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Les emprunts
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Plan de l'article
1.
Le phénomène
des
emprunts linguistiques 1.1 Les causes des emprunts 1.2 Un processus d'enrichissement ou d'assimilation ? 1.3 Les types d'emprunts 1.4 Les organismes de contrôle 1.4 L'adaptation des emprunts 2. L'importance des emprunts du français 3.
L'apport des
langues anciennes au français 4. L'apport des langues modernes |
5.
L'apport du français régional et des langues périphériques 5.1 Le français régional 5.2 Les langues périphériques 6.
Le cas particulier de l'anglais 7. Les noms géographiques et les patronymes
8. Les
mots français dans les autres langues |
Lorsqu'on parle d'emprunt linguistique, on fait généralement allusion à un mot ou une expression qu'un locuteur ou une communauté emprunte à la langue d'une autre communauté linguistique, sans passer par la traduction, tout en l'adaptant parfois aux règles phonétiques, morphologiques et syntaxiques de la langue d'arrivée. Dans le dictionnaire Le Robert de 2010, on trouve la définition suivante:
(1826 (Ling.) Acte par lequel une langue accueille un élément d'une autre langue; élément (mot, tour) ainsi incorporé. Emprunts à l'anglais. ➙ anglicisme; aussi américanisme, canadianisme, germanisme, hispanisme, italianisme, latinisme. |
Dans le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (1994, Larousse), la définition du mot emprunt est la suivante:
Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne connaissait pas; l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes qualifiés d'emprunts. |
Le terme «emprunt» peut, il est vrai, paraître discutable dans la mesure où il n’y a jamais de contrat entre deux langues, encore moins de dette, d'autant plus que, d'une façon ou d'une autre, les mots n'ont pas à être rendus, une fois empruntés. On pourrait plutôt parler d'appropriation, de vol ou de pillage, mais ce genre d'emprunt n'enlève rien à la langue prêteuse. Bien au contraire, elle enorgueillit les locuteurs de cette langue.
Dans les faits, l'emprunt demeure un phénomène sociolinguistique très important dans les contacts entre les langues. Les pays situés les uns à côté des autres sont inévitablement soumis aux échanges linguistiques. L'emprunt linguistique est lié au prestige dont jouit un peuple et sa langue ou, dans le cas inverse, au mépris dans lequel on tient l'un et l'autre. Généralement, les peuples dominants transmettent les mots de leur langue aux peuples dominés; mais il peut arriver qu'une langue conquérante finisse par disparaître au profit de la langue conquise après lui avoir légué un nombre appréciable de mots. |
Les relations économiques, politiques et culturelles entre les pays provoquent l’entrée de certains éléments d'une langue dans une autre. Ce phénomène des emprunts a existé de tout temps, y compris dans l'Antiquité gréco-latine, peut-être même bien avant avec les Sumériens et les Babyloniens. Dès le début de son existence, vers le XIe siècle, l'ancien français a commencé à emprunter des mots à l'arabe, à l'allemand, au néerlandais, à l'italien, etc. Le latin avait, lui aussi, emprunté à d'autres langues, surtout au grec mais aussi aux langues italiques parlées par les peuples conquis (osque, ombrien, volsque, ligure, etc.). Dans la Gaule soumise par les Francs, le gallo-roman a massivement emprunté à la langue franque appelée «germanique». Tout au long de son histoire, le français a emprunté des milliers de mots à plusieurs autres langues, mais il en a aussi donné à d'autres avec lesquelles il a été en contact.
1.1 Les causes des
emprunts
Les principales causes des emprunts
linguistiques sont les guerres, le commerce et la colonisation. Quand on
examine la carte de l'Europe, on remarque
que les pays voisins de la France, particulièrement la
Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas et
l'Italie, ont transmis beaucoup plus de mots à la langue française
que d'autres pays. Par exemple la Grande-Bretagne (2515 mots),
l'Italie (1198
mots), l'Allemagne et l'Autriche (546 mots), l'Espagne (476 mots),
les Pays-Bas (249 mots) et le Portugal (117 mots):
Il faut ajouter à ces exemples les cas de l'occitan (479 mots) dans le sud de la France, du franco-provençal (42 mots) dans l'est et le catalan (18 mots) en Espagne. |
Si l'on fait exception de la Russie (97 mots), les autres pays, par leur langue nationale, ont donné nettement moins de mots au français, que ce soit la Norvège (16), la Suède (24), le Danemark (7), l'Irlande (10), la Slovaquie (5), la Serbie (4), la Grèce moderne (7), l'Albanie (2), l'Ukraine (1), l'Estonie (1), etc.
Il est donc normal que ce soit les pays voisins qui s'échangent des mots, généralement en raison des guerres ou des rapports commerciaux, à moins que la colonisation puisse en quelque sorte faire fi des distances dans la mesure où ce sont les colonisateurs qui s'installent de force dans un autre pays éloigné pour s'emparer de ses richesses. À ce moment-là, certains mots régionaux désignant des réalités locales peuvent s'intégrer dans la langue des colonisateurs.
Quand la France s'est mise à coloniser le nord de l'Afrique ou la Grande-Bretagne le sud du même continent, ce n'est pas la proximité géographique qui a joué, mais les rapports de force, sinon la guerre. D'ailleurs, beaucoup de mots empruntés servent à désigner des réalités de la guerre ou des réalités locales. Une fois intégré ou assimilé dans la langue d'arrivée, l'emprunt — lorsqu'on peut encore l'identifier — n'est plus perceptible que par des spécialistes, généralement des philologues ou des linguistes. C'est le cas de presque tous les emprunts anciens tirés du latin, du francique, de l'arabe, de l'italien, etc. La question des emprunts linguistiques constitue ainsi un merveilleux reflet des relations multiples que des groupes humains ont entretenu ou entretiennent encore entre eux. Les emprunts reflètent une partie de l'histoire des peuples et des rapports de force passés ou présents, donc également l'histoire de leur langue.
Les causes des emprunts apparaissent comme intimement liées aux conditions socio-historiques, particulièrement politiques et économiques, qui font évoluer les situations sociolinguistiques. Nous savons, par exemple, que la langue anglaise a intégré un grand nombre de mots d'origine française, mais il ne s'agit pas d'un mouvement naturel d'échanges entre les langues française et anglaise, c'est en fait parce que les Vikings scandinaves devenus des Normands se sont francophonisés avant de conquérir l'Angleterre en 1066 à la suite d'une invasion militaire. Avec les siècles, la situation a été inversée, notamment depuis le milieu du XXe siècle, le prestige de l'anglais ayant suivi la progression ascendante du pouvoir socio-économique des États-Unis. Comme il est facile de le constater, c'est presque toujours la langue dont le statut socio-économique est le plus faible qui emprunte massivement à la langue bénéficiant du plus grand prestige et de la plus grande force économique. Aujourd'hui, non seulement le français est fortement touché par l'anglais dans son évolution, mais c'est également le cas d'un très grand nombre de langues, que ce soit le portugais, l'allemand, le suédois, l'hindi, le japonais, etc.
Dès que deux cultures se trouvent en contact, il y a échanges d’idées, d’informations, de produits et en général d'éléments de vocabulaire. Par exemple, dans l'Antiquité, les Grecs ont créé le concept de démocratie et le mot qui le désigne a été emprunté plus tard par le latin avant de passer au français. Le rôle de l'emprunt linguistique comme processus d'enrichissement des langues demeure incontestable. L'emprunt est considéré comme tel surtout lorsque ce phénomène ne touche que superficiellement les structures de la langue d'arrivée. On peut admettre que les emprunts viennent généralement combler un vide pour désigner de nouvelles réalités. L'emprunt devient alors non seulement légitime, mais nécessaire. |
- Un procédé économique
On emprunte d'abord par mesure d’économie : il est beaucoup plus aisé d'intégrer un mot étranger dans une langue que d'en inventer un nouveau. Par exemple, lorsqu'un fruit comme le kiwi arrive sur le marché, on conserve le mot tel quel, alors qu'il provient du maori avant de passer par l'anglais qui l'a transmis aux autres langues, dont le français. Ce fut dans le passé le cas pour le café (< turc: kahave), le cacao (< aztèque: cacao), l'alpaga (< quechua: alpaka), le bungalow (>hindi: bangla), le barbecue (< espagnol: barbacoa), etc. Ce phénomène d'emprunt adaptable semble plus fréquent dans des domaines où le vocabulaire se développe rapidement, notamment dans les nouvelles technologies grâce aux médias et à l'Internet.
L'emprunt est donc un mode d'enrichissement des langues, mais il est soumis, au sein de chacune des sociétés, à un jeu de forces sociales régies par l’influence de plusieurs facteurs, dont les échanges socio-économiques, l'importance des médias, la volonté d'intervention des pouvoirs publics, les moyens d'apprentissage et de formation, les attitudes des locuteurs à l’égard des langues, etc. Selon cette même dynamique, les conséquences des emprunts peuvent être différentes. Ils sont acceptés facilement ou au contraire avec de fortes réticences; ils s'intégreront rapidement ou lentement, ou demeureront intacts dans la langue d'arrivée.
En employant le vocabulaire d'une autre langue au lieu des mots de sa propre langue qu'il connaît déjà, un locuteur témoigne de son attirance à une autre communauté linguistique que la sienne. Dans des situations de langues en contact, les phénomènes d'alternance linguistique peuvent être parfois nombreux. C'est alors que les changements d'allégeance linguistique peuvent devenir plus ou moins importants, voire mener à long terme à une assimilation culturelle.
- Le mimétisme de la puissance
Mais il n'est pas si aisé de déterminer qu'un emprunt est nécessaire ou utile à une collectivité linguistique donnée. De façon normale, les usagers d'une langue n'évaluent pas un emprunt de façon analytique et rationnelle. Ils agissent plutôt de façon spontanée et par mimétisme. Il est plus simple et plus commode de recourir aux mots qu'on entend autour de soi que de chercher les équivalents proposés par un organisme officiel, par les pouvoirs publics ou par des ouvrages savants, et ce, même quand ceux-ci sont disponibles en ligne tout à fait gratuitement.
Il arrive que, dans certaines sociétés, de nombreux locuteurs développent une facilité déconcertante pour s'exprimer avec des mots étrangers (p. ex. en anglais). Ces locuteurs peinent parfois à trouver le même terme dans leur langue maternelle, quand ils ne les ignorent pas totalement. C'est ce qu'on appelle la solution du mimétisme linguistique qui est adoptée dans ces cas-là. Par ailleurs, il n'est pas si évident d'exiger que des locuteurs emploient des mots nouveaux de leur langue, dans la mesure où beaucoup de termes arrivent d'abord en anglais et qu'ils sont employés immédiatement, alors que le travail des terminologues sera connu beaucoup plus tard, c'est-à-dire au bout de plusieurs semaines, voire de mois. Or, il devient plus difficile de modifier un comportement linguistique, une fois un usage adopté.
- Les doublets
Il est possible que des emprunts étrangers ne servent aucunement à combler une lacune d'une langue, dans ce cas-ci le français. On a alors des doublets dont la contrepartie française est souvent connue, comprise, mais pas nécessairement employée. Ce sont parfois des mots anglais que les locuteurs continuent de préférer aux propositions officielles des organismes linguistiques et qui, étant donné la fréquence de leur emploi, vont probablement passer dans la norme. Pour de nombreux locuteurs, un mot anglais, même s'il fait double emploi avec un équivalent français, peut être perçu comme «normal», car il répond à un mimétisme qui est moins de nature linguistique que social, c'est-à-dire qu'il correspond à un souci de ne pas se démarquer des autres ou de ne pas passer pour un «policier de la langue». C'est dans ce sens que le recours aux emprunts peut ne plus être une source d'enrichissement, mais un facteur d'assimilation culturelle et linguistique.
1.3 Les types d'emprunts
Quand on parle des emprunts, on fait
souvent référence aux seuls emprunts lexicaux, lorsque quelqu'un a recours aux mots étrangers pour les intégrer dans sa propre langue.
En vue de simplifier le processus, on admettra qu'il existe trois types
d'emprunts :
1) l'emprunt direct : quand un mot ou un groupe de mots est repris sans modification (staff, shopping, cannelloni, etc.) ou avec adaptation phonétique ou orthographique.
2) le calque : quand le mot ou le groupe de mots est traduit, plus ou moins fidèlement, dans la langue d’arrivée.
3) l'emprunt sémantique: quand un sens d'origine étrangère est ajouté à un mot de la langue d'arrivée.
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Aujourd'hui, les
emprunts, notamment à l'anglais, font souvent l'objet de critiques et pas
uniquement pour le français, mais également pour le portugais, l'allemand, le
polonais, l'arabe, etc. Évidemment, les emprunts plus anciens comme film
ou cafétéria ne sont pas rejetés, et ce, d'autant plus lorsqu'ils n'ont tout
simplement pas d'équivalent dans d'autres langues (jeans, tee-shirt,
aluminium, trust, etc.).
Le problème se pose lorsque l’emprunt semble manifestement inutile parce
qu’un ou plusieurs équivalents sont en usage en français. Par exemple, les
doublets suivants: building/immeuble, staff/personnel, cockpit/cabine,
offshore/extraterritorial, etc.). Cependant, le critère de l'utilité ou
de l'inutilité n'est pas nécessairement facile à appliquer. Il faut aussi
évaluer l'usage et la fréquence de ces termes nouveaux.
1.4 Les organismes de contrôle
Dans de nombreux pays
du monde, il existe des organismes de contrôle destinés à
réguler l'apparition des nouveaux mots, de même que des problèmes
reliés à la grammaire ou à la prononciation. En anglais, on
parle de "language regulator" et de "language policy"
pour désigner une politique linguistique.
Ces organismes sont là pour définir et gérer la politique linguistique en matière d'officialisation et de terminologie; ils doivent en principe veiller à ce qu'une langue donnée soit la langue habituelle et normale des communications, du travail, de l'école, etc.; ils peuvent surveiller l'évolution de la situation linguistique de leur pays et en faire rapport aux autorités compétentes; ils peuvent aussi assurer le respect des lois et des règlements en agissant d'office à la suite de la réception des plaintes; ils peuvent enfin établir les programmes de recherche nécessaires à l'application de la loi et effectuer ou faire effectuer les études prévues par ces programmes. On comprendra que les organismes de contrôle ont un grand rôle à jouer dans la création des mots nouveaux ainsi que dans l'acceptation des emprunts. |
En France, ces organisme sont l'Académie française et la Délégation générale à la langue française. Au Québec, c'est l'Office québécois de la langue française. En Belgique (Fédération Wallonie-Bruxelles), c'est le Service de la langue française. En Suisse, c'est la Délégation à la langue française. Des organismes linguistiques existent aussi dans de nombreux autres pays pour diverses langues. En Italie, l'organisme de contrôle s'appelle l'Accademia della Crusca. Le mot Crusca désigne le «son», plus précisément la farine du son. L'objectif était celui de séparer le son de la farine, bref les mots nobles des mots non nobles, les mots «purs» des mots «impurs». Le terme fait référence ainsi aux mots «vulgaires», non «nobles », qui avaient envahi la langue toscane, car les modèles du Bon Usage de la langue italienne, le toscan plus exactement, pour l'académie des puristes du XVIe siècle étaient Boccace et Pétrarque. On ne peut pas traduire «Accamemia della Crusca», par Académie du son, mais par «Académie des puristes» ou «Académie pour la sauvegarde de la pureté de la langue». Le choix de l'appellation "Accamemia della Crusca" semble ambigu, car l'accent est mis sur la "Crusca" plutôt que sur le «Bon Usage».
