Histoire du français
Chapitre 9
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(9)
Le français
contemporain
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À la fin du XIXe
siècle, le français est à peu près tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le
vocabulaire a continué de s'enrichir avec le parlementarisme de la IIIe République (1870-1940) et la création
des partis politiques, la naissance des syndicats, de la grande finance
et du grand capitalisme, la renaissance des sports, l'amélioration
des moyens de transport: apparition de l'avion, de l'automobile, de l'autobus
et du tramway électrique. Les emprunts à l'anglais d'outre-Manche
pénètrent massivement dans la langue française. L'unité linguistique
prônée lors de la Révolution française est en grande partie, car les patois
sont davantage devenus l'affaire des gens plus âgés. Il fallut
néanmoins quelques décennies d'efforts dans les écoles
pour tenter de faire disparaître les «idiomes» parlés par les Français ruraux.
Puis, la Première Guerre mondiale jeta
les hommes de France pêle-mêle dans toutes les directions,
colonies comprises. On n'avait jamais vu un tel brassage de populations, qui
favorisa nécessairement l'uniformisation linguistique.
Le XXe siècle a vu
l'enseignement du français se poursuivre dans les anciennes colonies françaises,
que ce soit l'Afrique ou les DOM-TOM, mais où le français est une langue
seconde. Dans toutes ces régions hors de France, le français doit sa présence à l'histoire,
c'est-à-dire à la colonisation. L'internationalisation du français entraîne
forcément une réduction de la mainmise sur la langue française de la part de la
France. Désormais, le français n'appartient plus seulement à la France, surtout
depuis l'affirmation identitaire qui a gagné la Belgique francophone, la Suisse
romande, le Québec, le Nouveau-Brunswick (Acadie) et même la Louisiane.
Un peu après le milieu du XIXe siècle (en 1863),
on comptabilisait encore 7,5 millions de Français ignorant la «langue
nationale» (sur près de 38 millions d'habitants, soit 20 %). Selon les témoignages de l'époque,
les enfants des villages de province ne retenaient guère le français appris à
l'école; cette langue ne semblait pas laisser plus de trace que le latin n'en laissait à la
plupart des élèves sortis des collèges. Les élèves reparlaient «le
patois au logis paternel».
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En 1831,
dans l'une des lettres des préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère
à M. de Montalivet, ministre de l'Instruction publique, on pouvait
lire ce texte sans équivoque dont le discours semble assez radicalisé:
[Il faut] par tous les moyens possibles, favoriser
l'appauvrissement, la corruption du breton, jusqu'au point où, d'une commune
à l'autre, on ne puisse pas s'entendre [...], car alors la nécessité de
communication obligera le paysan d'apprendre le français. Il faut absolument
détruire le langage breton. |
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La France s'est mise à pratiquer ce qu'on appellerait
aujourd'hui un «génocide culturel» plus systématique dans les régions françaises,
particulièrement en Bretagne, singulièrement stigmatisée. Cette directive de monsieur
Auguste Romieu,
sous-préfet de Quimper en 1831, serait considérée au XXIe siècle
comme de la pure discrimination:
Multiplions les écoles, créons pour l'amélioration
morale de la race humaine quelques unes de ces primes que nous réservons aux
chevaux; faisons que le clergé nous seconde en n'accordant la première
communion qu'aux seuls enfants qui parleront le français [...].
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Dans toutes les écoles, la primauté de l'enseignement est
accordée à la langue nationale. Les règlements locaux témoignent de cette
nécessité. Ainsi, tel était le Règlement pour les écoles primaires
élémentaires de l'arrondissement de Lorient, adopté par le Comité supérieur
de l'arrondissement, en 1836 et approuvé par le recteur en 1842:
§ 2. Discipline
Article 19
Chaque classe commence et se
termine par une prière en français, qui est arrêtée par le comité local sur
proposition du curé.
Article 21
Il est défendu aux élèves de
parler breton, même pendant la récréation et de proférer aucune parole
grossière. Aucun livre breton ne devra être admis ni toléré. S'exprimer en
breton et parler "grossièrement" font l'objet de la même prohibition.
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En 1834, le Comité d'instruction primaire de l'arrondissement
de Brest adoptait un règlement sur les écoles primaires. Selon l'article 19, le
breton pourra seulement être un moyen auxiliaire d'enseignement:
Article 19
Il est interdit aux instituteurs
d'enseigner l'idiome breton; ils pourront seulement se servir de cette
langue pour communiquer avec les enfants qui n'entendraient pas le français.
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1.1 La mission
«civilisatrice» de la France
En 1845, ceux qu'on appellerait aujourd'hui les «linguicides» ne se taisaient plus! En témoignent ces propos d'un sous-préfet du Finistère aux
instituteurs: «Surtout rappelez-vous, Messieurs, que vous n'êtes établis que
pour tuer la langue bretonne.» Rien de moins, «tuer» la langue bretonne! À cette époque, on semblait
vraiment en vouloir
particulièrement au breton. Ainsi, un secrétaire particulier dans l'entourage du
politicien François Guizot (qui fut ministre de l'Instruction publique), écrivit
ce qui suit en 1841 à propos de la Bretagne :
Nous avons presque à civiliser
cette province si belle mais encore si sauvage. [...] Qu'une ligne de
chemin de fer soit construite à travers ce pays, une circulation rapide
s'établira, des populations bretonnes descendront vers la France centrale,
et des populations de provinces plus avancées en civilisation viendront à
leur tour visiter la Bretagne. Un chemin de fer apprendra en dix ans plus
de français aux Bretons que les plus habiles instituteurs primaires [...].
C'est vraiment pitié de ne point travailler plus activement que nous le
faisons à civiliser, à franciser tout à fait cette belle province à
l'entêtement si fier, aux sentiments si généreux. |
Ce discours sur la mission civilisatrice de la France sera
repris dans toutes les nouvelles colonies, que ce soit en Indochine, en
Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Madagascar, etc.
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Considérons enfin cet autre exemple dont l'auteur
était
un préfet des Côtes-du-Nord lors d'un discours à l'évêque de
Saint-Brieuc, le 21 novembre 1846: «C'est en breton que l'on enseigne généralement le catéchisme
et les prières. C'est un mal. Nos écoles dans la Basse-Bretagne ont
particulièrement pour objet de substituer la langue française au breton
[...].» En 1863, l'enquête du ministre de l'Instruction publique, Victor Duruy
(1811-1894), établissait que le quart des Français ne parlaient pas du tout
français et que l'école recourait à la langue régionale dans 12 départements,
dont l'Alsace, la Lorraine, la Bretagne, le Pays basque et la Corse. |
L'un de ceux qui ont le mieux propagé l’idéologie
colonialiste française fut sans nul doute Hubert
Lyautey (1854-1934),
premier résident général du protectorat français au Maroc en 1912,
ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, puis
maréchal de France en 1921. Voici comment en 1929 Lyautey résumait dans l'Atlas
colonial français la
mission civilisatrice et humaniste de la France dans les colonies:
La colonisation, telle que nous l’avons toujours comprise n’est que la
plus haute expression de la civilisation. À des peuples arriérés ou
demeurés à l’écart des évolutions modernes, ignorant parfois les formes
du bien-être le plus élémentaire, nous apportons le progrès, l’hygiène,
la culture morale et intellectuelle, nous les aidons à s’élever sur
l’échelle de l’humanité. Cette mission civilisatrice, nous l’avons
toujours remplie à l’avant-garde de toutes les nations et elle est un de
nos plus beaux titres de gloire |
Bref, offrir
au monde le français, avec la culture qu’il véhicule, était perçu comme
un
devoir patriotique et une
obligation morale: le français
était imposé comme langue officielle de l'administration coloniale; les langues
indigènes étaient ignorées en tant que langues inférieures.
1.2 La loi Ferry
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Avec l'adoption de la
loi Ferry, qui institua
la gratuité de l'école primaire (1881) et rendit obligatoire (1882)
l'enseignement primaire ainsi que la laïcisation des programmes scolaires
(voir le texte de la loi Ferry), le français s'imposa finalement sur tout le territoire
de la France et se démocratisa. L'objectif de Jules Ferry était surtout
d'éliminer le clergé des écoles publiques. Dans les campagnes, certains
membres du clergé encourageaient même l'emploi des patois comme forme de
résistance à la République. On forma des instituteurs laïcs qui furent
appelés plus tard «les hussards noirs de la République», en raison de
leur «uniforme», une longue redingote noire et une casquette plate. Ces
instituteurs formés à l'École normale et vêtus de noir furent considérés
comme de véritables «missionnaires laïcs» répandant dans les campagnes
leur idéal de laïcité, de tolérance et du savoir éclairé. |
Ces instituteurs constituaient une véritable «infanterie enseignante»
destinée à démanteler l'école catholique, c'est-à-dire «lutter contre
l'obscurantisme» et «promouvoir les avaleurs républicaines». Les patois
ne purent que difficilement résister aux méthodes de répression et aux
techniques de refoulement, de délation ou d'espionnage, qui marquèrent
des générations d'enfants. Parallèlement, Jules Ferry fut un
ardent partisan de l'expansion coloniale française, notamment en Tunisie
et à Madagascar. Ses adversaires politiques le surnommèrent le
«Tonkinois». Ferry propose des mesures d'assimilation afin de franciser
les «indigènes» des colonies. Le 28 juillet 1885, Jules Ferry prononça
un discours sur «les fondements de la pensée coloniale» de la Troisième
République, ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui les justifications de
l'impérialisme français :
Messieurs, je
suis confus de faire un appel aussi prolongé à l'attention
bienveillante de la Chambre, mais je ne crois pas remplir à
cette tribune une tâche inutile. Elle est laborieuse pour
moi comme pour vous, mais il y a, je crois, quelque intérêt
à résumer et à condenser, sous forme d'arguments, les
principes, les mobiles, les intérêts divers qui justifient
la politique d'expansion coloniale, bien entendu, sage,
modérée et ne perdant jamais de vue les grands intérêts
continentaux qui sont les premiers intérêts de ce pays.
[...]
Messieurs, il y
a un second point, un second ordre d'idées que je dois
également aborder [...] : c'est le côté humanitaire et
civilisateur de la question. [...] Messieurs, il faut
parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement
qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des
races inférieures. [...] Je répète qu'il y a pour les
races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour
elles. Elles ont le devoir de civiliser les races
inférieures. [...] Ces devoirs ont souvent été
méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et
certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols
introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils
n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race
supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations
européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté
de ce devoir supérieur de la civilisation. |
Tout
au cours du XXe siècle et jusque dans les années 1960, les
gouvernements ont adopté pas moins de 40 lois concernant surtout
l'enseignement, la presse, l'administration et l'orthographe. Au début du
siècle, comme la francisation n'allait pas assez vite au gré du ministère
de l'Éducation nationale, les autorités suggérèrent fortement de faire
nommer des instituteurs qui ignoraient tout des parlers locaux.
Cette déclaration de la part de J. Dosimont,
inspecteur d'académie en 1897, paraît aujourd'hui très catégorique: «Un principe
qui ne saurait jamais fléchir : pas un mot de breton en classe ni dans la cour
de récréation.» Et enfin une proclamation provenant d'Anatole de Monzie,
ministre de l'Instruction publique (1925): «Pour l'unité linguistique de la
France, il faut que la langue bretonne disparaisse.» On en voulait vraiment au
breton!
1.3 Le maintien des
patois
Néanmoins, en 1926, le
grammairien Ferdinand Brunot (1860-1938), écrivait dans son Histoire de la langue française
que les patois étaient encore bien vivants dans les campagnes:
Au XVIIIe siècle, comme
de nos jours, le patois était chez lui partout où
l'on causait au village [...]. À l'heure actuelle, le français est la
langue des villes, le patois la langue des campagnes.
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On se souviendra sans doute des panneaux affichés un peu
partout en Bretagne, que ce soit dans les autobus, les écoles ou autres lieux
publics: «Interdiction de parler breton et de cracher par terre.» Beaucoup
d'enfants furent punis parce qu'ils parlaient breton à l'école: ils
devaient rejeter la langue de leurs parents. L'histoire est là pour nous
rappeler également l'usage institutionnalisé du «symbole» accroché au cou
des élèves, de la délation, des brimades et des vexations de la part des
instituteurs dont la mission était de supprimer l'usage des parlers locaux.
Un jeune Breton (anonyme) ayant fréquenté l'école dans les années 1960 en donne ce témoignage:
À cette époque, le symbole était un morceau de fer
pour mettre sous les sabots des chevaux. On le donnait au premier qui arrivait
et qui parlait breton et ensuite, quand celui-ci trouvait un autre qui parlait
breton, il le lui donnait. Comme ça, toute la journée. À la fin de la journée,
le dernier attrapé par le symbole était mis en pénitence et il devait écrire
en français: «Je ne parlerai plus jamais en breton», cinquante ou cent
fois. Celui qui était pris souvent restait à l'école après 16 h 30,
pendant une heure ou une demi-heure dans le coin de la salle. |
Ces procédés ont été heureusement abandonnés et l'on ne
retrouve plus d'affiches contemporaines du genre: «Il est interdit de cracher
par terre et de parler patois.» Mais les patois ne sont pas disparus pour
autant.
Il s'agissait,
en fait, de techniques d'assimilation que la France a largement utilisées,
au cours du
XIXe
siècle, dans son empire
colonial: au Maghreb, en Afrique noire, dans l'océan Indien (île de La
Réunion) et dans
le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, etc.).
Il est vrai, sous la IIIe
République (1870-1940), l'école réussit à propager
l'enseignement du français de façon plus efficace, même si le purisme s'est
poursuivie durant de longues décennies. D'abord, l'enseignement du latin fut
définitivement abandonné, ce qui a permis au français de prendre la place
accordée au latin. L'accession de toutes les classes de la société française, y
compris les femmes, à l'alphabétisation et à la scolarisation accéléra la chute
des patois au profit de la langue commune. Il en fut ainsi dans la diffusion des
journaux.
