République de Biélorussie

Biélorussie

2) Données historiques

Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.

Plan de l'article

1 Les débuts de l'histoire des Biélorusses
1.1 Les invasions germaniques
1.2 L'arrivée des Slaves
1.3 L'État kiévien
1.4 L'invasion mongole

2 Les dominations lituanienne, polonaise et russe
2.1 Le grand-duché de Lituanie
2.2 La domination polonaise
2.3 L'Empire russe
 
3 La Biélorussie sous l'Union soviétique
3.1 La République socialiste soviétique de Biélorussie
3.2 L'égalité symbolique des langues titulaires et du russe
3.3 La biélorussification provisoire

4 La Biélorussie indépendante
4.1 Le retour de la politique du bilinguisme
4.2 L'isolement du pays
4.3 L'emploi des langues
4.4 Une économie en déroute et la dépendance au russe
4.5 L'institutionnalisation de la répression

1 Les débuts de l'histoire des Biélorussiens

Des études linguistiques indiquent qu'il y a 5000 à 4000 ans les premières langues balto-slaves faisaient partie des langues indo-européennes orientales. Il y a plus de 3500 ans, ces langues se sont séparées en deux groupes: les langues baltes, d'une part, les langues slaves, d'autre part. Pendant les 1500 années suivantes, les langues slaves ont évolué parallèlement aux langues grecques, latines (romanes), celtiques et germaniques. Cependant, les langues slaves qu'on connaît aujourd'hui n'existaient pas encore; les peuples slaves parlaient une langue commune qui allait se fragmenter plus tard.

1.1 Les invasions germaniques

À partir du VIe siècle avant notre ère, la région de la Pologne et de la Biélorussie devint à l'est le terrain des incursions des Scythes et des Sarmates, deux peuples indo-iraniens, alors qu'à l'ouest se déroulaient les invasions celtes et germaniques. Tous ces envahisseurs s'installèrent sur les territoires conquis, mais en général ils s'assimilèrent aux autochtones. 

C'est à partir de la fin du IIe siècle de notre ère que l'Empire romain dut faire face aux «invasions barbares», c'est-à-dire au Völkerwanderungce ou au «déplacement des peuples», comme disent les Allemands. Il s'agissait de mouvements de populations de très grande ampleur, réalisés sur de longues périodes. En se déplaçant vers l'ouest, ces peuples venus de l'est finirent par se heurter à la frontière romaine, militairement gardée, et furent poussés par d'autres peuples encore plus à l'est, qui tentèrent de la percer.  Par un effet de dominos, les peuples germaniques durent fuir vers l'ouest de l'Europe. C'est ainsi que les Vandales, les Alains et les Lombards pillèrent tous les villages des peuples germaniques, de sorte qu'ils laissèrent le champ libre aux Slaves.

1.2 L'arrivée des Slaves

D’après les historiens, le berceau d’origine des Slaves se trouverait sur le territoire de l'actuelle Biélorussie et de l'Ukraine. Or, le sud de cette région fut assez tôt placé sous l’influence du royaume des Huns, dirigé par Attila (395-453). Les Slaves n'eurent guère d'autre choix que de fuir les envahisseurs pour émigrer dans les régions actuelles qui s'étendaient de la Pologne jusqu'en Bohême et en Moravie (la République tchèque et la Slovaquie) dans les années 450-550. En quelques siècles, les peuples slaves réussirent à s'imposer. À cette époque, ces groupes parlaient une langue commune appellée le «slave commun».

À partir du VIe siècle, l'unité des peuples slaves se fragmenta, alors qu'ils entreprenaient de grands mouvements migratoires et se dispersaient. En 842, les Varègues, un peuple scandinave associé aux Vikings de Suède, s’installèrent en Europe centrale pour fonder la principauté de Kiev, qui devint la capitale du premier État organisé, lequel comprend aujourd'hui l'Ukraine, la Biélorussie et une partie de la Russie. Ce fut le début de l'État de Kiev (ou État kiévien).

1.3 L'État kiévien

L'État kiévien porte plusieurs appellations: «principauté de Kiev», «Russie kiévienne», «Rusʹ de Kiev» ou «Rous de Kiev», ou encore «Ruthénie prémongole». À partir de 912, la principauté de Kiev se mit à accroître son influence sur les autres peuples slaves, dont les principautés vassales suivantes: Novgorod, Rostov-Souzdal, Polotsk, Tchernigov, Murom, Volhynie, Pereslavl et Halych (voir la carte ci-contre). Le grand-duc de Kiev, Sviatoslav Ier (945-972), instaura ainsi un État puissant au nord des steppes de la mer Noire. Ce premier État slave se développa autour de Kiev, aujourd'hui la capitale de l'Ukraine; il s'étendait du nord au sud à partir du lac Blanc jusqu'au bord de la mer Noire. L'État kiévien devint à ce moment-là pour l'Empire byzantin un important partenaire commercial, et aussi un précieux allié militaire. La ville de Kiev fut le centre de l'État kiévien durant deux siècles; cet État demeure donc la plus ancienne entité politique commune à l'histoire des trois États slaves de l'Est modernes : la Biélorussie, la Russie et l'Ukraine. La principauté de Polotsk correspond à la région où se trouve aujourd'hui la Biélorussie. L'État de Kiev formait une sorte de fédération féodale où le «Grand Prince» ("Velikiï Kniaz") gouvernait à partir de Kiev, tandis que les princes vassaux des autres principautés lui payaient un tribut. 

L'État de Kiev connut son apogée pendant le règne de Vladimir le Grand (980-1015), car ce fut ce monarque qui jeta les bases d'un État puissant et centralisé. C'est aussi sous son règne que commença la christianisation des populations slaves. En raison des contacts commerciaux avec l'Empire byzantin, l'État de Kiev s'était rapproché de l’Église de Constantinople (Orient), laquelle à l'Église de Rome (Occident), ce qui allait entraîner le schisme de 1054. Nous savons que l'Église de Rome utilisait le latin, alors que l'Église de Constantinople faisait usage du grec. Influencée par  la philosophie et la littérature grecques, l'Église d'Orient allait faciliter la conversion massive des peuples slaves au christianisme byzantin ou orthodoxe. C'est ainsi qu'en 988 Vladimir le Grand se rendit à Constantinople pour se convertir au christianisme orthodoxe selon le rite byzantin, y amenant par le fait même la principauté de Kiev et toutes les autres principautés de l'État de Kiev.

Cependant, la langue utilisée dans la liturgie ne fut pas le grec, mais le slavon appelé, selon le cas, «slavon d'Église» ou «slavon russe». L'État kiévien abritait alors plusieurs peuples ethniquement divers, mais peu nombreux, avec des populations slaves, germaniques, finno-ougriennes et baltes.

- Le slavon

Le slavon était à l'origine une langue écrite commune aux Slaves orthodoxes et adaptée à l'oral du IXe siècle pour l'évangélisation des Slaves, celle-ci se faisant par les deux «apôtres slaves», Cyrille et Méthode, qui étaient grecs, sur la base de la langue slave qu'ils connaissaient : le parler slave de Macédoine de la région de Salonique, c'est-à-dire du vieux bulgaro-macédonien.

Les frères Cyrille et Méthode se servirent du slavon comme langue véhiculaire, plutôt que du grec ou du latin, parce que le slavon avait l'avantage d'être assez bien compris par la plupart des Slaves. Ils adaptèrent aussitôt l'alphabet grec au slavon, ce qui donna plus tard l'alphabet connu sous le nom de «alphabet cyrillique». C'est ainsi que l'Église orthodoxe privilégia cet alphabet alors que l'Église catholique conservait l'alphabet latin.

- Le mot Biélorussie

Le mot Biélorussie (signifiant «Russie blanche») apparut pour la première fois au XIIIe siècle et demeure encore aujourd'hui mal expliqué. S'agit-il de la couleur blanche des vêtements? des sables blancs couvrant de grandes surfaces? ou est-il lié au fait que les habitants ne payèrent jamais de tribut aux Mongols? On croit aussi que les Russes nommèrent la Biélorussie «Russie blanche» parce que cette couleur symbolisait les Slaves de l'Ouest et signifiait «occidental».  Pour leur part, les Occidentaux employaient l'expression «Russia Alba» («Russie blanche») pour désigner les environs de la principauté de Novgorod au nord-ouest de la Russie actuelle. Un peu plus tard, en 1539, le Suédois Olaus Magnus dressa une carte («Carta Marina») et nomma une zone comprise entre le golfe de Finlande et le lac Peïpous (ou lac des Tchoudes situé en Estonie et en Russie). Les géographes italiens utilisèrent parfois l'expression «Rossia bianca» pour appeler les territoires au nord de la mer Noire et de la mer d'Azov. En réalité, et jusqu’au milieu du XVe siècle, l'expression «Russie blanche» n'était bien souvent même pas associée à une zone spécifique.

