-
République d'Albanie
|
Albanie
Informations générales
et démolinguistiques
(Première partie) |
Capitale: Tirana
Population: 2,9 millions (2016)
Langue officielle: albanais
Groupe majoritaire: albanais (90 %)
Groupes minoritaires:
tsigane (2,8 %), grec (1,7
%), macédonien (0,9 %), aroumain (0,6 %), serbe (0,6 %), tsigane, etc.
Système politique:
république parlementaire à tendance
présidentielle
Articles constitutionnels (langue):
art. 2, 4, 25 et 25 de la
Constitution de 1991; art. 14, 18, 20, 22, 23, 24, 28 et 31 de la
Constitution de 1998
Lois linguistiques: Décision
n°
396 sur l'instruction primaire donnée aux personnes appartenant à des
minorités nationales dans leur langue maternelle (1994);
Loi
n° 7952 du 21 juin 1995 relative au système d'éducation
pré-universitaire (abrogée);
Loi sur la liberté de réunion (1996);
Code de procédure civile (1996);
Loi
sur la radiotélévision publique et privée (1998);
Loi sur la nationalité albanaise
(1998);
Loi sur les droits et le traitement des détenus
et des prisonniers (1998);
Loi sur le médiateur
(1999);
Ordonnance conjointe pour l'adoption du règlement interne sur la
police municipale et communale (2003);
Loi sur la protection du consommateur (2003);
Loi sur le patrimoine culturel (2003);
Décision n° 127 sur la
création du Comité national pour les minorités (2004);
Loi
sur le Centre national d'enregistrement (2007);
Code électoral
(2008);
Code
pénal (2010);
Loi sur la protection contre la
discrimination (2010);
Loi sur les banques (2006-2011);
Loi
n° 69 relative au système d'enseignement pré-universitaire
(2012);
Code de procédure pénale (2013);
Loi sur les
étrangers (2013);
Loi sur les médias audiovisuels (2013);
Loi
sur l’asile (2014);
Code de procédure administrative (2015);
Loi sur
l'enseignement supérieur et de la recherche dans les établissements
d'enseignement supérieur (2015);
Loi sur les
services (2016);
Décision n° 104 relative à l'approbation du
règlement sur les licences et le fonctionnement des associations
d'épargne et de crédit, et de leurs syndicats (2016);
Loi n°
43/2016 sur les traités internationaux
(2016);
Projet de loi sur la
protection des minorités nationales (2016). |
1 Situation géographique
|
La république d’Albanie
(en albanais Shqipëria: «le pays des aigles») est un pays
montagneux d’Europe orientale situé dans la péninsule des Balkans. Ce
pays est l’un des plus petits États d’Europe avec 28 748 km² (Belgique: 30
527 km²); il est limité au nord-ouest et au nord par le Kosovo
(10 887 km²) et le
Monténégro (13 812 km²), à l'est par la Macédoine
(25 333 km² ), au sud par la Grèce
(131 957 km²)
et à l'ouest par
la mer Adriatique (voir
la carte
détaillée).
La pays est divisé en 12 préfectures ou comtés (albanais:
qark / qarku) :
Berat, Dibër, Durrës, Elbasan, Fier, Gjirokastër, Korçë, Kukës, Lezhë,
Shkodër, Tirana, Vlorë (voir la
carte détaillée). Ces préfectures regroupent en fait les 36
anciens districts (albanais: rrethe / rrethiqui) sont
eux-mêmes divisés en municipalités et en villages. La capitale du pays
est Tirana, mais en albanais c'est
Tiranë
(la lettre ë étant prononcée comme un [eu] français, non comme [a] ou [é]).
Soulignons que l’Albanie est devenue
membre associé de la Francophonie lors du sommet de Moncton
(Canada) de septembre
1999; l’Albanie est devenue membre à part entière à l’occasion du sommet
de l’organisation, en 2002, à Beyrouth au Liban.
L'Albanie a aussi fait partie du
«Bloc de l'Est» communiste. |
Le drapeau de l'Albanie est constitué d'un fond rouge avec
un aigle à deux têtes en son centre; il a été adopté officiellement le 7
avril 1992. L'aigle bicéphale est le symbole d'une Albanie fractionnée en
deux religions pour une seule origine : les chrétiens de tradition
catholique et ceux de tradition orthodoxe, ce qui expliquerait un seul corps
et deux têtes. En fait, l'aigle aux ailes ouvertes représente la Liberté, et
le fond rouge représente le sang des patriotes qui ont donné leur vie pour
l'Albanie. Historiquement, c'est un seigneur albanais du XVe siècle, Gjergj
Kastrioti dit Skanderbeg (en français: Georges Castriote), considéré comme un
héros national pour sa résistance aux forces ottomanes, qui aurait placé
au-dessus de sa tête l'aigle bicéphale. La présence de l'aigle viendrait de
ce que les Albanais se considèrent comme des descendants de l'aigle; ils se
réfèrent à eux-mêmes comme "Shkypetars», ce qui se traduit comme «fils de
l'aigle».
2 Données démolinguistiques
Le pays comptait 3,8
millions d’habitants en 2008, mais seulement 2,9 millions en 2016. L’Albanie est
l'un des pays d’Europe qui connaît la plus forte émigration, avec plus d’un
tiers de ses ressortissants vivant à l’étranger, soit environ 900 000 personnes
en 2006. Cette émigration se fait généralement au bénéfice des deux pays
frontaliers, la Grèce et l’Italie. Ce phénomène est dû à un niveau de vie parmi
les plus bas du continent européen. C'est ce qui explique que la population
albanaise a tendance à diminuer depuis 1991, en dépit d'un solde naturel
positif.
Le tableau ci-dessous montre la répartition
de la population albanaise en tenant compte des préfectures (ou comtés). Les
préfectures numériquement les plus importantes sont celles de Tirana/Tiranë
(28,1 %), d'Elsaban (10,3%) et de Fier (10,8%).
Préfecture |
Municipalités |
Population (2016) |
Pourcentage |
Superficie |
Berat |
Berat,
Kuçovë, Poliçan, Skrapar, Ura Vajgurore |
139
815 |
4,8 % |
1
798 km² |
Dibër |
Bulqizë, Dibër, Klos, Mat |
134
153 |
4,6 % |
2
586 km² |
Durrës |
Durrës, Krujë, Shijak |
278
775 |
9,6 % |
766
km² |
Elbasan |
Belsh,
Cërrik, Elbasan, Gramsh, Librazhd, Peqin, Prrenjas |
298
913 |
10,3 % |
3
199 km² |
Fier |
Divjakë, Fier, Lushnjë, Mallakastër, Patos, Roskovec |
312
448 |
10,8 % |
1
890 km² |
Gjirokastër |
Dropull, Gjirokastër, Këlcyrë, Libohovë, Memaliaj, Përmet, Tepelenë |
70
331 |
2,4 % |
2
884 km² |
Korçë |
Devoll,
Kolonjë, Korçë, Maliq, Pogradec, Pustec |
221
706 |
7,6 % |
3
711 km² |
Kukës |
Has,
Kukës, Tropojë |
84
035 |
2,9 % |
2
374 km² |
Lezhë |
Kurbin,
Lezhë, Mirditë |
135
613 |
4,6 % |
1
620 km² |
Shkodër |
Fushë-Arrëz,
Malësi e Madhe, Pukë, Shkodër, Vau i Dejës |
215
483 |
7,4 % |
3
562 km² |
Tiranë |
Kamëz,
Kavajë, Rrogozhinë, Tiranë, Vorë |
811
649 |
28,1 % |
1
652 km² |
Vlorë |
Delvinë, Finiq, Himarë, Konispol, Sarandë, Selenicë, Vlorë |
183
105 |
6,3 % |
2
706 km² |
Compte tenu
que 2,6 millions de citoyens parlent l'albanais sur une population de 2,9
millions, cela signifie que 89,5 % de la population parle l'albanais comme
langue maternelle, ce qui fait de l'Albanie l'un des pays les plus homogènes au monde
au point de vue linguistique.
