La situation a bien changé depuis l'Union soviétique. À l'époque soviétique, le russe était la langue véhiculaire de l'Union (язык межнационального общения, soit «langue de communication interethnique» ou «langue de transmission entre les communautés»), mais chaque république avait sa propre langue dite «titulaire» (держателий язык ou derjateliy yazyk). Dans l'actuelle fédération de Russie, le russe est formellement la langue officielle du pays dans la Constitution; ce statut est reconnu dans l'ensemble des lois russes de la Fédération, notamment dans la Loi sur la langue officielle (2005-2021), la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie (1991-2021), le Règlement sur le Conseil de la langue russe (2000), ainsi que dans d'autres textes juridiques de moindre importance.
1.1 La terminologie relative au statut des langues
Le mot «langue» en russe язык, se prononce [yazyk]. Pour les russophones à l'origine des textes de loi, il existe deux termes: celui de "Государственным языком" ("gosudarstvennym yazykom") ou «langue d'État» et celui de "Официальный язык" ("ofitsial'nyy yazyk") ou «langue officielle». Comme dans la plupart des pays d'Europe centrale ou orientale et d'Asie, ces deux notions sont bien distinctes: selon le «droit du sol», la langue de l'État est la même pour tous les citoyens et les institutions du pays, alors que, selon le «droit du sang», il peut exister d'autres langues officielles, soit localement dans des entités territoriales autonomes, soit à l'échelon national pour les ressortissants de telle ou telle communauté linguistique et culturelle reconnue comme «minorité cohabitante» (совместно проживающее меньшинство ou "sovmestno prozhivayushcheye men'shinstvo" ).
Les défenseurs de la langue russe désirent insister sur cette nuance : il n'existe qu'une seule «langue d'État», même s'il existe deux ou plusieurs «langues officielles». En français, l'expression «langue d'État» souvent indistinctement employée pour les deux significations russes, n'a pas de sens particulier autre que celui de «langue officielle» ou celui de «langue nationale». Pour sa part, l'anglais oppose "State language" à "official language", parfois à "national language", expressions souvent employées comme synonymes, surtout dans les États américains.
Dans le cas de la fédération de Russie, la «langue d'État» correspondrait à ce qu'on appellerait en français la «langue nationale», mais en russe la «langue d'État» remplit une fonction d'intégration dans le cadre d'un État donné dans les domaines politique, sociale et culturelle, et agit comme un symbole de cet État. Mais l'expression «langue nationale» renvoie à la nation de «nationalité» qui, elle non plus, n'a pas la même signification en français et dans les langues des pays d'Europe centrale ou orientale et d'Asie centrale, puisqu'en français elle se confond, selon le «droit du sol», avec la «citoyenneté», alors que, dans les langues des pays d'Europe centrale ou orientale et d'Asie centrale, elle est, selon le «droit du sang», distincte de la citoyenneté (en russe гражданство ou "grazhdanstvo") et signifie «ethnie» ou «communauté ethnique» (en russe национальность ou "natsiolanl'nost"). Ainsi, en Russie, la «langue officielle» est celle de l'administration publique, de la législation et de la procédure judiciaire. Autrement dit, le concept de «langue d'État» semble plus englobant que celui de «langue officielle», car la «langue d'État» comprendrait non seulement les domaines des communications officielles et politiques, mais aussi des communications sociales et culturelles. Ainsi, dans le monde slave, le statut de «langue d'État» est hiérarchiquement supérieur à celui de «langue officielle».
Quoi qu'il en soit, dans le cadre de ces articles sur la fédération de Russie, l'expression «langue officielle» sera privilégiée, car le statut de «langue d'État» dans la langue française est inexistant et entraîne plutôt des ambiguïtés lorsqu'on l'utilise quand même.
1.2 La Constitution et la langue officielle
La politique à l'égard du russe reste fidèle à l'article 68 de la Constitution de 1993, qui déclare que la langue officielle de la fédération de Russie sur l'ensemble du territoire est le russe et que les républiques ont le droit d'établir leurs langues officielles:
Article 68
1) La langue officielle de la fédération de Russie sur l'ensemble du territoire est le russe. |
Bien que le russe soit la langue officielle de la Fédération, chacune des entités fédérées (ou «sujets constitutifs de la Fédération») peut avoir une autre langue officielle en plus du russe.
1.3 La Loi sur la langue officielle
En 2004, était adoptée la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie, mais la dernière version date de 2021). L'article 1er de cette loi reprend les dispositions de la Constitution avec plus de précisions quant à l'usage du russe comme langue officielle:
Article 1er Le russe comme langue officielle de la fédération de Russie 3) La procédure d'approbation des règles de la langue littéraire russe moderne, qui est utilisée à titre de langue officielle de la fédération de Russie, et les règles de l'orthographe et de la ponctuation russe sont définies par le gouvernement de la fédération de Russie. 4) La langue officielle de la fédération de Russie est la langue servant à promouvoir la compréhension mutuelle, le renforcement des relations interethniques entre les peuples de la fédération de Russie en un seul État multinational commun. 5) La protection et le soutien du russe comme langue officielle de la fédération de Russie doivent contribuer à l'amélioration et à l'enrichissement mutuel de la culture spirituelle des peuples de la fédération de Russie. 6) Dans l'usage de la langue russe comme langue officielle de la fédération de Russie, il est interdit d'utiliser des mots et des expressions qui ne sont pas conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne (y compris la langue obscène), à l'exception des mots étrangers qui n'ont pas d'équivalents couramment utilisés dans la langue russe. 7) Le caractère obligatoire d'employer la langue officielle de la fédération de Russie ne doit pas être interprété comme déniant ou atténuant le droit d'utiliser les langues officielles des républiques qui font partie de la fédération de Russie ainsi que de la langue des peuples de la fédération de Russie. |
Lorsqu'on lit les divers paragraphes de cet important article de la loi, on constate que la langue russe dont il s'agit est celle de la «langue littéraire russe moderne» et il est obligatoire de l'employer.
Cependant, il n'existe aucune certitude concernant les règles d'orthographe de la langue russe. Certains documents officiels indiquent que les règles d'orthographe et de ponctuation russes établies en 1956 demeure encore officiellement en vigueur. Mais le règlement de 1956 était à l'origine incomplet et, du fait qu'il n'a pas été adapté au cours des 50 dernières années, il ne peut pas refléter les changements linguistiques qui ont eu lieu depuis cette époque. Dans un certain nombre de dictionnaires et d'ouvrages de référence récemment publiés, y compris ceux inclus dans la liste approuvée par le ministère de l'Éducation et des Sciences en 2009, les normes sont fixes ou absentes du code de 1956, voire différentes de celles qui y sont indiquées. En conséquence, il n'y a pas d'idée claire dans la société sur les normes qui devraient être considérées comme officiellement approuvées.
1.4 L'alphabet cyrillique
De plus, la Loi sur la langue officielle ne traite pas de l'alphabet cyrillique. Il faut alors se rattraper sur l'article 3 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie (1991-2021):
Article 3
Statut juridique des langues 6) Dans la fédération de Russie, l'alphabet de la langue officielle de la fédération de Russie et les alphabets des langues officielles des républiques sont construits sur la base graphique de l'alphabet cyrillique. D'autres bases graphiques des alphabets de la langue officielle de la fédération de Russie et des langues officielles des républiques peuvent être prévues par des lois fédérales. |
En somme, la législation ne permet pas d'avoir un autre alphabet que le cyrillique, peu importe la langue. Le premier alphabet slave ou, en l'occurrence, l'alphabet cyrillique fut inventé par des ecclésiastiques de l'Empire byzantin, deux frères originaires de Thessalonique: Constantin, qui a pris le nom de Cyrille, et Méthode. Cependant, le principal inventeur de cet alphabet demeure toujours le plus jeune des deux frères, Cyrille. L'alphabet cyrillique, que plusieurs peuples slaves utilisent aujourd'hui, est né sur la base de l'alphabet grec. Ce n'est pas inhabituel, car la plupart des alphabets dans le monde sont issus d'un autre alphabet. Les Grecs n'ont pas davantage inventé leur propre alphabet, car ils l'ont créé sur la base de l'alphabet phénicien, en l'adaptant à leur propre langue. C'est exactement ce qui s'est produit avec l'alphabet cyrillique. Rappelons aussi que l'alphabet latin est également né sur la base de l'écriture grecque.