Au siècle suivant, le territoire de la Biélorussie actuelle était aussi nommé «Russie propre», ce qui signifie «libre», car la région n'avait été occupée ni par les Tartares ni par les chevaliers Teutoniques - ou «Biéla Rous’» (ce qui désignait l’est de la Russie alors intégré au grand-duché de Lituanie). Outre «Russie blanche» (ou Biélorussie), on a aussi appelé ce pays «Ruthénie blanche» et «Biéloruthénie». Ses habitants furent nommés «Blancs-Ruthènes», «Biéloruthènes», «Blancs-Russiens», puis «Biélorussiens» ou «Biélorusses».

1.4 L'invasion mongole

En 1236, les troupes de l'Empire mongol (voir la carte) envahirent toute la région et causèrent la destruction de nombreuses cités, dont Kiev (Ukraine), Minsk (Biélorussie), Moscou (Russie), Kolomna (Russie) et Vladimir (Russie). La conquête mongole s'acheva en 1240, non sans avoir démembré l'État kiévien qui se désintégra en de nombreuses petites principautés, lesquelles deviendront ensuite indépendantes. Malgré cette autonomie, toutes les anciennes principautés de l'État kiévien furent forcées de se soumettre aux Mongols et d’intégrer l'Empire qui allait dominer la région jusqu'en 1480. L'invasion mongole et l'éclatement de l'État kiévien entraînèrent des répercussions considérables dans l'histoire de l’Europe de l'Est et de ses langues, dont les traces sont visibles aujourd'hui. Par exemple, c'est grâce à la disparition de l'État de Kiev que la principauté de Moscou a pu prendre de l'expansion.

De plus, en raison de la fragmentation de Kiev en de nouveaux États, la langue slave orientale commença à évoluer en des langues distinctes, de façon analogue à ce qui s'est passé avec le latin et les langues romanes (italien, espagnol, portugais, catalan, français, etc.). Ainsi, l'ancien slave oriental, qui était la langue commune parlée par les ancêtres des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses modernes, se fragmenta pour devenir le biélorusse, le russe, l'ukrainien et le ruthène.  Les Slaves de l'Est se divisèrent en Blancs-Russiens (Biélorusses), en Grands-Russiens (Russes) et en Petits-Russiens (Ukrainiens).

C'est au siècle suivant que commencèrent à se former trois grands groupes distincts parmi les langues slaves: le slave oriental (russe, biélorusse, ukrainien et ruthène), le slave méridional (serbe, slovène, bulgare, macédonien, etc.) et le slave occidental (polonais, tchèque, slovaque, sorabe).

2 Les dominations lituanienne, polonaise et russe

Après avoir échappé aux invasions mongoles, la principauté de Polotsk, située à l'emplacement actuel de la Biélorussie, demanda la protection du grand-duché de Lituanie et devint son vassal en 1240; elle fut définitivement incluse dans le grand-duché en 1307. Contrairement aux Estoniens et aux Lettons, les Lituaniens surent résister à l'invasion mongole, aidés sans doute par leurs grandes forêts, la mauvaise qualité de leurs ports et leur union avec la Pologne.

2.1 Le grand-duché de Lituanie

Dans le but de s'assurer une meilleure défense, les Lituaniens formèrent une fédération libre qui devint le grand-duché de Lituanie en 1239. Le premier grand-duc de Lituanie fixa sa capitale en 1253 à Navahroudak au sud de Minsk, donc dans ce qui est aujourd'hui le territoire biélorusse. En 1323, la capitale lituanienne fut déplacée vers l'actuelle Vilnius (Lituanie).

Le grand-duché de Lituanie s'accrut au-delà de ses frontières initiales. Il finit par couvrir non seulement le territoire de la Lituanie actuelle, mais aussi la Biélorussie, l'Ukraine et la Transnistrie (aujourd'hui en Moldavie), ainsi que certaines régions actuelles de la Pologne et de la Russie. Le XVe siècle fut l'apogée territorial du grand-duché de Lituanie, puisqu'il forma l'un des États les plus prospères de l'Europe de l'Est.

Le lituanien ne fut pas utilisé comme langue administrative du grand-duché de Lituanie. C'est le biélorusse qui, durant plusieurs siècles, servit de moyen de communication privilégié dans l'administration du grand-duché. La Biélorussie forma ainsi le noyau culturel et linguistique de la Lituanie. C'est pourquoi les nationalistes d'aujourd'hui considèrent que la période du grand-duché de Lituanie constitua l'«âge d'or» de l'évolution de la langue biélorusse. De fait, c'est la seule époque connue où le biélorusse exerça une domination.

2.2 La domination polonaise

En 1569 eut lieu l'Union de Lublin — traité signé à Lublin en Pologne — qui unissait le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie en un seul État. Le roi de Pologne était aussi grand-duc de Lituanie (dont faisait partie la Biélorussie). Ce traité de 1569 institua la République des deux nations sous un seul roi élu par les États des deux pays afin de combattre les Russes. Tous les territoires de l'actuelle Biélorussie, dont Minsk, se trouvèrent sous tutelle polonaise, lituanienne, voire ottomane.

Au XVIIe siècle, le royaume de Pologne et de Lituanie s'étendait de la Baltique à la mer Noire; à l'est, il allait presque jusqu'à Moscou. La Pologne pratiquait entre-temps une politique de polonisation des populations lituanienne, biélorusse et ruthène. L'âge d'or du biélorusse venait de prendre fin: l'élite biélorusse se polonisa du fait que le centre de décision du pouvoir était situé désormais en Pologne. De son côté, le clergé catholique, essentiellement polonais, tenta de convertir les Biélorusses orthodoxes au catholicisme romain tout en favorisant la langue polonaise. Évidemment, au cours de cette période, la langue biélorusse emprunta un grand nombre de termes au polonais, des «polonismes». Au XVIIe siècle, les polonismes furent si nombreux qu’ils assimilèrent massivement les termes administratifs et religieux de la langue biélorusse. Toutefois, les milieux paysans restèrent à l'écart de ce mouvement de polonisation et demeurèrent les principaux locuteurs du biélorusse.

À partir de 1654, la Pologne, toujours sous le régime de la République des deux nations, entra en guerre contre la Russie à propos des territoires situés aujourd'hui en Biélorussie et en Ukraine; ce fut une longue guerre qui n'allait prendre fin qu'avec le traité d'Androussovo de 1667. La République des deux nations perdit alors la Livonie et une grande partie des territoires situés à l'est et accaparés par la Russie (voir la carte ci-contre). La Biélorussie resta ainsi sous le contrôle de la Pologne.

Afin de conserver ses privilèges, presque toute la noblesse biélorusse se convertit au catholicisme et adopta la langue polonaise, devenue seule langue officielle en 1696. La culture et la langue parlée biélorusses purent néanmoins se perpétuer chez les paysans qu'on appelait alors «Ruthènes». Quant aux autres langues minoritaires (lituanien, ukrainien, letton, etc.), elles réussirent à survivre dans la mesure où elles ne nuisaient pas au polonais. Après la paix d'Androussovo (1667), la Biélorussie, disputée entre la Pologne et la Russie et dévastée par les guerres et les épidémies, entra dans une longue période de déclin. En 1696, une réforme entraîna l'introduction de l'alphabet latin dans l'écriture biélorusse. Défendue par la Pologne contre la Russie (l'État de Moscou), la région de la Biélorussie resta sous domination polonaise jusqu'en 1772, date à laquelle sa partie orientale fut simplement annexée par la Russie. En Biélorussie occidentale, la langue biélorusse resta sous la domination polonaise, ce qui entrava l'enseignement de cette langue dans les écoles au profit du polonais.

2.3 L'Empire russe

En 1764, les troupes russes entrèrent en Pologne et imposèrent le couronnement de Stanislas II Auguste (1764-1795), connu aussi sous le nom de Stanislas Auguste Poniatowski, un favori de l'impératrice Catherine II de Russie. En 1772 eut lieu un premier partage après plusieurs victoires successives de l'Empire russe contre l'Empire ottoman. À la suite d'un accord entre la Prusse et la Russie, un second partage se fit en 1793. Les territoires situés à l'ouest du Dniepr restèrent dans l'orbite de Varsovie (Pologne) jusqu'en 1793-1795. Les guerres entre la Russie, la Prusse et l'Autriche se terminèrent par le démembrement du reste de la Pologne en janvier 1795. La Russie s'appropria l'est de la Pologne, la Lituanie et la Biélorussie; la Prusse prit l'ouest et l'Autriche acquit le Sud-Ouest (voir la carte ci-contre).

Peu après son intégration à la Russie, la Biélorussie subit une intense politique de russification, pendant que la Pologne écopait d'une politique de dépolonisation. L'administration impériale divisa la Biélorussie en quatre «gouvernements» locaux: Minsk, Vitebsk, Moguilev et Hrodna. Lors de la campagne de Russie en 1812, les Biélorussiens se montrèrent plutôt favorables à l'occupation napoléonienne, de sorte que beaucoup d'entre eux intégrèrent l'armée de Napoléon afin de combattre les Russes. Bien sûr, la Biélorussie fut rapidement reconquise par les Russes, alors que ceux-ci trouvèrent un pays dévasté par la guerre et une population décimée. Aussitôt, les tsars Nicolas Ier (1796-1855), puis Alexandre III (1845-1894) reprirent la russification de la Biélorussie en interdisant l'enseignement du polonais, du lituanien et du biélorusse.

