Empire russeDe 1721 à 1917 |
Des études linguistiques indiquent qu'il y a 5000 à 4000 ans les premières langues balto-slaves faisaient partie des langues indo-européennes orientales. Il y a plus de 3500 ans, ces langues se sont séparées en deux groupes: les langues baltes, d'une part, les langues slaves, d'autre part. Pendant les 1500 années suivantes, les langues slaves ont évolué parallèlement aux langues grecques, latines (romanes), celtiques et germaniques. Cependant, les langues slaves qu'on connaît aujourd'hui n'existaient pas encore; les peuples slaves parlaient une langue commune − le proto-slave − qui allait se fragmenter plus tard.
1.1 L'arrivée des Slaves
D’après les historiens, le berceau d’origine des Slaves se trouverait sur les territoires de l'actuelle Biélorussie et de l'Ukraine. Or, le sud de cette région fut assez tôt
placé sous l’influence du royaume des Huns, dirigé par Attila (395-453). Les Slaves n'eurent guère d'autre choix que de fuir les envahisseurs pour émigrer dans les régions actuelles qui s'étendaient de la Pologne jusqu'en Bohême et en Moravie (la République tchèque et la Slovaquie) dans les années 450-550. En quelques siècles, les peuples slaves réussirent à s'imposer. À cette époque,
ces groupes parlaient une langue commune appelée le «slave commun».
À partir du VIe siècle, l'unité des peuples slaves se fragmenta, alors qu'ils entreprenaient de grands mouvements migratoires et se dispersaient. En 842, les Varègues, un peuple scandinave associé aux Vikings de Suède, s’installèrent en Europe centrale pour fonder la principauté de Kiev, qui devint la capitale du premier État organisé, lequel comprend aujourd'hui l'Ukraine, la Biélorussie et une partie de la Russie. Ce fut le début de l'État de Kiev (ou État kiévien). |
1.2 La principauté de Kiev
À partir de 912, la principauté de Kiev se mit à accroître son influence sur de nouvelles tribus slaves. Le grand-duc de Kiev, Sviatoslav Ier (945-972), instaura un État puissant au nord des steppes de la mer Noire; après 972, son aire d'influence s'étendit vers le sud et vers l'est, jusqu'à la mer Caspienne. La principauté fut ainsi le premier État slave à s'imposer dans la région, ce qui éveilla l'intérêt de l'Empire byzantin situé plus au sud. L'État kiévien devint à ce moment-là pour Byzance un important partenaire commercial, et aussi un précieux allié militaire.
La ville de Kiev demeura le centre de l'État kiévien
durant deux siècles. C'est sous le règne de
Vladimir le Grand (980-1015) que commença la
christianisation de la principauté, ce qui contribua à unifier le
royaume autour de la nouvelle identité que lui donnait le
christianisme byzantin. À la suite du
schisme de 1054, qui consacrait la séparation de l'Église
catholique d'Occident et de l'Église orthodoxe d’Orient, l'État
kiévien russe demeura fidèle au rite byzantin et à l'Église
d'Orient.