1.4 Les nouveaux
grammairiens
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Les deux plus célèbres grammairiens du XXe siècle sont des
Belges.
Maurice Grevisse (1895-1980) fut
professeur à l'École
royale des cadets à Namur.
Il se rendit compte que les grammaires existantes
ne répondaient pas au besoin de son enseignement. Il reprit alors ses
annotations dans un nouveau concept qu'il intitula Le
Bon Usage
(704 pages) publié en 1936 en 3000 exemplaires. L'ouvrage connut de
multiples éditions dont le succès ne s'est jamais démenti. Il fut
comme la meilleure grammaire de langue française.
À la mort de Maurice Grevisse
en 1980, André Gausse reprit Le Bon Usage et continua
d’actualiser cette grammaire qui est devenue la grammaire de
référence. Son mérite vient du fait que, au lieu d'imposer des
normes, elle suit l'évolution de la langue et propose des réponses
nuancées aux questions que l'on peut se poser sur le français. |
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Les patois français ont changé de nom et, depuis
l'Union européenne, ils sont devenus des «langues régionales» en France, mais non
pas encore des «langues minoritaires». Dans ce monde du «politiquement correct»,
si le terme «dialecte» est de moins en moins employé, le mot
«patois» est quasiment disparu du vocabulaire
des politiciens français; ils craignent de paraître mal en y associant une
valeur péjorative.
Même si la linguiste Henriette Walter affirme dans Le
français dans tous les sens, qu'«il n'y a aucune hiérarchie de valeur à
établir entre langue, dialecte et patois», tous sont devenus plus prudents avec
ces termes aujourd'hui controversés. Quoi qu'il en soit, pour la plupart des
locuteurs, le mot patois a une connotation de dévalorisation,
sinon c'est le mot «langue» qu'on utiliserait. |
Pour Henriette Walter,
le terme de «patois» correspond à une forme prise par le latin parlé dans
une région donnée:
Le terme de patois en est arrivé progressivement à
évoquer dans l'esprit des gens l'idée trop souvent répétée d'un langage
rudimentaire […]. Nous voilà loin de la définition des linguistes, pour qui
un patois (roman) est au départ l'une des formes prises par le latin parlé
dans une région donnée, sans y attacher le moindre jugement de valeur : un
patois, c'est une langue. |
Et la linguiste de préciser ainsi les
conditions dans lesquelles sont apparus les patois:
Le latin parlé en Gaule […] s'est diversifié au cours
des siècles en parlers différents. […] Lorsque cette diversification a été
telle que le parler d'un village ne s'est plus confondu avec celui du
village voisin, les linguistes parlent plus précisément de patois. Mais, à
leurs yeux, il n'y a aucune hiérarchie de valeur à établir entre langue,
dialecte et patois. |
Si pour une linguiste comme Mme Walter,
il n'existe aucune hiérarchie de valeur entre les mots «langue», «dialecte» et
«patois», il n'en est pas ainsi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. En effet,
pour la plupart des simples mortels, une hiérarchie s'est établie : la «langue»
est supérieure au «dialecte». Quant au «patois», il est encore associé à un
«langage rudimentaire». Néanmoins, c'est Henriette Walter qui a raison!
2.1 La persistance du discours anti-patois
Cela étant dit, le discours anti-patois est toujours resté très
profond chez les dirigeants politiques français contemporains. Par exemple, en 1972,
Georges Pompidou (1911-1974),
alors président de la République, déclarait au sujet des langues régionales: «Il n'y a pas de place pour
les langues et cultures régionales dans une France qui doit marquer l'Europe de
son sceau.» Il est vrai que, depuis plus de vingt-cinq ans, le discours sur cet
épineux sujet a beaucoup changé dans ce pays, mais pas les actes. C'est ainsi que
François Mitterand
(1916-1996), président de la République de 1981 à 1995, annonçait ses
couleurs au sujet des langues de France, deux mois avant son élection (1981, à Lorient):
Le temps est venu d'un statut des langues et cultures
de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de
leur ouvrir grandes les portes de l'école, de la radio et de la télévision
permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu'elles méritent
dans la vie publique.
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Toutefois, malgré ce discours à saveur électoraliste, la
situation n'a pas évolué considérablement, car, lors des débats
sur le traité de Maastricht, Robert Pandraud (né en 1928, député et ancien ministre) déclarait,
le 13 mai 1992, qu'il était inutile de faire apprendre aux enfants des
dialectes en lieu et place d'une langue internationale (lire
«l'anglais») :
Je rends hommage à l'école laïque et républicaine qui
a souvent imposé le français avec beaucoup d'autorité — il fallait le
faire — contre toutes les forces d'obscurantisme social, voire religieux,
qui se manifestaient à l'époque. Je suis également heureux que la télévision
ait été un facteur d'unification linguistique. Il est temps que nous soyons
français par la langue. S'il faut apprendre une autre langue à nos enfants,
ne leur faisons pas perdre leur temps avec des dialectes qu'ils ne parleront
jamais que dans leur village: enseignons-leur le plus tôt possible une langue
internationale! |
Là, nous ne sommes plus en 1850, ni en 1950, mais dans les années
1990; il faut dire que le député Pandraud a souvent eu des
propos . contestables. Il affirmait, par exemple, que «la
peur du gendarme a toujours été le commencement de la sagesse», prônant ainsi
les méthodes fortes.
À en croire les déclarations de la part des
personnalités officielles, les dirigeants français ne doivent se préoccuper que de
la langue française. En mai 1997, Daniel Gauchon, inspecteur de l'Éducation
nationale, déclarait qu'il fallait privilégier la culture et la langue française
et non pas les langues régionales :
Les langues régionales ont sans doute leur place à l'école
comme l'enseignement de n'importe quelle langue ou discipline, mais le
bilinguisme en langue régionale est incompatible avec les principes de
fonctionnement de l'école publique. Il privilégie la culture et la langue
d'une communauté, alors que le rôle de l'école publique est de privilégier
la culture et la langue françaises dans un objectif de cohésion sociale. |
Autrement dit, «privilégier» le français est synonyme d'exclusion
de toute autre langue! On se croirait dans un débat en Amérique latine pour savoir s'il faut
enseigner l'espagnol ou les langues amérindiennes et, dans l'éventualité où il
conviendrait d'enseigner aussi ces langues, faudrait-il aller jusqu'à les
enseigner aux hispanophones? Non, bien sûr! En France, tout enseignement des
langues régionales est considéré comme facultatif, jamais
obligatoire, et il n'est surtout pas question de les enseigner aux
«francophones».
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Par
exemple, les velléités de l'Assemblée de Corse à ce sujet ont vite été réduites
à néant lorsque le Conseil constitutionnel, dans sa
décision du 17
janvier 2002, a donné le feu vert à l'enseignement de la langue corse «dans
le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires» de l'île,
en insistant sur le caractère facultatif de cet enseignement. En réalité,
c'est un système courant dans de nombreux pays: les langues minoritaires ne
doivent pas être enseignées à la majorité.
En ce sens, le français,
une langue minoritaire au Canada, ne devrait pas être enseigné
aux anglophones dans les écoles de l'Ontario ou du
Nouveau-Brunswick! Pourquoi le français en Ontario et pas
l'occitan en France? Parce que, bine sûr, le français est une
langue. Comme le corse, l'occitan, le franco-provençal, le
breton, l'alsacien, etc. Lorsqu'une langue minoritaire n'est pas
enseignée dans un système scolaire, c'est par choix politique,
rien d'autre. Sinon ce sont des prétextes qui servent de
paravent. On peut comprendre l'affiche du parti
régionaliste alsacien Alsace d'abord (ADA). |
2.2 Les droits des langues régionales
Quand on étudie la législation linguistique de la France, on
constate que ce pays a adopté une quantité impressionnante de lois portant sur
les cultures et les langues régionales, sur les collectivités territoriales et
sur la langue française. On compte au moins une douzaine de lois, une vingtaine
de décrets, plus de 40 arrêtés (dont une vingtaine sur la terminologie) et
autant de circulaires administratives. La plupart de ces textes juridiques
traitent avant tout de la langue d'enseignement et de la terminologie
française. Cela signifie que la législation française porte moins sur les
droits linguistiques que sur la promotion de la langue française considérée
du point de vue du code lui-même. Il s'agit là d'une vieille tradition qui
consiste à ignorer les langues régionales dans l'enseignement et l'espace
public.
Pour ce qui est des droits des langues régionales, les textes
juridiques n'en parlent d'ailleurs que très peu. Toutefois, la tendance
actuelle est d'élargir le droit à la différence et de reconnaître la spécificité
de ces langues régionales, surtout depuis la signature, le 7 mai 1999, de la Charte
européenne des langues régionales et minoritaires. À ce sujet, le 14
août 2000, le ministre de l'Éducation nationale de
l'époque, Jack
Lang, assurait dans un entretien au journal Ouest-France qu'il allait «naturellement»
favoriser l'enseignement des langues régionales:
Je souhaite que ces langues soient
pleinement reconnues dans notre système d'enseignement, à tous les
échelons. C'est l'esprit du plan pour l'école que j'ai récemment
présenté. Entre 5 et 12 ans, un enfant a l'oreille musicale. Il faut lui
offrir toutes les possibilités d'apprentissage des langues : la langue
nationale qui est l'ossature même de notre enseignement, une langue vivante
étrangère et la langue particulière de la région. |
M.
Jack Lang se disait par ailleurs être
«un militant de toujours de la reconnaissance de la pluralité des cultures».
Selon cet ancien ministre de l'Éducation nationale, les grandes lignes du projet
d'enseignement pour les écoles primaires comporteraient la généralisation de
l'apprentissage d'une langue vivante. Deux voies pourraient être offertes dans
l'enseignement public: l'initiation aux langues régionales et le bilinguisme
français-langues régionales. Mais il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas demain
la veille!
Après la signature de la
Charte européenne des langues régionales
et minoritaires, un communiqué du premier ministre précisait que la France
souscrivait à 39 engagements parmi les 98 proposés par la Charte. Lors
de sa déclaration consignée du 7 mai 1999, le gouvernement français a justifié
sa signature en prenant d'infinies précautions, notamment au sujet des
notions de «protection de minorités» et de «droits collectifs»:
La République française envisage de
formuler dans son instrument de ratification de la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires la déclaration suivante:
1. Dans la mesure où elle
ne vise pas à la reconnaissance et la protection de minorités, mais à
promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi du terme de
«groupes» de locuteurs ne confère pas de droits
collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires,
le gouvernement de la République interprète la Charte dans un sens
compatible avec le Préambule de la Constitution, qui assure l'égalité
de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français,
composé de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de
religion. [...]
|
C'est seulement au moment de la ratification de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires que serait précisée la
liste des langues concernées — probablement l'alsacien, le breton, le basque,
le catalan, le corse, le flamand, le provençal et l'occitan — ainsi que les
engagements s'appliquant à chacune des langues. Il semble que les dispositions
applicables aux langues régionales seraient «à géométrie variable». Quoi qu'il en
soit, la France n'est pas encore prête à ratifier la Charte.
D'ailleurs, le
président français, Nicolas Sarkozy (élu en 2007), a déclaré être opposé
à sa ratification:
Je sais que, depuis quelques
années, en période électorale, les candidats ont pris une mauvaise
habitude: ils promettent tout et n'importe quoi aux locuteurs des langues
régionales. Ce sont, bien entendu, des promesses qui sont sans lendemain,
suscitant beaucoup d'amertume et de frustrations. Je ne suis pas de
ceux-là. C'est pourquoi je ne vous dirai pas, aujourd'hui, que je m'engage
à ratifier, dès demain, la Charte européenne. Les hommes ou les femmes
politiques qui vous font cette promesse sont des mystificateurs. |
Cependant, M. Sarkozy s'est dit «favorable
à ce que le droit des parents à inscrire leurs enfants dans une classe bilingue
français + langue régionale soit reconnu, dès lors que la demande est suffisante.»
Plus précisément, un enseignement bilingue à
la maternelle et au primaire serait «possible» pour les élèves dont les
familles le demandent et dont le nombre est jugé suffisant, mais il ne
pourrait être imposé. Concernant la ratification de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires, Sarkozy y avait déjà
affirmé son opposition dans un discours à Besançon en mars 2007:
Si je suis élu, je ne serai
pas favorable à la Charte européenne des langues régionales. Je ne veux
pas que demain un juge européen ayant une expérience historique du
problème des minorités différente de la nôtre, décide qu'une langue
régionale doit être considérée comme langue de la République au même titre
que le français.
Car au-delà de la lettre des textes il y a la dynamique des
interprétations et des jurisprudences qui peut aller très loin. J'ai la
conviction qu'en France, terre de liberté, aucune minorité n'est opprimée
et qu'il n'est donc pas nécessaire de donner à des juges européens le
droit de se prononcer sur un sujet qui est consubstantiel à notre identité
nationale et n'a absolument rien à voir avec la construction de l'Europe. |
Évidemment qu'aucune minorité n'est opprimée,
car juridiquement la notion de «minorité» n'existe pas en France! M. Sarkozy
disait préférer
«un texte de loi posant la reconnaissance juridique des
langues régionales de France», ce qui paraissait à son avis «beaucoup plus
raisonnable et surtout plus efficace».
M. Sarkozy préférait donc un
texte de loi qui ne sera jamais adopté (voir
le texte de la proposition de loi de 2010) et qui serait assujetti à une
«demande» suffisante. En février 2010, le gouvernement français faisait savoir
qu'une
nouvelle loi sur les langues
régionales n'était «plus forcément nécessaire».
C'est le sens de la réponse que le
ministre Éric Besson a adressée à l'Assemblée nationale :
La conviction du ministre
de la culture et de la communication est que le cadre législatif laisse
d'importantes marges de manœuvre qui ne sont pas toujours exploitées.
C'est pourquoi le gouvernement s'interroge sur la pertinence d'une
intervention législative supplémentaire. |
En
bon politicien français de tendance conservatrice, le président Sarkozy savait comment noyer la poisson dans l'eau
en assortissant tout éventuel droit à «une demande
suffisante»!
