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Les Kurdes ont une histoire complexe en tant que peuple distinct des
principaux groupes qui les entouraient, soit les Turcs, les Arabes et
les Perses (Iraniens). Le mot «Kurde» apparaît dans des documents assyriens
vers 1000 avant notre ère. Les Assyriens appelaient «Kourti» ou «Kourkhi»
le peuple qui vivait sur le mont Azou ou Hizan, situé dans la
Turquie actuelle près du lac de Van. Les Kurdes font remonter leurs
ancêtres à l'époque des Mèdes, un peuple de l'Iran ancien, voisin
des Perses. Durant le Ier millénaire avant notre ère,
les Kurdes occupaient un territoire recouvrant le nord-ouest de
l'actuel Iran. Ils ont ensuite formé un royaume puissant
au début du VIIe
siècle. En 612 avant notre ère, les Mèdes conquirent
l'Assyrie et étendirent leur domination à l'Iran et à
l'Anatolie centrale. La date de 612 est considérée
par les Kurdes comme le début de l'ère kurde. |
3.1 Le début de l'ère kurde
Les Mèdes parlaient une langue iranienne, proche du vieux-perse,
et ancêtre du kurde actuel. De fait, les Kurdes parlent une variante occidentale
des
langues iraniennes.
Le royaume des Mèdes disparut après la chute du dernier roi mède
vers 550 avant notre ère, vaincu par le roi de Perse, Cyrus le
Grand. Après la conquête perse, la Médie devint une province du
nouvel empire, mais la religion et la civilisation des Mèdes
survivront en Iran jusqu'à l'arrivée d'Alexandre le Grand. L'Empire perse fut vaincue à son tour en 330 par les
troupes macédoniennes d'Alexandre le Grand. Les Kurdes passèrent
successivement sous le joug des Perses, des Macédoniens, des
Parthes, et des Sassanides.
Lorsque les Romains avancèrent dans les contrés du Proche-Orient,
ils se heurtèrent aux régions habitées par des Kurdes,
particulièrement à l'ouest et au nord de ce qui deviendra le
Kurdistan. Plusieurs royaumes kurdes devinrent
des vassaux de l'Empire romain vers la fin du Ier
siècle avant notre ère en Anatolie. Les Romains appelaient les
Kurdes «Corduene». Le royaume de Corduène était
vassal de l'Empire romain entre 66 avant notre ère et 384. Les Kurdes du Proche-Orient
cessèrent leurs contacts avec les Kurdes romains, ce qui eut pour
effet de fragmenter la langue kurde.
3.2 La conquête musulmane
Les premiers contacts avec les armées musulmanes eurent lieu en
637 au cours de la conquête de la Mésopotamie. Les Arabes conquirent les régions kurdes qu'on
appelait encore la «Médie». Après avoir opposé une farouche
résistance aux invasions arabo-musulmanes, les Kurdes finirent par
se rallier à l'islam, mais ils ne se laissèrent pas arabiser ; leur
résistance s'étala sur près d'un siècle.
Pour amadouer les Kurdes et
les convertir à l'islam, tous les moyens furent utilisés par les
Arabes, y compris la stratégie matrimoniale (mariages mixtes). Sous
les califes de Bagdad, les Kurdes participèrent à des révoltes
contre le pouvoir en place, mais subirent aussi des répressions. Les
conquêtes arabes affaiblirent les principautés kurdes qui se
fragmentèrent en de nouveaux petits États dans les montagnes.
|
Dans la seconde moitié du
Xe siècle,
le Kurdistan fut partagé entre de grandes principautés
kurdes réparties en Arménie, dans le nord de l'Irak
actuel et de l'Iran actuel, jusqu'en Azerbaïdjan.
Au nord se trouvaient les Chaddadites (951-1174); à
l'est, les Hassanwahides (959-1015) et les Banou Annaz
(990-1116) et à l'ouest, les Merwanides (990-1096). La
période la plus glorieuse de l'histoire kurde eut lieu
au cours du XIIe
siècle lorsque le grand Saladin (1138-1193)
fonda la dynastie des Ayyoubide de Syrie. Ensuite,
Saladin prit le pouvoir en Égypte en 1170 et unifia la
Syrie, avant de conquérir la plus grande partie des
États latins d’Orient. Son empire englobait, outre
la quasi-totalité du Kurdistan, toute la Syrie, l'Égypte
et le Yémen. Dès lors, le Kurdistan fut
intégré dans un grand califat englobant l'Empire (voir la carte de gauche). |
La personnalité de Saladin et ses exploits face aux croisés du
monde chrétien firent le tour du monde. C'était le temps des croisades, de l'hégémonie du religieux
sur le politique et le national. Saladin n'était pas davantage un
patriote kurde que saint Louis ne fut un nationaliste français.
C'est au cours de cette période qu'un sultan turc, Ahmad Sandjar
(1084-1157), en hommage à la personnalité propre du pays kurde, lui
donna le nom de «Kurdistan». C'était alors une province formée par
le sultan avec pour capitale la ville de Bahâr, près de
l'antique capitale des Mèdes, Ecbatane. Pendant cette période, des
chefs kurdes furent désignés par le sultan pour gérer les nouveaux
territoires, non seulement dans les montagnes au nord de l'Irak
actuel, mais en Arabie Saoudite, au Yémen, en Égypte et jusqu'en
Tunisie.
Au fil des décennies, aucune dynastie kurde n'a pu imposer sa
suprématie aux autres et bâtir un État englobant l'ensemble du pays
kurde, car les invasions successives peuplades déferlant des steppes
de l'Asie centrale empêchèrent l'unification des peuples kurdes.
3.3 La période mongole
Au XIIe
siècle, les Mongols occupèrent les régions kurdes. L'armée d’Houlagou
Khan (1217-1265) vainquit un grand nombre de chefs de tribus
kurdes. Au siècle suivant, l'émir Timour le Grand (ou Tamerlan), un
guerrier turco-mongol qui régna de 1370 à 1405, conquit la plupart
des provinces de la Perse (Iran), y compris le Kurdistan, ainsi que
les villes de Bagdad et de Karbala. Les Mongols détruisirent les
centres urbains et massacrèrent les populations.
Pendant toute cette période, des peuples divers se sont installés
dans la région, venus le long de la vallée du Tigre : des Assyriens,
des Chaldéens, des Mèdes, des Persans, des Mongols, des Turcs
osmanlis et des Turcs seljoukides, etc.,
généralement venus par la vallée du Tigre. Bref, la période
mongole fut une catastrophe pour les Kurdes.
3.4 Les principautés kurdes
Après la période mongole, les
Kurdes fondèrent plusieurs petits États indépendants, c'est-à-dire des
principautés kurdes, appelées «émirats, établies en
Anatolie et en Mésopotamie (nord de l'Irak et de l'Iran
actuels). Ces principautés demeuraient néanmoins unies par la langue,
la culture et la civilisation, bien que politiquement morcelées. Au
début du XVIe
siècle, le Kurdistan devint un enjeu incontournable entre les
l'Empire ottoman et l'Empire perse. Le shah de Perse, Ismael Ier
(1487-1524), fondateur de la dynastie des Séfévides, imposa le
chiisme comme religion d'État dans son pays et voulut la répandre
dans les pays voisins, dont le Kurdistan. De leur côté, les
Ottomans désiraient arrêter les visées expansionnistes du shah et
sécuriser leur frontière iranienne afin de pouvoir se lancer dans la
conquête des pays arabes. Pris en étau entre les Ottomans et les
Perses, les Kurdes, politiquement morcelés, n'avaient aucune chance
de survivre en tant qu'entités indépendantes (voir
la carte des principautés).
Placés devant le choix
d'être éventuellement annexés par la Perse ou d'accepter
l'intégration dans l'Empire ottoman en échange d'une grande
autonomie, les dirigeants kurdes choisirent la seconde solution. Par
contre, les Kurdes s'engageaient à garder eux-mêmes la frontière
perse et de se battre aux côtés des Ottomans en cas de conflit
perso-ottoman. Ainsi, le Kurdistan, c'est-à-dire ses innombrables
petits fiefs, entrèrent dans le giron ottoman par la voie
diplomatique.
3.5 La domination ottomane
Au XVIe siècle la plus grande partie
du territoire de la Mésopotamie fut envahie par l'Empire
ottoman, qui s'étendait des Balkans jusqu'au nord de l'Afrique en passant
par l'Anatolie, la Mésopotamie, la Palestine et l'Égypte.
|
Le
territoire des Kurdes devint dès lors une zone tampon entre
deux empires rivaux:
l'Empire ottoman et l'Empire safavide des
Perses. D'une part, les Perses voulurent contrôler la Basse
Mésopotamie où se trouvaient des lieux saints du chiisme et
parce que Bagdad, siège de l’ancien Empire abbasside, avait une
grande valeur symbolique pour eux. D'autre part, les Ottomans
craignaient que l’islam chiite se propage vers l’Anatolie. C'est
alors que les Ottomans eurent l'idée de se servir des Kurdes
pour protéger leur frontière orientale. Le sultan Selim Ier (1470-1520),
en annexant l'Arménie et le
Kurdistan en 1514, confia l’administration des territoires
acquis à des chefs kurdes promus gouverneurs des sandjaks (ou
districts). Ce statut particulier allait assurer au Kurdistan
près de trois siècles de paix. En revanche, tout en
demeurant sous suzeraineté ottomane, les Kurdes bénéficièrent
d'une grande autonome. À partir de la première moitié du
XVIIe siècle, la Basse
Mésopotamie (Irak) fut gouvernée par plusieurs dynasties kurdes.
Ce statut particulier allait assurer au Kurdistan près de trois
siècles de paix. |
En 1640, l'armée ottomane attaqua les Kurdes yézidis des
monts Sinjar et rasa quelque 300 villages. Au début du
XVIIe
siècle, des Arabes chammarites venus de Nedj
(aujourd'hui en Arabie Saoudite) se sont installé vers
les régions fertiles situées le long du Tigre. Toutes
ces vagues successives d'immigrants se sont confondues
non sans une succession de maintes guerres sanglantes.
Le résultat de cette longue évolution s'est traduit par
une grande hétérogénéité ethnique de la population.
Le
Kurdistan développa une kyrielle de
seigneuries et de
principautés héréditaires
qui, toutes, jouissaient d'une large autonomie dans
l'Empire ottoman. Certaines d'entre elles frappaient monnaie. Malgré quelques
ingérences de temps à autre de la part du pouvoir central, le statut
particulier des Kurdes fonctionna sans véritable accroc majeur
jusqu'au début du XIXe
siècle à la satisfaction tant des Kurdes que des
Ottomans.
|
Protégés par la puissante barrière kurde face
à la Perse (Iran), les Ottomans pouvaient concentrer
leurs efforts sur d'autres fronts. Quant aux Kurdes,
presque indépendants dans l'administration de leurs
affaires, ils vivaient en vase clos dans leurs
innombrables petits fiefs (voir
la carte des
principautés kurdes). De façon générale, malgré ce
morcellement politique, cette période constitua l'âge
d'or du Kurdistan. Les arts, la littérature et la
philosophie kurdes florissaient. Certains Kurdes
ambitieux n'hésitaient pas à écrire en turc pour gagner
la faveur du sultan. En général, les princes
kurdes se contentaient d'administrer leur domaine, tout
en rendant hommage au lointain sultan de
Constantinople. Rarement ils se soulevèrent contre les
Ottomans et ne tentèrent jamais de créer un Kurdistan
unifié, sauf au début du XIXe
siècle, lorsque l'Empire ottoman cherchera à s'ingérer dans leurs affaires
et à mettre fin à leur autonomie. À cette époque, que ce soit dans
la chrétienté ou en terre d'islam, la conscience
religieuse avait préséance sur la conscience nationale.
Chaque prince était beaucoup plus préoccupé par les
intérêts de sa dynastie, de son clan, de sa religion et de sa région
immédiate, que par toute autre considération nationale.
Certains princes kurdes régnaient sur des populations
arabes pour des questions d'appartenance religieuse. |
De façon générale, les Kurdes étaient divisés en
plusieurs entités rivales. De plus, l’idéologie de l'existence d'une
nation kurde demeurait faible, tandis que le sentiment national était
totalement absent. Pendant que, dans le reste de
l'Empire ottoman, surtout dans les Balkans, la question des nationalités
était sur toutes les lèvres, les Kurdes ne pensaient même pas à
contester l'organisation unitaire des Ottomans par leurs propres
moyens. L’autorité de l’Empire n'étant pas remise en question, les
Kurdes se lancèrent dans des entreprises d’agrandissement
territorial de type féodal avec des conflits inter-kurdes.
Pendant ce temps, l’Empire ottoman reculait, confronté à
l’extérieur par des puissances chrétiennes dont la supériorité
technologique et administrative ne cessait de s’affirmer. Parce que l'Empire perdait
progressivement des territoires à majorité chrétienne au cours
du XIXe
siècle, les autorités de Constantinople crurent nécessaire de
consolider leurs positions en terre d’islam, plus
particulièrement en Anatolie où il fallait de toute urgence
empêcher l’émergence de tout nationalisme chez les peuples
musulmans non turcs, tels les Kurdes et les Arabes de la
Mésopotamie.
En même temps, les populations minoritaires
chrétiennes dans l'empire furent associées à des ingérences
étrangères. Les Assyriens, les Chaldéens, les Syriaques et les
Arméniens furent considérés comme de purs étrangers sur leurs
terres, dans leurs villages ou leurs villes qu'ils habitaient
depuis fort longtemps. Quant aux Arméniens de l'Anatolie orientale,
ils apparurent comme des alliés du plus proche ennemi des
Ottomans: la Russie.