Au XIIIe siècle, les Mongols envahirent la région (voir la carte), provoquant ainsi le démembrement de l'État kiévien. Avec le déclin de ce dernier et sa fragmentation en de nouveaux États, la langue slave orientale commença à évoluer en des langues de plus en plus différenciées. Le slave oriental constitue ainsi le plus proche ancêtre des langues ruthène, ukrainienne, biélorusse et russe. |
Parlée et écrite par les Ruthènes, les Ukrainiens, les Biélorusses et les Russes, cette langue a existé depuis le moment de la formation de l'identité russo-slave et de la naissance du premier État féodal russe des Riourikides au Xe siècle et jusqu’à la fin du XVe siècle, l'époque où eut lieu la division des terres de cet État entre Moscou (Russie), Novgorod (Russie) et la Lituanie. Ces territoires − la Biélorussie et l’Ukraine actuelles ainsi qu'une partie de l'actuelle de la fédération de Russie − demeurèrent sous la domination de la Lituanie, mais la langue slave orientale, devenue entretemps le «vieux russe» en Russie resta l’une des langues officielles de l'État lituanien jusqu'au XVIIe siècle. Le vieux russe intégra entretemps des emprunts à la langue polonaise et vécut jusqu'à la réforme linguistique qu'allait entreprendre Pierre le Grand. Pendant ce temps-là, les langues ruthène, ukrainienne et biélorusse évoluèrent chacune de leur côté pour devenir des langues distinctes, comparables à ce qui s'est passé avec le latin et les langues romanes (français, italien, espagnol, portugais, catalan, etc.). |
2. L'Empire des tsars
Dans la mémoire collective de fort nombreux Occidentaux, dont la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Portugal, en s'étendant outre-mer furent d'importantes puissances coloniales. Mais nous oublions que la Russie fut également un empire colonial, bien que l'expansion russe fût surtout continentale, soit vers l’Europe, l'Asie centrale et la Sibérie jusqu'au Pacifique. Mais la Russie s'est aussi étendue dans l'outre-mer en installant en Alaska la première colonie russe en 1784 et en fondant la Compagnie russe d'Amérique en 1799, un territoire possédée par la Russie jusqu’à sa vente (sept millions de dollars) aux États-Unis en 1867 par Alexandre II.
2.1 L'Empire
L'Empire russe (ou empire de Russie) a comme appellation en russe "Российская империя" (alphabet cyrillique) ou "Rossiskaïa imperia" (alphabet latin). Ce fut un immense empire qui a commencé en 1721 sous le règne de Pierre Ier dit le Grand et qui s'est terminé sous Nicolas II au 14 septembre 1917, jour de la proclamation de la République russe. La capitale de l'Empire russe était Saint-Pétersbourg.
La Russie impériale comprenait les territoires de l'actuelle fédération de Russie, mais également ceux de la Finlande et de la Pologne orientale (grand-duché et royaume dont le tsar russe était le grand-duc et le roi), les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), la Biélorussie, les trois quarts de l'Ukraine, la Moldavie orientale ou Bessarabie, une partie importante de l'Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Turkménistan) et le Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan). En Amérique du Nord, l'Empire russe créa des comptoirs sur la côte pacifique jusqu'à Fort Ross en Californie, et colonisa l'Alaska qui fut vendu aux États-Unis en 1867. C'est sous le règne du tsar Alexis Ier (1645-1676), second souverain Romanov, que la Russie instaura dès 1667 un État policier, puis poursuivit la conquête de la Sibérie jusqu'au Pacifique.1.2. Les tsars Les tsars russes, comme les patriarches de Moscou, portaient le titre «tsar de toutes les Russies» depuis qu'ils avaient progressivement réuni les nombreuses principautés slaves orientales à partir du XIII e siècle, mais leurs ambitions impériales allaient bien au-delà depuis la chute de Constantinople aux mains des Turcs ottomans. Dès lors, les Tsars et les patriarches de Moscou s'affirmèrent protecteurs des chrétiens sujets du sultan ottoman et affirmèrent vouloir restaurer l'Empire byzantin. Le tsar Pierre le Grand (1672-1725) est l'artisan de la Russie moderne; ses réformes et ses acquisitions territoriales transformèrent la vieille Russie féodale. C'est lui entreprit les guerres contre la Suède et les Ottomans afin d'avoir accès à la mer Baltique et à la mer Noire. C'est aussi ce tsar qui entreprit des réformes importantes dans la langue russe. |
Catherine II (1729-1796) acheva la conquête des steppes situées au bord de la mer Noire après avoir défait l'Empire ottoman et annexé le khanat de Crimée. Elle conquit le Caucase (Géorgie, Daghestan, Azerbaïdjan, etc.), le Turkestan et le Kazakhstan. En plus des États baltes, pris aux Suédois, l'impératrice négocia le partage de la Pologne avec le royaume de Prusse et l’empire d’Autriche, effaçant ainsi l’État polonais. Lors de ce partage, elle récupéra une bonne partie de l’Ukraine, celle de la rive droite (occidentale) du Dniepr, où elle institua une politique visant à l'anéantissement de l'Église catholique ukrainienne. Mais la politique de Catherine II à l'égard des peuples non russophones de l'Empire fut centralisatrice, notamment envers l'Ukraine. Elle imposa le russe comme langue d'instruction obligatoire dans les écoles et comme seule langue dans les livres imprimés. En 1785, elle ordonna que dans toutes les églises orthodoxes de l'Empire d'employer la langue russe dans les services religieux.