2.1 La langue albanaise
|
Les Albanais appellent
leur langue shqip, et se sont toujours nommés eux-mêmes Shqiptarë
(«habitants des rochers»); ce n’est qu’au XIIIe siècle que leur pays
— leur pays, Shqipëria ou «le pays des aigles» — porte le nom latin d’Albanie,
qui vient d'une tribu illyrienne, les Albanoï, dont fit état Ptolémée au
IIe siècle de notre ère. L'albanais constitue l'une des plus
anciennes langues d'Europe. Appartenant à la
famille indo-européenne, l'albanais reste
un isolat parmi ces langues; comme l'arménien et le grec, il n'est rattaché à
aucune autre langue de cette famille.
- La variétés dialectales
Précisons que la langue
albanaise présente deux variétés linguistiques principales parlées dans des
proportions inégales : le
guègue (gheg ou gegë)
et le
tosque (toskë).
L'albanais guègue est parlé au nord de l'Albanie, ainsi qu'au Kosovo et une partie de la Serbie et de
la Macédoine, tandis que l'albanais tosque est parlé au sud de l'Albanie ainsi
qu'en Grèce et dans une petite partie de la Macédoine.
C'est le fleuve Shkumbin qui sert de frontière
linguistique entre le Nord guègue et le Sud tosque.
En Albanie, le guègue est parlé par
66,4 % des locuteurs, mais par 4,2 millions pour l'ensemble de tous les
albanophones; le tosque compte 33,5 % des locuteurs albanais, mais par plus de
trois millions au total.
L'albanais n'est pas une langue uniforme puisque
le guègue et le tosque sont
eux-mêmes morcelés en plusieurs variétés dialectales (voir
la carte des dialectes albanais). Le guègue présente
quatre dialectes : le guègue du Nord-Ouest, le guègue du Nord-Est,
le guègue moyen et le guègue méridional. Pour sa part, le tosque
est divisé en tosque septentrional et en tosque méridional, lui-même
fragmenté en lab et en tcham (Grèce). L'albanais parlé en
Italie, appelé arvanite et celui parlé en Grèce, appelé
arbérèche, constituent des variantes du tosque. Il existe un dialecte
intermédiaire à mi-chemin entre le guègue et le tosque, dans une zone située
juste au-dessus du fleuve Shkumbin à l'ouest.
|
C’est depuis 1944 que
l’albanais officiel (ou standard) a été normalisé à partir du
tosque. La
réunification des deux variétés linguistiques a permis la création d'une langue
littéraire (appelée "gjuha letrare", la «langue littéraire»), laquelle semble avoir été acceptée par tous les Albanais.
Cette situation s'explique en partie parce que deux des plus importants poètes
albanais, Aleksander Stavre Drenova et Lasgush Poradeci, écrivaient en albanais
tosque. Ajoutons aussi que l'ancien dictateur communiste, Enver Hoxha
(1944-1985), lui-même originaire du Sud, a constamment
privilégié la "gjuha letrare" associée au tosque, ce qui a eu pour effet de
marginaliser le guègue pourtant parlé par plus d'albanophones. On peut penser
aussi que le choix du tosque comme modèle pour l'albanais standard reposait sur
des raisons pratiques du fait que le tosque est une langue relativement plus
unifiée que le guègue qui est fragmenté en plusieurs variantes assez
contrastées. Au Kosovo, la situation est différente,
car l'albanais standard, qui est aussi la langue officielle depuis les années
1970, abrite une population albanophone qui parle exclusivement le guègue et ses
variétés.
- La diaspora albanophone
Les albanophones ne
résident pas tous en Albanie. On estime que, avant la guerre du Kosovo de 1999,
environ 1,6 million d’Albanais vivaient dans la province serbe du Kosovo, et
qu'ils étaient 490 000 en Macédoine et 140 000 au Monténégro. Après la guerre,
450 000 Kosovars avaient trouvé refuge en Albanie, 230 000 en Macédoine, 65 000
au Monténégro et 20 000 en Bosnie-Herzégovine, sans compter les dizaines de
milliers d’autres dans les pays de l’OTAN. Les albanophones sont fortement
majoritaires en Albanie et au Kosovo, il sont également majoritaires au nord-est
de la Macédoine, mais minoritaires au Monténégro (voir
la carte albanophone détaillée).
Bref, les albanophones
forment une forte diaspora de plus de cinq millions de personnes dans cette
région (voir la carte de
la région) des Balkans. On comprendra pourquoi les États
voisins de l’Albanie, c’est-à-dire la Serbie, le Monténégro et surtout la
Macédoine, craignent le nationalisme albanais dans la mesure où il pourrait
entraîner la sécession d’une partie de leur pays au profit d’une Grande Albanie.
Les plus grands perdants seraient sans doute la Serbie (sécession éventuelle du
Kosovo) et la fragile Macédoine (petit État de 2,1 millions
d’habitants dont 23 % d’albanophones).
2.2 Les langues
minoritaires
L'Albanie compte plusieurs langues minoritaires
dont les plus importantes sont le macédonien (4,7 %), le goranski (1,2 %), le
grec (0,9 %), l'italien (0,2 %), l'aroumain (0,2 %), le romani (02,%), le turc,
le monténégrin et le serbe.
Ethnie |
Locuteurs |
Pourcentage |
Langue |
Affiliation linguistique |
Religion |
Albanais tosques |
1,722,000 |
59,2 % |
albanais tosque |
isolat indo-européen |
sunnisme |
Albanais guègues |
874,000 |
30,0 % |
albanais guègue |
isolat indo-européen |
sunnisme |
Macédoniens |
138,000 |
4,7 % |
macédonien |
langue
slave |
orthodoxe |
Gorans |
35,000 |
1,2 % |
goranski (našenski) |
langue slave |
sunnisme |
Grecs |
28,000 |
0,9 % |
grec |
langue grecque |
orthodoxe |
Italiens |
7,800 |
0,2 % |
italien |
langue romane |
catholique |
Aroumains |
7,300 |
0,2 % |
aroumain |
langue romane |
catholique |
Valaques |
7,300 |
0,2 % |
romani |
langue
indo-iranienne |
sunnite |
Ashkali |
3,000 |
0,1 % |
albanais tosque |
isolat indo-européen |
sunnisme |
Égyptiens des Balkans |
3,000 |
0,1 % |
albanais tosque |
isolat indo-européen |
sunnisme |
Américains |
2,100 |
0,0 % |
anglais |
langue germanique |
protestantisme |
Turcs |
1,700 |
0,0 % |
turc |
langue altaïque |
sunnisme |
Monténégrins |
1,300 |
0,0 % |
monténégrin |
langue slave |
orthodoxe |
Serbes |
1,300 |
0,0 % |
serbe |
langue slave |
orthodoxe |
Anglo-Canadiens |
800 |
0,0 % |
anglais |
langue germanique |
protestantisme |
Autres |
71 130 |
2,4 % |
- |
- |
- |
Total (2016) |
2 903 900 |
100,0 % |
|
|
|
- Les Macédoniens
|
Les
Macédoniens
constituent la minorité non albanophone la plus importante avec plus
de 138 000 locuteurs, ce qui correspond à 4,7 % de la population totale
du pays. Ils sont regroupés à l’est de l’Albanie près de la Macédoine, dans
la région de Prespa. Neuf villages sont situés sur cette
frontière: Lajthiza, Pusteci, Zaroshka, Cerja, Shulini, Gollomboqi, Gorica e
Vogel, Bezmishti et Gorica e Madhe, ainsi qu'un village dans le district de Devoll
(plus au sud près de la frontière grecque) qui fait également partie
de la préfecture de Korçë. Au point de
vue administratif, les neuf villages cités précédemment où vivent des membres de la minorité
nationale macédonienne forment une commune (Prespa).
