui étaient employés dans l'administration durent savoir
l'anglais. Le département de l'Instruction publique, créé en
1855, a conservé le persan comme langue des registres et de
l'administration; plus tard, le persan fut remplacé par
l'ourdou qui est devenu la langue d'enseignement pour les
garçons, la langue de l'administration et celle de la
justice aux niveaux inférieurs.
En 1857, les cipayes se révoltèrent
contre l'occupation britannique. Les Sikhs entrèrent
massivement dans l'armée britannique afin de se venger des
cipayes en aidant à mater cette révolte. Les Britanniques
réprimèrent avec succès les rébellions indiennes. En 1858,
le Parlement britannique transféra le pouvoir politique
détenue par la Compagnie des Indes orientales à la Couronne.
L'Haryana fut incorporée au Panjab. Le Royaume-Uni
administra ensuite la majeure partie de l'Inde, tout en
contrôlant le reste au moyen de traités conclus avec les rois
et princes locaux. La reine Victoria fut déclarée
«impératrice des Indes» en 1876. Après la révolte de 1857,
les musulmans du Panjab perdirent leurs privilèges dans
l'administration et l'armée. La fonction publique fut
monopolisée par les hindous; le service militaire, un
privilège des sikhs.
- La question
linguistique au Panjab
Dans le domaine linguistique, les
hindous du Panjab, généralement panjabiphones, avaient été
instruits par les Britanniques en ourdou et en anglais afin d'occuper les
diverses tâches
administratives. Par réaction à
cette imposition, les hindous demandèrent de remplacer
l'ourdou par l'hindi jugé plus apte pour eux que l'ourdou
trop associé à l'islam. Au début, ce mouvement pro-hindi était purement
d'ordre politico-religieux et soutenu principalement par l'Arya Samaj,
un organisme fondé en 1875, à Bombay, par Dayananda Sarasvati, afin
de promouvoir la renaissance de l'hindouisme dans une future Inde
indépendante. L'Arya Sama combattit pour remplacer le statut
officiel de l'ourdou et son alphabet arabo-persan par l'hindi et
l'alphabet devanagari, dans le but de promouvoir
l'hindi et l'identité hindoue. La question
linguistique et religieuse s'est vite transposée au plan politique. Aussitôt, l'Anjumun-e-Islamiya de
Lahore, qui défendait les droits des musulmans, protesta
contre cette demande parce qu'elle visait à évincer les
musulmans du Panjab. La Ligue musulmane tint une
assemblée à Amritsar pour condamner cette position. Mais
elle considéra aussi que le panjabi était tout aussi indigne
d'emploi comme langue d'enseignement à tous les niveaux,
puisque la multiplicité des dialectes constituaient à leurs
yeux un grave
défaut. Beaucoup de musulmans crurent même que la
promotion du panjabi constituait une conspiration pour
détruire l'ourdou et les musulmans. Pendant ce temps,
l'anglais était de plus en plus employé par l'administration
coloniale. L'influence de cette langue allait se faire
sentir encore davantage avec les années.
En 1891, le commissaire du district de
Shahpur, J. Wilson, voulut trouver une solution de rechange
à l'enseignement de l'ourdou au Panjab. Selon lui, le haut
taux d'analphabétisme (plus de 90 %) dans cette région était
causé par l'emploi de l'ourdou et de l'alphabet persan, une
langue et une écriture ignorées par trop de Panjabi. De fait,
fort peu de jeunes Panjabi savaient lire et écrire l'ourdou.
Cependant, devant la profusion des variétés dialectales du
panjabi, les autorités coloniales refusèrent de recourir à
cette langue non standardisée. Pour les Britanniques,
les nombreux dialectes du panjabi était simplement des
«mélanges barbares d'hindi et de persan», dont l'ourdou était
le modèle pur ("barbarian mixtures of Hindee and Persian of
which Oordoo is the pure type").
Par ailleurs, les Britanniques ne
pouvaient ignorer que le panjabi était la langue parlée par
17 millions de leur «sujets» du Panjab. Dans une note rédigée en 1909
("Committee on Oriental Studies in London", Appendix
XIII, part. XX,
1909, p. 116), il était écrit ce qui suit:
Panjabi is of special importance as being the
language of our Sikh soldiers. It is of the
greatest importance that the officers in Sikh
regiments should be able to converse freely in
Panjabi. Too many of of them employ Hindustani.
There is a great deal of tea grown in the
Northern Panjab. The European employed there
must be able to speak Panjabi.
[Le
panjabi est d'une importance spéciale comme
langue de nos soldats sikhs. Il est de la plus
haute importance que les officiers dans les
régiments sikhs soient capables de converser
librement en panjabi. Trop d'entre eux utilisent
l'hindoustani. Il y a beaucoup de thé à cultiver
dans le Panjab du Nord. Les Européens qui y sont
employés doivent être capable de parler le
panjabi.]
- La
concurrence linguistique
En réalité, les
Britanniques ne firent rien en faveur du panjabi pour
la simple raison qu'ils ont préféré l'ourdou déjà
utilisé dans tout le nord de l'Inde. Ils n'employaient
pas à cette époque de sikhs dans l'administration et fort
peu dans l'armée; ils leur préféraient les hindous réputés
plus pacifiques. Au
début, les tribunaux tentèrent bien d'imposer l'anglais,
mais les Britanniques se rendirent compte qu'il n'était
pas possible de traduire en anglais de très nombreux mots
locaux et expressions particulières; dans les
circonstances, l'anglais s'est avéré un instrument
inadéquat. D'où l'intérêt pour l'ourdou, comme langue
véhiculaire et administrative.
Les Britanniques
partageaient les préjugés des hindous à l'égard des sikhs
et du panjabi. Comme eux, ils croyaient que le panjabi
était un patois rural (anglais: "rural patois"),
dont l'ourdou était la forme raffinée. Il faut dire aussi
que les officiers britanniques se méfiaient de l'écriture gurmukhi du panjabi parce qu'elle était le symbole de l'identité
religieuse des sikhs.Dans une lettre en date du 2
Juin 1862, Robert Cust, un officier britannique en poste
au Panjab, préconisa l'usage du panjabi écrit avec
l'alphabet gourmoukhi pour la simple raison que c'était la langue
vernaculaire et que les Britanniques devraient la
soutenir. Cette suggestion a été vite désavouée par les
autres officiers qui estimèrent que le panjabi était
«simplement un dialecte de l'ourdou» ("merely a dialect of
Urdu"). Bref, les Britanniques ne prirent jamais au
sérieux la proposition de Robert Crust. Ils croyaient que,
de toute façon, les sikhs comprenaient l'hindoustani,
alors que les musulmans ignoraient le panjabi. Dans une
lettre datée du 16 juin 1982, le représentant du commissariat de Delhi
écrivait au gouverneur du Panjab les mots suivants:
Any
measure which would revive the Goormukhee which is
the written Pujabee tongue, would be a political
error.