Le tableau ci-dessous présente une liste non exhaustive des organismes linguistiques en activité dans divers pays :
État ou gouvernement | Appellation d'origine | Transcription française |
France |
Académie française Délégation générale à la langue française |
- |
Belgique (Fédération
Wallonie-Bruxelles) |
Service de la langue française | - |
Suisse | Délégation à la langue française | - |
Québec | Office québécois de la langue française | - |
Albanie | Këshilli Ndërakademik për Gjuhën Shqipe | Conseil interuniversitaire de la langue albanaise |
Algérie |
Aseqqamu Unnig n Timmuzɣa ( المحافظة السامية
للأمازيغية) المجلس الأعلى للغة العربية بالجزائر |
Haut
Commissariat à l'Amazighité Conseil suprême de la langue arabe |
Allemagne |
Rat für deutsche Rechtschreibung Serbski institut |
Conseil
pour l'orthographe allemande Institut sorbe |
Brésil | Academia Brasileira de Letra | Académie brésilienne des lettres |
Croatie | Institut za hrvatski jezik i jezikoslovlje | Institut de la linguistique et de la langue croate |
Danemark |
Dansk Sprognævn Danske Sprog - og Litteraturselskab |
Conseil
de la langue danoise Société pour la langue et la littérature danoises |
Égypte | مجمع اللغة العربية (majmae allughat alearabia) | Académie de la langue arabe |
Espagne | Real Academia Española | Académie royale espagnole |
Catalogne | Dirección General de Política Lingüística | Direction générale à la politique linguistique |
Pays basque | Instituto Vasco Etxepare Euskal Institutua / Basque Institute | Institut basque Etxepare |
Galice | Real Academia Galega | Académie royale galicienne |
Asturies | Academia de la Llingua Asturiana | Académie de la langue asturienne |
Estonie | Eesti keelenõukogu | Conseil de la langue estonienne |
Finlande | Kotimaisten kielten keskus | Institut des langues de Finlande |
Haïti | Akademi Kreyòl Ayisyen | Académie du créole haïtien |
Israël | האקדמיה ללשון העברית / Academy of the Hebrew Language | Académie de la langue hébraïque |
Islande | Árni Magnússon Institute | Institut de la langue islandaise |
Italie | Accademia della Crusca | Académie du Bon Usage |
Inde | Department of Official Language | Département de la langue officielle |
Irlande | Bord na Gaeilge | Conseil de la langue gaélique |
Lettonie | Valsts valodas aģentūra | Agence de la langue officielle |
Lituanie | Valstybinė lietuvių kalbos komisija | Commission nationale de la langue lituanienne |
Macédoine | Совет за македонски јазик (Sovet za makedonski jazik) | Conseil de la langue macédonienne |
Malte | Malti Kunsill Nazzjonali tal-Ilsien / National Council for the Maltese Language | Conseil national de la langue maltaise |
Mexique | Academia Mexicana de la Lengua | Académie mexicaine de la langue |
Nigéria | Yoruba Academy | Académie yorouba |
Norvège | Norsk språkråd | Conseil de la langue norvégienne |
Nouvelle Zélande | Māori Language Commission / Te Taura Whiri i te Reo Māori | Commission de la langue maorie |
Pays-Bas |
Nederlandse Taalunie Orgaan voor de Friese taal / Orgaan foar de Fryske taal (frison) Fryske Akademy |
Union de
la langue néerlandaise Conseil de la langue frisonne Académie frisonne |
Pologne | Rada Języka Polskiego | Conseil de la langue polonaise |
Portugal |
Academia das Ciências de Lisboa Anstituto de la Lhéngua Mirandesa |
Académie des sciences de Lisbonne Institut de la langue mirandaise |
Royaume-Uni | Aucun organisme de contrôle |
- |
Écosse | Bòrd na Gàidhlig | Bureau du gaélique |
Pays de Galles | Bwrdd yr Iaith Gymraeg | Bureau de la langue galloise |
Russie | Институт русского языка (Institut russkogo yazyka) | Institut de la langue russe |
Suède |
Svenska språknämnden Nämnden för svensk språkvård Terminologicentralen |
Conseil
de la langue suédoise Commission de la planification de la langue suédoise Centre de terminologie |
Turquie | Türk Dil Kurumu | Institut de la langue turque |
Ukraine | Рада мовної політики (Rada movnoyi polityky) | Conseil de la politique linguistique |
En plus des organismes de contrôle, certains États mettent en place des dispositifs législatifs pour limiter le nombre d'emprunts aux langues étrangères. Les mots d’emprunt sont normalement moins nombreux que les mots hérités de la langue-mère, sauf pour l'anglais et la plupart des créoles. La majorité des langues n'ont acquis qu'un faible pourcentage de mots étrangers dans leur système linguistique. De plus, les emprunts sont généralement intégrés et adaptés à la langue d'arrivée. Il s'agit là d'un procédé courant et enrichissant dans la vie des langues. Le linguiste Claude Hagège affirme que l'intégrité d'une langue n'est assurée que dans la mesure où les emprunts ne dépassent pas un seuil de tolérance, ce qu'il évalue à environ à 15 % du lexique. Cependant, l'anglais, dont les deux tiers du lexique proviennent du français, du normand et du latin, n'a jamais été en danger. C'est que les mots empruntés ont toujours été adaptés à la grammaire et à la phonologie anglaises.
- Le double emploi
Parmi les dangers possibles de l'adoption des emprunts, il faut signaler, répétons-le, le double emploi, alors qu'il existe des équivalents dans sa propre langue, le trop grand nombre d'emprunts, et la conservation de la prononciation de la langue étrangère. Afin d'être en mesure de concurrencer une langue comme l'anglais à notre époque dans plusieurs secteurs d'activités, il faut que les organismes linguistiques, que ce soit pour le français, l'espagnol, le portugais, le swahili, etc., demeurent à la fine pointe de la création lexicale et interviennent rapidement pour s'engager dans une dynamique d'enrichissement linguistique et non pas qu'ils se maintiennent à la remorque constante d'une force vitale qui les domine. C'est à ce prix qu'une langue réussit à se construire une identité culturelle et à s’imposer dans plusieurs domaines de la vie économique et sociale.
- Le prestige de la langue prêteuse
L'une des causes des emprunts provient, bien sûr, du prestige de la langue prêteuse. De nos jours, c'est l'anglais qui est la grande langue véhiculaire. Le fait d'adopter des mots de cette langue peut donner l'impression de participer aux richesses liées à l'usage de celle-ci. À ce sujet, le linguiste Claude Hagège fait allusion au «mimétisme de la puissance». Cette attitude consiste à renoncer à sa langue nationale, non par une hostilité interne à cet égard, mais pour faire partie des pays ou de ceux qui sont considérés comme riches ou puissants. Ainsi, adopter l'anglais, ce serait faire partie de ces «privilégiés». Il s'agit en fait d'une forme de snobisme qui a déjà été décrié par le général de Gaulle au sujet des Français anglophiles:
Car le snobisme anglo-saxon de la bourgeoisie française est quelque chose de terrifiant. Il y a chez nous toute une bande de lascars qui ont la vocation de la servilité. Ils sont faits pour faire des courbettes aux autres. Et ils se croient capables, de ce seul fait, de diriger le pays. |
Le désir compulsif d'être «à la mode» pousse des centaines d'employeurs à imposer l'utilisation de l'anglais à leurs employés. Autrement dit, non satisfaits de courber l'échine, des entreprises et des pays non anglophones en redemandent! On pourrait dire que c'est témoigner d'une vassalité certaine et d'un collaborationnisme empressé à satisfaire les désirs anticipés du principal bénéficiaire, les États-Unis d'Amérique. Les emprunts sont souvent perçus négativement lorsqu'ils sont considérés comme une menace, en particulier lorsqu'une langue puise massivement dans le lexique d'une autre qui se trouve en position de domination économique ou démographique. Cette attitude a toujours existé dans l'histoire de l'humanité, de l'Antiquité jusqu'à nos jours.
1.5 L'adaptation des emprunts
Les prises de position sur les emprunts en français, sinon en d'autres langues, soulèvent des questions sur l'ensemble des propos tenus sur cette langue. À toutes les époques de son histoire, la langue française a emprunté des mots à d'autres langues et a su en général les intégrer phonétiquement et grammaticalement dans son système. Dans la plupart des cas, les francophones d'aujourd'hui ignorent qu'ils emploient des termes empruntés à l'italien, à l'espagnol, au néerlandais, au danois ou au croate. La question est plus sensible pour les emprunts récents à l'anglais. En général, les propos sur l’emprunt perpétuent à leur façon l’idée d’une langue pure tout en reflétant les rapports de force, symboliques ou réels, qui existent entre les langues en situation de contact.
Voici en résumé les formes
d'adaptation:
L'adaptation graphique et phonétique |
Harmonisation de la prononciation et de la graphie étrangère |
all.
Akkordion > accordéon angl. supermarket > supermarché angl. toilet paper > papier de toilette (papier hygiénique) arabe Al-kohl > alcool danois ederdon > édredon ital. baldicchino > baldaquin néerl. fluit > flûte (navire) |
L'ajout de signes diacritiques |
Ajouts des accents français et suppression des signes étrangers |
angl.
media > média esp. bolero > boléro ital. belvedere > belvédère |
L'adaptation grammaticale | Adaptation du féminin et du pluriel | ital.
confetti > confettis ital. paparazzi > paparazzis angl. punch > un punch / des punchs angl. laser > un laser / des lasers angl. video > une vidéo / des vidéos |
L'adaptation des préfixes et des suffixes | Usage des préfixes et des suffixes | angl.
doping > dopage angl. bug > bogue > déboguer, débogage, débogueur |
Voici quelques
exemples de mots français adaptés dans des langues étrangères:
Mots français d'origine | Mots adaptés | Langue d'arrivée |
abat-jour bouquet |
abajur buquê |
portugais |
chrome toilette |
crom toaleta |
catalan |
béchamel chauffeur |
besamel chòfer |
espagnol |
acrobate oxygène préparation |
akrobat oksigen preparasyon |
turc |
asphalte baguette |
āsfālt bāget |
iranien |
barricade brochure |
Barricade Broschüre |
allemand |
directeur côtelette |
direktør kotelet |
danois |
cassette couscous |
kassette kúskús |
islandais |
Dans les siècles passés, la langue anglaise a également adapté ses emprunts, notamment ceux qu'elle a pris de l'ancien français:
Mots anglais |
Ancien français |
crown dispatcher eagle engineer |
|
jacket jewel labour launch laundry |
|
Il existe d'autres adaptations possibles, mais ce sont là les plus évidentes pour la plupart des locuteurs.
Dans les lignes qui suivent, nous allons utiliser le dictionnaire
Le Robert (en version électronique de 2010) comme source de référence pour
analyser l'importance des emprunts en français. Ce dictionnaire compte 60 000 mots,
dont 11 825 d'origine étrangère
pour environ 90 langues, ce qui exclut le
latin qui demeure un cas plus complexe dans la mesure où une grande partie des
mots de cette langue ne provient pas d'un emprunt, mais d'une évolution
phonétique. Cela signifie que
le français possède des emprunts lexicaux dans une proportion de 19,7 % dans
l'ensemble du dictionnaire. Ces mots
témoignent des relations que les locuteurs du français ont entretenues avec les autres
peuples au cours de leur histoire, notamment en ce qui concerne les guerres, la
colonisation et le commerce. Le tableau qui suit présente une liste de langues
qui ont donné des mots au français:
Groupe de langues | langue |
Langues pré-indo-européennes |
ibère, ligure, étrusque, basque |
Langues sémitiques |
arabe classique, arabe maghrébin, berbère, hébreu, égyptien ancien, amharique, etc. |
Langues d’Asie |
malais, hindi, chinois, sanskrit, coréen, hindoustani, indonésien, tibétain, malayalam, japonais, mongol, tamoul, vietnamien, tatar, khmer, kirghiz |
Langues slaves | russe, tchèque, polonais, serbe, croate, bulgare |
Langues amérindiennes ou autochtones |
tupi-guarani, algonquin, caraïbe, quechua , inuktitut, aztèque, guarani, arawak, huron, iroquois (mohawk) |
Langues scandinaves | norvégien, suédois, danois, islandais |
Langues africaines |
bantou, malinké, wolof, swahili, yorouba, zoulou |
Autres langues | langues celtiques (gaélique écossais, gallois), hongrois, araméen, roumain, frison, assyrien, finnois, créole, lapon, turc, etc. |
Selon les langues prêteuses, la quantité des mots peut varier énormément, ainsi que la durée de leur influence sur la langue d'arrivée. Pour le français, la figure ci-dessous donne un aperçu par ordre décroissant des langues prêteuses au cours de l'histoire, en commençant par le grec ancien, l'anglais, l'italien, l'allemand, etc.:
Le tableau suivant présente le nombre des mots empruntés parmi les langues numériquement les plus importantes:
Langue étrangère | Nombre | Pourcentage sur 10 931 mots |
Grec ancien † | 3776 | 34,5 % |
Anglais | 2510 | 22,9 % |
Italien | 1198 | 10,9 % |
Allemand | 598 | 5,4 % |
Arabe + autres langues afro-asiatiques | 528 | 4,8 % |
Espagnol | 461 | 4,2 % |
Francique † | 368 | 3,3 % |
Langues d'Asie | 262 | 2,3 % |
Néerlandais | 249 | 2,2 % |
Langues slaves | 173 | 1,5 % |
Gaulois † | 147 | 1,3 % |
Langues amérindiennes | 135 | 1,2 % |
Portugais | 117 | 1,0 % |
Persan (iranien/farsi) | 83 | 0,7 % |
Normand † | 78 | 0,7 % |
Turc | 75 | 0,6 % |
Langues scandinaves (suédois, norvégien, danois) | 47 | 0,4 % |
Langues africaines (wolof, swahili, etc.) | 35 | 0,3 % |
Langues créoles | 26 | 0,2 % |
Autres langues non mentionnées | 65 | 0,5 % |
TOTAL - Source: Le Robert 2010 |
10 931 |
100 % |
On constate que le grec ancien (3776 mots), l'anglais (2510 mots), l'italien
(1198), l'allemand (598), l'arabe ainsi que les autres
langues afro-asiatiques
(528 mots), l'espagnol (461 mots), l'ancien francique (368 mots), le néerlandais
(249 mots), l'ancien gaulois (147 mots), le portugais (117 mots), de même que
certaines langues d'Asie, certaines langues slaves et
amérindiennes ont donné
le plus de mots au français. Ces langues ont, ensemble, enrichi le lexique
français de 10 931 mots, soit 18,2% du total.
Les langues anciennes qui ont influencé le français sont le latin, le grec et le francique, comme dans une moindre mesure le gaulois. Quant on parle du latin, il s'agit d'abord du latin populaire, celui parlé par le peuple, puis du latin classique au moment de l'Empire, ainsi que du grec ancien et de la langue celtique des Gaulois conquis par les Romains, pour finir avec le francique, une langue germanique parlée par les Francs qui ont envahi en 450 le nord de la Gaule romaine.
3.1 Les mots latins d'origine populaire
Nous savons que la majorité des mots français viennent du latin, comme c'est le cas pour les autres langues romanes (espagnol, portugais, catalan, occitan, italien, sarde, roumain, etc.). On distingue deux sortes d'origine latine. Les mots d'origine populaire proviennent de la transformation des mots latins employés par le peuple employant une langue familière appelée «latin vulgaire» (< lat. vulgus: «peuple»). Ces mots, aujourd'hui devenus français, sont issus du latin parlé après avoir subi, durant quelques siècles, de lentes transformations phonétiques. Ainsi, nous avons maintenant les mots suivants en français (chanter, rive, lent, clarté, cheval, etc.). Le latin populaire ou vulgaire se distingue du latin classique, qui désigne la forme du latin employé dans la Rome antique, notamment dans sa littérature considérée comme «classique» et qui faisait autorité à cette époque. Son utilisation s'est étendue du Ier siècle avant notre ère jusqu'au début du Ier siècle de notre ère. Quant au latin populaire, il a été parlé du IIIe siècle au IXe siècle. Voici quelques exemples d'évolution phonétique à partir du latin jusqu'à aujourd'hui :
Latin classique (1) | Prononciation latine | Période romane (2) | Ancien français (3) | Prononciation moderne (4) | Écriture moderne |
vacca | [wak-ka] | [wa-tʃé] | [va-tʃë] | [vaʃ] | vache |
gamba | [gam-ba] | [djam-ba] | [ʒam-bə] | [ʒɑ̃b] | jambe |
caelu | [kae-lou] | [tsjɛl] | [tsjɛl] | [sjɛl] | ciel |
Les mots vacca, gamba et caelu appartiennent au latin classique. Après l'Empire, la prononciation s'était déjà grandement transformée (watʃé, djamba et tsjɛl) pour devenir en ancien français vatʃë, ʒambə et tsjɛl. Le français moderne en arrivera à vaʃ (vache), ʒɑ̃b (jambe) et sjɛl (ciel). Il faut aussi comprendre que ces transformations se sont étendues sur plusieurs siècles avec de multiples modifications mineures, sans que les locuteurs s'en aperçoivent d'une génération à l'autre.