- Les
Gorans
Les Gorans sont des Slaves de confession musulmane sunnite
depuis l'avènement de la domination ottomane. Ils vivent au
nord-est de l'Albanie (plus principalement dans la
préfecture de Kukës) dans neuf
villages : Bоrје, Zаpоd, Kоšаrištе, Оrgоstа, Оrеšеk, Оrčiklе, Pаkišа, Crnоlеvо
et Šištаvеc. Leur langue est le goranski appelé aussi našenski, qui appartient au groupe des langues slaves du
Sud et s'apparente à la fois au serbe, au macédonien et au bulgare.
- Les minorités grecques
Au nombre de
28 000 selon les
données officielles, mais de 200 000 d’après le gouvernement grec — sont
concentrées dans le sud de l’Albanie près de la frontière grecque, dans la
préfecture de Gjirokastër
(districts de Gjirokastër, de Saranda et de Delvina; le district
de Saranda comprend 64 villages, dont 35 sont majoritairement habités par des
membres de la minorité grecque et les autres par des Albanais de souche.
Le district de Delvina compte 37 villages, dont 18 abritent des
membres de la minorité grecque et quatre autres ont une population mélangée,
comprenant des Albanais de souche et des Grecs. Dans ce district, la minorité
nationale grecque est forte de 15 000 personnes environ et est concentrée
surtout dans la ville de Delvina. Un autre groupe important de la minorité
nationale grecque vit dans le district de Gjirokastra, qui comprend la région de
Dropulli i Poshtem et celle de Dropulli i Siperm. Il faut comprendre
dans la carter de gauche que les Grecs n'occupent pas tout le sud de
l'Albanie en exclusivité (préfectures
de Gjirokastër et de Vlorë). Au contraire, ils demeurent
minoritaires et partagent ce territoire avec les albanophones et les
aroumanophones.
|
- Les Italophones
Alors que de
nombreux Albanais tentent de trouver une vie meilleure à l'extérieur
de leur pays, notamment en Italie, des
Italiens
font le contraire en s''installant en Albanie. La plupart des
quelque 8000 Italiens vivent à Tirana, la capitale, mais plusieurs
vivent le long de la côte adriatique où il ont accès à la télévision italienne; ce sont des
entrepreneurs, des commerçants et des étudiants. L'Italie étant la
principale fenêtre sur l'Europe, beaucoup d'Albanais ont appris l'italien, car
la première destination «vers l'Ouest» demeure sans contredit l'Italie. Après
l'anglais, l'italien est la langue étrangère la plus connue.
- Les Aroumains/Valaques
Les
Aroumains
sont appelés
Tchobans
par les Albanais,
Valaques
(Vlachos)
par les Grecs, Tsintsars (ou Tzantzarii) par les Serbes mais
généralement Vlassi par les Slaves et Macédo-Roumains
par les Roumains. En Albanie, beaucoup d'Aroumains
sont concentrés au sud-ouest près de la mer Adriatique
dans les préfectures de Fier et de Vlorë
(districts de Fier, Lushnjë, Berat et Vlorë). On en trouve aussi au sud-est près de
la Grèce, c’est-à-dire dans les mêmes régions que la minorité grecque (districts
de Gjirokasër, de Saranda, de Permeti, de Pogradec, d’Ersekë et de Korçë).
Il est difficile de dénombrer avec exactitude les membres de la minorité aroumaine
ou valaque,
car ils sont habituellement inclus dans la minorité orthodoxe grecque à cause de
leur religion. En général, les minorités installées à l'ouest du pays sont des
Aroumains, alors que ceux qui résident au sud sont des Valaques. Se mêlent aux
Aroumains et aux Valaques les Roms (Tsiganes) qui sont davantage dispersés sur
l’ensemble du territoire.
- Les Ashkalo-Égyptiens
Les
Ashkalis
forment une petite minorité ethnique de quelque 3000 personnes en Albanie, mais
la plupart des Ashkalis vivent surtout en Macédoine, mai aussi au Kosovo, au
Monténégro et en Serbie. Ce sont des musulmans parlant l'albanais tosque. Les
ethnologues les considèrent comme des «Roms albanisés», même s'ils ne se
reconnaissent pas comme des Roms, mais comme des «Égyptiens» (ou
Balkano-Égyptiens) installés dans les
Balkans à l'époque ottomane. Ceux qu'on appellent les «Égyptiens
des Balkans» représentent une ethnie très proche de celle des Ashkalis, à un
point tel qu'on se questionne parfois sur la pertinence de leur distinction. Au
fil du temps, beaucoup d'Ashkalo-Égyptiens des Balkans ont perdu leur langue,
mais ils ont néanmoins conservé certains mots de leur origine lointaine ainsi
que certaines de leurs traditions ancestrales. Du fait qu'ils parlent tous
l'albanais, souvent comme première langue, l'État albanais les considère comme
des «Albanais de souche», malgré leurs racines historiques différentes. Les
Ashkalo-Égyptiens habitent dans une douzaine d'agglomérations: surtout dans le
centre de l'Albanie (Kavajë, Lushnjë, Cërrik, Elbasan, Berat) et le Sud
(Gjirokastër, Vlorë, Korçë, Delvinë, Përmet, Këlcyrë), ainsi que dans une ville
du Nord (Shkodër).
- Les Serbo-Monténégrins
La
minorité monténégrine
(env. 1300 personnes)
vit pour l'essentiel dans quelques petits
villages du nord-ouest de l’Albanie dans la préfecture de Shkodër (Gril, Omaraj, Borici i Vogel)
et au nord de la
ville de Shkodër près du lac du même nom et
non loin de la frontière avec le Monténégro.
Les Serbes de leur côté (1300 personnes)
forment une autre petite communauté cohabitant la plupart du temps avec les
Monténégrins au point où l'État albanais ne les distingue pas toujours; on parle
alors de Serbo-Monténégrins (en albanais: Srbi-Crnogorci ou Crnogorci
i Srbi) du fait que les Monténégrins et les Serbes parlent à peu près la
même langue, l'ékavien étant la
variante serbe de la Serbie, et l'iékavien, la variante serbe en usage au
Monténégro (voir le texte).
Les villages regroupant la communauté serbe-monténégrine sont les suivants
autour dans le district de Shkodër: Brodica, Bardoš, Griža, Vraka, Koplik, Puka,
Vafa, Kamenica, Omara, Veliki Borič, Mali Borič, Gril, Raš, Stari Štoj, Novi
Štoj, Dobrač, Golem, Mušan, Bušat, etc.
- Les Roms (Tsiganes)
L'arrivée des Roms en Albanie remonte au XVe
siècle avec l'occupation ottomane.
Les villages roms sont plus au centre du sud de l'Albanie, en raison du climat
doux de ces régions.
Ils sont composés de quatre tribus principales: Kallbuxhinj (Tirana, Elbasan,
Pogradec, Korçë, Bilisht, Gjirokastër, Saranda, Meçkar (Lushnje, Fier, Vlora),
Kurtof, Cergars. Les Roms en Albanie sont considérés comme
une minorité ethnolinguistique. D'après certaines sources, on retrouve
des communautés roms à peu près dans les mêmes régions où habitent les
Ashkalo-Égyptiens:
dans le centre de l'Albanie
(Tirana, Kavajë, Lushnjë, Fushë, Fier, Elbasan, Berat,
Llakatund, Klos),
dans le Sud (Gjirokastër, Vlorë, Korçë, Delvinë, Përmet, Këlcyrë,
Çlirim,
etc.), ainsi que dans le Nord
(Shkodër,
Pukë, etc.).
Bien qu’il n’y ait aucune donnée officielle
sur leur nombre, le recensement de 2011 a enregistré 8301 personnes déclarant
volontairement appartenir à la communauté rom. Les estimations de leur nombre varient de
10 000 à
120 000 pour la plus élevée. Les plus grandes
communautés résident aux alentours des villes de Tirana, de Fier, de Gjiroakaster,
de Berat et de Korce. La plupart des
Roms parlent l'albanais tosque, mais d'autres parlent l'albanais guègue ou le
romani, la langue ancestrale d'origine
indo-iranienne.