[Toute
mesure qui ferait revivre le gurmukhi, qui est
l'écriture de la langue panjabi, serait une erreur
politique.]
Seuls les
missionnaires anglais employèrent le panjabi auprès de
la population dans le but de convertir les sikhs à
la religion chrétienne et à leur enseigner la Bible. Lorsque
la commission Hunter a été instituée en 1882 pour choisir
la langue d'enseignement dans les établissements scolaires
du Panjab, elle évoqua la possibilité de trouver une
solution au conflits entre les trois grandes communautés
religieuses. Les musulmans avaient choisi en bloc l'ourdou
et l'alphabet persan, alors que les hindous appuyaient
l'hindi parlé par la majorité et l'alphabet devanagari,
mais seuls les sikhs s'identifiaient au panjabi et à
l'alphabet gourmoukhi. Le 28 avril 1882, l'Association
nationale sikhe de Lahore adressa une pétition à M.
Charles Aitchison, le gouverneur du Panjab, afin de faire
du panjabi avec l'alphabet gourmoukhi la langue
d'enseignement au moins pour la communauté sikhe. Le
gouverneur a répondu qu'une telle mesure nuirait aux
sikhs:
To
exclude the children of the Sikhs from instruction
in Urdu would be to place them under very serious
disadvantages. Without a knowledge of Urdu it would
be impossible to advance beyond the most elementary
education, and to continue their studies in the
middle and high schools. They would be shut out from
access to an excellent, large, and daily increasing
literature, and they would be placed at a great
disadvantage with their countrymen in the business
of life.
[Exclure
les enfants sikhs de l'instruction en ourdou serait
les placer dans de très graves inconvénients. Sans
une connaissance de l'ourdou, il serait impossible
d'aller au-delà de l'enseignement le plus
élémentaire et de poursuivre leurs études en
enseignement moyen et secondaire. Ils seraient
privés de l'accès à une littérature excellente,
grande et quotidiennement progressive, et se
trouveraient placés dans un grand désavantage par
rapport à leurs concitoyens dans les affaires de la
vie.]
Le point de vue du
gouverneur était que l'enseignement du panjabi
entraînerait un effet de ghettoïsation. Il oubliait que
toutes les communautés voulaient privilégier une langue
particulière — le panjabi pour les sikhs, l'ourdou pour
les musulmans et l'hindi pour les hindous — et que le
choix d'une des trois langues auraient en principe le même
effet. En réalité, toute tentative destinée à autoriser le
panjabi ou l'hindi était interprétée comme une attaque
contre les musulmans. Mais exclure ces langues était un
signe de mépris à l'égard des hindous et des sikhs.
Toutes les
propositions de promouvoir le panjabi furent rejetées
par les autorités coloniales qui espéraient même la
disparition du panjabi. Ainsi, le juge divisionnaire
du district de Jullundur, A.W. Stogdon, écrivit ces
mots, le 3 août 1895 (cité
par Chaudhary, 1977):
As
for the encouragement of Punjabi, I am of the
opinion that it is an uncouth dialect not fit to
be a permanent language, and the sooner it is
driven out by Urdu the better.
[Quant à l'encouragement du panjabi, je suis
d'avis que c'est un dialecte rustique inapte à
devenir une langue permanente et le plus tôt
qu'il sera chassé par l'ourdou sera le mieux.]
Il fallut attendre en 1911 pour
que le maharaja de Patiala (PEPSU),
l'un des États princiers du Panjab, accorde au panjabi
le statut de langue co-officielle avec l'ourdou.
Cependant, le petit État princier de Patiala ne
couvrait qu'une minuscule superficie dans le Grand
Panjab britannique.
En avril 1919, les autorités
britanniques coloniales commirent l'erreur de faire charger l'armée
contre une foule de 10 000 personnes manifestant
pacifiquement à Amritsar. Les centaines de morts et de
blessés causèrent une certaine rupture entre les élites
sikhes et hindoues, et les colonisateurs britanniques. Les
exigences des hindous furent abandonnées avec le résultat
que l'ourdou a pu maintenir sa dominance au Panjab jusqu'en
1947.
Signalons que, avec le
temps, les Britanniques avaient changé leurs positions à
l'égard des communautés religieuses. Au début du
XXe siècle,
la sympathie des Britanniques avait commencé à changer.
Devant le mécontentement des hindous et des sikhs à l'égard
du colonialisme britannique, les autorités jugèrent qu'elles
devaient dorénavant s'allier aux musulmans afin de contrer
la montée nationaliste des autres communautés. Avec la
fondation en 1913 d'un mouvement pro-indépendance, donc anti-britannique, le Ghadar, mot ourdou et panjabi
signifiant «révolte» ou «rébellion», la sympathie à l'égard
des sikhs s'est considérablement atténuée. C'est pourquoi
les Britanniques se sont mis à soutenir la
Ligue musulmane ("All
India Muslim League").
- Les langues
d'enseignement
La commission Simon, instituée en 1927
afin de proposer une réforme constitutionnelle pour la
colonie, publia son rapport de 17 volumes en 1930, mais les
commissaires britanniques rejetèrent la demande de faire de
l'hindi ou du panjabi des langues d'enseignement au niveau
primaire dans les écoles du Panjab britannique. En somme,
les Britanniques furent responsables de la désintégration du
régime politique des Sikhs du Panjab; il en résultera une
profonde blessure qui modifiera de façon irréversible le
destin des Sikhs et du Panjab. La réputation de «lions du
Panjab» en souffrit énormément, car les Sikhs avaient
toujours été de formidables guerriers. Mais il faut surtout
retenir que la colonisation britannique au Panjab a permis
de transformer les langues et les religions en armes de
combat pour l'identité des trois principales communautés.
C'est ainsi que les hindous se sont identifiés à l'hindi
(alphabet devanagari), les sikhs au panjabi (alphabet
gourmoukhi) et les musulmans à l'ourdou (alphabet arabo-persan).
Plusieurs historiens ont pu parler alors des «trois Panjabs»
: celui des sikhs, celui des hindous et celui des musulmans.
Cela ne signifie pas que ces trois communautés furent
toujours hostiles l'une envers l'autre. Il est aussi arrivé
qu'elles s'unissent contre les Anglais, mais la vie
politique dans la Panjab britannique s'est principalement
organisée sur une base religieuse, selon le principe de
«diviser pour régner». Quoi qu'il en soit, l'enseignement du
panjabi est devenu obligatoire en 1942, à la veille de
l'indépendance, dans les écoles primaires publiques.