Or, cette
mesure est généralement perçue comme une arme dévastatrice pour les langues minoritaires. Dans les États où une telle
disposition
est appliquée, la «demande
suffisante»
se transforme en une façon de ne pas accorder de droit, ce qui oblige les individus à
recourir aux tribunaux. Et contre la machine de l'État, le citoyen est bien démuni!
Pourtant, dans la
Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires, presque toutes les
dispositions sont déjà appliquées ou
applicables sans modifier les lois en vigueur. Quand des observateurs regardent la France de
l'extérieur, ils ne comprennent pas pourquoi les politiciens français ont développé
une attitude aussi timorée à l'égard de leurs langues régionales, lesquelles
devraient constituer une richesse pour le patrimoine culturel et linguistique du
pays.
En réalité, la classe politique française a
toujours eu peur d'en faire «trop» pour ses langues régionales, l'idéologie des anciens
patois faisant
encore
partie
de leur culture politique. Pour le moment, les langues régionales demeurent sans reconnaissance
et sans statut officiels. La France, qui prône la diversité linguistique au
sein des organismes internationaux, se montre incapable de la reconnaître sur
son propre territoire. C'est le point de vue du linguiste
Claude Hagège dans
L'Express du 12 avril 2007:
Si nous voulons défendre la
francophonie dans le monde et être crédibles, cela suppose d'abord que la
France montre qu'elle respecte chez elle sa propre diversité linguistique.
Ratifier la Charte, en expliquant aux parlementaires qu'elle est très
souple et donc peu dangereuse, irait dans le bon sens. Certes, depuis
quelques années, l'État a accompli des efforts, mais largement
insuffisants. Les langues régionales sont dans un tel état de précarité
que, pour leur permettre d'échapper à l'extinction totale qui les menace,
il faudrait un investissement énorme et accepter de prendre des risques,
comme l'ont fait les Espagnols en donnant une grande autonomie aux Basques
et aux Catalans. |
Il semble bien que les dirigeants français ne soient pas prêts
à prendre de tels risques. La tradition centralisatrice de l'État est depuis
fort longtemps trop ancrée dans les mentalités. De nombreux dirigeants français
voient dans la Charte un complot tramé par Bruxelles pour affaiblir la France en
investissant le «terrain culturel local» et créer ainsi «un folklore
sympathique» menant à la «disparition du modèle de
l'État républicain français». Mais la vraie raison est bien politique, celle de
devoir accorder des droits à «toutes» les langues régionales de France, comme
l'expliquait en février 2010 M. Xavier North, délégué général à la Langue
française et aux langues de France:
Le territoire
métropolitain compte au moins une dizaine de langues régionales, voire
vingt, si l'on reconnaît la diversité des langues d'oc et des langues d'oil.
Accorder des droits opposables à une langue supposerait évidemment de
les étendre à toutes, ce qui porterait atteinte à l'indivisibilité de la
République et d'unicité du peuple français, selon les termes du Conseil
constitutionnel, qui s'est opposé pour cette raison en 1999 à la
ratification par la France de la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires. |
Bref, les dinosaures ne
sont pas encore disparus en France et ils ont la vie dure, et ils mènent la vie
dure aux langues régionales!
Lorsqu'on compare le français du XIXe
siècle et celui d'aujourd'hui, force est de constater qu'il existe un certain
nombre de changements, même s'ils paraissent mineurs par rapport au XVIIIe
siècle.
3.1 La phonétique
Au point de vue phonétique, nous pouvons constater dans le
nord de la France une réduction, voire la quasi-disparition, des distinctions
entre la voyelle [a] antérieure et brève dans patte et la voyelle
postérieure et longue dans pâte, sauf au Québec et hors de France (les
anciennes colonies) où cette différence se
maintient encore. De même, nous pouvons noter une différence mineure entre
la voyelle orale [un] dans brun et la nasale [in] dans brin au
profit de la dernière. Il est donc possible qu'un jour on assiste à des
réductions dans les autres voyelles nasales [an] dans banc et [on] dans bon.
On remarque aussi des influences notables de la graphie sur la
prononciation. Par exemple, des consonnes qui n'étaient pas prononcées il y a
plusieurs décennies ont tendance aujourd'hui à être prononcées: dompter [don-té],
moeurs [meur], août [ou] et cassis [kasi] ont tendance à
devenir [domp-té], [meurss], août [outt] et [kasiss].
3.2 La grammaire et la conjugaison
Nous n'indiquerons que certaines tendances, soit les plus
fréquentes. Si le passé simple s'est bien maintenu dans la narration écrite, il
est pratiquement disparu de la langue orale. Des formes telles nous fûmes,
nous connûmes, etc., sont perçues comme nettement exagérées. C'est encore plus
évident avec l'imparfait du subjonctif dans que nous arrivassions, que
vous vous reposassiez, etc., ou avec le plus-que-parfait dans que nous
nous fussions reposés ou que nous eussions fini. Si les francophones
acceptent d'entendre au théâtre dans Cyrano «il faudrait que je
l'amputasse» (en parlant du nez de Cyrano), ils poufferaient de rire en
l'entendant dans une conversation normale ou dans un discours électoral.
Tout francophone a dû
travailler ferme pour apprendre les fameuses règles du participe passé. On s'attend à
voir à l'écrit «les fautes qu'il a faites», mais à l'oral la tendance est
nettement au non-accord: «les fautes qu'il a fait». Beaucoup de
francophones hésitent entre l'auxiliaire avoir et être dans «je
suis tombé» et «j'ai tombé», «il a tombé» et «il est tombé», etc.
Le futur se fait généralement en ajoutant -era, -ira
ou -ra dans il mange/il mangera, il finit/il finira.
Cependant, la langue orale a tendance à préférer le futur proche dans il va
manger et il va finir ou j'vais y aller. Mais lorsque la
négation est utilisée, le retour au futur normal est quasi systématique: il ne
mangera pas, il ne finira pas et j'irai pas. On n'entend plus
rarement il ne va pas manger, il ne va pas finir ou je n'vais
pas y aller, une question d'économie de moyens. Quant à la négation
elle-même, le ne... a aussi tendance à disparaître à l'oral dans il
mange pas ou il finit pas.
3.3 La féminisation des noms de métiers et
professions
À la fin du XXe siècle, la
féminisation des noms de métiers et professions a soulevé une autre controverse.
Cette autre réforme a commencé à entrer dans les mœurs françaises avec la
décision du ministère de l'Éducation nationale d'appeler désormais au féminin
les noms de métiers et professions exercés par des femmes relevant de son autorité. Ainsi, toute femme employée dans
ce même ministère, le plus important par le budget et par
le nombre de personnes impliquées en France, sera appelée une inspectrice, une doyenne,
une maîtresse de conférence, une professeur agrégée,
une chef de service.
Le ministère français de l'Éducation
nationale était alors la première administration française
à appliquer concrètement une directive récente du
premier ministre prescrivant la féminisation des titres. C'est l'ancien
premier ministre français (Lionel Jospin) qui a semblé regretter (mars 1998)
que la féminisation lancée par l'un de ses prédécesseurs,
Laurent Fabius (en 1984), n'ait pu aboutir. Il avait demandé alors à une
commission de terminologie et de néologie de faire «le point sur
l'état de la question», notamment «à la lumière des
pratiques passées et des usages en vigueur dans d'autres pays francophones». On
pense surtout à la Belgique et au Québec, où cette question était déjà débattue
depuis quelques années.
Or, en France, la féminisation
des noms de métiers, de grades ou de fonctions s'est toujours heurtée
à de fortes oppositions, notamment de la part de l'Académie
française qui décide officiellement de ce qui est conforme à la langue.
Au début de l'année 1998, cette noble institution fondée
en 1635, avait lancé une adresse solennelle au président
de la République (alors Jacques Chirac) au sujet de l'appellation Madame
la Ministre, estimant que la fonction des ministres ne leur conférait
pas «la capacité de modifier [...] la grammaire française
et les usages de la langue». L'Académie française avait même
déploré l'emploi chez les Québécois des mots une
auteure, une professeure, une écrivaine et chez les Belges
une sapeuse-pompière. La savante Académie a alors affirmé: «Ce n'est pas à la France de donner l'exemple de semblables déviations,
et cela, chez les membres du pouvoir exécutif.» Évidemment, le français va
changer, même contre l'avis de la docte Académie!
Cette prise de position de l'Académie
française avait suscité un tollé de protestations non seulement au Québec
et en Belgique, mais aussi chez les associations féminines françaises,
qui l'avaient jugée rétrograde. En effet, plusieurs femmes
parmi les ministres avaient répliqué qu'elles tenaient à
la féminisation de leur fonction. Contrairement à l'orthographe,
espérons que la féminisation des noms de métiers,
de grades ou de fonctions aura plus de succès. Encore une fois, en matière de
langue, la France semble se montrer frileuse, tant la tradition pèse lourdement.
Cela étant dit, en catimini, une circulaire datée du 6 mars 1998
(«Circulaire du 6 mars 1998 relative à la féminisation des noms de métiers,
fonction, grade ou titre») émanant du premier ministre Lionel Jospin invitait
les administrations à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et
fonctions: «Pour accélérer l'évolution en cours, j'ai demandé à la commission
générale de terminologie et de néologie de mener une étude qui, à la lumière des
pratiques passées et des usages en vigueur dans d'autres pays francophones fera
le point sur l'état de la question.»
Finalement,
un guide de la féminisation a été publié
en 1999 et portait le titre de Femme, j'écris
ton nom... Dans les faits, la féminisation
de ces termes en France apparaît comme un décalque de l'approche québécoise,
mais jamais l'État français ne s'en est vanté. On peut lire dans le guide ce qui
suit (p. 21): «Les règles énoncées ci-dessous complètent les recommandations
formulées dans la circulaire parue au Journal officiel du 11 mars 1986.
Elles suivent de même, dans leur ligne générale, les propositions émanant de
Suisse, du Québec et de Belgique publiées entre 1991 et 1994.»
4 L'épineuse question de l'orthographe française
L'enseignement de la langue française
manifeste encore aujourd'hui des signes de conservatisme inévitables dans la mesure
où les réformes de l'orthographe ont toutes avorté,
et ce, depuis plus de deux siècles: l'archaïsme et la complexité
du système restent intacts. Les linguistes dénoncent en vain le caractère
arbitraire de l'orthographe, qui ne correspond plus à la réalité
linguistique contemporaine. Pour prendre un seul exemple, il est tout de même
ahurissant de constater que, dans le mot oiseau, aucun des lettres ne
soit effectivement prononcées puisqu'on dit [wazo].
4.1
La crise des langues
L'usager moyen respecte de moins en moins
les normes écrites et hésite à consacrer un temps
qu'il croit disproportionné à l'apprentissage de la langue
écrite. Plusieurs voient même, dans le maintien de l'orthographe
actuelle, un moyen de discrimination sociale. Abstraction faite des prises
de position idéologiques en cette matière, la détérioration
de la langue écrite se généralise et met celle-ci
dans une situation critique en France, au Québec, en Belgique et
en Suisse romande.
La «crise des langues» touche aussi d'autres pays industrialisés
comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Hongrie,
la Chine, la Corée, la Croatie, etc., sans atteindre toutefois des
proportions aussi endémiques que dans les pays francophones, particulièrement
au Québec. Pour le linguiste Alain Rey: «La crise des langues n'est
qu'un aspect de la crise, permanente, des sociétés, et peut-être
une manière d'en masquer en partie la nature essentiellement politique.»
Que le problème soit pédagogique, social ou politique, il
faudra bien un jour trouver des solutions. Après tout, les Italiens,
les Espagnols, les Hollandais et les Norvégiens ont réformé
leur orthographe. En France, il aurait fallu s'y mettre dès le XVIIe
ou au XVIIIe siècle, alors que peu de gens savaient lire
et écrire. Aujourd'hui, plusieurs croient qu'il est trop tard. Pendant
ce temps, les francophones ont mal à leur orthographe.
4.2 La «réforme» avortée de l'orthographe
L'année 1990-1991 a été
justement marquée par ce qu'on a appelé en France «la réforme
de l'orthographe». En effet, la question de la réforme de l'orthographe
a de nouveau occupé le devant de la scène de septembre 1990
à janvier 1991, y compris durant la crise du Golfe. Des débat
publics assez vifs, relayés par les médias, ont suivi l'annonce
de propositions d'aménagement formulées en juin 1990 par
les pouvoirs publics. D'autres pays, qui se préoccupent de l'aménagement
de l'orthographe de leur langue, comme l'Espagne, les Pays-Bas, la Russie
ou l'Allemagne, ignorent ce genre de polémiques.
Rappelons donc quelques faits. En octobre
1989, le premier ministre français de l'époque, M. Michel Rocard, donnait le mandat
au Conseil supérieur de la langue française (dirigé
par M. Bernard Quémada et composé de grammairiens, linguistes,
responsables de l'enseignement, écrivains, éditeurs, etc.)
de réfléchir à des modifications modérées
de l'orthographe en vue d'harmoniser les orthographes hésitantes
(plusieurs milliers de mots dans cette situation) et de simplifier le système
d'accentuation. Ce mandat n'avait donné lieu à aucun commentaire.
Le Conseil supérieur présenta
en juin 1990, après consultations et avis favorable de l'Académie
française, des propositions portant sur cinq points. Ces propositions,
concernant environ 1500 mots, portaient essentiellement sur les points suivants:
- le trait d'union, supprimé
dans quelques dizaines de cas (porteclé, chauvesouris, etc.,
mais faisant son apparition dans les numéraux au-dessus de cent
(deux-cent-un);
- l'accord de certains type
de noms composés: des pèse-lettres (un pèse-lettre),
des après-midis, des brises-glaces, etc.;
- l'accent circonflexe du
[i] et du [u] supprimé, sauf quelques exceptions;
- les accents: harmonisation
pour les verbes en - eler et - eter (il ruissèle,
j'époussète);
- le participe passé
de laisser suivi d'un infinitif demeure invariable.