Sous l'Empire ottoman, les
écoles primaires et secondaires enseignaient les sciences
naturelles, les mathématiques, l'histoire et la géographie, la
religion islamique, l'alphabet et la langue arabe, et, selon la
région, le turc ou le persan. Dans leur formation générale, les
élèves apprenaient l'arabe et le turc. Au XIXe
siècle, le français et l'anglais, parfois l'allemand,
furent introduits comme langues étrangères.
3.6 Les puissances
coloniales
Le XIXe siècle allait marquer
la fin des autonomies kurdes (voir
la carte des
principautés kurdes) et l’amplification de leur instrumentalisation par
les grandes puissances coloniales, dont la Grande-Bretagne, la France et
l'Empire allemand. La centralisation des pouvoirs avait conduit l'Empire
ottoman et la Perse, les deux États rivaux depuis longtemps, à poursuivre une
politique commune de répression contre les principautés kurdes. L'Empire ottoman
assujettit une à une les principautés kurdes. En 1847, la dernière
principauté kurde indépendante disparut, celle de Bohtan située dans le sud de l'Anatolie.
Dès les années 1830, le Kurdistan devint l'un des terrains
d’affrontement entre l'Empire russe et l'Empire britannique. Pour
leur part, les Ottomans, déjà affaiblis, utilisèrent les Kurdes dans
leur lutte contre les Russes.
De 1847 à 1881, les Kurdes se
soulevèrent régulièrement sous la conduite de chefs traditionnels,
souvent des religieux, afin de revendiquer un État kurde. Ces
soulèvements kurdes devinrent plus fréquents et prirent de plus
en plus d'importance. Ils se poursuivirent jusqu'à la Première
Guerre mondiale, mais tous furent sévèrement réprimés par les
Ottomans. Ce piètre résultat chez les Kurdes n'est guère surprenant
quand on sait que ces derniers étaient politiquement morcelés,
souvent hostiles d'un fief à l'autre, et aux prises avec l'ingérence
des grandes puissances européennes aux côtés des Ottomans.
|
En même
temps, l'Empire ottoman était en proie à de vives secousses
nationalistes, chaque peuple aspirant à créer son propre
État-nation, des Balkans au Proche-Orient. En 1913, les autorités
ottomanes établirent une politique méthodique d'assimilation des
Kurdes; cette politique prévoyait d'abord le transfert en masse de
la population kurde dans les vilayets d'Anatolie. L'approche de la
Première Guerre mondiale (1914-1918), loin d'apporter une trêve
salutaire, n'eut pour effet que d'exécuter au plus tôt l'exécution
de cette politique draconien: plus de 700 000 Kurdes furent déportés
en Anatolie. Ceux qui échappèrent à la déportation durent subir les
pillages, les viols, les massacres et les destructions des villages
de la part des militaires.
À la même époque,
la
Grande-Bretagne, la France et lAllemagne avaient commencé à sintéresser à
la Mésopotamie; les trois pays entrèrent en compétition pour étendre leur zone
d’influence sur cette région sous domination ottomane. Les Britanniques étaient
déjà présents en Égypte, en Palestine et au Koweït, mais aussi au Soudan, à
Chypre, au sultanat d'Oman et au Yémen. De leur côté, les Français faisaient des affaires en
Syrie et au Liban. Quant aux Allemands, leur
expansion s'est concrétisée au Proche-Orient par un
rapprochement entre l’Allemagne et l’Empire ottoman, dans les domaines
économique, miliaire et diplomatique. Lors de la Première Guerre
mondiale, l'Empire ottoman allait se ranger aux côtés de l'Empire allemand
et de l'Empire austro-hongrois.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le
Kurdistan faisait encore partie soit de l’Empire ottoman à l’ouest
soit de l’Empire perse à l’est (voir
la carte de 1900). Ce sont finalement les
Britanniques qui vont réussir en quelques années à occuper la plus
grande partie de la région avec la Mésopotamie et la Palestine.
En Mésopotamie, les Britanniques s'étaient déjà installés au Koweït
et ne tardèrent pas à monter vers le nord en raison des richesses
pétrolières. |
3.7 Le dépeçage de l'Empire ottoman
Quand la Première Guerre mondiale éclata, les Kurdes étaient plus
divisés que jamais. Pendant que certains Kurdes, favorables à
l'idéologie «pan-islamiste» des Ottomans, croyaient que l'avenir de
leur peuple résidait dans un statut d'autonomie administrative dans
le cadre de l'Empire ottoman, d'autres préconisaient l'indépendance
totale, se réclamant des idéaux du président américain
Woodrow Wilson qui, on le sait, préconisait le «droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes». Les Kurdes ignoraient encore que ce
droit, dans l'esprit des Américains, ne s'étendait pas à tous les
peuples, mais uniquement aux peuples colonisés par les Européens et
aux peuples d'Europe soumis à l'Empire ottoman (Serbes,
Monténégrins, Bosniaques, etc.) Les Kurdes
n'entraient manifestement pas dans cette catégorie. C'étaient des
citoyens de seconde zone habitant dans des États despotiques qui
estimaient dangereux et inutile d'accorder des droits aux minorités
religieuses ou linguistiques.
|
Le 16 mai
1916, la Grande-Bretagne et la France conclurent des accords secrets, les
accords Sykes-Picot, par lesquels elles se partageaient
une partie de l'Empire ottoman, notamment la «Grande Syrie» et la
Mésopotamie (Kurdistan, Irak et Koweït. Cet accord résultait d'un long échange
préalable de lettres entre Paul
Cambon, ambassadeur de France à Londres, et sir Edward Grey, secrétaire d'État
au Foreign Office. Par la suite, un accord ultrasecret fut conclu à Londres entre le lieutenant-colonel sir Mark Sykes pour la Grande-Bretagne et le
consul à Beyrouth, François Georges-Picot,
pour la France. Cet accord équivalait à un véritable dépeçage des
territoires compris entre la mer Noire, la Méditerranée, la mer Rouge
et le golfe Persique. La Mésopotamie ottomane fut découpée en
plusieurs
zones, dont trois dans le futur Irak:
1) Une
zone rouge anglaise
d'administration directe (Koweït et Mésopotamie;
2) Une zone rouge
d'influence anglaise (est de Bagdad, Jordanie et Palestine);
3) Une zone bleue
d'influence française, à la fois arabe et kurde (Syrie et
vilayet de Mossoul);
4) Une zone bleue
d'administration française (Syrie du Nord, Liban et Cicilie);
Voir aussi la
carte de toute la région
entre la Méditerranée et la Perse.
|
C’est donc après la Première
Guerre mondiale que l'Irak hérita de ses frontières actuelles, avec
le résultat que le Kurdistan finira
par être partagé entre l'Irak, la Turquie et l'Iran, avec une petite
partie en Syrie et dans l'ex-Union soviétique. Les Britanniques occupèrent en
octobre 1918 la région de Mossoul au nord de l'Irak. Cette
occupation n'était que partielle parce que les Britanniques durent
affronter des révoltes religieuses et nationales: les Kurdes se
soulèvent en 1921 sous la conduite de Mahmoud Berzendji afin de
réclamer leur autonomie. Cette révolte, qui sera mâtée par l'armée
britannique, exprimait le refus kurde de retourner sous la
domination turque ou d'être inclus dans un État arabe.
|
Au lendemain de la Première Guerre mondiale,
la république de Turquie et l’Iran conclurent des «arrangements à
l’amiable» dans le but de contrôler les rébellions kurdes, en
laissant encore en suspens les problèmes frontaliers. Les
deux États sont toujours restés solidaires dans leur lutte contre
les mouvements kurdes.
Le tracé des frontières arrêté en 1916, tel qu’il figurait
dans lesdits accords fut modifié, car le vilayet de Mossoul
suscitait la controverse entre la Grande-Bretagne, la France et la
Turquie. Finalement, la France céda aux
Britanniques la zone bleue de la Haute Mésopotamie, car elle n'avait pas les
moyens de s'opposer aux Britanniques qui purent alors étendre leur zone
rouge vers le nord dans l'espoir d'y contrôler les régions
pétrolières autour de Kirkouk et de Mossoul. Auparavant, les
Britanniques avaient pris le contrôle des vilayets de la Basse
Mésopotamie, c'est-à-dire les vilayets de Bagdad, de Bassorah et de
Koweït. Les troupes britanniques dominaient alors largement la
région de l'ancienne Mésopotamie avant même que la guerre ne soit
terminée.
Or, le vilayet de Mossoul aurait dû revenir à
la France, en vertu des
accords Sykes-Picot
(zone bleue), mais il fut occupé par les Britanniques au cours de
diverses opérations militaires. La France finit par y renoncer en
décembre 1918 et l'officialisa lors de la conférence de San Remo de
1920 (Italie). Un comité avait été formé de représentants
britanniques, français, italiens, grecs, japonais et belges, afin de
fixer le sort des vilayets (provinces) arabes de l’Empire ottoman.
Le 24 avril 1920, le comité plaça la Palestine et la
Mésopotamie sous mandat britannique. Les Français reçurent un mandat
sur la Syrie et le Liban. |
Ainsi, la conférence de San Remo scellait le destin des
vilayets (provinces) arabes de l'ancienne Mésopotamie sans tenir compte des
revendications des populations qui y vivaient et en faisant fi des promesses
d’indépendance faites aux Kurdes et aux Arabes pendant la guerre.
Pendant que les Kurdes, qui
constituaient la
grande majorité
de la population du vilayet de
Mossoul, réclamaient
l'indépendance, les Turcs
considéraient ce
territoire
comme le leur et
ne reconnaissaient pas
le mandat
britannique sur
la région; les Turcs voulaient
récupérer «leur» vilayet en entier.
En fait, les Britanniques
tenaient à ce que le vilayet
fasse partie
du pays
en raison de ses
ressources naturelles (pétrole
et blé),
de ses frontières
montagneuses assurant
la sécurité
et afin de
faire contrepoids à la
population chiites
du Sud.
Au final, nous pouvons affirmer que l’occupation militaire britannique a
sans nul doute favorisé la création du nouvel État en Mésopotamie,
l'Irak. L’occupant britannique a tracé les
frontières du nouveau pays, lesquelles n’ont d’ailleurs jamais été modifiées depuis.
3.8 Le mandat britannique (1920-1932)
Au cours de la Première Guerre mondiale, le droit international public
élabora une institution nouvelle: le mandat. Dans le cas présent, il s'agissait
d’établir dans les territoires non turcophones de la partie asiatique de
l’ex-Empire ottoman, une tutelle provisoire exercée par un «mandataire» au nom
de la communauté internationale. C'est ainsi que les Britanniques obtinrent un
mandat sur l'Irak, la xxx
- Les promesses d'autonomie
kurde
Le 10 août 1920, le traité de Sèvres fut signé
entre les Alliés dont, entre autres, la France, la Grande-Bretagne,
la Grèce et les États-Unis, et l'Empire ottoman. Outre le
démembrement de l'Empire, le
traité de Sèvres prévoyait une certaine protection aux
minorités, notamment à l'article 141:
Article 141
La Turquie s'engage à accorder à tous les habitants de la Turquie pleine et
entière protection de leur vie et de leur liberté sans distinction de
naissance, de nationalité, de langage, de race ou de religion.
Tous les habitants de la Turquie auront droit au libre exercice, tant public
que privé, de toute foi, religion ou croyance.
Les atteintes au libre exercice du droit prévu à l'article précédent,
seront punies des mêmes peines, quel que soit le culte intéressé.
|
Il était très clair aux articles 62 et 64 du
traité de Sèvres, signé par la Turquie et les puissances
alliées, le 10 août 1920, promettait aux Kurdes qui vivaient dans
l’ancien Empire ottoman de leur accorder l’autonomie et, plus tard, leur
pleine indépendance:
Article 62
Une commission siégeant à Constantinople, et composée de trois membres
respectivement nommés par les gouvernements britannique, français et italien,
préparera, dans les six mois à dater de la mise en vigueur du présent
traité, l'autonomie locale pour les régions,
où domine l'élément kurde,
situées à l'est de l'Euphrate, au sud de la frontière méridionale de
l'Arménie, telle qu'elle pourra être déterminée ultérieurement, et au nord
de la frontière de la Turquie avec la Syrie et la Mésopotamie, conformément
à la description donnée à l'article 27, II-2e et 3e.
À défaut d'accord unanime sur quelque question, celle-ci sera référée par
les membres de la Commission à leurs gouvernements respectifs. Ce plan devra
comporter des garanties complètes pour la protection des Assyro-Chaldéens et
autres minorités ethniques ou religieuses dans l'intérieur de ces régions et,
dans ce but, une commission comprenant des représentants britannique,
français, italien, persan et kurde visitera les lieux pour examiner et décider
quelles rectifications, s'il y a lieu, devraient être faites à la frontière
de la Turquie là où, en vertu des dispositions du présent traité, cette
frontière coïncide avec celle de la Perse.
Article 64
1)
Si dans le délai d'un an à dater de
la mise en vigueur du présent traité,
la population kurde dans les régions
visées à l’article 62, s'adresse au Conseil de la Société des Nations en
démontrant qu'une majorité de la population de ces régions désire être
indépendante de la Turquie,
et si le Conseil estime alors que cette population est capable de cette
indépendance, et s'il recommande de la lui accorder, la Turquie s’engage, dès à
présent, à se conformer à cette recommandation et à renoncer à tous droits et
titres sur ces régions.
2)
Les détails de cette renonciation seront l'objet d'une convention spéciale
entre les principales puissances alliées et la Turquie.