Le XXe siècle fut celui de la
décolonisation à la suite des nombreux mouvements
indépendantistes qui eurent lieu dans toute l'Inde. Dès
1927, le Congrès indien avait réclamé l'indépendance. La fin de la
Seconde Guerre mondiale a amené les Britanniques à réaliser
que l'indépendance était inévitable: ils n'avait plus le
pouvoir ou la volonté de maintenir un si vaste empire, le
«joyau de la Couronne britannique».
3.3 Le Panjab après
l'indépendance
Le 15 août 1947, l'Inde obtint son indépendance et Nehru
fut désigné comme premier ministre. La même année, eut lieu la
partition des Indes, selon les dispositions du plan
Mountbatten, qui créait l'Inde et le Pakistan,
auparavant la province de l'Inde britannique du Panjab. La
partie occidentale, peuplée majoritairement de musulmans,
revint au Pakistan, ce qui sera le Panjab pakistanais,
tandis que la partie orientale, majoritairement sikhe ou
hindoue, revint à l'Inde (le Panjab indien). Six millions de sikhs et d'hindous
durent fuir le Panjab pakistanais et se réfugier au Panjab
indien. Avant l'indépendance de l'Inde (1947), les hindous panjabiphones du Panjab employaient l'ourdou
comme langue de l'administration, du commerce et du journalisme.
L'ourdou était aussi la principale langue d'expression littéraire dans
le Panjab britannique, alors que le panjabi demeurait uniquement une langue parlée.
Mais les sikhs préféraient le panjabi, et ils se sentaient
lésés du fait que leur langue était ignorée par les hindous
pourtant panjabiphones comme eux.
- La partition et
ses conséquences
La partition de l'Inde et du Panjab
lui-même éclaté entre deux États rivaux, l'Inde et la
Pakistan, allait jouer un rôle déterminant pour les Sikhs. Dans cette nouvelle configuration, les Sikhs
demandèrent la création d'un État indépendant, le Sikhistan,
qui ne vit jamais le jour.
Dans une Inde officiellement laïque et traumatisée par la
partition de 1947, il était anticonstitutionnel de réclamer un
territoire autonome sur la base d'une religion, par exemple
le sikhisme.
Cependant, le gouvernement indien était favorable à la modification des
tracés des frontières des États de l'Union sur une base
linguistique.
En 1950, deux États panjabi
furent créés: la Panjab lui-même et les principautés
panjabi intégrées dans un ensemble appelé Patiala and East Punjab States Union (PEPSU),
où les Sikhs représentaient la moitié des citoyens. Ils
obtenaient ainsi un territoire, peut-être plus réduit,
mais au moins reconnu et dans lequel ils étaient presque
majoritaires.
Quant à l'ancienne capitale, Lahore,
qui était maintenant sur le territoire du Pakistan, le
gouvernement indien décida d'en construire une nouvelle. Le
premier ministre de l'Inde, Jawaharlal Nehru, confia à
l'architecte français Le Corbusier la tâche de
construire en 1951 la capitale du Panjab à Chandigarh,
planifiée comme une «ville nouvelle, symbole de la
liberté de l'Inde libérée des traditions et du passé
[...] qui soit une expression de la confiance de la
Nation en son avenir». Le projet prit dix ans à se
matérialiser. De nouveaux changements concernant le
statut de la capitale du Panjab allaient être imposés
par le gouvernement central au grand dam des Sikhs.
- La confrontation
linguistique
La grande majorité des musulmans du
Panjab avait immigré dans le Panjab pakistanais, alors que
toute la population sikhe ainsi que les hindous du Panjab occidental
avaient gagné le Panjab indien. Dans l'ancien Panjab britannique
(ou Panjab uni), les sikhs, en tant
que petite minorité, s'étaient associés aux hindous également
minoritaires pour faire face à la majorité musulmane. Cependant, dans le Panjab
indien, la confrontation
linguistique ourdou-hindi se transforma en conflit panjabi-hindi, ce qui
entraîna le problème de la langue officielle du nouvel État.
Fallait-il privilégier l'hindi ou le panjabi, ou les deux
langues? Ce conflit
s'accompagna de rapports
tendus entre les hindous et les sikhs, un problème inexistant au
cours du régime britannique, puisque la lutte a été
principalement limitée aux deux groupes religieux principaux, les hindous et
les musulmans. Dans le nouveau Panjab indien, les hindous majoritaires
s'identifièrent à l'hindi,
alors que les musulmans du Panjab pakistanais abandonnèrent le panjabi
pour privilégier l'ourdou comme le symbole de leur identité ethnique
et religieuse; l'ourdou, répétons-le, avait été nettement avantagé par les
Britanniques qui s'en servaient comme langue
administrative de préférence au panjabi. Par réaction aux sikhs, les hindous du Panjab indien
se replièrent sur l'hindi, tandis que les sikhs recouraient au panjabi comme symbole de
leur identité culturelle et
politique. La religion, la langue et la politique s'entremêlèrent en
entraînant un long conflit entre hindous et sikhs, ce qui
donna naissance au séparatisme sikh. En fait, les dirigeants des
partis politiques exploitèrent les questions religieuses et
ethniques, afin de susciter des sentiments
nationalistes favorisant leurs propres intérêts, c'est-à-dire
l'aspiration à des demandes politiques autonomistes.
Dans le Panjab d'après la partition,
les parents avaient la possibilité de déclarer l'hindi comme
langue maternelle pour leurs enfants dans les secteurs panjabiphones et hindiphones.
Il s'agissait de ce qu'on a appelé la «formule Sachar» (Bhim Sen Sachar était alors le premier ministre du Panjab).
Le panjabi comme langue maternelle et comme
langue d'enseignement était autorisé dès la première année et
l'hindi comme langue seconde à la quatrième. Comme le choix
de la langue d'enseignement a été laissé aux parents, les
hindous ont ainsi opté librement pour l'hindi et les sikhs
pour le panjabi.