Mot latin
Transformation phonétique française
En espagnol En italien En portugais cantare
ripa
lentum
claritate
caballum
saponechanter
rive
lent
clarté
cheval
savoncantar
río
lento
claridad
caballo
jabóncantare
riva
lento
chiarezza
cavallo
saponecantar
rio
lento
clareza
cavalo
sabãovita
gamba
ratione
hospitalis
potio
dorminoriumvie
jambe
raison
hôtel
poison
dortoirvida
gamba
razón
hospicio
veneno
dormitoriovita
gamba
motivo
hotel
veleno
dorminoriovida
gamba
razão
hotel
veneno
dormitórioLorsque nous comparons les mots latins aux mots français, nous constatons que les transformations phonétiques ont été parfois importantes (cantare >chanter; caballum > cheval), alors que d'autre ont été minimes (ripam > rive; vitam > vie; lentum > lent), mais les mots français sont toujours plus courts que ceux d'origine en latin.
Les transformations phonétiques ont été au contraire beaucoup moins importantes en espagnol, en italien et en portugais; des mots sont demeurés parfois inchangés par rapport au latin (ital. cantare, vita, gamba) ou ont subi des modifications mineures (esp. cantar, ital. riva, esp. caballo, port. dormitório).
À proprement parler, ces mots n'ont pas été empruntés au latin, ce sont des mots latins qui, progressivement, sont devenus des mots français, espagnols, italiens ou portugais.
3.2 Les mots empruntés au latin
Les mots empruntés au latin ont fait leur apparition bien après les conquêtes germaniques et la disparition de l'Empire romain pour désigner des mots abstraits, techniques ou scientifiques, en les reproduisant tels quels (aquarium) ou en francisant la partie finale (facilis = facile).
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C'est que le français a
aussi eu recours à des emprunts au latin, surtout à partir de la Renaissance.
Il ne s'agit donc pas d'évolution phonétique dans ce cas, mais
d'emprunts puisés directement dans le latin en francisant la
prononciation, généralement la finale des mots:
actif < activus ; anémie < anaemia ;
capituler < capitulare
; épidémie < epidemia ; hôpital < hospitalis ;
âcre <
acrem ; légal < legalis ; capitale < capitalem
; naviguer < navigare, etc. De façon générale, ces emprunts correspondent à des mots considérés comme «savants» (âcre, rigide, fragile, etc.) ou carrément scientifiques (cautériser, conservatif, hibernation, métonymie, obnubilation, etc.). |
Certains mots français ont une double origine latine. On les appelle des doublets, car ce sont des mots dont l'un résulte de l'évolution phonétique, l'autre, d'un emprunt direct. Ainsi, les mots hôtel et hôpital viennent tous deux du même latin hospitale. Les mots plus éloignés du latin (hôtel, aigre, raide, frêle, loyal, etc.) ont subi des transformations phonétiques, alors que les autres ont été puisés dans le bas-latin et adaptés à la langue romane: hôpital, âcre, rigide, fragile, légal, etc.
Les doublets proviennent donc d'un même mot latin, l’un par la voie populaire (évolution phonétique), l’autre par la voie savante (emprunt direct). Leurs significations peuvent être proches comme raide/rigide ou éloignées comme peser/penser ou orteil/article.
Dans les faits, le français a emprunté au latin de diverses façons
et à différentes époques. Le dictionnaire Le Robert
distingue à ce sujet plusieurs catégories d'emprunts au latin:
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Le bas-latin est la variété qui a succédé au latin impérial et qui a été pratiqué par les lettrés pendant tout le Moyen Âge; le latin tardif est celui qui s'est écrit entre les IIIe et VIIIe siècles. Le latin d'Église est aussi appelé «latin ecclésiastique». Le peuple, lui, parlait le latin dit «vulgaire» (vulgus: «peuple»).
Lorsque nous incluons des mots du latin dans le nombre des emprunts, ainsi que ceux du grec ancien, nous constatons que ces deux variétés de langues atteignent près de 16 000 termes. Ce nombre est considérable par comparaison aux langues modernes comme l'anglais européen (2500 mots), l'italien (1140 mots), l'arabe (416 mots) ou l'espagnol d'Espagne (419 mots), etc. Même en ajoutant les emprunts à l'anglo-américain (315 mots) et à l'anglais ancien (27 mots), l'apport des langues modernes, à l'exception de l'italien et de l'anglais, demeure assez modeste dans l'histoire du français.
Pourtant, le français a emprunté des mots à plus de 90 langues étrangères. Il faut reconnaître que, dans un grand nombre de cas, les emprunts ont été fort réduits: ukrainien (1 mot), estonien (1 mot), letton (1 mot), lituanien (1 mot), amharique (1 mot), kirghiz (1 mot), ouzbek (1 mot), sango (1 mot), somali (1 mot), bulgare (2 mots), albanais (2 mots), huron (2 mots), malinké (2 mots), roumain (3 mots), biélorusse (4 mots), islandais (4 mots), serbe (4 mots), mongol (5 mots), slovaque (5 mots), etc. Avec moins d'une vingtaine de mots empruntés, nous pouvons affirmer que ces langues étrangères ont exercé une influence négligeable. Par comparaison, l'influence du latin et du grec a été considérable.
Le tableau ci-dessous présente les mêmes langues que la figure précédente, mais en indiquant les pourcentages au lieu des nombres. C'est ainsi qu'on constate que les emprunts au latin constituent 19,8 % des emprunts totaux en français. Suivent le grec ancien (6,2%), l'anglais 4,1%), l'italien (2%), l'allemand (0,9%), l'arabe (0,8%), l'espagnol (0,7%), le francique (0,6%), toutes les langues d'Asie réunies (chinois, hindi, malais, javanais, indonésien, etc. : 0,4%), le néerlandais (0,4%), toutes les langues slaves (russe, biélorusse, polonais, serbe, etc.: 0,2%), le gaulois (0,2), toutes les langues amérindiennes (huron, algonkin, aztèque, guarani, etc.: 0,2).
En somme, le français ayant emprunté 19,8% de mots au latin, c'est encore plus que toutes les autres langues réunies dont la proportion totale n'atteint pas 17%.
Si l'on ne tient compte que des langues étrangères modernes, la proportion des emprunts n'atteint pas les 10%. Par comparaison avec l'anglais qui a emprunté plus des deux tiers de ses mots à d'autres langues, nous pouvons constater que le français n'a pas emprunté beaucoup de mots étrangers au cours de son histoire.
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Le tableau ci-contre
montre quelques exemples de locutions latines — il y en a quelques
centaines — que les francophones du monde emploient, dont
certaines
de façon très régulière. Ce sont de véritables expressions d'origine latine
utilisées comme des emprunts directs.
De nombreuses locutions sont entrées depuis longtemps dans le vocabulaire français ou elles ont été francisées dans l'écriture: c'est le cas de plusieurs locutions, notamment des expressions courantes comme vice-versa, grosso modo, alter ego ou de l’abréviation etc., qui ne sont presque plus perçues comme des mots étrangers. L’usage hésite parfois entre l'emploi de l'italique et celui des caractères romains. Ajoutons que, selon les propositions de rectifications de l'orthographe, les locutions latines peuvent maintenant être accentuées, le cas échéant; on peut écrire, par exemple, a priori ou à priori, a fortiori ou à fortiori. |
La langue anglaise utilise également de nombreuses locutions latines: a fortiori, a posteriori, a priori, alter ego, annus horribilis, annus mirabilis, de facto, de jure, de novo, mutatis mutandis, per capita, per diem, pro forma, vox populi, etc.
Le latin classique, celui que parlaient sans doute Cicéron et César, a été employé entre le 1
er siècle avant notre ère et le IIIe siècle de notre ère, ce qui fait environ quatre siècles. À partir du IVe siècle, le latin avait déjà commencé à se fragmenter de façon plus ou moins importante selon les provinces romaines. Cette fragmentation linguistique s'est faite progressivement jusqu'aux VIe et VIIe siècles. Au VIIIe siècle, la plupart des lettrés ne comprenaient plus les termes du latin classique; il fallait les traduire pour le peuple ou ajouter des «gloses», c'est-à-dire des commentaires. Durant cette époque, les Gallo-Romains ne se sont jamais rendus compte qu'ils ne parlaient plus le latin. Pour eux, c'était encore du «vrai» latin, mais ils avaient bien conscience qu'il se parlait différemment, selon les régions, alors qu'il s'agissait en fait du roman (écrit "romanz"), c'est-à-dire en français le «romain». C'est le IXe siècle qui donna naissance au plus ancien français.Aujourd'hui, plusieurs langues européennes, dont l'anglais, ont recours aux racines latines et grecques pour créer de nouveaux mots :
- télévision (grec tele : « loin») + latin vision («action de voir»);
- automobile (grec auto « soi-même») + latin mobilis («mobile»);
- cancérigène (latin crabe) + grec genos («gène»);
- mammectomie (latin mammo «mamelle») + ectomè («ablation»);
- antibiotique (latin anti «contre») + grec biotikos («vie»);
- audiométrie (latin audio «entendre») + grec metrikos «mesure»);
- cartographe (latin charta «carte» + grec graphos («écrire»);
Mentionnons enfin que le latin est encore enseigné comme langue morte, de façon obligatoire ou facultative, en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne, en Suède, etc.
3.3 Les mots d'origine gauloise
Nous savons que les Romains ont conquis la Gaule (Gallia) après quelques décennies de guerres. À l'époque de la conquête romaine par César (58-51), les Gaulois occupaient tout le nord et le sud-ouest de la Gaule, mais ils étaient moins présents dans le Sud. Les Romains y ont trouvé plusieurs peuples qui parlaient des langues différentes, dont le gaulois, mais aussi le grec, l'ibère, le ligure et diverses variétés de germanique ancien.
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La langue française n'a jamais emprunté de mots directement du gaulois. Ce sont plutôt les Romains qui ont emprunté un certain nombre de mots gaulois à l'époque des conquêtes. Une fois adoptés par les Romains, les mots gaulois ont continué d'évoluer comme des mots latins que le roman a assimilé par la suite. |
Aujourd'hui, seul un historien de la langue peut en reconnaître les origines celtiques. Ce fonds gaulois est certes l'un des plus anciens. Mais seulement plus d'une centaine de mots (selon Le Robert: 147) sont parvenus jusqu'à nous. Ils concernent des réalités désignant des végétaux, des animaux, des objets de la ferme, etc. Le tableau de gauche en présente une courte liste.
3.4 Les mots d'origine grecque
L'influence du
grec peut paraître surprenante, car ce ne sont pas les Grecs
qui ont conquis la Gaule, mais les Romains, lesquels avaient
déjà exercé leur domination sur la Grèce.
Cependant, il faut savoir que le latin n'était pas l'unique
langue administrative utilisée par les Romains.
En fait, l'Empire romain était pratiquement bilingue: le latin et le grec se partageaient le statut de langue dominante. L'élite romaine connaissait la langue grecque parce que cette langue jouissait d'un grand prestige dans l'Empire. C'était la langue de la littérature et de la philosophie; la plupart des notables romains étaient parfaitement bilingues. Pour simplifier, on peut attester que la langue du commandement restait le latin qui était la langue véhiculaire, mais que le grec était utilisé auprès des nombreuses populations locales de certaines provinces. En effet, selon les régions de l'Empire, notamment en Asie Mineure et en Égypte, les Romains communiquaient normalement en grec avec leurs administrés. Les documents officiels, d'abord rédigés en latin, étaient systématiquement traduits en grec dans les provinces dites hellénophones. On peut ainsi plus facilement comprendre l'influence du grec sur le latin. |
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Le latin parlé a largement puisé dans la langue grecque, particulièrement à l'époque où le sud de la Gaule subissait la colonisation grecque (Ier siècle avant notre ère). Ces mots grecs ont été par la suite latinisés par le peuple. Par exemple, gond (lat. gomphus < gr. gomphos), ganse (gr. gampsos), dôme (gr. dôma), lampe (lat. lampada < gr. lampas), etc., sont des termes qui ont été transformés phonétiquement au cours de leur passage du grec au latin et du latin au français. |
Ces mots d'origine grecque peuvent donc avoir subi les mêmes modifications phonétiques que les autres mots hérités du latin; certains d'entre eux sont maintenant relativement éloignés de leur provenance grecque, mais la plupart sont de simples adaptations francisées.
Les exemples
présentés dans le tableau ci-dessous témoignent de la place
du grec dans la langue française. Les emprunts au grec
ancien et au grec médiéval sont, selon Le Robert, au
nombre de 3776. La plupart de ces mots sont passés dans la
langue courante.
Mots d'origine grecque (ancienne) | Mots d'origine grecque (ancienne) |
académie < ακαδημία
acrobate < ακροβάτης acropole < ακρόπολη allergie < αλλεργία alphabet < αλφάβητο amalgame < αμάλγαμα |
icône < εικόνα
idée < ιδέα idiome < ιδίωμα idylle < ειδύλλιο ironie < ειρωνεία isthme < ισθμός |
amnésie < αμνησία analogie < αναλογία analyse < ανάλυση anarchie < αναρχία anathème < ανάθεμα anatomie < ανατομία |
labyrinthe < λαβύρινθος laïc < λαϊκός lesbienne < λεσβία lexique < λεξικό logique (nom) < λογική lyre < λύρα |
aristocratie < αριστοκρατία
arsenic < αρσενικός ascète < ασκητής asile < άσυλο baptême < βάπτισμα barbare < βάρβαρος |
machine < μηχανή mélodie < μελωδία métaphore < μεταφορικός monarchie < μοναρχία monastère < μοναστήρι mosaïque < μωσαϊκό |
basilique < βασιλική
Bible < Βίβλος blasphème < βλασφημία cataclysme < κατακλυσμός catalogue < κατάλογος catapulte < καταπέλτης |
narcissisme < ναρκισσισμός
nausée < ναυτία nécropole < νεκρόπολη nectar < νέκταρ nostalgie < νοσταλγία nymphe < νύμφη |
cataracte καταρράκτης
catastrophe καταστροφή catéchisme κατηχητικός cathédrale καθεδρικός catholique καθολικός chaos < χάος |
océan < ωκεανός organe < όργανο orgie < όργιο orphelin < ορφανός orthodoxe < ορθόδοξος orthographe < ορθογραφία |
crâne < κρανίο
critère < κριτήριο critique < κριτική crypte < κρυπτός cycle < κύκλος cynique < κυνικός |
parabole < παραβολή paralysie < παράλυση parenthèse < παρένθεση pharmacie < φαρμακείο philosophie < φιλοσοφία phonétique < φωνητική |
démon < δαίμονας diabolique < διαβολικός dialecte < διάλεκτος dialogue < διάλογος diplomate < διπλωμάτης diplôme < δίπλωμα |
pléonasme < πλεόνασμα
politique < πολιτική polygamie < πολυγαμία presbytère < πρεσβύτερος problème < πρόβλημα prophète < προφήτης |
éléphant < ελέφαντας éphémère < εφήμερο épitaphe < επιτάφιο épithète < επίθετο épopée < έπος étymologie < ετυμολογία |
rhétorique < ρητορική
rhinite < ρινίτιδα rhinocéros < ρινόκερος rhododendron < ροδόδεντρο rhumatisme < ρευματισμός rythme < ρυθμός |
généalogie < γενεαλογία
genèse < γέννηση géographie < γεωγραφία géologie < γεωλογία glotte < γλωττίδα grammaire < γραμματική |
sarcophage < σαρκοφάγος schématique < σχηματικός schisme < σχίσμα sirène < σειρήνα syllabe < συλλαβή symptôme < σύμπτωμα |
harmonie < αρμονία
hécatombe < εκατόμβη hellène < ελληνικός héroïque < ηρωικός héros < ήρωας histoire < ιστορία |
théâtre < θέατρο théologie < θεολογία thèse < θέση thorax < θώρακας tragédie < τραγωδία tympan < τύμπανο |
En outre, un certain nombre de mots grecs ont été
introduits dans le français par l'Église catholique
au cours du Moyen Âge : Ces emprunts au grec ont été latinisés (apostulus, cataracta, christus, synagoga, etc.) avant d'être francisés. On parle de «grec ecclésiastique» parce que c'est cette variété de grec qui servait, surtout dans l'Empire romain d'Orient, à célébrer la messe et les offices divins; elle était aussi employée dans les traités théologiques ou philosophiques et d'autres ouvrages savants. |
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De façon générale, pour tout ce qui concerne ces emprunts au grec ancien, au grec médiéval ou au grec ecclésiastique, voire au grec byzantin, on emploie aussi le terme «gréco-latin», car la plupart de ces mots sont passés par le latin avant d'arriver dans les langues romanes.
gr. ορφανός > lat. orphanus > fr. orphelin; ital. orfano; port. órfão; esp. huérfano, cat. orfe.