- La politique de russification

Puis l'unification des Églises polonaises et biélorusses au patriarcat de Moscou consacra définitivement l'implantation de la culture russe au moyen de la religion orthodoxe. À partir de 1859, la totalité des livres rédigés en ukrainien, en biélorusse, en polonais ou en lituanien furent interdits. Le régime tsariste bannit le nom même de «Biélorussie» ("Беларусь") pour appeler le pays «Province du Nord-Ouest» ("Северо Западная провинция"), afin de bien le faire intégrer dans son empire. En plus d'être la langue de l'administration et de l’éducation, le russe fut également la langue de la promotion sociale. Malgré la politique du tsar, l'influence polonaise perdura dans l'ouest de la Biélorussie, tandis que la russification prit de l'expansion dans la partie orientale du pays. De nombreux Biélorussiens quittèrent leur pays, mais les rivalités entre les élites polonisées et russifiées, ainsi que l'émergence d'une nouvelle classe dirigeante d'origine paysanne favorisèrent la formation d'un sentiment national biélorusse. 

Alors que les Russes habitaient majoritairement les villes de la Biélorussie demeurée dans l'ensemble peu peuplée, la population paysanne restait analphabète et relativement soumise. Des révoltes secouèrent de temps en temps la Biélorussie, la Lituanie et la Pologne, mais celles-ci étaient organisées par les élites indépendantistes et par des mouvements clandestins, qui désiraient fonder un État distinct. Vers la fin du XIXe siècle, l'industrialisation prit son essor en Biélorussie, ce qui entraîna un exode vers les villes qui commencèrent à se peupler de Biélorusses. Influencés par la propagande nationaliste, les habitants des villes adoptèrent rapidement les idées socialistes qui prônaient la fin de la dictature de la noblesse et de la bourgeoisie russophone ou assimilée.

- La grammaire biélorusse

Au début du XXe siècle, il n'existait pas encore de grammaire normative du biélorusse. Les auteurs écrivaient selon leur perception de la langue, en employant généralement les particularités des différentes variétés dialectales biélorusses.

Les bases méthidiques pour l'introduction d'une grammaire vraiment scientifique et moderne de la langue biélorusse furent posées par le linguiste Yefim Karskiy, fondateur de la linguistique biélorusse et des études littéraires et de la paléographie. Karskiy fut l'auteur d'au moins une centaine de travaux scientifiques importants. Il faudra néanmoins attendre les années 1930 pour voit aboutir une vraie réforme de la grammaire biélorusse. Néanmoins, la contribution de Karskiy à la slavistique contemporaine, notamment en ce qui concerne le biélorusse, fut immense.

- L'occupation allemande

La Première Guerre mondiale contribua à étendre le mouvement sécessionniste. Dès le début de la guerre, la Russie perdit la Biélorussie au profit de l'Allemagne. Les Allemands, soucieux de susciter dans le pays un sentiment anti-russe et anti-polonais, favorisèrent le nationalisme biélorusse et permirent aux citoyens biélorusses de créer leurs propres écoles et d'enseigner leur langue ancestrale. Le biélorusse devint l'instrument de l'alphabétisation des enfants. Les Allemands concédaient ainsi une certaine autonomie aux Biélorusses, du moins suffisamment pour leur faire croire qu'ils étaient libres désormais. Dans les faits, le pays fut entièrement pillé par l'Allemagne. Malgré tout, en mars 1918, des représentants des partis politiques biélorusses se réunirent à Minsk et, inspirés par les mouvements socialiste et nationaliste, proclamèrent la République populaire biélorusse.

3 La Biélorussie sous l'Union soviétique

L'indépendance fut de courte durée, car aussitôt après le retrait de l'armée allemande les Russes instituèrent, le 1er janvier 1919 à Smolensk, la République socialiste soviétique de Biélorussie (RSS de Biélorussie), c'est-à-dire l'Empire soviétique. Entre-temps, la Révolution russe avait remplacé la monarchie des Romanov, puisque les bolcheviks, qui avaient pris le pouvoir après la révolution d'Octobre, venaient de créer un nouveau régime politique, lequel allait donner naissance à l'Union soviétique trois ans plus tard (1922). Les dirigeants soviétiques qui établirent le régime en Biélorussie après Octobre 1917 ne voulurent même pas laisser une place symbolique à la langue biélorusse. De toute façon, ce n'est pas sans raison que la Constitution de la Biélorussie de 1919, rédigée en russe, ne contient aucune disposition linguistique. La plupart des dirigeants de cette république soviétique étaient des personnalités d'origine étrangère et ne pouvaient même pas prononcer deux mots en biélorusse.

Comme il fallait s'y attendre, la RSS de Biélorussie fut rapidement dissoute après six mois, mais ce fut suffisant aux bolcheviks pour exproprier, expulser ou tuer les propriétaires terriens locaux, ce qui libérait plus de 600 000 hectares de terres aussitôt nationalisées.

Par la suite, le territoire fut partagé entre la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFS de Russie) et la République socialiste soviétique lituano-biélorusse (RSSLB ou Litbel). Celle-ci ne vécut que quelques mois en raison de la guerre russo-polonaise de 1920 et de l'invasion polonaise.

Le traité de Riga de 1921 mit fin à la guerre et la Biélorussie fut partagée à nouveau entre la Pologne (à l'ouest) et la RSFS de Russie (à l'est), tandis que la RSS de Biélorussie était rétablie, mais avec seulement 55 200  km² de territoire, une superficie quatre fois moindre qu'aujourd'hui (207 600 km²).

Dans ce qu'on pourrait appeler la «Biélorussie occidentale» (devenue polonaise), le territoire était alors habité par d'importantes populations juives, mais aussi par des catholiques polonais et lituaniens, ainsi que par une majorité biélorusse orthodoxe qui, malgré la politique de polonisation intensive de l'État polonais, avait au moins l'avantage d'échapper à la «terreur rouge», à savoir le Commissariat du peuple aux Affaires intérieures (le NKVD), c'est-à-dire la police politique «chargée de combattre le crime et de maintenir l'ordre public».

3.1 La République socialiste soviétique de Biélorussie

La petite Biélorussie devint en 1922 l'une des 15 républiques de l'Union soviétique sous le nom de République socialiste soviétique de Biélorussie (RSS de Biélorussie). En 1924 et en 1926, la Russie soviétique restitua des territoires biélorusses et le pays atteint une superficie de 125 200  km², donc deux fois plus grande qu'en 1921. 

Dans cette Biélorussie soviétique agrandie, la population polonaise devait être relativement importante, surtout à l'Ouest qui avait été un territoire soumis à une politique de polonisation. La plus grande concentration de Polonais se trouvait aux environs de Dzerjinsk (Koidanov), une ville située au sud-ouest de Minsk, avec une population polonaise majoritaire à 80%. Les Biélorusses créèrent même en 1932 une région polonaise autonome, mais celle-ci allait être supprimée en 1937 au cours de la répression menée par les autorités soviétiques contre la population polonaise.

La Constitution de l'époque reconnut quatre langues nationales en Biélorussie: le biélorusse, le russe, le yiddish et le polonais.  Durant les années qui suivirent, la Biélorussie put bénéficier d'une certaine autonomie et entreprit la biélorussification du territoire. Le biélorusse fut alors réintroduit en tant que langue d’enseignement dans les écoles et l’on se remit à publier en biélorusse. Ce fut l'époque des nationalistes marxistes, de la fondation de l'Université biélorusse de Minsk, d'une augmentation des publications en biélorusse et de la création de centres spécialisés en biélorusse. Voici l'extrait de la Constitution de 1927 qui reconnaissait comme langues nationales les langues russe, biélorusse, yiddish et polonaise:

Конституция 1927 года

Статья 21.

1) За всеми гражданами Белорусской Социалистической Советской Республики признается право свободного пользования родным языком на с’ездах, в суде, управлении и общественной жизни.

2) Национальным меньшинствам обеспечивается право и реальная возможность обучения в школе на родном языке.

3) В государственных и общественных учреждениях и организациях Белорусской Социалистической Советской Республики устанавливается полное равноправие белорусского, еврейского, русского и польского языков.

Статья 22.

В виду значительного преобладания в Белорусской Социалистической Советской Республике населения белорусской нацио- нальности, белорусский язык избирается, как язык преимущественный для сношения между государственными, профессиональными и общественными учреждениями и организациями.

Статья 23.

Опубликование важнейших законодательных актов производится на белорусском, еврейском, русском и польском языках.

Constitution de 1927

Article 21

1) Tous les citoyens de la République socialiste soviétique de Biélorussie ont le droit d'employer librement leur langue maternelle dans les assemblées, les tribunaux, l'administration et la vie publique.

2) Les minorités nationales ont le droit et une réelle possibilité d'étudier
à l'école dans leur langue maternelle.

3) Dans les institutions et organisations nationales et publiques de la République socialiste soviétique de Biélorussie, la pleine égalité des droits est reconnue pour
les langues biélorusse, yiddish, russe et polonaise.

Article 22

Compte tenu de la forte prédominance de la population de nationalité biélorusse en République socialiste soviétique de Biélorussie, le biélorusse est choisi comme langue prédominante pour la communication entre les institutions et organismes nationaux, professionnels et publics.

