République démocratique socialiste de Sri Lanka

Sri Lanka

Sri Lanka Prajatantrika Samajavadi Janarajaya

Ilankai Sananayaka Sosolisa Kudiyarasu



 
Capitales:  Sri Jayawardenepura Kotte (capitale politique)
                 Colombo (capitale commerciale)
Population:  19,1 millions (2004)
Langue officielle: cinghalais et tamoul
Groupe majoritaire:  cinghalais (69 %)
Groupes minoritaires:   tamoul (25,2 %), malayalam (3,2 ), télougou (1 %), goudjarati (0,4 %), bengali, chinois, anglais, ourdou, arabe, baloutchi, birman, sindhi, marathi, konkani, vedda, maldivien, farsi, javanais, mauricien, somali, etc.
Système politique:  république démocratique socialiste depuis 1978
Articles constitutionnels (langue): art. 18 à 25A de la Constitution de 1978; art. 32 à 50 du projet de Constitution de 2000 
Lois linguistiques: Loi sur la langue officielle de 1956 (abrogée); Loi sur la langue tamoule (Dispositions particulières) de 1958; Règlement sur la langue tamoule (Dispositions particulières) de 1966;  Loi sur la langue des tribunaux (1973); Loi sur l'administration de la justice (1973);  Loi sur le Code de procédure civile (1977); Loi sur le partage des terres (1977);
Loi sur le Code de procédure criminelle (1979); Loi sur la Commission des langues officielles (1991); Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation (2007); Circulaire administrative générale nº 03 (2007); Circulaire administrative générale nº 07 (2007).

1 Situation géographique 

Le Sri Lanka (Shri Lanka en cinghalais; Ilam ou Ilankaï en tamoul), anciennement Ceylan (ou Ceylon) est officiellement appelé République socialiste démocratique de Sri Lanka.

Factbook Country Map

C’est un pays insulaire situé au sud-est de l’Inde dans l’océan Indien, dont il est séparé par le détroit de Palk et le golfe de Mannar. L'île mesure environ 440 km de long, et sa largeur maximale atteint 220 km. Sa superficie est de 66 000 km², soit l’équivalant de la république d’Irlande (ou environ une fois et demie la Suisse ou deux fois les Pays-Bas). Mais le Sri Lanka paraît minuscule à comparer à son grand voisin, l'Inde, dont la superficie est de 3,2 millions de kilomètres carrés, ce qui représente une taille de 50 fois plus grosse. La capitale et la ville la plus importante de l'île est Colombo, avec ses deux millions d’habitants. La capitale et la ville la plus importante de l'île est Colombo, avec ses deux millions d’habitants. En réalité, Colombo est devenue la capitale commerciale et économique, alors que Sri Jayawardenepura Kotte est la capitale administrative et politique (judiciaire, législative, etc.).

Le pays est divisé en neuf provinces (voir la carte politique): Centre, Centre-Nord, Est, Nord, Nord-Est, Ouest, Sabaragamuwa, Sud et Uva. 

Le drapeau du Sri Lanka représente les minorités avec à gauche des bandes verticales verte (l'islam) et orange (les Tamouls), puis à droite un lion jaune portant une épée (l'autorité) sur fond brun et quatre feuilles (symbole bouddhiste). Le lion srilankais repose sur une légende racontée dans le Mahavamsa (écrit au VIe siècle par le moine bouddhiste Mahanama, frère du roi Dhatusena de Ceylan). Des astrologues auraient prédit à un roi du Bengale que sa fille unique serait un jour l’épouse du roi des animaux. Afin d'empêcher cette prophétie, le roi enferma sa fille. Mais celle-ci s’échappa du palais et rencontra sur la route une caravane de marchands. Au cours du voyage, la caravane fut attaquée par un lion qui, ému pas sa beauté, épargna la petite fille. Il l'entraîna dans sa tanière et ils s'aimèrent. Leurs descendants fondèrent le royaume de Lanka et prirent le nom de Sinhala, les «fils du lion», d'où ce symbole sur le drapeau national.

Quant au mot Lanka, il signifie en sanskrit «la Resplendissante». Ce sont les Portugais qui nommèrent l'île Ceilão; ils l'occupèrent de 1505 à 1635. Les Hollandais l'appelèrent Zeilan, les Britanniques, Ceylon, et les Français, Ceylan. Ce nom resta jusqu'au 22 mai 1972, soit jusqu'à l'indépendance, alors que l'île reprit son ancien nom de Lanka, précédé de Sri signifiant «joie» (ou «bénédiction»), afin d'ajouter une connotation religieuse.

2 Données démolinguistiques

La population sri lankaise est très diversifiée, même si elle comprend deux groupes principaux: les Cinghalais et les Tamouls. Les Cinghalais forment le groupe majoritaire avec 69 % de la population et habitent principalement la partie sud-ouest de l’île. Les Tamouls comptent plusieurs communautés: Adi Dravida, Sri Lankais maures, Tamouls proprement dits, Vellalan, Agamudaiyan, Viswakarma, Maravan, Brahmanes, Indiens maures, Malayali, Kuravan et Shaikh. Avec 4,8 millions de locuteurs du tamoul, Les Tamouls comptent pour 25,2 % de la population.

Au plan géographique, les 25 % de Tamouls occupent une proportion considérable de territoire: à l’exception de la côte sud-ouest, ils contrôlent tout le Nord et toute la côte est, ainsi qu’une petite partie de la côte sud de l’île, sans compter une portion importante du centre de l’île (voir la carte ethnique détaillée,s.v.p.). Ainsi, ils occupent près de 50 % du territoire national. De plus, les Tamouls peuvent compter sur l’appui de leurs «frères» de l’Inde, la plupart installés dans l'État du Tamil Nadu, qui ne se privent guère de leur fournir des armes et une forte aide financière.

Cependant, il existe deux catégories de Tamouls: les Tamouls autochtones et les Tamouls indiens. Les Tamouls autochtones sont aussi connus comme les «Tamouls sri-lankais», «Tamouls ceylanais» ou encore «Tamouls de Jaffna». Ce sont les descendants d'un groupe de Tamouls qui a migré du sud de l'Inde il y a plusieurs siècles. Quant aux Tamouls indiens, appelés aussi «Tamouls du pays» ou «Tamouls établis», ce sont les descendants récents des Tamouls venus travailler dans les plantations britanniques dans le sud du Ceylan. Aujourd'hui, encore installés dans le Sud (en territoire cinghalais), les Tamouls indiens travaillent dans les plantations de thé, généralement dans des conditions déplorables. Pour les Cinghalais, les Tamouls indiens forment une communauté distincte des Tamouls autochtones. Parce qu'ils vivent surtout en zones mixtes (donc avec des Cinghalais), ils sont plus facilement «manipulables» et font l'objet de nombreux «chantages» de la part de la majorité cinghalaise. Au cours des années soixante, le gouvernement sri lankais a bien tenté d'expulser quelque 600 000 Tamouls indiens vers l'Inde, mais les négociations avec le pays n'ont pu se concrétiser devant le refus des Tamouls indiens de «s'expatrier». Depuis lors, beaucoup sont devenus «apatrides» aux yeux du gouvernement sri lankais.

2.1 Les langues officielles: cinghalais et tamoul

Le cinghalais et le tamoul sont les deux langues officielles du Sri Lanka, qui compte trois langues nationales (cinghalais, tamoul et anglais).

- Le cinghalais

Le cinghalais (ou sinhala) est une langue indo-iranienne de la famille indo-européenne, à l'instar de l'hindi, du bengali, du marathi, du panjabi, du sindhi, de l'ourdou, etc., qui proviennent toutes du sanskrit. Le cinghalais est donc apparenté aux langues du nord de l'Inde, mais avec des traits relativement archaïsants. Cette langue était à l'origine parlée par les habitants du royaume de Ceylan, dont les locuteurs provenaient du nord de l'Inde au Ve siècle avant notre ère; la langue a conservé les caractéristiques de cette époque. Le cinghalais est resté aussi très proche du sanskrit. Il n'est pas dû au hasard que le cinghalais soit aussi très apparenté au maldivien (divéhi ou dhivehi) parlé aux îles Maldives; ce sont deux langues insulaires issues du nord de l'Inde. À l'exception de certains immigrants d'origine cinghalaise et vivant maintenant aux États-Unis, au Canada, à Singapour, en Lybie, aux Maldives ou en Thaïlande, le cinghalais n'est parlé qu'au Sri Lanka.

Le cinghalais possède une écriture très particulière dérivée du pali, un système provenant des livres saints du bouddhisme, auquel le pays est fidèle depuis le IIe siècle avant notre ère. 

Alphabet cinghalais Alphabet tamoul

- Le tamoul

Le tamoul (ou tamil en tamoul) est une langue appartenant à la famille dravidienne. Le tamoul est donc apparenté aux langues du sud de l'Inde, mais c'est la plus ancienne des langues dravidiennes. Le tamoul est parlé non seulement au Sri Lanka par la communauté tamoule (environ 3,7 millions de locuteurs), mais également dans l'État du Tamil Nadu (langue officielle), à Pondichéry (langue officielle), à Singapour (langue officielle), dans l'île de La Réunion (langue minoritaire) et l'île Maurice (langue minoritaire). Il existe aussi des communautés parlant le tamoul aux îles Fidji, en Malaisie, en Birmanie, en Afrique du Sud, en Guadeloupe, aux États-Unis, au Canada, en France, en Australie, etc. Au total, il y aurait environ 74 millions de locuteurs du tamoul dans le monde, dont 62 millions uniquement en Inde. Comme le cinghalais, le tamoul possède un alphabet particulier.

Bref, avec ses trois langues nationales (cinghalais, tamoul et anglais), le Sri Lanka doit composer avec trois alphabets: cinghalais, tamoul et latin.

- L'anglais

L'anglais n'est une langue maternelle que par peu de locuteurs au Sri Lanka, soit un peu plus de 10 000. C'est l'ancienne langue coloniale amenée par les Britanniques. L'anglais a conservé un grand prestige au Sri Lanka. Cette langue est utilisée dans la rédaction des lois, les journaux, les affaires, l'éducation, etc. Mais l'anglais parlé par beaucoup de Sri-Lankais n'est pas l'anglais standard, c'est un anglais particulier appelé Singlish (< Sinhalese + English) ou, plus fréquemment, Sinenglish, une variante locale mêlée de mots cinghalais et tamouls. Il convient de distinguer le Sinenglish du Sri Lankan English, qui demeure un «anglais sri lankais», alors que le Sinenglish est considéré comme du «mauvais anglais», une langue mixte parlée par les masses peu instruites. Il n'en demeure pas moins que cet anglais peu prestigieux est davantage parlé que l'anglais standard et qu'il devient à la fois un symbole d'identification et un instrument de communication efficace entre les ethnies. 

2.2 Les autres groupes ethniques

Mais on compte plusieurs autres groupes ethniques au Sri Lanka, dont les Ambalavasi et les Mapilla, parlant le malayalam (3,2 %) et les Télougous, Vaddars, Waggai, Faqir et Rajput parlant le télougou (1,0 %). Les autres langues sont moins importantes, mais elles sont nombreuses: goudjarati (0,4 %), bengali, chinois, anglais, ourdou, arabe, baloutchi, birman, sindhi, marathi, konkani, vedda, maldivien, farsi, javanais, mauricien, somali, etc.