Au fil de l'histoire, l’héritage catholique a favorisé l’alphabet latin avec le croate, le polonais, le tchèque, le slovaque, le slovène, le sorabe et le cachoube (Pologne). L’héritage du monde orthodoxe a plutôt favorisé l’alphabet cyrillique avec le serbe, le russe, le biélorusse, l'ukrainien, le bulgare, le ruthène et le macédonien. |
Dans les deux Chambres du Parlement, le Sénat et la Douma, conformément aux articles 11, 12 et 13 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie, les textes des lois ainsi que les autres textes juridiques adoptés par le Parlement sont publiés dans la langue officielle de la Russie et les langues officielles des unités constituantes de la Fédération, le tout étant officiellement et également authentique:
Article 11
La langue de travail des organismes fédéraux du pouvoir d’État, des organismes de l’autorité de l’État des sujets de la fédération de Russie et des organismes d’autonomie locale 3) La langue des projets de lois constitutionnelles fédérales, des projets de lois fédérales, des projets de loi des chambres de l’Assemblée fédérale de la fédération de Russie soumis à la Douma d’État et soumis à l’examen du Conseil de la fédération est la langue officielle de la fédération de Russie. La langue des publication officielle des lois constitutionnelles fédérales, des lois fédérales et d'autres actes juridiques de la fédération de Russie 1) Les lois constitutionnelles fédérales, les lois fédérales, les actes des chambres de l'Assemblée fédérale de la fédération de Russie, les décrets et ordonnances du président de la fédération de Russie, les décrets et ordonnances du gouvernement de la fédération de Russie sont publiés officiellement dans la langue officielle de la fédération de Russie. Article 13 La langue des publications officielles des lois et des autres actes juridiques réglementaires des sujets constitutifs de la fédération de Russie |
Le Règlement de la Douma d’État (1992-2023) énonce que les travaux parlementaires doivent se dérouler en russe, mais si un député désire s'exprimer dans une autre langue des peuples de la Fédération il doit en informer préalablement le Conseil de la Douma:
Article 54 1) Les travaux à la Douma d’État sont effectués en langue russe. Un député de la Douma d’État qui souhaite s’exprimer dans une autre langue des peuples de la fédération de Russie en informe préalablement le Conseil de la Douma d’État. Une telle intervention est accompagnée d'une traduction en russe. 2) Un député de la Douma d’État s’exprime à la tribune, au micro installé dans la salle ou depuis son lieu de travail dans la salle de réunion. 3) Lorsqu'ils siègent à la Douma d'État, les députés doivent porter une tenue de ville correspondant au caractère officiel des activités de la Douma d'État. Article 121 7) L’expertise linguistique d'un projet de loi consiste à évaluer la conformité du texte soumis aux normes de la langue littéraire russe moderne, en tenant compte des particularités de la langue des actes juridiques réglementaires et en donnant des recommandations pour éliminer les erreurs grammaticales, syntaxiques, stylistiques, logiques, éditoriales et techniques et les erreurs dans l’emploi des termes. |
Évidemment, il est très rare qu'un député s'exprime dans une autre langue, car de toute façon il parle le russe. En principe, il faut prévoir un délai de 24 heures pour quérir un traducteur. Lorsqu'un parlementaire demande une telle autorisation, il s'agit d'une intervention à caractère symbolique. De plus, l'article 121, une modification de 2023, exige une expertise linguistique afin d'évaluer la conformité tout texte législatif aux normes de la langue littéraire russe moderne et afin d'éliminer les erreurs grammaticales, syntaxiques, stylistiques, logiques, éditoriales et techniques et les erreurs dans l’emploi des termes.
Depuis la guerre en Ukraine, officiellement une «opération militaire spéciale», la Douma a été surnommée «la folle imprimante» parce qu’elle a adopté près de 200 projets de loi aussi répressifs les uns que les autres en moins d’un an! La caractéristique de la plupart de ces lois c'est d'être interprétables de toutes sortes de façons.
L'article 18 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie traite de la langue de la procédure judiciaire. Entre les organismes judiciaires, que ce soit la Cour constitutionnelle de la Fédération, la Cour suprême, les tribunaux d'arbitrage et toute autre instance judiciaire de la fédération de Russie, la langue russe est obligatoire (par. 1). Dans les républiques ou sujets de la Fédération, la langue officielle de la république et le russe peuvent être utilisés (par. 2). Lorsqu'un justiciable ignore ces langues officielles, il peut s'exprimer dans sa langue maternelle et, en cas de nécessité, le tribunal fournira un interprète (par. 3):
Article 18
Langue de la procédure judiciaire et gestion des dossiers devant les tribunaux et gestion des dossiers dans les organismes d’application de la loi 1) La procédure judiciaire et le travail de bureau devant la Cour constitutionnelle de la fédération de Russie, la Cour suprême de la fédération de Russie, les tribunaux d'arbitrage fédéraux, les tribunaux militaires, ainsi que la tenue des dossiers dans les forces de l'ordre de la fédération de Russie doivent se dérouler dans la langue officielle de la fédération de Russie. La procédure judiciaire et le travail administratif dans d'autres tribunaux fédéraux de droit commun peuvent également se dérouler dans la langue officielle de la république dans le territoire où se trouve le tribunal correspondant. |
Selon l'article 3 de la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie (2005-2021), le russe est obligatoire dans la procédure constitutionnelle judiciaire, civile, pénale et administrative, ainsi que pour la procédure dans les tribunaux d'arbitrage et la procédure administrative dans les tribunaux fédéraux:
Article 3
Domaines de la langue officielle de la fédération de Russie 1) La langue officielle de la fédération de Russie doit être d'un emploi exclusif:
|
En vertu de l'article 10 de la Loi constitutionnelle fédérale sur le système judiciaire (1996-2022), le russe est obligatoire devant certains tribunaux, sauf devant les tribunaux fédéraux de droit commun dans certaines républiques fédérées:
Article 10
Langue de la procédure judiciaire et de la procédure devant les tribunaux |
L'article 4 du Code pénal (1996-2022) interdit simplement la discrimination à l'égard de la langue:
Article 4 Le principe de l'égalité des individus devant la loi Les individus qui ont commis des crimes sont égaux devant la loi et doivent faire l'objet de la responsabilité pénale, indépendamment de leur sexe, de leur race, de leur nationalité, de leur langue, de leur origine, de leur fortune, de leur statut officiel, de leur lieu de résidence, de leur attitude envers la religion, de leurs convictions, de leur appartenance à des associations publiques, ainsi que de toute autre circonstance. |
L'article 18 du Code de procédure pénale (2001-2021) accorde la préséance au russe, sans éliminer les autres langues:
Article 18 1) La procédure pénale doit se dérouler en russe, ainsi que dans les langues officielles des républiques incluses dans la fédération de Russie. À la Cour suprême de la fédération de Russie, les cours de cassation de compétence générale, les cours d'appel de compétence générale, les tribunaux militaires, les procédures pénales se déroulent en russe. 2) Les participants à la procédure pénale qui ne parlent pas ou ne maîtrisent pas suffisamment la langue dans laquelle se déroule la procédure relative à une affaire pénale doivent recevoir des explications et se voir accorder le droit de faire des déclarations, de donner des explications et des témoignages, de déposer des requêtes, de porter plainte, de prendre connaissance des éléments de l'affaire pénale, de s'exprimer devant le tribunal dans leur langue maternelle ou dans une autre langue qu'ils connaissent, ainsi que de consulter gratuitement l'aide d'un interprète selon la manière prescrite par le présent code. 3) Si, conformément au présent code, les documents d'enquête et judiciaires sont soumis à la remise obligatoire au suspect, à l'accusé, ainsi qu'aux autres participants à la procédure pénale, ces documents doivent être traduits dans la langue maternelle du participant correspondant à la procédure pénale ou dans la langue qu'il connaît. |
Mais le paragraphe suivant autorise l'emploi de la langue maternelle pour toute partie à la procédure judiciaire, qui n'a aucune connaissance ou seulement une piètre connaissance de la langue dans laquelle se déroule la procédure; on a alors recours à un interprète.
On trouve les mêmes dispositions à l'article 9 du Code de procédure civile (2002-2023):
Article 9 Langue de la procédure civile 1) La procédure civile doit se dérouler en russe − la langue officielle de la fédération de Russie ou dans la langue officielle de la république, qui fait partie de la fédération de Russie et sur le territoire de laquelle se trouve le tribunal compétent. Dans les tribunaux militaires, la procédure civile se déroule en russe. 2) Les personnes participant au procès et ne connaissant pas la langue dans laquelle se déroule la procédure civile doivent recevoir des explications et se voir accorder le droit de donner des explications, d'apporter des conclusions, de parler, de déposer des requêtes et des plaintes dans leur langue maternelle ou dans toute langue librement choisie de la communication, ainsi que d'utiliser les services d'un interprète. |
Il en est ainsi à l'article 12 du Code de procédure administrative (2001-2023):
Article 12 Langue dans laquelle se déroule la procédure administrative 1) La procédure administrative doit se dérouler en russe − la langue officielle de la fédération de Russie. La procédure administrative devant les tribunaux fédéraux de droit commun situés sur le territoire d'une république faisant partie de la fédération de Russie peut également se dérouler dans la langue officielle de cette république. 2) Pour les personnes participant à une procédure administrative et ne connaissant pas la langue dans laquelle elle se déroule, le tribunal explique et garantit le droit de prendre connaissance des éléments de la procédure administrative, de participer à la procédure, de donner des explications, de parler devant le tribunal, de déposer des requêtes et des plaintes dans leur langue maternelle ou dans la langue de communication librement choisie, de recourir aux services d'un interprète dans les conditions prescrites par le présent code. 3) La décision du tribunal est rédigée en russe et, à la demande de la partie, elle est traduite dans la langue utilisée lors de la procédure. |
De plus, l'article 12 de la Loi sur les notaires et les activités notariales (2011)
Article 12
Langue de la procédure notariale 1) La procédure notariale doit se dérouler en langue russe. La législation d’une république qui fait partie de la fédération de Russie peut prévoir le déroulement simultané d'une procédure notariale en russe et dans la langue officielle de la république. |
L'article 19 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie précise que les règles pour déterminer la langue du tribunal s'appliquent aux actes notariés et aux autres agences d'État effectuant des actes notariés. Les documents sont rédigés dans la langue officielle de la fédération de Russie, si le citoyen demandant l'acte notarié ne comprend pas la langue dans laquelle se déroule la procédure notariale, il doit recourir aux services d’un interprète.
Bref, on peut affirmer que le russe doit être la langue prédominance dans tous les tribunaux, mais il est possible de recourir à une autre langue officielle dont une république fait partie de la fédération de Russie. Au besoin, on fait appel à des interprètes.
Dans un tribunal d'arbitrage, la Loi sur l’arbitrage commercial international (1993) la loi incite les parties à convenir d'une langue commune acceptée:
Article 22
Langue 1) Les parties peuvent, à leur discrétion, convenir de la langue ou des langues à employer dans un arbitrage. À défaut d'un tel accord, le tribunal arbitral détermine la ou les langues à employer dans la procédure. Cet accord ou cette décision, sauf indication contraire, s'appliquera à toute communication écrite d'une partie, à toute audience et à toute sentence ou ordonnance, ou à toute autre communication d'un tribunal arbitral. 2) Le tribunal arbitral peut ordonner qu'une preuve écrite soit accompagnée d'une traduction dans une ou plusieurs langues convenues par les parties ou déterminées par le tribunal arbitral. |
Dans le cas contraire, le tribunal d'arbitrage peut imposer une langue ou exiger une traduction.