Au cours des décennies cinquante et soixante,
le conflit linguistique du Panjab indien
s'est orienté autour de trois
questions. Ce fut d'abord le statut de la langue
panjabi. Les hindous soutenaient que le panjabi n'était pas une
véritable «langue», qu'il n'était qu'un dialecte de l'hindi sans une
forte tradition
littéraire, ce qui empêchait le panjabi d'être élevé au statut
d'une langue officielle en raison de son «arriération». Le
second motif invoqué par les hindous reposait sur le fait que le panjabi n'avait pas
d'alphabet propre. Finalement, les hindous revendiquaient
l'hindi comme leur langue maternelle partout dans le Panjab. En
réalité, les hindous rejetaient le panjabi parce que l'hindi était à
la fois la langue
de leur discours religieux et le symbole de leur dominance
politique. Sous le régime britannique, les hindous avaient combattu l'ourdou pour favoriser
l'hindi; cette fois, c'était au tour du panjabi. Or, de l'avis
de nombreux linguistes (Grierson, Gumperz, Pandit, Srivastva
et Pattanayak), le panjabi constitue bel et bien une langue
distincte de l'hindi, avec son propre système grammatical et
son lexique. En reléguant le panjabi au rang de
dialecte, il devenait inopportun de lui accorder le statut de langue
officielle. Seuls les États du PEPSU avaient
réussi en 1954 à imposer le panjabi comme langue d'enseignement,
soit comme première langue de la
première année du primaire et au-delà dans la zone panjabiphone; en
même temps,
l'hindi est devenu une matière obligatoire à partir de la
troisième année du primaire.
La question linguistique s'est envenimée avec
les opérations de recensement de 1951 et 1961, alors que les hindous
du Panjab décidèrent d'enregistrer l'hindi comme leur langue
maternelle au lieu du panjabi. Les hindous étaient si préoccupés de
combattre l'ourdou associé à l'islam que seul l'hindi leur
paraissait apte à tenir tête à l'ourdou. Pour les hindous panjabiphones, la religion eut préséance sur la langue, puisqu'ils
choisirent l'hindi pour des motifs religieux, quitte à maintenir
leur propre langue sans statut. Dès lors, le panjabi s'est
transformé en arme de combat politique, particulièrement pour les
sikhs, tandis que l'hindi est devenu une arme pour les
hindous.
Dans les recensements, les autorités sikhes,
pour leur part, recommandaient vivement à leurs coreligionnaires
d'enregistrer le panjabi comme leur langue maternelle. Les journaux
des deux grandes communautés, alors principalement publiés en
ourdou, firent appel à leurs membres respectifs afin d'affirmer leur loyauté à l'égard de leur langue maternelle. Puis
les médias sikhs ont commencé à exprimer la crainte que la religion
sikhe pouvait être en danger, parce que la puissante religion
hindoue allait absorber toutes les autres religions minoritaires. De
l'autre côté, les journaux hindous propageaient l'idée que les sikhs
étaient des «traîtres», du fait qu'ils voulaient fonder leur propre
État indépendant, le Khalistan (la «terre des purs»).
- La délimitation
des frontières linguistiques
En 1953, la gouvernement
indien avait créé la States Reorganisation
Commission (Commission
sur la réorganisation des États) ou SRC, afin de délimiter les frontières
linguistiques des États de l’Union indienne et
répondre ainsi aux exigences des communautés
revendiquant un redécoupage territorial obéissant au
critère de l'homogénéité linguistique. En
1955, la SRC rejeta la demande sikhe sous prétexte que le panjabi ne se distinguait pas grammaticalement de l’hindi
et qu'il n'obtenait pas
une majorité de locuteurs dans la territoire considéré.
En 1956,
le gouvernement indien décida d'agrandir le
territoire du Panjab en
lui annexant le PEPSU
(Patiala and East Punjab States Union)
et l’Himachal Pradesh, afin de
couper court à la
revendication territoriale sikhe par l’augmentation du
nombre des hindous sur le même territoire administratif. En
même temps, plusieurs districts himalayens
traditionnellement reliés au Panjab étaient
intégrés à l'État de l'Himachal Pradesh.
À la suite du recensement de 1961, le
mouvement pro-hindi avait réussi à réduire substantiellement, du
moins sur papier, le nombre des locuteurs du panjabi,
lesquels apparaissaient minoritaires pour la première
fois dans l'histoire des recensements. De moins de 60
% en 1951, les locuteurs du panjabi étaient passés en
1961 à plus de 40 % de la population du Panjab. Quant
aux sikhs, ils devenaient une petite minorité dans
l'État, aux prises avec des hindous officiellement hindiphones
et majoritaires.
Comprenant que les hindous désiraient
contrôler le pouvoir politique, les sikhs lancèrent un mouvement
pour la réorganisation linguistique du Panjab, comme cela avait été
fait dans d'autres parties du pays. Leur intention réelle était de
former un État à majorité sikhe et officiellement panjabiphone au
sein de l'Union indienne: c'était la Punjabi Suba (province
panjabiphone). En 1960, le Panjab avait adopté sa première loi
linguistique: la Punjab Official Language Act (Loi sur la
langue officielle du Panjab). L'élément central de cette loi était de déclarer
que le panjabi avec l'alphabet gourmoukhi et l'hindi avec l'alphabet
devanagari étaient les langues officielles de l'État. Cette loi ne fut
pas appliquée très longtemps, car les conflits internes ont tôt fait
de stopper l'application de la loi. Les partisans de la langue
panjabi durent aussi composer avec les réserves du premier ministre
Nehru qui déclarait en 1961 au leader sikh Fateh Singh:
It is not
out of any discrimination against the Punjab or
distrust of the Sikhs that the process of forming a
linguistic state was not possible. … Punjabi was
essentially the dominant language of the Punjab state,
common to both Hindus and Sikhs, though it is not
possible to accept the principle of purely linguistic
states in the case of Punjab.
Il n'y a
aucune discrimination contre le Panjab ou de méfiance
envers les sikhs pour que le processus de former un
État linguistique ne soit possible. […] Le panjabi est
essentiellement la langue dominante de l'État du
Panjab, commune à la fois aux hindous et aux sikhs,
quoiqu'il ne soit pas possible d'accepter le principe
d'État purement linguistique dans le cas du Panjab.
Il fallait donc redécouper le Panjab afin de
rendre possible l'attribution du panjabi au Panjab, afin de ne pas
défavoriser les hindiphones et les ourdouphones.
- La restructuration du Panjab
de 1966 et ses conséquences
À la suite de la guerre de 1965 entre le Pakistan
et l'Inde, le
Panjab est apparu à nouveau comme une région hautement
stratégique, qu'il convenait de ménager, et ce, d'autant
plus que les soldats sikhs avaient rendu de bons et loyaux services
à l'Union. De plus, l'année 1966 vit l'arrivée d'Indira Gandhi comme
première ministre de l'Inde, qui succédait à Lal Bahadur Shashi,
lequel s'était toujours opposé à la Punjabi Suba.