Groupe ethnique Langue maternelle Affiliation linguistique Religion Population Pourcentage
Cinghalais cinghalais indo-iranienne bouddhisme 13 203 400 69,0 %
Adi Dravida tamoul dravidienne hindouisme  1 274 000 6,6 %
Sri Lankais maures tamoul dravidienne islam  1 411 100 7,3 %
Tamouls tamoul dravidienne hindouisme  1 310 300 6,3 %
Ambalavasi malayalam dravidienne hindouisme    620 860 3,2 %
Vellalan tamoul dravidienne hindouisme    320 010 1,6 %
Agamudaiyan tamoul dravidienne hindouisme    166 200 0,8 %
Vaddar hindous télougou dravidienne hindouisme    141 110 0,7 %
Viswakarma tamoul dravidienne hindouisme    118 130 0,6 %
Maravan tamoul dravidienne hindouisme    113 990 0,6 %
Bania goudjarati indo-iranienne hindouisme     89 600 0,4 %
Brahmanes tamoul dravidienne hindouisme     83 250 0,4 %
Télougous télougou dravidienne hindouisme     55 430 0,2 %
Malais javar créole sri lankais malais créole islam     50 400 0,2 %
Indiens maures tamoul dravidienne islam     41 630 0,2 %
Hindis hindi indo-iranienne hindouisme     36 280 0,1 %
Malayali tamoul dravidienne hindouisme     24 190 0,1 %
Bengalis bengali indo-iranienne islam     18 140 0,0 %
Britanniques anglais langue germanique anglicanisme     10 990 0,0 %
Rodiya cinghalais indo-iranienne bouddhisme      7 860 0,0 %
Burgher cinghalais indo-iranienne anglicanisme      5 850 0,0 %
Ourdous ourdou indo-iranienne islam      5 540 0,0 %
Mappilla malayalam dravidienne islam      4 540 0,0 %
Arabes arabe standard chamito-sémitique islam      3 730 0,0 %
Waggai télougou dravidienne inconnue      3 630 0,0 %
Burgher indo-portugais indo-portugais créole catholicisme      2 220 0,0 %
Parsi goudjarati indo-iranienne hindouisme      2 220 0,0 %
Bohra goudjarati indo-iranienne islam      1 810 0,0 %
Chinois mandarin chinois mandarin sino-tibétaine aucune      1 810 0,0 %
Memon goudjarati indo-iranienne islam      1 710 0,0 %
Pathans du Sud pattani indo-iranienne islam      1 510 0,0 %
Kuravan tamoul dravidienne hindouisme      1 310 0,0 %
Faqir télougou dravidienne islam      1 210 0,0 %
Baloutches du Sud baloutchi du Sud indo-iranienne islam        810 0,0 %
Birmans birman sino-tibétaine bouddhisme        560 0,0 %
Sindhi musulmans sindhi indo-iranienne islam        400 0,0 %
Penjabi jat penjabi de l'Est indo-iranienne hindouisme        390 0,0 %
Mahratta marathi indo-iranienne hindouisme        370 0,0 %
Goans catholiques konkani indo-iranienne catholicisme       360 0,0 %
Vedda vedda indo-iranienne bouddhisme       300 0,0 %
Japonais japonais japonaise bouddhisme       210 0,0 %
Kunbi marathi indo-iranienne hindouisme      200 0,0 %
Rajput télougou dravidienne hindouisme     170 0,0 %
Divehi maldivien indo-iranienne islam     150 0,0 %
Sindh hindous sindhi indo-iranienne hindouisme     130 0,0 %
Shaikh tamoul dravidienne islam     110 0,0 %
Panjabi de l'Est panjabi de l'Est indo-iranienne inconnue     100 0,0 %
Syriens malayalam dravidienne catholicisme       98 0,0 %
Iraniens farsi de l'Ouest indo-iranienne islam       68 0,0 %
Mauriciens mauricien créole hindouisme       78 0,0 %
Javanais javanais austronésienne islam       68 0,0 %
Shans thaïs shan thaï-kadai bouddhisme       63 0,0 %
Khoja goudjarati indo-iranienne islam       58 0,0 %
Somalis somali couchitique (chamito-sémitique) islam      29 0,0 %
Malayalam juifs malayalam dravidienne judaïsme       20 0,0 %
Total 2004      

19 138 702

100 %

On compte aussi quelques langues créoles, dont une d'origine malaise (le créole sri lankais malais), le créole indo-portugais et le créole mauricien. Par ailleurs, on dénombre environ 10 000 Britanniques qui parlent l’anglais comme langue maternelle, et quelque 300 Veddas, une ethnie aborigène australoïde en voie d’extinction. On estime qu’environ 10 % de la population sri lankaise peut s’exprimer en anglais. Il s’agit d’un anglais assez particulier appelé l'anglais sri lankais, et généralement influencé par des emprunts au tamoul.

S'ajoute à la dimension ethnique, l'appartenance religieuse différente des deux grandes communautés. Les Cinghalais sont bouddhistes, alors que les Tamouls sont en majorité hindous. Le bouddhisme constitue donc la principale religion du pays et rassemble environ 70 % (dont à quelque 90 % de Cinghalais) de la population, l'hindouisme, 15 % (dont à 80 % de Tamouls). En plus des bouddhistes cinghalais et des hindouistes tamouls, le pays abrite des musulmans et des chrétiens. Les musulmans parlent pour la plupart le tamoul, tandis que les chrétiens appartiennent aux deux grandes communautés linguistiques (cinghalaise et tamoule). Les habitants musulmans du Sri Lanka sont considérés comme constituant un groupe ethnique particulier, c'est-à-dire distinct des Cinghalais et des Tamouls.

3 Données historiques

Autrefois habitée par des tribus australoïdes dont descendent les Veddas, l'île fut colonisée quelque cinq siècles avant notre ère par des Indo-Européens, les ancêtres des Cinghalais d’aujourd’hui. Le bouddhisme aurait été introduit au IIIe siècle avant notre ère par le prince indien Mahinda, fils ou frère de l'empereur indien Ashoka. Cette religion s'implanta dans l'île qui devint un bastion du bouddhisme.

Puis, deux siècles plus tard, les Tamouls du sud de l’Inde tentèrent de conquérir l’île (appelée Ceylan). Ils restèrent très liés sur les plans culturel et religieux (hindouisme) à l'État du Tamil Nadu (Inde), leur «pays d'origine». Les deux grands groupes ethniques se constituèrent de petits royaumes. Au cours des siècles, les rois étaient parfois cinghalais parfois tamouls. Avant la période coloniale et l'arrivée des missionnaires chrétiens, il n'y avait généralement pas d'antagonisme entre les différents groupes religieux de l'île. Les «frontières ethniques» étaient relativement «poreuses» et imprécises. Pendant plusieurs siècles, les mariages mixtes furent même fréquents; par exemple, des rois cinghalais du royaume de Kandy au centre du pays épousèrent des femmes tamoules afin de consolider les liens entre les différentes ethnies. Néanmoins, des tensions entre les communautés subsistaient, car certaines organisations bouddhistes développèrent chez les Cinghalais des complexes de supériorité aux dépens des Tamouls.

Par ailleurs, à partir du VIIIe siècle, et ce, jusqu’au XIIIe siècle, l’expansion de l’islam et la domination du commerce arabe firent en sorte que des musulmans s’installèrent en grand nombre au Ceylan et plusieurs épousèrent des femmes tamoules. Ce phénomène s'est produit à une grande échelle au XIIIe siècle lorsque les Cinghalais commercèrent avec les Arabes.

3.1 La domination européenne

Les habitants de l’île de Ceylan connurent trois dominations européennes successives: celle des Portugais, celle des Hollandais, puis celle des Britanniques.

- La période portugaise (1505-1568)

L’arrivée des Européens débuta dans les premières années du XVIe siècle, avec l'implantation des Portugais (1505-1568) qui introduisirent des missionnaires catholiques. Les Portugais s’installèrent d’abord dans le nord de l’île, donc en «terre tamoule», et pratiquèrent un catholicisme agressif. Ils détruisirent plusieurs temples hindouistes et obligèrent un certain nombre de Tamouls à se convertir au catholicisme. L'île fut nommée Ceilão.

Lors de la colonisation portugaise, l’administration de l’île fut scindée en deux: il y eut une administration, une justice, un gouvernement pour les Tamouls et une autre système parallèle pour les Cinghalais; les documents officiels étaient rédigés généralement en portugais.

La domination portugaise irrita le roi de Kandy qui, pour protéger son royaume, demanda l’aide des Hollandais, les concurrents directs des Portugais sur le plan commercial en Asie. Dès 1638, les Hollandais s'emparèrent de Batticaloa (côte est du centre de l’île), puis Trincomalée (plus au nord), Colombo (côte ouest), Mannar (au nord-ouest) et, en 1658, Jaffna (au nord). Les derniers Portugais abandonnèrent l’île en 1668.

- La période hollandaise (1568-1796)

Les Hollandais changèrent le nom de l'île en Zeilan. Ils pratiquèrent la dualité administrative comme les Portugais: un système pour les Tamouls, un autre pour les Cinghalais. Cependant, la plupart des documents officiels étaient rédigés soit en néerlandais soit en tamoul, le cinghalais étant totalement ignoré. Les nouveaux colonisateurs introduisirent à leur tour leur religion, le calvinisme. Les missionnaires hollandais voulurent imposer leur religion au sein de la population locale. Beaucoup de Tamouls et de Cinghalais se convertirent à la nouvelle religion pour des raisons économiques ou sociales. Puis, tous les autochtones, Tamouls comme Cinghalais, subirent la répression et la discrimination, tant de la part des «catholiques agressifs» que des «calvinistes militants». Au moment du départ des colons hollandais, tous les groupes bouddhistes et hindouistes avaient, dans une certaine mesure, adopté le discours et les méthodes du radicalisme religieux.

En cette fin du XVIIIe siècle, Français, Hollandais et Anglais exerçaient une concurrence féroce au plan commercial. Les Anglais décidèrent de s’attaquer aux possessions hollandaises et d’enlever l'île de Ceylan. Ils assiégèrent d’abord (septembre 1795) le port de Trincomalée (côte est tamoule) et s'en emparèrent au bout de huit jours. Avant la fin du mois d'octobre, tous les ports tamouls comme Mannar (côte ouest) et Batticaloa (côte est tamoule) furent enlevés. En février de l’année suivante, l'île tout entière passa aux mains des Anglais en devenant Ceylon (Ceylan en français)

- La colonisation britannique 1796-1948)

L'île de Ceylan fut annexée officiellement par les Britanniques, qui en firent une colonie de la Couronne en 1802. Dès lors, une seule administration unifiée vit le jour pour la première fois dans l'histoire de l'île. Après avoir vaincu les dernières résistances avec la prise du royaume de Kandy (au centre du pays), les Anglais développèrent les plantations de thé et d'hévéas. Afin de fournir de la main-d’œuvre appropriée, les Anglais importèrent des Tamouls indiens pour travailler dans leurs plantations. C'est depuis ce temps qu'il existe les deux catégories de Tamouls: les Tamouls autochtones et les Tamouls indiens.

Les Britanniques mirent en place un système d'écoles gérées à la fois par l'État et par l'Église anglicane; ils écartèrent l'éducation bouddhiste traditionnelle et dépossédèrent ainsi les moines d'une de leurs plus importantes fonctions dans la société cinghalaise. Ils favorisèrent la rupture des liens entre le bouddhisme et l'État, ce qui souleva des rancunes au sein de la communauté cinghalaise d’obédience bouddhiste. Les missionnaires anglicans tentèrent d'angliciser la population sri lankaise en instaurant des écoles de langue anglaises; ils croyaient ainsi que l'instruction en anglais contribuerait à «civiliser» la population. Le gouvernement colonial fonda des écoles publiques conçues spécifiquement pour les jeunes Britanniques surtout dans des villes comme Colombo, Kandy et Galle. L'apprentissage de l'anglais présentait des avantages considérables pour les Sri-Lankais, car la connaissance de cette langue leur permettait d'obtenir des emplois plus prestigieux. Pour les Sri-Lankais anglicisés, le cinghalais et le tamoul furent réservés pour communiquer avec les aînés, les domestiques et les moines. 

Toutefois, parce que le développement économique du Sri Lanka dépendait essentiellement de la main-d'œuvre agricole, les administrateurs crurent nécessaire de limiter l'éducation anglaise. En 1889, le gouverneur du Sri Lanka avait écarté l'instruction complète en anglais en déclarant qu'il créerait «une génération d'instruits oisifs», qui se croiraient au-dessus des autres qui travaillaient. Une commission sur l'éducation créée en 1906 soutint que l'apprentissage de l'anglais n'était ni appropriée ni désirable pour tous les Sri-Lankais parce qu'il inciterait la majorité des travailleurs à désirer une autre vie. Une année plus tôt, l'archevêque catholique de Colombo avait prétendu que l'enseignement de l'anglais dans les petites villes était dangereux et qu'il pouvait inviter les étudiants à défier les autorités coloniales. En 1914, seuls 37 500 élèves fréquentaient des écoles anglaises, alors que 347 500 étaient inscrits dans les écoles indigènes. En 1931, on comptait à peine 84 000 élèves dans les écoles anglaises, contre 476 000 dans les écoles indigènes. À la veille de l'indépendance, près de 180 000 élèves fréquenteront les écoles anglaises, 720 000 les écoles indigènes. 