Il faut aussi rappeler que le Code pénal de la fédération de Russie abonde de motifs d’arrestation, que ce soit la trahison de l’État, la diffusion d’informations non fiables sur les forces armées, l'interdiction de discréditer l’armée, les actions jugées terroristes, l'interdiction de réhabiliter le nazisme, etc. La Russie d'aujourd'hui semble être revenue à l'époque des purges, des autos noires et des manteaux de cuir de la police secrète qui arrivent chez les gens en pleine nuit pour les arrêter. En moins d'un an, plus de 22 000 personnes ont été arrêtées pour toutes sortes de motifs. De plus, il n'y a à peur près jamais d'acquittement en Russie, surtout s'Il subsiste la moindre ramification politique.
Rappelons que la Russie est une république fédérale constituée de 83 «sujets» de la Fédération, laquelle est composée de républiques, de krais, d’oblasts, de villes d’importance fédérale, d’une oblast autonome et de districts autonomes, tous des sujets égaux en droits de la fédération de Russie. La structure fédérale de cette fédération est fondée sur son intégrité comme État, sur l'unicité du système de pouvoir, sur la délimitation des domaines de compétence et des attributions entre les organismes du pouvoir d'État de la Fédération et les organismes du pouvoir d'État des sujets de la Fédération, ainsi que l'égalité en droits des peuples dans la fédération de Russie. Ce sont les règles constitutionnelles qui déterminent le système fédéral et celui des sujets ou des entités de la Fédération. Cela signifie qu'il faut faire une distinction entre la Fédération et les sujets de la Fédération. Dans le cadre de cet article, l'objet de la description concerne essentiellement la Fédération, non les sujets de cette fédération.
4.1 Le russe dans les institutions fédérales
L'article 11 de la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie (1991-2021) énonce que la langue des services publics et le russe, bien que, dans les républiques fédérées et autres institutions, l'emploi d'une autre langue en plus du russe peut être possible:
Article 11
La langue de travail des organismes fédéraux du pouvoir d’État, des organismes de l’autorité de l’État des sujets de la fédération de Russie et des organismes d’autonomie locale Dans les organismes des autorités de l'État, les organismes d'autonomie locale, les institutions de l’État des républiques, la langue officielle de la fédération de Russie ainsi que les langues officielles des républiques peuvent être employées. |
Quant à l'article 1er de la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie (2005-2021), il impose l'usage obligatoire du russe dans les institutions de la Fédération:
Article 1er
Le russe comme langue officielle de la fédération de Russie |
L'article 3 de la Loi sur la langue officielle définit les domaines obligatoires dans l'emploi du russe:
Article 3
Domaines de la langue officielle de la fédération de Russie 1) La langue officielle de la fédération de Russie doit être d'un emploi exclusif:
2. Dans les noms des pouvoirs publics fédéraux, des pouvoirs publics des sujets de la fédération de Russie et des autres organismes publics, des administrations locales, des organisations de tous les régimes de propriété; 5. Dans la publication officielle des traités internationaux de la fédération de Russie, ainsi que dans les lois et autres actes juridiques réglementaires; 6. Dans les communications entre les organismes publics fédéraux, les organismes publics des sujets de la fédération de Russie et d'autres organismes, les administrations locales, les organisations de tous les régimes de propriété et les citoyens de la fédération de Russie, les citoyens étrangers, les apatrides, les associations publiques; 7. Dans l'orthographe des noms des lieux géographiques et l'application des inscriptions sur les panneaux routiers. |
L'article 4 de la Loi sur la langue officielle garantit la protection et le soutien du russe comme langue officielle par les pouvoirs publics fédéraux:
Article 4
La protection et le soutien de la langue officielle de la fédération de Russie
|
Quant à la Loi fédérale sur les communications (2003), elle précise certains emplois spécifiques en russe:
Article 48
Emploi des langues et des alphabets dans la fourniture de services dans les communications |
Enfin, l'article 21 de la Loi sur les fondements de la fonction publique de la fédération de Russie (2003) oblige tout fonctionnaire à maîtriser la langue russe:
Article 21
Admission et maintien dans la fonction publique |
Dans ces conditions, le russe est la langue de communication pour les institutions de la Fédération auprès des citoyens.
4.2 Le russe comme critère de la citoyenneté
Par ailleurs, la Douma (ou Chambre basse du Parlement russe) a adopté en avril 2002 une loi sur la citoyenneté (modifié en 2022) qui rend obligatoire la connaissance de la langue russe pour obtenir la nationalité russe. La loi, qui autorise notamment la double citoyenneté pour les Russes, prévoit aussi une procédure accélérée d'octroi de la citoyenneté aux ex-citoyens soviétiques vivant sur le territoire des ex-républiques soviétiques et qui n'ont pas de citoyenneté définie. C'est le président Vladimir Poutine qui est à l'origine de cette loi sur la citoyenneté; il désirait favoriser ainsi l'immigration en provenance des pays de l'ex-URSS afin de compenser le déficit démographique de la Russie. L'article 33.1 de la Loi sur la citoyenneté de la fédération de Russie (2002-2022) reconnaît comme russe un citoyen étranger qui parle le russe:
Article 33.1
Reconnaissance d'un citoyen étranger ou d'un apatride en tant que locuteur du russe langue maternelle |
La loi précise qu'un citoyen biélorusse ou ukrainien qui parle le russe peut devenir un citoyen russe sans subir l'examen sur la connaissance de la langue.
4.3 Les dénominations et la publicité
Une autre initiative de la Douma consiste à interdire la publicité dans une langue étrangère. Il s'agit d'une initiative qui s'inscrit dans la législation sur l'étiquetage des produits alimentaires. Après l'effondrement du régime soviétique, la Russie fut envahie par des produits alimentaires étrangers: par exemple, le chocolat belge, les figues turques, le sirop d'érable canadien, et ce, sans aucun mot en russe sur l'emballage. Le gouvernement fédéral a réagi en adoptant des lois sur la protection du consommateur et forcé les sociétés commerciales à utiliser un étiquetage obligatoire en russe. Les sociétés occidentales étaient parmi les premières à se plier à ces exigences. La législation définit les exigences en matière d'étiquetage à respecter par les entreprises et les entrepreneurs qui importent des produits alimentaires sur le territoire de la fédération de Russie.
Ainsi, l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur (1996-2022) oblige les vendeurs et propriétaires d'entreprises à donner leurs informations en russe et aussi, à la discrétion du fabricant, dans les langues officielles des sujets constitutifs de la fédération de Russie:
Article 8
Le droit du consommateur à l’information sur le fabricant (exécuteur testamentaire, vendeur, propriétaire de conglomérat) et sur les biens (travaux, services) 1) Le consommateur a le droit d’exiger la fourniture des informations nécessaires et fiables sur le fabricant (exécuteur testamentaire, vendeur), le mode de son travail et les biens (travaux, services) vendus par celui-ci. |
L'articler 5 de la Loi sur la publicité (2006-2022) interdit notamment d'utiliser des jurons, des images obscènes et offensantes:
Article 5
Conditions générales de publicité |
La publicité dans la fédération de Russie est massivement en russe, mais il arrive que certaines raisons sociales étrangères puissent apparaître en alphabet latin, que ce soit en anglais, en français ou en d'autres langues:
Article 8 Demande d’enregistrement d’une marque 5) La demande doit être accompagnée :
Les documents joints à la demande doivent être présentés en russe ou dans une autre langue. Si ces documents sont soumis dans une autre langue, leur traduction en russe est jointe à la demande. Une traduction en russe peut être soumise par le requérant au plus tard deux mois à compter de la date d’envoi d’un avis sur la nécessité de se conformer à cette exigence par l’organisme exécutif fédéral sur la propriété intellectuelle. |
Déjà en 2013, le président russe participait à la Rencontre littéraire russe, qui s'est tenue le 21 novembre à l'Université russe de l'amitié des peuples. Il prononçait ces propos:
И ещё очень важная тема. Русский язык всегда играл для многонационального народа России могучую объединяющую роль, формировал общекультурный и гуманитарный контекст страны. И здесь уместно вспомнить, что именно благодаря русскому языку весь мир узнал Чингиза Айтматова, Юрия Рытхэу, Алеся Адамовича и Расула Гамзатова. Эта традиция не должна исчезнуть. Она, с сожалением тоже об этом должен сказать, исчезает – к сожалению. | Et un autre sujet est très important. La langue russe a toujours joué un puissant rôle unificateur pour le peuple multinational de Russie, formant le contexte culturel et humanitaire général du pays. Et ici, il convient de rappeler que c’est grâce à la langue russe que le monde entier a reconnu Chingiz Aitmatov, Yuri Rytkheu, Ales Adamovich et Rasul Gamzatov. Cette tradition ne doit pas disparaître. Je regrette de le dire aussi, mais elle disparaît – malheureusement. |
4.4 Les prescriptions sur la qualité de la langue russe
Pour les autorités russes, surtout depuis la présidence de Vladimir Poutine, la qualité de la langue russe semble devenue une grande préoccupation. Dans le Décret du président de la fédération de Russie portant approbation des principes fondamentaux de la politique culturelle de l'État (2023), les termes employés pour le russe − «améliorer», «protéger» et «soutenir» − s'apparent normalement à ceux d'une langue en danger de disparition, ce qui n'est certainement pas le cas pour la langue russe:
Dans le domaine de la langue russe, des langues des peuples de la fédération de Russie, de la littérature nationale et du folklore
|
Le premier article de la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie (2005-2021) traite encore au paragraphe 5 de la «protection» et du «soutien» du russe qui contribue à l'enrichissement des peuples de la fédération de Russie:
Article 1er
Le russe comme langue officielle de la fédération de Russie 5) La protection et le soutien du russe comme langue officielle de la fédération de Russie doivent contribuer à l'amélioration et à l'enrichissement mutuel de la culture spirituelle des peuples de la fédération de Russie. 6) Dans l'usage de la langue russe comme langue officielle de la fédération de Russie, il est interdit d'utiliser des mots et des expressions qui ne sont pas conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne (y compris la langue obscène), à l'exception des mots étrangers qui n'ont pas d'équivalents couramment utilisés dans la langue russe. |
Il est plus surprenant de lire qu'il «est interdit d'utiliser des mots et des expressions qui ne sont pas conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne (y compris la langue obscène)», sauf bien entendu lorsque des mots étrangers n'ont pas d'équivalents en russe.