Alexandre Ier (1777-1825) conquit à son tour des terres non russes comme la Finlande, la Moldavie-Bessarabie, la Géorgie et l'Azerbaïdjan (en effet, les pays baltes et l'Asie centrale pris par Catherine II sont aussi des terres non-russes). Bref, l'Empire était résolument expansionniste, et ce n'était pas terminé! Alexandre Ier inaugura une ère de «despotisme éclairé» (ou se voulant tel) en créant des «colonies militaires» aux frontières, afin d'y reclasser des paysans dans l'intention de diminuer les dépenses de l'État et de créer une zone de protection stratégique. Ces «colonies» représentèrent près d'un tiers de l'effectif de l'armée et furent de véritables camps d'entraînement à la rude discipline (à l'époque il en était de même dans toutes les armées et les gens des colonies militaires étaient tous des volontaires ; de plus ils étaient exemptés de corvées et aussi d'impôts les trois premières années).
Alexandre Ier voyait ses conquêtes comme une «Nouvelle Arcadie» russe, quadrillée de villes aux noms grecs (Tiraspol, Odessa, Kherson, Eupatoria, Sébastopol, Marioupol, Mélitopol, etc.) et à l'architecture néoclassique; le tsar offrit dans ces villes des conditions avantageuses à des centaines de milliers de colons non seulement russes ou ukrainiens, mais aussi bulgares (fuyant les massacres ottomans), allemands (surtout Wurtembergeois) et même suisses (colonie de Chabag aux bouches du Dniestr). Par ailleurs, comme l'Empire avait englobé, lors des partages de la Pologne, des millions de Juifs ashkénazes, Catherine II avait établi pour eux une «zone de résidence» qu'Alexandre Ier limita aux territoires acquis entre 1775 et 1820 uniquement, afin de les empêcher d'aller peupler le reste de l'Empire et de «faire concurrence» (selon la mentalité religieusement discriminante de l'époque) à l'émergence d'une classe moyenne russe orthodoxe. Dans cette «zone de résidence» les juifs étaient regroupés en colonies nommées "shtetlech" («petits bourgs» en yiddish) où beaucoup vivaient en autosubsistance, mais étaient exposés, en période de difficultés économiques ou de tensions ethniques, aux pillages et à la violence antisémite: des dizaines de milliers d'entre eux quittèrent alors la Russie pour l'Amérique du Nord.