Les réactions se sont multipliées: des écrivains,
des journalistes et quelques associations d'enseignants ont combattu ces
propositions, soutenus par cinq prix Nobel. Plusieurs furent indignés
parce qu'on remettait en cause le «génie de la langue française».
Des linguistes, en revanche, défendirent le projet (Nina Catach, Claude
Hagège, André Goose, etc.), ainsi que des associations nationales
et internationales d'enseignants de français. Le gouvernement français n'a plus
osé intervenir pour mettre en vigueur le projet. Le gouvernement du
Québec accueillit favorablement le projet de rectifications, mais signifia qu'il
devait être formellement appliqué en France avant
de procéder à la mise en œuvre au Québec et souhaita
une concertation avec les pays francophones. Dès lors, les académiciens apparurent partagés; le président de la République
française recommanda d'aborder ce problème «avec bon sens et gentillesse». À
l'époque, les médias français ont parlé d'un échec. C'est que, tant que la
moindre modification de l'orthographe française sera considérée comme mettant en
péril l'unité de la Nation française, il n'y aura pas de changement possible!
4.3. Les «rectifications» orthographiques
Après la publication le 6 décembre
du Rapport du Conseil supérieur de la langue française
concernant les «rectifications de l'orthographe» au Journal officiel
sous la forme d'un document administratif (c'est-à-dire n'ayant
aucune portée contraignante), l'Académie française délibéra de nouveau,
confirma son accord en l'assortissant
d'une «période probatoire» devant permettre à l'usage de
s'établir tout en se réservant le droit de revenir sur les
rectifications.
Ainsi, il apparaît qu'il n'y aura
pas d'imposition de nouvelles normes orthographiques, mais un processus
long et une polémique qui s'est éteinte peu à peu.
Comme d'habitude, c'est un échec, même si la réforme n'est pas morte.
Certains groupes, peu nombreux mais influents, ont commencé à appliquer les
rectifications orthographiques. Des ouvrages de référence tels que Le Bon
Usage, le Dictionnaire de l'Académie, le Dictionnaire Hachette,
etc., font état de ces rectifications; le Petit Larousse et le Petit
Robert n'ont, jusqu'ici, adopté qu'une partie des rectifications proposées.
On ne parle plus de «réforme»,
mais de simples «rectifications».
Le ministère de l'Éducation de la Communauté française de Belgique et
le ministère de l'Éducation de la
Suisse romande ont indiqué à leurs enseignants que l'orthographe traditionnelle
et l'orthographe rectifiée devaient coexister. L'Office québécois de la langue française
(OQLF) a adopté une attitude attentiste. Pour le moment, les rectifications ne sont
toujours pas enseignées dans les écoles, tout en demeurant peu connues, voire
inconnues du grand public. Il est possible, après tout, que la simplification du
pluriel des noms composés et la francisation des noms étrangers aient plus de
chances d'être acceptées. Néanmoins, il semble bien que l'orthographe française
continuera, selon l'expression du linguiste Pierre Encrevé, d'être «l'instrument
d'humiliation favori de l'école française, premier lieu du contrôle social».
Les efforts de simplification de l'orthographe lexicale ne
constituent qu'un simple palliatif, car c'est à l'orthographe grammaticale qu'il
faudrait s'attaquer si l'on voulait vraiment économiser du temps et de l'énergie
pour le plus grand profit de l'enseignement. Il faudrait changer le système en
profondeur, comme l'ont fait dans le passé les Espagnols, les Allemands et les
Scandinaves. En attendant, les francophones vont continuer de corriger les
fautes, de blâmer les étudiants et les enseignants, de se plaindre de leur
système d'éducation et de toutes les réformes de l'orthographe.
Un autre trait caractéristique de notre
époque: la coexistence des normes et des usages
français.
Alors que jamais le nombre des locuteurs francophones n'a été
aussi élevé et que jamais un aussi grand nombre d'États
ne se sont intéressés au français, l'Autorité
traditionnelle semble être morte. L'Académie française
a perdu beaucoup de sa crédibilité et semble être devenue
le vestige d'une époque révolue. Pensons à la réforme
avortée de l'orthographe et à la position controversée
sur la féminisation des titres. Aujourd'hui, les nouveaux
«maîtres»
de la langue sont davantage les médias et les publicitaires, dont
l'influence est autrement plus considérable que celle des académiciens
ou des terminologues. Dans ces conditions, les normes se modifient au gré
des modes et des régions où l'on parle le français.
Dans chaque région du monde
où l'on parle le français, il s'est développé
une prise de conscience de la langue comme instrument d'identification
nationale. Les Wallons, les Suisses romands, les Québécois, les Acadiens, les Maghrébins, les Sénégalais, les
Ivoiriens, les Antillais, etc., ne veulent pas nécessairement parler «comme
les Français». Chaque pays, voire chaque région, a tendance à cultiver sa propre
norme locale, c'est-à-dire une variété de français
qui a conservé un certain nombre de traits originaux. Il existe des français
régionaux un peu partout en France, mais aussi un français de Wallonie, un
français bruxellois, un français québécois, un français acadien, un français
néo-calédonien, etc.
5.1 Belgique, Suisse et Québec
Le
français de Belgique constitue une variante régionale du
français, et il est caractérisé par des belgicismes, des wallonismes, des termes
bruxellois locaux (ou brusseleir) et un accent bien particulier. Il en
est ainsi du français de Suisse caractérisé,
outre un accent, par des helvétismes (ou des romandismes) et des germanismes. Le
français du Québec, comme le
français acadien, se caractérise par ses
archaïsmes, ses québécismes (ou acadianismes en Acadie) et ses anglicismes.
Évidemment, les phénomènes liés au climat, au sol et à certaines réalités
locales occasionnent souvent des régionalismes différents pour les Belges, les
Suisses, les Québécois, les Acadiens et les Français.
- Les mots courants
Mentionnons des exemples connus en France
(surtout dans la région de Paris), comme le repas du
matin qui s'appelle le petit-déjeuner, celui du midi, le déjeuner
et celui du soir, le dîner, alors qu'au Québec, en Belgique et en Suisse,
on emploie respectivement déjeuner, dîner et souper.
Rappelons qu'en Belgique et en Suisse on dit septante (70) et nonante
(90), tandis qu'en Suisse on privilégiera huitante (au lieu de octante)
dans les cantons de Vaud, du Valais et de Fribourg, mais quatre-vingts
dans les cantons de Genève, de Neuchâtel et du Jura. Alors qu'on
fait du shopping en France, on magasine au Québec, mais dans les
deux cas on peut aussi «faire des courses». Si les Français «garent» leur
voiture dans le parking, les Québécois «parquent» leur voiture dans le
stationnement. Le scooter des neiges et le jet-ski des Français deviennent une
motoneige et une motomarine pour les Québécois. Le portable des Français est un
cellulaire pour les Québécois. Si l'on mange des cacahuètes en France, on mange des
arachides ou des peanuts au Québec. Au véhicule récréatif
ou VR des Québécois, les Français préfèrent le camping car
et les Belges, un mobil-home. De même, on trouve chewing-gum en
France, chique en Belgique et gomme au Québec. Ce que les Français
identifient comme étant des baskets (chaussures de sport), les Canadiens
francophones préfèrent surtout les espadrilles, bien que dans certaines
régions on trouve des runnings et, plus rarement, des sneakers ou
des shoe-claques. En réponse à un merci, un
Français dira de rien, mais un Québécois répondra par bienvenu et un Belge
par s'il vous plaît. Si l'on fait la queue
en Belgique et au Québec, on fait la file en France! Et il serait
possible d'aligner des centaines d'autres exemples du genre; la comparaison des
anglicismes serait aussi très pertinentes. Voici ci-dessous quelques exemples de
comparaison des régionalismes
Belgicismes |
Helvétismes |
Québécismes |
athénée: lycée de garçons (parfois
mixte)
avant-midi: matinée
belle-mère: lavette (vaisselle)
bretteur: quelqu'un qui a un fort tempérament
cloque (au pied): ampoule
dîner: repas du midi
dix-heures: collation en milieu de la matinée
doubleur: élève qui redouble une classe
drache: très grosse pluie
chicon: endive
clignoteur: clignotant
légumier: vendeur de légumes
bourgmestre: maire
louangeur: personne qui loue des voitures
minerval: frais de scolarité
carabistouilles: bêtises
évitement: déviation de la circulation
flat: petit appartement
mofleur: professeur inflexible aux examens
mitraille: petite monnaie
praline: bonbon au chocolat
septante: soixante-dix
septantaine: environ soixante-dix
siroperie: fabrique de sirop
pelle à balayures: pelle à poussière
pistolet: petit pain rond
taiseux: qui cause peu |
automate:
distributeur automatique
azorer: réprimander
barboteuse: femme bavarde
canne de ski: bâton de ski
cassette: petite casserole
chafetane: cafetière
cocoler: cajoler, dorloter
couenne: croûte de fromage
couverte: couverture
cuissettes: short de sport
déjeuner: repas du matin (petit-déjeuner)
dîner: repas du midi
drache (fém.): averse
dringuelle (fém.): pourboire
écolage: frais de scolarité
femme d'ouvrage: femme de ménage
fermoir-éclair: fermeture à glissière
fourrure: doublure
gonfle: congère
gozette (fém.): chausson aux pommes
grenette: marché couvert
huitante: quatre-vingts
imperdable (fém.): épingle de sécurité
linge de bain: serviette de bain
neigeoter: neiger faiblement
fricasse: grand froid
nonante: quatre-vingt-dix |
abatis:
terrain partiellement essouché
érablière: plantation d'érables à sucre
banc de neige: amas de neige entassée
fin de semaine: du vendredi soir au dimanche
batture: partie du littoral laissé à découvert à marée basse
tabagie: marchand de tabac
crémage: glaçage (gâteau)
pitonnage: action de pitonner
biculturalisme: coexistence de deux cultures nationales
coureur des bois: chasseur-trappeur
cabane à sucre: bâtiment pour fabriquer du sirop d'érable
débarbouillette: petit gant de toilette
poudrerie: neige en rafales
cinéparc: cinéma de plein air
chefferie: candidat à la direction d'un parti politique
chérant: qui vend trop cher
jobine: de job, petit boulot
motoneige: scooter des neiges
sapinage: branches de conifère
suisse: tamia
traversier: bac ou ferry-boat
souffleuse: chasse-neige à fraise
mitaine: moufle
magasinage: faire des courses
partisannerie: esprit de parti
quétaine : de mauvais goût
quêteux: mendiant |
Il n'est peut-être pas nécessaire de
souligner que tous ces régionalismes ne sont employés par tous les francophones
belges, suisses ou québécois. Il y aurait sûrement lieu de dresser une liste des
acadianismes, des termes ou expressions utilisés par les
Acadiens des provinces Maritimes au Canada.
Beaucoup de ces acadianismes sont des archaïsmes originaires du Poitou ou des mots du français populaire, mais d'autres sont des créations
lexicales ou des anglicismes.
Alors qu'il était directeur du Musée de
la civilisation de Québec (1988-2001), M. Roland Arpin (1934-2010)
donnait cet avis à la Commission des États généraux sur l'avenir
de la langue française, rappelant que le français
est partout le même,
mais en raison de son environnement on retrouve des variantes:
La langue française d'ici, qu'on appelle parfois « le
français québécois », est une langue à part entière, issue du français
de France, dont elle conserve toutes les structures, les règles et les
lois.
La langue française que nous parlons au Québec découle
d'une histoire qui est la nôtre.
Cette histoire passe d'abord par la France, mais elle a
fait des détours par l'Angleterre et les États-Unis, et elle subit
l'influence des nombreux immigrants venus par vagues au fil des siècles.
La langue que nous parlons nous vient prioritairement du milieu où nous
l'apprenons.
On ne saurait parler exactement la même langue française
qu'à Paris, à Bruxelles, à Dakar, à Genève.
La langue française est partout la même, mais en raison
de son environnement, on retrouve des variantes.
Ici, la langue est rêche comme les montagnes
environnantes; là, elle chante comme le vent doux de la Méditerranée;
ailleurs encore, elle est traînante et mélancolique comme les paysans
qui la parlent. Mais dans tous les cas, il s'agit de ce présent qui nous
vient de loin et que nous avons fait évoluer tout en lui vouant le
respect et l'amour que méritent nos ancêtres. |
La question des anglicismes est
également digne d'intérêt, car les mots empruntés à la langue anglaise ne sont généralement pas les mêmes
de part et d'autre de l'Atlantique, et ils ne sont pas
employés en même quantité. L'influence de l'anglais n'est pas aussi importante
en Europe qu'elle peut l'être en Amérique du Nord.
- Les anglicismes
des Français européens
Les mots empruntés à
l'anglais, que ce soit en France, en Belgique ou en Suisse, sont reliés à des
termes à la mode (récente) ou des domaines très en vogue et en grande partie
véhiculés par les médias : baskets («chaussures de sport»), briefing
(«exposé verbal»), booker («personne qui fait des réservations»),
camping car («véhicule récréatif»), charter («vol nolisé»),
chewing-gum («gomme à mâcher»), ferry ou ferry boat
(«traversier»), e-mail («courriel»), kitchenette («cuisinette»),
mountain bike («vélo de montagne»), parking («parc de
stationnement»), pull («chandail»), pressing («nettoyeur»),
sponsor («commanditaire» ou «mécène»), webmaster («webmestre»), etc.
Voici quelques exemples d'anglicismes employée en France au cours des années
2010
-
J'attends ton
feed-back
demain matin.
[ = retour, commentaire, rétroaction]
-
On va se faire
sponsoriser
par cet industriel.
[ = parrainer]
-
On se fait un petit
brief
demain matin ?
[ = aperçu, bref survol, résumé]
-
Je vais te
débriefer
parce que tu n’as pas pu assister à la réunion.
[ = compte rendu oral]
-
T'es sûr d'avoir assez
challengé
ton équipe ?
[ = lancer un défi, stimuler, talonner]
-
On fait un
conf-call
avec les postes demain, première heure !