Article 23

La publication des actes législatifs les plus importants se fait dans les langues biélorusse, yiddish, russe et polonaise.

Le mot еврейском (ou yevreyskom) peut signifier en russe «juif», «hébreu» ou «yiddish». En 1927, l'hébreu comme langue moderne n'existait pas encore, ni la langue juive, et les Juifs d'Europe parlaient généralement le yiddish, une langue germanique. Pour la traduction en français, le terme yiddish semble donc préférable pour désigner la langue parlée par les Juifs de l'époque.

- La social-démocratie de Lénine

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, fut le grand leader des bolcheviks après Octobre 1917. Pour Lénine, la social-démocratie devait lutter contre le chauvinisme (ethnique, linguistique, culturel ou religieux), puisqu'il représentait «une oppression des nations» et qu'il était incompatible avec «l'internationalisme prolétarien». Contrairement aux dirigeants qui lui succéderont, Lénine n'attribuait pas des qualités supérieures au russe et ne l'a jamais placé au-dessus des autres langues. Même s'il se servait du russe pour transmettre la révolution communiste, il refusait d'assurer un statut particulier au russe. Il rejetait même le concept désignant le russe comme langue officielle de l'État, car un tel statut évoquait pour lui l'époque tsariste où toutes les langues autres que celle du tsar devaient être réprimées et liquidées. C'est pourquoi Lénine s'opposait à l'introduction d'une langue officielle, cette mesure signifiant pour lui une «imposition de la langue des Grands-Russes qui constituent la minorité de la population de la Russie à tout le reste de la population du pays» (cité par Andrèa khylya Hemour, 2009-2010).

Lorsqu'une langue est déclarée officielle, elle devient en principe obligatoire dans les écoles et dans la documentation de l'État; elle peut alors être imposée par la force. Voici ce que Lénine écrivait en 1914 au sujet de la langue russe :

Il est compréhensible que nous aussi voulions que chaque citoyen de la Russie ait la possibilité d'apprendre la grande langue russe. Nous ne voulons seulement pas cet élément de contrainte. Nous ne voulons pas faire rentrer dans le paradis à l'aide d'un gourdin. [...] Nous pensons que la grande et puissante langue russe n'a pas besoin d'être apprise sous un bâton. [...] Ceux qui, selon les conditions de leur vie et de leur travail, ont besoin d'une connaissance du russe l'apprendront sans un bâton. Car l'obligation (un bâton) amènera à une chose seulement : elle rendra difficile l'accès de la grande et puissante langue russe aux autres groupes nationaux et, le plus important, elle accentuera l'inimité, créera un million de nouveaux frottements, renforcera l'irritation. l'incompréhension mutuelle, etc. [...] C'est pour cela que les marxistes russes disent qu'il est nécessaire que la langue officielle obligatoire soit absente [...]. (cité par Andrèa khylya Hemour, 2009-2010).

Bref, Lénine croyait que le russe s'imposerait forcément comme langue seconde, sans que les peuples soient obligés de renoncer à leur langue maternelle. De plus, il favorisait l'alphabet latin plus universel plutôt que l'alphabet cyrillique. Enfin, il croyait que s'il devait y avoir une «langue universelle», ce serait «probablement l'anglais ou peut-être le russe».

La Constitution de 1927 de la Biélorussie respectait les directives de la politique linguistique de Lénine, laquelle reconnaissait le droit pour tout citoyen soviétique de recevoir son instruction dans sa langue maternelle. C'est pourquoi, dans Belorussia under Soviet Rule, 1917-1957, le professeur Yvan Lubachko (cité par JEANTHEAU, 2001) affirmait en 1972 que de nombreux citoyens de la Biélorussie furent très satisfaits de la politique de Lénine à ce sujet:

Le programme linguistique de Lénine a gagné à la cause des bolcheviks de nombreux nationalistes qui leur étaient au départ opposés. Beaucoup de Biélorusses, par exemple, qui avaient fui à l'étranger, furent si contents du programme soviétique pour développer la langue biélorusse qu'ils retournèrent en Biélorussie soviétique et travaillèrent de façon enthousiaste à la révolution culturelle avec les bolcheviks.

Toutes les minorités de l'URSS eurent à nouveau le droit de parler leur langue, de transmettre leur culture à leurs enfants, d'ouvrir leurs écoles et de posséder leurs propres organismes de presse. Le régime constitutionnel mis en place à cette époque agissait selon l'idéologie de «l'éveil des nationalités». L'évolution des journaux et de la littérature en général, une certaine liberté de la presse et des institutions culturelles, le rayonnement des théâtres folkloriques, etc., contribuèrent sans doute au renforcement des «sentiments nationaux».

Il ne faut pas oublier que les bolcheviks découvraient un pays grandement analphabète et peuplé d'un grand nombre de locuteurs non russophones dont le niveau d'instruction était très bas. Ces habitants, généralement des paysans, étaient auparavant des sujets de l'Empire russe et constituaient désormais des minorités nationales. Les nombreuses langues qu'ils parlaient (lituanien, biélorusse, yiddish, polonais, letton, arménien, etc.) n'avaient rien de commun avec la langue des communistes russes. Le gouvernement bolchévique devait donc accomplir au préalable une tâche gigantesque avant de tenter de récupérer la classe prolétarienne non russophone. En effet, il fallait tout d'abord alphabétiser les masses et les familiariser avec le russe.

Mais cette politique linguistique apparemment «libérale» n'allait pas durer longtemps. Elle se termina abruptement peu après la mort de Lénine (le 21 janvier 1924). Une véritable guerre de succession opposa Trotski à Staline et, en 1928, Staline l'emporta et instaura un régime socialiste très autoritaire. 

- La nouvelle politique de russification

Bien que d'origine géorgienne, Staline n'appliqua guère les idées libérales de Lénine en matière de nationalités, en dépit de ce qu'il proclamait pourtant encore en 1930.
 
Что касается более далекой перспективы национальных культур и национальных языков, то я всегда держался и продолжаю держаться того ленинского взгляда, что в период победы социализма в мировом масштабе, когда социализм окрепнет и войдет в быт, национальные языки неминуемо должны слиться в один общий язык, который, конечно, не будет ни великорусским, ни немецким, а чем-то новым. Об этом я также определенно заявил в своем докладе на XVI съезде. Quant à la perspective plus éloignée des cultures et des langues nationales, j'ai toujours adhéré et continue d'adhérer à la vision léniniste que, dans la période de cette victoire du socialisme à l'échelle mondiale, lorsque le socialisme gagnera en force et entrera dans la vie quotidienne, les langues nationales doivent inévitablement fusionner en une seule langue commune qui, bien sûr, ne sera ni le grand russe ni l'allemand, mais quelque chose de nouveau. Je l'ai aussi clairement déclaré dans mon rapport au 16e Congrès.

Au cours de la décennie 1930, Staline favorisa plutôt, à l'exemple des tsars, la russification de l'URSS en généralisant l'emploi du «grand russe» comme langue de travail et l'immigration des Russes dans les États fédérés, sans oublier les déportations massives en Sibérie pour des petits peuples entiers accusés de trahison.

Une chape de plomb s'est abattue sur toute biélorussification dès le milieu des années 1930. À l'inverse, les apparatchiks développèrent intensivement la russification, à l'instar de celle appliquée par les anciens impérialistes tsaristes. Pour Staline, la fusion en une seule culture socialiste par la forme comme par le contenu, avec une seule langue commune, était nécessaire pour faire triompher le prolétariat dans le monde entier et établir le socialisme dans les mœurs. C'était cette doctrine que Staline adaptait dans sa conception léniniste du problème des cultures et des langues nationales.

En Biélorussie, les purges staliniennes entraînèrent l'emprisonnement de beaucoup d'intellectuels et l'arrêt de toute biélorussification. Le biélorusse recommença à prendre du recul, alors que le russe devenait la langue de l'administration, de l'éducation et du commerce. Parce que le biélorusse était une langue génétiquement très proche du russe, il paraissait d'autant plus facile pour les biélorussophones d'apprendre cette langue et, à la longue, de s'assimiler. En 1933, Staline imposa une réforme de l'orthographe du biélorusse, plus calquée sur le russe. L'objectif des linguistes russes était de «purifier» l'écriture biélorusse des «déformations nationalistes». En se rapprochant de plus en plus du russe, le biélorusse perdrait peu à peu ses propres caractéristiques pour s'assimiler à la langue du «grand frère». C'est cette version orthographique du biélorusse qui fut ensuite utilisée dans les publications officielles.

Profitant d'une période de plein développement économique, Staline poursuivit sa politique de russification en Biélorussie, comme d'ailleurs dans les autres républiques de l'URSS. La langue du «socialisme internationaliste», celle des dirigeants soviétiques, celle de l'ethnie majoritaire, celle de la littérature et des sciences était le russe. En 1937, l'URSS était devenue un pays «complètement alphabétisé», ce qui fut perçu comme une réussite de la révolution culturelle. Par le fait même, l'imposition du russe et de son écriture pouvait dorénavant s'étendre dans toute l'URSS. En octobre de cette année de 1937, Staline entreprit une extermination massive des écrivains et artistes biélorussophones; cet événement marqua l'apogée de la «Grande Purge» et des répressions dans l' est de la Biélorussie sous contrôle soviétique. Plus d'une centaine de personnes notables furent exécutées, la plupart dans la nuit du 29 au 30 octobre. Leur innocence allait être reconnue par l'Union soviétique après la mort de Joseph Staline. Quoiqu'il en soit, les purges staliniennes des dirigeants et des intellectuels biélorusses, accompagnées de la collectivisation forcée des paysans, contribuèrent au rétrécissement de la conscience collective nationale.