Avec Nicolas Ier (1796-1855), ce fut ensuite l'Arménie, tandis qu'Alexandre II (1818-1881) conquit le reste du Caucase et les pays de l'Asie centrale. Par la suite, Alexandre III (1845-1894) annexa la Mandchourie septentrionale et l'île de Sakhaline au nord du Japon. Tous ces souverains pratiquèrent une politique d'expansion et de colonisation russe en Sibérie et en Asie centrale, de russification des pays non russophones et d'assignation forcée des Juifs dans une «zone de résidence» correspondant aux actuels pays baltes, la Pologne, la Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine, d'où ils ne pouvaient que difficilement sortir (sauf pour émigrer vers l'Occident) et où ils étaient à la merci des cosaques qui les «encourageaient» violemment à quitter l'Empire. Nicolas II, le dernier tsar (1868-1918), tenta d'agrandir encore l'empire vers l'est, en Mandchourie méridionale (aujourd'hui, chinoise), mais échoua face au Japon et réprima les mouvements de protestation sans comprendre l'urgence de réformer la Russie. L'affiche de propagande ci-contre de 1890 montre un général à cheval (nécessairement un héros) faisant la promotion des cigarettes de l'usine Kolobov et Bobrov. Pour devenir un héros comme lui, il faudrait fumer ce genre de cigarettes. |
Cela étant dit, dans l’Empire russe du XIXe siècle, tout membre de la maison des Romanov était dans l'obligation d'apprendre plusieurs langues étrangères, généralement à un niveau impressionnant. Pour les Romanov, les trois langues les plus importantes, à part le russe, furent le français, l'anglais et l'allemand. La plupart des nobles russes du XIXe siècle parlaient français; ils étaient normalement éduqués par des gouvernantes britanniques, ils connaissaient donc l'anglais. De plus, les tsars et les princes russes épousaient généralement des princesses allemandes, cette langue devenait donc une quasi-obligation. Lors de ses entretiens diplomatiques avec Napoléon, des témoins avaient remarqué qu'Alexandre Ier parlait mieux le français que son homologue corse. Quant à Alexandre II, il parlait aussi le polonais en plus des quatre autres langues. Alexandre III fut le premier tsar à privilégier le russe à la place du français qu'il maîtrisait quand même avec l'allemand et l'anglais. Quant à Nicolas II, il parlait le russe avec un accent anglais, ce qui ne l'empêchait guère de parler le français et l'allemand.
L'Empire russe donna un solide coup de pouce à la langue russe. En effet, en dépit de la résistance à la russification, les régions assujetties à l'Empire russe durent adopter le russe comme langue seconde. Cette situation s'est généralisée dans tout l'Empire, y compris en Asie centrale et en Europe de l'Est. Au XIXe siècle, l'Empire russe se caractérisa par des politiques très conservatrices et réactionnaires émises par des tsars autocrates.
3.1 Les autocrates
Alexandre Ier (1801-1825) interdit l'enseignement de l'ukrainien dans les écoles à partir de 1804. Il croyait que l'Ukraine était une terre russe, qui n'avait droit à aucun statut particulier. D'ailleurs, au Congrès de 1815, la Russie obtint l'Ukraine en même temps que la Pologne. C'est ainsi que l'est et le sud de l'Ukraine subirent une intense politique de russification. L'exception survint sous le règne réformiste d'Alexandre II (1855-1881), en particulier dans les années 1860, mais malgré les changements entrepris cela ne l'empêcha guère d'adopter une politique linguistique répressive à l'égard des langues locales, dont l'ukrainien. Cela dit, il dans l'Empire russe, il n'existait pas de loi spéciale sur la langue russe ni de loi sur l'emploi des langues, mais parfois des règlements et surtout des pratiques. |
Par exemple, en 1864, le Règlement sur les écoles publiques primaires fut promulgué sous Alexandre II. Ce nouveau règlement sur les écoles primaires de 1864 autorisait le financement par les ministères des écoles primaires. Une toute nouvelle organisation scolaire fut créée pour l'ensemble de l'enseignement primaire dans le but de donner accès à l'éducation aux citoyens russes de toutes les classes. Cette éducation n'était possible qu'en russe, dont voici l'article 4 du Règlement qui semble le plus important:
Статья 3.