[ = conférence téléphonique]
-
Tu penses pouvoir
délivrer
pour vendredi ?
[ = transmettre quelque chose]
-
Quand tu auras tout vérifié, tu nous donneras
ton GO.
[ = feu vert]
-
Tu me
draftes
un petit truc pour la réunion de cet aprèm?
[ = faire un brouillon]
-
Est-ce que ce
wording
ne risque pas d’être
confusant?
[ = formulation / = brouiller, troubler]
-
J'attends de tous les collaborateurs qu'ils soient
force de proposition.
[ = prendre des initiatives]
- Il faut un
brainstorming
pour aboutir sur un
branding
efficace.
[ = remue-méninges = marquage]
- Tu penses bien à me mettre
dans la boucle
(<loop)?
[ = faire partie d’un projet] |
- On a plein de projets dans le
pipe.
(prononcé [pajpe]
[ = dans les tuyaux]
- Ok, c'est quoi les
next steps
?
[ = prochaines étapes]
- Un séminaire de
team building
va
renforcer notre sentiment d'appartenance.
[ = consolidation d’équipe]
- Je vais prendre le
lead
sur ce projet si ça ne t'ennuie pas.
[ = contact commercial]
- T’es pas quelqu’un qui est
corporate
dans l’entreprise.
[ = avoir l’esprit d’entreprise]
- Est-ce qu’on va
drinker
ce midi?
[ = aller prendre un verre avec des collègues]
- Qui n’a n'a jamais
forwardé
un
mail
à un collègue?
[ = transférer /= courriel]
- Tu n'as pas respecté le
process,
tu vas devoir recommencer!
[ = processus]
- On vous attend pour un
after-work
après le bureau.
[ = prendre un verre entre amis après le travail]
- Il est temps de
checker des trucs.
[vérifier, faire des vérifications]
- Israël est un pays où les
starts-up et
l’innovation sont florissantes.
- [ = société qui démarre] |
Étant donné que les Français sont
relativement peu en contact avec des locuteurs de langue anglaise, il y a peu
d’anglicismes dans le registre familier du français hexagonal et périphérique
(Belgique et Suisse). Cependant, ceux-ci sont beaucoup plus présents dans le
français professionnel (commerce, marketing, politique, musique) et ils sont
associés à une ouverture sur le monde et à la modernité.
Voici quelques exemples d'anglicismes
présentés par des entreprises. La compagnie Air France parle de sa "skyteam"; le
service postal fait appel à sa "pickup station"; la FNAC propose ses "french
days"; la société de chemin de fer SNCF a comme "Alors, ready to Ouigo?"; pour
Peugeot c'est plutôt "Unboring the future", mais pour la Ville de Lyon c'est "Only
Lyon". L'anglais fait «bon chic bon genre».
En 2022, l'Académie française a publié un
rapport de 30 pages intitulé Rapport de la commission d’étude sur la
communication institutionnelle en langue française. Ce document relève une
«envahissante anglicisation» du français et craint une déstructuration de la
grammaire et une perte de repère de la part du grand public. Qui plus est, en
2020, le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie
publiait un sondage selon lequel «47 % des Français se déclarent agacés ou
hostiles aux messages publicitaires comportant des mots en anglais». Pourtant,
ils prolifèrent.
Par ailleurs, dans les faits, les Français dans leur vie quotidienne sont peu portés à la
francisation des anglicismes, sans oublier que la plupart de ces anglicismes
sont prononcés «à la française», comme l'atteste le mot ferry boat en [fèr-ri-bott]
(en anglais: [fè-Ri-bôt]. Les Français se font imposer des mots anglais par des
spécialistes du marketing à Paris, alors que les Québécois, comme nous le
verrons, ont recours aux mots anglais parce qu’ils les entendent à l'année longue
dans leur vie quotidienne; ils finissent par s’introduire dans leur langue et à
prendre parfois une place quasi exclusive.
- Les anglicismes des
Québécois
Au Québec, la situation des emprunts
est différente. D'abord, l'influence de l'anglais est beaucoup plus ancienne,
car elle a débuté après 1763. Ce sont des vocabulaires entiers qui sont entrés
dans la langue des Canadiens francophones dès cette époque. Les emprunts ont été apportés par
l'industrialisation façonnée par les Britanniques, puis plus tard par les
Américains. La plupart des emprunts sont donc liés à des réalités courantes,
voire quotidiennes: bad luck («malchance»), bargain («bonne
affaire»), blender («mélangeur»), bum («voyou»), chum
(«copain» ou chum de fille au féminin), cute («joli»)), draft («courant d'air»), drill
(«perceuse»), gun («pistolet/révolver»), hose («tuyau
d'arrosage»), joke («blague»), plaster («pansement adhésif»),
plug («prise de courant»), sideline («second emploi»), strap
(«courroie»), slip («bordereau d'expédition»), track («voie
ferrée»), wrench («clé anglaise»), etc.
Paradoxalement, les anglicismes employés par les
Français sont fortement critiqués par les Québécois qui condamnent des mots
comme baskets, ferry boat, pressing, parking, week end,
pipeline [prononcé [pajplajn]), etc., parce que, eux, ils emploient
espadrilles, traversier, nettoyeur,
stationnement, fin de semaine, oléoduc, etc. C'est voir la paille dans l'œil de
l'autre pendant qu'on ne voit pas la poutre dans son œil. Pendant que les
Français, les Belges et les Suisses prononcent les mots anglais «à la
française», les Québécois les prononcent «à l'américaine».
Il faut préciser que, parallèlement,
les organismes officiels, par exemple l'Office québécois de la langue française
(OQLF), se sont montrés très réticents à accepter des mots d'origine anglaise et en font
systématiquement la chasse avec le résultat que les Québécois semblent traduire
beaucoup plus les mots anglais que les Français. Toutefois, en situation
familière, la plupart des Québécois les utilisent massivement et ignorent le
plus souvent les recommandations de l'OQLF. D'ailleurs, une autre différence entre les
anglicismes européens et les anglicismes québécois ou acadiens, c'est la
fréquence dans l'emploi
de ces anglicismes. On estime que les anglicismes fréquemment utilisés par les
francophones d'Europe comptent pour plus de 300 mots, notamment dans les
domaines des médias et du spectacle, des sports et des loisirs, du commerce et
du travail, de l'Internet et de l'informatique.
Au Québec, ce sont plus de 6000
mots dans tous les domaines et ces mots sont connus par tous. Ainsi, le Le
Colpron, dictionnaire des anglicismes, la 4e
édiction de 1998, en dénombre 5000. De nombreux francophones québécois ont une
facilité déconcertante pour s'exprimer avec des mots anglais qui émaillent leur
discours et qui peinent à trouver le même terme en français, quand ils ne les
ignorent pas totalement. C'est généralement
la solution du mimétisme interlinguistique qui prévaut: c'est plus facile et
plus commode de recourir aux mots qu'on entend autour de soi que de chercher les
équivalents proposés par l'OQLF ou de recourir à la
Banque
de dépannage linguistique qui
propose plus de 300
articles
faciles
à consulter en ligne et tout à fait gratuitement.
Par ailleurs, comment exiger cela des locuteurs quand les mots
arrivent d'abord en anglais et qu'ils sont employés immédiatement, alors que le travail des terminologues peut être connu beaucoup plus tard. Il faut
comprendre que la quasi-totalité des anglicismes employés par les Québécois ne
sert aucunement à combler une lacune du français. Ce sont des doublons dont la
contreparte française est par ailleurs souvent connue, comprise, mais pas du
tout employée. Ce sont des mots anglais que les locuteurs continuent de préférer aux
propositions officielles et qui, par la fréquence de leur emploi, vont
probablement passer dans la norme. Pour la plupart des locuteurs, un anglicisme,
même s'il fait double emploi avec un équivalent français, est perçu généralement
comme «normal», car il répond à un mimétisme qui est moins de nature linguistique
que social, c'est-à-dire qu'il correspond à un souci de ne pas se démarquer des
autres ou de ne pas passer pour un «policier de la langue».
Pourtant, le recours massif aux
anglicismes est associé par une certaine élite québécoise à une éducation
inférieure et à un appauvrissement de la langue française. Toute personne, en
dehors du milieu scolaire, qui aurait comme attitude de vouloir corriger ses
interlocuteurs en proposant la contrepartie française aurait comme résultat de
les irriter davantage au lieu de leur faire changer leur façon de parler. Au
Québec, le français peut encore constituer un projet de société, mais il s'agit
de l'emploi de la langue dans la sphère publique, car la qualité de la langue
dansa la vie quotidienne ne
semble pas être une préoccupation majeure chez la plupart des Québécois.
En Amérique du
Nord, chaque personne doit librement choisir sa langue, sans contrainte
extérieure. Quand les instances compétentes, telles que l'Académie française en
France ou l'Office québécois de la langue française, proposent des termes de
remplacement aux anglicismes, il est fort à parier qu'en fin de compte c'est
plutôt l’usage et non la norme officielle qui fera le poids. Autrement dit, la légitimation
sociale, celle concernant l’implantation de l’emprunt dans l'usage, risque de
l'emporter sur la légitimation linguistique qui repose sur l’adaptation et la
conformité au système de la langue. Dans beaucoup de pays et de collectivités
locales,
les linguistes ont pu constater que les locuteurs qui empruntent massivement
sont généralement ceux qui attribuent à la «langue prêteuse» une plus grande
valeur qu'à leur propre langue. C'est pourquoi l'emprunt à l'anglais demeurera
toujours un facteur important à considérer dans l'analyse de la situation
sociolinguistique du Québec.
5.2 Les pays créolophones et l'Afrique
Les régionalismes français n'existent pas seulement au Québec, en Belgique ou en
Suisse. Ils sont nombreux non seulement en France, mais aussi aux Antilles, en
Afrique, dans la région de l'océan Indien (La Réunion, île Maurice, île
Rodrigues) et dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie et
Wallis-et-Futuna).
- Haïti
Dans presque toutes les îles des Caraïbes, les locuteurs
parlent le créole comme langue maternelle, mais le français est la langue
officielle dans plusieurs îles: Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin,
Saint-Barthélemy, Haïti. Or, ces insulaires ont néanmoins créé des régionalismes
français. En Haïti, les régionalismes proviennent du vieux fonds français
ou d'emprunts sémantiques au créole.
aller à
la commode: aller à la toilette
assesseur: conseiller municipal
avoir la bouche sucrée: mal prononcer le français; éprouver de
sérieuses difficultés de prononciation
baroque: impoli, mal élevé
bébé: belle femme
bêtiser: raconter des bêtises
bonjour: ne se dit que jusqu'à midi
bonsoir: ne se dit qu'à partir de midi
bourgeois: personne riche |
cale:
petit morceau (de pain, de viande, etc.)
chérant: commerçant qui vend à un prix excessif
chèqueur: personne qui touche un salaire sans rien faire
heure haïtienne: heure approximative correspondant à un retard
assez important
macoute: récipient ou sac fait de grosse toile; homme de main
(politique)
machine: voiture, automobile
morne: petite montagne isolée de forme arrondie
patate (gagner une): gagner son pain |
- Martinique et
Guadeloupe
Comme dans le cas d'Haïti, les
régionalismes français de la
Martinique et de la Guadeloupe proviennent de la souche antillaise et
créolophone. Là aussi, les archaïsmes français sont fréquents, mais les
constructions populaires abondent également. Si les Français habitant la
Martinique et la Guadeloupe ont tous le français comme langue maternelle, il y a
aussi des Noirs et des Mulâtres qui l'ont adopté, bien que la plupart des
Martiniquais et des Guadeloupéens l'utilisent généralement comme langue seconde.
argent
braguette: allocations familiales
bailler: donner
biguine: danse traditionnelle des Antilles
bombe: petit car (bus) rapide
cabaret: plateau
combat de coqs: conflits entre deux hommes (mâles)
commère: amie, femme bavarde; mère de l'enfant (par rapport à la
marraine)
compère: parrain (par rapport au père) ou père de l'enfant (par
rapport au parrain) |
couleuvre: boa
couresse: couleuvre
grand-bras: variété de grosses crevettes
morne: petite montagne isolée de forme arrondie
queue-rouge: variété de grosses crevettes
ti-bois: sorte de tambour
trace: sentier en montagne
zhabitant: personne qui habite la campagne
zouker: danser sur du zouk (danse) |
- Île de la Réunion
et île Maurice
Les îles «francophones»
de l'océan Indien partagent avec les Antilles un fonds créolophone. Les
régionalismes de l'océan Indien francophone, l'île de La Réunion et l'île
Maurice, sont caractérisés par le recours aux archaïsmes et à des emprunts
locaux. Les insulaires parlent le créole comme langue maternelle et le français
comme langue seconde.