Le 13 mars 1938, Staline décréta l'apprentissage obligatoire du russe dans toutes les écoles de l'Union soviétique ; la Biélorussie l'avait même entamé avant cette année-là. L'arrivée des minorités russophones, avec les incontournables purges politiques dans presque toutes les républiques, eut un effet d'entraînement considérable pour la diffusion du russe. La tactique de Staline était très claire: il fallait commencer par amadouer les populations locales avant de les forcer à s'assimiler. Ce n'est pas anodin si la Constitution de la Biélorussie de 1937 laissait entrevoir certaines libertés pour le biélorusse, tout en minimisant toute propagation du russe:

Конституция 1937 года

Статья 86.

Судопроизводство в БССР ведется на белорусском языке с обеспечением для лиц, не владеющих этим языком, полного ознакомления с материалами дела через переводчика, а также права выступать на суде на родном языке.

Статья 96.

1) Граждане БССР имеют право на образование.

2)
Это право обеспечивается всеобще-обязательным начальным образованием, бесплатностью образования включая высшее образование, системой государственных стипендий подавляющему большинству учащихся в высшей школе, обучением в школах на родном языке, организацией на заводах, в совхозах, машинотракторных станциях и колхозах бесплатного производственного, технического и агрономического обучения трудящихся.

Constitution de 1937

Article 86


La procédure judiciaire devant la RSS de Biélorussie doit se dérouler en langue bélarussienne, mais ceux qui ne maîtrisent pas cette langue ont le droit de s'exprimer devant le tribunal
dans leur langue maternelle afin de se familiariser avec les éléments du procès grâce à un interprète.

Article 96

1) Les citoyens de la RSS de Biélorussie ont droit à l'éducation.

2) Ce droit est garanti par l’enseignement primaire obligatoire universel, un enseignement gratuit, y compris l’enseignement supérieur, un système de bourses d’études publiques à la grande majorité des élèves du secondaire, un enseignement
de leur langue maternelle dans les écoles, une organisation de formation dans les usines, des techniques agronomiques gratuites dans les fermes collectives et des stations de machines-tracteurs pour les travailleurs.

Staline procéda à l'abolition de toutes les unités militaires nationales et imposa l'unique langue russe à l'armée soviétique. Au milieu des années 1940, la conversion des autres langues que le russe en alphabet cyrillique était en principe terminée. Pour ce dirigeant tyrannique, l'évolution naturelle des langues devait entraîner une réduction considérable du nombre des langues dans le monde et ne favoriser la conservation de celles ayant une «réelle valeur de communication». Cette réduction est même souhaitable pour éviter des pertes d'énergie et de temps à l'humanité (cité par jeantheau, 2001). Mieux, au fil d'arrivée, il ne devrait rester peut-être que l'anglais et le russe, probablement même seulement le russe, la «langue du socialisme triomphant» (yazyk pobedivshego sotsializma"). Mais Staline se révéla un bien mauvais prophète!

- L'occupation nazie

Après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, l'URSS, en vertu du Pacte germano-soviétique de 1939 (officiellement Traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique), s'empara une nouvelle fois de la Biélorussie occidentale, la rattacha à la RSS de Biélorussie et doubla ainsi pratiquement le territoire de la république.

En juin 1941, les Allemands envahirent la Biélorussie. Les nationalistes biélorusses en profitèrent pour inciter les médias et les écoles à employer la langue biélorusse. De façon générale, les variantes utilisées dans le vocabulaire, l'orthographe et la grammaire respectaient les normes du début du siècle. De nombreuses publications en lettres latines furent diffusées en biélorusse à la place du cyrillique. Du côté des partisans soviétiques, on favorisait la grammaire normative de 1934 et l'implantation de l'alphabet cyrillique.

Les Allemands furent expulsés de la Biélorussie en 1944, laissant le pays en ruine (avec 209 villes et 9200 villages détruits, ainsi que 1,3 million de victimes). Il semble que les atrocités commises durant l'occupation nazie aient favorisé en Biélorussie un puissant mouvement de résistance, lequel a certainement contribué à enraciner le «patriotisme international soviétique».

À l'exception de certaines petites zones, comme la ville de Bialystock située près des frontières biélorusse et lituanienne, allouées à la Pologne, les frontières politiques de 1939 de la RSS de Biélorussie furent confirmées en vertu du traité de 1945 signé entre la Pologne et l'URSS (voir la carte ci-contre).

La même année, au moment de la fondation de l'Organisation des Nations unies, la Biélorussie obtint un siège en tant que membre fondateur (avec l'Ukraine). 

- L'invasion russe

Après la mort de Joseph Staline survenue en 1953, le recours à la terreur et aux travaux forcés diminua de manière sensible, mais la russification perdura, puis s'accentua avec Nikita Khrouchtchev (président de l'URSS de 1958 à 1964) qui fut destitué et remplacé en 1964 par Leonid Brejnev (président de l'URSS de 1964 à 1982). Le biélorusse fut graduellement marginalisé, puis éliminé des domaines associés au progrès et à l'éducation, et finalement confiné à un rôle de plus en plus identitaire. 

Au cours de ces années, de nombreux Russes vinrent s'installer en Biélorussie (et dans les autres républiques), ce qui maintint la diffusion de la langue russe, et ce, d'autant plus que ceux-ci exigeaient que leurs enfants reçoivent un enseignement en russe. L'omniprésent Parti communiste n'offrait des promotions qu'à ceux qui maîtrisaient parfaitement la langue russe. Étant donné que le biélorusse est plus proche du russe que la plupart des autres langues parlées en Union soviétique, l'assimilation fut plus rapide.  La Biélorussie urbaine devint russophile et russophone. L'enseignement facultatif du biélorusse dans les écoles primaires se fit au profit du russe. On envisagea même d'obliger les jardins d'enfants à n'utiliser que le russe dans l'enseignement. 

3.2 L'égalité symbolique des langues titulaires et du russe

À la toute fin des années 1970, des mouvements nationalistes se développèrent à Minsk. Afin de calmer leurs ardeurs, les Soviétiques imposèrent une nouvelle constitution qui mettait l'accent sur l'égalité de toutes les langues de l'URSS. La politique linguistique de la Biélorussie soviétique paraissait tout axée sur l’égalité des droits linguistiques de tous les citoyens, y compris ceux des russophones, et sur le développement harmonieux de toutes les nations et ethnies de l’URSS. C'était en réalité une façon de banaliser toutes les langues nationales dites «titulaires» — la langue majoritaire d'un territoire sous tutelle? — et d'accorder un statut privilégié au russe. Dans les faits, toutes les langues titulaires des républiques soviétiques n'avaient droit de cité (après le russe) que dans leur république d'origine, alors que la langue russe avait la priorité dans toutes les républiques.

- La Constitution et l'égalité du russe

Lorsqu'on lit les articles 32 et 34 de la Constitution du 14 avril 1978 de la Biélorussie, force est d'admettre que l'accent y est mis sur l'égalité de toutes les langues:

Статья 32.

1)
Граждане Белорусской ССР равны перед законом независимо от происхождения, социального и имущественного положения, расовой и национальной принадлежности, пола, образования, языка, отношения к религии, рода и характера занятий, места жительства и других обстоятельств.

2) Равноправие граждан Белорусской ССР обеспечивается во всех областях экономической, политической, социальной и культурной жизни.

Статья 34.

1) Граждане Белорусской ССР различных рас и национальностей имеют равные права.

2) Осуществление этих прав обеспечивается политикой всестороннего развития и сближения всех наций и народностей СССР, воспитанием граждан в духе советского патриотизма и социалистического интернационализма, возможностью пользоваться родным языком и языками других народов СССР.

3) Какое бы то ни было прямое или косвенное ограничение прав, установление прямых или косвенных преимуществ граждан по расовым и национальным признакам, равно как и всякая проповедь расовой или национальной исключительности, вражды или пренебрежения - наказываются по закону.

Article 32

1) Les citoyens de la République socialiste soviétique (RSS) de Biélorussie sont égaux devant la loi, indépendamment de leur origine, de leur situation sociale et de leurs biens, de leur appartenance raciale et nationale, de leur sexe, de leur niveau d'instruction, de leur langue, de leur attitude vis-à-vis de la religion, du genre et du caractère de leurs occupations, de leur lieu de résidence et autres circonstances.

2) L'égalité en droit des citoyens de la RSS de Biélorussie est garantie dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale et culturelle.

Article 34

1) Les citoyens de la RSS de Biélorussie de races et de nationalités différentes jouissent de droits égaux.