Dans les circonstances, le leader duShiromani Akali Dal
(parti religieux Akali ou SAD), Fateh Singh, obtint plus facilement
gain de cause, le patriotisme sikh ne pouvant plus être mis en
doute. C'est pourquoi, en novembre 1966, le Parlement indien accorda
au Panjab la Punjabi Suba, c'est-à-dire la province
panjabiphone.
Toutefois, la
Punjabi Suba concédée ne correspondait guère aux
aspirations des Sikhs. Ce fut plutôt une douche froide
chez les Sikhs. D'abord, l'État indien du Panjab a été divisé en
trois — le Panjab, l'Himachal Pradesh et l'Haryana —, sur la
base du recensement de 1961, lequel avait été «biaisé» par les hindous
comme en 1951, de sorte que les frontières dites «linguistiques»
correspondaient aussi à des frontières «religieuses» entre sikhs et
hindous. Le nouveau Panjab, plus petit, se trouvait certes à
majorité sikhe (mais seulement à 60 %) et à forte
majorité panjabiphone (près de 90 %). Une population
massivement panjabiphone, mais à faible majorité
sikhe, avec un contrôle politique limité. En
contrepartie, la partition de 1966 excluait tous les
panjabiphones résidant à l'extérieur du Panjab, que ce
soit en Haryana, en Himachal Pradesh, au Jammu-et-Cachemire, au Rajasthan et à
Delhi. Les décennies suivantes allaient démontrer que ces
panjabiphones allaient changer de langue et s'assimiler.
De plus, le Panjab rétréci se
trouvait à être placé sous la
surveillance du gouvernement central du fait que sa capitale, Chandigarh,
était constituée en
«territoire de l’Union» (comme Delhi, Goa ou Pondichéry),
à l'extérieur du Panjab. En effet, le
Parlement indien avait décidé que la capitale du Panjab
allait être située à la frontière du Panjab et de
l’Haryana, tout en étant partagée par ces deux États.
L'attitude ambivalente du gouvernement indien envers
l'État du Panjab s'expliquait aisément. Il fallait ménager les
Sikhs pour plusieurs raisons. Premièrement, l'importance géopolitique
du Panjab était indéniable pour l'Inde. Les
seules routes indiennes reliant l'Inde du Nord au Cachemire,
une zone de conflits armés entre l'Inde et le Pakistan, voire
avec la Chine, passaient toutes par le Panjab. Deuxièmement, le
Panjab était en train de devenir le grenier à céréales de l'Inde,
en produisant suffisamment de blé et de riz pour
permettre à l'Inde d'atteindre
l'autosuffisance alimentaire et se hisser bientôt au rang des grandes puissances
industrielles. En même temps, les Indiens se méfiaient des
Sikhs. Les décisions du gouvernement central
humilièrent profondément les Sikhs, alors que le sentiment
nationaliste identitaire était à son paroxysme avec la
création de la Punjabi Suba. Par ailleurs, les
hindous furent offusqués devant les concessions faites aux
sikhs.
- La législation
linguistique
Lors de la réorganisation du 1er novembre 1966, l'État du
Panjab est devenu un État unilingue panjabiphone. Avec l'adoption de
la
Loi sur la langue
officielle du Panjab de 1967,
le panjabi est devenu la seule langue officielle du territoire,
et ce, à partir
du 13 avril
1968 dans tout l'État. Le 2 juillet 1969, le gouvernement local
prit la décision de remplacer la «formule Sachar» et la «formule
PEPSU» par la formule
trilingue. Selon cette décision, la panjabi est
devenu la première langue obligatoire et la langue d'enseignement à
toutes les étapes dans les écoles publiques. L'hindi était la seconde langue obligatoire
à partir de la quatrième année,
tandis que l'anglais était la troisième langue obligatoire à partir de
la
sixième année.
Au cours des années suivantes, des manifestations
massives des deux côtés et des grèves de la faim se
succédèrent pour réclamer Chandigarh, la capitale. En 1970, le président
du SAD, Fateh Singh, proposa à New Delhi d'échanger Chandigarh contre 114
villages à majorité hindiphone des secteurs de Fazilka et d'Abohar,
avec un corridor d'accès à travers le Panjab, sous le
contrôle de l'Haryana, mais cette proposition provoqua une période
d'instabilité au Panjab. En raison des nombreuses
perturbations sociales et politiques, le gouvernement
central décida en juin 1971 d'administrer directement le
Panjab des Sikhs, une situation qui perdura jusqu'en mars 1972.
Puis le CNI (Congrès national indien) reprit le pouvoir au Panjab
et, à partir de ce moment, le Panjab entra dans une période
de «turbulences», notamment à cause du refus du CNI de
négocier avec les Sikhs modérés sur la question de
Chandigarh. En fait, les dirigeants du Shiromani
Akali Dal avaient une longue liste de
revendications:
- l'attribution d'un statut
d'autonomie à l'État du Panjab;
- l'octroi de Chandigarh au seul État du Panjab:
- la concession des régions panjabiphones adjacentes au
Panjab;
- l'attribution du statut de seconde langue officielle au
panjabi dans les États voisins de l'Hryana et de l'Himachal
Pradesh.
Ces revendications de 1978 parurent
trop ambitieuses pour les hindous et le gouvernement central.
Elles scellèrent le clivage entre les hindous et les sikhs.
En 1967, le Panjab avait adopté une seconde loi linguistique
abrogeant la première: la
Loi sur la langue
officielle
(Punjab Official Language Act). La
loi de 1967 proclamait le panjabi comme seule langue officielle
tout en autorisant indirectement l'hindi dans certains
districts et l'ourdou dans un cas. En fait, la loi ne
précisait pas quelle langue devait être utilisée dans ces
districts, mais plutôt quelle religion (hindoue ou sikhe)
était autorisée. Le panjabi est devenu la
première langue obligatoire et la langue d'enseignement dans
les écoles, l'hindi la deuxième langue obligatoire, et
l'anglais la troisième langue obligatoire. La loi prévoyait
remplacer l'anglais dans l'administration par le panjabi.
L'article 8 de la loi exigeait de la part du gouvernement de
prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir l'hindi
dans l'État, sans accorder à cette langue un statut
officiel. Quoi qu'il en soit, les divers gouvernements en
place ont manqué de conviction et de volonté politique pour
mettre en application les dispositions de cette loi.
- Le terrorisme sikh
C'est à cette époque qu'un prédicateur
sikh, Jamail Singh Bhindranwale, fonda un mouvement
intégriste, le Dal Khalsa,
revendiquant un État-nation sikh, indépendant et souverain.