Ce sont les évolutions phonétiques régionales qui ont fragmenté la langue romane en plusieurs autres idiomes (italien, français, espagnol, catalan, portugais, etc.).
3.5 L'apport du francique au français
Il est probable que près d'un millier de mots germaniques de la langue franque — la langue des Francs — se soient implantés dans la langue romane, mais seulement 368 (selon Le Robert) d'entre eux sont restés jusqu'à aujourd'hui. Contrairement aux mots provenant du latin vulgaire, les mots d'origine francique peuvent être considérés comme de véritables emprunts. Évidemment, les mots empruntés par le roman vulgaire au francique reflètent le type de rapports ayant existé entre les Gallo-Romains et les Francs: il s'agit de contacts reliés à la guerre, à l'agriculture, à l'organisation sociale, à la vie quotidienne, etc., bref, ils renvoient à des mots qui concernent peu la science. La liste qui suit présente quelques-uns des termes franciques passés au roman, puis au français.
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La conscience linguistique des Gallo-Romains se transforma également avec les conquêtes franques. Même s'ils s'étaient toujours identifiés comme des «Romains», les habitants du pays franc, ceux du Nord en particulier, se sont dès lors considérés comme des Francs. À partir du VIIIe siècle, le mot «Franc» ou plutôt Franci ne désignait plus les membres des communautés germanophones, mais bien les habitants de la «Gaule du Nord», par opposition aux habitants du Sud, les Romani. Le pays deviendra plus tard la «France» («le pays des Francs»), et sa langue nationale, le «françois» avant de devenir le français. |
En ce sens, les Francs ont largement contribué à germaniser les langues romanes de la «Gaule du Nord» et de la Francie occidentale (le royaume de Charles le Chauve après 843). Plus que pour toute autre langue romane issue du latin, les parlers du Nord s'éloignèrent de leur latinité primitive. C'est ce qui explique aujourd'hui que le français soit la moins «latine» des langues romanes (espagnol, occitan, italien, portugais, catalan, etc.).
En examinant le tableau ci-dessous, nous pouvons constater que le français a toujours une forme bien plus différente des autres langues romanes; les différences seraient encore plus accentuées si l'on comparait les prononciations:
Latin |
Français |
Catalan | Occitan | Italien | Espagnol | Portugais | Roumain |
cantare |
chanter |
cantar |
cantar |
cantare |
cantar |
cantar |
cînta |
capra |
chèvre |
cabra |
cabra |
capra |
cabra |
cabra |
capra |
lingua |
langue |
llengua |
lenga |
lingua |
lengua |
lingua |
limbǎ |
pons |
pont |
pont |
pònt |
ponte |
puente |
ponte |
pod |
lactem |
lait |
llet |
lach |
latte |
leche |
leite |
lapte |
bibere |
boire = [bwar] |
beure |
beure |
bere |
beber |
beber |
băutură |
Ces écarts sont dus au fait que le français a subi des influences germaniques provenant des Francs, ce que n'ont pas connu les autres langues romanes. Si l'Italie a été occupée par les Goths, la péninsule Ibérique l'a été par les Wisigoths, mais les langues germaniques de ces conquérants n'ont pas autant influencé l'italien ou l'espagnol.
3.6 L'apport du normand
Aux IXe et Xe siècles, le royaume
de France dut subir les incursions des Vikings qui finirent par s'installer
dans la province de Normandie devenue un duché concédé en 911 par Charles III le Simple. Ces
«hommes du Nord» (Northmans) venus de la Scandinavie,
particulièrement de Norvège, du Danemark et de l'Écosse,
devinrent sédentaires et fondèrent des
familles avec les femmes du pays, des Normandes. Celles-ci parlaient ce
qu'on appellera plus tard le normand,
une langue romane qu'elles ont transmise naturellement à leurs enfants. On
estime que la langue des Vikings, le vieux-norrois, encore vivante à Bayeux
au milieu du Xe
siècle, n'a pas survécu bien longtemps au-delà de ce siècle. Autrement dit,
l'assimilation linguistique des vainqueurs vikings s'est faite rapidement.
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L'héritage linguistique de ces anciens Vikings se limite à moins de 80 mots (78, selon Le Robert), presque exclusivement des termes maritimes ou nautiques: agrès, crabe, cingler, duvet, flâner, harfang, hauban, homard, houle, hune, touer, turbot, vague, varech, etc. |
C’est très peu par rapport au latin, au grec, au francique et à l’arabe, qui ont enrichi le français de centaines ou de milliers de mots. Lorsque le duc de Normandie, Guillaume II, conquit l'Angleterre et devint Guillaume Ier d'Angleterre en 1066, c'est à la fois le normand et le français que la cour importa dans le nouveau royaume, mais c'est le français qui s'implanta plus durablement en raison de son prestige.
Les langues modernes sont celles qui, tout en étant plus anciennes que le
français, sont encore parlées aujourd'hui; on parle aussi de «langues
vivantes» par opposition aux «langues mortes» telles que le latin classique, le grec
ancien, le gaulois et le vieux-francique.
4.1 Les mots arabes
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Par la suite, tous les musulmans, indépendamment de leur origine ethnique,
tinrent en plus haute estime la langue arabe et la considérèrent comme le
véhicule d'un riche patrimoine culturel. C'est cette relation intime entre le
Coran et l'arabe qui a donné à cette langue son statut particulier et qui a
contribué à l'arabisation de nombreuses populations.
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Au VIIIe siècle, la civilisation arabe était nettement en avance sur la civilisation occidentale, alors que l'arabe était déjà une langue savante codifiée. Les Arabes avaient traduit un grand nombre d'ouvrages grecs, chinois, etc., et avaient accès à la philosophie, aux sciences et aux techniques des Anciens. Les plus grands noms de la littérature, de la philosophie, de la science, etc., étaient arabes. Cependant, beaucoup d’érudits et de scientifiques n’étaient pas arabes, même s’ils écrivaient en arabe. Il s’agit notamment de personnalités éminentes telles qu’Avicenne, Al-Ghazali et Al-Khwarizmi, qui étaient persans, et Al-Biruni, qui est né dans le Khwarezm (ou Chorasmie antique: aujourd'hui en Ouzbékistan et au Turkménistan).
C'est dans ces circonstances que la plupart des mots arabes ont pénétré dans les langues romanes, surtout par l'intermédiaire du latin médiéval, de l'italien, du sicilien, du provençal, du portugais et de l'espagnol. Les emprunts à la langue arabe sont au nombre de 419 (Le Robert 2010). Ils désignent des réalités de la science, de l'astronomie, des mathématiques, de la flore, des mœurs, etc. |
Aux XXe et XXIe siècles sont venus s'ajouter une cinquantaine de termes arabo-musulmans: ayatollah, baroud, burkini, burqa, tchador (persan), charia, chiite, sunnite, djihad, djihadiste, salafiste, fatwa, hallal, intifada, méchoui, merguez, taboulé, etc.
4.2 Les mots italiens
Le XVIe
siècle fut marqué par la prépondérance de l'Italie dans
presque tous les domaines en raison de sa richesse économique, de son avance
technologique et scientifique, de sa suprématie culturelle, etc. Au seuil du
XVIe
siècle, la France en était encore au XIVe.
Les Italiens au contraire tenaient le haut du pavé dans tout le monde
méditerranéen depuis deux ou trois siècles. Les succursales de leurs
compagnies de commerce se propageaient de la mer du Nord à la mer Noire, de la
péninsule Ibérique au Levant.
En même temps, l'Italie était devenue le théâtre des rivalités entre François Ier (1494 – 1547) et Charles Quint (1500-1558). De 1494 à 1559, ce furent les guerres d'Italie, puis les mariages diplomatiques dont le plus célèbre fut celui de Catherine de Médicis (1519-1589) et de Henri II (1519-1959). Or, Catherine de Médicis fut régente de France durant vingt ans (1560-1580); elle fit la promotion des arts italiens à la cour de France. Constituée d'environ 10 000 personnes, la cour de France se raffina en s'italianisant; dans les salons, les courtisans s'exprimaient autant en florentin (italien) qu'en «françois», car des centaines d'entre eux étaient d'origine italienne et avaient adopté les usages italiens, que ce soit dans la mode, les arts, la musique, l'alimentation, etc. |
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L'influence culturelle de l'Italie se refléta nécessairement sur la langue française au moyen des emprunts. Des milliers de mots italiens pénétrèrent le français, notamment des termes relatifs à la guerre (canon, alarme, escalade, cartouche, etc.), à la finance (banqueroute, crédit, trafic, etc.), aux mœurs (courtisan, disgrâce, caresse, escapade, etc.), à la peinture (coloris, profil, miniature, etc.) et à l'architecture (belvédère, appartement, balcon, chapiteau, etc.). En réalité, tous les domaines ont été touchés: l'architecture, la peinture, la musique, la danse, les armes, la marine, la vie de cour, les institutions administratives, le système pénitencier, l'industrie financière (banques), le commerce, l'artisanat (poterie, pierres précieuses), les vêtements et les objets de toilette, le divertissement, la chasse et la fauconnerie, les sports équestres, les sciences, etc. |
Bref, une véritable invasion de quelque 8000 mots à l'époque, dont environ 10 % sont utilisés encore aujourd'hui. Cet apport considérable de termes lexicaux n'a pas duré très longtemps, seulement quelques décennies. La plupart de ces italianismes sont disparus avec le temps, comme c'est d'ailleurs le sort qui attend la plupart des mots empruntés à l'anglais par le français (ou par toute autre langue) de nos jours. Lorsque les modes changent ou que les réalités disparaissent, les mots disparaissent aussi.
4.3 Les mots espagnols et portugais
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L'espagnol d'Espagne a donné 419 mots au français, alors que l'espagnol d'Amérique lui en a transmis 42, pour un total de 461 mots. La plupart de ces emprunts ont été effectués aux XVIe et XVIIe siècles, alors que l'Espagne formait un empire.
Ces emprunts décrivent des réalités espagnoles ou des découvertes liées au Nouveau Monde : arabe, arawak, aymara, caribe, chibchaw, maya, quechua, tupi-guarani, uto-aztèque, etc. Certains mots peuvent être passés par l'arabe avant d'arriver à l'espagnol (alcôve, alguazil, fanfaron, satin). |
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Le français a emprunté 117 mots au portugais, dont 108 en provenance du Portugal et 9 du portugais d'Amérique. Ces acquisitions ont eu lieu au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Le portugais a joué un rôle important comme relais dans la transmission des mots exotiques («lointains»), car plusieurs de ces mots venaient en réalité de l'hindi, du malais, du tupi-guarani, du bantou, etc. |
4.4 Les mots allemands et néerlandais
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Le français doit à l'allemand 546 mots qu'il a obtenus entre les XVIe et XIXe siècles. Ces mots servent à désigner des réalités germaniques relatives à la guerre (arquebuse, bivouac, blockhaus, butin, etc.), à la faune (auroch, hamster, renne, etc.), à la gastronomie (choucroute, croissant, kirsch, meringue, etc.), aux mines (cobalt, nickel, quartz, etc.) et à plusieurs autres domaines. |
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Les mots néerlandais sont au nombre de 249 en français. L'apport le plus important a eu lieu entre les XIVe et XVIIIe siècles, alors que les Pays-Bas constituaient l'une des puissances maritimes dominantes et que la culture flamande était florissante. Ce sont des mots relatifs à l'industrie et au commerce, mais surtout aux techniques maritimes comme les types de bateaux, la construction navale, les cordages, la voilure, les manœuvres, l'armement, les digues, les poissons, etc. |
4.5 Les autres langues d'Europe (moins l'anglais)
En Europe, d'autres langues ont contribué à enrichir la langue française, notamment les langues slaves et les langues scandinaves. Bien que les emprunts d'origine slave soient entrés généralement dans le vocabulaire français au cours des XIXe et XXe siècles à la suite de divers échanges entre la France et les pays slaves, certains termes sont apparus dès le XVIIe siècle. Le russe et le polonais sont les langues slaves les plus importantes, mais il existe aussi un petit nombre de mots empruntés au tchèque, au serbo-croate, au bulgare, au slovène, etc.
Les 97 mots russes concernent des réalités russes (balalaïka, béluga, cosaque, datcha, glasnost, goulag, isba, mammouth, mazout, morse, oblast, rouble, Russie, Sibérie, spoutnik, steppe, taïga, vodka, etc.).
Quant aux 62 mots polonais (cravache, magnat, mazurka, métalangage, meringue, polonais, etc.), ils sont dus à quelque 400 000 ouvriers polonais qui sont venus en France pour y travailler dans le premier quart du XXe siècle.
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De nombreux termes demeurent peu connus en français (berce, polaque, rémiz, staroste, etc.) ou bien ils concernent souvent des noms propres.
À partir du Moyen Âge et
jusqu'à la fin du XVIIe
siècle, une cinquantaine de mots des langues scandinaves
firent leur entrée en français:
Ces mots dits «scandinaves» sont peu nombreux et ont laissé peu de traces dans l'histoire du français. Quant au féroïen des îles Féroé, il n'a transmis aucun mot en français. |
D'autres langues européennes ont laissé un petit nombre de mots en français, parfois un seul (p. exemple, l'estonien, le letton, le lituanien, l'ukrainien, etc.), mais le hongrois semble être la plus importante avec 15 entrées, dont dolman, goulache, hussard, magyar, paprika, sabre, tsigane.
4.6 Les langues dites «exotiques»
L'expression «langues exotiques» concerne les langues afro-asiatiques (arabe, hébreu, berbère, etc.), les langues d'Asie et d'Afrique, ainsi que les langues amérindiennes, bref les langues des pays considérés comme lointains par rapport aux Français de France.
Les mots arabes ont
déjà fait l'objet d'une présentation dans la section 7.1. Nous
avons que l'apport de l'arabe classique et de l'arabe maghrébin
a été considérable avec un total de 453 mots. L'hébreu a enrichi
la langue française de 62 mots (Le Robert 2010). Voici
une courte liste de ces mots relativement courants:
Les
mots berbères (amazigh, chaoui, sagaie, tamazight, zouave),
ceux de l'ancien égyptien (ébène, isis, oasis,
pharaon) et de l'amharique (négus) sont peu
nombreux et désignent des réalités locales pour lesquelles
le français ne disposait pas d'équivalents. |
Les nombreuses langues du
continent asiatique ont donné au français environ 400
mots, mais les langues donneuses les plus importantes sont le
persan
(83 mots), le turc (75 mots), le
malais (52 mots), l'hindi (46 mots), le
chinois
(41 mots) et le sanskrit (41 mots).
|
D'autres langues ont aussi fourni des mots au français, mais en moins grande quantité: le japonais (futon, geisha, samouraï, soja), le tamoul (catamaran), le tibétain (dalaï-lama, yéti), le vietnamien (tet), le tatar (horde), l'indonésien (émeu), etc.
La France a colonisé
une grande partie de
l'Afrique de l'Ouest, ce qu'on a alors appelé
l'Afrique
occidentale française (AOF) et l'Afrique équatoriale française (AEF),
sans oublier Djibouti et
Madagascar. C'est alors que quelques mots
locaux se sont introduits dans la langue française: le
malgache (malgache,
tapia),
le wolof (bougnoul, peul), les langues
bantoues (bambou, gombo, lingala, macoute, zoulou)
dont le swahili (bwana, safari), etc.