En général, l’influence des missionnaires anglicans suscita beaucoup moins d’hostilité chez les Tamouls hindouistes. Ce n’est certainement pas dû au hasard si les écoles tamoules furent mieux gérées et si, dans l’ensemble, les Tamouls furent plus instruits que les Cinghalais, firent des études supérieures, parlèrent mieux l'anglais et, par le fait même, furent fréquemment employés dans l'administration britannique. Par exemple, alors qu’ils constituaient 15 % de la population, les Tamouls accaparaient plus de 30 % des postes universitaires; dans les principales facultés, ils comptaient même autant d’étudiants que les Cinghalais. Par voie de conséquence, le nombre des Tamouls était beaucoup plus élevé que les Cinghalais dans la fonction publique, les professions reliés à la médecine et au droit (avocats). Alors qu'ils formaient environ 15 % de la population, les Tamouls occupaient quelque 40 % des emplois du gouvernement. Les Britanniques avaient décidé de favoriser la minorité tamoule, parce que celle-ci leur paraissait plus familière dans la mesure où leurs frères indiens, dans l’actuel Tamil Nadu au sud-est de l’Inde, étaient déjà leurs sujets. Cette discrimination souleva des réactions nationalistes chez les Cinghalais et suscita de fortes animosités à la fois envers les Britanniques et les Tamouls. Pour les Cinghalais, il s'agissait d'un «favoritisme colonial» fondé sur le vieux principe éprouvé qui consistait à «diviser pour régner». C'est ce qui expliquerait, de la part de certains historiens, les conflits actuels entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule.

À la suite des nombreux mouvements de résistance menés par les Cinghalais, le gouvernement de Londres décida, en 1931, d’octroyer une autonomie interne à l’île de Ceylan (ou Ceylon). En 1944, le gouvernement chargea la Commission Soulbury de trouver les moyens de transférer éventuellement le pouvoir entre les mains des Ceylanais, et ce, d'une manière équitable entre les deux principales ethnies de l'île. La communauté tamoule, pour sa part, réclamait 50 % de la représentation parlementaire pour les Cinghalais et 50 % pour les Tamouls. La Constitution dite de Soulbury de 1947 (Ceylon Order in Council), qui énonçait les modalités de la décolonisation, n'a pas retenu les demandes des Tamouls, puisqu’elle préconisa, conformément au droit anglais prévoyant une personne/un vote, une représentation de 65 % pour les Cinghalais et de 35 % pour les Tamouls. Elle favorisa le concept du gouvernement par la majorité cinghalaise et un système politique fortement centralisé; les droits des minorités n'y furent guère protégés. Pour la première fois, les Tamouls n'étaient plus protégés. Bien que l'article 29 interdisait toute discrimination sur la base de la religion ou de l'appartenance ethnique, aucune disposition ne garantissait l'indépendance du pouvoir judiciaire ou protégeait les droits fondamentaux de la minorité tamoule:

CEYLON (CONSTITUTION) ORDER IN COUNCIL, 1947

Article 29.

Legislative Powers and Procedure

1) Subject to the provisions of this Order, Parliament shall have power to make laws for the peace, order and good government of the Island.

2) No such law shall -

(a) prohibit or restrict the free exercise of any religion; or

(b) make persons of any community or religion liable to disabilities or restrictions to which persons of other communities or religions are not made liable; or

(c) confer on persons of any community or religion any privilege or advantage which is not conferred on persons of other communities or religions, or

(d) alter the constitution of any religious body except with the consent of the governing authority of that body, so, however, that in any case where a religious body is incorporated by law, no such alteration shall be made except at the request of the governing authority of that body:

Provided, however, that the preceding provisions of this subsection shall not apply to any law making provision for, relating to, or connected with, the election of Members of the House of Representatives, to represent persons registered as citizens of Ceylon under the Indian and Pakistani Residents (Citizenship) Act.

DÉCRET DU CEYLAN (CONSTITUTION), 1947

Article 29

Pouvoirs législatifs et procédure

1) Sous réserve des dispositions du présent décret, le Parlement doit avoir le pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et bon gouvernement de l'île.

2) Aucune telle loi ne doit :

(a) interdire ou restreindre le libre exercice d'une ; ou

(b) rendre les membres d'une communauté ou d'une religion assujettis à des handicaps ou des restrictions dont les membres des autres communautés ou religions ne sont pas responsables; ou

(c) Conférer à des membres d'une communauté ou d'une religion des privilèges ou des avantages qui n'ont pas été attribués aux membres des autres communautés ou religions, ou

(d) modifier la constitution d'un organisme religieux sauf avec le consentement des autorités de cet organisme, si toutefois le cas où un organisme religieux est inclus par la loi et qu'aucune modification ne sera faite à l'exception d'une demande des autorités de cet organisme :

À la condition cependant que les dispositions précédentes du présent paragraphe ne s'appliquent pas à une loi prévoyant une disposition concernant ou liée à l'élection des membres de la Chambre des représentants pour représenter des individus enregistrés comme citoyens du Ceylan en vertu de la Loi sur les résidants indiens et pakistanais (citoyenneté).

Il s'agissait d'un renversement de situation.  La majorité cinghalaise, devenue très nationaliste au cours de la colonisation britannique, s'opposait aux politiques de la Grande-Bretagne et se méfiait des Tamouls qui avaient été «protégés» et avantagés sous ce régime. Une fois le pays indépendant, les Cinghalais allaient prendre leur revanche et considérer le Ceylan comme «leur» pays aux dépens de la minorité tamoule. 

3.2 L’indépendance

L’île de Ceylan accéda à l'indépendance en février 1948 dans le cadre du Commonwealth. Malgré l'indépendance proclamée, l'île de Ceylan ne fut pas entièrement coupée de la Grande-Bretagne. Seule l’administration de l’île fut laissée aux Ceylanais, tandis que le gouvernement britannique détenait encore le pouvoir d’adopter des lois pour le Ceylan. Lors de l’accession à l’indépendance, le premier parlement de Colombo comptait 58 Cinghalais, 29 Tamouls et 8 Musulmans. Les Cinghalais dominèrent aussitôt la politique, la justice, l’administration, l’armée et l’économie, ce qui provoqua au sein de la minorité tamoule une profonde animosité et les conforta dans leur crainte de voir s'instaurer dans le pays une «dictature de la majorité». 

Ce pressentiment n’était pas sans fondement, car certains intellectuels cinghalais propageaient depuis longtemps le concept de la «mission» de la «race cinghalaise», comme en fait foi cette déclaration de D. C. Vijayawardhana dans The Revolt in the Temple (1953):

L'histoire du Sri Lanka est l'histoire de la race cinghalaise: le peuple cinghalais était chargé, il y a 2500 ans, d’une grande et noble mission: la préservation du bouddhisme. [...] Ainsi, la naissance de la race cinghalaise n'apparaîtrait pas comme un fruit du hasard, mais comme un événement prédestiné d’une grande importance et aux ambitions élevées. La nation semblait désignée, en quelque sorte, dès le début, pour porter haut durant cinquante siècles la lumière qui fut allumée par le grand penseur mondial (Bouddha) il y a vingt-cinq siècles.

Cette prétendue «grande et noble mission» de la «race cinghalaise» fut interprétée comme un fait historique par la population majoritaire, puis utilisée par les dirigeants bouddhistes qui luttèrent pour perpétuer ainsi leur règne sur l'île. La plupart des politiciens cinghalais suivirent le mouvement, car tous devinrent en quelque sorte des «otages» de la hiérarchie bouddhiste qui détient, encore aujourd’hui, le pouvoir de vie et de mort sur toutes les carrières politiques.

Dès la première année de l’indépendance, le gouvernement cinghalais modifia la Loi sur la citoyenneté ceylanaise dans le but de diminuer le nombre de la représentation tamoule. Ainsi, le gouvernement supprima la citoyenneté à un million de «Tamouls des montagnes» — dont les ancêtres avaient été installés dans l'île par les Anglais, comme coolies (terme à connotation raciste formé des mots chinois ku et li signifiant «souffrance» et «force»), depuis 1827 — sous prétexte qu’ils étaient de descendance «indienne». De cette façon, dans un laps de temps très court, les Cinghalais purent réduire d'un tiers la représentation tamoule au Parlement.

- La «dictature de la majorité»

En 1956, alors qu’il avait axé sa campagne électorale sur la primauté de la langue, de la culture et de la religion cinghalaises, le Sri Lanka Freedom Party (SLFP), c'est-à-dire le Parti sri lankais de la liberté, prit le pouvoir avec l'appui de nombreux dirigeants bouddhistes. Le gouvernement adopta la politique du «Cinghalais seulement», laquelle était destinée à faciliter l'accès des bouddhistes à la fonction publique et à l'université. De plus, le gouvernement du Ceylan adopta une première loi linguistique, la Official Language Act (Loi sur la langue officielle), déclarant que «le cinghalais est le langue officielle du Ceylan». Pour les Cinghalais, qui avaient acquis leur indépendance en 1948, cette loi sur la langue de 1956 était une façon pour eux de prendre leur distance par rapport aux Britanniques en abandonnant formellement l'anglais, mais les Tamouls y ont vu un moyen détourné pour les Cinghalais majoritaires d'imposer leur volonté à la minorité. Les autorités cinghalaises pratiquèrent la même politique colonialiste que les Britanniques, mais en favorisant cette fois la majorité cinghalaise aux dépens de la minorité tamoule. Les parlementaires cinghalais se considéraient comme les héritiers légitimes d'une communauté qui avaient été exclue du pouvoir durant la période coloniale. L'officialisation d'une seule langue était perçue par les Cinghalais comme une façon économique de faire fonctionner le nouvel État, d'autant plus que le cinghalais était une langue autochtone de l'île parlée par les deux tiers de la population. L'exclusion du tamoul et de l'anglais paraissait donc normale, car elle allait permettre de rehausser le statut de la langue majoritaire.

Drapeau cinghalais

Drapeau tamoul

Les Tamouls furent exclus du Conseil des ministres, qui ne se reconnurent plus dans un pays qui les ignorait politiquement. Même les symboles de l'État, par exemple le drapeau national, ne leur appartenaient plus. Pour témoigner de leur identité, ils créèrent leur propre drapeau: le drapeau tamoul. En sanskrit traditionnel et dans la littérature pali, l'île est appelée Sinhaladvipa — le mot sinhala venant du mot cinghalais sinha (lion) — et depuis le XVe siècle un lion doré tenant une épée de commandement figure sur le champ cramoisi de la bannière de l'État.
Drapeau cinghalais Drapeau tamoul

- La guerre civile et la sécession

Devant le bannissement du tamoul comme langue officielle et le sentiment d’être injustement traités par le pouvoir en place, les Tamouls eurent une réaction violente: toute la population tamoule se souleva. Devant la résistance des Tamouls, la loi de 1956 (Official Language Act) a été considérablement modifiée en 1958 par la Loi sur la langue tamoule (Tamil Language Act), no 28. Mais la loi ne changea pas la situation qui se détériorait pour les Tamouls, d'autant plus que les dispositions législatives ne furent pas appliquées. En 1970, tout l'appareil de l'État était redevenu presque entièrement cingalais, avec des milliers de fonctionnaires tamouls obligés de démissionner en raison de leur insuffisance, présumée ou réelle, de la connaissance du cinghalais. C'est à cette époque qu’est née chez les Tamouls la volonté de s’affranchir de l’État centralisateur et d’affirmer leur autonomie.

Comme si le gouvernement cinghalais n’avait absolument rien compris les véritables enjeux, il nationalisa en 1961 les écoles tamoules, ce qui obligeait les Tamouls à apprendre le cinghalais. Le nationalisme cinghalais favorisa l’émergence du militantisme tamoul. Depuis, les conflits ethniques entre Cinghalais et Tamouls déchirent périodiquement le pays, jusqu’à menacer l'existence même de l'État. Si le nouvel État indépendant avait eu la présence d'esprit de proclamer le cinghalais et le tamoul comme les deux langues officielles du pays, il est probable que le Sri Lanka aurait pu éviter cette longue guerre. Par ailleurs, la suppression de l'anglais dans l'appareil de l'État fut plus difficile que prévu, notamment dans les transactions commerciales, l'enseignement supérieur, la technologie, la science, etc. L'anglais avait continué de servir comme valeur sociale, culturelle et économique, malgré la valorisation du cinghalais. 


Drapeau des Tigres

Le conflit entre Cinghalais et Tamouls prit une nouvelle tournure à la fin des années soixante-dix, quand le principal parti politique de la communauté tamoule, le Front uni de libération des Tamouls, demanda la création d’un État indépendant dans la province du Nord et la province de l’Est. En même temps, les Tamouls décrétèrent l'unilinguisme tamoul dans les deux provinces. Mais la Constitution de 1972, qui détachait définitivement l’île de Ceylan du Royaume-Uni, et la naissance de la République socialiste démocratique du Sri Lanka ne modifièrent pas les rapports de force entre Tamouls et Cinghalais. D'une part, cette constitution faisait de l’État sri lankais le protecteur du bouddhisme, ce qui  irritait les Tamouls, de religion hindouiste.