- Les anglophones
L'anglais est surtout populaire parmi les jeunes générations
d'Albanais. Depuis les années 1990, c'est la langue étrangère la plus enseignée
dans le système d'éducation albanais (en remplacement du russe). En 2006, plus de 65 % des enfants albanais
pouvaient parler assez couramment l'anglais. Les véritables anglophones
sont les militaires américains stationnés en Albanie. En 2002, les forces armées
albanaises ont lancé un programme de réforme, alors que le tout était supervisé
par le département de la Défense des États-Unis. Depuis l'admission de l'Albanie
dans l'OTAN, tout le secteur militaire a été anglicisé, ce qui comprend aussi
les équipements tels que les avions, les chars, les hélicoptères, l'artillerie
et les navires de la marine.
- Le français
Parmi les quelques autres langues parlées
en Albanie, mentionnons le français puisque ce pays est membre de la
Francophonie. Le français occupe la deuxième place parmi les langues enseignées
dans les universités albanaises, mais sa position semble fragile du fait de
l'augmentation du nombre d'étudiants qui choisissent l’anglais comme langue
étrangère. La plupart des francophones d'Albanie, plus d'une centaine, résident
dans les deux plus grandes villes du pays, soit Tirana et Durrës (préfecture
de Durrës). Près de la moitié des francophones présents dans le pays sont
composés des agents de l'ambassade et des services annexes et leur famille,
ainsi que des enseignants et du personnel des organismes internationaux. De
plus, un quinzaine d'entrepreneurs français sont présents en Albanie et quelques
petites entreprises existent dans la boulangerie et les services, mais il n'y a
pas d'implantation significative de groupes francophones, bien qu'une vingtaine
de sociétés françaises sont représentées par des entreprises locales (Renault,
Peugeot, L'Oréal, Yves Rocher, Legrand). Il n'existe plus de lycée français
depuis la fermeture, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de celui de Korçë,
qui avait ouvert ses portes en 1917. Cependant, les Forces armées albanaises
offrent au sein de l'académie militaire des cours de français, une langue qui
qui est avec l'anglais la langue de travail de l'OTAN.
2.3 Les religions
Depuis plusieurs siècles, l'Albanie abrite plusieurs communautés
religieuses dont les plus importantes sont les musulmans sunnites, l'Église orthodoxe
autocéphale d'Albanie, l'Église
catholique et la communauté bektashi.
L'Albanie est donc un pays multiconfessionnel où
cohabitent harmonieusement ces communautés religieuses. Les conflits interconfessionnels semblent
plutôt rares; ils
tendent à s'exprimer davantage sous la forme de conflits politiques ou culturels.
En résumant la situation des religions en Albanie, on peut dire que le pays a
été christianisé à la suite des invasions romaines, puis il a été islamisé
lors de la conquête ottomane au XVe siècle.
Finalement, en raison de la proximité avec la Grèce, la majorité des habitants du
sud de l'Albanie sont orthodoxes. À la fin des années 1960, la pratique de la
religion fut interdite sous le régime d'Enver Hoxha; ce n'est qu'après la chute
du communisme que les pratiques religieuses revinrent progressivement, bien
qu’elles n’aient jamais atteint une grande ferveur chez les Albanais.
- L'islam
|
Musulmans |
56,70 % |
Catholiques |
10,03 % |
Orthodoxes |
6,75 % |
Bektashi |
2,00 % |
Autres
chrétiens |
0,14 % |
Autres
religions |
5,49 % |
Non déclarés |
13,79 % |
Athées |
2,50 % |
|
Or,
l'Albanie a la réputation d'être un pays musulman,
ce qui n'est pas tout à fait vrai, puisque, selon le
recensement officiel de 2011, les musulmans sunnites
ne comptent que pour 56,7 % de la population. La
deuxième confession religieuse est formée par les
catholiques romains (10,0 %). Elle est suivie par
les orthodoxes (6,75%) et les bektashi (2 %). Les
autres chrétiens sont les protestants. Plus de 13 %
des Albanais n'ont pas déclaré de religion aux
enquêteurs du recensement, alors que 1,5 % se sont
déclarés athées. Toutes ces religions se côtoient;
il est fréquent de trouver, par exemple, une mosquée
en face d’une église, avec à proximité un lieu de
culte orthodoxe. Les villes de Tirana et de
Shkodër
en sont de parfaits exemples parmi d'autres. Dans les faits, toutes religions confondues, la
pratique religieuse serait minimale, car la société albanaise
demeure grandement indifférente à la religion.
|
La Constitution actuelle de 1998 déclare que l'Albanie est un État
laïc qui «observe la liberté des croyances religieuses et crée des
conditions pour l’exercer». L’article 24 confirme que chacun est
libre de choisir ou de changer de religion ou de conviction, et de
les exprimer individuellement ou collectivement, en public ou dans
la vie privée au moyen de l’éducation religieuse, de la pratique ou
de l’observance. L’article 18 interdit la discrimination pour des
motifs religieux. La destruction ou l’endommagement des objets
religieux, et les entraves aux cérémonies religieuses sont
considérés comme des infractions et sont passibles de condamnation.
La situation de l'islam
albanais peut paraître insolite pour plusieurs. Ce pays est le
seul en Europe dont la population est majoritairement musulmane (sunnisme), mais
celle-ci cohabite avec près de 20 % de chrétiens et elle a subi une
forte influence des bektashi, une confrérie musulmane mystique. |
En fait, les musulmans albanais sont divisés en deux communautés:
l'une adhère à une forme modérée de l’islam sunnite, l'autre, les
bektashi, pratique une forme libérale du soufisme chiite. Ainsi, les
bektashis ne voilent pas les femmes, ils leur permettent d’entrer
dans les temples (les khabes) et ne font pas leurs prières en arabe,
mais en albanais. Sunnites et bektashi sont influencés par le
christianisme et probablement d'autres croyances antérieures.
- Le christianisme
Les musulmans sont présents dans toutes les parties de
l’Albanie. Dans toute la partie centrale du pays, ils forment partout la
majorité religieuse. Les musulmans bektashis sont présents surtout dans toute la
partie méridionale de l'Albanie. Les catholique sont concentrés dans le Nord,
alors que les orthodoxes résident surtout dans le Sud avec des communautés à
l'est et à l'ouest. Toutefois, la proportion des communautés religieuses varient
énormément selon les préfectures, les districts, voire les villes et les
villages, car il existe des agglomérations strictement catholiques, orthodoxes,
sunnites ou bektashi. La majorité des villages sont homogènes quant à la
confession de leurs habitants. Dans les villages mixtes, qu'ils soient musulmans
et catholiques ou musulmans et orthodoxes, les communautés vivent généralement
dans des quartiers distincts. La plupart des villages musulmans sont situés dans
les plaines, alors que les villages chrétiens sont dans les montagnes. Si
l’islam est partout majoritaire, on trouve également des catholiques parmi les
Guègues, des orthodoxes parmi les Tosques.
Les deux courants majoritaires de l’islam, les sunnites et les
bektachi, cohabitent dans une grande tolérance envers les autres religions.