Dans les faits, le français n'a emprunté qu'un petit nombre de mots aux langues africaines, soit à peine une cinquantaine pour l'ensemble des langues donneuses. Le nombre des langues en Afrique étant généralement estimé à environ 2000 pour un milliard d'habitants, le total des mots empruntés à ces langues (moins de 50) par le français est extrêmement réduit, pour ne pas dire insignifiant. À l'inverse cependant, un grand nombre de mots français ont été empruntés par les langues africaines. |
En Amérique, les langues
amérindiennes ont donné davantage de mots au français que les
langues africaines, soit environ 140 termes.
Toutefois, ce n'est pas le français qui a emprunté directement la plupart de ces mots; ceux-ci sont passés par l'anglais (algonquin et inuktitut), le portugais ou l'espagnol (tupi-guarani, quechua et caraïbe) avant d'arriver au français. Pour les langues amérindiennes parlées en Amérique du Sud, il est normal que le français ait emprunté des mots amérindiens déjà utilisés par l'espagnol et le portugais, puisque la France a eu peu de contact avec les Amérindiens du Sud. C'est plus surprenant pour l'Amérique du Nord étant donné la colonisation de la Nouvelle-France. |
Les langues parlées à l'intérieur du territoire français ont aussi contribué à enrichir le français, notamment les langues régionales issues du latin, le français parlé en Belgique, en Suisse et au Canada, ainsi que les langues périphériques ayant une autre origine.
5.1 Le français régional
Le français régional de France a aussi
contribué à enrichir la langue française standard. En effet, beaucoup de termes
régionaux en France, en Belgique, en Suisse ou au Canada (Québec) se sont
introduits dans le français normal ou officiel. En France même, les termes
provenant de l'occitan ou des langues d'oïl constituent un atout important pour
l'enrichissement du français. L'expression «langue régionale» ne renvoie pas
nécessairement à la même signification en France. Cette notion peut recouvrir
des systèmes linguistiques très différents du français (basque, breton,
flamand, alsacien, etc.), mais aussi les multiples variétés linguistiques issues
du latin dont on trouve les termes dans les langues d’oïl (picard, normand,
poitevin, etc.) et les langues d'oc (provençal, languedocien, gascon, etc.).Voir
la carte des langues de France
en cliquant ICI s.v.p.
Le dictionnaire Le
Robert 2010 a recensé 163 termes originaires du «français
d'oïl». La majorité de ces mots viennent du
normand et du picard,
et quelques-uns en faible quantité du poitevin, de
l'angevin, du
wallon, etc.
|
En consultant la
carte des langues de France, il
s'agit du provençal, du
gascon, du languedocien, etc.
aigrette ballon bébelle bidouiller brimbelle broquette |
chiot chouan débaucher délurer empoter enliser |
escogriffe flâner grésiller grouiller jargonner mégot |
pichet pleurnicher pleuvasser pleuvioter potin purin |
rabibocher saint-glin-glin salope tôle tignasse transvider |
trouille troufignon truffe virer zigonner zigouiller |
Le franco-provençal
a transmis 42 mots
dont voici quelques-uns: avalanche, bastonner, braise, gabegie, gamin,
gicler, guignol, luge, redoux, tacon, tartiflette, tonne, etc.
Quant aux français hors de France, ceux de la Belgique, de la Suisse et du Canada, ils n'ont transmis qu'un petit nombre de mots, dont 2 de la Belgique (porion et zwanze), 11 de la Suisse (caquelon, chalet, crétin, fondue, etc.) et 28 du Canada (autoneige, avionnerie, bleuetière, caribou, cinéparc, fardoches, magasiner, motoneige, poudreux, raquetteur, etc.).
5.2 Les langues
périphériques
Les langues dites périphériques sont
celles qui sont parlées dans des régions généralement situées loin des villes
françaises situées au centre du pays. À l'exception
du wallon et du corse, ce ne sont pas des
langues romanes.
L'alsacien et le flamand sont des
langues germaniques;
le breton, une langue
celtique; le basque, un
isolat linguistique, qui ne se rattache à aucune autre langue. Ces langues périphériques sont le wallon (fransquillon, houille, morpion, spitant, saligaud, etc.), le flamand (kermesse, lambic, pleutre, poquer, etc.), l'alsacien (chnoque, choucroute, flammekueche, quetsche, etc.), le basque (bagarre, euskarien, orignal, etc.), le breton (balai, baragouin, biniou, boette, cohue, darne, dolmen, fringale, goéland, menhir, etc.) et le corse (maquis, vendetta, etc.), pour un total de 110 mots. Comme on peut le constater, ces emprunts concernent généralement des réalités locales pour lesquelles le français n'avaient pas d'équivalents. |
Jusqu'au XXe siècle, les mots anglais empruntés par le français ne s'étaient jamais imposés par doses massives. La linguiste française Henriette Walter reconnaît que l'anglais demeure un «vieux compagnon de route». En effet, pendant neuf siècles, les rapports entre l'anglais et le français ont été «intimes», alors que les échanges entre les deux langues ont toujours été déséquilibrés, d'abord à l'avantage du français, puis aujourd'hui à celui de l'anglais. En effet, entre le XIe et le XVIIIe siècles, le français a transmis à l'anglais des milliers de mots au point où l'on peut affirmer qu'environ 60 % du vocabulaire anglais est d'origine française ou franco-latine. Toutefois, le processus s'est inversé dès le milieu du XVIIIe siècle, alors que bon nombre de mots anglais s'implantaient dans la langue française. Ensuite, depuis le milieu du XXe siècle, la tendance s'est considérablement accélérée à partir, cette fois-ci, des États-Unis d'Amérique.
Autrement dit, le véritable apport anglais est récent dans l'histoire du français. On peut même dire que, jusqu'au XVIIe siècle, l'influence anglaise a été insignifiante: 8 mots au XIIe siècle, 2 au XIIIe, 11 au XIVe, 6 au XVe, 14 au XVIe, puis 67 au XVIIe, 134 au XVIIIe, 377 au XIXe et... 2150 au XXe siècle.
XIIIe | XIVe | XVe | XVIe | XVIIe | XVIIIe | XIXe | XXe |
2 mots | 11 mots | 6 mots | 14 mots | 67 mots | 134 mots | 377 mots | 2150 mots |
Tous les emprunts antérieurs au xviiie siècle ont été intégrés au français: on ne les perçoit plus de nos jours comme des mots anglais: est (< east), nord (<north), ouest (<west), sud (<south), paletot (<paltok), rade (<rad), contredanse (<country-dance), pingouin (<pinguyn), paquebot (<packet-boat), comité (<committee), boulingrin (<bowling green), interlope (< interloper), rosbif (<roast beef), etc.
On recense dans les dictionnaires français actuels plus de 2500 mots empruntés à l'anglais. Cette liste pourrait considérablement s'allonger dans le cas des lexiques spécialisés. Le développement de la technologie et la domination de l'anglo-américain dans les sciences et les techniques actuelles laissent présager une suprématie considérable de la langue anglaise à l'échelle planétaire. Celle-ci est devenue la langue véhiculaire du monde contemporain, c'est-à-dire la langue des communications internationales, tant sur le plan commercial que culturel, scientifique, technologique et diplomatique (politique).
airbag baby sitter banana split barbecue bazooka bermuda best-seller blazer bluff boom booster boss bouledogue boycott |
break breakfast brunch building bulldozer camping charter check-list chewing gum clown coach coming out cool cowboy |
crash dancing deal design discount dressing drive-in drugstore exit fair-play fake fashion fast food feeling |
ferry flirt flyer fun gun hamburger hardware hold up jackpot jean kidnapping laser lifting living room marshmallow |
master microphone miss no man’s land non-stop open outsider pacemaker parking patchwork peanuts people pickpocket pickup pipeline |
pop revolver rush sandwich scoop self service sex shop sexy shopping show sketch slow smoking snack sniper |
speech sponsor squatteur stand by steak talkie-walkie timing toast toaster top tuning underground vintage week end workshop |
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette arrivée massive de termes anglais dans la langue française, car il s'agit plus que d'un engouement à l'exemple de ce que le français a vécu avec l'italien au xvie siècle. Il y a, bien sûr, la civilisation américaine qui exerce une attraction considérable sur les francophones et transporte avec elle les mots qui véhiculent cette même civilisation. Cependant, on ne peut ignorer certaines causes d'ordre linguistique.
6.1 Les anglicismes adoptés par les Français
Les mots empruntés à
l'anglais, que ce soit en France, en Belgique ou en Suisse, sont aussi reliés à des
termes à la mode (récente) ou à des domaines très en vogue et en grande partie
véhiculés par les médias : baskets («chaussures de sport»), briefing
(«exposé verbal»), booker («personne qui fait des réservations»),
camping car («véhicule récréatif»), charter («vol nolisé»),
chewing-gum («gomme à mâcher»), ferry ou ferry boat
(«traversier»), e-mail («courriel»), kitchenette («cuisinette»),
mountain bike («vélo de montagne»), parking («parc de
stationnement»), pull («chandail»), pressing («nettoyeur»),
sponsor («commanditaire» ou «mécène»), webmaster («webmestre»), etc.
Voici quelques exemples d'anglicismes employés en France au cours des années
2010-2016:
-
J'attends ton
feed-back
demain matin.
[= retour, commentaire, rétroaction]
-
On va se faire
sponsoriser
par cet industriel.
[= parrainer]
-
On se fait un petit
brief
demain matin ?
[= aperçu, bref survol, résumé]
-
Je vais te
débriefer
parce que tu n’as pas pu assister à la réunion.
[= compte rendu oral]
-
T'es sûr d'avoir assez
challengé
ton équipe ?
[= lancer un défi, stimuler, talonner]
-
On fait un
conf-call
avec les postes demain, première heure !
[= conférence téléphonique]
-
Tu penses pouvoir
délivrer
pour vendredi ?
[= transmettre quelque chose]
-
Quand tu auras tout vérifié, tu nous donneras
ton GO.
[= feu vert]
-
Tu me
draftes
un petit truc pour la réunion de cet aprèm?
[= faire un brouillon]
-
Est-ce que ce
wording
ne risque pas d’être
confusant?
[= formulation / = brouiller, troubler]
-
J'attends de tous les collaborateurs qu'ils soient
force de proposition.
[= prendre des initiatives] [= remue-méninges = marquage] - Tu penses bien à me mettre dans la boucle (<loop)? [= faire partie d’un projet] |
- On a plein de projets dans le pipe. (prononcé [pajpe] [= dans les tuyaux] - Ok, c'est quoi les next steps ? [= prochaines étapes] - Un séminaire de team building va renforcer notre sentiment d'appartenance. [= consolidation d’équipe] - Je vais prendre le lead sur ce projet si ça ne t'ennuie pas. [= contact commercial] - T’es pas quelqu’un qui est corporate dans l’entreprise. [= avoir l’esprit d’entreprise] - Est-ce qu’on va drinker ce midi? [= aller prendre un verre avec des collègues] - Qui n’a n'a jamais forwardé un mail à un collègue? [= transférer /= courriel] - Tu n'as pas respecté le process, tu vas devoir recommencer! [= processus] - On vous attend pour un after-work après le bureau. [= prendre un verre entre amis après le travail] - Il est temps de checker des trucs. [vérifier, faire des vérifications] - Israël est un pays où les starts-up et l’innovation sont florissantes. - [société qui démarre] |
Étant donné que les Français entrent généralement peu en contact avec des locuteurs de langue anglaise, on relève peu d’anglicismes dans le registre familier du français hexagonal et périphérique (Belgique et Suisse). Cependant, ceux-ci sont beaucoup plus présents dans le français professionnel (commerce, marketing, politique, musique) et ils sont considérés comme une ouverture sur le monde et comme un élément de la modernité. L'anglais fait «bon chic bon genre». Les Français semblent peu portés à la francisation des anglicismes, sans oublier que la plupart de ceux-ci sont prononcés «à la française», comme l'atteste le mot ferry boat en [fe-ri-botte] (en anglais: [fe-Ri-bôt]. Les Français se font imposer des mots anglais par des spécialistes du marketing à Paris, alors que les Québécois, comme nous le verrons, ont recours aux mots anglais parce qu’ils les entendent à longueur d'année dans leur vie quotidienne; ces mots finissent par s’introduire dans leur langue et à prendre une place quasi exclusive.
6.2 Les anglicismes employés par les Québécois
Au Québec, la situation des emprunts est différente. D'abord, l'influence de l'anglais est beaucoup plus ancienne, puisqu'elle a débuté après 1763. Ce sont des vocabulaires entiers qui sont entrés dans la langue des Canadiens dès cette époque. Les emprunts ont été apportés par l'industrialisation façonnée par les Britanniques, puis plus tard par les Américains. La plupart de ces emprunts sont donc liés à des réalités courantes, voire quotidiennes: bad luck («malchance»), bargain («bonne affaire»), blender («mélangeur»), bum («voyou»), chum («copain»), cute («joli»)), draft («courant d'air»), drill («perceuse»), gun («pistolet/révolver»), hose («tuyau d'arrosage»), joke («blague»), plaster («pansement adhésif»), plug («prise de courant»), sideline («second emploi»), strap («courroie»), slip («bordereau d'expédition»), track («voie ferrée»), wrench («clé anglaise»), etc.
Paradoxalement, les anglicismes employés par les Français sont fortement critiqués par les Québécois qui condamnent des mots comme baskets, ferry boat, pressing, parking, week-end, pipeline (prononcé [pajplajn]), etc., parce que, eux, ils emploient espadrilles, traversier, nettoyeur, stationnement, fin de semaine, oléoduc, etc. C'est évidemment voir la paille dans l'œil de l'autre pendant qu'on ne voit pas la poutre dans son œil. Alors que les Français, les Belges et les Suisses prononcent les mots anglais «à la française», les Québécois les prononcent «à l'américaine».
Il faut préciser que, parallèlement, les organismes officiels, par exemple l'Office québécois de la langue française (OQLF), sont très réticents à accepter des mots d'origine anglaise; ils en font systématiquement la chasse avec le résultat que les Québécois semblent traduire beaucoup plus les mots anglais que les Français. Toutefois, en situation familière, la plupart des Québécois les utilisent massivement et ignorent le plus souvent les recommandations de l'OQLF. D'ailleurs, une autre différence entre les anglicismes européens et les anglicismes québécois ou acadiens réside dans la fréquence de ces anglicismes. On estime que les anglicismes fréquemment utilisés par les francophones d'Europe comptent pour à peine plus de 300 mots, notamment dans les domaines des médias et du spectacle, des sports et des loisirs, du commerce et du travail, de l'Internet et de l'informatique.
Au Québec, ce sont plus de 6000 mots dans tous les domaines et ces mots sont connus de presque tous les Québécois. Ainsi, le Le Colpron, dictionnaire des anglicismes, dans la 4e édiction de 1998, en dénombrait 5000. De nombreux francophones québécois s'expriment avec une facilité déconcertante au moyen de mots anglais qui émaillent leur discours, alors qu'ils peinent à trouver les termes français équivalents, quand ils ne les ignorent pas totalement. C'est généralement la solution du mimétisme inguistique qui est adoptée : on le sait, il est plus facile et plus commode de recourir aux mots qu'on entend autour de soi que de chercher les équivalents proposés par l'OQLF ou de recourir à la Banque de dépannage linguistique qui propose plus de 300 articles faciles à consulter en ligne et tout à fait gratuitement. Mais, en même temps, comment exiger une autre attitude quand les mots arrivent d'abord en anglais et qu'ils sont presque aussitôt employés, alors que le travail des terminologues peut être connu beaucoup plus tard, des semaines ou des mois après l'apparition du mot anglais.
Signalons toutefois que la quasi-totalité des anglicismes employés par les Québécois ne servent aucunement à combler des lacunes du français. Rappelons que ce sont généralement des doublets dont la contrepartie française est souvent connue, comprise, mais pas du tout employée. Les locuteurs continuent de préférer aux propositions officielles des mots anglais qui, par la fréquence de leur emploi, vont probablement être intégrés dans la norme locale. Pour la plupart des locuteurs québécois, un anglicisme, même s'il fait double emploi avec un équivalent français, est perçu ordinairement comme «normal»; il est alors lié à un réflexe qui est moins de nature linguistique que social, c'est-à-dire qu'il correspond à un souci de ne pas se démarquer des autres ou de ne pas passer pour un «policier de la langue». La maxime suivante semble, dans ce cas, s'appliquer inexorablement : «L’usage a toujours raison, même quand il a tort.»