3) Si ladite renonciation a lieu et lorsqu'elle aura lieu, aucune objection ne
sera élevée par les principales puissances alliées à l'encontre de
l'adhésion volontaire à cet État kurde indépendant, des Kurdes habitant la
partie du Kurdistan comprise jusqu'à présent dans le vilayet de Mossoul.
|
Le traité de Sèvres (voir
la carte) prévoyait la formation d’un État indépendant plus restreint, comprenant les terres arméniennes russes et le
nord-est de l’Anatolie. Le principe d’un Kurdistan indépendant fut également
retenu par les Alliés, mais la fixation de son territoire posait de
nombreux problèmes. Les Alliés s’entendirent finalement sur la constitution d’un
territoire autonome, compris dans la zone ottomane, au sud-ouest de l’Anatolie,
comprenant environs 20 % des régions peuplées par les Kurdes. Son indépendance
devait être considérée ultérieurement par la Société des Nations.
- La reconnaissance du droit à l'autodétermination
Le 24 décembre 1922, le haut commissaire britannique avait déclaré que la
Grande-Bretagne reconnaissait le droit des populations kurdes à former un
gouvernent à l'intérieur des frontières irakiennes.
Le
gouvernement de Sa Majesté britannique et le gouvernement d’Irak
reconnaissent les droits des Kurdes vivant dans les frontières de
l'Irak à établir un gouvernement kurde à l’intérieur de ses
frontières. Il espère que les différents éléments kurdes arriveront,
dès que possible, à un arrangement entre eux pour ce qui est de la
forme qu’ils désirent que revête ce gouvernement et sur les limites
où ils veulent s’étendre. Ils enverront des délégués responsables
pour discuter de leurs relations économiques et politiques avec le
gouvernement de Sa Majesté britannique et le gouvernement irakien. |
Ce texte officiel précisait sans ambiguïté que le Kurdistan
méridional serait annexé à l’Irak à la condition de devenir une entité autonome
ayant son propre gouvernement kurde dans le cadre de l’État irakien. Comme
on le sait, cet engagement formel ne fut jamais honoré.
D'ailleurs, cette déclaration allait même marquer une nouvelle phase qui
servira de base au statut que le gouvernement irakien semblait accorder aux
Kurdes. Le 11 juillet 1923, le Conseil des ministres irakiens fit la
déclaration suivante :
Le
Gouvernement irakien n'a pas l'intention de nommer des
fonctionnaires arabes dans les districts kurdes, exception faite
pour les techniciens. Il n'a pas non plus l'intention d'obliger
les habitants des districts kurdes à employer la langue arabe
dans leur correspondance officielle. Les droits des habitants et
des communautés civiles et religieuses, dans les dits districts,
seront sauvegardés. |
- L'abandon des droits des
Kurdes
Le
traité de Lausanne,
qui rendait caduc le traité de Sèvres, n'apportait aucune garantie
en ce qui a trait au droit des Kurdes de s'autodéterminer en
annexant la majeure partie du Kurdistan au nouvel État turc. En
fait, le traité de Lausanne concluait à l’abandon des droits
kurdes. Il suffit de comparer les
cartes de 1920 et de
1923 à ce sujet. Quant au gouvernement irakien,
il n'avait guère l'intention
d'accorder une quelconque autonomie aux Kurdes, à l'exception de quelques vagues
privilèges octroyés au compte-goutte, de sorte que cette politique de
temporisation allait être à l'origine d'une série de révoltes qui
s'échelonnèrent de 1930 à 1945.
Cependant, la commission d’enquête de la Société des Nations ajoutait dans
son rapport que la population était
d'appartenance kurde et non turque ou irakienne; la commission poursuivait ses propos en ces
termes (1925):
Ce territoire
[…] n’a jamais fait partie de l’Irak. Les Kurdes forment la majorité
de la population. Ils ne sont ni turcs, ni arabes et parlent une
langue assyrienne […] Il n’existe pas de sentiment national irakien
et, parmi les Kurdes, on trouve une conscience nationale croissante
qui est nettement kurde et non irakienne […] S'il fallait tirer une
conclusion de l'argument ethnique isolément, elle conduirait, à
préconiser la création d'un État
kurde indépendant, les Kurdes formant les cinq huitièmes de la
population. Si une telle solution était envisagée, il conviendrait
de joindre au chiffre précédent les Yézidis, Kurdes de religion
zoroastrienne, et les Turcs dont l'assimilation par l'élément kurde
serait aisée. Dans une évaluation ainsi faite, les Kurdes
formeraient alors les sept huitièmes de la population. Les
statistiques et les cartes présentées par les deux Hautes Parties
sont inexactes. |
La Commission d’enquête fit savoir dans ses conclusions que
la grande majorité des habitants du vilayet de Mossoul était en faveur du
rattachement à l’Irak plutôt qu'au retour à la Turquie.
Le rapport de la
Commission s'est penché aussi longuement sur la répartition géographique,
linguistique et religieuse des différents groupes ethniques tels les Kurdes,
les Turcs, les Turkmènes (appelés Turcomanes), les Yézidis, les Arabes, les
Assyriens, etc.). La Commission a même dressé des cartes précises —
fabriquées par le géographe hongrois, le comte Pál
de Teleki (1879-1941) —,
pour
démontrer le caractère mixte de la population dans les villes et
l'importance des liens et des intérêts traditionnels dans les communications et
le
commerce.
- Le rattachement de Mossoul à
l'Irak
La commission d’enquête de la Société des Nations fit savoir
dans ses conclusions que la grande majorité des habitants du vilayet de
Mossoul était en faveur du rattachement à l’Irak plutôt que du retour à la
Turquie. Entre deux maux, les Turcs ou les Arabes d'Irak, il fallait choisir
le moindre! Quoi qu'il en soit, le rapport de la
commission de la Société des Nations n'a pas pesé très lourd face à la
détermination des Britanniques qui ambitionnaient de conserver absolument
cette région dans l’espace du nouvel État irakien qu’ils avaient créé. C'est
pourquoi le Conseil de la Société des Nations, au
cours de sa session du 16 décembre 1925, déclarait que le vilayet de
Mossoul serait rattaché à l'Irak à la condition que la Grande-Bretagne
puisse conserver son mandat sur l’Irak pour une période de vingt-cinq ans
dans le but d’assurer les droits d'autonomie de la population kurde:
Il devra être tenu compte des vœux émis par les
Kurdes qui demandent que les fonctionnaires de leur peuple
soient désignés pour l’administration de leur pays, l’exercice
de la justice, l’instruction dans les écoles, et que la langue
kurde soit la langue officielle de ces services. |
Dans sa conclusion finale, la
Commission a établi ce qui suit:
En se tenant
exclusivement sur le terrain de l'intérêt des
populations en cause, la Commission estime qu'il y a un
certain avantage pour ces populations, à ce que le
terrain contesté ne soit pas divisé.
Partant de cette considération et ayant donné une valeur
relative à chacune de ses constatations de fait, la Commission
estime que des arguments importants, particulièrement d'ordre
économique et géographique, ainsi que les tendances, avec
toutes les réserves formulées, de la majorité des populations du
territoire pris dans son ensemble, plaident en faveur du
rattachement à l'Irak de tout le territoire au sud de la ligne
conventionnelle de Bruxelles, pour autant que soient remplies
les
conditions suivantes :
1. Le pays restera sous le mandat effectif de la Société des
Nations pendant une période que l'on peut évaluer à vingt-cinq
années ;2. Il devra être
tenu compte des vœux émis par les Kurdes, qui demandent que des
fonctionnaires de race kurde
soient désignés pour l'administration de leur pays, pour
l'exercice de la justice et pour l'instruction dans les écoles,
et que
la langue kurde soit la langue officielle de tous ces services.
Si le contrôle de la Société des Nations devait prendre fin à
l'expiration du traité de quatre années actuellement en
cours entre la Grande-Bretagne et l'Irak, et si certaines
garanties d'administration locale n'étaient pas données aux
Kurdes,
la Commission a la conviction que les préférences de la majorité
du peuple eussent été à la souveraineté turque plutôt qu'à
la souveraineté arabe. |
L’année suivante, la Turquie finit par accepter la
délimitation de la frontière qui la séparait de l’Irak le long d’une ligne
qui coupait en deux les «régions où domine l’élément kurde» préalablement
définies dans le traité de Sèvres jamais appliqué. Le vilayet de Mossoul fut
donc définitivement rattaché à l'Irak. Un rapport de la Société des Nations
donnait les raisons pour lesquelles le Kurdistan irakien, alors le vilayet
de Mossoul, devait être annexé au nouvel État irakien. Les rapporteurs de la
SDN soulevaient que l’Irak avait «le droit moral d’exiger que,
puisqu’on l’a créé, on lui donne des frontières lui permettant de
vivre, tant au point de vue politique qu’au point de vue
économique». C’est sur cette affirmation que l’Irak s’est vu
octroyer en 1925 la souveraineté sur le vilayet de Mossoul, devenu
le Kurdistan irakien.
- L'enseignement des langues
Durant tout le mandat britannique, l'enseignement de l'arabe fut
privilégié dans les écoles primaires. Par voie de conséquence, le
turc, le persan, le syriaque et le kurde furent délaissés. L'anglais
et le français furent enseignés comme langues étrangères. De peur
d'alimenter le nationalisme kurde, les Britanniques ont préféré
arabiser l'enseignement. Les écoles des villes comme Mussoul,
Kirkouk, Erbil et Souleimaniyeh furent particulièrement arabisées.
Néanmoins, les programmes scolaires finirent par être modifiée dans
les régions kurdes en autorisant l'enseignement de certaines
matières (arithmétique, géographie, morale) en kurde.
L'apprentissage de la calligraphie et les cours de chant furent
partagés entre l'arabe et le kurde. Mais les cours d'histoire, de
géographie, de sciences, de mathématiques, de physique, de biologie,
etc., étaient tous offerts en arabe, sinon en anglais.
3.9 Les fausses promesses
Pendant ce temps, les frontières
délimitant la Turquie, l'Irak, la Syrie et l'Iran avaient été créées,
avec le
résultat que le Kurdistan se trouvait désormais démembré entre tous
ces États. Dans tous les
cas, ces frontières se faisaient au détriment des intérêts de la
population kurde. Aucun pays ne tiendra
compte du droit des Kurdes à disposer de leurs terres.
|
Dès lors, les Kurdes s'opposèrent à
l'idéologie qui préconisait la liquidation des Kurdes, alors que
leur existence remontait à des milliers d'années dans la région. À
cette époque, c'est la Turquie de Mustafa Kemal, qui a régi de la
façon la plus violente contre les Kurdes.
Avant d'être politique, la rébellion était
surtout religieuse et concentrée en Turquie. Les Kurdes qui se
retrouvaient sous administration turque
soutenaient ouvertement l'ancien régime du sultan, lequel avait signé le
traité de Sèvres
garantissant l'autonomie kurde contre la République.
Or, Mustafa Kemal ne voulait rien savoir des Kurdes et de leur
autonomie. Il utilisa l'armée pour neutraliser les Kurdes.
De son côté, la France avait permis le
passage de l'armée turque (neuf divisions) par la Syrie, alors
placée sous le mandat français, ce qui a facilité l'écrasement du
soulèvement kurde. La rébellion s'est
soldée
par des milliers de morts, des villages
brûlés et de nombreux déplacements de populations. |
Mustafa Kemal ne
s'est pas contenté de supprimer l'ancien État islamique, mais il
créa des tribunaux et des cours martiales dans le but d'emprisonner
et d'exécuter les Kurdes reconnus
coupables d'«atteinte à la sûreté intérieure de l'État».
- Les promesses irakiennes
Devant cette décision internationale qui accordait le vilayet de
Mossoul à l'Irak, le gouvernement de Bagdad déversa une pluie de
beaux discours sur les droits des Kurdes.
Considérons d'abord le discours
et la circulaire du premier ministre, Abd al-Muhsin as-Sa'dun, du 21
janvier 1926 :
Nous
accorderons aux Kurdes leurs droits. Les
fonctionnaires seront désignés parmi eux. Leur langue
nationale sera la langue officielle et leurs
enfants recevront l'instruction dans leur langue
dans les écoles. Nous sommes dans l'obligation de
reconnaître aux Kurdes leurs droits. |
Puis la circulaire du premier ministre donnant des
instructions à tous les ministres :
Votre Excellence a sans aucun doute lu le
discours du premier ministre à la Chambre des
députés et publié dans la presse ces jours
derniers. Ce discours expose la politique que le
gouvernement poursuit et veut poursuivre dans
l'administration de la zone kurde, c'est-à-dire
que les fonctionnaires seront des Kurdes et que
la langue officielle sera le kurde.
Son Excellence me prie donc de demander à Votre
Excellence de chercher à mettre en exécution
cette politique et de faire tout son possible
pour les établissements de la zone en question. |
La circulaire n° 2.295 du 18 février 1926 en provenance du
ministre de l'Intérieur au moutessarif (préfet) de Mossoul demeure
tout aussi
explicite :
Nous
vous envoyons ci-joint une copie du discours
fait par Son Excellence le premier ministre au
Parlement. Il définit la politique du
gouvernement dans les régions kurdes. Lisez-le
attentivement et ayez cette politique présente à
l'esprit comme un « Dastour » qui sert de base à
toute action à entreprendre. |
Puis le discours du premier ministre irakien, Abd al-Muhsin as-Sa'dun, au Parlement
en février 1926 :
Nous savons tous que le gouvernement a fixé, dans ses
lois, sa politique à l'égard des Kurdes et des
Communautés non musulmanes. Le gouvernement a par
conséquent estimé, en vertu de ses prérogatives, que les
Nations du Nord, et spécialement les Kurdes, obtiendront
leurs droits naturels et qu'elles obtiendront
satisfaction pour administrer leurs intérêts dans leurs
régions. Nous sommes tous d'accord, sur ce fait, de même
que l'Assemblée constitutionnelle a reconnu la présente
administration avant l'expédition de la décision de la
Société des Nations. Les termes de l'art. 3 sont
d'accord avec les désirs du pays.