L’expérience commune des persécutions sous le long règne d'Enver Hoxha a eu pour
effet que les musulmans et les chrétiens vivent dans un respect mutuel. De 1967
à 1991, Enver Hodja, le dictateur avait proclamé par décret que «Dieu n'existait
pas». Il avait interdit la pratique de tous les cultes religieux. Durant cette
sombre période, de très nombreux lieux de culte ont été détruits ou fortement
endommagés quand ils n'ont pas été utilisés à d’autres fins (entrepôts, écuries,
etc.). Les mariages inter-religieux sont fréquents en Albanie, alors que dans
les autres pays musulmans cela n’arrive presque jamais. Souvent, lorsque les
chrétiens et les musulmans se marient entre eux, ils cessent d’être chrétiens ou
musulmans. En somme, le caractère multiconfessionnel fait partie intégrante de
l'identité nationale albanaise. Ces événement historiques expliquent le fait que
les Albanais sont d'abord des citoyens albanais laïcs. Ils ont une pratique du
culte «albanaise». Dans le cas albanais, la solidarité nationale passe avant la
solidarité religieuse. Un poète albanais, Pashko Vasa (1825-1892), a composé un
poème vers 1880 dont voici un extrait:
E mos shikoni kisha e xhamia:
Feja e shqiptarit është shqiptaria. |
Ne regardez ni églises ni mosquées,
La religion des Albanais est l'Albanité. |
Ces lignes extraites d'un poème sont sans doute les vers les
plus célèbres de la littérature albanaise et, finalement, la réponse la plus
courante à toute question posée à un albanais sur la religion dans son pays.
Néanmoins, depuis quelques années, le monde albanais fait
l’objet d'une vaste campagne de «réislamisation», celle-ci étant favorisée par
des réseaux islamistes étrangers et un renouvellement des cadres religieux
traditionnels. En somme, on peut se demander si, après l’échec du rêve de la
«Grande Albanie» politique, l’islam radical ne pourrait pas devenir une
idéologie de substitution de la part des populations albanophones du Kosovo, de
la Macédoine et de l’Albanie, toujours davantage paupérisées.
3 Données historiques
|
Les Albanais seraient les
descendants des Illyriens, un peuple indo-européen qui s’installa dans la région
des Balkans vers 1000 ans avant notre ère. Les Illyriens étaient constitués de
divers peuples d'origine indo-européenne, qui comprenaient des
Dalmates et des Pannoniens, et ce, avant l'arrivée des Serbes et des
Croates dans les Balkans. Vers −1300, ils s'établirent sur les côtes
nord et est de l'Adriatique.
Puis l’Illyrie fut colonisée par les Grecs
au VIIe siècle et fit partie du royaume d’Épire, qui s’allia à la
Macédoine. En 168, Rome conquit le pays à son tour et en fit une province romaine en 146,
appelé la Dalmatie,
une situation qui dura cinq siècles. Les Illyriens se sont
christianisés dès les premiers siècles de notre ère. Ils se sont trouvés très
tôt divisés selon la liturgie : latine pour certains, grecque pour d'autres, en
fonction des aires d'influence, soit de Rome soit de Byzance. Les Illyriens résistèrent à
l'assimilation romaine et leur langue survécut même si de nombreux emprunts au
latin y furent introduits. Lorsqu'ils écrivaient, les Illyriens se servaient de
l'alphabet latin ou de l'alphabet grec, et ils écrivaient en latin ou en grec,
jamais dans leur langue ancestrale, l'albanais. |
3.1 De multiples
envahisseurs
|
À la suite du partage de
l’Empire romain entre l'Est et l'Ouest, en l’an 395 de notre ère, le territoire
albanais passa sous le contrôle de l'Empire byzantin de Constantinople. Les
Albanais se christianisèrent davantage et se réfugièrent dans leurs montagnes,
tout en demeurant sous la tutelle de l’Empire byzantin. C'est à cette époque que
les Albanais passèrent sous la gouverne des Églises orthodoxes, comme les Grec
et les Slaves.
À partir du
IXe siècle, Les Albanais furent dominés par plusieurs envahisseurs: les Bulgares, les
Normands lors des croisades, les Angevins de l'Italie du Sud, les Serbes et les
Vénitiens. La liturgie orthodoxe imposa l'usage du slavon dans le
culte ainsi que l'alphabet cyrillique. La dernière occupation du pays par les Serbes au XIVe
siècle causa des migrations massives vers la Grèce.
|
3.2 La conquête
ottomane
En Albanie, l'invasion
ottomane (1435) fut retardée grâce à la résistance du grand héros national
Georges Castriote, plus connu sous le nom de Skanderbeg, mais après sa mort les Turcs
parvinrent à s'implanter en 1479 (voir
la carte de l'Empire ottoman).
|
Les Ottomans
divisèrent administrativement l'Albanie en quatre vilayets: Shkodër,
Kosovo, Manastir et
Janina. L'Albanie ottomane avait une superficie de presque le double de ce qu'elle a
aujourd'hui, car elle comprenait non seulement le Kosovo, mais une
partie du Monténégro, de la Serbie, de la Macédoine et de la Grèce (voir
la carte de gauche).
Au cours des siècles qui suivirent, près des
deux tiers des Albanais finirent par s’islamiser. La loi ottomane n'autorisant
que les musulmans à détenir des terres, une grande partie de la population se
convertit à l’islam afin de conserver ses terres et de bénéficier de nombreux
traitement préférentiels; les Albanais qui restèrent chrétiens (orthodoxes ou
catholiques) furent relégués au simple rang de paysans. De leur côté, les
Albanais islamisés échappaient au «ramassage»
— plus pudiquement «recrutement» en
turc ottoman: devşirme (ou "devchirmé"
du verbe devşirmek signifiant «ramasser» ou
«récolter»)
— des terribles
janissaires turcs,
mais aussi à certains impôts élevés, et ils pouvaient même accéder à des postes
administratifs. Pendant les cinq siècles d'occupation ottomane, nombreux furent
les Albanais qui obtinrent de hautes fonctions au sein de l'Empire.
L'islamisation contribua à fragmenter les convictions religieuses de l'Albanie.
Un grand nombre d’Albanais
qui ont voulu demeurer chrétiens ont, pour leur part, préféré émigrer en Italie,
particulièrement en Sicile et en Calabre, où existent encore aujourd’hui des
communautés albanaises. Pourtant, la religion orthodoxe fut tolérée par les
Turcs. En réalité, le patriarcat de Constantinople de qui dépendait l’Église
orthodoxe grecque est même devenu pendant plusieurs siècles le représentant
officiel de l’Empire ottoman auprès de tous les chrétiens orthodoxes dans cette
région des Balkans. L’Église orthodoxe devint alors un puissant instrument
d’hellénisation pour les Albanais, car toutes les affaires politiques et
administratives de l’Église ainsi que les cérémonies religieuses se déroulaient
seulement en grec, ce qui avantageait évidemment la minorité grecque (et même la
minorité aroumaine) qui habitait l’Albanie. Tout au cours de l’occupation
ottomane, les Albanais essayèrent maintes fois de se libérer des Turcs, voire de
l’omniprésence de l’Église orthodoxe grecque. Dans le but de réduire l’influence
de la langue grecque dans leurs affaires internes, les Albanais tentèrent même
de créer une Église orthodoxe indépendante, ce qu’ils n’obtiendront qu’en 1939
lors de la reconnaissance par Constantinople de l’Église autocéphale orthodoxe
albanaise. |
- Les alphabets
|
Après la conquête ottomane, la plupart des Albanais musulmans écrivaient
leur langue avec l'alphabet arabe, comme les Turcs ottomans. Les chrétiens,
pour leur part,
continuèrent d'écrire, selon le cas, avec l'alphabet slavon, l'alphabet grec ou l'alphabet
latin.
Évidemment, très rares furent les Albanais capables de lire leur langue dans tous ces
alphabets: arabe, slavon, grec, latin. En général, les textes écrits en alphabet arabe devenaient
incompréhensibles pour ceux qui lisaient en lettres latines ou en lettres grecques, et vice versa.
Les chrétiens orthodoxes délaisseront l'alphabet slavon pour
l'alphabet cyrillique.