D'autre part, l’État maintenait les zones tamoules dans un sous-développement économique chronique et décida même d'y implanter des colons cinghalais dans les provinces traditionnellement tamoules. L'article 7 de la Constitution de 1972 déclarait que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais, comme le prévoit la Loi sur la langue officielle, no 33 de 1956.» Il s'agissait là d'un autre irritant pour les Tamouls, même si les article 8, 9, 10 et 11 autorisaient l'emploi du tamoul dans la législation et les tribunaux, notamment dans les provinces du Nord et de l'Est. Les dispositions de la Constitution témoignaient du peu de sensibilité de la part des Cinghalais à l'égard de la minorité tamoule. Les Tamouls et leurs représentants rejetèrent la Constitution de 1972 et exigèrent du gouvernement de la modifier et de reconnaître les droits constitutionnels de la nation tamoule, tout cela sans nécessairement mettre en péril l'unité du pays. Les Tamouls considéraient être dans une situation de colonialisme en privant leur nation de son territoire, de sa langue, de sa souveraineté, de sa vie économique, de ses emplois et de son éducation, afin de détruire les fondements de l'autonomie du peuple tamoul. Évidemment, le gouvernement ignora totalement les revendications du peuple tamoul, tout en promettant des améliorations importantes.

Mais les Tamouls refusèrent de se laisser endormir par les «promesses» des Cinghalais. En 1974, les activistes politiques tamouls continuèrent de prôner la création, dans le nord du pays, d'un État séparé. L'Eelam tamoul devint le nom du pays rêvé par les Tamouls, tandis que les Cinghalais furent appelés mlechchas (les «impurs»). Devant la montée incessante des revendications tamoules, la majorité cinghalaise considéra comme un «compromis» la nouvelle Constitution de 1978, qui abolissait nécessairement celle de 1972. L’article 18 de la Constitution de 1978 déclarait que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais»; que «le tamoul est aussi une langue officielle» et que «l'anglais est la langue véhiculaire». Cette disposition permettait d’accorder un rôle accru et officiel à la langue tamoule dans la province du Nord et la province de l’Est pour ce qui a trait à l’Administration, la justice et l’éducation. De plus, l'article 9 imposait le bouddhisme comme religion d'État :

Article 9

Buddhism

The Republic of Sri Lanka shall give to Buddhism the foremost place and accordingly it shall be the duty of the State to protect and foster the Buddha Sasana, while assuring to all religions the rights granted by Articles 10 and 14(1)(e).

Article 9

Bouddhisme

La république du Sri Lanka doit accorder au bouddhisme la place principale et, en conséquence, il est du devoir de l'État de protéger et de favoriser le Bouddha Sasana, en assurant à toutes les religions les droits accordés par les articles 10 et 14.1(e).

Puis les tensions persistèrent et continuèrent de s’accroître, en raison, entre autres, des inégalités économiques croissantes, ce qui entraîna même un durcissement des revendications tamoules.

À partir de 1983, les dissidents tamouls, regroupés au sein des Tigres de la libération de l'Eelam tamoul (LTTE) entrèrent en rébellion ouverte contre le régime de Colombo. La volonté de sécession fut exacerbée par les émeutes anti-tamoules, dont les actions se caractérisèrent par des attentats terroristes et des commandos-suicides. D’ailleurs, les dirigeants cinghalais en avaient pris leur parti et, comme en témoigne en 1983, J. R. Jayawardene, le président du Sri Lanka, ils ne se soucièrent plus des Tamouls: 

Je ne me soucie pas de l'opinion du peuple tamoul... Maintenant, nous ne pouvons pas penser à lui, ni à sa vie ni à son opinion... Plus vous mettrez de pression sur le Nord, plus heureux sera le peuple cinghalais ici... Vraiment, si je peux priver de nourriture les Tamouls, le peuple cinghalais sera heureux. [Daily Telegraph, Colombo, 11 juillet 1983].

De leur côté, les Tamouls en vinrent à recourir à des mesures désespérées. Depuis 1985, les Tigres de libération de l'Eelam tamoul commencèrent à utiliser une unité appelée le «Women's Front»: des fillettes y effectuaient des missions suicides et portaient des capsules de cyanure à leur cou qu'elles devaient croquer en cas de capture. De leur côté, les forces de sécurité cinghalaises en vinrent à massacrer à l’aveuglette les Tamouls, tandis que la torture devint une pratique courante. Comme si ce n’était pas assez, les Cinghalais adoptèrent en août 1983 une modification à la Constitution du Sri Lanka, laquelle rendit vacants les sièges des parlementaires élus du peuple tamoul. Décidément, les Cinghalais ne comprennent pas rapidement ce qu'il conviendrait de faire.

En 1987, après que les forces armées cinghalaises eurent mis fin à une offensive sur la ville de Jaffna (à l'extrême nord), les gouvernements de l'Inde et du Sri Lanka signèrent un accord (l'accord dit «indo-sri lankais») qui prévoyait une action politique et militaire concertée en vue de mettre un terme au conflit dans le Nord. Dans un premier temps, les sécessionnistes tamouls acceptèrent de ne pas affronter les troupes indiennes, en échange de promesses d'autonomie, mais revinrent sur leur position. Cet Accord indo-srilankais de 1987 reconnaissait quelques concessions aux Tamouls et précisait que le tamoul et l'anglais étaient aussi des langues officielles. De fait, la Constitution de 1987 amenait des changements notables dans le domaine des droits de la minorité tamoule. Le tamoul devint l’une des deux langues nationales du Sri Lanka (articles 19 et 22). Le cinghalais reste la langue officielle et administrative dans tout le pays, sous réserve que le tamoul est aussi utilisé comme langue administrative dans les provinces du Nord et de l’Est. Il y était également prévu de déléguer des pouvoirs administratifs à ces deux provinces. Celles-ci seraient temporairement unies pendant un an, après quoi les habitants de la province de l’Est pourraient, «à la discrétion du président», décider par référendum si elles souhaitent former une unité administrative séparée. Mais on ne nota dans les faits aucun changement significatif dans les droits des Tamouls.

L’année suivante, ce furent les citoyens cinghalais qui, à leur tour, protestèrent contre la présence des «troupes étrangères» sur leur territoire. Le président Premadasa, élu en 1989, fut assassiné en 1993, l'attentat étant attribué à un Tamoul. La guerre civile reprit, sauf pour un court cessez-le-feu de quatorze semaines conclu en 1995. Le 26 janvier 1998, le gouvernement interdit le LTTE après un attentat suicide à Kandy, lieu saint du bouddhisme. Le clergé bouddhiste est toujours demeuré sur ses positions: il resta hostile à toute revendication tamoule. En 1991, le LTTE s'est mis à dos son plus important allié, en envoyant une kamikaze tuer le premier ministre indien Rajiv Ghandi, en représailles contre une mission indienne de maintien de la paix, qui a mal tourné. En 1998, le gouvernement sri lankais imposa l'anglais comme matière obligatoire dans les écoles primaires. Il n'avait pas pensé que le système d'éducation ne disposait pas d'un nombre suffisant d'enseignants qualifiés. Le gouvernement allait s'en rendre compte en 2001 lorsque les premiers étudiants durent subir un examen d'anglais. Il fallut remettre en question les programmes.

- Vers le fédéralisme ?

Le 3 août 2000, afin de mettre fin à la guerre, le gouvernement du Sri Lanka présenta au Parlement un projet de Constitution fédérale accordant une importante dévolution de pouvoirs aux Tamouls. Ce projet constitue sans doute, depuis le début de la rébellion en juillet 1983, le premier geste déterminant effectué par un gouvernement sri lankais (ou cinghalais) envers les Tamouls, qui se plaignent des nombreuses mesures de discrimination de la communauté cinghalaise à leur égard. L’article 1er déclarait ce qui suit:

Article 1er

Le Sri Lanka est une république souveraine et est connue comme la république de Sri Lanka. La république de Sri Lanka est une union indissoluble de Régions.

Toutefois, l’autonomie dont il est question n’est pas l'indépendance, car le gouvernement propose aux Tamouls une forme de fédéralisme, d'ailleurs «indissoluble». C’est pourquoi les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) ont rejeté cette révision constitutionnelle et ont réclamé à nouveau l’indépendance pure et simple. Pour sa part, le gouvernement cinghalais avait prévenu que, si les Tamouls rejetaient ces propositions, la guerre allait continuer. Elle s'est poursuivie!

- Un échec prévisible

Selon les statistiques officielles du gouvernement sri lankais, quelques 20 000 rebelles tamouls auraient été tués en quinze ans de conflit (depuis 1985) entre la guérilla des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) et les troupes gouvernementales; pour leur part, les rebelles ont fait état de 16 000 morts. Depuis 1995, plus d’un demi-million de Tamouls de Jaffna (ville du Nord) sont sur les routes de l’exode: habitations détruites à 80 % dans la ville même de Jaffna, pénuries de vivres, d’électricité et de médicaments, massacres, viols, enlèvements, torture, destructions, etc. Certains parlent de «génocide» et d’«épuration ethnique» menés par les forces cinghalaises à l’encontre du peuple tamoul. La région demeura complètement fermée au reste du monde. En décembre 2000, la présidente du Sri Lanka (Mme Chandrika Kumaratunga) déclarait dans une entrevue accordée en français à la presse occidentale: «Je n’arrive toujours pas à comprendre comment une société civilisée comme la nôtre a pu devenir si animale, si bestiale.» C'est justement ce qualificatif qui revient souvent dans le bouche des Tamouls: les Cinghalais seraient pires que des «animaux».

Pourtant, la situation n’est pas si difficile à comprendre. Le colonialisme luso-hollando-britannique a implanté l’antagonisme religieux et ethnique dans l’île. Au lendemain de l’indépendance, les Cinghalais ont voulu reprendre ce qu'ils estimaient comme le «terrain perdu» et ont réduit considérablement les droits des Tamouls en instaurant la «dictature de la majorité». Or, ce n’était certainement pas de cette façon qu’ils espéraient favoriser la paix dans le pays. Les Tamouls se sont radicalisés, le clergé bouddhiste également qui représente la «religion d'État». Les conflits ethniques ont dégénéré en guerre civile, une guerre enlisée et sans issue, parce que les deux camps sont fortement armés. Le gouvernement maintient indéfiniment un régime d'urgence et applique une série de lois anti-démocratiques qui servent à imposer essentiellement la loi martiale dans le Nord et dans l’Est, à emprisonner sans procès des centaines de Tamouls et à intimider les médias et leurs adversaires politiques. Parce que le pays est «sous un régime de guerre», le gouvernement cinghalais est justifié d’imposer des lois interdisant les grèves, les réunions publiques et les protestations, et en imposant une censure dans tous les médias. Plusieurs journaux ont été fermés pendant que l’État engloutissait 40 % de ses revenus dans l’«effort de guerre». Le militarisme et le chauvinisme cinghalais coûtent cher!

En somme, au lendemain de l’indépendance, les Cinghalais ont fonctionné en terme d’«État-nation», alors que la structure sociale du pays était manifestement binationale. L’échec était d’autant plus prévisible que cette politique d’uniformisation se réalisait sur une base autocratique. Dès lors, le recours à la violence était inévitable. De plus, loin d’enrayer les mouvements d’émancipation tamoule, la mobilisation cinghalaise ne réussit qu’à les renforcer et les confirmer dans leur volonté de rupture avec cet État-nation dont les Tamouls étaient exclus. Ce processus s'apparente à d'autres cas semblables dans le monde tels que le Soudan, Israël, le Kosovo de Slobodan Milosevic, l'Indonésie, l'Irak, etc.

- Des actes manqués

Fait troublant: lorsque le tsunami du 26 décembre 2004 a déferlé sur le Sri Lanka en faisant plus de 30 000 morts, les autorités cinghalaises se sont laissé traîner les pieds avant de secourir le Nord tamoul. Les Tigres pour la libération de l'Eelam tamoul ont reproché au gouvernement sri lankais d'avoir tardé à envoyer de l'aide dans les zones sinistrées tamoules. Évidemment, Colombo a affirmé qu'il n'y avait aucune discrimination dans la distribution de l'aide, entre le Nord tamoul et le Sud cinghalais. Les Tigres de libération ont aussi accusé le gouvernement de ne pas laisser passer les dons privés envoyés vers ces régions, car l'armée sri lankaise avait envahi tous les centres de charité et exigé que les approvisionnements d'urgence lui soient remis et non pas directement à la population. Le ministère de la Défense a repoussé ces accusations, affirmant que ses services cherchaient simplement à assurer une distribution équitable de l'aide. La situation réelle dans les territoires du Nord est demeurée difficile à vérifier parce que le gouvernement sri lankais a restreint l'accès aux régions tamoules. La présidente du Sri Lanka serait personnellement intervenue pour empêcher le secrétaire général de l'ONU de se rendre dans le Nord-Est afin d'éviter que les Tigres n'exploitent cette visite à des fins politiques. On pouvait espérer que, en raison des tsunamis, la communauté internationale allait s'intéresser davantage au Sri Lanka, ce qui aurait contribué à résoudre le conflit entre Tamouls et Cinghalais.