Cette Nation ne peut subsister sans accorder aux sectes
de l'Irak leurs droits propres. Nous sommes tous
d'accord sur le fait que le gouvernement turc fut désuni
et divisé parce qu'il ne reconnut pas les droits à
l'existence des Nations et qu'il les empêcha de se
développer. C'est une bonne leçon pour nous et nous
devons en profiter. Nous ne devons pas continuer la
politique du gouvernement précédent (c'est-à-dire des
Turcs) ; nous accorderons aux Kurdes leurs droits; leurs
fonctionnaires seront désignés par eux, la langue
officielle sera leur langue et l'éducation de leurs
enfants dans leurs écoles sera faite dans leur langue
également. (Applaudissements.)
Il est de notre devoir de
traiter avec impartialité et justice toutes les
communautés, qu'elles soient musulmanes ou non, et de
faire droit à leurs revendications. |
Ce genre de discours ne pouvait que
plaire aux Kurdes, mais aucune de ces belles promesses ne fut tenue.
Le gouvernement irakien n'a jamais eu l'intention
d'accorder une quelconque autonomie aux Kurdes, sauf quelques vagues
privilèges octroyés au compte-goutte, de sorte que cette politique
attentiste allait être à l'origine d'une série de révoltes qui
s'échelonnèrent de 1930 à 1945.
- La Constitution de 1925
Le 10 juillet 1924, un projet de
Constitution
fut approuvé par l'Assemblée constituante irakienne. Cette
constitution entra en vigueur le 21 mars 1925. Le texte énonçait que l'arabe
était la langue officielle. Seuls les articles 6, 16 et 17 portaient sur la langue
et les droits linguistiques des différentes
communautés minoritaires:
Constitution de 1925
Article 6
Les Irakiens sont égaux
en droits devant la loi, quelles que soient les différences de
langue, de race ou de croyances.
Article 16
Les différentes
communautés ont le droit d'établir et d'entretenir des écoles pour
l'instruction de leurs membres dans leur propre langue, à condition
que cet enseignement soit effectué en conformité avec les programmes
généraux qui peuvent être prescrits par la loi.
Article 17
L'arabe est la langue
officielle, sous réserve de ce qui peut être prescrit par une loi
spéciale. |
En 1925, ce genre de droits reconnus était en avance pour
l'époque, mais il n'était pas question de les actualiser. Les proclamer
suffisait pour temporiser.
- Le Traité anglo-irakien de 1930
Le 30 juin 1930, la Grande-Bretagne et l'Irak signaient le Traité anglo-irakien (ou "Anglo-Iraqi Treaty")
qui abrogeait le traité de 1922. Ce traité, tout en reconnaissant l’indépendance de l’Irak,
raffermissait l’alliance politique et militaire entre les deux pays, car
la tutelle britannique demeurait omniprésente.
Évidemment, le traité ne contenait aucune disposition concernant les minorités,
y compris les Kurdes.
Il est même probable que le haut commissaire britannique n'en a jamais
entendu parler. Or, le traité de 1930 causa une grande
agitation chez les Kurdes.
Leurs pétitions et leurs plaintes affluèrent tant à Genève qu'à
Londres. Cette situation créa un climat explosif qui faisait craindre
l’expansion du nationalisme et la mobilisation des masses contre la tutelle
britannique. Le capitaine Philip Mumford, qui fut pendant sept ans
officier de l'Intelligence Service en Irak, rapporte ainsi les
événements en 1933 :
The
Anglo-Iraqi treaty, defining our relations with Iraq
when this country would have become independent, was
published in June 1930. There followed petitions and
disturbances among the Kurds who attempted, wisely or
not, to boycott the elections of that summer.
This agitation ended by a revolt when the Iraqi army
fired on a Kurdish crowd. Sheikh Mahmoud took this as a
pretext to launch an open revolt. Mahmoud asked for a
limited form of autonomy under British protection and
protested against the direct influence of the government
of Bagdad.
It was hoped that the government would be able to settle
the situation alone. It quickly became evident that this
was out of the question owing to the depth of Kurdish
feeling and the incompetence of the Arab army.
The Royal Air Force had to bear the largest part of the
operations. The bombing of Kurdish villages became
inevitable if the rebellion were to be got under
control. And even then Sheikh Mahmoud did not surrender
until eight months later... »
___________
(Lecture given at an ordinary session of the R.A.S.,
Vol. XX, January 1933). |
[Le Traité anglo-irakien, définissant nos relations avec l'Irak quand ce pays
sera devenu indépendant, a été publié en juin 1930. Il en résulta des pétitions
et des troubles parmi les Kurdes, qui ont tenté, avec prudence ou non, de boycotter
les élections de ce même été.
Cette agitation s'est terminée par une révolte
quand l'armée irakienne a tiré sur une foule kurde. Cheik Mahmoud en a pris prétexte
pour déclencher une révolte ouverte. Mahmoud a demandé une forme limitée
d'autonomie sous protection britannique et a protesté contre une influence directe
du gouvernement de Bagdad.
On espérait que le
gouvernement arabe aurait pu, seul, régler la situation. On s'est vite aperçu qu'il
n'en était pas question, vu la profondeur du sentiment kurde et l'incompétence
de l'armée arabe.
La Royal
Air Force a eu à assumer la plus grande partie des
opérations. Le bombardement des villages kurdes est
devenu inévitable, si l'on voulait mater la rébellion.
Et, même ainsi, Cheikh Mahmoud ne s'est rendu que huit
mois plus tard...
___________
Conférence donnée
à une
session ordinaire
de la
RAS,
vol.
XX,
janvier
1933)] |
En conclusion, une note (S.G. du 8 mai 1931) de sir Henry Conway
Dobbs, ancien haut-commissaire irakien, résumait la situation des Kurdes
en Irak et présentait ainsi la responsabilité de la Grande-Bretagne:
It is a fact that
there is a danger that British forces can come to be
employed as a mercenary instrument of tyranny in the
hands of an eastern government which is encouraged to
commit acts of tyranny against its subjects, knowing
that they are deprived of the natural remedy against
tyranny, that is hope of a successful insurrection. And
the weight of this system will bear in the first place
on the non-Arab, the most important and most warlike
minority, the Kurds. |
[C'est un fait qu'il existe un danger que les forces
britanniques puissent arriver à être utilisées comme
instrument mercenaire de la tyrannie dans les mains d'un
gouvernement oriental qui est encouragé à commettre des
actes de tyrannie contre ses sujets, sachant qu'ils sont
privés du remède naturel contre la tyrannie, ce qui est
un espoir d'une insurrection réussie. Et le poids de ce
système portera en premier lieu sur les non-Arabes, la
plus importante et plus belliqueuse minorité, les
Kurdes. ] |
Pour leur part, les Kurdes étaient convaincus qu'ils ne pouvaient
rien espérer de l'ambassade britannique à Bagdad et
encore moins du
gouvernement irakien
qui n'avait
nullement l'intention
de faire la paix.
Au contraire, les
Kurdes comprirent que les gouvernements britannique et irakien
désiraient les
réduire
au silence
pour toujours et
qu'ils seraient
prêts à
reprendre les
opérations répressives.
De fait, celles-ci
ont repris en
novembre
1931 et
elles ont duré
jusqu'en juin
1932.
La région
de Barzan
fut à moitié
dévastée par
les attaques de la
Royal Air Force; dans
les districts
de Baroj,
de Mizouri
et de
Schirvan,
le nombre de
villages détruits
s'est élevé à
79,
et le nombre des
maisons, à
1365 sur
un total de
2382. Or,
en vertu des
termes du Traité
anglo-irakien
de 1930, le
rôle de la RAF
devait se
limiter à
la défense des frontières de l'Irak
contre les
agressions
venues de l'extérieur.
Dès lors, le pays allait devenir
ingouvernable, car l’agitation antibritannique se développa de façon
systématique en Irak.
- La Déclaration de 1932
Le 5 mai 1932,
l'Assemblée des représentants adopta une déclaration à l'égard des Kurdes et
des autres minorités: Déclaration du royaume
de l'Irak, faite à Bagdad, le 30 mai 1932, à l'occasion de l'extinction du
régime mandataire en Irak, et contenant les garanties fournies au conseil par le
gouvernement de l'Irak. Bien que l'arabe soit déclaré la langue officielle,
l'article 4 reconnaissait l'égalité de tous les ressortissants
irakiens sans distinction de race, de langue ou de religion. Quant à l'article 8 de la
Déclaration, il prévoyait une protection réelle dans le système
d'enseignement public, puisqu'il garantissait aux
ressortissants irakiens dont la langue maternelle
n'est pas la langue officielle de recevoir une instruction dans leur
langue maternelle tout en recevant un enseignement obligatoire en
arabe:
Article 8
1) Dans le système d'enseignement
public dans les villes et les districts dans lesquels réside une
proportion considérable de ressortissants irakiens dont la langue
maternelle n'est pas la langue officielle, le Gouvernement irakien
prendra des dispositions pour des installations adéquates afin de
s'assurer que, dans les écoles primaires, l'instruction soit donnée
aux enfants de ces ressortissants dans leur propre langue ; il est
entendu que la présente disposition ne doive pas empêcher le
gouvernement irakien de rendre obligatoire l'enseignement de la
langue arabe dans lesdites écoles.
2)
Dans les villes et
les districts
dans lesquels il
existe une
proportion considérable de ressortissants
irakiens
appartenant à des
minorités
raciales, religieuses ou
linguistiques,
ces
minorités
se
verront assurer une
part équitable
dans le bénéfice
et l'application des
sommes qui
pourraient être
attribuées par
les fonds publics de
l'État,
les budgets
municipaux ou autres
à des fins éducatives,
religieuses
ou charitables.
|
Enfin, selon l'article 9 de la
Déclaration de 1932, le gouvernement irakien
s'engageait à ce que le kurde soit une langue officielle dans les régions où les
Kurdes étaient présents, au même titre que la langue arabe:
Article 9
1) L'Irak s'engage, en ce qui concerne les liwas de
Mossoul, d'Arbil, de Kirkouk et de Soulaimanié, à ce que la langue
officielle, à côté de l'arabe, soit le kurde dans les qadhas où la
population prédominante est de race kurde.
Toutefois, dans les qadhas de Kifri et de Kirkouk du liwa de
Kirkouk, où une partie considérable de la population est de race
turcomane, la langue officielle sera, à côté de l'arabe, soit le
kurde, soit le turc.
2) L'Irak prend l'engagement que dans lesdits qadhas, les
fonctionnaires devront, sauf exception justifiée, posséder la langue
kurde ou, le cas échéant, la langue turque.
3) Bien que dans lesdits qadhas, le critère pour le choix
des fonctionnaires soit, comme dans le reste de l'Irak, la capacité
et la connaissance de la langue plutôt que la race, l'Irak s'engage
à ce que les fonctionnaires soient choisis, comme jusqu'à présent,
autant que possible parmi les ressortissants iraquiens originaires
de ces qadhas.
|
Les mots «liwas» et «gadhas» indiquaient des divisions
administratives. La Déclaration de 1932 ne prévoyait aucun
statut particulier pour la région du Kurdistan irakien. Comme on le sait, ce traité ne fut jamais
appliqué. En fait, il fut même dénoncé par le dirigeant nationaliste
Mustafa Kemal qui, après sa victoire contre les Grecs (en août
1922), obtint sa révision lors du
traité de Lausanne
(juillet 1923), qui remplaçait le traité de Sèvres.
4
Le Kurdistan après l'indépendance de l'Irak (1932)
En 1932, la Grande-Bretagne
demanda à la Société des Nations de se prononcer sur la fin de son
mandat en Irak. Un rapport fut rédigé afin d'autoriser
l’indépendance du pays qui fut proclamée le 3 octobre de la même
année. L'Irak devint la première nation arabe à adhérer à la Société
des Nations. Dans les faits, les Britanniques ne perdaient rien. Ils
imposaient une dynastie hachémite qui leur était favorable et
conservaient leurs intérêts stratégiques et pétroliers dans le pays.
Il ne faut pas oublier que le Traité anglo-irakien (ou "Anglo-Iraqi Treaty")
de 1930 prévoyait pour vingt-cinq ans le
libre déplacement des troupes
britanniques sur le territoire irakien, où étaient établies deux
bases de la Royal Air Force.
Aussitôt, le pouvoir politique fut
accaparé par les Arabes sunnites, qui réussirent à se
maintenir à la tête du pays grâce à un appareil d'État fort,
utilisant la violence généralisée et la répression. C'est pourquoi
les dirigeants sunnites virent l'intégrité de l'État qu'ils
contrôlaient
menacée de l’intérieur par les aspirations sécessionnistes
des chiites au sud et des Kurdes au nord. Tous les rouages administratif du
nouvel État furent investis par des élites arabes sunnites, ce qui entraîna la
mise à l'écart des chiites (majoritaires) et des Kurdes des sphères du pouvoir.
La question kurde ne faisait pas partie des préoccupations des
Britanniques. En somme,
l'indépendance de l'Irak s'avérait une catastrophe pour les Kurdes, puisque
toute les craintes
se vérifieront.