Le gouvernement s'est doté d'un Совете по русскому языку ("Sovete po russkomu yazyku"), c'est-à-dire d'un Conseil de la langue russe. Celui-ci fut en réalité recréé par décision du premier ministre de la fédération de Russie Dmitri Medvedev en novembre 2013, sous la recommandation du président Poutine.
À l'article 3 du Règlement sur le Conseil de la langue russe, l'une des tâches du Conseil est de préserver «la pureté de la langue russe» (en russe: чистоты русского языка : "chistoty russkogo yazyka"):
|
Le président Vladimir Poutine a lancé un certain nombre d’initiatives pour préserver la «pureté» de la langue russe, notamment en regroupant plusieurs dizaines de responsables gouvernementaux, d’écrivains et de responsables de l’éducation, dans le but d'élaborer de nouveaux dictionnaires et de nouvelles grammaires définissant les normes du russe en tant que langue officielle. Tous les textes et documents des domaines officiels devront être mis à jour au plus tard le 1er janvier 2025; il y aura également des glossaires spécifiques des mots étrangers pour lesquels il n’existe pas d'équivalent russe. Jusqu'à présent, les directives étaient le plus souvent ignorées, mais dans un futur proche les nouvelles normes devront être respectées non seulement dans les écoles, mais également dans les médias, l'Internet et la télévision, où les emprunts linguistiques à d’autres langues sont utilisés de manière excessive, souvent sans besoin évident. Précisons que tous ces ouvrages sur la langue russe devront être des dictionnaires normatifs, des grammaires normatives et des ouvrages de référence normatifs, qui fixeront les normes de la langue littéraire russe moderne lorsqu'elle sera employée comme langue officielle de la Fédération.
Dans le même Règlement sur le Conseil de la langue russe, l'article 4 prescrit au Conseil de la langue russe est de répandre la connaissance du russe dans tout le pays et dans tous les domaines:
Article 4
Conformément aux tâches principales, le Conseil s’acquitte:
Les membres du Conseil participent à la mise en œuvre des mesures visant à soutenir, à développer, à diffuser, à préserver la pureté de la langue russe, à former des spécialistes et à mener des recherches scientifiques dans le domaine de la langue russe au moyen des organismes exécutifs fédéraux, des organisations scientifiques et des associations publiques compétentes. |
De plus, le Règlement sur la Commission gouvernementale de la langue russe (2020) décrit ainsi les tâches de ladite Commission de la langue russe (en russe: "Правительственная комиссия по русскому языку"):
Article 3
Les tâches principales de la Commission sont les suivantes:
|
Dans le Décret du président de la fédération de Russie portant approbation des principes fondamentaux de la politique culturelle de l'État (2023), Vladimir Poutine fait allusion au rôle clé et unificateur de la grande culture russe:
[...]
Le rôle clé et unificateur dans la conscience historique du peuple russe multinational appartient à la langue russe, c'est-à-dire à la grande culture russe. [...] |
Cette propension à employer des termes comme «préservation» ou «protection» reflète une idéologie conservatrice qui n'est que le reflet des valeurs conservatrices d'une étendue plus globale.
4.5 Une nouvelle loi contre les mots étrangers
Le 16 janvier 2023, la Douma d'État de la Russie a adopté en deuxième et troisième lectures un projet de loi sur la protection de la langue russe contre l'usage excessif de mots étrangers. Le titre est le suivant: Закон о защите русского языка от иностранных слов, ce qui signifie mot à mot «loi sur la protection de la langue russe contre les mots étrangers». Non seulement le document introduit les notions de «dictionnaires normatifs», de «grammaires normatives», etc., mais le gouvernement doit déterminer la liste de ces dictionnaires et ouvrages de référence après la signature de la loi par Vladimir Poutine. Les autorités devront également établir une liste d'exigences pour la compilation de tels dictionnaires.
- Les normes de la langue littéraire russe moderne
L'exception sera les mots qui n'ont pas d'équivalents couramment utilisés dans la langue russe. Lorsque la loi sera en vigueur dans le courant de 2023, ces normes devront être respectées dans les relations entre les autorités à tous les niveaux, ainsi que dans la correspondance officielle des organisations de toutes formes de propriété avec les citoyens russes et les étrangers. Ces normes devront également être respectées lors de l'enregistrement des adresses des expéditeurs et des destinataires de télégrammes et d'envois postaux envoyés en Russie. Évidemment, les législateurs incluent dans l'application des mesures les domaines de l'éducation, des médias, du cinéma, de la publicité et des administrations nationales et municipales. On trouvera quelques extraits de cette Loi sur la protection de la langue russe contre les mots étrangers, dont celui-ci portant sur l'approbation du gouvernement concernant les ouvrages normatifs:
1) à l'article 1 : [...] c) La partie 3 doit être libellée comme suit : "3. Lors de l'emploi comme de la langue russe comme langue officielle de la fédération de Russie dans les domaines définis par la partie 1 de l'article 3 de la présente loi fédérale, les normes de la langue littéraire russe moderne doivent être respectées. Aux fins de la présente loi fédérale, les normes de la langue littéraire russe moderne désignent les règles d'usage des moyens linguistiques, fixées dans les dictionnaires normatifs, les ouvrages de référence et les grammaires. La procédure de formation et d'approbation d'une liste de ces dictionnaires, de ces ouvrages de référence et de ces grammaires, les exigences relatives à la compilation et à la fréquence de publication des dictionnaires normatifs prévus dans la présente partie doivent être approuvées par le gouvernement de la fédération de Russie sur la base des propositions de la Commission gouvernementale sur la langue russe. Le règlement relatif à la Commission gouvernementale de la langue russe, sa composition et la procédure de prise de décisions sont approuvés par le Gouvernement de la Fédération de Russie. »; |
Le texte suivant de la Loi sur la protection de la langue russe contre les mots étrangers énonce qu'il est interdit d'employer des mots et des expressions qui ne sont pas conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne (y compris le langage obscène), à l’exception des mots étrangers qui n’ont pas d’équivalent en russe:
d) La partie 6 doit être énoncée comme suit : "6. Lors de l'emploi de la langue russe comme langue officielle de la fédération de Russie, il est interdit d'employer des mots et des expressions qui ne sont pas conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne (y compris le langage obscène), à l’exception des mots étrangers qui n’ont pas d’équivalent communs dans la langue russe et dont la liste figure dans les dictionnaires normatifs prévus dans la partie 3 du présent article.", |
- Les emprunts à l'anglais
Selon des études menées par des spécialistes de l'Université de Saint-Pétersbourg en 2022, la grande majorité de la société russe, y compris la majorité des avocats et des fonctionnaires, n'est pas au courant de l'existence d'une liste officiellement approuvée de dictionnaires définissant les normes de la langue russe moderne, lorsqu'elle est utilisée comme langue officielle. Par contre, les philologues connaissent bien l'existence de cette liste de dictionnaires, mais ils n'attacheraient pas beaucoup d'importance à cette liste et ne la considèrent pas comme les normes officiellement approuvées de la langue russe, lesquelles doivent être respectées dans l'usage officiel de la langue russe. Néanmoins, dans la fédération de Russie, le Service fédéral de supervision des communications, le Roskomnadzor, exercent un contrôle administratif strict sur le respect des exigences relatives à la langue de la publicité et des médias, bien que peu souvent de manière efficace, car les fonctionnaires ignorent les normes lexicales ou grammaticales et n'ont guère les moyens d'appliquer les contrôles qu'il faudrait.
Il faut aussi comprendre que pour les autorités russes et certains écrivains, la langue officielle, le russe, se trouverait à l'heure actuelle «envahie» par les anglicismes et les américanismes «excessifs». En ce sens, la langue ne pouvait plus faire face à une telle «invasion de barbaries» qu'elle n'avait pas le temps d'intégrer. La loi devait entrer en vigueur après être approuvée par le Conseil de la Fédération et le président, puis publié dans la Rossiyskaya Gazeta. À tout hasard, voici quelques-uns des emprunts que le russe doit à l'anglais:
Mots russes en cyrillique | En alphabet latin | Mots anglais | Mots français |
виндпруф джинсы легинсы смокинг шорты шузы |
vindpruf dzhinsy leginsy smoking shorty shuzy |
windproof jeans leggings smoking shorts shoes |
coupe-vent jeans leggings smoking shorts chaussures |
хот-дог чипсы дилер дистрибьютор инвестор маркетинг |
khot-dog chipsy diler distrib'yutor investor marketing |
hot-dog chips dealer distributor investor marketing |
hot-dog chips/croustilles vendeur distributeur investisseur marketing/commercialisation |
ноу-хау прайм-тайм прайс-лист фрилансер холдинг керлинг |
nou-khau praym-taym prays-list frilanser kholding kerling |
know-how prime time price list freelancer holding curling |
savoir-faire heure de grande écoute liste de prix pigiste holding curling |
баскетбол волейбол футбол бейсбол гандбол скейтборд |
basketbol voleybol futbol beysbol gandbol skeytbord |
basketball volleyball football baseball handball skateboard |
basket-ball volley-ball football baseball handball planche à roulette |
браузер кликать ноутбук Бестселлер кемпинг парковка |
brauzer klikat' noutbuk bestseller kemping parkovka |
browser click laptop Best-seller camping parking |
navigateur cliquer ordinateur portable best-seller camping parking |
On remarquera que la plupart des mots anglais ou anglo-américains ont été empruntés également à de nombreuses autres langues, dont le français fait partie, normalement avec des adaptations phonétiques. Pas plus que d'autres langues, le russe ne peut faire l'économie des emprunts. Il est vrai que sous l'Empire russe et l'Union soviétique, le russe donnait ses mots aux langues assujetties telles que l'ukrainien, le biélorusse, le finnois, le kazakh, le géorgien, etc., mai tel n'est plus le cas aujourd'hui avec le développement des relations internationales et l'influence des États-Unis dans le monde. Quoi qu'il en soit, la langue russe n'est certainement pas menacée par les emprunts linguistiques à l'anglais, pas plus que l'espagnol ou l'arabe. D'ailleurs, beaucoup de Russes ignorent qu'ils emploient des mots d'origine anglaise parce qu'ils sont intégrés phonétiquement dans la langue russe.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Russes ont emprunté environ 400 mots au français. Ce sont surtout des mots de la vie ordinaire : gaz (газ ou gaz), garage (гараж ou garazh), caleçon (кальсоны ou kal'sony), cognac (коньяк ou kon'yak), restaurant (ресторан ou restoran), crème (крем ou krem), café (кафе ou kafe), saucisse (сосиска ou sosiska), taxi (такси ou taksi), croissant (круассан ou kruassan), maquillage (макияж ou makiyazh), secret de Polichinelle (секрет Полишинеля ou sekret polishinelya), etc. Ces mots reflètent un engouement pour le français de la part des Russes à une certaine époque. Les Russes d'aujourd'hui ignorent même que ce sont des mots français lorsqu'ils les emploient. Pourquoi en serait-il autrement avec les mots empruntés à la langue anglaise?