Предметами учебного курса начальных народных училищ служат:
Статья 4. В начальных народных училищах преподавание совершается на русском языке. |
Article 3
Les disciplines du cours de formation dans les écoles publiques primaires sont les suivantes:
Article 4 Dans les écoles publiques primaires, l'enseignement doit être en russe. |
Le tsar Alexandre III (de 1881à 1894) poursuivit la même politique de russification que ses prédécesseurs, mais en y ajoutant de nouvelles «trouvailles» comme l'interdiction de choisir un nom de baptême dans une langue locale pour un nouveau-né. C'est ainsi que les Piotr russes (Pierre en français) remplacèrent les Petro ukrainiens, les Piotr biélorusses et polonais, les Peteris lettons, les Petr kazakhs, etc. Sous Alexandre III, les interdictions se succédèrent sans relâche. En 1881, certaines langues, dont l'ukrainien et le biélorusse, furent interdites dans les sermons à l'église; en 1884, ce fut à nouveau la prolongation de son interdiction dans les théâtres et dans les oblasts (régions); puis, en 1895, l'interdiction fut étendue à la publication de livres pour enfants. Alexandre III étendit même la russification en Pologne, dans les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) et en Finlande. L'Empire russe multiethnique devait être, c'est une constante, de langue russe et de religion orthodoxe. Selon Alexandre III : «La Russie n'a que deux alliés, l'armée et la flotte.» Ces deux éléments semblaient indispensables pour gouverner un immense État avec des populations hétérogènes.
Il n'y eut que fort peu de lois régissant les langues dans la Russie tsariste. Il fallut attendre en 1906, alors que le Code des lois de l'Empire russe a fixé le statut juridique de la langue russe en tant que langue nationale. Dans le Code des lois de l'Empire russe, dans la section «Lois fondamentales de l'État», la langue russe a commencé à être définie comme langue nationale et obligatoire dans l'armée, la marine et dans les institutions nationales publiques. Le 23 avril 1906, le texte intitulé «Lois fondamentales de l'État» (en russe: "Основные Государственные Законы") constituaient un texte de loi la séparation entre le pouvoir impérial et le pouvoir administratif; on y trouvait cet article 3 sur la langue russe:
Высочайше
утвержденные Основные Государственные Законы ОСНОВНЫЕ ГОСУДАРСТВЕННЫЕ ЗАКОНЫ Статья 1 Государство Российское едино и нераздельно. Статья 2 Великое княжество Финляндское,
составляя нераздельную часть Государства Российского, во внутренних
своих делах управляется особыми установлениями на основании особого Статья 3 Русский язык есть язык
общегосударственный и обязателен в армии, во флоте и во всех
государственных и общественных установлениях. Употребление местных
языков и наречий в |
Lois fondamentales de
l'État, approuvées par la Cour suprême (23 avril 1906)
LOIS FONDAMENTALES DE
L'ÉTAT L'État russe est un et indivisible. Article 2 Le grand-duché de
Finlande, qui constitue une partie inséparable de l’État russe, est
régi dans ses affaires intérieures par des règlements spéciaux sur
la base d’une législation particulière. La langue russe est la langue nationale et obligatoire dans l'armée, dans la marine et dans toutes institutions nationales et publiques. L'emploi des langues et des dialectes locaux dans les institutions nationales et publiques seront déterminées par des lois. |
Le second énoncé de l'article 3 n'a jamais été mis en application. Rappelons que l'Empire russe a été formé comme un État multinational. Cependant, les intérêts des minorités nationales n'étaient guère pris en compte par le pouvoir suprême et la législation impériale, car les lois et les coutumes locales étaient plutôt préservées par les autorités locales dans les régions. Dans la pratique, Saint-Pétersbourg ne s'intéressait pas aux peuples des régions et encore moins à leurs langues. De façon générales, les régions étaient laissées à elles-mêmes, sauf en cas de révoltes.
La centralisation administrative l'Empire russe impliquait inévitablement un fort degré de russification, car le russe était la langue de la bureaucratie impériale et avait donc la priorité sur toutes les autres langues. L'avènement au trône d'Alexandre II (de 1855 à 1881) accentua la venue d'un État russe plus fort, plus moderne et plus centralisé, encore plus russifiant. Cependant, à la longue, la politique de russification poursuivie par Alexandre III (de 1881 à 1894), combinée aux contre-réformes, contribua à la diabolisation des Russes qui n'étaient plus perçus par les autres ethnies comme la voie du progrès et de la civilisation, mais comme un agresseur et un oppresseur.