4.1 Le pacte anti-kurde de
1937
Le 8 juillet 1937, l’Irak, l'Iran, la
Turquie et l’Afghanistan signèrent le pacte de Saadabad. Celui-ci
prévoyait à l'article 7 une coordination dans la lutte contre les
«bandes armées», ce qui visait les Kurdes, sans les nommer :
Article 7
Each of the High Contracting Parties undertakes to
prevent, within his respective frontiers, the formation or activities of
armed bands, associations or organisations to subvert the established
institutions, or disturb the order or security of any part, whether
situated on the frontier or elsewhere, of the territory of another
Party, or to change the constitutional system of such other Party. |
[Article 7 Chacune des Hautes
Parties contractantes s'engage à prévenir, au sein de ses frontières
respectives, la formation ou les activités
des bandes armées,
des associations ou des organisations visant à renverser les
institutions établies ou à troubler l'ordre ou la sécurité d'une Partie,
qu'elles soient situées à la frontière ou ailleurs du territoire d'une
autre Partie, ou pour changer le système constitutionnel de cette autre
Partie.] |
Pour la première fois de leur longue
histoire, les Kurdes étaient privés de leur autonomie
culturelle. En Irak, les Kurdes
furent aussitôt considérés comme un groupe minoritaire pouvant
mettre en danger le nouvel État. Dans le passé, les conquérants n'avaient
jamais entrepris de
couper les Kurdes de leurs racines et de leur identité culturelle.
C'est pourquoi les diverses variétés linguistiques du kurde ont pu
survivre sans obstacle. De tous les peuples de l'ancienne
Mésopotamie, les Kurdes furent la
population qui a payé le plus cher tribut du dépeçage de l'Empire
ottoman dans la région.
En 1945 et 1946, les
Kurdes, qui ne se retrouvaient pas dans un État se définissant comme
«arabe», se soulevèrent tout en recevant le soutien de l’Union soviétique.
Les Britanniques, craignant que les Soviétiques ne prennent le contrôle des
champs pétrolifères du Nord, intervinrent militairement. L'Iran fut envahi
par les Soviétiques en laissant les Kurdes iraniens s'emparer des
armes et des munitions de l'armée du Shah d'Iran. Le 22
janvier 1946, avec l'appui des Soviétiques, les Kurdes
iraniens proclamèrent une
république kurde indépendante à Mahabad,
mais elle ne devait pas durer un an, l'Iran ayant repris le
territoire après le départ des Soviétiques. En avril 1947, les
royaumes hachémites d’Irak et de Transjordanie signèrent un traité d’amitié
et d’alliance prévoyant un soutien militaire et diplomatique mutuel.
4.2 La dictature et les révoltes
kurdes
Le 14 juillet 1958, le général Abdul Karim
Kasem, soutenu par l'Égypte et l'URSS, renversa la monarchie
irakienne; le roi Fayçal et le prince héritier furent exécutés.
massacrés au cours du soulèvement, alors que le premier ministre
Nuri al-Saïd (pro-britannique) fut pourchassé et lynché par la
foule. Le lendemain, le nouveau gouvernement, qui avait proclamé la
République, annonça la dissolution de l’Union arabe et le
rapprochement avec la République arabe unie. En mars 1959, l’Irak se
retira du pacte de Bagdad.
|
Le général Kasem occupa le poste de
premier ministre et de ministre de la Défense. Il fit adopter un
nouveau drapeau en 1959. Les couleurs de ce drapeau, le noir, le
blanc et le vert, représentaient le panarabisme, mais le soleil
jaune évoquait la minorité kurde, alors que l'étoile rouge autour du
soleil symbolisait la minorité assyrienne. Ce fut le seul drapeau de
l'histoire irakienne à porter un symbole représentant la minorité
kurde. Néanmoins, le général Kasem persécuta et massacra la
population kurde: 4500 villages furent détruits
sous ses ordres. |
Néanmoins, le général Mustapha Barzani, principal
chef du mouvement national kurde, réussit à tenir en échec l’armée
irakienne durant quatorze ans, ce qui permit une certaine autonomie.
Les succès militaires de Barzani furent favorisés par le soutien que
lui accordait le shah d’Iran en matière d’armement, d’instruction
militaire et de logistique.
Le général
Kasem exerça un pouvoir si dictatorial qu'il finit par être renversé par un
groupe d’officiers du Parti Bass et exécuté le 8 février 1963.
Le Parti Baas prit le pouvoir
4.3
L'autonomie accordée par Saddam Hussein
En 1970, le
régime irakien dirigé par Saddam Hussein, déclarant régler la question kurde,
décida d'accorder une autonomie
politique aux Kurdes. Ce furent les accords du
11 mars 1970, signés par le général Barzani et
le président Saddam Hussein. Ces accords du 11 mars prévoyaient la solution du
problème de Kirkouk et des territoires disputés en recourant à un recensement et
à un référendum.
- La Constitution
provisoire de 1970
En vertu de ces accords,
une autonomie politique était octroyée au
Kurdistan dans le nord-est de lIrak. Celle-ci comportait la reconnaissance de la
réalité binationale de lIrak (art. 5 de la
Constitution
provisoire de 1970) et de l’existence du peuple kurde sur son territoire
propre (art. 7 de la
Constitution
provisoire de 1970):
Constitution provisoire de 1970
Article
5
Nationalités
(a)
L'Irak
fait
partie
de la nation arabe.
(b)
Le peuple irakien est
composé de deux
principaux
nationalismes:
le
nationalisme
arabe et le
nationalisme
kurde.
(c)
La présente
Constitution
reconnaît
les
droits nationaux du
peuple kurde
et
les
droits légitimes
de toutes les
minorités
au sein de l'unité
irakienne.
Article
7
Langues
(a)
L'arabe est la
langue officielle.
(b)
La langue kurde
est officielle
en plus de
l'arabe dans la
région kurde.
|
- Les
accords irako-kurdes
Les accords
prévoyaient aussi une administration particulière du Kurdistan
irakien, l’élection au Kurdistan d’une assemblée législative (115
membres élus par la représentation proportionnelle) dont serait
issue un Conseil exécutif, l’enseignement de la langue kurde aux
niveaux primaire, secondaire et universitaire dans l’ensemble du
Kurdistan. De plus, les Kurdes pouvaient développer leurs propres
journaux, radios et télévisions, le tout en langue kurde. Voici
quelques articles de l'Accord
d'autonomie irako-kurde de 1970 concernant la langue et le
peuple kurdes:
Article 1er
La langue kurde doit
être, aux côtés de la langue arabe, la langue officielle dans les
régions à majorité kurde ; le kurde sera la langue d'enseignement
dans ces régions et il sera enseigné dans tout l'Irak comme langue
seconde.
Article 4
Tous les
fonctionnaires dans les régions à majorité kurde doivent être Kurdes
ou au moins kurdophones.
Article 15
Le peuple kurde doit
partager le pouvoir législatif d'une façon proportionnelle à sa
population en Irak. |
Enfin, comme
la plupart des minorités irakiennes sont situées dans la région
kurde, l’administration locale kurde se voyait chargée de
veiller aux intérêts et aux droits des Assyriens, des Arméniens,
des Turkmènes, etc. De plus, les
Kurdes pouvaient développer leurs propres journaux, radios et télévisions, le tout en
langue kurde. Enfin, comme la plupart des minorités irakiennes sont situées dans la
région kurde, ladministration locale kurde se voyait chargée de veiller aux
intérêts et aux droits des Assyriens, des Arméniens, des Turkmènes, etc.
L'article 14
des accords prévoyait «l'autonomie du peuple kurde dans la
région formée par l'unification des gouvernorats et unités
administratives habités par une majorité kurde, conformément au
recensement officiel qui aura lieu». Les autres articles
précisaient que le kurde serait la langue officielle et la
langue d'enseignement dans les régions peuplées en majorité par
les Kurdes, et que le recrutement de Kurdes dans
l'administration et l'armée constituerait une part «équitable»
des budgets de développement pour les régions kurdes, la
nomination d'un vice-président kurde, et leur participation au
pouvoir législatif en fonction du pourcentage de la population
en Irak. Enfin, le PDK pouvait reprendre ses activités et
publier son journal Al-Taakki.
Ces dispositions générales sont définies par la décision n° 228
du conseil du commandement de la Révolution, qui
prévoit, en particulier un vice-président kurde, des
fonctionnaires kurdes (parlant kurde) dans les circonscriptions dont
la population est majoritairement kurde et l'absence de
discrimination dans la fonction publique.
En réalité, si Saddam Hussein avait lui-même
négocié et signé ces
accords, c'est parce qu'il n'avait pas l'intention de les appliquer: il voulait
simplement gagner du temps avec les Kurdes
afin de «régler» le problème à sa façon.
On dit que le général Barzani
savait également que les accords du 11 mars 1970 ne seraient pas
appliqués par Saddam Hussein, mais il désirait, lui aussi,
gagner du temps. De fait, tout traîna en longueur à un
point tel que les Kurdes finirent par se soulever contre le gouvernement et la
guerre recommença. Mais les révoltes kurdes furent finalement réprimées dans le sang par les
Forces armées irakiennes.
- La loi
n° 33 du 11 mars 1974
Plus tard,
Saddam Hussein compléta le statut d'autonomie par la
loi n° 33 du 11 mars 1974. Selon l'article 1, la région du
Kurdistan est une entité administrative distincte mais constitue
une partie inséparable de l'Irak:
Article 1er
La
région du Kurdistan bénéficie et doit être
considérée comme une unité administrative distincte
dotée d'une personnalité distincte dans le cadre de
l'unité juridique, politique et économique de la
république d'Irak.
La
région est une partie inséparable du territoire de
l'Irak et son peuple et constitue une partie
intégrante du peuple irakien. La ville d'Arbil est
le siège du quartier général de l'administration
autonome et des institutions autonomes, et fait
partie de l'institution de la République d'Irak. |
L'article 2 reconnaissait le kurde comme
langue co-officielle dans la région autonome, donc de
l'enseignement :
Article 2
a) En plus de l'arabe, le kurde doit être
une langue officielle dans la région;
b) L'arabe et le kurde sont les langues
de l'éducation, à toutes les étapes et dans tous
les établissements, pour les Kurdes dans la
région, conformément au paragraphe e) du présent
article;
c) Des établissements d'enseignement pour
les membres du groupe ethnique arabe doivent
être prévus dans la région. Dans ces
établissements, l'instruction doit être en arabe
et la langue kurde est enseignée comme matière
obligatoire;
d)
Tous les résidents de la
région,
quelle que soit leur
langue maternelle,
doivent avoir
le
droit de choisir
les
écoles
dans lesquelles ils
souhaitent
recevoir leur instruction;
e) Toutes les étapes
de la formation dans la région doivent être
régies
par
l'enseignement général
de
l'État. |
C'est alors que les demandes pour enseigner
le kurde dans les écoles primaires ont augmenté
considérablement, surtout dans les gouvernorats de Dohouk,
d'Erbil, de Soulaimanyeh, de Kirkouk, de Ninive et de
Diyala. La langue et la littérature kurdes furent autorisées
dans les écoles secondaires dans les régions désignées pour
l'enseignement du kurde.
Le Kurdistan irakien comprend alors les
trois gouvernorats de Soulaimanyeh, d'Arbil (Erbil)
et de Dohouk. Conformément à la loi n° 33 de 1974, le Conseil
législatif de la région autonome détenait les compétences
suivantes :
1) l'adoption des textes de loi nécessaires à l'essor de la région
et au développement des services sociaux, culturels et économiques à
caractère local dans le cadre de la politique générale de l'État ;
2)
l'adoption des textes de loi relatifs à la promotion de
la culture,
des particularismes et des traditions nationales des citoyens de la
région ;
3) l'adoption des textes de loi relatifs aux instances à caractère
officieux et aux entreprises locales ;
4) l'adoption des projets de plans détaillés préparés par Conseil
exécutif dans les domaines économique.
- La politique
colonialiste
Évidemment,
lautonomie kurde fut de courte durée. Les négociations avec le gouvernement
irakien échouèrent parce que les Kurdes trouvèrent insuffisante lautonomie
accordée. Dès lors, soutenus financièrement et encouragés par lIran qui refusait
toute concession à ses propres Kurdes, les Kurdes dIrak se soulevèrent contre le
gouvernement de Bagdad. La guerre se termina en 1975 lorsque l'Iran retira son soutien aux
Kurdes irakiens, après avoir conclu un accord avec l'Irak. De plus, l'invasion,
l'occupation et la division du Kurdistan n'ont pas seulement affecté les Kurdes, mais
aussi les minorités assyrienne, arménienne, turkmène, etc. Dès lors, le
régime de Saddam Hussein entreprit une campagne d'arabisation et des centaines
d'écoles kurdes durent fermer. En fait, des milliers d'écoles furent entièrement
détruites, tandis que des milliers d'enfants furent privés d'instruction.
En 1983, la
Loi n° 28 de
1983 précisa les droits des populations arabes et des groupes
minoritaires, ce qui incluait les Kurdes, dont le nom n'était
même plus mentionné :
Article 3
a)
Les droits et les libertés des Arabes et des membres
des groupes minoritaires dans la région doivent être protégés,
conformément aux dispositions de la Constitution, de la loi et des
décisions promulguées en relation avec celles-ci. L'administration
autonome est tenue de garantir l'exercice de ces droits et ces
libertés ;
b) Les Arabes et les
membres de groupes minoritaires dans la région doivent être
représentés dans toutes les institutions autonomes sur la base de
leurs membres en proportion de la population totale de la région et
ils auront accès à des fonctions publiques, conformément aux
règlements et décisions s'y rapportant. |
La ville d'Arbil (Erbil) fut proclamée «capitale d'été» par
Saddam Hussein à la suite des contributions de la population arabophone à la
guerre contre l'Iran. En réalité, la politique colonialiste
imposée par Bagdad avait pour effet de susciter une hostilité des minorités
contre les Kurdes, sinon une hostilité réciproque, provoquant affrontements, déportations et
exils. La région autonome comptait alors une bonne
proportion d'Arabes irakiens, car Saddam Hussein avait poursuivi une politique
d'arabisation intensive (et de minorisation des Kurdes) : des
milliers de familles kurdes furent chassées des villes de Kirkouk et de Mossoul.