Contrairement aux autres organismes, le Dal Khasa
préconisait le recours à la force pour parvenir à ses fins,
comme en témoigne le détournement d'un appareil d'Indian
Airlines, le 29 septembre 1981. Ce mouvement fut interdit en
Inde dès le mois de mai 1982, en vertu de la Unlawful
Activities Prevention Act (Loi sur la prévention des
activités illégales) et donnant les pleins pouvoirs aux
forces de l’ordre, au mépris de l’article 19 de la
Constitution indienne, qui garantissait la liberté d’expression.
Puis les conflits entre les hindous et
les sikhs se répandirent dans tout le Panjab. C'est alors
que le gouvernement
central reprit le contrôle direct de l'État du Panjab en 1983.
L'année suivante, une force de 50 000 soldats fédéraux
occupèrent le Panjab et l'État voisin
de l'Haryana.
Loin de calmer le jeu, l'arrivée des
forces armées indiennes (fédérales) provoqua une violence généralisée.
Le 5 juin 1984, l'armée indienne occupa le Temple d'or
d'Amritsar, le haut lieu du sikhisme, dans le cadre d'une
opération militaire (Blue Star) commandée par le
gouvernement central (Indira Gandhi). Un groupe
d'indépendantistes armés, dirigés par Jarnail Singh
Bhindranwale, s'était réfugié dans le Temple d'or. Après
l'échec des négociations et le refus des militants
nationalistes de se retirer dans le calme, Mme Indira Gandhi
ordonna l'évacuation du temple. Une fusillade s'ensuivit
avec comme résultat, selon les historiens, plusieurs
centaines de morts et de blessés (700 pour les soldats,
5000 pour les sikhs). Le problème, c'est que les militants
sikhs n'étaient qu'une poignée d'hommes, le temple étant
rempli de pèlerins, dont des femmes et des enfants. À cela
s'ajoutaient la destruction de bâtiments sacrés et
l'incendie de la bibliothèque centrale sikhe. Évidemment,
les sikhs considérèrent la violation de leur lieu saint
comme une insulte suprême.
Quelques mois plus tard, le 31
octobre, Indira Gandhi était assassinée par ses gardes du
corps sikhs. En représailles, plusieurs milliers de sikhs
furent massacrés dans toute l'Inde par des hindous, avec le
soutien du Congrès national indien et de la police dans des
circonstances suspectes. Des milliers de domiciles de sikhs
furent pillés et incendiés, des femmes violées. Ces
actes exacerbèrent la polarisation et la violence entre
les communautés sikhes et hindoues.
Les organisations politico-militaires de la cause khalistanaise
répliquèrent avec une
politique terroriste de masse, à laquelle correspondaient
les exécutions extra-judiciaires de la
police indienne. Les combattants sikhs imposèrent à leur
population une multitude de codes religieux
rigoureux assortis de châtiments. Ces interdits
portaient, par exemple, sur la consommation de tabac, d'alcool
et de viande, sur le port de vêtements occidentaux, sur l'obligation faite aux femmes de
se vêtir d'habits «traditionnels», sur le port d'une
barbe non taillée, sur le bannissement des cosmétiques,
des jupes, etc. Puis les combattants sikhs se mirent à
menacer de mort les
enseignants et à contrôler les programmes scolaires; l'hymne national, les drapeaux indiens
et
l'hindi furent interdits. À la suite de ce dérapage
généralisé des groupes politico-militaires sikhs, ceux-ci se sont divisés et
entretués. En novembre 1991, neuf divisions de l'armée
indienne occupèrent tout le Panjab: quelque 250 000 militaires et
paramilitaires participèrent à cette opération.
Ce n'est plus un secret de
polichinelle: le Pakistan
servait de principal soutien
aux groupes indépendantistes. Les armes, l'argent et les
conseils des stratèges provenaient des services secrets
pakistanais. Il s'agissait pour le Pakistan de se servir des groupes armés
séparatistes sikhs afin de déstabiliser les
autorités indiennes.
- Le retour du gouvernement
local au Panjab
Devant le pourrissement de la situation, le gouvernement
indien décida en 1992 de redonner son gouvernement local au Panjab. En 1993, le gouvernement du Panjab
annonçait qu'il avait éradiqué le terrorisme sikh. Certes,
le terrorisme sikh est beaucoup moins présent qu'il ne
l'était il y a une dizaine d'années, mais il n'est pas
disparu pour autant. Chose certaine, le mouvement terroriste
sikh a perdu beaucoup de ses appuis.
Depuis le début de la décennie 2000,
le Panjab reçoit de plus en plus d'immigrants en provenance
des autres États. Environ 10 % de la population du Panjab
est maintenant composée de migrants de l'Uttar Pradesh et du
Bihar. Si la tendance se maintient, les sikhs deviendront
bientôt une minorité dans leur État. Certains observateurs
affirment que l'immigration incontrôlée est encouragée par
le gouvernement central afin de minoriser les sikhs.
L'organisation pro-Khalistan Dal Khalsa blâme le
gouvernement pour les problème causés par la criminalité et
le chômage engendrés par l'immigration. Par ailleurs,
l'immigration semble essentielle pour l'économie du Panjab
puisque les producteurs agricoles comptent toujours sur la
main d'œuvre des immigrants pour le travail.
Le 10 septembre 2008, l'Assemblée législative de
l'État adoptait à l'unanimité la Punjab Official Language (Amendment),
la Loi sur la langue officielle (modification). Cette
loi, qui était attendue depuis plusieurs décennies, ouvrait
la voie à une utilisation «complète» du panjabi dans
l'administration de l'État, c'est-à-dire que le
panjabi devenait obligatoire dans les écoles et
l'administration publique locale. Cette loi est apparue nécessaire devant le
recul de la langue panjabi dans l'État des sikhs.
Dorénavant, dès le mois d'avril 2009, la panjabi était
enseigné à tous les élèves des classes de I à X, comme l'une
des matières obligatoires.
4 La politique linguistique
Il n'est pas aisé de décrire la
politique linguistique de l'État du Panjab. D'une part, les
information sont parcellaires, d'autre part, les textes de
loi ne sont pas tous disponibles (du moins en anglais).
De plus, l'État du Panjab n'a jamais donné de renseignements
pertinents concernant les langues en usage au commissaire aux minorités
linguistiques
(«Commissioner
Linguistic Minorities» du gouvernement central.
Enfin, la politique linguistique du
Panjab indien est dans une phase de restructuration. Elle
est donc appelée à se transformer considérablement au cours
des prochaines années.
En principe, avec l'adoption de la
Loi sur la langue
officielle
de 1967
(Punjab Official Languages Act),
le panjabi devenait la seule langue officielle, sauf pour les
exceptions prévues pour l'hindi, l'ourdou et l'anglais. En
effet, l'hindi était co-officiel dans quelques districts, et
l'ourdou, dans un seul (Malerkotla). Quant à l'anglais, il
pouvait être utilisé pour les transactions des affaires de
la Législature de l'État.