Ainsi, d'un côté, le recours
massif aux anglicismes est associé par une certaine élite québécoise à une
éducation inférieure et à un appauvrissement de la langue française. D'un autre
côté, toute
personne, en dehors du milieu scolaire, qui ferait mine de corriger ses interlocuteurs en proposant la contrepartie française
risquerait de les irriter très vivement au lieu de leur porter à changer leur façon de
parler.
Au Québec, le français
peut encore constituer un projet de société, mais seulement
lorsqu'il s'agit de
son emploi dans la sphère publique, car la qualité de la
langue dans l'usage quotidien ne semble pas être une préoccupation
majeure de la plupart des Québécois.
En Amérique du Nord, tout individu peut librement choisir sa façon de s'exprimer, sans contrainte extérieure. Quand les instances compétentes, telles que l'Académie française en France ou l'Office québécois de la langue française au Québec, proposent des termes de remplacement aux anglicismes, il est fort à parier qu'en fin de compte c'est plutôt l’usage et non la norme officielle qui l'emportera. Autrement dit, la légitimation sociale, celle concernant l’implantation de l’emprunt dans l'usage risque de prévaloir sur la légitimation linguistique qui repose sur l’adaptation et la conformité au système de la langue. Dans beaucoup de pays et de collectivités locales, les linguistes ont pu noté que les locuteurs qui empruntent massivement sont généralement ceux qui attribuent à la «langue prêteuse» une plus grande valeur qu'à leur propre langue. Sous cet angle, l'emprunt à l'anglais demeurera toujours un facteur important à considérer dans l'analyse de la situation sociolinguistique du Québec. |
La langue française s'est aussi enrichie
de nombreux noms propres provenant de divers pays. Par exemple, le terme
angora vient du mot «Ankara» (Turquie), baïonnette de «Bayonne»,
beline de «Berlin», etc. On en a fait des noms communs pour désigner
différentes réalités.
angora
< 1792, Ankara (Turquie) baïonnette < 1575, Bayonne, ville basque du sud de la France berline < 1718, ville de Berlin bistouri < 1564, ville de Pistoia (Italie du Nord) bougie < 1300, ville de Bejaia qui fournissait de la cire > Bougie (Algérie) cachemire < 1803, Kashmîr, région du nord de l'Inde canari < 1583, îles Canaries (Espagne) < lat. canis: «chien» capharnaüm < XVII, Capharnaüm (Galilée) catalogne < 1625, Catalogne cordonnier < XIII, Cordoue, ville d'Espagne cravate < 1651, Croatie (Yougoslavie) crémone < 1724, Cremone (Italie) denim < 1973, toile de Nîmes (ville de France) dinde < 1600, poule d'Inde échalote < 1500, Ascalon, port de la Palestine épagneul < XV, Espagne > espagnol faïence < 1642, Faenza, ville d'Italie où on fabriquait de la poterie émaillée galerie < 1316, Galilée > galeria désignant un porche d'église |
hermine
< 1140, rat d’Arménie javel < 1830, Javel, village de France et quartier de Paris jean < 1948, Gênes (Italie), vêtement landau < 1791, Landau, ville d'Allemagne lesbienne < 1844, Lesbos, île grecque limousine < 1836, Limousin, région de France macédoine < 1740, Macédoine (ancienne région de la Grèce) magnésie < 1762, Magnésie (ville d'Asie mineure) mayonnaise < 1806, Port-Mahon, archipel espagnol des Baléares méandre <1552, Méandre, fleuve sinueux de la Phrygie (Turquie) moka < 1767, Moka, port du Yémen du Nord mousseline < 1656, Mossoul, ville d'Irak rugby < 1888, Rugby, école de Grande-Bretagne sardine <1380, Sardaigne, île italienne au sud de la Corse truie < XII, allusion au cheval de Troie = femelle farcie de petits cochons turquoise < XIII, Turquie > turquois xérès < XVIII, Jeres, ville d‘Andalousie zouave < 1830, Zwâwa, nom d'une tribu kabyle < Zwana, ville d'Algérie |
Une autre source
d'enrichissement lexical réside dans le recours à des patronymes, c'est-à-dire
un nom de famille d'un personnage plus ou moins célèbre, un inventeur, un
savant, un chef d'État, mais rarement un nom de femme (sauf lavallière).
ampère < André-Marie Ampère,
physicien français (1775-1836). barème < François Barrème, mathématicien français (1638-1703). béchamel < Louis de Béchamel, courtisan de Louis XIV, amateur d'art et fin gourmet. bégonia < Michel Bégon, intendant à Saint-Domingue (XVIIe siècle). binette < Binet, coiffeur de Louis XIV. bourse < Van der Burse, banquier flamand du Moyen Age. bottin < Sébastien Bottin, statisticien du XIXe siècle. braille < Louis Braille (1809-1852), inventeur de l'écriture pour aveugles. calepin < Ambrogio Calepino (1435-1511), lexicographe italien auteur d'un volumineux dictionnaire de la langue latine. chauvin < Nicolas Chauvin, soldat imaginaire admirateur de Napoléon. guillemet < Guillemet, imprimeur du XVIIe siècle qui introduisit le signe des guillemets et son usage en typographie. guillotine < Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), médecin et politicien français; «machine à supplice» qui abrégerait les souffrances des condamnés. kalachnikov < 1947, Mikhaïl Kalachnikov, soviétique qui inventa ce fusil d'assaut. lavallière < Louise Françoise de Lavallière (1644-1710), maîtresse de Louis XIV; mode des cravates à grand noeud. macadam < John Loudon McAdam (1756-1836), ingénieur écossais qui inventa un système de revêtement pour les routes. mansarde < François Mansart (1598-1666), architecte français qui généralisa la construction des combles «à la Mansart». masochisme < Léopold von Sacher-Masoch (1836-1895), romancier autrichien, qui a dépeint l'érotisme de la volupté par la souffrance. mécène < Caius Cilnius Maecenas (né en 69 av. J.-C.), chevalier romain de grande naissance et hautement cultivé, qui consacra sa vie et sa fortune à des poètes et à des philosophes. |
nicotine < Jean Nicot
(1530-1600), ambassadeur français au Portugal, qui introduisit en
France «l'herbe à Nicot», c'est-à-dire le tabac, dont on extrait la
nicotine. pantalon < Pantaleone, personnage de la comédie italienne. paparazzi < 1960, Paparazzo, journaliste insatiable de La Dolce Vita de Federico Fellini. poubelle < Eugène-René Poubelle (1831-1907), préfet de Paris, qui instaura un règlement obligeant les Parisiens à utiliser des boîtes à ordures (ou «boîtes à Poubelle») pour disposer des détritus ménagers. praline < Plessis-Praslin, duc de Choiseul et maréchal de France (1598-1675), qui inventa la célèbre friandise. sadisme < Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814), marquis qui passa 27 ans de sa vie en prison en se consacrant à la littérature comme moyen de défense et d'illustration de l'érotisme axé sur la souffrance. sandwich < John Montagu, comte de Sandwich (1718-1792), amiral anglais; passionné et absorbé par le jeu, qui refusait de quitter sa table pour le temps du repas; son cuisinier eut l'idée de lui servir du jambon entre deux tranches de pain. silhouette < Etienne de Silhouette (1709-1767), contrôleur des Finances tellement impopulaire que son nom devint une injure: il n'occupa le poste que quatre mois; retiré dans son château, il dessinait des profils de visage sur les murs (sortes de «silhouettes»). vespasienne < 1834, Flavius Vespasianus, empereur romain qui fit construire des édicules (pissotières) élevés sur la voie publique afin que les messieurs puissent se soulager. volt < Allessandro Volta (1745-1827), physicien italien. watt < James Watt (1736-1819), ingénieur écossais. |
Ce genre d'emprunts
existe dans la plupart des langues et, en français régional (Belgique,
Canada, etc.), il est possible d'en trouver d'autres exemples locaux. C'est
ainsi qu'au Québec, on relève, entre autres, les cas suivants:
canadair (masc.) < Canada : avion qui largue
de l'eau sur les incendies de forêt. canadienne (fém.) < Canada : manteau d’hiver épais. castonguette (fém.) < Claude Castonguay, ministre qui a instauré la carte d'assurance-maladie québécoise. micmac (masc.) < Micmacs ou Mi’kmaqs: désordre, fouilli. quétaine (adj.) < Keeting, Keaton ou McKeaton (St-Hyacinthe): famille d'origine irlandaise, qui gardait des porcelets dans sa cuisine et qui aurait eu des goûts vestimentaires et une tenue publique discutables. séraphin (masc.) < Séraphin Poudrier : personnage avare dans le roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon. taxe de bienvenue (fém.) < Jean Bienvenue : ministre dans le cabinet de Robert Bourassa, qui parraina cette taxe en 1976, appelée officiellement «droits de mutation». |
Le procédé, relativement courant dans d'autres langues, peut être illustré par les noms suivants: boycott (< capitaine irlandais Charles C. Boycott), calepino > calepin (< savant italien Ambrogio Calepino), colt (< Samuel Colt, inventeur américain du revolver), diesel (< ingénieur allemand Rudolf Diesel), jacuzzi (< immigrant italien Roy Jacuzzi, qui inventa aux États-Unis un type de baignoire à remous), kalachnikov (< inventeur soviétique du fusil d'assaut, Mikhaïl Kalachnikov), lynchage (< Charles Lynch, juge américain célèbre pour ses manières expéditives), macadam (< ingénieur britannique John Loudon McAdam), saxophone (< Adolphe Sax), etc.
Le français n'a donc pas seulement emprunté aux autres langues, car il leur a aussi transmis de nombreux mots, parfois quelques centaines de mots pour certaines langues (allemand, néerlandais, espagnol, catalan, etc.). Le cas le plus frappant se rapporte à l'anglais qui compte environ 25 000 mots issus du français.
8.1 L'influence du
français sur l'anglais
L'élément déclencheur de l'influence du français sur l'anglais fut l’arrivée de Guillaume le Conquérant, qui devint roi d’Angleterre en 1066. En tant que duc de Normandie, il parlait naturellement le français et le normand. Devenu roi en Angleterre, il accorda de nombreuses terres à ses barons normands et des privilèges à ses hommes d'église. Dès lors, le français s'imposa parmi les élites, et le vieil anglais, parlé depuis 500 ans, resta la langue du peuple. À partir de 1100, on trouve des documents écrits de la présence du français grâce aux dictionnaires étymologiques qui datent précisément l'arrivée de nouveaux mots. |
Ainsi, des mots comme cardinal, prison, justice, couronne (devenu crown), et tout le vocabulaire aristocratique, militaire, juridique, religieux, etc., remontent à cette époque et témoignent de l'influence du français.
Au XIe siècle, l’anglo-saxon était une langue écrite avec une tradition littéraire et linguistique florissante, qui existait à côté d’une tradition latine. Lorsque les Normands ont envahi l'Angleterre, ils ont introduit de nouvelles réalités dans l'organisation du gouvernement, de la culture et des arts; de nouveaux mots français et/ou normands sont imposés naturellement, car ils comblaient une lacune. Cependant, après la conquête normande, la tradition anglo-saxonne s’est perdue et la langue anglaise a été, pourrait-on dire, fondue et réinventée.
L'influence du français sur le
destin de la langue anglaise a été de fait considérable et l'a
marquée de façon indélébile, notamment dans le
vocabulaire. Voici quelques exemples de mots venus du
franco-normand et passés
ensuite à l'anglais (anglo-saxon).
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Relevons par exemple to catch à côté de to chase, tous deux de même origine, mais le premier (to catch) venant du normand cachier («chasser»), le second (to chase), du français chasser ; au mot real du franco-normand s'ajoute royal, du français. Ainsi, viennent du franco-normand des mots comme catch («chasser»), wage («salaire»), warden («surveillant»), reward («récompense») et warrant («garantie»), alors que le français parisien a donné des mots comme chase («chasser»), guarantee («garantie»), regard («respect», «égard»), guardian («gardien») et gage («gage»). La noblesse anglaise a emprunté des titres de fonction au français (prince, duke < duc, peer < pair, marquis, viscount < vicomte et baron), mais en a développé d'autres en moyen anglais: king («roi»), queen («reine»), lord, lady et earl («comte»). Dans le vocabulaire administratif d'origine française, citons county, city, village, justice, palace, mansion (< manoir), residence, government, parliament. Il existe aussi des mots dans le domaine de la religion (sermon, prayer, clergy, abbey, piety, etc.), du droit (justice, jury, verdict, prison, pardon, etc.), de la mode (fashion, collar, button, satin, ornament, etc.), de la cuisine (dinner, supper, sole, salmon, beef, veal, mutton, pork, sausage, pigeon, biscuit, orange, oil, vinegar, mustard, etc.) et de l'art (art, music, image, cathedral, column, etc.).
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Du côté des mots
anglo-saxons,
certains ont été créés: town,
home, house et hall.
C'est ainsi que l'anglais a acquis de
nombreux doublets dans le domaine lexical, l'un
des deux éléments étant d'origine germanique, l'autre d'origine romane:
bookstore / library,
kitchen / cuisine, sheep / mutton,
tream / river, coming / arrival,
tank / reservoir, tongue /
language, town / city, mansion
/ manor, will / testament, etc. Ces mots n'ont pas tout à fait le
même sens bien qu'ils désignent des réalités similaires.
Par exemple, sheep (d'origine anglo-saxonne)
désigne l'animal sur pattes, mais mutton
(d'origine française) désigne la viande cuisinée.
Bookstore (d'origine anglo-saxonne) est une
librairie, mais library (d'origine française) est
une bibliothèque.
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Au cours du Moyen Âge, le vocabulaire anglais se transforma radicalement en raison de ses emprunts au franco-normand et surtout au français de Paris. La noblesse et le clergé anglais, qui connaissaient généralement le français et l'anglais, y introduisirent des mots français relatifs au gouvernement, à l'Église, à l'armée, à la vie à la cour ainsi qu'aux arts, à l'éducation et à la médecine. Un siècle après l'arrivée de Guillaume le Conquérant, plus de 1000 mots normands avaient été introduits en moyen anglais. Par la suite, ce furent des mots français, de l'ordre de plusieurs milliers (environ 10 000). |
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Un
gallicisme est
techniquement un emprunt fait au français par une autre
langue. L'anglais moderne emploie de nombreux
gallicismes (notamment des expressions toutes faites), mais beaucoup d'autres langues ont
aussi eu
recours à ce procédé d'enrichissement.
Le tableau ci-contre présente quelques gallicismes utilisés en anglais contemporain: à la carte, à la française, bon appétit, chef d’œuvre, coup d’État, crème brûlée, entrecôte, joie de vivre, pièce de résistance, etc. Malgré l'anglomanie qui a gagné le monde francophone, l'anglais continue d'emprunter au français, mais de façon réduite. |
Sur une période couvrant près de 900 ans, c'est-à-dire de 1066 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, quelque 25 000 mots français ou franco-normands se sont donc intégrés dans la langue anglaise. C'est considérable au point que les deux tiers des mots anglais sont d'origine latine, française ou normande, ce qui rend l'anglais et le français assez proches au point de vue linguistique, du moins dans le lexique, parce que la grammaire est restée anglaise.
Signalons que certains faits d'ordre linguistique ont joué un rôle déterminant dans les relations entre le français et l'anglais. Nous savons que l'anglais est une langue germanique (comme l'allemand et le néerlandais), alors que le français est une langue romane (comme l'espagnol et l'italien). Sur cet aspect, on s'attendrait à ce que les deux langues soient distantes et hermétiques puisqu'elles n'ont pas la même origine. Pourtant, en raison de l'influence exercée par le français, l'anglais est devenu une langue fortement romanisée dans son vocabulaire. De son côté, le français avait été précédemment très germanisé par le francique au moment de la période romane, ce qui explique en partie beaucoup de ressemblances étonnantes au plan lexical entre les langues française et anglaise.