âge
cochon: adolescence (Maurice)
argent-z'enfants: allocations familiales
avoir la coco dur: avoir la tête dure
bazardier: commerçant d'un marché (Maurice)
bureau de deuil: entreprise de pompes funèbres (Maurice)
cocasse: mignon (Maurice)
commandeur: contremaître
contour: virage
couillonnisse: imbécillité, idiotie, bêtise
cuiteur: légèrement pris de boisson
culottes grandes manches: pantalon long
cuscute: importun (Maurice) |
ariner:
pleuvoir d'une pluie fine
goûter: petit déjeuner
gros-doigt: personne maladroite
hisser-pousser (masc.): marchandage (Maurice)
mariage derrière la cuisine: relations sexuelles clandestines
piton: toute élévation du relief
rhumé: ivre (de rhum)
soulaison: être ivre
tortue-bon-Dieu: coccicelle
virer son pantalon: retourner sa veste ou changer d'idée (cf. virer
capot au Québec)
zhabitan: cultivateur; demeuré |
- Nouvelle-Calédonie
En Nouvelle-Calédonie
(océan Pacifique), les régionalismes employés dans le
français local sont appelés des néo-calédonismes. Le français de cette région
du Pacifique doit parfois à l'anglais un certain nombre de ses mots. Les Néo-Calédoniens
d'origine mélanésienne utilisent le français comme langue seconde, et les
Français évidemment comme langue maternelle.
baby-boy:
bébé mâle
boîte à sardines: habitation en tôle, surpeuplée
broussard: quelqu'un qui habite hors de la capitale (Nouméa)
buggy: véhicule léger, haut sur quatre roues, et tiré par un cheval
Canaque: Mélanésien
cash: (payé) argent comptant
coaltar (masc.): goudron
creek: cour d'eau
djumper: accaparer
emboucané: empoisonné
féminines: femmes
gratteur: coureur de jupons
hachot: hachette
jeannerie: boutique de jeans |
lotomanie: manie de la loterie
mutoï: policier
nordiste: qui est originaire du Nord de la France (Paris)
package: voyage organisé (par une agence)
peep: jeep
pétrolette: canot automobile
popinette: jeune fille (mélanésienne)
poquène (masc.): anglophone
samourai: travailleur immigré d'origine japonaise
sandwich (masc.): immigré de l'île Vaté (ou Sandwich)
tayo (masc.): ami; homme
trou d'eau: puits
varande (fém.): véranda
piquette: bière maison |
- L'Afrique
L'un des effets de la décolonisation a été l'adoption du
français comme langue officielle par de nombreux
États africains. Les dirigeants
des nouveaux pays avaient tous une bonne connaissance du français et parfois ils
en avaient adopté l'usage. Le français est donc devenu une langue incontournable
dans les États officiellement francophones où il se sont élaborés des
«africanismes». Dans les pays d'Afrique, les
africanismes correspondent aux régionalismes
utilisés en français dans les pays d'Afrique francophone. Les anciennes colonies
françaises du continent africain ont développé un certain nombre de termes
spécifiques utilisés par les élites qui connaissent le français. Certains
termes désignent des réalités régionales et plusieurs correspondent à des
formations populaires. Évidemment, les régionalismes ne sont pas nécessairement
employés par tous les locuteurs parlant français. Rappelons que pour les Africains d'origine le français
n'est utilisé que comme langue seconde.
aller au
bord: faire ses besoins dans la nature [au bord de l'eau] (Côte
d'Ivoire)
alphabète: personne qui a appris à lire et à écrire (Burkina Faso)
ambiancer: faire la fête (Sénégal)
article quinze: système D (Congo-Kinshasa)
avocat: bénéficiaire d'un pot-de-vin (Congo-Kinshasa)
avoir la bouche sucrée: aimer parler (Bénin)
avoir une grande bouche: avoir la langue bien pendue (Niger)
avoir la bouche qui marche beaucoup: avoir la langue bien pendue
(Centrafrique)
avoir une mémoire de poule: avoir la tête de linotte (Mali)
balle perdue: enfant fait hors mariage (Togo)
bandicon: imbécile (Mali)
berceuse: bonne d'enfant (Burkina Faso)
blanc-bec: Blanc incompétent (Congo-Kinshasa)
bonne arrivée: formule de bienvenue (Bénin)
bonsoir: bonjour (Congo-Kinshasa)
bordel: prostituée (Togo)
bouffement: nourriture (Tchad)
boule de neige: chou-fleur (Sénégal)
boyesse (fém.): de boy, femme de ménage (Congo-Kinshasa)
broussard: personne qui habite la province (Sénégal)
cabiner:
faire ses besoins (Sénégal)
camembérer: sentir des pieds (Sénégal)
campusard: étudiant qui habite le campus universitaire (Congo-Kinshasa) |
chameau: dromadaire (Maroc)
change (masc.): monnaie à rendre (Togo)
chercher le marché: courir les filles (Togo)
chicoter: frapper avec la chicote [= cravache] (Togo)
cigaretter: fumer des cigarettes (Togo)
concourant: candidat à un concours (Burkina Faso)
copiste: copieur, tricheur (Mali)
débrouillé: personne qui se débrouille dans une langue étrangère (Mali)
démarreur sexuel: vendeur d'aphrodisiaques (Côte d'Ivoire)
deuxième bureau: maîtresse d'un homme marié (Bénin)
enceinter: rendre enceinte (Togo)
essencerie: station service (Sénégal)
être au besoin: aller aux toilettes (Togo)
faire les couloirs: se faire recommander pour obtenir une faveur (Mali)
faire coup d'État: prendre à quelqu'un son ou sa petit(e) ami(e) (Mali)
faire le ronron: se rendre intéressant, faire le malin (Côte d'Ivoire)
faire ses besoins: vaquer à ses occupations (Sénégal)
femme savante: étudiante universitaire (Congo-Kinshasa)
fiançailles académiques: liaison éphémère durant l'année universitaire
(Congo-Kinshasa)
fonctionner: être fonctionnaire (Togo)
gagner
l'enceinte: être enceinte (Bénin) |
gagner son mil: gagner son pain (Togo)
gargote: petit restaurant bon marché (Sénégal)
gossette: petite amie (Sénégal)
heure africaine: heure approximative correspondant à un retard assez
important (Sénégal)
indexer: indiquer du doigt (Burkina Faso)
jaguar (être): être élégant et à la mode (Bénin)
lampion: dispositif lumineux placé sur le toit d'un taxi (Sénégal)
londonnienne: prostituée des boîtes à Blancs (Congo-Kinshasa)
macas: pâtes alimentaires (Niger)
ménagerie: travaux ménagers (Bénin)
pain chargé: sandwich (Sénégal)
parentisme: népotisme (Togo)
portier: gardien de but au football (Sénégal)
radio-trottoir (fém.): diffusion d'informations parallèle au discours
politique officiel (Congo-Kinshasa)
serruté: fermé à clef (Sénégal)
slipé: qui porte un slip (Sénégal)
sous-marin: amant d'une femme (Bénin)
se toiletter: se laver (Bénin)
typesse: femme de peu d'intérêt (Togo)
valise diplomatique: attaché-case (Congo-Kinshasa)
vélo poum-poum: vélomoteur (Mali)
vidange (fém.): bouteille vide (Rwanda)
zognon: oignon (Centrafrique)
zondomiser: éliminer un rival de façon violente (Congo-Kinshasa) |
De plus, les régionalismes n'apparaissent pas seulement dans
le lexique, mais aussi dans la phonétique et la grammaire. C'est ainsi que tous
les francophones ont leur accent, même les Français. Cependant, pour un
Québécois, l'«accent français» est souvent confondu avec un accent «européen»,
car même un Allemand parlant français pourra être perçu comme ayant un «accent
français»!
Tous ces régionalismes provenant de plusieurs pays
francophones peuvent être appelés francophonismes, et ce, qu'ils soient
d'origine française, belge, suisse, québécoise, acadienne, antillaise, mauricienne ou
ivoirienne. Ils démontrent qu'il y a différentes façons d'employer la langue
commune, c'est-à-dire que plusieurs normes coexistent tout en demeurant du
français.
Cela étant dit, les francophones
se permettent de moins en moins d'ignorer la langue commune
—
le français standard —, mais ils ne
semblent plus hantés par les questions relatives à la «pureté»,
à la «distinction» et à la «qualité». La spontanéité
et l'aspect fonctionnel comptent davantage, sans mettre en péril
la communication. Un phénomène nouveau est apparu: la France est certes le
berceau historique de la langue française, mais elle n'en est plus le
propriétaire exclusif. Cette langue appartient maintenant à de nombreux peuples
et à plusieurs États qui se partagent cette langue.
Notre époque subit l'influence de
la suprématie de l'anglais dans le monde. Le français ne
fait pas exception à la règle: l'industrie du spectacle,
les produits industriels, les sciences et les nouvelles technologies, les
moeurs des États-Unis enrichissent la langue. Mais le français semble réussir
convenablement à se protéger contre l'anglais pour renouveler son lexique en
recourant à des organismes linguistiques.
6.1 La normalisation et les organismes
linguistiques
À l'instar
de plusieurs pays, le gouvernement français a institué de
nombreux organismes chargés de créer une terminologie française
et d'assurer la défense et l'expansion de la langue.
En
France, l'Académie
française rend obligatoires certains mots nouveaux; le Haut-Comité
de la langue française veille à la qualité de la langue;
l'Association française de terminologie, qui agit conjointement
avec l'Office québécois de la langue française (OQLF) et le Service
de la langue française de la Communauté française
de Belgique, s'occupe de néologie en recensant les besoins et en
créant de nouveaux mots.
Depuis 2001, la
Délégation générale à la langue
française et aux langues de France (DGLFLF), rattachée au ministère
français de la Culture et de la Communication, joue un rôle de réflexion,
d'impulsion et de coordination, en assurant le suivi des dispositifs législatifs
et réglementaires (loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue
française) et en s'appuyant sur un réseau d'organismes partenaires (Conseil
supérieur de la langue française, Commission générale de terminologie et de
néologie). La DGLFLF soutient et coordonne l'action
des différents acteurs qui concourent à l'élaboration des néologismes
(commission générale de terminologie et de néologie, Académie française,
commissions spécialisées, ministères partenaires, etc.) et s'emploie à mettre
ces ressources à la disposition du public. De plus, la DGLFLF concourt par son
action à la diffusion de la langue française en Europe et dans le monde.
Par ailleurs, la Délégation générale a maintenant pour mission
de prendre en compte, aux côtés du français, les langues régionales parce que
celles-ci constituent «un patrimoine immatériel vivant et créatif» et qu'elle
sont partie prenante d'une politique en faveur de la diversité culturelle et
linguistique. La DGLFLF contribue à promouvoir et faire connaître le patrimoine
et les productions contemporaines qui s'expriment dans les langues de France;
elle soutient la mise en valeur de ces langues par le théâtre, la chanson, le
livre, et toutes disciplines où la langue est instrument de création; elle
contribue à élargir leur espace d'expression en favorisant leur emploi dans les
champs de la modernité culturelle et technique, comme l'audiovisuel et le
multimédia. Selon la DGLFLF, les langues appelées «langues régionales» sont
celles parlées par des «citoyens français» depuis assez longtemps sur le
territoire national pour faire partie des richesses communes, comme le flamand,
le basque, le corse, les créoles ou le tahitien. Sont appelées dorénavant
«langues minoritaires» les «langues non territoriales» (extérieures à la France)
comme l'arabe dialectal, le romani (tsigane), le berbère ou le yiddish.
En
Belgique, le
Service de la langue française de la
Communauté française de Belgique est chargé de mettre en oeuvre la politique de
la langue française en Communauté française, en collaboration avec le Conseil
supérieur de la langue française, ce dernier étant un organisme consultatif
chargé de conseiller le ministre ayant la langue dans ses attributions sur toute
question relative à l'usage et à la diffusion de la langue française. Depuis sa
création, le Service de la langue française réalise concrètement les tâches qui
relèvent d'une politique de la langue française en Communauté française,
notamment l'image du français auprès des Wallons et des Bruxellois, l'évaluation
des compétences écrites des élèves des deux dernières années du secondaire
général, du technique et du professionnel, les modalités d'enseignement de la
grammaire, la situation du français dans les sciences en Communauté française,
la situation du français à Bruxelles, les besoins et ressources terminologiques
en Communauté française de Belgique, l'identification des normes
sociolinguistiques des francophones belges et les particularités lexicales du
français de Belgique dans les langues de spécialité.
Au
Québec, l'Office
québécois de la langue française a pour missions de définir et de
conduire la politique québécoise en matière d'officialisation linguistique, de
terminologie ainsi que de francisation de l'Administration et des entreprises;
de veiller à ce que le français soit la langue habituelle et normale du travail,
des communications, du commerce et des affaires dans l'Administration et les
entreprises; de surveiller l'évolution de la situation linguistique au Québec et
d'en faire rapport tous les cinq ans au ministre; d'assurer le respect de la
Charte de la langue française; de prendre les mesures appropriées pour assurer
la promotion du français. La Charte de la langue française a institué aussi deux
autres organismes: la Commission de toponymie et le Conseil supérieur de la
langue française.
En
Suisse, la Délégation à
la langue française (DLF) est un organe d'études, de consultation et
de proposition, ainsi que de représentation de la Conférence intercantonale de
l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). La DLF de
Suisse a pour missions principales d'observer les pratiques et usages de la
langue française en Suisse, en Suisse romande avant tout (fonction
d'observatoire), de formuler des avis sur l'enseignement des langues, du
français en particulier, ainsi que sur les questions générales de politique
linguistique (fonction de service linguistique), de représenter la Suisse auprès
des instances analogues dans les pays de langue française (fonction de
représentation, de coordination et d'information). Outre les rectifications de
l'orthographe et de la féminisation des termes de fonction et métier, la DLF
s'occupe aussi des questions liées à l'image et à la présence du français en
Suisse et dans le monde, à la langue française dans l'information scientifique
et dans les nouvelles technologies, à la place et l'usage du français dans un
contexte plurilingue, etc.
Le
Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) est une
organisation internationale vouée au développement terminologique et à la
coopération en matière d'aménagement linguistique. Le Conseil international de la langue française
réunit des spécialistes de tous les pays francophones et
publie des travaux terminologiques importants; il coordonne également
le travail de certaines commissions de terminologie. La législation
française interdit même l'emploi exclusif d'une langue étrangère
en France dans la présentation des produits de consommation.
La profusion terminologique gagne la langue
commune, qui présente des traits techniques évidents, voire
technocratiques. Parallèlement, la publicité apporte sa contribution:
des mots ou expressions plus populaires sont diffusés à l'échelle
de pays entiers. Bon an mal an, le français s'enrichit de 60 000
à 70 000 mots nouveaux, provenant de sources diverses telles que
les milieux scientifiques, industriels, commerciaux, publicitaires et journalistiques.
C'est là le signe manifeste du dynamisme de la langue.
6.2 La langue officielle et la loi Toubon
Du côté juridique
français, les dispositions
constitutionnelles portant explicitement sur la langue étaient inexistantes
jusqu'en 1992. La langue française était la langue officielle
de la République française dans les faits (de facto)
parce que cette reconnaissance n'avait jamais été proclamée
ni dans la Constitution de 1958 ni d'ailleurs dans aucun texte de loi.