Les maisons que ces familles avaient fuies furent occupées par des «colons» arabes
irakiens. En réalité, plus de 400 000 non-arabophones de Kirkouk
furent ainsi forcés de renoncer à leur nationalité et de
se déclarer Arabes ou durent chercher refuge dans les zones libérées (sous
contrôle international) du Kurdistan irakien.
4.4 La «solution finale» de
1987
Malgré la politique d'arabisation intensive dans le Kurdistan, les «déplacements»
de population, les exécutions des leaders kurdes, les guerres qui durent par
intermittence depuis 1961, le gouvernement irakien na jamais pu venir à bout des
Kurdes. Cest alors que commença en 1987 la campagne génocidaire du régime du
président Saddam Hussein. En effet, le décret no 160 du 29 mars 1987
du Conseil de commandement de la Révolution (CCR) mettait en œuvre la «solution
finale» au problème kurde en recourant aux armes chimiques. Bien que formellement
interdit par la convention de Genève depuis 1925, l'usage des armes chimiques fut ainsi
utilisé pour la première fois par un État contre une partie de sa propre population. Le
3 juin 1987, le proconsul, un cousin de Saddam Hussein, signa sa directive personnelle no
28/3650 qui déclarait «zone interdite» un territoire couvrant plus de 1000 villages
kurdes d'où toute vie humaine ou animale devait être éliminée:
Toute circulation de nourriture, de personnes ou de machines vers des villages
prohibés pour des raisons de sécurité est totalement interdite [...]. Concernant les
moissons, elles doivent être terminées avant le 15 juillet et, à partir de cette
année, l'agriculture ne sera plus autorisée dans cette région [...]. Les Forces armées
doivent tuer tout être humain ou animal présent dans ces zones. |
Afin de «nettoyer» les réduits des maquisards et les villages de montagnes
difficiles d'accès, les Forces armées irakiennes durent évacuer et détruire tous les
villages kurdes, regrouper leurs habitants dans des camps aménagés le long des grands
axes routiers et éliminer physiquement les populations considérées comme «hostiles».
Au
total, 200 000 soldats dont un bataillon darmes chimiques soutenus par
laviation menèrent une «campagne de nettoyage final» dans le Kurdistan,
particulièrement dans les zones kurdes longeant la frontière turque. Les
destructions des villes et villages kurdes se poursuivirent jusquen 1989 alors que Qala Diza, une ville de 120 000 habitants près de la frontière iranienne, fut évacuée,
dynamitée et complètement rasée. Au total, plus de 4500 villages furent rayés de
la carte dans le cadre de la «campagne Anfal», dans l'indifférence générale de la
communauté internationale. Plus de 200 villages furent gazés, dont Halabja où
5000 habitants succombèrent au cocktail chimique déversé par l'aviation
irakienne. Le nettoyage ethnique fut exécuté lors de raids nocturnes,
d'exécutions de masse, les corps jetés dans des fosses communes anonymes. La
plupart des corps des 180 000 victimes n'ont jamais été retrouvés. Puis, en 23 avril 1989, le président Saddam Hussein,
estimant la question kurde «réglée», abolit le Comité des affaires du Nord du CCR qu'il
avait créé dix ans auparavant et révoqua les pouvoirs spéciaux conférés au
proconsul, son cousin. Tout ne fut pas terminé pour autant! À cette époque,
Saddam Hussein, en guerre contre l'Iran, n'était pas encore inscrit sur la liste
noire des Américains.
5 La «zone de protection» internationale
Peu de temps après la guerre
du Golfe, en mars 1991, les populations kurdes d'Irak furent de nouveau la cible des
militaires irakiens: ce furent les massacres des populations civiles par des gaz chimiques et exode de
trois millions de kurdes. Cest pourquoi, en avril 1991, la résolution n° 688 de
l'ONU imposa à lIrak une «zone de protection» dans le nord du pays et décida
d'en garantir la sécurité par des patrouilles aériennes au nord du 36e parallèle
surveillées par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne lors de l'opération
appelée «Provide Comfort».
Mais les Kurdes irakiens ont dû se débrouiller tout seuls
dans leur zone soumise à l'embargo international contre l'Irak qui leur avait interdit
d'importer le moindre équipement technique et de concevoir le moindre projet de
développement économique. Cet isolement fut accentué par un blocus irakien, décrété
en octobre 1991: Bagdad avait retiré tous ses fonctionnaires des provinces kurdes et
interdit l'entrée dans celles-ci de l'essence et de tout autre produit pétrolier.
Lorsque la guerre du Golfe a éclaté en 1991, le Kurdistan irakien était déjà en
ruines. C'est ce que désirait Saddam Hussein: semer le chaos dans la région.
Néanmoins,
la création d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de l'Irak,
protégée par les militaires américains et britanniques, ont eu pour effet de conférer aux
Kurdes une autonomie réelle. En 1992, les Kurdes d'Irak tinrent leurs
premières élections démocratiques, lesquelles permirent la création, à Erbil,
d'un parlement kurde autonome et d'un gouvernement régional
démocratiquement élu. Le Parlement autonome comptait 100 sièges
réservés aux Kurdes, 5 aux Assyriens et 10 aux Turkmènes.
Soucieux de rassurer les États voisins, le Parlement kurde se
prononça en faveur d'un fédéralisme respectant l'intégrité
territoriale de l'Irak. Comme on pouvait s'y attendre, les
écoles kurdes furent réouvertes dans toutes les régions
«libérées». En ce qui concerne les diverses minorités
linguistiques du Kurdistan, les autorités kurdes entreprirent de
promouvoir le statut des langues minoritaires afin qu'elles
puissent être utilisées dans les médias et dans l'enseignement
dans les écoles primaires et secondaires. En même temps, le
kurde dut être promu comme langue de l'administration dans les
zones kurdes. Les populations arabes sunnites implantées
par Saddam Hussein ont été dans l'obligation de rendre les
terres aux Kurdes et de voir leurs villes incluses dans un
Kurdistan autonome.
5.1 Les
luttes inter-kurdes
Toutefois, faute de moyens, ladministration kurde n'a
pu
mettre sur pied une force de police autonome, ni même payer régulièrement les
fonctionnaires assurant les services de base. Les milices des partis, héritées de la
période de guérilla, assurèrent alors l'ordre public. De plus, les partis kurdes au
pouvoir, nayant pu élaborer de politique commune les élections au suffrage
universel de mai 1992 avaient donné une supériorité dun seul siège au Parti
démocratique kurde (PDK) de Massoud Barzani sur l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) de
Jalal Talabani soutinrent des milices séparées qui ont rapidement dégénéré en
guerres inter-kurdes, le tout encouragé par les pays voisins (Iran et Turquie),
ce qui plongea la région dans le chaos.
|
Le Kurdistan autonome fut rapidement scindé en deux entités
tribalo-politiques, l'une au nord, adossée à la Turquie et dominée par le PDK de
Barzani, l'autre, au sud, adossée à l'Iran, et sous le contrôle de lUPK de
Talabani: autrement dit, un «Barzaniland» contre un «Talabaniland». Pire, pendant que
le premier quémandait de laide au maître de Bagdad, le second faisait de même
auprès de Téhéran, le tout ponctué de fortes embrassades télévisées. Selon toute
vraisemblance, les Américains auraient versé aux deux chefs kurdes près de 100 millions
de dollars afin dhumilier, harceler et affaiblir le président Saddam Hussein. Ces
luttes fratricides ne se sont terminées que vers la fin de 1996 au prix de milliers de
morts. Massoud Barzani, le leader du Parti démocratique kurde, est devenu temporairement
le maître du Kurdistan irakien. La situation chaotique au Kurdistan irakien a
certainement favorisé les interventions de l'armée iranienne et surtout de l'armée
turque. |
La guerre civile de 1994 à 1998, au cours de
laquelle se sont affrontés les partisans du PDK de Barzani et de l’UPK de
Talabani,
n’est pas encore complètement effacée des mémoires. Aujourd'hui, la nouvelle génération ne
semble pas adhérer nécessairement «vieux partis» de leurs prédécesseurs et elle ne cautionne pas
toutes les décisions politiques des deux principaux partis kurdes.
En avril 1993, cétaient les troupes iraniennes qui occupèrent une partie
du territoire du Kurdistan d'Irak, et des dizaines de villages nouvellement reconstruits
furent détruits et plus de 10 000 paysans kurdes durent fuir les zones pilonnées part
l'artillerie lourde de l'armée iranienne.
En mars 1995, la Turquie poursuivit ses
ingérences et 35 000 militaires envahirent la zone dite «de protection» de lIrak
pour multiplier, un mois et demi durant, les destructions et les massacres... Le 22 octobre 1997,
le quotidien turc Hurriyet, sappuyant sur des sources officielles, révéla
que 8000 soldats turcs resteraient à l'intérieur de l'Irak dans une zone tampon d'une
profondeur de 15 kilomètres, le long des 330 kilomètres d'une frontière qui sépare les
deux pays.
Au terme de cette guerre génocidaire, 90 % des villages kurdes ont été
rayés de la carte, ainsi qu'une vingtaine de villes. Les campagnes sont restées
truffées d'environ 15 millions de mines afin de les rendre impropres à l'agriculture et
à l'élevage. De plus, 1,5 million de paysans kurdes ont été internés dans des camps.
Depuis 1974, la guerre de Bagdad contre les Kurdes sest soldée par plus de 400 000
morts, dont près de la moitié disparus, soit environ 10 % de la population kurde de
l'Irak.
5.2 La
reconstruction du Kurdistan
Néanmoins, cest dans ce contexte apocalyptique de crise économique, de pénurie
(eau, électricité, pétrole, alimentation, soins de santé, etc.) et de violence et avec
l'aide de certaines organisations non gouvernementales que les Kurdes ont pu reconstruire
une partie de leurs villages détruits, redémarrer tant bien que mal l'agriculture,
rouvrir de nombreuses écoles et même assurer le fonctionnement intermittent de trois
universités. En 2000, les Kurdes avaient
reconstruit plus de 70 % de ce que Saddam Hussein avait réussi à détruire, dont
plus de 3000 villages. Les deux grands partis politiques,
le Parti démocratique kurde (PDK) de Massoud Barzani et l'Union patriotique du
Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani, n’ont pas cessé de mobiliser leurs
forces de façon à se maintenir dans leur espace et à y installer un appareil
militaire et civil efficace.
Le
gouvernement autonome
s'est mis à utiliser le kurde dans ses
relations avec la population locale. Quarante partis politiques
représentèrent les divers courants ethniques et religieux de la région, et
possédèrent leurs propres médias. La
justice ou ce qui en restait
s'est remis à fonctionner en kurde, et les fonctionnaires du régime en exil à utiliser le
kurde.
En
éducation,
la résolution SCR-986 du gouvernement régional kurde prévoyait dès 1997 l'affectation
de fonds plus substantiels pour le développement du système éducatif. Le gouvernement kurde a construit 160 établissements secondaires et 85 jardins d'enfants.
En ce qui concerne les études supérieures, le gouvernement kurde d'Irak a préparé un plan global représentant un budget de 25 millions de dollars
US et, depuis l'application de la résolution SCR-986, un changement significatif s'est produit dans l'éducation,
car le nombre d'accès aux études universitaires (lUniversité de Salah al-Din)
a augmenté.
Établissements scolaires au Kurdistan d'Irak en 1998/1999 |
Établissements
scolaires |
Nombre d'enseignants |
Nombre d'étudiants |
Nombre
de
collèges et d'écoles |
Nombre
de
départements |
Universités |
|
|
|
|
Salahadin |
444 |
7 524 |
12 |
44 |
Souleimaniyeh |
159 |
3 067 |
7 |
18 |
Duhouk |
149 |
1 689 |
7 |
16 |
Instituts de Technologie |
|
|
|
|
Erbil
Technical |
35 |
1 077 |
1 |
9 |
Souleimaniyeh
Technical |
35 |
1 628 |
1 |
8 |
Duhok
Technical |
56 |
845 |
1 |
5 |
Écoles
secondaires |
- |
- |
- |
- |
Erbil |
2982 |
42 612 |
146 |
- |
Souleimaniyeh |
2492 |
52 124 |
182 |
- |
Duhouk |
1020 |
27 004 |
97 |
- |
Source :
http://www.gy.com/www/ww1/ku_e.htm |
En matière d’éducation, il
reste encore à accroître le nombre des professeurs, développer l’Université de
Saladin et ouvrir des
établissements denseignement à Erbil et à Souleimaniyeh, afin de disposer
déquipements adéquats pour les étudiants. Les établissements scolaires accusent
une pénurie alarmante de matériel pédagogique: livres en kurde, mobiliers, tableaux
noirs, etc.
Un référendum sur l’indépendance doit se tenir le 25 septembre 2017 dans le
Kurdistan irakien.
6 La politique linguistique du
Kurdistan
La politique linguistique décrite ici est celle
correspondant après l'adoption de la Constitution irakienne de
2005 créant ainsi un «État fédéré» avec le Kurdistan irakien.
Dans les faits, le fédéralisme irakien a été adopté
spécifiquement pour la Région autonome du Kurdistan (article 117.1
de la Constitution).
Article 117 1) La présente Constitution, dès son entrée en vigueur,
reconnaît la région du Kurdistan, ainsi que ses pouvoirs existants,
comme une région fédérée.