Cette complexité entraînera plus tard la nécessité d'une orthographe commune
pour la langue albanaise. Durant la période ottomane, les écoles offrirent
leur enseignement en turc aux enfants albanais. Les Albanais musulmans étaient considérés comme des
Turcs et, en conséquence, ils recevaient leur instruction en turc. Quant aux
Albanais chrétiens, ils pouvaient être instruits dans une autre langue: en grec
pour les orthodoxes, en italien ou en allemand pour les catholiques.
|
- La question scolaire
Toutefois, en 1887, une
première école publique à Korçë fut officiellement autorisée à enseigner en
albanais; d'autres furent ouvertes à Pogradec, Ohrid, Prizren, etc. Ces écoles
étaient destinées à tous les Albanais, quelle que soit leur religion. Les
autorités catholiques et orthodoxes excommunièrent ceux qui fréquentaient ces
écoles ou y enseignaient. En 1890, l'administration ottomane interdit aux
enfants musulmans de les fréquenter. Toutes les écoles albanaises ont dû fermer
les unes après les autres. Lors du Congrès de Berlin de 1878, le gouvernement
dut accepter l'ouverture d'écoles étrangères, surtout autrichiennes et
italiennes. Les écoles autrichiennes, administrées par l'Église catholique,
enseignèrent en allemand; les écoles italiennes, administrées par l'État
italien, enseignèrent en italien. Progressivement, les écoles autrichiennes
dispensèrent des cours en albanais de façon à contrer l'influence italienne en
s'appuyant sur le nationalisme albanais.
En novembre 1908, les Albanais tinrent à
Manastir (aujourd'hui Bitola en Macédoine) un «Congrès de l'alphabet», soit
quelques mois après la prise du pouvoir par les «Jeunes-Turcs» (le 19 juillet
1908) aux dépens du sultan. Le débat sur l'alphabet donna lieu à de violentes
polémiques, chacun des principaux groupes (catholiques, orthodoxes et musulmans)
voulant proposer un alphabet de son cru. La décision finale ne sera prise qu'en
1972, avec l'alphabet latin et l'emploi du dialecte tosque. Pendant ce temps, le
nouveau gouvernement des Jeunes-Turcs admettait la possibilité d'enseigner
l'albanais, mais pas nécessairement un enseignement «en albanais». Or, c'est
bien l'enseignement «en albanais» que voulaient les Albanais.
La langue albanaise continuait d'être
utilisée par tous les Albanais, mais à l'oral seulement. Que ce soit sous la
forme du dialecte guègue au nord, dans la
région de Shkodër et au Kosovo, ou du dialecte tosque,
au sud, la langue albanaise constituait le fondement de la nation albanaise. À
l'écrit, les Albanais se servaient du latin (catholiques), du grec (orthodoxes)
ou de l'arabe (musulmans). Mais la langue de l'Administration ottomane demeurait
le turc, écrit à l'époque avec l'alphabet arabe. En somme, les Albanais
restaient profondément partagés entre trois religions (islam, catholique,
orthodoxe), trois alphabets et trois langues liturgiques(latin, grec, arabe),
une langue administrative (turc) et deux dialectes nationaux (le guègue et le
tosque). Les différences entre le guègue et le tosque étaient considérées comme
mineures par les intellectuels albanais; elles n'empêchaient nullement les
albanophones de se comprendre et parler le guègue ou le tosque, c'était parler
shqip («albanais»). Malgré ses différences dialectales, la langue
demeurait un puissant moyen pour rassembler tous les Albanais.
- L'alphabet albanais
C'est alors que les intellectuels albanais
furent convaincus de la nécessité de créer un alphabet commun pour tous les
Albanais. La création de la Ligue de Prizren en 1878 constitua une très forte
incitation à trouver rapidement un accord sur un alphabet commun. Cette Ligue
avait pour objectif la réunification de tous les territoires albanais en un
État. Les musulmans défendirent l'alphabet arabe, mais cet alphabet parut pas
très adapté pour transcrire les sons de la langue albanaise, ce qui renforçait
d'autant l'option latine ou grecque. En ce sens, Sami Frashëri (1850-1904), un
écrivain albanais, fondateur de la Société pour la publication d'écrits
albanais, proposa l'usage de l'alphabet latin:
L'Albanie est un pays qui fait partie de l'Europe, et les Albanais
sont l'une des nations européennes; en conséquence, l'albanais doit
être écrit également avec des lettres européennes, donc avec des
lettres latines. |
C'est le choix que, une
quarantaine d'années plus tard, fera Mustafa Kemal Atatürk en abandonnant
l'alphabet arabe pour l'alphabet latin qui est celui des Turcs aujourd'hui. Ce
fut le début de ce qu'on a appelé «l'alphabet d'Istanbul», basé sur l'alphabet
latin. Cependant, dès la dissolution de la Ligue de Prizren en 1881 et la
répression sanglante qui s'ensuivait, l'«alphabet d'Istanbul» fut interdit par
les autorités ottomanes. Néanmoins, le nouvel alphabet connut une certaine
diffusion grâce à la publication d'ouvrages à l'étranger, surtout à partir de
Sofia (Bulgarie) et de Bucarest (Roumanie). Mais l'«alphabet d'Istanbul» ne
faisait pas l'unanimité chez les Albanais. D'une part, l'existence de lettres
latines et grecques causaient des problèmes d'imprimerie, d'autre part, les
catholiques préféraient l'alphabet latin traditionnel qu'ils utilisaient depuis
quelques siècles.
En somme, l'absence d'une littérature
ancienne, les disparités culturelles entre les trois groupes confessionnels, les
différences entre le guègue et le tosque, ainsi qu'un très fort taux
d'analphabétisme (surtout chez les musulmans et les catholiques) ont
certainement handicapé le développement de la langue écrite albanaise. En 1908,
le congrès de Monastir décida d'abandonner l'alphabet arabe pour l'’albanais
latin avec certaines modifications; la minorité catholique albanaise du Nord
l'avait déjà adopté dès la fin du XIXe siècle.
3.3 Le dépeçage de
l’Albanie
En octobre 1912, le
Monténégro, la Serbie, la Bulgarie et la Grèce déclarèrent la guerre à l'Empire ottoman. Après la guerre des
Balkans de 1912-1913, l'Albanie fut reconnue, lors
de la conférence de Londres du 17 décembre,
comme
principauté autonome sous la souveraineté du sultan,
mais sans la province (vilayet) du Kosovo-Metohija alors
attribuée à la Serbie et au Monténégro.
|
Autrement dit, lorsque les Grandes Puissances reconnurent
l’indépendance d’un État albanais en 1913, celui-ci n’incluait qu’environ la
moitié des territoires où vivaient des Albanais. Cette amputation enleva à l’Albanie près
de 40 % de sa population et faisait disparaître à jamais la
Grande Albanie
ethnique
(voir la carte de gauche) du temps de l'Empire ottoman. On retrouve aujourd’hui les descendants
de ces Albanais au Kosovo, en Serbie, au Monténégro, en Macédoine et en Grèce. C'est ainsi qu'un
albanophone sur deux vit encore hors des frontières de l’Albanie. En contrepartie, le
nouvel État albanais intégrait des minorités non négligeables d’origine grecque, aroumaine, macédonienne et monténégrine.
En 1914, les Autrichiens (au nord) et
les Italiens (au sud) s'emparèrent de l'Albanie. Le traité de Tirana (août 1919)
reconnut l’indépendance de l’Albanie qui fit son entrée à la Société des nations
en 1920. L'année suivante, le 2 octobre 1921, l’Albanie fit une
déclaration devant le Conseil de la Société des nations,
dans laquelle elle prenait l’engagement de respecter les droits des minorités
nationales dans les limites de son territoire, conformément aux dispositions des
traités de paix conclus après la Première Guerre mondiale.