Cependant, la Loi constitutionnelle no 92-554 du 25 juin
1992 a apporté des modifications à la Constitution française de 1958,
notamment à l'article 2 qui se lit maintenant comme suit: «La langue
de la République est le français.»
Pour le gouvernement de la France, le français
est la langue de la République, c'est-à-dire la langue de
l'unité nationale et des institutions publiques, celle de l'égalité
de tous, une composante fondamentale du lien social, l'un des facteurs
les plus importants d'égalité et d'intégration. Afin
d'atteindre l'objectif d'assurer le respect du français sur le territoire
national et de garantir son emploi dans tous les actes de la vie sociale,
le gouvernement a adopté la loi n°
94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.
|
Cette loi, appelée aussi loi Toubon –
présentée par le ministre de la Culture et de la Francophonie
Jacques Toubon
(gouvernement Balladur) –,
se substitue à la loi du 31 décembre 1975, dont elle élargit
le champ d'application et renforce les dispositions. Cette nouvelle loi
française précise que l'emploi de la langue française
est obligatoire dans un certain nombre de situations et affirme ainsi un
droit au français pour les consommateurs, les salariés, le
public. L'imposition de ces règles est assortie des moyens
pour les faire respecter. On peut consulter le texte complet de la loi Toubon
en cliquant ici, s.v.p.
La loi Toubon précise successivement
les conditions dans lesquelles l'emploi du français est obligatoire
afin que les consommateurs, les salariés, les usagers, le public,
soient assurée de comprendre les indications qui leur sont données
et afin que le français soit naturellement la langue dans laquelle
se déroulent les activités qui ont lieu sur le territoire
national, notamment l'enseignement et les émissions de radio et
de télévision. Il prévoit que la présentation
en langue française peut toujours être accompagnée
d'une traduction en langue étrangère.
|
Ainsi, les articles 1er, 2 et
3 imposent l'usage du français pour la PRÉSENTATION DES BIENS
ET SERVICES et les procédés d'information destinés
aux consommateurs, ainsi que pour les inscriptions et annonces faites dans
les lieux ouverts au public et les transports en commun. L'article 4 prévoit
que les contrats passés par des personnes publiques sont rédigés
en français. L'article 5 impose des exigences minimales pour l'organisation
des congrès et colloques. Les articles 6, 7 et 8 sont relatifs à
la protection des salariés et précisent que les contrats
de travail, les offres d'emploi et les documents internes à l'entreprise,
qui s'imposent aux salariés ou leur sont nécessaires pour
l'exécution de leur travail, sont rédigés en français.
Quant à l'article 9, il affirme
que la langue de l'ENSEIGNEMENT est le français. Les articles 10
et 11 rendent l'emploi du français obligatoire dans les émissions
et les messages publicitaires des organismes de radio et de télévision
et donnent mission à ces organismes de contribuer à la protection
et à la promotion de la langue française.
L'article 12 porte sur le CODE
LINGUISTIQUE:
il interdit aux personnes publiques, ainsi qu'aux personnes morales de
droit privé chargées d'une mission de service public, de
faire usage de marques comportant une expression ou un terme étranger.
Les articles 13 à 18 prévoient
un DISPOSITIF DE CONTRÔLE de nature à permettre une bonne
application de la loi: retrait des subventions éventuelles, intervention
des officiers de police judiciaire, des agents chargés de l'application
du Code de la consommation et des associations de défense de la
langue française dans le mécanisme de contrôle, caractère
d'ordre public de la loi. Les sanctions pénales applicables, qui
seront de nature «contraventionnelle», seront prévues par décrit
en Conseil d'État.
L'article 19 préserve la place des
langues régionales du pays. Pour de plus amples explications sur
ce sujet, il faut se reporter à la partie de ce site intitulée
«La politique des langues régionales et minoritaires».
L'article 20 prévoit les DÉLAIS
NÉCESSAIRES à l'entrée en vigueur de la loi, notamment
pour la mise en conformité des dispositions relatives à la
publicité, aux annonces et à l'affichage.
Enfin, l'article 21 prévoit l'ABROGATION
de la
loi du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française, dans des
délais différents, mais cohérents avec l'entrée en vigueur des dispositions
nouvelles. On peut consulter le texte intégral de la
loi
du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.
Cependant, afin de valoriser l'image de
la langue française et contribuer à la mobilisation des Français,
mais aussi des francophones et des francophiles autour de sa vitalité,
de son rayonnement et de ses enjeux culturels, économiques et sociaux,
une politique de sensibilisation a été mise en place, qui
vise:
- le grand public, et tout
d'abord les jeunes;
- les prescripteurs, c'est
à dire ceux qui interviennent dans des domaines stratégiques
pour la qualité et la diffusion de la langue et des mots : presse,
radio et télévision, publicité, institutions culturelles;
- les entreprises.
|
Grâce à cet instrument juridique,
la France se trouve dotée d'une véritable législation
linguistique destinée à assurer le maintien du français
tant à l'intérieur de ses frontières qu'à l'extérieur.
Il n'en demeure pas moins qu'une politique linguistique si ambitieuse sur
le plan international demeure rare dans le monde.
6.3 Les autres pays francophones
En Belgique, le gouvernement
de la Communauté française a adopté
plusieurs décrets à caractère linguistique. Les décrets réglementent l'emploi de
la langue française dans les domaines de la radiotélévision et des relations
sociales entre les employeurs et leur personnel; le
Décret sur la défense de
la langue française du 12 juillet 1978 reste l'un des principaux textes
juridiques. Le décret imposait l'usage de termes français à la place de termes
étrangers dans une série d'actes et de documents d'intérêt public; cette mesure
visait notamment à combattre les anglicismes. En ce qui a trait au code
linguistique (la langue elle-même), le Service de la langue française de la
Communauté française de Belgique a établi huit grandes actions pour une
politique de la langue française:
- la recherche et la publication de données objectives sur la
situation du français;
- l'enrichissement de la langue française : néologie et terminologie;
- la féminisation des noms de métier, de fonction, de grade ou de titre;
- l'amélioration de la lisibilité des textes administratifs;
- la promotion du français dans les sciences;
- la promotion du plurilinguisme et du français dans les institutions de l'Union
européenne;
- la sensibilisation du public à sa langue;
- la coopération avec les autres organismes de promotion de la langue française.
Au Québec, la
Charte de la langue
française de 1977 demeure l'une des lois les plus célèbres dans le monde
francophone, probablement parce qu'elle a été adoptée par un État non souverain
qui cherchait à renverser une situation devenue inacceptable pour la minorité
francophone du Canada. De façon générale, il n'est pas courant qu'un État non
souverain protège «trop» sa langue régionale aux dépens de la langue majoritaire
à l'échelle nationale. La stratégie linguistique de la Charte de la langue
française reposait sur trois principes généraux visant à corriger les
problèmes qui traînaient en longueur depuis plusieurs décennies:
-
endiguer le processus d'assimilation et de minorisation des francophones;
- assurer la prédominance socio-économique de la
majorité francophone;
- réaliser l'affirmation du fait français.
Cette loi rejetait le bilinguisme officiel ou
généralisé, dont l'expérience passée a démontré qu'il constituait la plus grande
menace à la vitalité du français au Québec, parce qu'il entraînait la dégradation de la
langue de la majorité (provinciale), favorisait l'unilinguisme des anglophones
(québécois) et assurait la
prédominance de l'anglais dans tous les secteurs de la vie québécoise.
La Louisiane
a retrouvé son sentiment identitaire francophone, mais celui-ci ne repose pas
sur une législation linguistique. En effet, par la création du CODOFIL (''Council
for the Development of French in Louisiana''), l'État a transféré ses pouvoirs à
cette agence gouvernementale qui a pour mandat de «faire tout ce qui est
nécessaire pour développer, utiliser et préserver la langue française telle
qu'elle existe en Louisiane, dans l'intérêt culturel, économique et touristique
de l'État». C'est la Loi
établissant le Conseil pour le développement du français en Louisiane
(Enabling Act for the Council for Development of French in Louisiana) ou
loi 409 de 1968 qui sert de «loi linguistique», mais qui correspond en fait à
une loi scolaire autorisant l'enseignement du français dans les écoles.
En Suisse, il n'y a pas de loi linguistique du
genre adoptée par les cantons francophones; mais il y en a dans le canton des
Grisons (allemand-italien-romanche) et le canton du Tessin (italien).
Le traité
de Versailles (1919) a marqué la cessation du privilège du français
comme langue diplomatique: il a été rédigé à la fois en anglais et en
français. L'après-guerre a entraîné de profonds changements
sociaux par l'urbanisation généralisée, l'amélioration
du niveau de vie des classes ouvrière et rurale, la force d'organisation
des travailleurs. Les classes sociales s'interpénétrèrent et démocratisèrent la langue.
Il faut souligner aussi le rôle des
moyens de diffusion dans l'évolution du français contemporain.
Depuis l'expansion des médias électroniques, on remarque
l'importance retrouvée de la langue parlée par rapport
à la langue écrite; l'efficacité et la spontanéité
de la langue parlée préoccupent davantage les contemporains
que la "pureté" du français. Même la presse écrite
tend à la simplification de la syntaxe par l'emploi de formules-chocs
et de slogans. L'omniprésence de la publicité favorise le
goût de l'intensité et de l'expressivité ainsi que
la recherche quasi systématique de l'effet.
Il existe plusieurs volets au caractère international
de la langue française. Il s'agit d'abord de l'organisation la
plus prestigieuse, l'ONU, et des organisations non gouvernementales (ONG)
et de la Francophonie. Ce dernier volet constitue une partie distincte qu'on
peut consulter sous le nom de Francophonie.
7.1 L'Organisation des Nations unies
Au lendemain même de la Seconde
Guerre mondiale, naissait l'organisation-mère, c'est-à-dire
l'organisation-modèle de tout le système international contemporain: l'Organisation des
Nations unies, qui remplaçait la Société des Nations.
L'Assemblée générale, lors de sa première session,
le 1er février 1946, adopta la résolution n°
2 portant approbation du Règlement concernant les langues.
Celui-ci précise, dans son article 1er:
Dans tous les organismes
des Nations unies autres que la Cour internationale de Justice, le chinois,
l'anglais, le français, le russe et l'espagnol sont les langues
officielles. L'anglais et le français sont les langues de travail. |
Plus tard, on ajouta l'arabe. La distinction entre langue officielle et
langue de travail n'est pas, à vrai dire, clairement établie
sur le plan juridique et fait, aujourd'hui encore, l'objet de controverses.
On retiendra, en prenant l'ONU pour modèle, que le statut de langue
officielle implique que toute réunion officielle soit pourvue de
l'interprétation simultanée de et vers la langue qui bénéficie
de ce statut, que les documents préparatoires et les projets de
résolution soient disponibles dans cette langue en temps voulu,
que les comptes rendus et les rapports le soient également.
Le statut de langue de travail implique,
quant à lui, que le travail des fonctionnaires internationaux interne
à l'organisation puisse être effectué, verbalement
et par écrit, dans une des deux langues de travail, d'où
la nécessité pour ces fonctionnaires de connaître l'une
de ces deux langues pour être recrutés et, si possible, de
connaître, au moins passivement, l'autre langue, ou à défaut,
d'être mis en mesure, par la traduction ou l'interprétation,
de la comprendre. En outre, tout délégué doit pouvoir
également s'exprimer, verbalement et par écrit, dans l'une
des deux langues de travail, dans ses relations avec le secrétariat
de l'Organisation, toute activité linguistique officielle du secrétariat
(affiches, brochures, inscriptions de tout ordre, menus des restaurants,
explications des guides, etc.) devant s'effectuer dans ces deux langues.
Voici les organismes des Nations unies
où le français est l'une des langues officielles et l'une
des langues de travail:
- Assemblée générale,
New York;
- Conseil de sécurité,
New York;
- Conseil économique
et social, Genève;
- Conseil de tutelle, New
York;
- Cour internationale de
Justice, La Haye;
- Secrétariat, New
York.
7.2 Les organismes rattachées aux
Nations unies
Dans les organisations rattachées
à l'ONU, on ne fait pas la différence entre le statut de
langue officielle et celui de langue de travail. Dans la plupart des cas,
le statut unique de langue officielle ou, pour quelques organisations,
selon une terminologie approximative, de "langue de travail" donne à
la langue qui en bénéficie les droits cumulés des
deux statuts. Cependant, certaines organisations interprètent ce
statut comme ne conférant qu'à la seule langue officielle
la plus utilisée (et c'est, en général l'anglais,
mais parfois le français) le statut juridique de langue de travail.
À ces exceptions
près, le français bénéficie juridiquement,
dans la quasi-totalité des organisations internationales du système
des Nations unies, du statut maximum. Tel est le cas, non seulement, en
application de la résolution de 1946, à l'ONU proprement
dite (Assemblée générale, Conseil de sécurité économique et social, Conseil de tutelle, Secrétariat et,
en application de son règlement particulier, Cour internationale
de Justice) et dans les organismes qui en dépendent directement
(Offices des Nations unies de Genève et de Vienne, Commissions économiques
régionales CEE/NU, CESAP, CEA, CEPALC et CESAO , CNUCED, PNUE,
CNUEH, UNICEF, PNUD, HCR, UNWRA, organisations internationales par produit,
etc.), mais aussi, conformément au paragraphe b) de la résolution
de 1946 dans les institutions spécialisées et rattachées:
ONUDI, OIT, FAO/OAA, PAM et FIDA, UNESCO, OMS, OMM, OACI, OMPI, UIT, OMI,
et d'autres. Voici ces organisations:
- Commission économique
pour l'Europe (CEE/NU). Genève;
- Commission économique
et sociale pour l'Asie et le Pacifique (CESAP), Bangkok;
- Commission économique
pour l'Afrique (CEA), Addis-Abeba;
- Commission économique
pour l'Amérique latine et les Caralbes (CEPALC), Santiago;
- Commission économique
et sociale pour l'Asie de l'Ouest (FSA Ammane;
- Offices des Nations unies,
Genève et Vienne;
- Conférence des
Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), Genève;
- Commission des droits
de l'homme, Genève;
- Haut Commissariat aux
réfugiés (HCR), Genève;
- Programme des Nations
unies pour l'environnement (PNUE) à Nairobi;
- Centre des Nations unies
pour les établissements humains (CNUEH) à Nairobi;
- International Cocoa Organisation,
Londres;
- International Coffee Organisation, Londres;
- Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD), New York;
- Fonds des Nations unies
pour l'enfance (FISE), New York;
- Centre international pour
le développement de l'enfant (UNICEF), Florence;
- Office de secours et de
travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine
(UNWRA), Vienne.