C'est avec les réformes linguistiques de Pierre le Grand qu'une influence énorme sur la langue russe s'est exercée par la pénétration de quelques milliers de mots étrangers (slavon d'Église, grec, latin, arabe, turc, allemand, néerlandais, italien, espagnol, français, etc.), principalement des termes militaires, des mots d'articles ménagers, d'aliments, de nouveaux concepts dans la science et la technologie, dans les affaires maritimes, dans l’administration, dans les arts, la musique, etc. Les emprunts linguistiques font partie de la vie des langues.
- Le langage obscène
De plus, à côté des mots étrangers figure aussi le «langage obscène» qui dépasse de loin les obscénités proprement dites, puisque des mots comme куннилингус ou kunnilingus pour «cunnilingus» et парень-гей ou aparen'gueï pour «copain gay» sont catalogués comme «obscènes». Dans un monde très imprégné à la fois de religion, de machisme, de masculinisme militant et de nationalisme sourcilleux comme en Russie, en Chine ou ailleurs, y compris aux États-Unis, l'obscénité est à géométrie très variable. Par exemple, des termes liés à la sexualité, normalement pas du tout grossiers, tels «vulve» (вульва - voulva), «pénis» (хуй ou khouï), «copulation» (совокупление - sovokoupleniyé) ou «prostituée» ((блядь ou bliad') peuvent devenir «obscènes» même dans un contexte d'éducation sexuelle. En Russie, ces termes sont aussitôt assimilés à la «décadence-et-perversion-occidentale» et à la «pernicieuse influence étrangère» dans les pays postcommunistes, islamiques ou intégristes chrétiens.
Si Vladimir Poutine et Xi Jinping se prenaient par exemple les pieds dans un tapis rouge et traitaient d'«enculés» ou de «fils-de-pute» (ублюдок - oublyudok en russe; wángbādàn en chinois), l'équipe qui a installé ledit tapis (ou leurs contradicteurs ou les journalistes), ce ne serait pas une «obscénité», mais juste un juron populaire pleinement justifié dont on sourirait ou même qu'on applaudirait. Toutefois, si un opposant ou un dissident employait le même mot à leur égard, en ajoutant «...d'assassins», «...de néofascistes» ou «...de dictateurs», même ces derniers mots deviendront des «obscénités».
- La promotion du russe
Cet autre article de la Loi sur la protection de la langue russe fait la promotion de la langue russe :
3) à l'article 4 : b) ajouter le paragraphe 3.1 avec le contenu suivant : "3.1) assurer, avec l'intervention de spécialistes, s'il est nécessaire, et avec l'usage des technologies de l'information, la réalisation d'une expertise linguistique et/ou l'édition des textes des projets d'actes juridiques normatifs en préparation afin de les rendre conformes aux normes de la langue littéraire russe moderne;"; c) ajouter le paragraphe 5.1 avec le contenu suivant : "5.1) garantir le libre accès des citoyens de la fédération de Russie à l'étude de la langue russe, créer les conditions pour l'étude de la langue russe par les citoyens étrangers et les apatrides sur le territoire de la fédération de Russie et à l'étranger, et également fournir un soutien aux compatriotes vivant à l'étranger pour l'obtention et la diffusion d'informations, l'usage d'informations en russe sur les territoires des États de résidence des compatriotes; » ; |
En outre, la loi définit les critères d'identité des textes en russe et dans d'autres langues. Il est prescrit que les textes, par exemple présentés en alphabet latin et en cyrillique, doivent être identiques dans la taille, l'emplacement et la couleur de police. Enfin, la loi ne prévoit pas de sanctions en cas de violation des normes de la langue et des mécanismes de réglementation de leur respect.
4.6 Les valeurs conservatrices
Le concept de «conservatisme» fut adopté en août 2009 comme «idéologie de stabilité et de développement» du parti du pouvoir de Vladimir Poutine, "Russie unie" (en russe: Единая Россия), fondé en 2001. Celui-ci s'est défini lui-même «conservateur» en septembre 2013. C'est, dans la politique russe, une résurgence du conservatisme moral tsariste valorisant la famille hétérosexuelle biparentale classique, conforme aux préceptes de l'Église orthodoxe, mais en plus, comme à l'époque soviétique, ce conservatisme se construit sur la sublimation du destin collectif de la nation russe menée par son leader charismatique, et en opposition aux valeurs de l'Occident jugé «décadent» avec son souci du destin personnel de chaque citoyen et de ses droits et libertés. |
- Les perversions
Toutes ces libertés sont assimilées à des perversions puisqu'elles incluent les
mariages entre homosexuels, le «mariage pour tous», les idées pro-LGBT,
l'idéologie "woke", la théorie de la "cancel culture" ou la théorie du genre,
etc. Ainsi, Poutine feint d'ignorer que l'immense majorité des populations
occidentales ne font pas partie de ces communautés minoritaires et déclare que
«la pédophilie est en Occident une valeur morale» répandue partout. Le 21
février 2023, Vladimir Poutine énonçait ces propos:
Посмотрите, что они делают со своими собственными народами. Разрушение семьи, культурной и национальной идентичности. Извращения, издевательство над детьми вплоть до педофилии объявляются нормой, нормой их жизни. А священнослужителей, священников принуждают благословлять однополые браки. | Regardez ce qu’ils font à leurs propres peuples. C'est la destruction de la famille, de l’identité culturelle et nationale. Ce sont la perversion et l’intimidation des enfants jusqu’à la pédophilie qui est déclarée la norme, la norme de leur vie. Et les ecclésiastiques et les prêtres sont forcés de bénir les mariages homosexuels. |
Bien qu'une écrasante majorité des Russes semble approuver le discours antioccidental et expansionniste de leur président, ce genre de propos paraît très éloigné de la réalité dans ce pays, alors que le taux de divorce dépasse les 60%, que la fréquentation des églises est relativement basse, que les oligarques n’ont aucun scrupule à scolariser leurs enfants en anglais au Royaume-Uni, tout en saisissant l'occasion de jouer dans les casinos et de profiter de leurs vacances dans des pays «décadents». Pourtant, d'après un sondage mené en 2010 en Russie, 15 % des Russes avaient admis avoir payé un pot de vin au cours des 12 derniers mois. D'après un ancien conseiller de Boris Eltsine, Georgy Satarov, le montant global des pots de vin dans l'économie russe durant la dernière décennie (de 2010 à 2020) aurait monté en flèche, passant de 33 milliards à plus de 400 milliards de dollars US par an dans le gouvernement de Vladimir Poutine. En 2022, l'indice de perception de la corruption dans le secteur public était de 72 points en Russie. L'échelle va de 0 à 100, et plus le score est élevé, plus la corruption est importante: la Russie occupe ainsi la 139e place (sur 180). Par comparaison, la France se situe à la 21e place avec un score de 28; les États-Unis se situaient à la 24e place, le Canada, à la 14e place. Avec un score de 10, le Danemark est en tête du classement. La triste dernière place est occupée par Somalie (180e).
En 2015, l'homme d'affaires anglo-britannique Bill Browder, qui fut le plus important investisseur occidental en Russie à la fin des années 1990, avait assuré dans un livre intitulé Red Notice que Vladimir Poutine s'était octroyé la moitié de la richesse de tous les oligarques. D'après ses calculs, le président russe disposerait d'une fortune d'environ 200 milliards de dollars. Or, officiellement, Poutine ne dispose que d'un salaire de 11 000 euros par mois et d'un patrimoine qui se résume à un lopin de terre, un appartement à Saint-Pétersbourg, des montres de luxe et trois voitures. Bref, qui ose prétendre détenir le monopole de la vertu ?
- Le défenseur universel des valeurs traditionnelles
Le gouvernement fédéral russe se présente comme le «défenseur» universel des valeurs traditionnelles. Pour le président Poutine, il faut protéger les valeurs traditionnelles qui constituent le fondement spirituel et moral de la civilisation humaine depuis des millénaires. Pour lui, la Russie est une «forteresse de ces valeurs» à laquelle «toutes les nations devraient se rallier». Cette position trouve un certain écho dans les franges conservatrices des opinions occidentales. Parmi ces valeurs, c'est le modèle familial traditionnel qui est privilégié. L’intervention en Ukraine a permis au président russe de bénéficier d’un niveau inédit de soutien dans l’opinion publique. La propagande du Kremlin a donné à l’agression russe − la «réintégration» pour les Russes − une dimension antifasciste, antioccidentale, antilibérale et alliant ce que l'Empire russe et l'Union soviétique avaient de plus conservateur, de plus autoritaire et de plus répressif.