2) L'exercice de ces droits est garanti par la politique de développement harmonieux et de rapprochement de toutes les nations et ethnies de l'URSS, par l'éducation des citoyens dans l'esprit du patriotisme soviétique et de l'internationalisme socialiste, par la possibilité d'utiliser sa langue maternelle et la langue des autres peuples de l'URSS.

3) Toute restriction directe ou indirecte des droits, tout établissement de privilèges directs ou indirects pour les citoyens en raison de la race ou de la nationalité, de même que toute propagande d'exclusivisme racial ou national, de haine ou de mépris sont punis par la loi.

À cette époque bénie, la vie était facile pour tous les russophones vivant dans les républiques de l'Union, en Biélorussie plus qu'ailleurs. Cependant, ces derniers bénéficiaient de tous les avantages d’une majorité fonctionnelle qui n’avait pas besoin d’être bilingue; les russophones détenaient les clés de la domination économique, sociale, culturelle, etc. Par comparaison, les Biélorusses étaient des étrangers dans leur propre pays. Or, lorsque deux langues sont en situation de concurrence, la langue la plus forte va avoir raison sur la langue plus vulnérable, l'égalité réelle devenant illusoire!   

- L'éducation

Khrouchtchev a fait supprimer indirectement l'obligation de l'enseignement de la langue maternelle en introduisant la politique du libre choix. Dans le domaine de l'éducation, les Russes pouvaient exiger que leurs enfants reçoivent leur instruction uniquement en langue russe (art. 43 de la Constitution de 1978), de sorte qu'ils n'étaient pas tenus d'apprendre la langue tutélaire:

Статья 43.

1) Граждане Белорусской ССР имеют право на образование.

2) Это право обеспечивается бесплатностью всех видов образования, осуществлением всеобщего обязательного среднего образования молодежи, широким развитием профессионально-технического, среднего специального и высшего образования на основе связи обучения с жизнью, с производством; развитием заочного и вечернего образования; предоставлением государственных стипендий и льгот учащимся и студентам; бесплатной выдачей школьных учебников; возможностью обучения в школе на родном языке; созданием условий для самообразования.

Article 43

1) Les citoyens de la RSS de Biélorussie ont droit à l'instruction.

2) Ce droit est garanti par la gratuité de tous les types de formation, par la réalisation de l'enseignement secondaire obligatoire universel de la jeunesse, par le vaste développement de l'enseignement secondaire spécialisé, de l'enseignement professionnel et technique et de l'enseignement supérieur sur la base du rapport de l'enseignement avec la vie et avec la production; par le développement des cours par correspondance et des cours du soir; par l'octroi de bourses du gouvernement et d'avantages aux élèves et aux étudiants; par la possibilité d'un enseignement à l'école dans la langue maternelle; par la création de conditions pour l'autodidaxie.

Selon les données du ministère de l'Éducation biélorusse de 1994, il existait presque autant d'établissements préscolaires dont la langue d'enseignement était le russe que le biélorusse, alors que les russophones ne constituaient que 13 % de la population totale. Dans la plupart des écoles primaires et secondaires, le biélorusse était considéré comme une «matière facultative». Dans les années quatre-vingts, à Minsk, il était déjà rare d'entendre une conversation en biélorusse dans les rues, et dans ses écoles les cours de biélorusse étaient quasiment facultatifs. N. Khrouchtchev, lors d'une visite de la ville, déclarait que la Biélorussie devait être la première république à abandonner sa langue nationale pour embrasser celle du russe, le socialisme triomphant. En 1988, le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Biélorussie présentait un rapport au plénum du Parti communiste et faisait le constat suivant:

Beaucoup d'élèves ne maîtrisent pas à un degré suffisant l'écriture en biélorusse, la langue parlée; et ils ne font pas preuve d'un intérêt soutenu pour la lecture de la littérature. Le niveau de l'enseignement de la langue et de la littérature biélorusse reste peu élevé. (Cité par Jeantheau, 2001, p. 69) 

D'ailleurs, beaucoup de parents se plaignaient de ne pas pouvoir trouver, surtout dans les centres urbains, des établissements où l'on enseignait le biélorusse. Par exemple, pour l'année scolaire 1987-1988, les statistiques révélaient que seulement 23 % des écoliers (de la première année à la dixième année) étaient scolarisés en biélorusse. La plupart des enseignants étaient incapables d'enseigner en biélorusse des matières comme les mathématiques, la physique ou l'anglais, sans compter la pénurie effarante de manuels en langue biélorusse. Les établissements d'enseignement professionnel et supérieur étaient demeurés exclusivement russes. Enfin, la plupart des fonctionnaires ne s'exprimaient qu'en russe, ce qui pouvaient être le cas des biélorussophones. Ajoutons que le biélorusse n'était à peu près pas utilisé comme langue de travail, sauf dans les régions rurales. On comprendra que, dans ces conditions, les milieux nationalistes aient trouvé un terrain propice à leurs revendications.  

- La justice

En matière de justice, il en était ainsi dans la procédure judiciaire (art. 158): 

Статья 158.

Судопроизводство в Белорусской ССР ведется на белорусском или русском языках или на языке большинства населения данной местности. Участвующим в деле лицам, не владеющим языком, на котором ведется судопроизводство, обеспечивается право полного ознакомления с материалами дела, участие в судебных действиях через переводчика и право выступать в суде на родном языке.

Article 158

La procédure judiciaire dans la RSS de Biélorussie doit se dérouler dans les langues biélorusse ou russe ou dans la langue de la majorité de la population de la localité donnée. Les personnes participant au procès et ne possédant pas la langue dans laquelle se fait la procédure judiciaire ont le droit de prendre pleinement connaissance du dossier, de prendre part aux actions judiciaires par l'intermédiaire d'un interprète et de s'exprimer durant l'audience dans leur langue maternelle.

Le cas de la Biélorussie ne demeure toutefois pas une exception. La situation était identique dans toutes les républiques, y compris celles de l'Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan, etc.). Cependant, la russification en Biélorussie semble avoir été plus avancée qu'ailleurs, encore plus qu'en Ukraine, ce qui est peu dire. Il est probable que les similitudes linguistiques avec le russe aient joué aux dépens du biélorusse. Rappelons que le russe, le biélorusse et l'ukrainien font partie du groupe des langues slaves de l'Est, ces dernières ayant déjà constitué une seule et même langue qui s'est fragmentée vers le XIIe siècle.

Cette situation de sujétion commença à changer après l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986, alors que la Biélorussie avait subi plus de 70 % des retombées radioactives en raison de la direction des vents. Vers la fin du régime soviétique, notamment avec l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir (de 1985 à 1991) et la perestroïka, puis la chute du mur de Berlin, les régimes communistes s'effondrèrent les uns après les autres, ce qui mit fin au monopole politique des partis communistes, y compris en Biélorussie.

3.3 La biélorussification provisoire

Le 26 janvier 1990, alors que la Biélorussie n'était pas encore indépendante et que le Parti communiste dominait encore le pays, le Soviet suprême de Biélorussie adopta une modification constitutionnelle qui accordait au biélorusse le statut de «langue officielle de la RSS de Biélorussie». Tous les citoyens de la RSS de Biélorussie, indépendamment de leur nationalité et de leur langue maternelle, devaient bénéficier de l'égalité des droits et exercer des responsabilités égales envers l'État. Voici l'article 2 de cette loi constitutionnelle:

Канстытуцыя Беларусі 1990 года

Артыкул 2 [version biélorusse]

Дзяржаўная мова, іншыя мовы ў Беларускай ССР

1)
У адпаведнасці з Канстытуцыяй (Асноўным Законам) Беларускай ССР дзяржаўнай мовай Беларускай Савецкай Сацыялістычнай Рэспублікі з'яўляецца беларуская мова.

2) Беларуская ССР забяспечвае ўсебаковае развіццё і функцыяніраванне беларускай мовы ва ўсіх сферах грамадскага жыцця.

3) Беларуская ССР забяспечвае права свабоднага карыстання рускай мовай як мовай міжнацыянальных зносін народаў Саюза ССР.

4) Беларуская ССР праяўляе дзяржаўны клопат аб свабодным развіцці і ўжыванні ўсіх нацыянальных моў, якімі карыстаецца насельніцтва рэспублікі.

5) Рэспубліканскія і мясцовыя дзяржаўныя, партыйныя органы, прадпрыемствы, установы і грамадскія арганізацыі ствараюць грамадзянам Беларускай ССР неабходныя ўмовы для вывучэння беларускай і рускай моў і дасканалага валодання імі.

6) Закон не рэгламентуе ўжыванне моў у неафіцыйных зносінах, у зносінах членаў працоўных калектываў паміж сабой, ва Узброеных Сілах СССР, пагранічных, унутраных і чыгуначных войсках, якія знаходзяцца на тэрыторыі Беларускай ССР.
 

Constitution de la Biélorussie de 1990

Article 2

Langue officielle, autres langues de la RSS de Biélorussie

1)
Conformément à la Constitution (Loi fondamentale) de la RSS de Biélorussie,
la langue officielle de la République socialiste soviétique de Biélorussie est la langue biélorusse.

2) La RSS de Biélorussie garantit le développement et le fonctionnement complets de la
langue biélorusse dans toutes les sphères de la vie publique.