- Organisation des Nations
unies pour le développement industriel (ONUDI), Vienne;
- Organisation mondiale
de la santé (OMS), Genève;
- Organisation internationale
du travail (OIT), Genève;
- Organisation mondiale
de la propriété industrielle (OMPI), Genève;
- Union internationale des
télécommunications (UIT), Genève;
- Organisation météorologique
mondiale (OMM), Genève;
- Union postale universelle
(UPU), Berne;
- Organisation pour l'alimentation
et l'agriculture (OAA-FAO) Rome;
- Programme alimentaire
mondial (PAM), Rome;
- Fonds international pour
le développement agricole (FIDA), Rome;
- Organisation des Nations
unies pour l'Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), Paris;
- Organisation maritime
internationale (OMI), Londres;
- Organisation de l'aviation
civile internationale (OACI), Montréal;
- Agence internationale
de l'énergie atomique (AIEA), Vienne
- Accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), Genève.
- Banque mondiale, Washington;
- Fonds monétaire
international (FMI), Washington.
À ces organismes on peut ajouter
les banques régionales suivantes:
- Banque de développement
africaine, Abidjan
- Banque de développement
interaméricaine, Washington;
- Banque de développement
asiatique, Manille;
- Banque de développement
des Caraïbes, Saint-Michel (Barbade)
Toutefois, certaines exceptions sont prévues
en ce qui a trait à l'usage du français dans certains organismes
rattachés à l'Onu:
- à l'AIEA et la
Banque interaméricaine de développement, le statut de langue
officielle qui est celui du français n'est pas interprété
juridiquement comme lui donnant les droits de langue de travail;
- au FMI et à la
Banque des Caraïbes, le français est exclu, explicitement dans
le premier cas, par omission dans le second, du statut langue de travail;
- à l'UPU, le français
est en principe la seule langue officielle et la seule langue de travail,
diverses dérogations étant admises dans les deux domaines
par le règlement intérieur.
|
7.3 Les grandes organisations internationales
indépendantes de l'ONU
Les organisations indépendantes
du système des Nations unies se recensent par centaines si l'on
tient compte notamment non seulement des institutions et organismes centraux
mais également de leurs comités, offices, bureaux décentralisés.
Or, la situation du français y est importante et particulière.
Le français se voit reconnaître
dans la plupart d'entre elles le statut de langue officielle sans qu'il
ne soit fait mention de langue de travail. Tel est le cas à la Commission
des Communautés européennes (neuf langues officielles: français,
allemand, anglais, danois, espagnol, grec, italien, néerlandais,
portugais), à l'OTAN, à l'OCDE, au Conseil de l'Europe, à
l'UEO, à la Commission du Pacifique Sud, à l'OIPC-INTERPOL,
à la BERD, à l'OEA, à l'OUA. Dans toutes ces organisations,
le statut de langue officielle entraîne, juridiquement parlant, le
statut de langue de travail au sens indiqué ci-dessus. À
l'OCTI, le français est dit langue de travail, ce qui correspond
au double statut. À l'inverse, à l'INTELSAT et à l'INMARSAT,
le français est langue officielle mais n'est pas admis, comme à
l'AIEA et à la Banque interaméricaine de développement,
à titre de langue de travail.
Voici la liste des ces organisations internationales:
- Commission des Communautés
économiques européennes (CEE), Bruxelles;
- Organisation de coopération
et de développement économique (OCD E) , Paris;
- Organisation du Traité
de l'Atlantique Nord (OTAN), Bruxelles;
- Union de l'Europe occidentale
(UEO), Londres;
- Conseil de l'Europe, Strasbourg;
- Commission du Pacifique
Sud, Nouméa;
- Office central des transports
internationaux ferroviaires (OCTIF), Berne;
- Banque européenne
pour la reconstruction et le développement (BERD), Londres;
- Organisation internationale
de police criminelle (OIPC-INTERPOL), Lyon;
- International maritime
satellite organisation (INMARSAT), Londres;
- International Telecommunication Satellite organisation (INTELSAT), Londres;
- Organisation européenne
pour la sécurité de la navigation aérienne (EUROCONTROL),
Bruxelles;
- Organisation des États
américains (OEA), Washington;
- Organisation de l'Unité
africaine (OUA), Addis-Abeba.
Tel est, dans ses grandes lignes, le statut
juridique du français dans le plus grand nombre, et les plus importantes,
des organisations internationales. On ne saurait, encore une fois, être
exhaustif dans ce domaine. Presque toutes les organisations débattent
et légifèrent périodiquement sur le statut et l'emploi
de langues, ce qui relativise le statut des langues en la matière.
De plus, le statut d'une langue peut
changer. C'est ainsi que, en décembre 2009, le secrétaire général de la
Francophonie, Abdou Diouf, disait regretter «l'effacement du français dans les
organisations internationales», alors qu'il est «la deuxième langue la plus
enseignée dans le monde». Selon Abdou Diouf»: «La langue française est dans une
situation ambiguë. Cette langue progresse, elle est la deuxième langue la plus
enseignée dans le monde, le nombre de locuteurs augmente, la demande de français
sur tous les continents augmente et paradoxalement nous assistons à l'effacement
du français dans les organisations internationales», a-t-il précisé, citant
l'exemple de la Conférence de Copenhague sur le réchauffement climatique
(décembre 2009). Et M. Diouf a aussi ajouté: «Nous avons donc là un problème de
volonté politique au niveau de tous nos États.» C'est pourquoi il a recommandé
aux différents responsables des pays francophones de ne pas «se laisser
entraîner vers l'expression dans une autre langue». Évidemment, il s'agit de
l'anglais.
Jusqu'au XXe siècle,
les mots anglais empruntés par le français ne s'étaient
jamais imposés par doses massives, bien au contraire. Toutefois,
l'histoire contemporaine peut témoigner que les emprunts anglais
sont maintenant massivement entrés dans la langue. L'apport anglais,
soulignons-le, est récent dans l'histoire du français. On
peut même dire que, jusqu'au XVIIe siècle, l'influence
anglaise a été insignifiante: 8 mots au XIIe siècle,
2 au XIIIe, 11 au XIVe, 6 au
XVe, 14 au
XVIe, puis 67 au XVIIe, 134 au XVIIIe,
377 au XIXe et... 2150 au XXe siècle. Tous
les emprunts antérieurs au xviiie siècle ont été
intégrés au français de telle sorte que l'on ne les
perçoit plus de nos jours comme des mots anglais: est (<
east), nord (<north), ouest (<west), sud (<south),
paletot (<paltok), rade (<rad), contredanse (<country-dance),
pingouin (<pinguyn), paquebot (<packet-boat), comité
(<committee), boulingrin (<bowling-green), interlope (<
interloper), rosbif (<roast-beef), etc.
En définitive, c'est vers le milieu
du XVIIIe siècle que l'influence de l'anglais a commencé
à se faire sentir. Les mots concernent le commerce maritime, les
voyages exotiques et coloniaux, les mœurs britanniques, les institutions
parlementaires et judiciaires de la Grande-Bretagne, les sports hippiques,
les chemins de fer, les produits industriels. Dès le milieu du
XXe
siècle, les États-Unis ont relayé la Grande-Bretagne
et ont inondé de leurs mots le cinéma, les produits industriels,
le commerce, le sport, l'industrie pétrolière, l'informatique
et à peu près tout le vaste domaine des sciences et de la
technologie américaine.
En 1965, le linguiste Pierre Guiraud dénombrait
700 mots anglais passés au français depuis la fin de la Première
Guerre mondiale. Outre le fait que le calcul restait sûrement en deça de la réalité, le nombre des emprunts à
l'anglais s'est multiplié depuis ce temps au moins 2500. Toutefois,
à la différence de l'influence italienne qui a subi l'épreuve
du temps, l'influence anglo-américaine est encore trop récente
pour que nous puissions évaluer ce qu'il en restera dans 50 ou 100
ans. Comme on le sait, la plupart des emprunts transmis à une époque
donnée sont appelés à disparaître dans les décennies
qui suivent leur adoption. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'influence
de la langue anglaise restera très marquante dans l'histoire du
français comme celle du français sur l'anglais et de
plusieurs autres langues.
Rappelons-nous que, comme le rapporte si
bien la linguiste Henriette Walter, l'anglais demeure un
«vieux compagnon de route». En effet, depuis
neuf siècles, les rapports entre l'anglais et le français ont toujours été
«intimes» et les échanges
entre les deux langues ont toujours été déséquilibrés, d'abord à l'avantage du
français, puis aujourd'hui à celui de l'anglais. En effet, entre le
XIe siècle et
le XVIIIe siècle, le français a transmis à
l'anglais des milliers de mots au point où l'on peut affirmer que
de 50 % à 60 % du vocabulaire anglais est d'origine française.
Toutefois, le processus s'est inversé à partir du milieu
du XVIIIe siècle et les mots anglais ont alors nourri
la langue française. Ensuite, depuis le milieu du XXe
siècle, la tendance s'est considérablement accélérée
à partir, cette fois-ci, des États-Unis d'Amérique.
On recense dans les dictionnaires français
actuels plus de 2500 mots empruntés à l'anglais. Cette liste
pourrait considérablement s'allonger dans le cas des lexiques spécialisés.
Le développement de la technologie et la domination de l'anglo-américain
dans les sciences et les techniques actuelles laissent présager
une suprématie considérable de la langue anglaise à
l'échelle planétaire. Celle-ci est devenue la lingua franca
du monde contemporain, c'est-à-dire la langue véhiculaire
des communications internationales, tant sur le plan commercial que culturel,
scientifique, technologique et diplomatique (politique).
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette
arrivée massive de termes anglais dans la langue française,
car il s'agit plus que d'un engouement à l'exemple de ce que le
français a vécu avec l'italien au xvie siècle.
Il y a, bien sûr, la civilisation américaine qui exerce une
attraction considérable sur les francophones et transporte avec
elle les mots qui véhiculent cette même civilisation. Cependant,
on ne peut ignorer certaines causes d'ordre linguistique.
En effet, on sait que l'anglais est une
langue germanique (comme l'allemand et le néerlandais) alors que
le français est une langue romane (comme l'espagnol et l'italien).
Or, d'une part, en raison de l'influence exercée par le français,
l'anglais est devenu une langue fortement romanisée dans son vocabulaire;
d'autre part, le français a été relativement germanisé
par le francique lors de la période romane, ce qui explique en partie
certaines ressemblances étonnantes entre les langues française
et anglaise. De plus, l'anglais a toujours abondamment puisé dans
le latin et le grec pour acquérir les mots dont il avait besoin.
On peut, en effet, constater aujourd'hui qu'une très large part
du vocabulaire scientifique et technique anglais est d'origine gréco-latine,
ce qui facilite les acquisitions du français en raison, comme on
le sait, d'affinités naturelles avec les fonds latin et grec.
Deux lexicologues d'origine française,
Henriette Walter et Gérard Walter, ont effectué une analyse
minutieuse de 70 000 mots puisés dans Le Petit Larousse et
Le Petit Robert. Sur ce nombre de mots, ils ont relevé 8088
emprunts aux langues étrangères, soit 11 % du corpus. Le nombre des
langues s'élève à plus de 120. Bien sûr, toutes
ces langues n'ont pas la même importance. Ainsi, les mots empruntés
à l'anglais (2527) et à l'italien (1077) ne sauraient se
comparer à ceux empruntés au swahili (2), au coréen
(2) ou à l'iranien (1). Néanmoins, dans tous les cas, ils
reflètent la qualité des contacts qu'ont entretenus entre
eux les peuples au cours de leur histoire. En ce qui a trait au français,
les faits révèlent que ces contacts ont été
nettement plus étroits avec l'anglais, l'italien, l'ancien germanique, l'arabe, l'allemand et l'espagnol. Or, tous les peuples qui parlaient
ces langues ont été des voisins immédiats souvent
des ennemis des Français. Ainsi, la proximité géographique
et les conflits militaires ont-ils joué un rôle déterminant.
Le français contemporain est le
résultat d'une évolution divergente. D'une part, l'orthographe,
la syntaxe fondamentale et la morphologie n'ont guère changé depuis deux siècles, probablement parce que les
usagers n'en ont pas ressenti le besoin. D'autre part, la phonétique
et le lexique ont subi de profondes transformations, alors que les différences
phonologiques ont encore tendance à se réduire depuis le
début du siècle, le vocabulaire est devenu de plus en plus
complexe.
Contrairement aux siècles passés,
du moins dans les pays de langue maternelle française (France, Belgique,
Suisse, Québec), le français n'est plus l'apanage des classes
privilégiées ni même l'affaire uniquement de la France. Toutes les couches de la population s'expriment
maintenant dans une même langue et avec le minimum d'aisance nécessaire, tout en
maintenant des différences locales.
Il est possible que ce phénomène s'accentue en même
temps que se maintiendront et se développeront différentes
variétés de français à l'extérieur de la France. Lorsque l'unité linguistique
est atteinte, il n'est plus nécessaire de poursuivre une uniformisation
minutieuse. Mais aujourd'hui, maintenant que le français comme langue
maternelle n'a jamais été aussi vivant, il doit relever le
défi de hausser son statut comme langue seconde sur le plan international
et faire face à la concurrence étrangère, principalement
l'anglais.
Date de la dernière révision:
19 décembre, 2023
Histoire de la langue française
Histoire du
français au Québec