En 1925, Ahmet Zogu, un homme politique albanais, s'empara du
pouvoir et devint premier ministre à deux reprises, puis président de la
République à partir du 31 janvier 1925, et enfin «roi des Albanais» sous le nom
de Zog Iᵉʳ, à partir du 1ᵉʳ septembre 1928. L'Italie fasciste, qui
exerçait une influence politique et économique croissante sur l'Albanie,
l'envahit à nouveau en avril 1939 en regroupant des zones occupées du Kosovo et du Monténégro. Victor-Emmanuel III d’Italie fut aussitôt
proclamé «roi d’Albanie» de 1939 à 1943.
|
Lors de la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne nazie
et l’Italie fasciste recréèrent la «Grande Albanie» en regroupant l’Albanie, la
Macédoine occidentale, le Kosovo et l’Épire grecque. L’Allemagne mit même sur
pied une division SS albanaise employée à «nettoyer» les Serbes du territoire.
Mais à la Libération, le maréchal Tito avait déjà reconquis le Kosovo et la
Macédoine, qui redevinrent «yougoslaves».
Au moment de la libération, l'Albanie était le seul pays d'Europe totalement
dépourvu de chemins de fer et l'agriculture albanaise utilisait encore la
traction animale avec des charrues en bois, ce qui donne une idée du retard
de l'Albanie.
3.4 Le régime
autoritaire d’Enver Hoxha (1944-1985)
|
En Albanie, la résistance
armée des groupes nationalistes contre les envahisseurs allemands et italiens
s'était organisée sous la direction d'Enver Hoxha (1908-1985) —
en français, retranscrit en Enver Hodja —, un jeune professeur formé en
France, enseignant le français au lycée français de Korçë et élu secrétaire général du Parti
communiste albanais. Hoxha réussit à prendre le pouvoir et, le 11 janvier 1946,
il proclama la République populaire d’Albanie. Commença alors un long régime
communiste extrêmement centralisateur et très autoritaire. Le régime s’allia à
la Yougoslavie (1946-1948), à l'Union soviétique (1948-1961) et à la Chine
maoïste (1961-1978). Mais désillusionné par ses alliés communistes, Hoxha rompit
les relations diplomatiques avec chacun d'eux, prétextant qu'ils auraient
abandonné le marxisme-léninisme pour se rapprocher des Occidentaux.
Rejeté
autant par l'Est que par l'Ouest, l'Albanie opta pour une politique d'isolement
et fut reconnue pour être le bastion du stalinisme. Hoxha purgea le pays de
toute opposition, qu’elle fût politique ou religieuse. Toute contestation
conduisait immédiatement en prison ou dans les camps de travaux forcés, ou
encore entraînait simplement l’exécution. Les voyages à l'extérieur du pays
furent supprimés et les frontières fermées. |
Admirateur inconditionnel de Staline, le président Hoxha utilisa
les mêmes méthodes que ce dernier pour se maintenir au pouvoir; il institua la Sigurimi
(la police politique : la «Sécurité»), un corps de police redoutable, pour constituer un
réseau d'espionnage interne et assurer sa propre sécurité. Au cours de son «règne», Enver Hoxha envoya un dixième de la
population en internement dans des camps, il fit exécuter 6000 citoyens dont 10
ministres, 20 généraux et 41 dirigeants du Parti communiste. La figure
ci-haut illustre le drapeau de la liberté par le socialisme avec
Enver Hoxha.
- La religion
Puis, sous prétexte que
les religions remontaient au Moyen Âge et qu'elles pouvaient menacer
l'homogénéité de l'unité nationale, le président Enver Hoxha proclama
officiellement, en 1967, la sécularisation de l’Albanie et interdit la pratique
de toutes les religions, ce qui entraîna la fermeture de milliers de mosquées et
de centaines d’églises orthodoxes, toutes converties en théâtres, salles
communautaires, magasins ou cafés, parfois en écuries. En fait, certains
observateurs politiques ont soutenu que cette interdiction visait directement
les minorités grecque, aroumaine et macédonienne dont l’identité culturelle
était intimement liée à la religion orthodoxe.
- La langue
Après la Seconde Guerre mondiale, plus de 85 % de la population
albanaise était analphabète. Mais le gouvernement communiste de Hoxha entreprit
de corriger la situation. Il institua la fréquentation scolaire obligatoire pour
les enfants et les jeunes de 7 à 15 ans; il mit en place des écoles techniques,
où il était possible d'obtenir une formation de niveau secondaire. Les adultes
qui ne pouvaient pas lire ni écrire ont dû suivre des cours d'albanais. L'année
1951 fut marquée par l'ouverture de trois universités en Albanais, mais elles
durent répondre aux normes soviétiques. Les manuels étaient en russe et devaient
refléter l'idéologie soviétique. L'Université de Tirana fut fondée en 1957.
|
Au plan linguistique,
Enver Hoxha appliqua également ses politiques autoritaires. Comme il était
originaire du Sud, à
Gjiroskastër dans la
préfecture du même nom,
Hoxha utilisa son pouvoir pour imposer le
tosque
de sa région (le tosque lab) comme
base de l'albanais standard (ou littéraire) aux
dépens du guègue qui paraissait plus morcelé que le tosque. Soulignons aussi que
l'écrivain le plus célèbre de l'époque, Ismaïl Kararé, né en 1936 également à
Gjiroskastër, écrivait en tosque. Avant cette époque, l'albanais
officiel était basé sur celui d'Elbasan (ville d'Albanie centrale située
sur le fleuve Shkumbin),
une variante qui faisait cohabiter à la fois des caractéristiques guègues et tosques.
Évidemment, cette politique autoritaire s'est faite sans la moindre
contestation populaire. En ce qui
concerne les minorités linguistiques,
conformément à la conception stalinienne des nationalités, Enver
Hoxha consentit à reconnaître certains droits scolaires aux
minorités grecque et macédonienne, mais en les ghettoïsant : quelque
56 000 Grecs furent répartis manu militari dans 99
villages et quelques milliers de Macédoniens dans sept autres villages. De son
côté, le gouvernement de la Grèce affirma que 400 000 Grecs avaient été ainsi
parqués dans ces «réserves» ou «camps» surveillés par l’armée. |
Enfin, le président Hoxha
fit adopter en 1975 un décret qui obligeait tous les Albanais non musulmans à
changer leurs patronymes d’origine grecque, aroumaine, macédonienne ou
monténégrine, surtout les noms catholiques et orthodoxes. Tous les membres des
minorités grecque, aroumaine, macédonienne et monténégrine furent dorénavant
forcés de choisir des patronymes à partir d’une liste officielle albanophone
imposée par le gouvernement. D’autres restrictions s’ajoutèrent aussi quant à
l’emploi des langues minoritaires, mais ces mesures doivent être prises dans un
contexte d’interdiction généralisée à l’égard de tous les Albanais, qu’ils
soient albanophones ou non.
3.5 La démocratisation
de l'Albanie
Après la mort d’Enver
Hoxha en 1985, les difficultés sociales, politiques et économiques
s’accumulèrent. En 1989, ce fut la chute du communisme dans ce pays, ce qui fit
de l’Albanie le dernier pays de l'Est à avoir connu sa révolution. Mais la
transition politique s'est avérée longue et laborieuse, car l'héritage du
communisme ne pouvait qu'être lourd, et l’Albanie a connu
depuis des difficultés pour instaurer un gouvernement démocratique solide.
N’oublions pas que, pendant plus de 40 ans, les Albanais ont vécu sous la
domination d'un régime totalitaire qui a empêché tout développement économique.
Cinquante ans de communisme ont formé les Albanais à ne pas être responsables.
C'était l'État, le leadership, qui décidait où ils devaient naître, quelle école
ils devaient fréquenter, ce qu'ils devaient apprendre, quel métier ils devaient
exercer, etc.