Il faut avoir à l'esprit qu'à cette époque la russification de l'État constituait un droit parce qu'elle favorisait la fidélité des fonctionnaires qui, pour rendre le service, devait connaître la langue officielle de l'État. Le peuple des campagne n'était pas vraiment visé par la russification, sauf pour apporter les lumières de la «civilisation russe» jugée supérieure.
3.2 L'expansion
en Asie
centrale
La conquête de l’Asie centrale fut le dernier volet de l’expansion russe. Ce fut une colonisation «par continuité géographique» faite au nom de l’État tsariste qui rattacha la Kirghizie à l'Empire. En matière de langue, la Russie tsariste adopta diverses mesures visant à propager le russe dans les territoires conquis en Asie centrale. La russification administrative fait référence à la centralisation croissante de la bureaucratie impériale russe qui était un processus en cours depuis au moins le règne de Nicolas Ier (de 1825 à 1855). Celui-ci adopta un programme de russification qui visait à éliminer ou du moins à circonscrire les langues et les cultures des minorités, surtout dans la partie occidentale de l’Empire russe où sévissaient des mouvements nationalistes. La fermeture d’écoles et de journaux s’accéléra, tout en pratiquant une campagne de russification de l’enseignement dans le but de renforcer la loyauté au tsar et à l’Empire.
C’est ainsi que l'administration tsariste n'utilisa que le russe, alors que des écoles furent ouvertes dans les «colonies» à la fois pour les enfants russes et les «autochtones» afin de faire utiliser par ces derniers la langue russe. Mais ceux-ci continuèrent à employer leur langue ancestrale.
3.3 Les révoltes
À long terme, les politiques d'assimilation pratiquées par les tsars conservateurs et rétrogrades suscitèrent l'opposition des révolutionnaires. Le tsar Alexandre II, après avoir survécu à quatre tentatives d'assassinat, périt dans un attentat (le 13 mars 1881) à la grenade artisanale perpétré par un révolutionnaire polonais. Alexandre III dut lui aussi faire face à des tentatives d'assassinat. Sous Nicolas II (1894-1917), le gouvernement russe proscrivit, par exemple, l'usage du mot Ukrayina (en fait: Ukraine) et imposa la dénomination de la Malenʹkaya Rossiya(«Petite Russie»), par opposition à la Velikaya Rossiya (Grande Russie > Russie centrale européenne) et à la Belaya Rossiya (Russie blanche > Russie de l'Est ou Biélorussie). C'est pourquoi on disait que le tsar était «le souverain de toutes les Russies: la Grande, la Petite et la Blanche». Les Ukrainiens furent officiellement appelés les «Petits Russes». On attribue au tsar Nicolas II cette phrase: «Il n'y a pas de langue ukrainienne, juste des paysans analphabètes parlant peu le russe.»
La Russie impériale entre en guerre contre le Japon en 1904 et fut suivie d'une révolution en 1905, ce qui révéla les faiblesses de ses forces armées et les profonds clivages politiques et sociaux auxquels s'ajouta la question des minorités nationales. Dès le début de la Première Guerre mondiale, la Russie accumula des défaites et dut subir de lourdes pertes humaines et territoriales. En même temps, pendant que les ouvriers, mal logés dans des villes insalubres, demeuraient réceptifs aux propagandes révolutionnaires des socialistes bolcheviks, des socialistes populistes et des anarchistes, les paysans étaient mal nourris et peu instruits (avec 70% d'analphabètes), alors que le prélèvement fiscal par habitant était supérieur à celui du Royaume-Uni. Devant une telle situation, l’État impérial ne fit rien pour satisfaire les revendications autonomistes et culturelles des ouvriers et des peuples périphériques. Puis les conditions de vie des travailleurs se dégradèrent à un point el que le tsar Nicolas II dut
En octobre 1917, Lénine (ci-contre) et Trotski considérèrent que le moment était venu d’en finir avec la situation de double pouvoir − le gouvernement provisoire et le soviet des députés ouvriers − et lancèrent l’insurrection armée est lancée dans la nuit du 6 au 7 novembre 1917 (soit du 24 au 25 octobre dans le calendrier julien). Si la révolution d'Octobre mettait fin à l'oppression des tsars chez les peuples non russophones, elle ouvrait désormais la porte à celle des Soviétiques, qui allait suivre. Bref, le peuple russe et les minorités nationales n'étaient pas au bout leurs peines! |
C'est vers le IXe siècle que l'Europe de l'Est
se christianisa. La Bible était alors uniquement connue sous la traduction grecque de la version en hébreu réalisée à Alexandrie aux IIe et IIIe siècles. Or, la langue utilisée pour ce faire devait être était le slavon, une langue que personne ne parlait comme langue maternelle, car c'était une langue liturgique issue du vieux slave dont on devait adapter la prononciation et l'orthographe, et en remplaçant certaines expressions et mots anciens et obscurs par leurs synonymes vernaculaires.