Finalement, après vingt-cinq ans de guerre civile, la mort du chef rebelle Velupillai Prabhakaran en mai 2009 a scellé la défaite de l'armée des Tigres de libration de l'Eelam tamoul (KTTE). L'armée régulière sri lankaise contrôle désormais tout le nord du pays. Les pays de l'Union européenne ont demandé une enquête sur d'éventuels crimes de guerre commis à l'encontre des populations civiles. Si les Tamouls sont militairement battus, ils ne sont pas pour autant devenus pro-cinghalais. Le long conflit qui vient de se terminer aura fait près de 100 000 morts, dont 7000 seulement entre janvier et mai 2009. Il y a maintenant un long travail de reconstruction à faire. Et l'opération commence mal: le gouvernement sri lankais, afin de traquer les derniers membres des Tigres, a bouclé les camps de réfugiés tamouls, où s'entassent dans des conditions déplorables quelque 290 00 personnes, des déplacés de guerre. Dans les faits, ce sont des détenus sans avoir subi un procès, ce qui constitue une violation par le Sri Lanka du droit international. Leur crime, c'est d'être suspectés d'avoir été «contaminés» par la propagande des Tigres; ils sont donc perçus par le gouvernement comme des terroristes potentiels. Des immigrants sri lankais des États-Unis ou du Canada ont réussi à faire sortir des membres de leur famille de ces camps en donnant des pots-de-vin de 2000 $ US à 5000 $ US aux gardes armés. De plus, ces gardes armés vendent la nourriture fournie par les pays occidentaux. Au Sri Lanka, il existe des partis politiques ultranationalistes et hostiles à toute concession aux Tamouls, le Parti national-marxiste (JVP) et le Parti des moines bouddhistes (JHU). Dans ces conditions, il n'y aurait de paix possible que par la liquidation complète de la population tamoule. De son côté, le gouvernement américain a ordonné à la Croix-Rouge américaine de ne pas distribuer de biens humanitaires dans les territoires tamouls, même pas lorsqu'ils sont sous le contrôle cinghalais. Si ce n'est pas là une forme de génocide...

4 Le statut des langues

Selon l’état de la Constitution, le statut des langues varie considérablement au Sri Lanka. Dans la première Constitution (1948), le cinghalais était la seule langue officielle. La Constitution de 1972, en vertu de l’article 18, déclarait que le cinghalais était «la langue nationale et officielle» du Sri Lanka. L’article 18 de la Constitution de 1978 énonçait encore que «la langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais» et, à l’article 19, que «les langues nationales du Sri Lanka sont le cinghalais et le tamoul». Ce n’est qu’en 1987 que les articles 19 et 22 de la Constitution modifiée ont proclamé la co-officialité des deux langues nationales. Rappelons que cette constitution amenait des changements notables en ce qui concerne les droits linguistiques des Tamouls. Le tamoul est reconnu comme l’une des deux «langues nationales» du Sri Lanka. Le cinghalais reste «la langue officielle et administrative» dans tout le pays, sous réserve que le tamoul puisse aussi être utilisé comme langue administrative dans les provinces du Nord et de l’Est. Cette distinction entre la langue officielle et les langues nationales est subtile, mais elle suscite des conflits incessants entre Cinghalais et Tamouls dans la mesure où les droits et privilèges de l’une ou l’autre langue risquent d’être différents. Pourtant, on lit à l’article 18 (Constitution de 1978) ces grands principes :

Article 18

Official Language.

1)
The Official Language of Sri Lanka shall be Sinhala.

2) Tamil shall also be an official language.

3) English shall be the link language.

4) Parliament shall by law provide for the implementation of the provisions of this Chapter.

Article 18

Langue officielle

1)
La langue officielle du Sri Lanka est le
cinghalais.

2) Le tamoul est aussi une langue officielle.

3) L'anglais est la langue véhiculaire.

4) Le Parlement prévoit, conformément à la loi, la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre.

C'est en novembre 1987 que fut modifiée la Constitution de 1978 sur la langue officielle afin que le tamoul soit aussi une langue officielle:

Thirteenth Amendment to the Constitution

To make Tamil an official language and English a link Language, and for the establishment of Provincial Councils

[Certified on 14th November, 1987]

Article 2.

Article 18 of the Constitution of the Democratic Socialist Republic of Sri Lanka (hereinafter referred to as the "Constitution") is hereby amended as follows:-

(a) by the renumbering of that Article as paragraph (1) of that Article;

(b) by the addition immediately after paragraph (1) of that Article of the following paragraphs:

"(2) Tamil shall also be an official language.

(3) English shall be the link language.

(4) Parliament shall by law provide for the implementation of the provisions of this Chapter."

Treizième amendement à la Constitution

Pour faire du tamoul une langue officielle et l'anglais un langue véhiculaire, et pour la création des Conseils provinciaux

[Attesté le 14 novembre 1987]

Article 2

L'article 18 de la Constitution de la République démocratique socialiste du Sri Lanka (ci-après mentionnée comme la «Constitution») est par la présente modifiée comme suit : 

(a) par le changement de numération du présent article comme au paragraphe 1 de cet article;

(b) par l'adjonction immédiate après le paragraphe 1 du présent article des paragraphes suivants :

"(2) Le tamoul est aussi une langue officielle.

(3) L'anglais est la langue véhiculaire.

(4) Le Parlement prévoit, conformément à la loi, la mise en œuvre des dispositions du présent chapitre."

Il est significatif que le législateur n'ait pas libellé la disposition de la manière suivante: «Le cinghalais et le tamoul sont les langues officielles du Sri Lanka.» D'ailleurs, dans le projet de Constitution de 2000, on lit plutôt à l'article 32: «Les langues officielles de la République sont le cinghalais et le tamoul.»

Dans l'état de la situation en 1978, il était donc possible que l’égalité soit plus lourde d’un côté que de l'autre. Ajoutons aussi que la distinction entre langue officielle et langue nationale résulte d’un compromis de la part des Cinghalais qui se sont toujours refusé dans le passé à reconnaître le tamoul comme langue officielle. N’oublions pas que la Loi sur la langue officielle de 1956 (Official Language Act) ne reconnaissait que le cinghalais comme langue officielle. On lisait à l'article 2, alors que le Sri Lanka était encore le Ceylan: «Le cinghalais est la seule langue officielle du Ceylan.»  Mais cette loi fut abrogée et remplacée en 1987 par l'accord indo-sri lankais dont l'article  2.18 se lit comme suit: «La langue officielle du Sri Lanka est le cinghalais. Le tamoul et l'anglais sont aussi des langues officielles.»  Quoi qu'il ne soit, le Sri Lanka compte maintenant trois langues nationales: le cinghalais, le tamoul et l'anglais.  Il faut comprendre que la langue officielle est le cinghalais, que le tamoul est aussi une langue officielle et que l'anglais est la langue véhiculaire. C'est ce que prévoit le projet de Constitution de 2000:

Article 32.

Official languages.

The official languages of the Republic shall be Sinhala and Tamil.

Article 33.

National languages.

The national languages of the Republic shall be Sinhala, Tamil and English.

Article 32

Langues officielles

Les langues officielles de la République sont le cinghalais et le tamoul.

Article 33

Langues nationales

Les langues nationales de la République sont le cinghalais, le tamoul et l'anglais.

Bref, une certaine hiérarchie est établie: le cinghalais est un peu plus officiel que le tamoul, et l'anglais est une langue véhiculaire qui peut remplacer le tamoul aussi bien que le cinghalais.

Afin de garantir les droits linguistiques des citoyens, le Sri Lanka a créé la Commission des langues officielles (Official Languages Commission) et le Département des langues officielles (Department of Official Languages). De plus, le gouvernement a créé l'Institut national de l'enseignement des langues et de la formation (National Institute of Language Education and Training) afin de renforcer la formation et d’appuyer la recherche, l’archivage et la diffusion de l’information concernant la mise en œuvre de la politique linguistique. Le gouvernement sri lankais a également adopté des mesures administratives pour favoriser l’acquisition des compétences bilingues dans tous les secteurs de la fonction publique.

5 Les langues de la Législature

Au Parlement, les trois langues nationales sont formellement permises dans les débats : le cinghalais, le tamoul et l’anglais. C'est l'article 20 de la Constitution de 1978 modifiée :

Article 20

Usage des langues nationales au Parlement et de la part des autorités locales

Tout membre du Parlement, d'un Conseil provincial ou d'une collectivité locale a le droit d'exercer ses fonctions et de s'acquitter de ses obligations au Parlement, au Conseil provincial ou à la collectivité locale dans l'une ou l'autre des langues nationales.

Les parlementaires ont droit à un système de traduction simultanée entre le cinghalais et le tamoul (ou l’inverse). Comme on s’y attend, c’est théoriquement le cas pour la rédaction et la promulgation des lois. En principe, selon l'article 23 de la Constitution de 1978, les lois sont rédigées en cinghalais, puis traduites dans les deux autres langues nationales, l'anglais étant officiellement une langue de traduction:

Article 23

Langues de la législation

1)
Toutes les lois et la législation subalterne doivent être promulguées, rédigées et publiées en cinghalais et en tamoul, accompagnées d'une traduction en anglais;

Pourvu que le Parlement prévoit, à l'étape de la promulgation, une loi fixant quel texte prévaudra en cas de conflit entre des textes.

2) Toutes les ordonnances, toutes les proclamations, tous les décrets, tous les arrêtés, tous les règlements et avis faits ou parus en vertu d'une loi écrite autre que celle d'un Conseil provincial ou d'une collectivité locale ainsi que le Journal officiel doivent être publiés en cinghalais et en tamoul accompagnés d'une traduction en anglais.

3) Toutes les ordonnances et les proclamations, tous les décrets, arrêtés, règlements et avis faits ou parus en vertu d'une loi écrite autre que celle d'un Conseil provincial ou d'une collectivité locale, et tous les documents incluant les circulaires et formulaires publiés ou employés par une institution ou un organisme publics doivent être publiés dans la langue employée par l'administration dans les régions respectives dans lesquelles elles fonctionnent, accompagnés d'une traduction en anglais.

4) Toutes les lois et la législation subalterne en vigueur immédiatement avant l'entrée de la Constitution doivent être publiées dans le Journal officiel en cinghalais et en tamoul aussi rapidement que possible.

La traduction donnée ici en français a recours au terme «subalterne». Il convient de comprendre qu'il s'agit d'une législation «déléguée» en vertu de la Constitution sri lankaise qui accorde aux conseils provinciaux et aux municipalités le pouvoir de faire des règlements. C'est en ce sens qu'on parle de «législation subordonnée». 

Contrairement aux disposions des anciennes constitutions, la version du projet de constitution de 2000 n'accorde plus la primauté de la version cinghalaise sur la version tamoule :

Article 39.

Language of legislation

1) All Acts of Parliament, Statutes of Regional Councils and subordinate legislation shall be enacted or made in Sinhala, Tamil and English.

2) In the event of any inconsistency between any two such texts of any Act, Statute or provision of subordinate legislation, each such text shall be regarded as equally authoritative unless the authority enacting or making such written law shall otherwise provide.

Article 39

Langues de la législation

1) Toutes les lois du Parlement, tous les règlements des Conseils régionaux ainsi que la législation subalterne doivent être rédigés et promulgués en cinghalais, en tamoul et en anglais.

2)
Dans l'éventualité où un conflit existe entre deux textes d'une loi, d'un règlement ou d'une disposition d'une législation subalterne, chacun de ces textes doit être considéré comme également valide à moins que l'autorité ayant adopté ou rédigé ladite législation ne le prévoit autrement.

Il reste à transposer ce beau principe de l'égalité des langues dans la réalité, car la «démocratie» sri lankaise a fait en sorte qu’aucun Tamoul n'a jamais été élu dans une circonscription à prédominance cinghalaise et aucun cinghalais n'a jamais été élu dans une circonscription à prédominance tamoule.