Le chef de la fédération de Russie se présente donc comme le protecteur universel des mœurs en s'adressant aux sociétés dites traditionnelles, où la religion et la morale occupent une place prédominante. Cette idéologie est présente dans la nouvelle version de la Constitution de 2020 par l'insertion de l'article 67.1:
Article 67.1 1) La fédération de Russie est le successeur légal de l’Union des républiques socialistes soviétiques sur son territoire, ainsi que le successeur légal (en continuité légale) de l’Union des républiques socialistes soviétiques en ce qui concerne l’adhésion aux organisations internationales, à leurs organismes, à la participation aux traités internationaux, ainsi qu’en ce qui concerne les obligations et possessions de l’Union des républiques socialistes soviétiques prévus par des traités internationaux conclus en dehors du territoire de la fédération de Russie. 2) La fédération de Russie, unie par une histoire millénaire, préservant la mémoire des ancêtres qui nous ont transmis les idéaux et la foi en Dieu, ainsi que la continuité dans le développement de l’État russe, reconnaît l’unité de l’État historiquement formé. 3) La fédération de Russie honore la mémoire des défenseurs de la patrie et assure la protection de la vérité historique. Il n’est pas permis de minimiser l’importance de l’exploit du peuple dans la défense de la patrie. 4) Les enfants sont la priorité la plus importante de la politique de l’État russe. L’État crée les conditions propices au développement spirituel, moral, intellectuel et physique intégral des enfants et à l’éducation au patriotisme, à la citoyenneté et au respect de leurs aînés. L’État, en veillant à ce que l’éducation familiale soit prioritaire, assume les responsabilités des parents à l’égard des enfants laissés sans soins. |
En s’attaquant à la décadence de l’Occident, Vladimir Poutine oppose d’un côté les Européens et les Nord-Américains décadents à la civilisation russe prétendument patriotique, religieuse et d'une grande moralité, et soucieuse de parler la grande langue russe pure. Bref, l’Europe et l'Amérique du Nord sont entrées en décadence, tandis que la Russie se situe dans une phase ascendante de son histoire. Comme si ce n'était pas suffisant, le patriarche Cyrille de l'Église orthodoxe russe a même déclaré que c'est «Dieu qui l'a placé au pouvoir». Pour Poutine, les piliers des valeurs conservatrices reposent sur la foi orthodoxe, le patriotisme, la langue russe et la défense de la «vérité historique» telle qu'elle est interprétée par le Kremlin. L'une de ces «vérités historiques», c'est que l'Occident essaie d'arrêter le cours de l'histoire en trompant de nombreux Ukrainiens à la «vérité historique» de leur identité civilisatrice avec la Russie. L'interprétation qu'en fait le Kremlin de ces «vérités historiques» détermine ainsi la politique! Bref, l'histoire est donc un élément qui détermine le présent et nécessite certains types d'actions aujourd'hui, comme une «opération militaire spéciale». Celle-ci est donc vue comme une réponse à la perception qu'une identité ukrainienne de plus en plus indépendante doit être le résultat d'une manipulation externe.
On pourrait considérer aussi dans cette idéologie du conservatisme comme une manœuvre politique destinée à discréditer toute opposition libérale au Kremlin et renforcer ainsi la légitimité du régime. En même temps, une Russie conservatrice au plan international peut paraître plus attrayante pour les gouvernements de droite, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou ailleurs.
Le système d'éducation préscolaire est facultatif et il est destiné aux enfants âgés de 2 à 7 ans. Le plus souvent, ce sont des jardins d'enfants, et moins souvent, d'autres établissements d'enseignement qui organisent la garde des enfants et leur enseignent selon un programme préscolaire.
Mais l'enseignement général − la chkola − est obligatoire et comprend une durée de 11 années. Cet enseignement obligatoire est divisé en primaire (3 ou 4 premières années), élémentaire (9 années) et secondaire (10-11 années). Il s'agit généralement d'une école, d'un lycée ou d'un gymnase. Par la suite, l’élève est orienté, en fonction de ses goûts et de ses résultats à l’examen intermédiaire, vers une des filières littéraire, scientifique ou globale. À l’intérieur de chaque filière, les matières sont toutes obligatoires. On peut ajouter à ces matières obligatoires qui constituent la structure essentielle du programme un ou deux matières supplémentaires (art, musique, etc.). Toutefois, il est possible de s'orienter vers l'enseignement professionnel dans une école technique. L'enseignement professionnel vise à former des travailleurs qualifiés, des employés et des spécialistes de niveau intermédiaire. Il peut être obtenu après neuf classes de l'enseignement fondamental ou 10-11 classes de l'enseignement secondaire général obligatoire. |
L'enseignement supérieur en Russie est mis en œuvre à trois niveaux d'enseignement : les diplômes de licence et de spécialisation, les programmes de maîtrise et la formation de personnel hautement qualifié. La formation dans les programmes d'enseignement supérieur est dispensée par des académies, des universités, des instituts, d'autres établissements et organisations d'enseignement.
En Russie, on compte 7192 collèges, lycées, écoles d’étude approfondie des matières, ainsi que 70 000 écoles d’enseignement général. Elles offrent les connaissances à 20 millions d’enfants. Le taux de scolarisation en fédération de Russie est l’un des plus élevés du monde et se monte à 81% de l’ensemble de la population âgée de 7 à 17 ans inclus.
5.1 Le droit à l'éducation
L'article 43 de la Constitution (version de 2020) garantit à tous les citoyens de la fédération de Russie l’accès général et gratuit à l’enseignement préscolaire, primaire, ainsi qu’à l’enseignement secondaire général et professionnel, dans les établissements d’enseignement d’État et municipaux:
Article 43 1) Tout individu a droit à l'éducation. 2) La disponibilité générale et la gratuité de l'enseignement préscolaire, général de base et secondaire professionnel dans les établissements d'enseignement et les entreprises de l'État ou des municipalités sont garanties. 3) Toute personne a le droit, sur une base compétitive, de recevoir gratuitement un enseignement supérieur dans un établissement d'enseignement public ou municipal et dans une entreprise. 4) L'enseignement général de base est obligatoire. Les parents ou les personnes qui les remplacent doivent veiller à ce que les enfants reçoivent un enseignement général de base. 5) La fédération de Russie répartit les normes d'éducation de l'État fédéral, et soutient diverses formes d'éducation et d'autoéducation. |
L'article 5 de la Loi sur la langue officielle de la fédération de Russie prévoit la réception de la formation en russe dans les établissements d'enseignement relevant de l'État et des municipalités:
Article 5
1) La garantie du droit des citoyens de la fédération de Russie relativement à l'usage du russe comme langue officielle de la fédération de Russie prévoit:
|
Il faut consulter également la Loi sur l'éducation (1992-2023). L'article 14 semble de loin le plus important, car il traite des langues d'enseignement. Il précise bien que tout citoyen de la fédération de Russie a le droit de recevoir son instruction dans sa langue maternelle, que ce soit le russe ou une autre langue:
Article 14 Langue d'enseignement 1) Dans la fédération de Russie, l'enseignement est garanti dans la langue officielle de la fédération de Russie, ainsi que le choix de la langue d'enseignement et de formation dans les limites des possibilités offertes par le système d'éducation. 2) Dans les organisations éducatives, les activités pédagogiques doivent se dérouler dans la langue officielle de la fédération de Russie, sauf par disposition contraire du présent article. L’enseignement et l’étude de la langue officielle de la fédération de Russie dans le cadre de programmes pédagogiques accrédités par l’État sont effectués conformément aux normes pédagogiques de l’État fédéral. |
Article 9
Le droit de choisir la langue d'enseignement 1) Les citoyens de la fédération de Russie ont le droit de choisir librement la langue d'enseignement, conformément à la législation sur l'éducation. |
Dans les faits, ce droit n'est exercé que par les locuteurs des langues minoritaires, qui peuvent ainsi choisir de faire leurs études en langue russe.
5.2 L'enseignement supérieur
L'enseignement supérieur en Russie peut être obtenu dans une université, un institut ou une académie. Ce sont les trois formats officiels des établissements d'enseignement qui délivrent des diplômes conformes aux normes d'enseignement acceptées. Ils diffèrent les uns des autres selon les critères suivants :
- dans les universités, on trouve la plus large gamme de spécialités et de domaines pour l'enseignement supérieur. Dans le même établissement d'enseignement, il existe plusieurs facultés et départements : économie, informatique, pédagogie, psychologie, etc. - dans les académies, on forme divers spécialistes dans les domaines tels que l'agriculture, les affaires militaires, la médecine, etc. - dans les instituts, il s'agit souvent d'un profil étroit comme l'économie, le droit, la psychologie, etc. |
Dans les établissements d'enseignement supérieur, pratiquement tout l'enseignement est offert en russe, sauf dans les régions où résident majoritairement des minorités ethniques; en ce cas, l'enseignement est généralement donné en deux langues.
5.3 Les langues étrangères
La plupart des Russes sont convaincus de la nécessité d’étudier les langues étrangères. Selon les statistiques publiées en novembre 2015 par le Centre russe de recherche sur l’opinion publique, 92% des personnes interrogées considéraient l’anglais comme la langue étrangère la plus importante à apprendre. Pourtant, malgré cela, la Russie est à la traîne par rapport au monde développé en termes de maîtrise de l’anglais. Les langues les plus importantes, selon les Russes, après l'anglais, sont l’allemand (17 %), le chinois (15 %) et le français (10 %). Seulement 2% des répondants ont exprimé leur intérêt pour l’étude de l’espagnol et le japonais, tandis que l’Italien, l’arabe et le finnois ne recevaient que 1% chacun.
En Russie, l'enseignement d'une langue étrangère est introduit dans le programme scolaire à partir de la deuxième année du primaire. Les programmes de formation et le nombre d’heures sont élaborés conformément au "Federal'nykh gosudarstvennykh obrazovatel'nykh standartakh" (FGOS), c'est-à-dire les Normes d'éducation de l'État fédéral. Compte tenu des statistiques des dix dernières années, les élèves des écoles primaires européennes commencent à apprendre les langues étrangères plus tôt qu’en Russie. Le programme principal de l’éducation préscolaire russe prévoit des cours de langues étrangères gratuits obligatoires: à partir de 2015 pour les enfants de cinq ans, à partir de 2016 pour les enfants de quatre ans et à partir de 2017 pour les enfants de trois ans; cela signifie qu’à partir de l’année scolaire de 2017-2018, tous les enfants d’âge préscolaire suivent des cours de langues étrangères.