3) La RSS de Biélorussie garantit
le droit d'utiliser librement la langue russe comme langue de communication interethnique des peuples de l'URSS.

4) La RSS biélorusse doit témoigner du souci de l'État pour le libre développement et
l'usage de toutes les langues nationales employées par la population de la République.

5) L'État national et local, les organismes du parti, les entreprises, les institutions et les organisations publiques créent les conditions nécessaires pour que les citoyens de la RSS de Biélorussie étudient et
maîtrisent les langues biélorusse et russe.

6) La loi ne réglemente pas l'usage des langues dans les communications informelles, dans les communications entre les membres des collectifs de travail, les forces armées de l'URSS, les troupes frontalières, internes et ferroviaires stationnées sur le territoire de la RSS de Biélorussie.

Toutefois, dès le préambule, le texte venait tempérer ce statut privilégié du biélorusse en accordant au russe la position sociale dont il avait toujours bénéficié. En effet, le texte déclarait  que le statut de la langue biélorusse en tant que langue officielle ne devait pas affecter pas les droits constitutionnels des citoyens des autres nationalités d'employer le russe ou d'autres langues. En réalité, l'article 2.1 n'avait qu'une valeur symbolique.

- La préservation des privilèges de la langue russe

Les articles 4 et 5 de cette même loi montrent bel et bien que les locuteurs de la langue russe n'avaient perdu aucun de leurs privilèges:

Артыкул 4 [version biélorusse]

Абавязак службовых асоб, іншых работнікаў дзяржаўных, партыйных органаў, прадпрыемстваў, устаноў і грамадскіх арганізацый валодаць беларускай і рускай мовамі

1)
Кіраўнікі, іншыя работнікі дзяржаўных устаноў, партыйных, савецкіх, прафсаюзных органаў, грамадскіх арганізацый і прадпрыемстваў павінны валодаць беларускай і рускай мовай у аб'ёме, неабходным для выканання службовых абавязкаў.

2) Органы дзяржаўнай улады і дзяржаўнага кіравання, а таксама ўстановы, прадпрыемствы і арганізацыі павінны прымаць і разглядаць дакументы, якія падаюцца грамадзянамі на беларускай або рускай мове.

Артыкул 5.

Абарона моў

1)
Усякія прывілеі ці абмежаванне правоў асобы па моўных прыкметах недапушчальныя.

2) Публічная знявага, ганьбаванне дзяржаўнай і іншай мовы, стварэнне перашкод і абмежаванняў у карыстанні імі, пропаведзь варожасці на моўнай глебе цягнуць устаноўленую законам адказнасць.

Article 4

Obligation des fonctionnaires, des autres employés de l'État, des organismes du parti, des entreprises, des institutions et des organisations publiques de parler le biélorusse et le russe

1)
Les dirigeants, les autres employés des institutions publiques, du parti, des organismes soviétiques, des syndicats, des organisations publiques et des entreprises
doivent parler le biélorusse et le russe dans la mesure nécessaire à l'exercice des fonctions officielles.

2) Les organismes du pouvoir de l'État et de l'administration publique, ainsi que les institutions, les entreprises et les organisations doivent accepter et examiner les documents soumis par les citoyens
dans les langues biélorusse ou russe.

Article 5

Protection des langues

1)
Tous privilèges ou restrictions aux droits de l'individu pour des raisons linguistiques sont inadmissibles.

2) L'insulte publique, la disgrâce de l'État et d'autres langues, la création d'obstacles et des restrictions dans leur emploi, la promotion de l'hostilité pour des motifs linguistiques engagent la responsabilité prévue par la loi
.

- La politique de biélorussification

À la faveur de la perestroïka, les minorités de l'Union soviétique (dont la Biélorussie) acquirent une marge de manœuvre dont elles surent tirer parti rapidement. À la fin des années 1980, l'opposition nationaliste biélorusse devint plus vive; des intellectuels envoyèrent au président Gorbatchev des pétitions exigeant la protection du biélorusse. Les nationalistes firent leur apparition au Parlement (le Front populaire de Biélorussie) aux élections de mars 1990. Le 26 janvier précédent, le Soviet suprême de la RSS de Biélorussie avait adopté la Loi sur les langues (n° 46, aujourd'hui abrogée): le biélorusse fur proclamé langue officielle.

C'est en composant avec les tendances communistes pro-russes que les nationalistes biélorusses avaient élaboré, juste avant l'indépendance, leur politique de biélorussification. Le texte du préambule de la Loi sur les langues de 1990, dont un extrait est présenté ici, donne un bon aperçu de la préoccupation des nationalistes biélorusses du début de la décennie 1990 :

Depuis longtemps, en Biélorussie, vivent des gens de nationalités différentes; on y entend des langues différentes. Mais pendant les dernières années, la sphère d’utilisation de la langue de la population d’origine de la Biélorussie, du peuple qui lui a donné son nom et auquel historiquement appartiennent la plupart des habitants de la République, s’est considérablement rétrécie, au point que son existence est menacée, qu’elle est en danger de disparition. Il est apparu nécessaire de défendre la langue biélorusse sur le territoire de l’État biélorusse et du peuple biélorusse. Pour créer ce système de défense, il est nécessaire de donner à la langue biélorusse le statut de langue officielle de la république de Biélorussie.

Le statut de langue officielle conféré à la langue biélorusse ne blesse pas les droits constitutionnels des citoyens d’autres nationalités qui utilisent la langue russe ou d’autres langues. Tous les citoyens de la république de Biélorussie, quelles que soient leur nationalité et leur langue maternelle, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs vis-à-vis l’État.

Contrairement aux États baltes, plus anti-russes, les dirigeants de la Biélorussie désiraient assurer le redressement et la promotion du biélorusse, tout en maintenant les acquis du russe. L'objectif recherché était d'en arriver à ce que tout citoyen de la Biélorussie connaisse bien les langues biélorusse et russe. Or, le problème, c'était qu'à ce moment-là la plupart des Biélorusses semblaient plus préoccupés d'apprendre le russe que leur propre langue nationale (ou «langue titulaire»). Le biélorusse régressait continuellement et certains prévoyaient même sa disparition à plus ou moins court terme, du moins dans l'enseignement (vers 1998-1999). Selon les résultats d'une enquête publiée en 1993 (citée par jeantheau, 2001), 70,9 % des Biélorusses déclaraient le biélorusse comme leur langue maternelle, soit le plus bas taux de toutes les républiques, et 54,7 % le russe comme «deuxième langue maternelle», soit le taux le plus élevé.  Par la suite, les noms de rues en russe furent remplacés par des noms biélorusses.

L'article 2 de la Loi sur les langues de 1990 résumait à peu près toute la législation biélorusse en matière de langue. La loi proclamait le biélorusse comme seule «langue officielle», mais garantissait le droit à la «libre utilisation de la langue russe comme langue de communication interethnique», ainsi que la «libre utilisation et le développement de toutes les langues maternelles qui sont employées par la population de la République:

Article 2

La langue officielle et les autres langues en Biélorussie

1) Selon la Constitution (loi de base) de la RSS de Biélorussie, la langue officielle de la République socialiste soviétique de Biélorussie est la langue biélorusse.

2) La RSS de Biélorussie garantit le développement et le fonctionnement harmonieux de la langue biélorusse dans toutes les sphères de la vie sociale.

3) La RSS de Biélorussie garantit le droit à la libre utilisation de la langue russe comme langue de communication interethnique des peuples de l’URSS.

4) La RSS de Biélorussie garantit la libre utilisation et le développement de toutes les langues maternelles qui sont employées par la population de la République.

5) Les organismes de la République, les organismes d’État locaux, les organismes du Parti, les usines, les entreprises, les organisations sociales créent pour les citoyens de la RSS de Biélorussie les conditions nécessaires pour apprendre les langues biélorusse et russe, et pour les maîtriser complètement.

6) La loi ne réglemente pas l’utilisation des langues dans la communication non officielle, dans la communication entre les membres de collectivités de travail, dans les forces armées de l’URSS, les troupes aux frontières à l’intérieur ou dans les chemins de fer, qui se trouvent sur le territoire de la RSS de Biélorussie.

Dans d'autres pays, de telles dispositions paraîtraient aberrantes. Comment peut-on accorder le statut de «langue officielle» à une langue et donner en même temps des droits identiques à tous les locuteurs des autres langues? Ces dispositions peuvent sembler inconciliables, mais pas pour les Biélorusses pour qui il s'agissait d'un compromis acceptable. 

Sous le régime soviétique, le russe fut toujours de facto la langue officielle de l'Union, alors que chacune des langues dites «titulaires» l'était dans chacune des républiques. Même si le russe n'a jamais été déclaré formellement langue officielle, ni par l'Union ni par aucune république, même pas en Russie (1978), il a toujours joui dans les faits du statut de langue officielle jusqu'en 1991. Forcément, le biélorusse s'est trouvé en position de faiblesse. D'ailleurs, parmi toutes les républiques soviétiques, la RSS de Biélorussie eut le plus haut taux de bilinguisme: il était de 82,4 % en Biélorussie, contre 75% pour les Ukrainiens, 53,2% pour les Moldaves, 31,3% pour les Azerbaïdjanais, 25,8% pour les Turkmènes. Quant aux Russes, ils ne montrèrent jamais un grand intérêt pour apprendre une autre langue que le russe. Dans toute l'Union soviétique, seuls 3,5 % des Russes maîtrisaient une autre langue soviétique.