6 Les langues de la justice

Dans la Constitution de 1978, l’article 24 précise bien que «le cinghalais et le tamoul sont les langues des tribunaux dans tout le Sri Lanka», mais que «le cinghalais doit être employé comme langue judiciaire dans toutes les régions du Sri Lanka, sauf celles où le tamoul est la langue de l'administration.» Autrement dit, le cinghalais est la langue judiciaire dans tout le Sri Lanka, mais le tamoul a les mêmes droits dans les régions tamoules.

Article 24

Langue des tribunaux

1)
Le cinghalais et le tamoul sont les langues des tribunaux dans tout le Sri Lanka, et le cinghalais doit être employé comme langue judiciaire dans toutes les régions du Sri Lanka, sauf celles où le tamoul est la langue de l'administration. Le procès-verbal et la procédure doivent être dans la langue du tribunal. Dans le cas d'un appel, les procès-verbaux doivent aussi être préparés dans la langue de la procédure de la cour d'appel si la langue de cette cour est une autre que celle employée par la cour dont l'appel est référé.

À la condition que le Ministre responsable de la Justice puisse, avec l'approbation du Conseil des ministres, décider que le registre et la procédure d'un tribunal soient aussi tenus dans une autre langue que celle du tribunal.

Selon la législation en vigueur, le cinghalais demeure toujours la langue judiciaire du pays, à l'exception des deux provinces tamoules (Nord et Est) où le tamoul devient la langue des tribunaux. Cela étant dit, tout citoyen sri lankais a le droit, en vertu de la Loi sur le Code de procédure criminelle (1979), d'utiliser sa langue maternelle, le cinghalais ou le tamnoul, et d'avoir recours à un traducteur s'il ne comprend pas la langue du tribunal :

Article 275

Traduction d'un témoignage pour l'accusé

1)
Chaque fois qu'un témoignage est donné dans une langue qui n'est pas comprise par l'accusé et que celui-ci est présent en personne et qu'il n'est pas représenté par un avocat, il doit lui être traduit en audience publique dans une langue qu'il comprend.

2) Lorsque des documents sont présentés comme preuve formelle, il relève de la discrétion de la cour, seulement s'il lui apparaît nécessaire, de les faire traduire.

Il est très clair, selon la Loi sur le Code de procédure criminelle, qu'un justiciable a toujours le droit de comprendre, au besoin par l'intermédiaire d'un traducteur, le juge, les témoins et toute la procédure en général:
 

Article 277

Dépôt de la déclaration ou de l'examen de l'accusé

1)
Lorsque, au cours d'une enquête en vertu du chapitre XV, un accusé fait une déclaration à un magistrat, l'ensemble de cette déclaration doit être déposé dans son intégralité; et ce dossier doit lui être montré et lu ou, s'il ne comprend pas la langue dans laquelle il est rédigé, il lui est traduit de façon qu'il comprenne en ayant la liberté d'expliquer ou de modifier sa déclaration.

L’article 43 du projet de Constitution de 2000 prévoit même des dispositions à l’égard de l’anglais puisque cette langue fait partie des trois langues nationales :

Article 43

Requête de la procédure devant le tribunal

Une partie ou un requérant ayant légalement le droit de représenter une partie ou un requérant peut entamer des poursuites judiciaires et proposer au tribunal des mémoires et autres documents, et participer à la procédure du tribunal, en cinghalais, en tamoul ou en anglais.

La Constitution sri lankaise de 1978 garantit le droit de quiconque, dans toutes les provinces du pays, de recevoir et de faire parvenir des messages et de traiter avec l’administration judiciaire en cinghalais, en tamoul ou en anglais, ainsi que de consulter et d’obtenir un exemplaire ou un extrait des registres, circulaires, actes, publications ou tout autre document officiel ou, selon le cas, de leur traduction en cinghalais, en tamoul ou en anglais.

Si l'on veut résumer la situation, on peut comprendre que le tamoul soit utilisé dans la province du Nord et la province de l’Est et que le cinghalais est employé dans toutes les autres provinces. Néanmoins, tout justiciable (avocat, accusé, témoin, etc.), dans n'importe quelle province ou région, peut également utiliser sa langue dans un tribunal où l’on a recours à une autre langue officielle. Dans tous les cas, l’anglais peut remplacer l'une des deux langues.

7 Les langues des services publics

Au Sri Lanka, en vertu de la législation en vigueur, l’Administration nationale est en principe trilingue: cinghalais, tamoul et anglais. Ces langues sont considérées sur un pied d'égalité. Cependant, des précisions s'imposent, car il faut ajuster la politique linguistique à la réalité sociale.

7.1 Le trilinguisme

L'article 22 de la Constitution de 1978 énonce que le cinghalais et le tamoul sont les langues de l'Administration dans tout le Sri Lanka. Toutefois, le cinghalais demeure la langue de l'administration et doit être utilisé pour la tenue des registres publics et des affaires de la part des institutions publiques de toutes les provinces du Sri Lanka, sauf dans les provinces du Nord et de l'Est, là où le tamoul est employé:

Article 22

Langues administratives

1)
Le cinghalais et le tamoul doivent être les langues de l'Administration dans tout le Sri Lanka, mais le cinghalais demeure la langue de l'administration et doit être utilisé pour la tenue des registres publics et des affaires de la part des institutions publiques de toutes les provinces du Sri Lanka, sauf dans les provinces du Nord et de l'Est, là où le tamoul est employé.

Selon les termes de cette disposition, le cinghalais est la langue de l’administration dans toutes les provinces à l'exception de la province du Nord et de la province de l'Est. Dans ces deux provinces, le tamoul est utilisé pour la tenue des registres publics et pour toutes les formalités officielles. Cela étant dit, la Constitution garantit le droit de chacun, dans toutes les provinces du pays, de recevoir et d’envoyer des communications, et de traiter avec l’administration en cinghalais, en tamoul ou en anglais, ainsi que de consulter et d’obtenir un exemplaire ou un extrait des registres, circulaires, actes, publications ou tout autre document officiel, ou encore leur traduction en cinghalais, en tamoul ou en anglais, selon le cas. Les paragraphes 2 et 3 du même article 22 sont éloquents à ce sujet:

Article 22

2) Dans une région où le cinghalais est employé comme langue administrative, une personne autre qu'un fonctionnaire agissant à titre officiel a le droit:

(a) de recevoir ses communications, de communiquer et de faire affaire avec un fonctionnaire agissant à titre officiel, soit en tamoul soit en anglais;

(b) si la loi lui reconnaît ce droit d'inspecter ou d'obtenir des exemplaires ou des extraits de registres, de dossiers ou de publications officiels ou de tout autre document, ou une traduction de ces documents, selon le cas, soit en tamoul soit en anglais;

(c) lorsqu'un document est produit par un représentant officiel afin de lui être remis, d'obtenir ce document ou une traduction de celui-ci, soit en tamoul soit en anglais;

3) Dans une région où le tamoul est employé comme langue administrative, toute autre personne qu'un représentant officiel agissant à titre officiel a le droit d'exercer ses droits et d'obtenir des services, tel qu'il est prévu aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 2 du présent article, en cinghalais ou en tamoul.

Rappelons que la Constitution de 1978, selon le 13e amendement du 14 novembre 1987, définit le cinghalais et le tamoul comme des «langues officielles», mais aussi l'anglais comme une «langue véhiculaire» ("link language"), et les trois langues comme des «langues nationales». C'est pourquoi tout citoyen sri lankais a le droit de traiter avec les institutions du gouvernement dans l'une des trois langues. Cependant, il est impossible de prétendre servir le public dans les trois langues dans tout le pays, en raison du manque de connaissances linguistiques de la part des employés de l'État dans les deuxième (cinghalais ou tamoul) et troisième (anglais) langues. Non seulement, beaucoup de fonctionnaires cinghalais ou tamouls n'ont pas les connaissances suffisantes de l'autre langue officielle, mais certains en ont encore moins pour l'anglais.

Cette politique du trilinguisme n'a que fort peu de chance de réussir pour diverses raisons. Non seulement il est difficile de généraliser l'enseignement du cinghalais dans les deux provinces tamoules, mais ce l'est encore davantage dans les provinces cinghalaises pour le tamoul. Quant à l'anglais, c'est une langue véhiculaire de prestige pour l'élite dirigeante de la capitale, Colombo. Puis, plus on s'éloigne de la capitale, plus l'usage de l'anglais diminue. Dans les zones rurales, l'anglais est pratiquement inconnu, surtout dans le Sud.  Alors que beaucoup d'écoles publiques ont cessé de dispenser des cours d'anglais, la plupart des écoles privées, accessibles principalement à une élite économiquement aisée, ont continué de n'enseigner parfois que l'anglais. Même depuis que l'anglais soit de nouveau une langue d'enseignement depuis 1999, la pénurie d'enseignants qualifiés a eu pour effet de restreindre considérablement l'apprentissage de l'anglais. Le degré de connaissance réelle de l'anglais demeure parfois rudimentaire dans les écoles publiques, contrairement aux écoles privées. Dans les faits, peu de Sri Lankais instruits dans les écoles publiques peuvent soutenir une véritable conversation en anglais. Par voie de conséquence, l'anglais est une langue véhiculaire uniquement pour une certaine élite universitaire et commerciale. Bref, l'anglais ne remplacera jamais les langues nationales que sont le cinghalais et le tamoul, surtout dans les régions rurales. Parce que le cinghalais est la langue largement majoritaire dans le pays, il n'est pas aisé de parler à un anglophone; on ne rencontre pas des Britanniques à chaque coin de rue.  Quant aux Tamouls, parce qu'ils sont minoritaires, ils sont plus motivés que les Cinghalais à apprendre l'autre langue officielle.

7.2 Les organismes linguistiques

Le Si Lanka s'est doté d'organismes linguistiques importants. Nous en retiendrons trois: le Département des langues officielles (Department of Official Languages), la Commission des langues officielles (Official Languages Commission) et l'Institut national d'enseignement des langues (National Institute of Language Education). 

- Le département des langues officielles

Le Département des langues officielles (Department of Official Languages) est un organisme gouvernemental destiné à faciliter la mise en œuvre de la politique linguistique, tel qu'il est stipulé aux articles 18 et 19, du chapitre IV de la Constitution sri lankaise. Les objectifs du Département des langues officielles sont le suivants:

1. Améliorer les compétences linguistiques au sein des services publics.
2. Promouvoir l'harmonie et la paix ethnique au moyens d'activités interculturelles.
3. Promouvoir une conscience au sujet de la politique linguistique officielle.
4. Reconnaître et faciliter la promotion d'un véritable multilinguisme, afin de réaliser l'unité dans la diversité et la compréhension internationale, conformément à la politique économique ouverte du gouvernement et la résolution des Nations unies, no 56/262.

Rappelons que la résolution 56/262 des Nations unies, en date du 15 février 2002, demandait aux États Membres d’encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier. La résolution précise que l’Organisation des Nations unies pratique le multilinguisme en tant que moyen de favoriser, défendre et préserver la diversité des langues et des cultures au niveau mondial et considère qu’un véritable multilinguisme favorise l’unité dans la diversité et l’entente internationale.

Pour ce qui est des activités du Département des langues officielles du Sri Lanka, elles correspondent aux suivantes:

- Former des fonctionnaires pour obtenir une compétence trilingue.
- Former des traducteurs pour assurer une traduction directe du cinghalais au tamoul, et vice versa.
- Confectionner des glossaires à des fins administratives et scolaires.
- Confectionner un dictionnaire trilingue.
- Prévoir des équipements de traduction aux établissements dans le secteur public.
- Préparer des guides ce cours et du matériel pédagogique. (p. ex., livres, plans de cours, cassettes, etc.) pour l'enseignement des langues.
- Faciliter la formation linguistique grâce aux technologies modernes, en vue de promouvoir le multilinguisme dans le pays.
- Préparer des examens et des certificats de connaissance linguistique. 
- Préparer des programmes de sensibilisation sur la politique des langues officielles.

Le Département des langues officielles a élaboré plusieurs glossaires, dont des glossaires trilingues dans des domaines techniques. Soulignons que le Département des langues officielles a adopté diverses mesures pour mettre en œuvre la politique linguistique sri lankaise afin d'éliminer ou réduire les difficultés qui empêchent les minorités tamoules de bénéficier de leurs droits linguistiques. Le Département a organisé dans tout le pays des cours d’enseignement du cinghalais, du tamoul et de l’anglais, afin qu'un plus grand nombre de fonctionnaires deviennent bilingues ou trilingues. Ces cours sont dispensés au personnel des forces armées, mais surtout tout dans les secrétariats de division, départements des ministères du gouvernement et autres institutions de l’État. La Fonction publique sri lankaise compte quelque 300 000 employés; chaque année, plus de 10 000 fonctionnaires suivent les cours de langue organisés par le Département des langues officielles. Dans ses stratégies, le Département des langues officielles entreprend des campagnes d’affiches, distribue des tracs et des brochures, propose des séminaires, des ateliers, des expositions de livres, publie des articles dans la presse afin de sensibiliser les fonctionnaires dans leurs obligations et d'informer le public sur la façon il est concerné par la législation linguistique.