L'anglais,
rappelons-le, a toujours
abondamment puisé dans le latin et le grec pour acquérir les mots dont il avait
besoin. On peut à ce sujet constater aujourd'hui qu'une très large part du
vocabulaire scientifique et technique anglais est d'origine gréco-latine, ce qui
facilite les acquisitions du français en raison, comme on le sait, d'affinités
naturelles avec les fonds latin et grec. Les
échanges de mots entre l'anglais et le français reflètent la qualité des contacts qu'ont entretenus entre eux
les peuples au cours de leur histoire. En ce qui a trait au français, les faits
révèlent que ces contacts ont été nettement plus étroits avec l'anglais,
l'italien, l'ancien germanique, l'arabe, l'allemand et l'espagnol. Or, tous les
peuples qui parlaient ces langues ont été des voisins immédiats – souvent des
ennemis – des Français. Ainsi, la proximité géographique et les conflits
militaires ont-ils joué un rôle déterminant dans l'évolution des langues. La linguiste Henriette Walter a
bien raison d'affirmer que l'anglais est un «vieux compagnon de
route» depuis près de mille ans:
Depuis bientôt mille ans, la langue française a eu des contacts si fréquents, si intimes et parfois si passionnels avec la langue anglaise qu’on est tenté d’y voir comme une longue histoire romanesque où se mêlent attirance et interdits. |
Il faut surtout retenir que les relations entre le français et l'anglais constituent un phénomène linguistique rare dans l'Histoire, car une langue vivante (l'anglais) imprégnée à ce point par une autre langue vivante (le français) n’est pas un phénomène courant.
8.2 Les mots français dans la langue allemande
Quelques centaines de mots français ont été adoptés par l'allemand. Si certains mots concernent la guerre et les mines, la plupart sont des «emprunts de luxe» résultant de mouvements migratoires de Français vers l'Allemagne. En effet, en 1685, la révocation de l'édit de Nantes sous le règne de Louis XIV entraîna un exode massif de huguenots. Les États allemands accueillirent 50 000 Français, dont 20 000 dans la région autour de Berlin (Brandebourg). Ces immigrants apportèrent avec eux leur langue française, dont certains mots se sont intégrés dans la langue allemande.
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L'allemand
a emprunté beaucoup de mots au français,
soit quelques
centaines. On en trouve quelques exemples dans le tableau de gauche.
Toutefois, on remarquera que si la plupart des termes empruntés ont
le même sens qu'en français, d'autres, au contraire, ont acquis une
signification différente. C'est le cas de Allee
en allemand, qui désigne une avenue, de Baiser («meringue»),
de Boutique («magasin de monde»), de Affaire
(«aventure sexuelle»), de Aubergine qui peut désigner une
couleur en plus du légume.
On pourrait ajouter d'autres exemples tels l'adjectif fidel qui, en allemand, signifie «joyeux» ou encore Komparse qui désigne «le figurant» et Kompagnon «l’associé». Le terme Coiffeur est de niveau soutenu, alors que Friseur est de niveau familier. D’autres emprunts de l’allemand au français ont abouti à des restrictions de sens; l'allemand a deux mots pour désigner le champignon: soit Champignon, soit Pilz; Pilz est le terme général, tandis que Champignon renvoie au «champignon de Paris». De plus, des mots français ont fini par être adaptés à l'allemand: le mot Chauffeur est devenu Schofför ; éclatant > eklatant ; escorte > das Eskorte; étiquette > Etikette; fabrique > die Fabrik; capitaine > Kapitän; rabais > Rabatt, etc. |
D'autres mots, qui désignent des réalités allemandes, ont été adoptés paradoxalement en français: das Eau de Cologne. Ce parfum a été créé à Cologne (Köln) par un parfumeur italien du nom de Jean Marie Farina (Giovanni Maria Farina).
8.3 Les mots français en néerlandais
Les campagnes
militaires de Louis XIV aux Pays-Bas ont contribué à répandre le
vocabulaire français dans ce pays. Selon une étude (L'influence de la
langue française en Hollande, Paris, 1913) du linguiste
néerlandais Salverda de Grave (1863-1947), il y aurait eu
quelque 12 000 emprunts français dans le néerlandais.
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Certes,
beaucoup de ces mots ont disparu, mais la plus grande partie est
encore présente dans le vocabulaire du néerlandais. Parmi les mots français passés en néerlandais, c'est-à-dire
quelques centaines, plusieurs ont conservé le même sens qu’en
français, comme crème brulée, bureau, chauffeur, paraplu,
guillotine, kostuum, restaurant, etc.
Cependant, l’évolution particulière de la langue néerlandaise a abouti parfois à des résultats différents. Par exemple, le mot perron en néerlandais désigne le «quai d'une gare»; un bon en néerlandais est une «contravention» ou simplement un «reçu»; une lune est un «caprice»; un avis est un «journal». Une fois devenu un mot néerlandais, le mot français peut perdre son sens d'origine. |
8.4 Les mots français en italien
On ne peut passer sous silence le fait que
l'italien, avec l'anglais, est la langue qui a donné le plus de nouveaux mots au
français. Mais la question se pose aussi pour l'italien et les mots issus de la
langue française. Est-ce que l'italien a aussi été influencé par le français ?
Bien sûr, car plus de 500 mots italiens, encore utilisés aujourd'hui, sont issus
du français. Dès le XIVe siècle,
des mots français sont entrés dans le
vocabulaire italien, mais d'abord en petit nombre: voyage (> viaggio),
manger (>
mangiare), coussin (> cuscino),
etc. Jusqu'au XVIIe
siècle, les emprunts au français demeurèrent rares, car c'est le français qui empruntait à l'italien.
Si l'italien a effectivement donné des milliers de mots au français à l'époque
de la Renaissance, la situation a été inversée à partir des XVIIe et XVIIIe
siècles. Rappelons qu'au
XVIIe
siècle, la France était devenue un pays incontournable en Europe. Henri IV
(1553-1610), le cardinal de Richelieu (1585-1642) et le cardinal de Mazarin
(1602-1661) avaient assuré la prépondérance française sur ce continent. Sous le
Roi-Soleil, la France acquit de
nouvelles provinces et, grâce au prestige de ses victoires et à l'influence
qu'elle exerçait en Europe, elle devint la plus grande puissance de cette partie
du monde,
ce qui eut pour effet de susciter l'admiration effrénée ("sfrenata ammirazione",
en italien) des Italiens pour la France.
La plus grande influence du français dans le domaine lexical eut lieu entre 1700 et 1800: l'italien lui aurait alors emprunté probablement près de 4000 mots, dont beaucoup sont encore en usage aujourd'hui. La France se distinguait dans tous les domaines: la littérature, la philosophie, les beaux-arts ("belle arti"), les vêtements et la mode (bretella/bretelle, cravatta/cravatte, parrucchiere/salon de coiffure, tuppè/perruque), la gastronomie (bignè/chou à la crème, liquore/liqueur, ragù/sauce), l'ameublement (ammobiliare/meubler, tappezzare/tapisser, toilette/toilettes, sofà/canapé), la vie mondaine (libertinaggio /libertinage, manierismo/maniérisme, scetticismo/scepticisme), etc.
Il ne faut pas croire que cet envahissement du français faisait l'affaire de tous les Italiens. Au début de 1800, des puristes italiens s'élevèrent contre les gallicismes ("gallicismi") et la francisation ("infranciosamento") de l'italien. Mais les Italiens continuèrent d'emprunter massivement au français, un phénomène qui ne devait s'arrêter qu'au XXe siècle avec un nouvel «envahisseur» : l'anglais.
Pendant la période napoléonienne,
la langue française acquit une importance
encore plus considérable en Italie. Les administrateurs, les fonctionnaires et
les membres de la famille de Napoléon favorisèrent par leur présence l'énorme
vogue de la culture et de la langue françaises dans ce pays. En 1926, le
grammairien Ferdinand Brunot écrivait dans son Histoire de la langue
française au sujet de cette époque (1796-1814)
:
Avec les armées, la production française, les idées françaises [...] passent les Alpes. Venise, Gênes, Milan en sont inondées. [...] Tout le monde peut et doit se franciser. |
Le grammairien et
philologue français donne de nombreux exemples de cet envahissement
(en parlant d'«inondation») et il fait référence aux ouvrages didactiques pour
l'apprentissage du français. En dix-huit ans de domination française en
Italie, c'est-à-dire de 1796 à 1814, Ferdinand Brunot a recensé 117 manuels de
français pour cette seule période.
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Dans le Piémont, les religieuses enseignèrent à leurs élèves des classes aisées le français plutôt que l'italien; les jeunes filles furent invitées à lire Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Mirabeau, Diderot et des philosophes «populaires» tels l'abbé Guillaume-Thomas Raynal, Claude-Adrien Helvétius et Julien Offray de La Mettrie, aujourd'hui tous d'illustres inconnus. Il ne faudrait pas croire que cette vogue de la langue française s'arrêtait au nord de la péninsule. À Naples surtout, elle connaissait un franc succès grâce, entre autres, aux traductions et aux adaptations de l'éditeur Luigi Carlo Federici. Des auteurs italiens écrivirent en français au point où il n'existe probablement pas d'États dont les nationaux aient davantage écrit en français que l'Italie, sans oublier que beaucoup de livres français furent imprimés dans ce pays. |
Par voie de conséquence, la langue italienne fut inondée de mots français au cours de cette période et durant les décennies qui suivirent, doit voici quelques exemples dans la colonne de droite: acrobazia (< acrobatie), addizionale (< additionnel), allocazione (< allocation), ambulanza (< ambulance), azzardo (<hasard), etc.
Évolutions divergentes des emprunts français en italien
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La plupart des mots
empruntés au français ont conservé à peu près le même sens en
italien, avec quelques exceptions. Dans le tableau
ci-contre, on trouve des mots italiens et français qui ont une
même étymologie, mais dont les évolutions sémantiques ont été
divergentes.
Ces exemples démontrent que l'italien a non seulement intégré phonétiquement les mots du français, mais aussi qu'il les a adaptés à ses propres besoins au point de vue sémantique et lexical. |
8.5 Les mots français dans les langues ibériques
L'expression «langues ibériques» désigne les langues de la péninsule Ibérique, c'est-à-dire l'espagnol, le catalan et le portugais, bien qu'il existe d'autres langues dans cette péninsule (basque, aragonais, asturien, aranais, etc.). Le français a exercé une influence très importante sur le développement de l'espagnol. Au point de vue linguistique, les deux langues partagent un ancêtre commun, le latin populaire. De plus, la France et l'Espagne partagent une frontière géographique et une même lignée dynastique familiale — le petit-fils de Louis XIV deviendra roi d'Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V) — ce qui a favorisé des échanges linguistiques entre le français et l'espagnol. Cependant, l'influence de la France sur l'Espagne n'était pas exclusivement basée sur le monde politique. Durant cette époque, le français était la langue la plus importante du monde occidental et tout ce qui était français était à la mode.
- La langue espagnole
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Les mots français
passés en espagnol sont au nombre d'environ 300, ce qui semble,
il est vrai,
peu par comparaison à l'italien, à l'allemand, au néerlandais
et, bien sûr, à l'anglais.
Les mots français passés à l'espagnol désignent des réalités françaises adoptées par les Espagnols qui les ont adaptées phonétiquement et grammaticalement à leur langue. Généralement, le genre féminin ou masculin en français a été conservé dans la langue d'arrivée. Par exemple, gofre, baguette, mousse, chucrut, besamel, etc., sont restés au féminin comme en français. Il en est ainsi pour les mots masculins. |
Il peut arriver, comme dans d'autres langues, qu'un mot français adopté en espagnol change de signification. Ainsi, le mot chalet (du français chalet) désigne une maison de villégiature, que ce soit à la plage, à la montagne ou à la campagne, alors que le français standard privilégie une maison de bois en montagne.
- La langue catalane
En raison de son aire linguistique
délimitée
entre les langues d'oïl (nord de la France) et l'Espagne, le vocabulaire
catalan
est constitué de termes généralement plus proches du français et de l'occitan
(soit le gallo-roman) que de l'espagnol et du portugais (soit l'ibéro-roman), et
ce, qu'il s'agisse de noms ou d'adjectifs.
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Les mots catalans
issus du français sont moins nombreux que ceux venant de l'espagnol, bien que
l'histoire des Catalans montre que la langue catalane a subi
une énorme influence du français; le catalan a
également subi la domination du castillan (espagnol d'Espagne),
ce qui a contribué à affaiblir l'influence française.
L'aire catalane se trouvant à proximité de la frontière française, il est normal que le catalan ait subi l'influence du français, surtout parce qu'une partie du sud de la France a appartenu longtemps aux comtes catalans. |
On peut constater la proximité linguistique entre le catalan et le français par les exemples suivants : acròbata (acrobate), ambulància (ambulance), assemblea (assemblée), camuflatge (camouflage), canapè (canapé), capitonar (capitonner), carrabina (carabine), comitè (comité), crema (crème), etc.
- La langue portugaise
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La langue
française a légué au portugais pas moins de 5000 mots sur
les 9500 mots d'origine étrangère, d'après la linguiste
Henriette Walter, ce qui excède
de loin les mots français passés à l'espagnol et au catalan.
La majorité des emprunts au français se situent au XIXe
et au XXe
siècles, soit environ 3500 au XIXe
siècle, et environ 850 au XXe
siècle.
Certains emprunts sont demeurés tels quels en portugais, à l'exception des accents (aigus, graves, circonflexes): banal, champagne, hotel, menu, greve, a la carte, flan, gendarme, etc. La plupart ont toutefois été adaptés à la phonétique et à la morphologie portugaises: abajur, ateliê, avenida, baguete, bijuteria, bufê, buquê, bulevar, cofre, facultativo, fanfara, jornal, maçom, margarina, omeleta, palotó, ragu, etc. La langue portugaise a employé davantage que l'espagnol les changements de sens. Par exemple, le batom (bâton) est un cas de restriction de sens, car il désigne spécifiquement le rouge à lèvres. Le mot bege (beige) change de couleur en portugais, il sert à désigner le jaunâtre. Le bufé (buffet) est une table pour les friandises. La bijureria (bijouterie) est une breloque. La greve (grève) est une réclamation. Le mantô est un châle. Le sutiã (soutien) désigne le soutien-gorge. |
Les mots français empruntés par le portugais sont des «gallicismes», alors que les mots français issus du portugais sont des «lusitanismes». Les Brésiliens désignent les gallicismes par le terme estrangeirismos («étrangérismes). Le domaine lexical qui doit le plus à la langue française est sans doute celui des sciences, qu'il s'agisse de la physique, de la chimie, de la médecine, des sciences humaines, mais il y a aussi celui de la mode et de la gastronomie.
8.6 Les mots français en roumain
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Le français a exercé une
influence significative sur la langue roumaine au début du XIXe
siècle. On pourrait croire que cette influence résulte d'une
conquête et d'une autorité politique de la France, mais il s'agit
plutôt d'une influence idéologique attribuée en partie aux
conséquences de la Révolution française, c'est-à-dire à la pensée
française au siècle des Lumières. On considère que l'apport du
français en roumain constitue 22% du lexique, ce qui est le plus
grand nombre de mots de la part d'une lange moderne.
Le français a fourni au roumain non seulement des noms, des adjectifs et des verbes (afiș, avion, birou, infatigabil), mais également quelques adverbes : deja, vizavi. Les mots français, une fois rendus en roumain, n'ont pas nécessairement le même sens. Ainsi, le mantou («manteau»)devient en roumain un vêtement strictement féminin. |
8.7 Les mots français dans la langue russe
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Dès la seconde
moitié du XVIIIe siècle, la langue française, alors réputée
pour son «universalité», a atteint les cours européennes,
mais aussi la société russe qui s'est soumise à cette mode
avec une docilité surprenante. Dans les grandes villes, mais
aussi en région, les aristocrates ont adopté le français
jusqu'à marginaliser parfois la langue russe. Les Russes
acquirent rapidement en Europe la réputation de parler le
français mieux que les autres nations, surtout à
Saint-Pétersbourg.