L’une des principales raisons de l’insuffisance des connaissances est le nombre beaucoup plus faible d’heures de langue étrangère obligatoire introduites au cours de l’année scolaire dans les écoles de la fédération de Russie. Malheureusement, le nombre total de cours de langues étrangères ne représente qu'entre 5% et 10% du temps passé à l’école. Dans les classes I à III, les cours de langues étrangères (généralement des cours d’anglais) ont lieu deux fois par semaine; à titre de comparaison, le même nombre de cours de religion est enseigné. Dans les classes IV à VIII, une langue étrangère est enseignée trois heures par semaine. L’apprentissage d’une deuxième langue étrangère − le plus souvent une introduction à l’apprentissage de l’allemand − commence généralement en septième année (classe VII) à raison de deux heures par semaine. La répartition flexible du temps d’étude est un système par lequel les écoles peuvent décider elles-mêmes du temps à consacrer aux matières obligatoires du programme. Les programmes de base élaborés au niveau central déterminent les matières à enseigner, sans préciser le nombre d’heures consacrées par matière. Le deuxième facteur qui affecte négativement la qualité de l’enseignement des langues étrangères dans les écoles repose sur la surpopulation des classes, c’est-à-dire un enseignement en trop grands groupes et avec différents niveaux des élèves. Les élèves les plus faibles abaissent toujours le niveau, de sorte que les plus avancés ne peuvent pas grandir et s’ennuient en classe.
Finalement, les langues étrangères les plus étudiées en Russie sont l’anglais, puis l’allemand, le français, le turc et l’ukrainien. L’emploi de ces langues étrangères est généralement limité aux grandes villes de Russie.
La question des médias n'est pas en reste dans la fédération de Russie, d'autant plus que ces derniers ont probablement fait évoluer dans un sens positif les problèmes posés par la politique russe en matière des nationalités. En effet, de nouveaux programmes ont été élaborés et consacrés à la culture des peuples vivant en Russie, de même qu'un espace d’information générale pour la communication interethnique.
6.1 La liberté de presse
L’article 29 de la Constitution de la fédération de Russie garantit à chacun la «liberté de pensée et de parole», «droit de rechercher, de recevoir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen licite», et la liberté garantie des médias, car la censure est interdite:
Article 29 1) La liberté de pensée et de parole est garantie à chacun. 2) La propagande ou l’agitation incitant à la haine et à l’hostilité sociales, raciales, nationales ou religieuses ne sont pas autorisées. La propagande de supériorité sociale, raciale, nationale, religieuse ou linguistique est interdite. 3) Nul ne peut être contraint d’exprimer ses opinions et ses croyances ou d’y renoncer. 4) Toute personne a le droit de rechercher, de recevoir, de transmettre, de produire et de diffuser librement des informations par tout moyen licite. La liste des informations constituant un secret d’État est déterminée par la loi fédérale. 5) La liberté des médias est garantie. La censure est interdite. |
Ces principes sont précisés notamment dans la Loi sur les médias (1991-2022), dans la Loi sur l'autonomie culturelle (1996-2022) et dans la Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie (1991-2021).
6.2 Les restrictions
Bien que la Loi sur les médias ne contienne aucune restriction sur la langue à employer par les médias, elle interdit l’usage de ceux-ci à des fins d’incitation à l’intolérance et à la haine nationales et religieuses. L'article 4 de cette loi est important, car il sert à justifier toutes sortes d'arrestations sous prétexte d'activités criminelles, de pornographie, de langage obscène, de pédophilie ou de préférences sexuelles «non traditionnelles»:
Article 4 Inadmissibilité de l'abus de la liberté des médias [...] Article 51 Inadmissibilité de l'abus des droits d'un journaliste |
Quant à l'article 51 de la loi, il interdit aux journalistes de «falsifier des informations importantes pour le public» ou de «répandre des rumeurs sous le couvert de rapports fiables», ce qui peut laisser la place à de multiples interprétations.
Le Parlement (Douma d'État) a adopté un large éventail de nouvelles lois
instaurant une censure de guerre assortie de longues peines de prison pour
diverses « infractions », comme le fait de qualifier le conflit armé en Ukraine
de «guerre», de critiquer l’invasion, de commenter le comportement des forces
armées russes et de rendre compte des crimes de guerre commis par les soldats
russes, ou des victimes civiles ukrainiennes. Ces textes s’appliquent à toute la
population russe et non aux seuls journalistes et responsables éditoriaux. La
sanction peut aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Néanmoins, malgré le
bannissement du mot «guerre», quelques journalistes des médias d’État font acte
de résistance à leurs risques et périls.
Ainsi, le 26 février 2022, le Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l'information et des médias, le Roskomnadzor, accusait une dizaine de médias d'avoir diffusé de «fausses informations» sur la guerre en Ukraine. Parmi ces informations, des journalistes avaient parlé d'une «déclaration de guerre» et d'une «invasion» faisant beaucoup de victimes ukrainiennes. Or, les autorités russes exigent des médias qu’ils ne désignent cet événement uniquement comme une «opération militaire spéciale», conformément à la description officielle, afin de libérer l'Ukraine des nazis.
- Le choix des mots
Évidemment, les journalistes ont intérêt à rechercher des mots et des expressions comme «Opération spéciale» (Спецоперация / spetsoperatsiya), «dénazification» (денацификация / denatsifikatsiya), «agent étranger» (иностранный агент / inostrannyï agent), «russophobie» (рocсофобия / rossofobiya), «fascisme» (фашизм / fachizm), «nazisme» (нацизм / natsizm), «stabilité» (стабильность / stabil'nost'), «fake news» (фейковые новости / feïkovye novosti), etc. On s'interroge sur la réalité qui se cache derrière ces mots et leur emploi. Comment sont-ils instrumentalisés par le pouvoir? De plus, le procureur général de la fédération de Russie et ses adjoints sont habilités à «interdire les activités d'un média étranger» sur le territoire de la Fédération lorsqu'il est établi que des «décisions hostiles» ont été prises par des États étrangers en relation avec aux médias russes diffusés à l'étranger.
- La diabolisation de l'Occident
Tout étranger dans une chambre d'hôtel peut trouver presque irréel les émissions d'affaires publiques. On y montre une Europe et une Amérique du Nord à feu et à sang avec des attentats terroristes, des hordes d'immigrants qui envahissent l’Allemagne, des manifestations qui tournent à la violence en France et aux États-Unis. Il est vrai que les résidents de ces pays ne vivent pas au paradis, mais il est difficile de présumer que tout va mal à ce point.
Les journalistes russes reprochent aux Occidentaux d'accuser la Russie de commettre des crimes de guerre en Ukraine. C'est une façon pour les Occidentaux de cacher ses propres «péchés» et de se libérer du poids de la «culpabilité liée à son sombre passé». En diabolisant la Sainte Russie, l'Occident essaie de se débarrasser de la honte qu'il ressent en se regardant dans le miroir. Et tous de rappeler le «génocide total» des peuples indigènes aux États-Unis et «l'histoire honteuse et sanglante du colonialisme» de l'Empire britannique, qui a tué, réduit en esclavage et torturé des millions de personnes.
Évidemment, aucun journaliste n'oserait rappeler les répressions, les tortures et les massacres perpétrés par les tsars de Russie et les Soviets sous Staline, sans parler des politiques actuelles de répression contre les autochtones russes de la Sibérie et l'élimination de tous les opposants à la politique poutinienne.
- Le bonheur est en Russie
Par contre, en Russie, tout va très bien. Des vidéos montrent le président Vladimir Poutine entouré de ses généraux qui hochent la tête en signe d’approbation. Le président est présenté comme une figure paternelle rassurante et comme la voix du gros bon sens. Et l’armée russe protège les citoyens contre les ennemis de la Russie, l'Occident corrompu et immoral qui verse dans l'homosexualité et autres vices immondes. La Sainte Russie est présentée comme la gardienne de la morale et son armée invincible est là pour protéger tous les citoyens contre les menaces des capitalistes dépravés.
Vladimir Poutine dirige la Russie depuis
2000. Il se compare aux empereurs russes et aux anciens dirigeants
communistes. Il est aidé par le patriarche de Moscou Cyrille qui,
avec le parti au pouvoir, a commencé à distribuer des icônes
représentant saint Poutine, le leader national, dans tout le pays.
Il s’agit simplement du remboursement d’une dette envers Poutine
pour avoir soutenu Cyrille lorsqu’il a été élu patriarche de Moscou
il y a une quinzaine d'années. On cache le fait que le régime de Vladimir Poutine est fondé sur la corruption, la propagande, l’autoritarisme, la répression brutale et l’enfermement des opposants. La recette est toujours la même dans la Sainte Russie: il suffit d'imposer un régime de désinformation, de mensonges, de manipulation des faits, de tromperies et de distorsions historiques. Le seul objectif du président Poutine est de conserver leur pouvoir à tout prix, le plus longtemps possible, tandis que le bien-être de ses concitoyens est très secondaire; il suffit en donner juste un peu au bon peuple pour qu'il ne se révolte pas. |
Il faut s'attendre à ce que rien ne change avant longtemps. Beaucoup de journalistes demeureront en exil au cours des prochaines années. Ce sera un très long «voyage» pour plusieurs années dans tout le pays. L'important pour les journalistes exilés, c'est de ne pas perdre le contact avec les événements qui se passent dans la fédération de Russie. Sinon ils risquent de ne plus comprendre leur pays, mais les moyens de communication numériques et le fait que le monde soit encore beaucoup plus connecté les aideront dans cette mission.
6.3 La diversité des langues
L'article 20 de Loi sur les langues des peuples de la fédération de Russie prévoit que le russe, en tant que langue officielle de la fédération de Russie, est la langue des médias. Néanmoins, dans les médias des républiques constituant la fédération de Russie, la langue russe, les langues officielles des républiques constituant la fédération de Russie, ainsi que d'autres langues des peuples résidant sur leur territoire sont utilisées :
Article 20 Langue des médias 1) La publication de journaux et de magazines panrusses, les émissions de télévision et de radio panrusses sont réalisées en russe en tant que langue officielle de la fédération de Russie. Les journaux et les magazines panrusses peuvent également, à la discrétion des fondateurs, être publiés dans d'autres langues. |
6.4 La presse écrite
Le nombre des journaux en Russie est estimé à plus de 400, comprenant les magazines, qui sont publiés dans les différentes régions de la Fédération, dans environ une soixantaine de langues représentant les différents peuples du pays, dont le plus grand nombre est en langue russe. Parmi les journaux les plus répandus, citons la Verssia, la Vremmya, l'Inatche, la Zavra, la Pravda de Moscou, l'Itogui, la Nezavissimaпa Gazeta, le Krestianskye Vedomosti, etc.