- La Commission des langues officielles

La Commission des langues officielles (Official Languages Commission ou OLC), pour sa part, est un organisme officiel créé en vertu de la Loi sur la Commission des langues officielles (Official Languages Commission Act) de 1991 et elle est investie de l'autorité pour superviser la mise en œuvre de la politique des langues officielles.

Les objectifs de la Commission des langues officielles sont présentés à l'article 6 de la Loi sur la Commission des langues officielles:

Article 6

Objectifs de la Commission

Les objectifs généraux de la Commission sont les suivants:

(a) recommander les principes de la politique concernant l'emploi des langues officielles ainsi que contrôler et surveiller la conformité des dispositions contenues dans le Chapitre IV de la Constitution;

(b) prendre toutes les actions et les mesures nécessaires pour assurer l'emploi des langues visées à l'article 18 de la Constitution (ci-après mentionné comme «les langues appropriées») conformément à l'esprit et l'intention du chapitre IV de la Constitution;

(c) promouvoir l'appréciation des langues officielles ainsi que l'acceptation, le maintien et la continuité de leur statut, leur égalité et le droit de les employer;

(d) mener des enquêtes de sa propre initiative et, en réponse à toutes les plaintes reçues, de recourir à des mesures correctives comme prévues par les dispositions de la présente loi.

La Commission des langues officielle a le droit de recommander les principes guidant la politique dans l'emploi des langues officielles et de surveiller la conformité des pratiques avec les dispositions contenues dans le chapitre IV de la Constitution de 1978. Elle peut aussi prendre toutes les mesures nécessaires s'assurer de l'emploi approprié des deux langues officielles. L'un des objectifs de la Commission est de mener des enquête dans les cas de non-conformité de la politique linguistique et de la Loi sur la Commission des langues officielles. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire refuse ou néglige délibérément d’instruire une affaire ou de transmettre un exemplaire ou un extrait d’un acte dans la langue demandée, il se rend coupable d’une infraction et est passible, à l’issue d’une procédure sommaire devant un magistrat, d’une amende de 1000 roupies au maximum ou d’une peine de prison de trois mois au maximum, ou de l’une et l’autre peine.

Article 28

Fonctionnaires nécessaires pour remplir leurs obligations officielles dans une langue concernée et reconnus coupables d'une infraction dans certaines circonstances

1) Lorsqu'un fonctionnaire est requis dans l'exercice de ses fonctions officielles pour traiter des questions touchant ses obligations, recevoir ou établir une communication et qu'il émet un exemplaire ou un extrait d'un registre, d'un rapport, une publication ou tout autre document dans une langue donnée, et que, délibérément il néglige ou omet de transiger une affaire, de recevoir ou de prendre une communication ou de transmettre un exemplaire ou des extraits dans une langue concernée, il est coupable d'une infraction et, s'il est condamné lors d'un procès sommaire devant un juge, il est passible d'une amende ne dépassant pas 1000 roupies ou d'un emprisonnement pour un terme n'excédant pas trois mois ou les deux, soit la pénalité et l'emprisonnement.

La Commission est non seulement autorisée à accepter et examiner les plaintes des citoyens qui allèguent que leurs droits linguistiques ont été violés, mais elle a la possibilité d'ordonner une réparation.

La Commission des langues officielles est aussi investi du pouvoir de s'engager dans des activités publiques en éducation sur le statut ou l'usage des langues appropriées. La Commission exerce donc quatre fonctions principales:

- une fonction consultative sur les questions de politique linguistique;
- une fonction de contrôle au sujet de la conformité de la législation et des pratiques;
- une fonction éducative sur le statut ou l'usage des langues appropriées:
- une fonction d'enquête sur les plaintes quant à la violation des droits linguistiques prévus dans la Constitution.

Les pouvoirs de la Commission sont présentés à l'article 7 de la Loi sur la Commission des langues officielles :

Article 7

Pouvoirs de la Commission

La Commission détient les pouvoirs suivants:

(a) entreprendre la revue des règlements, directives ou des pratiques administratives qui affectent ou peuvent affecter le statut ou l'usage de chacune des langues concernées;

(b) émettre ou mandater des études ou des documents de politique sur le statut ou l'usage des langues concernées qu'elle jugera nécessaire ou souhaitable;

(c) entreprendre des activités pédagogiques publiques, y compris le parrainage ou lancer des publications ou d'autres présentations de médias sur le statut ou l'usage des langues concernées qu'elle jugera souhaitable;

(d) acquérir par voie d'achat ou autrement et tenir, prendre ou donner en location ou contre paiement des emprunts, des ventes ou des promesses d'achat et disposer de toute propriété meuble ou immeuble; et

(e) faire tout ce qui est nécessaire ou accessoire pour la réalisation des objectifs de la Commission ou pour l'exercice des pouvoirs de la Commission.

Les dispositions constitutionnelles et législatives, qui imposent que le cinghalais est la langue administrative dans les sept provinces du Sud, impliquent que ces mêmes dispositions valent à l'égard du tamoul dans la province du Nord et la province de l'Est. Néanmoins, ces dispositions s'appliquent également dans toute l'île en fonction d'un nombre substantiel de locuteurs de l'autre langue officielle.

- L'Institut national d'enseignement des langues

L'Institut national d'enseignement des langues et de la formation (National Institute of Language Education and Training), le NILET, appelé plus simplement Institut national d'enseignement des langues (National Institute of Language Education), est un autre organisme gouvernemental destiné à promouvoir l'unité nationale au moyen de l'enseignement des langues en éducation. La formation linguistique est devenue, dans un contexte de crise ethnique, une nécessité en l'absence d'intégration réelle des deux communautés cinghalaise et tamoule. Bref, la connaissance du cinghalais et du tamoul constitue un moyen de favoriser la compréhension entre les communautés linguistiques.

Or, le Sri Lanka manque de personnel bilingue et trilingue, non seulement chez les fonctionnaires, mais aussi chez les enseignants, les traducteurs, les interprètes et les formateurs. En ce sens, la Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation, no 26 de 2007, vise à assurer ledit institut à former des enseignants, bilingues, des traducteurs et des interprètes, ainsi que des formateurs ou des instructeurs qualifiés pour former des professeurs de langues, des traducteurs et des interprètes dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise. La pénurie de personnel bilingue au sein de l'administration publique a sans doute été l'une des difficultés à harmoniser les relations entre les deux grandes communautés linguistiques. Le pays manque au moins de quelque 500 traducteurs et autant d'interprètes. L'article 4 de la Loi sur l'Institut national d'enseignement des langues et de la formation définit ainsi les objectifs de l'Institut :

Article 4

Objectifs de l'Institut


Les objectifs pour lesquels est créé l'Institut est de prévoir une institution qui doit former :

(a) des maîtres compétents pour enseigner le cinghalais, le tamoul et l'anglais à ceux qui sont désireux d'acquérir ces connaissances;

(b) des traducteurs et des interprètes compétents dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise, lesquels constitueront le Service national des traducteurs et le Service national des interprètes, qui doivent être créés en vertu de la loi;

(c) des instructeurs qualifiés pour former des professeurs de langues, des traducteurs et des interprètes dans les langues cinghalaise, tamoule et anglaise;

(d) du personnel formé avec des habiletés trilingues pour la prestation efficace de services auprès du public.

Quant aux fonctions de l'Institut, citons notamment les suivantes:

- dispenser une formation approfondie en cinghalais, en tamoul et en anglais, afin de constituer un effectif apte à enseigner le cinghalais, le tamoul et l'anglais aux individus désireux d'acquérir ces connaissances;

- mener des recherches et des études sur les questions relatives à la formation linguistique;

- mettre en place un corps professionnel formé et équipé pour entreprendre une carrière d'enseignement des langues;

- dispenser des cours de langue spécifiques en cinghalais, en tamoul et anglais pour des catégories particulières de candidats comme interprètes, traducteurs et sténographes;

Il s'agit en fait d'une politique de bilinguisation de la fonction publique et des établissements d'enseignement. C'est pourquoi des primes au bilinguisme ont été accordés aux fonctionnaires qui apprennent une autre langue nationale, selon le cas, le tamoul ou le cinghalais.  Ces primes sont de 15 000, 20 000 et 25 000 roupies (une roupie sri lankaise équivalant à 0,01$ US; 15 000 roupies équivalant à 150 $ US) selon les trois niveaux de compétence linguistique acquis par les fonctionnaires pour une deuxième langue.

À partir du 1er juillet 2007, toutes les nouvelles recrues doivent acquérir, au plus tard cinq ans après leur embauche, une deuxième langue officielle pour exercer leurs fonctions dans l'administration de l'État (voir les circulaires administratives no 03/2007 et no 07/2007).

Public Administration Circular No. 03/2007

02. Incentive for the Official Languages

02.01 Proficiency in both languages should be acquired by an officer for him to be entitled for the incentive payment which will be paid on reaching the minimum standard of proficiency depending on the nature of duties in the relevant post.

Public Administration Circular No. 07/2007

Implementation of Official Language Policy

The Government has decided to implement the following provisions to enable the Public Servants to carry out their functions and duties both in Sinhala and Tamil since the two languages are official languages in terms of the Constitution of the Democratic Socialist Republic of Sri Lanka.

(a) All officers recruited to the Public / Provincial Public Service with effect from 01.07.2007 should acquire proficiency in the other official language within a period of 5 years in addition to the official language through which they enter the service.

Circulaire administrative générale no 03/2007

02. Prime pour les langues officielles

02.01 La maîtrise des deux langues doit être acquise par un fonctionnaire pour avoir droit à une indemnité incitative qui sera versée en fonction de l'atteinte du degré minimal de maîtrise, selon la nature de ses obligations dans le poste concerné.

Circulaire administrative générale no 07/2007

Mise en œuvre de la politique des langues officielles

Le gouvernement a décidé de mettre en œuvre les dispositions suivantes pour permettre aux fonctionnaires d'exercer leurs fonctions et obligations en cinghalais et en tamoul, étant donné que les deux langues sont des langues officielles selon les termes de la Constitution de la République démocratique socialiste du Sri Lanka.

(a) Tous les fonctionnaires recrutés dans la fonction publique ou le service provincial en date du 1er juillet 2007 doivent acquérir la maîtrise de l'autre langue officielle dans un délai de cinq ans en plus de la langue officielle pour laquelle ils sont entrés en fonction.

Le gouvernement veut former un personnel bilingue en nombre suffisant parmi les 7000 employés de l'État. Actuellement, seulement 8,3 % des fonctionnaires nationaux parlent le tamoul, et 16 % dans les administrations provinciales, bien que cette langue soit une langue officielle depuis une vingtaine d'années; le gouvernement veut en arriver à un minimum de 25 % de fonctionnaires bilingues. Le service de la police compte plus de 65 000 personnes, mais seuls 600 d'entre eux parlent le tamoul, ce qui constitue un problème. Malheureusement, le gouvernement se heurte à la pénurie de personnel pouvant enseigner les deux langues dans les écoles, les ministères, les tribunaux, etc.

Pour l'instant, malgré certains progrès accomplis, la plupart des documents écrits dans les ministères sont en cinghalais et en anglais, mais ils peuvent l’être en tamoul pour les régions désignées. Dans tous les ministères, l’anglais demeure une langue plus importante que le tamoul, considérée comme la «troisième langue gouvernementale». Tout n'est pas imputable au gouvernement. Les Tamouls craignent de poser leur candidature à des postes publics du gouvernement central, de peur de subir des représailles de la part de leurs compatriotes tamouls. Seuls les documents provenant d’un organisme municipal sont rédigés en cinghalais ou en tamoul, l’anglais n’ayant plus aucun statut.

En 2007, le Daily Mirror de Colombo révélait que 66,5 % du public interviewé ignorait totalement qu'il existait une politique linguistique sur les langues officielles au Sri Lanka. Plus de 70 % des personnes interrogées ignorait aussi l'existence du Département des langues officielles et 71,6 % d'entre eux ne connaissaient pas la Commission des langues officielles. Les sondeurs ont demandé quelle était la satisfaction du public quant à la connaissance du tamoul dans les institutions de l'État et, contre toute attente, 77,4 % des répondants ont affirmé être très ou assez insatisfaits. Enfin, 94,1 % des Tamouls interrogés ont dit ne pas avoir été capables d'obtenir un service bilingue dans les bureaux de l'administration à Colombo. C'est un piètre résultat après presque six décennies d'indépendance. L'année 2009 a été déclarée par le président sri lankais, Mahinda Rajapaksa, comme «l'année de l'anglais».