L'article 3 de laLoi sur la langue
officielle
(1967) proclamait que le panjabi étant la langue officielle
de l'État du Panjab:
Article 3
Le panjabi comme langue officielle de
l'État
La langue officielle de l'État du
Panjab est le panjabi.
Emploi de la langue dans lesprojets de loi et autres
À compter dela présente date, le
gouvernement de l'Étatpeut,
par un avis,nommer
à cet effet la langueà utiliser
:
(a) dans tous
lesprojets de loiintroduitsou
dans les amendementsqui doivent
être déposésà l'Assemblée
législativede l'État;
(b) toutes
les lois adoptéespar l'Assemblée législativedel'État;
(c) toutes
lesordonnances promulguéespar le gouverneur
en vertu de l'article213 de la
Constitution;et
(d) toutes
lesordonnances etrègles, tous les règlements ettextes d'applicationémis par le
gouvernement de l'Étaten vertu de
laConstitutionou en vertud'une
loi adoptée par le Parlement oula
Législature del'État;
doit être le panjabi :
À condition que le
gouvernement de l'Étatpuisse désigner
des dates différentesen ce qui
concernel'une des finsmentionnées aux paragraphes a) à d)
ci-dessus.
Quant à l'article 6-A de laLoi sur la langue
officielle
(1967), adopté en 1969, il reconnaît qu'une traduction d'un
texte juridique en panjabi est considérée comme un «texte
faisant autorité en panjabi»:
Article 6-A (1969)
Traduction autorisée en panjabi des
lois de l'État central et de l'État, etc.
Une traduction en panjabi publiée
sous l'autorité du gouverneur dans le Journal officiel de
l'État, à compter de la date fixée par l'avis :
(a) d'une loi de l'État central ou
d'une ordonnance promulguée par le président, en ce qui
concerne les questions énumérées dans la liste III de
l'annexe VII de la Constitution ;
(b) d'un loi de l'État ou d'une ordonnance promulguée par le
gouverneur; ou
(c) d'une ordonnance, d'une règle, d'un règlement ou d'un
texte d'application publié par le gouvernement de l'État par
la Constitution ou en vertu d'une loi adoptée par le
Parlement ou la Législature de l'État;
est considérée comme étant un texte
faisant autorité en panjabi.
LaLoi sur
la langue officielle autorise
le gouverneur de l'état à
prendre des mesures appropriées pour
accroître la portée de la langue hindi dans l'État:
Article 8
Extension de la langue hindi
Sans préjudice des dispositions de la
présente loi, le gouvernement de l'État doit prendre des mesures
appropriées pour accroître la langue hindi dans l'État.
Enfin, l'article 6 de laLoi sur la langue
officielle
renouvelle l'emploi de l'anglais en plus de la langue
officielle dans la Législature de l'État :
Article 6
Renouvellement de l'emploi de l'anglais dans la Législature de l'État
Jusqu'à ce que le gouvernement de l'État ordonne autrement par
un avis en vertu de l'article 4, l'anglais peut continuer d'être
employé, en plus de la langue officielle de l'État ou de l'hindi
pour la conduite des affaires à l'Assemblée législative de
l'État.
Le 2 juillet 1969, le gouvernement local
a pris la décision de remplacer la «formule Sachar» et la «formule PEPSU»
par la formule
trilingue. Selon cette décision, la panjabi est
devenu la première langue obligatoire et la langue d'enseignement à
toutes les étapes dans les écoles publiques. L'hindi était la seconde langue obligatoire
à partir de la quatrième année,
tandis que l'anglais était la troisième langue obligatoire à partir de
la
sixième année. Quoiqu'il en soit, la loi de 1967 n'a jamais été
appliquée de façon rigoureuse, au contraire. C'est pour
cette raison qu'elle a été abrogée et remplacée en 2008 par
la Loi sur le langue officielle modifiée (Punjab Official Language, Amendment).
Cette loi a été adoptée
à l'unanimité par
l'Assemblée législative, le 10 septembre
2008. La loi fait du panjabi la
langue officielle au Panjab et prépare la voie pour un usage
complet de cette langue dans l'administration
de l'État. Ce n'est pas un hasard si le loi de 1967 a été
remplacée. L'un des membres du Congrès, Ajit Inder Singh Mofar, a
déclaré que cette décision aurait dû avoir été prise il y a au
moins vingt ou trente ans, en précisant que la langue panjabi
devait
obtenir la priorité dans les écoles, les universités
et d'autres établissements: «Si nous continuons à l'ignorer, nous
oublierons la langue panjabi.» La Chambre a aussi adopté un projet de loi sur
l'apprentissage du panjabi et d'autres langues. Dorénavant, le
panjabi sera obligatoire (à partir du mois d'avril 2009) pour
les élèves de la première jusqu'à la dixième année. Le ministre de l'Éducation et de la Langue, Upinderjit Kaur,
a affirmé
qu'il est extrêmement important de surveiller la mise en œuvre
du statut du panjabi comme langue officielle de l'État. Il faut
comprendre que, si le panjabi est l'une des
langues
constitutionnelles, il est demeuré la langue d'une
communauté minoritaire.
4.1 La langue de
l'État et l'anglais
Le panjabi est, en principe, la seule
langue de l'État du Panjab, sous réserve des privilèges
accordés à la langue anglaise dans les affaires de l'État.
Dans les faits, l'anglais est tout aussi officiel que le
panjabi. Les membres de l'Assemblée législative ont le droit
d'utiliser aussi bien le panjabi que l'anglais. Les
tribunaux inférieurs utilisent le panjabi, mais l'anglais et
l'hindi sont autorisés. Pour les autres langues, il faut
recourir à la traduction et l'interprétariat.
Dans l'administration de l'État, le
panjabi et l'anglais sont également autorisés. Même si la
plupart des fonctionnaires utilisent le panjabi dans
l'exercice de leurs fonctions, les faits démontrent aussi que de
nombreux représentants gouvernementaux utilisent l'anglais comme
principale langue de travail, voire comme unique langue de
travail. Selon les chiffres officiels du Département des langues
du Panjab, au cours des 18 derniers mois de 2007, sur un total de 1837 bureaux gouvernementaux vérifiés par le
département, quelque 277 fonctionnaires travaillaient exclusivement en anglais;
sur ce dernier nombre, 123 étaient des fonctionnaires de
haut rang. Au cours de ces dernières sept années, quelque 7000 bureaux
du gouvernement ont fait l'objet de vérification, et il appert que 2800 fonctionnaires travaillent
exclusivement en anglais. En vertu de la loi linguistique de 1967, un
employé du gouvernement qui n'emploie pas le panjabi dans la
correspondance officielle peut
faire face des mesures disciplinaires, ce qui ne peut exclure ni la censure ni
la rétrogradation. Selon le Département des langues du Panjab,
entre 10 % à 16 % des fonctionnaires travaillent encore uniquement en anglais.