Les dirigeants albanais résistèrent aussi longtemps qu'ils le purent à la vague
de démocratisation qui déferlait sur l’Europe de l'Est après 1989. Il fallut la
chute de Nicolae Ceausescu en Roumanie en décembre 1989, puis les manifestations
des étudiants à Tirana, ainsi que les pressions internationales pour que
l’Albanie autorise enfin le multipartisme en décembre 1990, de lever les
interdits religieux et de rendre possibles les voyages à l’étranger; par la
suite, l'Albanie consentit à établir des relations avec l’Occident, y compris
avec les États-Unis. Ramiz Alia, qui fut président de l'Albanie en 1991 et 1992, dut amorcer une
démocratisation. Pour ne pas être en
reste, le Parti communiste changea de nom et devint le Parti socialiste
albanais
qui s'est maintenu au pouvoir pendant toute l’année 1991 pour être battu par le
Parti démocratique (PDA) lors des élections parlementaires de mars 1992.
- La minorité grecque
En juillet 1992, le Parti communiste albanais fut déclaré
illégal. L’année suivante, Ramiz Alia ainsi que d’autres responsables
communistes furent accusés d’appropriation et de détournement des fonds de
l’État, puis jugés et condamnés à des peines d'emprisonnement. Tandis que les
relations avec la Serbie continuaient d’être difficiles, les tensions
augmentaient entre l’Albanie et la Grèce. Dès le début de 1990, Athènes avait
accusant Tirana de maltraiter sa minorité grecque du sud de l’Albanie, ce qui
eut pour effet de diminuer considérablement la population d'origine grecque en
Albanie.
En raison de l’ouverture des
frontières, du sous-développement et des nombreuses difficultés économiques de
la période de transition, une grande partie des habitants des régions
méridionales du pays ont pu obtenir un emploi en Grèce, où ils vivent à présent.
Dans plusieurs villages peuplés auparavant essentiellement de Grecs, le nombre
des personnes ayant émigré en Grèce se situait entre 40 % et 70 % de la population
totale. Avec la transition démocratique apparut le retour de la liberté
religieuse. C'est alors que le fidèles et les clercs des quatre religions
traditionnelles (islam, chrétienté orthodoxe, chrétienté catholique et le
bektashisme) se sont concertés pour favoriser l’ouverture des premiers
centres religieux.
Au cours de cette même
période, les relations avec la Yougoslavie se firent de plus en plus tendues en
raison des mauvais traitements exercés par les Serbes sur les albanophones du
Kosovo. L'Albanie avait prévenu la Serbie qu'elle ne resterait pas les bras
croisés. Non seulement des éléments armés albanais ont parfois attaqué des
militaires et des civils serbes, mais des groupes organisés ont également fourni
aux Kosovars une grande quantité d’armes et de l’argent blanchi provenant de la
drogue. Les tensions augmentèrent également entre l'Albanie et la Grèce au début
des années 1990, Athènes accusant Tirana de maltraiter la minorité grecque du
sud de l'Albanie. Ces tensions se sont un peu apaisées par la suite, l'Albanie
ayant mis en sourdine ses campagnes anti-grecques, pendant que la Grèce levait
son veto à l'aide européenne à l'Albanie.
Le 25 novembre 1991,
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a accordé à l’Albanie le statut
«d'invité spécial». En mai 1992, l'Albanie signa un accord de coopération de dix
ans avec la Communauté économique européenne (aujourd'hui l'Union européenne).
En juin 1995, l'Albanie devint membre du Conseil de l’Europe. Les élections
législatives de mai-juin 1996 furent remportées par le Parti démocratique du
président Berisha, qui recueillit 67,8 % des voix et les deux tiers des sièges
du Parlement.
- La guerre du Kosovo
Ce rapprochement avec
l'Europe occidentale s’est accentué encore davantage lors de la guerre du Kosovo
(mars-avril 1999). Non seulement l’Albanie devint le pays-refuge privilégié des
Kosovars fuyant la répression serbe, mais elle fut transformée en un vaste
terrain de manœuvres militaires à la disposition des forces de l’OTAN. En effet,
en
quelques jours, plus de 320 000 réfugiés kosovars s’installèrent dans des camps
albanais, ce qui représentait alors près de 50 % de tous les réfugiés fuyant le
Kosovo, soit l’équivalent du dixième de la population de l’Albanie. Ce pays de
3,5 millions d’habitants, par ailleurs l’un des plus pauvres de l’Europe (70 %
de chômage), a hébergé plus de 400 000 réfugiés kosovars depuis le début du
conflit (1998). Ces événements ont fait en sorte que l’Albanie s’est rapprochée
de l’Union européenne et des États-Unis. L’ancien dictateur de l’État albanais,
Enver Hoxha, ce marxiste-léniniste qui détestait les Occidentaux, a dû se
retourner plusieurs fois dans sa tombe! Ajoutons aussi que les Albanais ont
découvert les vertus du capitalisme avec la venue de plus de 10 000 étrangers,
les «humanitaires», appartenant à l’OSCE, au CICR, à Médecins sans frontières, à
Médecins du monde, au Haut-Commissariat des Nations unies, etc., sans compter
tous les ONG inimaginables, les soldats de l’OTAN et les très nombreux
journalistes.
La guerre du Kosovo a eu
pour effet de dynamiser l’économie locale, qui en avait bien besoin, mais au
profit de la... classe dirigeante et de la mafia. D’ailleurs, le journal
albanais Koha Jone a même assuré que, sur dix rations humanitaires
arrivées dans le pays, seules trois étaient effectivement distribuées au
réfugiés kosovars. Ces faits démontrent que les autorités albanaises ne semblent
pas avoir réussi à exercer un contrôle, sinon purement formel, sur ce qui se
passe dans leur pays.
- La Francophonie
En septembre 2006, l'Albanie
est devenue membre de la Francophonie, en même
temps que la Pologne et la Macédoine, des pays qui ne sont guère réputés pour
être francophones. Pourtant, l'enseignement du français existe depuis
la dictature
d'Enver Hoxha, lui-même enseignant dans le lycée
français de Korça,
entre 1917 et 1939. Dans les années
1920-1940, la législation albanaise existait en deux langues, en albanais et en
français. Pendant cette période, de nombreux étudiants ont fait leurs études en
France en contribuant à créer une nouvelle société albanaise d’esprit européen.
De 1900 à 1945, tous les documents destinés à la correspondance avec l’étranger
furent rédigés en français.
Depuis le début de XXe
siècle, le français est demeuré la seule langue utilisée par les diplomates
albanais qui, à l’étranger, prononçaient leurs discours en français.
On estime aujourd'hui que plus de 30 % de la population aurait une certaine
connaissance du français, nombre qu’il faut prendre toutefois avec une certaine
réserve. Même s’il a perdu sa première place au profit de l’anglais, le français
est étudié dans tout le système scolaire, du primaire jusqu’à l’université. Le
français a le statut de première langue étrangère et obligatoire dès la 3e
année de l’école primaire jusqu’à l’issue du secondaire général et
professionnel. Le français est enseigné comme deuxième langue (comme module
optionnel) au collège, dans l’enseignement secondaire général, dans les lycées
bilingues et dans les lycées professionnels. Depuis deux décennies, le français est nettement
devancé par l'anglais.
- L'Union européenne
Le 27 juin 2014, le Conseil européen a officiellement accordé à
l'Albanie le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. C'est depuis
1995 qu'a commencé le recyclage des enseignants, en particulier les enseignants
de l'histoire de façon à se conformer aux normes européennes en matière de
droits de l'Homme. De nombreux professeurs ont dû être formés dans les
universités européennes.
Malgré tout,
l’Albanie n'a pu se débarrasser de la corruption et de la criminalité organisée,
qui continuent de gangrener le pays en entravent les institutions dans leur
fonctionnement et en ralentissant le développement économique et la
démocratisation. Les gouvernements albanais, de gauche comme de droite, se sont
toujours montrés prêts à sauvegarder les droits de la minorité grecque, comme le
bilinguisme dans les zones grécophones ou l’ouverture d’écoles qui suivent le
programme scolaire grec. Toutefois, la lutte contre la discrimination à l'égard
des minorités ethniques ne semblent pas suffisamment appuyée et soutenue pour
marquer une réelle amélioration de la situation.
Dernière mise à jour:
15 février, 2024
L’Europe