8 Les langues de l’éducation

Le système d'éducation primaire et secondaire relève du ministère de l’Éducation, des Affaires culturelles et de l’Information. L’enseignement supérieur est placé sous la juridiction du ministère de l’Enseignement supérieur. Il existe un réseau public et gratuit, et un réseau privé et payant. Au plan de la langue, il existe trois types d’écoles distinctes au Sri Lanka: les écoles cinghalaises, les écoles tamoules et les écoles anglaises.

Les Sri-Lankais peuvent recevoir leur instruction dans l’une ou l’autre des trois types d'écoles, et ce, à tous les niveaux de leur enseignement: maternelle, primaire, secondaire, universitaire. Les parents ne choisissent pas dans quelle langue leurs enfants recevront leur instruction. Les Cinghalais vont à l’école cinghalaise, les Tamouls, à l’école tamoule; les «anglophones», à l’école anglaise. Ce partage est conforme aux dispositions de l’article 21.1 de la Constitution :

Article 21

Medium of instruction.

1)
A person shall be entitled to be educated through the medium of either of the National Languages:

Provided that the provisions of this paragraph shall not apply to an institution of higher education where the medium of instruction is a language other than a National Language.

Article 21

Langue d'enseignement

1)
Tout individu a le droit de recevoir son instruction par l'intermédiaire de chacune des langues nationales:

En autant que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliquent pas à un établissement d'enseignement supérieur si la langue d'enseignement est une autre langue que la langue nationale.

Dans le domaine universitaire, il est possible de suivre des cours dans l’une de ces trois langues, dans la mesure où l’usage de cette langue est raisonnablement réalisable (art. 21.2):

2) Where one National Language is a medium of instruction for or in any course, department or faculty of any University directly or indirectly financed by the State, the other National Language shall also be made a medium of instruction for or in such course, department or faculty for students who prior to their admission to such University, were educated through the medium of such other National Language:

Provided that compliance with the preceding provisions of this paragraph shall not be obligatory if such other National Language is the medium of instruction for or in any like course, department or faculty either at any other campus or branch of such University or of any other like University.

2) Lorsque, pour un cours dans un département ou une faculté d'une université financée directement ou indirectement par l'État, la langue d'enseignement est une langue nationale, l'autre langue nationale doit aussi servir de moyen d'enseignement pour ce cours, ce département ou cette faculté, pour les étudiants qui, avant d'être admis à cette université, avaient reçu leur instruction dans cette autre langue nationale:

En autant que le respect des dispositions du paragraphe précédent ne soit pas obligatoire si cette autre langue nationale est le moyen d'enseignement pour un cours, un département ou une faculté similaire, soit sur un autre campus ou dans une autre service de l'université en question ou de toute autre université de même nature.

En principe du moins, l’utilisation d’une langue d’enseignement dans une université implique que l’autre langue nationale est également reconnue. Une fois à l’université, le régime est différent. Les cours peuvent se donner tout aussi bien en cinghalais, en anglais qu’en tamoul. En réalité, tout dépend où l’université est géographiquement située. Dans le Nord, c’est le tamoul et l’anglais; dans le Sud, le cinghalais et l’anglais.

Malheureusement, en raison de la guerre civile, le système d'éducation tamoul s’est en partie effondré. En effet, les couvre-feux fréquents, l'absence de moyens de transport et la paupérisation d'une grande partie de la population ont rendu précaire la scolarisation des enfants tamouls.

Un autre problème majeur concerne le recrutement des professeurs qualifiés. Les provinces du Nord et de l’Est sont aux prises avec une grave pénurie d'enseignants qualifiés, puisque la plupart sont partis en exil et ont été remplacés par des bénévoles. Dans bien des cas, on y a substitué des activités sportives et artistiques ou tout simplement des séances de sensibilisation à la cause tamoule.

Compte tenu de ces difficultés majeures, il arrive que les parents retirent leurs enfants des classes, par lassitude et par manque de moyens. Ne trouvant pas de travail, ces enfants traînent dans les rues ou sont recrutés par les forces d'opposition tamoules (LTTE). Or, la formation scolaire complète a toujours été tenue en haute considération dans la société tamoule; elle est perçue comme un moyen de prévention contre la délinquance et de maintien de l'autorité des aînés. C'est la raison pour laquelle des organisation caritatives s'efforcent néanmoins de scolariser les enfants.

Afin de favoriser la communication et la compréhension entre les deux grandes communautés, le gouvernement avait décidé, il y a une dizaine d’années, de rendre obligatoire l’enseignement, en plus de l’anglais comme langue véhiculaire, du tamoul pour les élèves cinghalais et du cinghalais pour les élèves tamouls, et ce, dès l’école primaire. Cet enseignement devait se poursuivre durant tout le secondaire. Cependant, cette mesure a été rarement appliquée. C’est pourquoi le Parlement du Sri Lanka a entériné une décision du chef du gouvernement (Chandrika Kumaratunga) d’enseigner le tamoul aux Cinghalais et le cinghalais aux Tamouls à partir du 1er janvier 2000. Le gouvernement avait débloqué 800 millions de roupies (équivalant à 9,6 millions de dollars US) pour l’année 1999 afin de mettre en place les réformes dans le domaine de l’éducation. Cette proposition faisait partie des réformes entreprises par le gouvernement pour le nouveau millénaire. Dans les faits, lorsque les établissements d'enseignement forment des étudiants bilingues, ce sont soit des bilingues en cinghalais et en anglais, soit en tamouls et en anglais. Non seulement, les étudiants connaissant les deux langues officielles sont peu nombreux, mais l'État manque cruellement de traducteurs, d'interprètes et de sténographes connaissant ces deux langues, et encore plus d'enseignants bilingues.  

9 Les langues du commerce et des affaires

Deux langues s’avèrent d’une grande importance dans le domaine du commerce et des affaires: le cinghalais et l’anglais. Le tamoul arrive bon dernier, sauf dans le nord du pays où c’est le cinghalais qui fait figure de parent pauvre. Au plan national, les trois langues apparaissent dans l’étiquetage, les modes d’emploi, etc., des produits manufacturés. Même les entreprises qui font affaire dans tout le pays ont une raison sociale trilingue. Pour le reste, les Sri-Lankais font comme bon leur semble, ce domaine n’étant pas réglementé ni par la Constitution ni par la législation.

Du côté des médias, le trilinguisme est de rigueur. Disons plutôt qu’il existe des médias (écrits et électroniques) pour les Cinghalais, d’autres pour les Tamouls. Quant aux médias anglophones, ils sont destinés à tous les groupes ethniques. La Sri Lanka Broadcasting Corporation possède trois services linguistiques distincts : un pour les auditeurs cinghalais, un pour les auditeurs tamouls et un autre pour les musulmans. La Sri Lanka Rupavahini Corporation diffuse ses émissions de télévision en cinghalais, en tamoul et en anglais.  L’État et la presse privée publient des quotidiens et des hebdomadaires dans les trois langues.

Les conflits sanglants opposant Cinghalais et Tamouls durent depuis un demi-siècle. Les Cinghalais sont largement majoritaires (74 %) et contrôlent l’administration centrale de l’État; les Tamouls veulent l’égalité, même s’ils ne constituent que 18 % de la population et occupent une portion importante du territoire. La minorité tamoule a jusqu'a récemment été représentée par l’intransigeant LTTE (Tigres de la libération de l'Eelam tamoul), tandis que la majorité est assujettie à la hiérarchie bouddhiste, fermement opposée à toute concession aux Tamouls. Étant donné que les représentants des deux groupes — les Tigres, d’une part, et les bouddhistes, de l’autre — sont aussi butés les uns que les autres, la situation n’évolue pas et stagne depuis cinquante ans. La langue tamoule est devenue pour les Tamouls une arme et le symbole de leur combat. On se rend vite compte que, sur le plan linguistique, l’égalité a toujours été plus forte d’un côté que de l’autre. Jusqu’ici, la seule façon pour les Tamouls d’acquérir dans les faits cette égalité, c'était de passer par l’anglais. Le système actuel fonctionne bien tant que les groupes ne sont pas en concurrence: les Tamouls dans le Nord-Est et les Cinghalais dans le reste du pays. Dès que les deux ethnies se rencontrent sur le même terrain – institutions parlementaires gouvernement, administration centrale –, les intervenants en viennent aussitôt aux coups parce que le cinghalais prend plus de place que le tamoul.

Les récentes dispositions constitutionnelles (1997-2000) mises en place pourraient constituer une amorce de solution au long conflit ethnique, mais les Tamouls auraient dû renoncer à l’indépendance, les Cinghalais, accepter l’égalité réelle. Cependant, il faudrait aussi que le gouvernement sri lankais réussisse à créer un consensus parmi les Cinghalais en vue de négocier avec les Tamouls. Dans l’état actuel des choses, la hiérarchie bouddhiste — n’oublions pas que le bouddhisme est la religion d’État — continue de ternir en otage le gouvernement et s’oppose à toutes les concessions. Depuis des décennies, plusieurs dirigeants politiques cinghalais ont tenté de trouver des solutions au «problème tamoul», mais le puissant clergé bouddhiste a toujours réussi à tenir en otage ces mêmes dirigeants. Tous ceux qui s’intéressent à la politique sri lankaise le savent bien. Même les chefs tamouls sont obligés de se rendre à cette évidence. C’est pourquoi ces propos (rapportés dans une entrevue à la Melbourne Community Radio CR3, septembre 1991) de Sathasivam Krishnakumar, membre du Comité central des Tigres de libération de l'Eelam tamoul, apparaissent encore pertinents:

Pendant que le Sri Lanka parle de la paix, il continue ses efforts militaires. Si nous regardons le passé, nous pouvons en comprendre la raison: le chauvinisme cinghalais bouddhiste a été institutionnalisé au Sri Lanka et, aujourd'hui, il est devenu plus puissant que les hommes politiques eux-mêmes. Naturellement même si quelques hommes politiques cinghalais cherchent à résoudre le conflit, le chauvinisme cinghalais bouddhiste s'évertuera à empêcher cette solution. C'est une réalité politique que ceux qui s'intéressent à la situation sri lankaise connaissent bien. Ce chauvinisme cinghalais, attisé à des fins électorales est devenu un monstre de Frankenstein, qui détient aujourd'hui le pouvoir de vie et de mort sur les hommes politiques. Cela, nous le comprenons très bien.

Il semble bien que, tant que les chefs politiques cinghalais ne réussiront pas à s'affranchir de la tutelle bouddhiste, ils ne pourront jamais trouver de solutions au conflit opposant les Tamouls et les Cinghalais. L’égalité entre les deux groupes dans un État binational est devenue le prix à payer pour le maintien de la paix. Les bouddhistes cinghalais ne sont pas encore prêts, au contraire. Il faut dire que toutes ces années de guerre ont créé des attentes profondes chez les chefs militaires cinghalais, les spéculateurs, le clergé bouddhiste et les groupes d’extrême-droite. Tous ces gens-là s'opposent depuis toujours à toute concession à la minorité tamoule et exigent que la guerre soit «menée jusqu'au bout». Maintenant que les Tigres de libération de l'Eelam tamoul  sont militairement défaits, la paix n'est pas acquise, car il reste à assurer l'égalité entre les deux peuples, ce qui est loin d'être fait. L'expérience du passé démontre que la droite bouddhiste sri lankaise risque de demeurer encore longtemps «pure et dure» en croyant fermement que la minorité tamoule finira par accepter sa propre liquidation. Du point de vue de la minorité tamoule, le Sri Lanka serait dirigé par un gouvernement «raciste», dont les intérêts sont exclusivement cingalais et bouddhistes, et qui considère que les Tamouls constituent une «anomalie» qu'il faut faire disparaître. Depuis l'indépendance, le Sri Lanka a constamment été dénoncé pour avoir violé les droits de l'homme les plus élémentaires. C'est un État répressif qui a pratiqué à grande échelle les détentions arbitraires, la torture contre les opposants au régime, les disparitions inexpliquées, les exécutions extrajudiciaires et la non-reconnaissance des droits civils et politiques. Le Sri Lanka n'est pas au bout de ses peines, car la réconciliation, si elle est possible, n'est pas pour demain.

Dernière mise à jour: 23 déc. 2023
 

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