Le problème ne provient pas de l'emploi même de l'anglais,
mais du fait de ne pas pouvoir utiliser le panjabi. Tout le
problème est là: certains fonctionnaires sont demeurés
incapables d'utiliser le panjabi dans leurs tâches
quotidiennes. En d'autres termes, la
Loi sur la langue
officielle
(1967) n'a jamais été
appliquée avec toutes ses dispositions.
Le gouvernement de l'État a prévenu
que le ministre titulaire du Département des langues devra
dorénavant sévir contre les fonctionnaires qui ne
respecteront pas les dispositions de la loi de 2008. Dès
2009, tous les panneaux d'affichage, toutes les enseignes,
tous les formulaires, tous les documents officiels devront
être obligatoirement rédigés en panjabi. Si des document
sont autorisés en anglais, c'est parce qu'il existera une
version en panjabi. Autrement dit, l'unilinguisme anglais ne
sera plus autorisé. Le Département des langues du Panjab
devra faire des inspections de tous les établissements du
gouvernement afin de vérifier l'état des lieux et le respect
de la loi. Tous les citoyens du Panjab seront assurés de
recevoir des services judiciaires en panjabi sur demande.
4.2 L'éducation
Dans le domaine de l'éducation, la
situation est similaire. Il est vrai que le panjabi est
enseigné dans les écoles publiques de l'État du Panjab.
Cependant, les parents ont le choix d'envoyer leurs enfants
dans des écoles où la langue d'enseignement est une autre
langue, que ce soit l'anglais, l'hindi ou l'ourdou. En
général, les musulmans fréquentent des écoles en ourdou (ou
en anglais); les
hindous, des écoles en hindi (ou en anglais); les sikhs, des écoles en
panjabi (ou en anglais). Or, la familles sikhes qui en ont les
moyens préfèrent que leurs enfants fréquentent des écoles où
la langue d'enseignement est uniquement l'anglais. Les enfants dont les
parents sont relativement instruits et les élèves
appartenant à des familles à haut revenu fréquentent
généralement des écoles anglaises plutôt que des écoles en
panjabi, car un diplôme en anglais assure des emplois
certains, contrairement aux diplômes obtenus dans les écoles
de panjabi.
En principe, le panjabi doit être
enseigné durant les trois premières années du primaire;
l'hindi est la seconde langue obligatoire
à partir de la quatrième année,
tandis que l'anglais est la troisième langue obligatoire à partir de
la
sixième année. De plus, dans la quasi-totalité des écoles, tout
l'enseignement dispensé dans les
matières scientifiques et informatiques est en anglais. Mais les parents ont le choix d'envoyer leurs enfants
dans des écoles où le panjabi n'est pas la langue
d'enseignement. Le problème vient du fait que, malgré la
loi, le panjabi n'est pas enseigné dans les écoles
anglaises, ni dans les écoles hindi ou ourdoues. Les diplômés
sortent de ces écoles sans toujours savoir lire et écrire en
panjabi. Au mieux, beaucoup de jeunes n'utilisent le panjabi
oral qu'avec leur famille ou lorsqu'ils écoutent la radio.
Dans les universités, le panjabi est laissé pour compte,
puisque la plupart des cours ne sont offerts qu'en en anglais,
sinon en hindi. Plus
de 85 % des étudiants, qui n'utilisent presque jamais le
panjabi, proviennent des centres urbains, contre 15 % pour
les zones rurales. En somme, le panjabi est dévalorisé dans
l'État des sikhs et n'atteint pas le prestige auquel il
aurait droit.
En 2008, le gouvernement du Panjab a
décidé que le panjabi soit présent comme matière obligatoire
dans toutes les universités de l'État (2008-2009), de sorte
que tous les étudiants aient une connaissance minimale du
panjabi à la fin de leurs études universitaires. Cela ne
signifie pas que les cours seront obligatoirement dispensés
en panjabi, mais que des cours de panjabi seront dorénavant
obligatoires. À cet égard une loi, la Punjab Learning of Punjabi and other Languages Act
2008 ("Loi sur l'apprentissage du panjabi et autres langues du
Panjab de 2008") a été élaborée et adoptée pour assurer l'étude
appropriée et obligatoire dans l'enseignement dans toutes les
écoles publiques de l'État. Le gouvernement, a aussi précisé qu'en mettant
en œuvre le panjabi comme matière obligatoire dans les établissements
scolaires la formule trilingue serait aussi protégée dans la
lettre et l'esprit afin que les étudiants du Panjab puissent rivaliser dans les forums internationaux et nationaux en
apprenant aussi les langues hindi et anglaise.
4.3 Les médias
La plupart des journaux du
Panjab sont publiés en panjabi (5abi, Ajit Daily,
Daly Aj Di Awaz, Daly Ajiit, Daily Charhdikala,
Punjabi Tribune, Sikh Virsa, etc.), mais
plusieurs sont publiés en anglais (Nava Panga,
Punjab Express, Punjab Newsline, etc.), en hindi
(News Guru India, Punjab Kesari, Sach Kahoon,
etc.) ou en ourdou (Daily Hamarasmaj.
Les médias électroniques sont dans une
proportion relativement similaire quant à la langue de
diffusion. La majorité des stations de radios sont en
panjabi, mais il en existe un certain nombre en anglais, en
hindi, en ourdou, voire en bengali, en népali, etc.
Plusieurs stations nationales diffusent, en plus de l'hindi
et de l'anglais, en d'autres langues. Les canaux de
télévision régionaux sont en panjabi (Alpha ETC Punjabi, NRI
TV, Zee Punjabi, DD Punjabi, etc.), mais d'autres canaux
sont en hindi et en d'autres langues.
L'État du Panjab indien a élaboré, souvent de façon
souvent sporadique et timorée, une
politique de valorisation de la langue officielle, le panjabi. Contrairement à
la plupart des États indiens, le Panjab semble avoir éprouvé de nombreuses
difficultés à promouvoir sa langue officielle régionale. C'est ce qui explique
en partie pourquoi l'État n'a pas prévu beaucoup de mesures particulières à l'égard des minorités,
car celles-ci s'en sont prévalu de toute façon, surtout la puissante minorité
hindoue parlant l'hindi.