Cependant, il semble que la consommation de journaux soit en déclin, puisque seulement 7 % des Russes lisent les journaux. Ce n'est pas une situation unique aux Russes, car avec la diffusion de l'Internet, les principaux titres de la presse écrite ont maintenant tendance à publier leurs contenus en ligne. Le 4 mars 2022, la Douma d'État a adopté une loi sur les «fausses nouvelles militaires», laquelle impose des amendes ou de peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 15 ans pour toute publication d'information non officielle concernant les forces armées russes ou l'«opération militaire spéciale» en Ukraine. Il est strictement interdit d'employer les termes «guerre» et «invasion» pour désigner le conflit. Il ne faut pas oublier que l’État fédéral possède environ 20 % des journaux dans la seule république de Russie, mais jusqu'à 80 % dans l'ensemble des autres républiques fédérées. Quelque 4000 organismes de presse russes sont aujourd'hui subventionnés par les administrations régionales, avec le résultat que la plupart des journalistes sont payés par l'État et qu'ils s'apparentent plus à des employés, pour ne pas dire des «serviteurs de l’État» qu’à de véritables journalistes. Les documents d’information imprimés à Moscou sont diffusés, en plus du russe, en neuf langues (arménien, géorgien, yiddish, kurde, allemand, tatar, ukrainien, tsigane, tchétchène). Dans le kraï de Krasnodar, ils le sont en six langues (adyguéen, arménien, grec, géorgien, kurde, allemand). Dans l’oblast d’Orenbourg, en quatre langues (bachkir, kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast d’Astrakhan, en trois langues (kazakh, allemand, tatar); dans l’oblast de Samara, en trois langues (polonais, tatar, tchouvache); dans l’oblast d’Oulianovsk, en trois langues (allemand, tatar, tchouvache); dans l’oblast de Tcheliabinsk, en trois langues (bachkir, tatar, ukrainien); dans l’oblast de Sakhaline, en deux langues (coréen et nivkhe). |
Le fait de recourir à autant de langues se révèle très utile pour diffuser l'information officielle auprès des peuples de la fédération de Russie, surtout quand on sait que l'information est grandement contrôlée par les administrations régionales. Quoi qu'il en soit, la diffusion de l'information en de si nombreuses langues ne doit pas masquer les pratiques réelles en matière linguistique. Par exemple, depuis plusieurs années, 93 % des journaux sont publiés en russe, soit 4197 sur un total de 4526. Quant aux périodiques publiés en russe, ils comptent pour 94 % de la production totale, soit 2166 titres russes sur un total de 2307.
6.5 La radiotélévision
La Société russe de radiodiffusion et de télévision (en russe romanisé: "Vserossiyskaya gosudarstvennaya televizionnaya i radioveshchatelnaya kompaniya"), également connue sous le nom de télévision et radio russes (russe: "Rossiya Televideniye i radio"), est un radiodiffuseur public qui exploite de nombreuses chaînes de télévision et de radio dans quelque 53 des langues de la fédération de Russie.
En Russie, les émissions de radio sont diffusées en 53 langues, alors que les programmes télévisés le sont en 33 langues nationales. Toutes les sociétés de radiotélévision des républiques, ainsi que de nombreuses sociétés régionales de radiotélévision, diffusent leurs émissions non seulement en russe, mais aussi dans plusieurs langues nationales locales. Par exemple, la société de radiotélévision d’État SRTE Daghestan diffuse ses programmes en avar, azerbaïdjanais, darguine, lack, lesguien, nogaï, tabassaran, tats et tchétchène; la SRTE Bachkortostan émet en bachkir, mari, tatar, oudmourte et tchouvache; la SRTE Orenbourg en bachkir, biélorusse, kazakh, mordve, allemand, tatar et ukrainien; la SRTE Évenk Heglen en kets, évenki et iakoute.
Les lecteurs et auditeurs des journaux, radios et télévisions en langues des nationalités appartiennent essentiellement aux milieux ruraux et sont d'âge moyen et avancé, une situation qui tend à se perpétuer. En général, les consommateurs de médias en langue russe sont de trois à dix fois plus nombreux que ceux des nationalités. L'analyse de l'usage des langues par toutes les radios publiques et privées, montre un déséquilibre évident. Dans certaines entités comme les républiques, on peut compter en général une heure d'émission en langues nationales pour plus de quarante en russe! Cette situation s'expliquerait par le fait que les gens ont l'habitude d'employer une langue en fonction du contenu. Par exemple, certains sujets ne sont traité qu'en russe (social, politique, économie, etc.), l'industrie du doublage des films est peu développée en Russie, les budgets en langues nationales sont plus limités, etc. Ces facteurs ont pour effet de réduire l'importance des médias dans les langues des nationalités.
En dépit du nombre assez important des médias dans les langues des peuples de Russie, ce nombre est encore nettement inférieur au même nombre de médias en russe. On a tendance à associer ce fait à la volonté des rédactions d'optimiser les coûts de création et d'entretien du travail des médias en élargissant l'audience : on entend d'abord l'auditoire russophone, bien plus large que celles des autres langues réunies, en partie grâce à la publicité. Une autre constatation est la prédominance du nombre de stations de radio dans les langues des groupes ethniques par rapport aux chaînes de télévision, probablement en raison des coûts financiers importants nécessaires pour créer une chaîne de télévision et l'adapter à un public bilingue.
En plus de la prédominance du contenu en langue russe par rapport au contenu dans d'autres langues, il faut mentionner le fait que la plupart des médias en région appartiennent à l'État. Finalement, parmi les groupes ethniques, le plus grand nombre de médias est publié dans les langues tatare et bachkir, alors que les autres langues sont faiblement représentées dans les médias.
La politique linguistique élaborée à l'égard du russe peut surprendre, surtout lorsqu'on la compare avec celles des États-Unis pour l'anglais. En Amérique du Nord, l'anglais n'est pas en péril et les Américains n'ont jamais senti le besoin d'adopter des lois pour protéger l'anglais dans leur pays. Leur langue domine tout le continent nord-américain, à l'exception du Mexique, mais inclut le Canada.
Lorsqu'on lit les textes juridiques concernant le russe comme langue officielle, on a l'impression qu'il s'agit d'une langue en grand danger de disparition. En effet, on y trouve des termes propres aux langues faibles, tels que «préservation» ("сохранения"), «protection» ("защиты"), «développement» ("развития"), soutien ("поддержка"), etc. Il semble que les autorités fédérales russes actuelles n'ont pas une grande confiance dans la force de leur propre langue nationale. Elles veulent non seulement l'imposer comme langue des relations interethniques, ce qui peut être justifié, mais leur faut aussi la protéger contre les autres langues, notamment l'anglais, afin de la conserver comme langue «pure», absente même de grossièretés. On tombe ainsi dans la morale et la bienséance! Pourtant, le gouvernement fédéral réussit très bien sa politique d'expansion du russe dans cet immense pays.
Or, la langue russe se trouve dans la fédération de Russie dans une situation de dominance
presque totale, sans rivalité significative. Ce sont les peuples autochtones qui doivent subir une domination linguistique du russe, et ce, d’autant plus qu’au sein des russophones les bilingues sont extrêmement rares. En 2010, l'Atlas de l'UNESCO sur les langues en danger dans le monde considérait que toutes les langues des peuples de la fédération de Russie, à l'exception du russe
(et dans une moindre mesure le tatrar), étaient en danger à des degrés divers, dont une vingtaine «en situation critique» et une quinzaine, «éteintes».
De plus, dans toutes les régions peuplées par les nombreuses ethnies, le russe
demeure la langue de la communication interethnique − une langue véhiculaire −
et la langue en usage des relations avec le gouvernement fédéral, sinon avec
toute administration locale. Ce statut de «langue véhiculaire» constitue un
facteur d'assimilation sous le couvert de la communication interethnique.
Partout où une langue minoritaire autochtone est d'usage possible localement
avec les autorités, le russe demeure, lui, obligatoire. La loi oblige tous les
Russes à apprendre la langue officielle de la Fédération, alors que les langues
officielles locales dans les républiques fédérées ne sont plus obligatoires dans
les écoles depuis 2018 (Loi sur l'éducation):
c'est le règne du libre choix... de choisir le russe. D'ailleurs, il suffit de
déclarer le russe comme sa langue maternelle, même si c'est faux, pour être
exempté de recevoir son instruction dans sa «vraie» langue maternelle. Malgré
les garanties constitutionnelles et les lois fédérales, les langues nationales
des peuples autochtones ne sont jamais devenues des langues administratives, car
les élus et les fonctionnaires s’expriment toujours en russe, la langue
véhiculaire obligatoire. En réalité, les lois fédérales portant sur le statut du
russe ont clairement la préséance sur les lois protégeant les langues minoritaires,
lois par ailleurs irréprochables. Ainsi, dans ses activités, le gouvernement fédéral mène une politique qui contredit en partie ses propres engagements constitutionnels et législatifs. La sauvegarde du russe est jugée prioritaire sur celle des langues minoritaires
dont plusieurs sont en voie de liquidation.
Ces facteurs contribuent à l’assimilation des peuples non russophones dont le processus, commencé sous l'Union soviétique, n'est pas prêt de s’arrêter. En somme, la langue russe n'a rien à craindre des peuples autochtones ni des langues étrangères comme l'anglais ou le chinois. Cette puissante langue qu'est le russe n'aurait pas besoin d'une politique aussi énergique, car la non-intervention ferait le même travail.
|
||
| ||
7) La politique linguistique à l'égard des nationalités |
9) Kaliningrad | |
|
Accueil: aménagement linguistique dans le monde |