2) La présente Constitution prévoit que de nouvelles régions
peuvent être établies conformément à ses dispositions.
|
6.1 La
région autonome
Seul le Kurdistan, qui
regroupe les provinces ou gouvernorats d'Erbil (Arbil en arabe), de Dohouk (Dahūk
en arabe) et de Souleimaniyeh (prononcer [sou-lai-manié]), a
actuellement le statut de «région autonome» en Irak. D'autres
gouvernorats réclament le statut de «région autonome» : Saladin,
Anbar et Basrah
(voir la carte
du pays avec ses gouvernorats). Bref, si plusieurs
gouvernorats ont
exprimé leur désir d'acquérir ce statut, les
dirigeants irakiens fédéraux ont estimé qu'une telle entreprise
était prématurée et pourrait provoquer des conflits à l'intérieur du
pays.
|
La
formation des autres régions autonomes, notamment dans les zones chiites, a été
reportée à la demande des sunnites à la suite d'une loi élaborée dans les six
mois suivant la première réunion de la Chambre des députés (ou Chambre des
représentants). Cette période de six mois commençait à partir du 16
mars 2006, mais aucune loi n'a pu encore être adoptée à ce jour. C'est pourquoi l’Irak
fédéral n'est composé que d’une seule région fédérée, le Kurdistan, les autres
gouvernorats demeurant
durant un temps indéterminé sous la seule autorité du gouvernement fédéral.
Les deux plus grandes villes du Kurdistan irakien,
Mossoul et Kirkouk,
pourtant à forte population kurde, ne sont pas
incluses dans la Région autonome. La frontière
n'est d'ailleurs pas encore définitive jusqu'à ce qu'un recensement et des
élections soient organisés par le gouvernement Irakien. |
Ces mesures ont été prévues à l'article 58-c de la
Loi
sur l'administration de l'État de l'Irak sous la période de transition
(2004) :
Article 58
(C)
La résolution
permanente
des
territoires disputés,
y compris
Kirkouk,
doit être
reportée jusqu'à
ce que ces mesures
soient complétées,
qu'un recensement
juste et
transparent ait été
mené et que la
constitution
permanente ait
été ratifiée.
Cette résolution
doit être compatible
avec le
principe de la
justice, en tenant
compte de la volonté
de la population
de ces
territoires. |
La situation politique étant ce qu'elle est
en Irak, rien n'a été fait jusqu'à ce jour. La Constitution
irakienne de 2005 prévoit un référendum à Kirkouk, dont le
gouvernorat compte 900 000 habitants et recèle les deuxièmes
plus grandes réserves pétrolières du pays après le Sud. En
raison des nombreux désaccords, le référendum dut être
repoussé à plusieurs reprises et n’a finalement jamais eu
lieu. Profitant du vide juridique, les forces kurdes en ont
profité pour s’emparer de la ville de Kirkouk, et ce, sans
résistances. Il faut préciser que, devant l’avancée
spectaculaire de l’État islamique dans la région, les Kurdes
n'avaient plus besoin d'autre motif pour
intervenir militairement. Cette prise de Kirkouk constitue un atout
supplémentaire pour faire valoir leurs
revendications auprès de l’État central.
6.2 La Constitution
fédérale
Au plan religieux, l’Irak est multiforme. Cette
réalité est aujourd'hui inscrite dans la
Constitution
fédérale,
dont l’article 3 proclame que «l’Irak est un pays aux
multiples ethnies, religions et confessions»:
Article 3 L'Irak est un pays aux
multiples ethnies, religions et confessions. Il est un membre
fondateur et actif de la Ligue arabe ; il applique sa charte, et il
fait partie du monde islamique. |
Les nouvelles dispositions sur la question linguistique ne peuvent qu'être
plus positives pour l'ensemble des communautés qui habitent ce pays. L'article 4
de la Constitution fédérale de 2005 édicte ce qui suit:
Article 4
1) L'arabe et le kurde sont les deux langues officielles de
l'Irak. Le droit des Irakiens d'instruire leurs enfants dans leur langue
maternelle est garanti, comme le turkmène, le syriaque et l'arménien, dans
des établissements d'enseignement publics, conformément aux directives
éducatives, ou en toute autre langue dans des établissements
d'enseignement privés.
2) La portée du terme de langue officielle et les moyens
d'appliquer les dispositions du présent article seront définis
conformément à la loi qui doit inclure :
a) La publication du Journal officiel en deux langues;
b) Les discours, communications et manifestations dans leurs formes
officielles, telles que le Conseil des représentants, le Conseil des
ministres, les tribunaux et les conférences officielles, dans chacune des
deux langues;
c) La reconnaissance et la publication des documents et correspondances
officiels en deux langues;
d) Les écoles publiques qui enseignent les deux langues, conformément
aux directives d'enseignement;
e) L'usage des deux langues dans toute disposition décrétée en vertu du
principe de l'égalité comme les billets de banque, les passeports et les
timbres.
3) Les institutions et agences fédérales dans la région
du Kurdistan doivent employer l'arabe et le kurde.
4) Le turkmène et le syriaque sont deux autres langues
officielles dans les unités administratives au sein desquelles elles
représentent une densité d'occupation.
5) Chaque région ou gouvernorat peut adopter une autre
langue locale comme une langue officielle complémentaire si la majorité de
sa population en décide lors d'un référendum général. |
En fait, les dispositions constitutionnelles
de 2005 proviennent de la Loi sur
l'administration de l'État de l'Irak sous la période de transition (2004).
En témoigne l'article 9 de la loi, aujourd'hui obsolète:
Article
9
La langue arabe et la langue kurde
sont les deux langues officielles de l'Irak. Le droit des Irakiens
d'éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle comme le
turkmène, le syriaque ou l'arménien dans les établissements publics
d'enseignement, conformément aux orientations
pédagogiques, ou dans toute autre langue dans les établissements
privés d'enseignement, est garanti.
La
portée de l'expression
«langue officielle»
et les moyens
d'application des
dispositions du
présent article
sont définis
par la loi et
doivent comprendre:
(1)
La
la
publication du Journal officiel
dans les deux langues;
(2)
La parole et
l'expression dans les domaines officiels, comme la Chambre des
représentants, le Conseil des ministres, les tribunaux et les
conférences officielles, dans l'une ou l'autre des deux langues ;
(3)
L'examen
et la publication des documents officiels et de la correspondance
dans les deux langues ;
(4)
L'ouverture
d'écoles qui enseignent les deux langues, conformément aux
orientations pédagogiques ;
(5)
L'utilisation
des deux langues dans toute question visée par le principe
d'égalité, comme les billets de banque, les passeports et les
timbres.
(6)
L'utilisation des
deux langues dans les
institutions
et
organismes fédéraux
dans la
région du Kurdistan.
|
L’arabe et le kurde sont maintenant les deux
langues officielles de l’Irak. Il en résulte que le kurde est devenu la
cinquième langue officielle au Proche-Orient, après l'arabe, le farsi (iranien
ou persan), le turc et l’hébreu.
De plus, les autres minorités (chaldo-assyrienne et
turkmène) ont le droit d’utiliser leur langue dans leurs établissements
d'enseignement et les entités administratives locales.
Les sunnites avaient demandé que seul l'arabe soit la langue
officielle de l'Irak et le kurde, la langue officielle pour le Kurdistan, ce que
refusaient les Kurdes. De plus, les Kurdes ont réussi à obtenir que soient
mentionnées les autres langues, telles que le turkmène et le syriaque, et le
droit de ces minorités de faire instruire leurs enfants dans leur langue
maternelle.
Quant à l'article 125 de la
Constitution fédérale de 2005, il garantit des droits administratifs,
politiques, culturels et éducatifs aux diverses nationalités, telles que les
Turkmènes, les Chaldéens, les Assyriens et tous les autres composants du pays:
Article 125 :
La présente Constitution garantit les droits administratifs,
politiques, culturels et éducatifs aux diverses nationalités, telles que
les Turkmènes, les Chaldéens, les Assyriens et toutes les autres composantes
du pays. Il en sera prévu ainsi conformément à la loi. |
Le Kurdistan conserve son statut
d'autonomie dans le cadre d'une fédération, alors que les autres provinces du
pays pourront élaborer un éventuel gouvernement local, en attendant que cette
question soit réglée par un gouvernement dûment élu.
L'islam continue d'être la religion
officielle de l’État et l’une des sources de législation, tout en garantissant
la liberté totale de toutes les autres religions et de leurs pratiques.
6.3 La Constitution régionale de 2009
Le Kurdistan irakien dispose de sa propre
constitution
(2009). L'article 1er
proclame que «la région du Kurdistan
irakien est une région au sein de l'État fédéral de l'Irak»:
Article 1er
La région
du Kurdistan irakien est une région au sein de
l'État fédéral de l'Irak. Elle est une république
démocratique avec un système politique parlementaire
basé sur le pluralisme politique, le principe de la
séparation des pouvoirs, ainsi que le transfert
pacifique du pouvoir au moyen des élections
directes, générales et périodiques, qui utilisent un
scrutin secret.
|
L'article 7 de la
Constitution régionale
énonce que «le peuple du Kurdistan irakien a le droit de
déterminer son propre destin, et a choisi de son propre gré
d'être une région fédérale au sein de l'Irak»:
Article 7
Le peuple
du Kurdistan irakien a le droit de déterminer son
propre destin, et a choisi de son propre gré d'être
une région fédérale au sein de l'Irak, aussi
longtemps que l'Irak respectera le système fédéral,
démocratique, parlementaire et pluraliste, et
restera attaché aux droits des individus et des
groupes, tel qu'il est énoncé dans la Constitution
fédérale.
|
L'article 14 de la
Constitution
contient les dispositions linguistiques. Il reconnaît que le kurde et l'arabe
sont les deux
langues officielles de la Région autonome du Kurdistan
et que tous les citoyens ont le droit de faire instruire leurs enfants
dans leur langue maternelle, y compris les
Turkmènes, les Assyriens et les Arméniens, dans les
établissements scolaires du gouvernement et
conformément aux orientations pédagogiques.
Article 14
1)
Le kurde et l'arabe doivent être les deux
langues officielles de la Région du Kurdistan. La
présente Constitution garantit le droit des citoyens
de la région du Kurdistan d'instruire leurs enfants
dans leur langue maternelle, y compris les
Turkmènes, les Assyriens et les Arméniens, dans les
établissements scolaires du gouvernement et
conformément aux orientations pédagogiques.
2)
À côté du kurde et de l'arabe, le turkmène et
l'assyrien sont des langues officielles dans les
districts administratifs qui sont densément peuplées
par les locuteurs du turkmène et de l'assyrien. La
loi devras réglementer ces dispositions.
3) En ce qui concerne la langue officielle,
l'article 4 de la Constitution fédérale doit être
adopté partout où il existe une possibilité légale
d'appliquer ses dispositions dans la région du
Kurdistan.
|
De plus, le turkmène et
l'assyrien sont des langues officielles dans les
districts administratifs qui sont densément peuplées
par les locuteurs de ces langues. L'article 5 de la
Constitution
régionale énonce que la Région
autonome du Kurdistan est composée de Kurdes,
d'Arabes, de Chaldo-Assyro-Syriaques, d'Arméniens et
d'autres citoyens:
Article 5
Les
habitants de la région du Kurdistan sont composées
de Kurdes, d'Arabes, de Chaldo-Assyro-Syriaques,
d'Arméniens et d'autres citoyens du Kurdistan.
|
L'article 29 de la
Constitution régionale
reconnaît que les membres membres appartenant à l'un des
groupes ethniques ou religieux ont le droit à la
reconnaissance juridique de leurs noms et le droit
d'utiliser les noms traditionnels et locaux des endroits
dans leur langue:
Article 29
Les
membres appartenant à l'un des groupes ethniques
ou religieux ont le droit à la reconnaissance
juridique de leurs noms et le droit d'utiliser les
noms traditionnels et locaux des endroits dans leur
langue, tout en respectant les dispositions de la
législation linguistique de la région du Kurdistan. |
Enfin, l'article 22
énonce que «toute personne arrêtée doit être informée
immédiatement et dans sa langue maternelle, de
l'accusation portée contre elle»:
Article
22
Le
droit à un procès équitable
2) La détention des personnes est interdite. Nul
ne peut être arrêté ou emprisonné, sauf en
conformité avec la loi, et sur la base d'une ordonnance
rendue à cet effet par une autorité judiciaire
compétente. Toute personne arrêtée doit être
informée immédiatement et dans sa langue maternelle, de
l'accusation portée contre elle. L'individu
appréhendé a le droit de recourir à un avocat. Au
cours de l'enquête et au procès, le tribunal nomme
un avocat, qui siège au frais du gouvernement,
pour défendre la personne accusée d'avoir commis un
crime ou un délit et qui ne possède pas un avocat
pour la défendre.
|
6.4 Les pratiques
réelles
Dans le domaine de la législature, les
débats ont lieu en kurde et en arabe, et les lois sont
promulguées et rédigées dans les deux langues officielles.
Cependant, il subsiste certaines difficultés pour désigner
des représentants des minorités assyriennes ou syriaques. En
matière de justice, il n'est pas facile d'obtenir des
interprètes pour couvrir des procès dans les langues
minoritaires admises. En général, les procès se déroulent en
kurde ou en arabe, ou dans les deux langues. Les communautés
minoritaires et d'autres populations vulnérables font état
d'un manque persistant de mécanismes efficaces pour les
protéger de la violence des milices armées. Les
représentants des minorités disent subir certaines
discriminations dans l'exercice de leurs droits
linguistiques et politiques.
- Les langues
administratives
Malgré la réconciliation
depuis le mois de mai 2006 du PDK (Parti
démocratique kurde de Massoud Barzani)
et de l’UPK (Union
patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani),
les partis politiques kurdes ne sont pas pour autant unis
pour former une administration unique. Dans le Nord, les
gouvernorats de Dohouk et d'Erbil sont administrés par le
PDK, alors que le gouvernorat de Souleimaniyeh est géré par
l'UPK. La principale langue administrative dans le Nord est
le
kurde kurmanji (septentrional), alors que c'est le kurde
sorani (central) dans le Sud.