Parallèlement, la Russie accueillit de nombreux créateurs français (peintres, architectes, artistes, etc.). Les familles aisées avaient à cœur de faire venir des précepteurs français pour instruire leurs enfants. En outre, l'habitude s'instaura pour tout jeune homme bien né d'effectuer un grand voyage en Europe au cours duquel le séjour en France paraissait incontournable. Les relations entre les deux pays demeurèrent fortes, y compris dans les territoires francophones n'appartenant pas à la France, notamment le duché de Savoie et le comté de Nice. Ainsi, la ville de Nice et la ville de Villefranche ont abrité, dès le milieu du XIXe siècle, alors que la région appartenait encore au duc de Savoie, une importante communauté russe. Le tsar Alexandre II a fait construire une église orthodoxe à Nice pour les quelques centaines de familles qui s’y étaient installées. Depuis cette époque, les voyageurs russes ont pris l’habitude de visiter assidument la Côte d'Azur; ils le font encore aujourd'hui. Cet engouement pour le français de la part des Russes a eu des répercussions dans la langue russe et explique le fait que celle-ci a emprunté environ 400 mots au français. Ce sont des mots relativement courants de la vie quotidienne, qui ont été implantés en russe à partir du XVIIIe siècle; ce mouvement s'est perpétué au XIXe et au XXe siècles (années soviétiques). La littérature russe regorge de termes français russifiés; parmi les auteurs français les plus lus par toutes les générations, on trouve Balzac, Zola, Dumas, Jules Verne, etc. Évidemment, les locuteurs du russe ont tôt fait d'adapter les termes français selon les règles de la langue russe. Le tableau ci-contre présente une courte liste de mots français adoptés en russe; la colonne de gauche est en cyrillique, la colonne du centre est une transcription en alphabet latin, tandis que la colonne de droite correspond aux mots français et à leur signification. Comme on le constate, ce sont surtout des mots simples tels gaz, garage, guide, gramme, caleçon, camellia, capot, café, etc. Il y a aussi des mots composés: abat-jour, garde-robe, etc. On trouve également des expressions familières, comme secret de polichinelle (sekret polishinelya), à la mode (modnyy), etc. |
Après 1991, à la dissolution de l'URSS, la nouvelle Russie a fini par s'ouvrir quelque peu au monde capitaliste et ses regards se sont tournés vers l'Amérique anglophone.
8.8 Le français dans la langue turque
Il peut paraître surprenant que le français, une langue romane, ait exercé une grande influence sur le turc qui appartient à la famille altaïque, comme l'ouzbek, l'azéri, le kazakh, ainsi que le mongol et le mandchou. De son côté, le français a emprunté très peu de mots au turc (75 mots). Il faut savoir que les Turcs (ou Ottomans), après s'être convertis à l'islam et être restés sous l'influence de la langue persane, ont subi ensuite l'influence de la langue et de la littérature françaises lorsqu'ils se sont rendus accessibles à la civilisation occidentale.
En fait, le premier enseignement en français avait commencé à Istanbul en 1669 sous l'Empire ottoman; il s'agissait de l'École de la langue pour garçons ("Dil oğlan okulu") construite et gérée par des prêtres capucins. Par la suite, de nombreuses écoles furent construites au cours de cette période, dans lesquelles l'instruction se faisait souvent en français. La diffusion du français devint plus importante sous le règne de Selim III (1789-1807) et de Mahmut II (1808-1839). À la fin du XVIIIe siècle, l'arrivée d'experts en armement eut pour conséquence l'adoption du français comme langue seconde obligatoire à l'École du génie militaire de Constantinople ainsi que, en 1854, au ministère des Affaires étrangères et à l'administration des Chemins de fer. Les intellectuels, le personnel du palais et le sultan visitaient les ambassades étrangères; ils s'exprimaient régulièrement en français. L'influence du français se fit sentir à peu près dans tous les domaines de la vie des Ottomans. En 1868, la fondation du lycée français de Galatasaray (Galatasaray Lisesi, en turc) à Istanbul marqua aussi une étape importante dans la formation des élites administratives ottomanes. Le français devint alors la langue véhiculaire de l'Empire ottoman qui était un assemblage de nations multilingues et multiethniques.
|
Dans
l'administration gouvernementale, la plupart des employés savaient
le français, ce qui eut comme résultat l'introduction
massive de mots français dans la langue turque. Dans
les années 1839-1876, l’adoption des idées occidentales et
l’emploi de nouveaux vocabulaires pour les exprimer
accélérèrent l'influence du français sur le peuple. Au XIXe
siècle, la langue turque s'imprégna de plusieurs centaines
de mots français. En 1885, on recensait 165 mots français
dans les dictionnaires turcs, mais en 1941 on en
trouvait 2411 dans le Dictionnaire des mots étrangers
(rédigé par Haydar Tuncer). Au total, le turc s'était
enrichi de quelque 2500 mots au milieu du XXe
siècle. On en compterait aujourd'hui plus de 5000.
Les innovations dans le monde de la technologie, de la médecine, des médicaments, des réalités modernes, etc., n'ont pas tardé à marquer la langue turque : grip (< grippe), romatizma (< romantisme), tablet (<tablette), gut (< goutte), enfeksiyon (< infection), preparasyon (< préparation), losyon (< lotion), jel (< gel), antibiyotik (< antibiotique), bakteri (< bactérie), egzema (< eczéma), drog (< drogue), otobüs (< autobus), kamyon (< camion), otomobil (< automobile), tren (< train), koaför (< coiffeur), şoför (< chauffeur), taxsi (< taxi), telefon (< téléphone), etc. Le turc a aussi emprunté au français certains suffixes. |
Avec la révolution linguistique du francophile Mustapha Kemal Atatürk (1881-1938), l'influence du français persista et continua à enrichir la langue turque. Même après l'introduction du nouvel alphabet turc en 1928 (abandon de l'alphabet arabo-persan en usage depuis mille ans), ainsi que la rénovation du lexique turc et de la littérature turque, l'influence du français demeura stable. Les kémalistes ont toujours été des francophiles. Mais après la Deuxième Guerre mondiale, l'anglais vint supplanter le français. Aujourd'hui, la première langue étrangère en Turquie est l'anglais.
8.9 Les mots français en persan
Comme toutes les langues vivantes, le persan a subi diverses influences et a effectué des échanges linguistiques avec d'autres langues. Signalons qu'il existe une controverse d'ordre terminologique au sujet du nom de la langue perse. Avant 1979 et la révolution islamique de l'ayatollah Khomeiny, les Iraniens parlaient le persan, mais l'arrivée au pouvoir du «Guide suprême» entraîna un changement de nom: le persan est devenu le farsi, en rappel du nom de la province du Fârs au centre du pays, et désigne en principe une variété locale du persan, dont le nom a été étendu depuis à l'ensemble de la langue en Iran. Cependant, si le persan est appelé farsi en Iran, il est appelé dari en Afghanistan et tadjik (ou tajiki) au Tadjikistan. C'est pourtant la même langue !
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N'oublions pas que le persan s'écrit avec un alphabet
différent du latin: c'est un système de signes proche de l'alphabet arabe appelé
alphabet
arabo-persan.
La plupart des caractères sont
identiques, mais les différences sont grandes du point
de vue phonétique.
Dans ces échanges entre les langues française et persane, à l'origine de relations politiques, sociales, économiques et culturelles, la traduction a tenu un rôle essentiel. Selon les recherches, c’est le français, parmi les langues européennes, qui a exercé l’influence la plus profonde sur la langue persane. Dès le début de l’établissement des relations entre l’Iran et la France, les Iraniens semblent avoir réservé un accueil favorable à la langue française. Soulignons que le transfert des mots entre la France et l'Iran remonte à des temps anciens. Étant donné que le persan et le français appartiennent à la même grande famille des langues indo-européennes, il est assez aisé de trouver des similitudes entre les deux langues, notamment dans la prononciation de certains mots. Les traces d’une attraction entre la langue française et la langue persane remontent aux XVe siècle au temps de la dynastie des Safavides (ou Séfévides), qui régna sur l'Iran de 1501 à 1736. Beaucoup d'intellectuels iraniens firent alors leurs études supérieures dans des universités de pays européens francophones, essentiellement en France et en Belgique. En même temps, des orientalistes français se mirent à étudier le persan et à en traduire des textes juridiques. Puis de nombreuses lois et de documents administratifs furent directement extraits et traduits à partir de textes français. Pendant longtemps, on enseigna la langue française à titre de langue véhiculaire dans les écoles et les collèges iraniens. La traduction des articles et des rubriques politiques de la presse étrangère participa à l’entrée d'un grand nombre de nouveaux mots et d'expressions dans le lexique persan sous diverses formes. Au XIXe siècle, les échanges culturels se développèrent de façon plus marquée. Cette fascination pour la langue et la culture françaises en Iran fut à l’origine de l’ouverture des premières écoles françaises par les lazaristes (frères ou prêtres de la Congrégation de la Mission fondée en 1625 par saint Vincent de Paul, 1581-1660) à Tabriz en 1839, où se trouvait une importante communauté chrétienne, ainsi qu'à Ispahan et à Téhéran, où le lycée St-Louis ouvrit ses portes aux fils de la diaspora iranienne en 1862. Le développement des sciences en Europe et en France eut des conséquences directes dans la langue persane qui intégra des centaines de mots français. Par la suite, les relations diplomatiques, culturelles et scientifiques entre l’Iran et la France, ainsi que les voyages des étudiants iraniens en France, ont joué un rôle actif dans l’influence qu'a subie le persan. Parce que
l'iranien s'écrit avec l'alphabet arabo-persan, il a semblé utile de recourir à une
transcription latine dans les exemples ci-contre. La plupart des emprunts au
français sont des termes techniques et scientifiques,
mais il y a aussi des mots relatifs à la vie
quotidienne. Beaucoup de mots français ont conservé le
même sens en persan (ou en farsi), avec cependant des
adaptations phonétiques ou une prononciation dite
«iranisée». Ainsi, on a ābāzhur (abat-jour),
āktor (acteur), āmboulāns (ambulance),
āmfiteātr (amphithéâtre), āsānsor
(ascenseur), āsfālt (asphalte), chocolāte
(chocolat), ājāne (agent) cinamâ (cinéma),
sup (soupe), sālāde (salade), séchouoir (séchoir),
tuālet (toilette), vitrin (vitrine),
etc. Ces mots sont aisément reconnaissables en
français. |
8.10 Les mots français en arabe
Nous savons qu'au Moyen Âge la langue arabe a transmis beaucoup de mots au français et que cette langue a encore enrichi le français au XIXe et au XXe siècle. Mais qu'en est-il du côté arabe? Est-ce que le français a transmis des mots à la langue arabe ? Il paraît inconcevable qu'il n'ait pas transmis des mots à ses anciennes colonies ou ses anciens protectorats de langue arabe: le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Mauritanie, le Tchad, Djibouti, la Syrie, etc. L'une des particularités de l'arabe est qu'il n'est pas uniforme et qu'il se présente sous différentes variétés dialectales. Comme chaque pays utilise son arabe propre, que ce soit l'arabe algérien, l'arabe égyptien, l'arabe irakien, l'arabe jordanien (levantin), l'arabe libanais (ou syro-libanais), l'arabe libyen, l'arabe marocain, l'arabe mauritanien, etc., l'apport des emprunts peut paraître relativement complexe. De plus, dans plusieurs pays arabes, comme l'Algérie et le Maroc, il peut exister des variétés dialectales différentes selon les régions.
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Il se trouve que le français a transmis beaucoup de mots à l'arabe, mais surtout à l'arabe dialectal (local). Étant donné que l'Algérie fut une importante colonie française durant cent trente-deux ans, on peut comprendre que l'arabe algérien a emprunté de nombreux mots du français. En voici quelques-uns présents dans le tableau de gauche. La plupart des mots ont été adaptés selon les règles de la phonétique arabe algérienne:
Certains emprunts ont abouti au changement de sens des mots français. Par exemple, le mot gazûz (< gaz) désigne un soda ou une boisson gazeuse; le mot motûr (< moteur) désigne le vélomoteur; le mot machine (machina en algérien) désigne le train; le mot «immigré» est rendu par fakansî parce qu'il décrit un immigré en vacances au «bled». |
D'autres mots ont intégré le déterminant français (l'article): lagâr (gare), lajunis (jeunesse), l'frigidair (frigidaire), etc. Parfois, ce peut être un possessif: le mot boîte a donné en arabe tabwat. Le mot yogourt est intéressant, car il a donné en arabe yûgurt, puis Danûn du nom de la marque commercialisée Danone. Enfin, l'expression «par hasard» a été reprise en barazâr.
8.11 Les mots français
en vietnamien
Le Vietnam fut une colonie française de 1885 à 1946, soit durant une soixantaine d'années. Mais c'est depuis le XVIIe siècle que la France était présente dans cette région. Au cours de la période coloniale, la langue vietnamienne (appartenant à la famille austro-asiatique) a emprunté quelques centaines de mots au français. Un jésuite français, Alexandre de Rhodes (1591-1660), missionnaire en Cochinchine, a inventé l’alphabet romanisé du vietnamien moderne, lequel est encore utilisé. Ce mode de transcription conçu par les Français (et aussi en partie par les Portugais) ne pouvait pas, au début, traduire fidèlement les sons et les tons vietnamiens. L'alphabet fut donc modernisé par un autre missionnaire français, Pierre Pigneau de Behain (1741-1799). Par la suite, des linguistes vietnamiens n'ont cessé de compléter ce système d'écriture et de l'améliorer pour en faire l'alphabet actuel du Vietnam.
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Étant donné que la
langue vietnamienne s'écrit avec un alphabet latin modifié,
appelé quoc-ngu, il est plus ou moins aisé de
reconnaître l'origine française dans le mot en vietnamien.
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Ces mots vietnamiens transcrits à partir de mots français sont simplement donnés ici à titre d’exemples; la liste ne saurait être exhaustive. Aujourd’hui, la langue française au Vietnam n'est enseignée principalement que dans les universités et dans certaines écoles.
8.12 Divers
Les exemples précédents ne représentent quelques langues étrangères qui ont adopté des mots français dans leur lexique. Mais les emprunts ne s'arrêtent pas là, car le français a aussi donné des mots au lituanien, au danois, à l'estonien, au hongrois, au suédois, au polonais, au norvégien, etc. Voici quelques exemples de mots qui ont été empruntés par plusieurs langues:
apéritif, dessert + champagne > italien, allemand et anglais; bonbon > italien, allemand, lituanien, néerlandais, arabe; croissant, menu + entrée > toutes les langues européennes + arabe; champignon (de Paris) > danois, espagnol, arabe, anglais (< fr. mousseron) ; potage > porridge (anglais), potage (italien), potaje (espagnol), potatge (catalan), potagem (portugais); crème caramel > italien, anglais, espagnol, portugais, arabe, danois, allemand, estonien, hongrois, letton, roumain, slovène; béchamel > allemand, anglais, espagnol, italien, arabe; rouge (à lèvres) > arabe, persan, grec, hongrois, etc.; patrouille > patrol (anglais), Patrouille (allemand), pattuglia (italien), patrulla (catalan et espagnol), patrulha (portugais), patrulja (slovène), patrol (finnois), patrulis (lituanien), patrull (suédois), etc.; caprice > caprice (allemand, anglais, suédois, danois, polonais, estonien, espagnol, italien et portugais), mais capritx (catalan); capitaine > captain (anglais), kapitein (néerlandais), kaptajn (danois), capitán (espagnol), capità (catalan), kapteeni (finnois), capitano (italien), kaptein (norvégien), kapitán (slovaque), kaptan (turc); troupe > troop (anglais), Truppe (allemand ), troep (néerlandais), trupp (suédois), trupp (norvégien), truppa (italien), tropa (espagnol), trupa (estonien), trupy (polonais), etc. |
En soi, les emprunts à une langue étrangère ne mettent pas en danger l'existence
des langues. C'est le rapport de force entre elles qui est la source d'un
éventuel danger, et ce rapport n'est pas uniquement déterminé par les individus,
mais aussi par les organismes et les gouvernements.
Les langues empruntent avec une fréquence particulière à celles qui jouissent d’un grand prestige, dont la culture est rayonnante ou l'économie florissante. Ce fut l’arabe au Moyen Âge, puis l’italien au XVIe siècle, le français au XVIIIe siècle et l’anglais depuis le XIXe siècle. L’histoire des langues montre clairement que les emprunts constituent un phénomène normal et universel, qui participe grandement à leur dynamique et à l'enrichissement de leur vocabulaire. Néanmoins, les emprunts sont souvent perçus négativement lorsqu'ils sont considérés comme une menace, en particulier lorsqu'une langue emprunte massivement à une autre qui se trouve en position de domination économique ou démographique. Quoi qu'il en soit, les emprunts constituent un témoignage révélateur dans l'histoire des langues. |
Histoire de la langue française
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Histoire du français au Québec