Afin d’évangéliser son royaume, l'empereur de la
Grande Moravie, le prince Rastislav (820-870), fit appel en 863 à deux missionnaires de Byzance, Cyrille et Méthode, pour traduire les Saintes Écritures. Les deux missionnaires s'employèrent à diffuser la religion chrétienne en recourant à la langue slave vernaculaire et en inventant un alphabet pour l’écrire.
Cyrille et Méthode désiraient remplacer l'alphabet grec dans le but de transcrire les nombreux sons du slavon fort différents de ceux du grec, afin d'en faire ensuite la traduction de la Bible. Pour simplifier, disons que c’est ainsi que fut créé l’alphabet cyrillique, dont la paternité revient à Cyrille. La mission culturelle cyrillo-méthodienne eut un impact significatif sur la plupart des langues slaves, car elle les a marquées par l'alphabet cyrillique. En effet, cet alphabet sert, depuis plusieurs siècles, à transcrire le russe, le bulgare, le serbe, l’ukrainien, ainsi que de nombreuses autres langues non slaves, notamment des langues turques comme le kazakh et l'ouzbek. |
À son apogée, l'écriture cyrillique servit à noter plus d'une soixantaine de langues, non seulement des langues slaves (russe, bulgare, serbe, ukrainien, etc.) mais aussi des langues indo-iraniennes (kurde, ossète, tadjik), des langues caucasiennes (abkhaze, adyguéen, ingouche, tchétchène, etc.), des langues turques (azéri, bachkir, karakalpak, kazakh, kirghiz, nogaï, tatar, turkmène, ouzbek, etc.), des langues finno-ougriennes (khanty, komi, etc.), des langues samoyèdes (nenets, selkup, etc.), des langues mongoles (mongol, bouriate, etc.), des langues toungouzes (even, evenki, nanaï, etc.), des langues paléo-sibériennes (koriake, nivkhe, tchouktche, etc.) et même des langues romanes comme le roumain et le moldave. Les églises chrétiennes orthodoxes diffusèrent avec succès l'alphabet cyrillique. |
L’héritage catholique favorisa l’alphabet latin avec le croate, le polonais, le tchèque, le slovaque, le slovène, le sorabe et le cachoube (Pologne). L’héritage du monde orthodoxe favorisa plutôt l’alphabet cyrillique avec le serbe, le russe, le biélorusse, l'ukrainien, le bulgare, le ruthène et le macédonien. Aujourd'hui, l'alphabet cyrillique demeure un alphabet en vigueur dans plusieurs pays, même en Mongolie. Or, bien que le russe n'ait jamais été formellement (de jure) déclaré langue officielle ni par l'Union soviétique ni par aucune république, même pas dans la fédération de Russie (jusqu'au 12 décembre de la Constitution de 1993), il a toujours joui du statut de langue officielle de facto.
Dernière mise à jour: 17 févr. 2024
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