En ce qui concerne les
autres langues, les Arabes et les Turkmènes accusent les
Kurdes de vouloir les «kurdifier», c'est-à-dire de les
assimiler à la majorité kurde.
Sur le terrain, les autorités kurdes contrôlent
de
facto,
grâce à une
armée
non
régulière
(les
peshmergas),
de
nombreux
territoires
disputés
de
peuplement
mixtes
où
cohabitent
plusieurs
minorités
arabes,
kurdes, turkmènes, chrétiennes, yézidies, chabak,
etc.
Par
exemple,
une
trentaine
d’unités
administratives
des gouvernorats de Ninive,
de Kirkouk et de Diyala sont
effectivement contrôlées
par
les
milices
kurdes.
Des
accrochages
avec
l’armée
irakienne se produisent fréquemment, les
forces
kurdes
s’opposent
au
déploiement
de
l'armée
fédérale
dans
les
territoires
qu’elles
contrôlent tant à
l’intérieur
qu'à
l’extérieur
du
Kurdistan. Divers
groupes
mafieux
et
criminels
en profitent
pour
s’emparer
des
richesse
dans
ces territoires.
- Les langues
d'enseignement
Le système éducatif de la Région autonome
est régi avec une responsabilité partagée entre le ministère
de l'Éducation et la Commission de l'enseignement supérieur
(Committee for Higher Education). Le ministère de
l'Éducation prend toutes les décisions stratégiques à long
ou à court terme concernant les niveaux de l'enseignement
primaire et secondaire. L'enseignement supérieur est de la
responsabilité de la Commission de l'enseignement supérieur.
Dans le Kurdistan, l'école publique est gratuite.
Les niveaux d'enseignement dans le
Kurdistan irakien comprennent deux ans d'éducation
préscolaire pour le groupe d'âge 4-5 ans (non obligatoire),
six ans pour le primaire obligatoire (6-11 ans) et six ans
pour le secondaire des deux cycles de trois ans chacun. Il
existe aussi des écoles secondaires de formation
professionnelle (industrie, commerce, agriculture, arts,
etc.) d'une durée de trois ans.
En matière d'enseignement, la politique
linguistique du gouvernement régional du Kurdistan est de
promouvoir les deux principales langues kurdes dans
l'enseignement primaire: le kurmanji et le sorani. Dans le
Nord, c'est le kurmanji, mais le sorani dans le Sud. Le
ministère de l'Éducation tente bien de fusionner
l'enseignement des deux variétés linguistiques, mais la
tâche n'est pas facile. En général, les élèves reçoivent 8
h/semaine d'enseignement en kurde, 5 h/sem. en arabe et 3
h/sem. en anglais.
Au secondaire, les langues secondes
obligatoires sont l'arabe et l'anglais. En général, les
élèves préfèrent les cours d'anglais parce que l'arabe est
perçu comme la langue de l'oppression et des atrocités de
l'ancien régime de Saddam Hussein. Par contre, l'anglais est
considéré comme la langue universelle de la modernité. Dans
tous les cas, le kurde, l'arabe et l'anglais sont enseignés
à part égale au secondaire, ce qui se traduit pas un
enseignement de quatre ou cinq heures/semaine par langue.
Le gouvernement régional du Kurdistan
favorise officiellement la diversité
et les droits linguistiques des minorités qui, selon le cas,
reçoivent un enseignement en assyrien néo-araméen, en
arménien, en syriaque, en turkmène ou en arabe.
Dans les faits, seul l'arabe est assuré dans les écoles
minoritaires, bien que le turkmène et l'assyrien, voire
l'arménien, soient offerts aux minorités, mais des
difficultés techniques et culturelles, sans oublier la
pénurie en ressources humaines (manque d'enseignants
qualifiés), empêchent souvent l'enseignement de ces langues.
Kurdes, Arabes et Turkmènes se font parfois la petite
guerre, tandis que les Kurdes se font accuser de «kurdifier»
la région.
En raison de la diversité des langues, de nombreux Kurdes utilisent l'arabe comme langue
véhiculaire afin de communiquer avec les membres de leur propre groupe
ethnique dans d'autres parties du pays. Les communautés chrétiennes
et les yézidis ont le droit de fonder des écoles dans leur
religion.
Dans les écoles privées, le kurde et
l'anglais sont les langues d'enseignement, mais il existe
plusieurs écoles où le français et l'allemand sont offerts
comme langue seconde. Ces établissements
d'enseignement sont très critiqués par la majorité de la
population kurde parce que les frais d'admission sont trop
élevés.
Par ailleurs, l'éducation au Kurdistan a
encore besoin d'un soutien financier accru, car de nombreux
bâtiments n'ont pas été reconstruits dans certaines villes,
ce qui se traduit par des écoles et des classes surchargées.
Quant à l'enseignement supérieur, il varie de deux à six
ans. Le Kurdistan compte plusieurs instituts supérieurs et trois
universités: l'Université de Saladin, l'Université de
Souleimaniyeh et l'Université de Dohouk. Au total, on
compte une vingtaine d'établissements supérieurs. Dans tous les cas, le kurde,
l'anglais et l'arabe sont les langues d'enseignement. Pour être admis dans
un établissement d'enseignement supérieur, la maîtrise de ces trois langues
est indispensable. Il existe divers cours de langue offerts par l'Institut
culturel kurde dans la région du Kurdistan, ainsi que des cours offerts par
les écoles de langues.
- Les langues et
les médias
Sous le régime de Saddam Hussein, les médias
étaient sévèrement limités et strictement contrôlés par
l'État irakien. Il existait un réseau de nouvelles appelé
«Agence irakienne de nouvelles», qui fonctionnait comme
porte-parole du régime. Tout autre support était
formellement interdit, alors que les antennes paraboliques
étaient illégales, bien que certains individus ou organismes
aient pu parfois contourner l'interdit, notamment au
Kurdistan. À cette époque, il n'y avait aucun journal en
kurde, ni station de télévision, sauf des stations de radio
clandestines.
Après 1991, l'interdiction des antennes
paraboliques fut levée et alors apparurent les journaux, les
stations de radio et de télévision en langue kurde. Il
existe beaucoup de journaux en langue kurde, de même que des
stations de radio et de télévision diffusant en kurde.
Rappelons que le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) et l'UPK
(Union patriotique du Kurdistan) dominent la scène politique
depuis fort longtemps. Or, ces deux partis politiques, ainsi
que d'autres moins importants, contrôlent la plupart des
médias dans le Kurdistan irakien.
Les journaux les plus importants sont le Khabat, le
Kurdistan Nuwe et le Rozhnama, sans oublier
les hebdomadaires Hawlati et l'Awene. L'UPK
publie deux quotidiens: le Kurdistani Nuwe en kurde
et l'al-Ittihad en arabe. Le PDK publie le Khabat
em kurde et l'al-Ta'akhi en arabe. Le Rozhnama
est associé à l'UPK. Les hebdomadaires sont plus
généralement indépendants.
|
Beaucoup de stations de radio diffusant en
kurde dans la Région autonome sont exploitées
par les partis politiques: Al Sharqiya,
Zagros Radio, Duhok Radio, Kirkuk Radio,
etc. Une exception notable: Radio Nawa,
une station indépendante de nouvelles, qui a été
lancée dans la région en 2005. La plupart
d'entre elles diffusent des émissions de
divertissement, mais certaines se spécialisent
dans les questions locales et de nouvelles mises
à jour aux heures ou aux demi-heures. Les
langues les plus utilisées sont, outre le kurde,
l'arabe, l'anglais, le turc, le turkmène et le
syriaque. L'UPK possède le réseau de télévision
Kurdstat, alors que le PDK contrôle le Kurdistan
Satellite TV. Il existe aussi des dizaines
de stations de télévision terrestres, la plupart
étant dirigées par des partis politiques. |
Un rapport de l'ONU daté de 2007 a noté que
les autorités du Gouvernement régional du Kurdistan
continuent de soumettre les journalistes à du harcèlement,
des arrestation et des poursuites judiciaires pour leurs
reportages sur la corruption du gouvernement, la pauvreté
des services publics ou d'autres questions d'intérêt public.
L'Internet a donné une nouvelle dimension aux médias kurdes.
En couvrant les dernières nouvelles, les sites ont rempli un
vide laissé par les radiodiffuseurs. En outre, l'Internet a
donné une plate-forme pour la diaspora kurde qui n'a pas
toujours accès aux médias d'impression.
La politique linguistique du Kurdistan irakien
n'est pas parfaite en ce qui a trait aux minorités, mais elle
est de beaucoup préférable à celle de Saddam Hussein. Seule la
minorité arabophone est assurée de voir respecter ses droits
linguistiques. Pour les autres minorités linguistiques, ces
droits sont plus aléatoires, sauf en matière de religion.
Pourtant, le Kurdistan irakien actuel semble être devenu une terre d'accueil
pour des Irakiens fuyant la violence, car la Région autonome apparaît moins concernée
par la guerre civile. Le Kurdistan irakien est pratiquement devenu un État indépendant
et, abstraction faite de l'éphémère
république de Mahabad de
1945-1946, il s'agit là du premier territoire auto-administré
par des Kurdes.
Lorsque nous posons un regard objectif sur le Kurdistan irakien,
force est de constater que le territoire est devenu la
région la plus moderne et la plus prospère que toute autre région
non seulement de l'Irak, mais de tout le
Proche-Orient, à
l'exception des États du Golfe. À part les nombreux réfugiés qui ont
envahi le Kurdistan afin de fuir les zones contrôlées par le groupe armé
"État
islamique", il n’y a plus beaucoup de signe visible de pauvreté ou de
graves inégalités socio-économiques si répandues dans toute l'ancienne
Mésopotamie. Contrairement à ce qui se passe dans les États autocratiques
du Golfe, la richesse due au pétrole semble distribuée plus
équitablement.
«Le
Kurdistan fonctionne bien»,
déclarait le président
Barack Obama au magazine
Time, en septembre
2014, pour
justifier les frappes
américaines visant à freiner
l'avancée du groupe État
islamique sur le territoire
kurde du nord de l'Irak. Le
président des États-Unis
déclarait également : «Il
y existe une tolérance
religieuse que nous
aimerions voir ailleurs.
Alors, je pense qu'il est
important de s'assurer que
cet espace soit protégé.» Les Kurdes irakiens constituent
le peuple de cette région le plus favorable à l’Occident, ainsi que
son allié le plus fidèle. Les Kurdes ont aussi compris qu’ils vivent dans
une région difficile et qu'ils ne peuvent survivre sans de puissants
alliés. Néanmoins, le Kurdistan irakien ne correspond pas vraiment
au modèle idéalisé d'une démocratie, d'une
bonne gestion et du respect
des droits de l'homme qu'on
lui prête. Évidemment, en
comparaison avec ce qui se
passe à Bagdad, la situation
dans la Région autonome du
Kurdistan est nettement
préférable, mais cela
n’empêche ni les dérives
autoritaires, ni le
népotisme, ni le
clientélisme, ni la
corruption.
Cependant, si les États-Unis veulent sauver le
Kurdistan irakien, il n'est pas
aussi certain que celui-ci
soit prêt à sauver
l'Irak de la désintégration.
Depuis leur
quasi-indépendance de 1991
et la
Constitution de l'État
fédéral en 2005, les Kurdes
se sont prêtés au jeu. Ils
ont participé non seulement
à la création
de l'État fédéral, mais
aussi à son fonctionnement.
Aujourd'hui, rien ne va
plus, les Kurdes étant à
bout de patience, car rien
ne bouge au Parlement
fédéral.
De façon générale, la
nouvelle génération kurde ne parle pas ou peu l'arabe, car elle a toujours parlé, étudié et écrit en kurde,
parfois en anglais.
Pour cette génération de Kurdes, ce qu'elle appelle «l'Irak des
Arabes» est la cause de tous les malheurs. Or, cette génération souhaite l’indépendance
et fait peu ou pas du tout confiance au système fédéral
prôné par les dirigeants plus âgés. D'ailleurs, le
Gouvernement régional du
Kurdistan (GRK) parle de
plus en plus d'indépendance.
Toutefois, les États-Unis craignent qu'une
éventuelle indépendance du Kurdistan irakien ne déstabilise toute la
région en ravivant le rêve sécessionniste des minorités kurdes de la
Turquie et de l'Iran. La Turquie semble prête à intervenir
militairement en cas d'indépendance. Quant aux relations entre le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK)
et le gouvernement de Bagdad, elles semblent minées par d’importants
désaccords à propos des territoires disputés et des modifications à
la Constitution de 2005. En cas de déclaration d'indépendance,
Bagdad contesterait cette déclaration, car elle signifierait la
perte d’une partie importante de son territoire et de ses richesses,
notamment la fin de ses débouchés dans le Nord. Un conflit armé
pourrait éclater entre les Kurdes et l’Irak, déclenché
par Bagdad pour reconquérir la zone perdue, sans oublier le rôle que
pourrait jouer la Turquie. Nous savons aussi que l’armée kurde n’est
pas en mesure de protéger ses frontières, ni face à la Turquie, ni
face à l’Iran. Pour le moment, il s'agit d'un conflit dont le scénario
est peu probable, mais il n’est pas exclus dans le futur. Quoi qu'il
en soit, l'absence de consensus politique entre les Kurdes,
l'incapacité de protéger leurs frontières et leur dépendance
économique envers Bagdad, Ankara et Téhéran ont pour effet de situer
l’indépendance du Kurdistan dans la zone de l’improbabilité, ce qui
n’exclut nullement son instrumentalisation comme arme de chantage
entre les acteurs kurdes et irakiens engagés dans un rapport de
force politique.