4 La Biélorussie indépendante

Groupe ethnique Recensement 1989
Numéro %
Biélorusses 7 904 623 77,9
Russes 1 342 099 13,2
Polonais 417 720 4,1
Ukrainiens 291 008 2,9
Juifs 111 975 1,1
Tatars 12 436 0,1
Roms/Tsiganes 10 762 0,1
Lituaniens 7 606 0,1
Azerbaïdjanais 5 009 0,1
Arméniens 4 933 0,1
Autres 43 635 0,4
Total 10 151 806
En juillet 1991, le Soviet suprême de Biélorussie déclara la souveraineté de la RSS de Biélorussie. Après l'effondrement de l'URSS en 1991 et, à l'exemple de la Russie, de l'Estonie et de l'Ukraine, la RSS de Biélorussie proclama son indépendance. La RSS de Biélorussie fut renommée officiellement République de Biélorussie, le 25 août 1991. Au moment de la dissolution de l'Union soviétique en 1991, on comptait quelque 25 millions de Russes dans les différentes républiques. En Biélorussie, le nombre des Russes en 1989 était de 1,3 million, ce qui représentait 13,2% de la population. Les Polonais et les Ukrainiens demeuraient les minorités les plus importantes. 

L'indépendance fut aussitôt marquée par l'enthousiasme des milieux intellectuels urbains pro-européens, libéraux ou nationalistes, mais aussi par l'hostilité des apparatchiks de la nomenklatura, ainsi que des parties les moins instruites de la population, c'est-à-dire la majorité ouvrière et rurale bien adaptée à la vie dans un État communiste.

Le biélorusse devint la seule langue officielle, tandis que le pays abandonnait son drapeau et ses armes datant de l'époque soviétique pour des symboles plus historiques et nationaux.

4.1 La poursuite de la biélorussification

Libérés des restrictions soviétiques, les Biélorusses s'approprièrent des sujets auparavant interdits, lesquels furent réintroduits dans la vie publique, lorsque les écoles et les universités du pays commencèrent à enseigner en biélorusse pour la première fois et que les universitaires purent consulter les archives soviétiques pour ensuite publier leurs découvertes. De nouveaux manuels apparurent en biélorusse, tandis que les cours d'histoire commencèrent à présenter des débats sur des questions telles que le mouvement d'indépendance biélorusse, y compris la répression de celui-ci sous l'Union soviétique.

- L'appellation «Bélarus»

La dissolution de l’URSS offrit en cadeau la liberté à la Biélorussie, dont le Parlement proclama l’indépendance en 1991 dans l’indifférence quasi totale de sa population. Désormais, afin d’éviter toute confusion avec la Russie, le pays ne s’appellerait plus «Biélorussie», mais «Bélarus». Si la première appellation était du genre féminin en français, la seconde transforme le genre au masculin: «le Bélarus». Cette modification du nom du pays se voulait un symbole des changements qui se produisaient aux bords du Niémen. Pour la période postérieure à l'indépendance, il est donc d'usage d'utiliser le mot Belarus (au masculin) pour désigner le pays, Biélorusses pour les citoyens et biélorusse pour la langue nationale. Mais les deux termes, Biélorussie (féminin) et Belarus (masculin), signifient la même chose: «Russie blanche».

En français, selon l'ambassade de France, les organismes linguistiques reconnus en France (la Commission d'enrichissement de la langue française, la Commission nationale de toponymie, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'Éducation nationale, l'Académie française, l'Institut national de l'information géographique et forestière) et au Québec (la Commission de toponymie du Québec) recommandent l'usage du terme français Biélorussie. Cependant, l'Office québécois de la langue française (OQLF) propose «Bélarus» avec l'accent aigu. En France, c'est nettement le terme Biélorussie qui domine. On pourrait justifier ce choix en précisant que le français peut franciser les mots étrangers : c'est ainsi qu'on emploie les termes «Royaume-Uni» (et non United Kingdom), «États-Unis» (et non United States), «Allemagne» (et non Deutschland), «Turquie» (et non Türkiye), «Espagne» (et non España), Brésil» (et non Brasil), «Bulgarie» (et non Bǎlgarija), «Inde» (et non bhaarat), etc. Autrement dit, on francise les mots étrangers. L'Arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d'États et de capitales propose «Biélorussie», mais inscrit «Bélarus» comme variante. Bref, le mot Belarus ne paraît pas très français, car il devrait s'écrire comme «Bélarusse» pour adopter une forme adaptée et francisée. Dans le cadre de cet article, le terme Biélorussie sera employé de préférence, bien que Bélarus aurait pu aussi être utilisé.

- La dépendance à la Russie

La présidence du nouveau pays revint à Stanislas Chouchkevitch, un candidat pas trop apparenté aux communistes. Mais l'indépendance ne signifiait pas nécessairement une rupture définitive avec Moscou. En raison du système agricole industriel géré et financé en partie par l'Union soviétique, sans oublier les affinités culturelles avec la Russie, la Biélorussie ne put restée éloignée très longtemps de l'idéologie post-soviétique. Qui plus est, le premier président demeurait encore plus à l'aise dans l'usage des stéréotypes de l'ère soviétique, tandis que le système politique lui-même, conçu par Chouchkevitch, poursuivait la tradition soviétique.

Cependant, le Front populaire biélorusse, principal parti libéral, n'obtint que 22 sièges sur 485 aux premières élections législatives: les réformes libérales lancées par le président ne purent finalement jamais aboutir, et le soviétisme survit à la chute de l'Union soviétique en Biélorussie. Le nouveau pays joua un rôle prépondérant dans la recherche d'une «autre union» et la formation de la Communauté des États indépendants (CEI), dont il accueillit le premier sommet à Minsk, en décembre 1991. La Biélorussie fut l'un des signataires du Traité de non-prolifération nucléaire de juillet 1993; elle s'engageait à retirer toutes ses armes nucléaires pour 1996.

Le 12 mars 1993, la Biélorussie présenta sa candidature au Conseil de l'Europe, mais le pays ne put être accepté en raison de sa non-abolition de la peine de mort et de son gouvernement peu démocratique. Aujourd'hui, non seulement la Biélorussie n'en est toujours pas membre, mais elle est le seul État européen à ne pas en faire partie. Pour les autorités biélorusses, la peine de mort servirait à lutter contre la criminalité. Les militants abolitionnistes locaux contestent cette approche, car le nombre de crimes graves n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années.

En janvier 1994, le Soviet suprême destitua Stanislas Chouchkevitch, apparemment en raison de son incapacité à contrôler la corruption existant au sein de son gouvernement. En fait, ce fut surtout à cause de ses réticences à se rapprocher de la Russie et de son désir d'association avec les pays occidentaux. Il fut remplacé par le conservateur Metchislav Gribe, un général biélorusse.  

- La Constitution de 1994

En mars 1994, la Biélorussie adopta une nouvelle constitution (aujourd'hui modifiée depuis 1996) proclamant à l'article 17 le biélorusse comme langue officielle et le russe comme langue des communications interethniques.

Канстытуцыя 1994 года

Артыкул 17 [version biélorusse]

1) Дзяржаўнай мовай Рэспублікі Беларусь з'яўляецца беларуская мова.

2) Рэспубліка Беларусь забяспечвае права свабоднага карыстання рускай мовай як мовай міжнацыянальных зносін.

Constitution de 1994

Article 17

1) La langue officielle de la république de Biélorussie est la langue biélorusse.

2) La république de Biélorussie garantit le droit d'employer librement
la langue russe comme langue de communication interethnique.

Cet article emploie les termes Рэспублікі Беларусь (en alphabet latin: Respubliki Bielaruś), c'est-à-dire «Bélarus», pour désigner l'État, mais tous les systèmes de traduction ont recours au terme «Biélorussie».De toute façon, que ce soit «Biélorussie» ou «Bélarus», le terme russe est toujours «Беларусь/Bielarus».

Dans la Constitution de 1994, le biélorusse est déclaré la langue officielle, mais le russe demeure la langue des communications interethniques. Ainsi, un citoyen russophone peut en principe s'adresser à un fonctionnaire en russe parce qu'il s'agit d'une communication interethnique.

4.1 Le retour de la politique du bilinguisme

En juillet 1994, le pays connut ses premières élections présidentielles, au cours desquelles le populiste Alexandre Loukachenko remporta une victoire écrasante sur le premier ministre sortant Vyacheslav Kebich. En russe et en biélorusse, le nom de Loukachenko est Александр Лукашенкa (Aliaksandr Loukachenka), mais la formulation française le traduit avec un -o final plutôt qu'avec un -a. L'élection de Loukachenko devait progressivement mettre un terme aux débats concernant l'identité nationale. Le président Loukachenko instaura une idéologie nationale centrée sur le nationalisme slave associé à une politique linguistique et à un discours historique purement soviétiques, en vertu duquel les Biélorusses sont issus d'une origine slave commune aux peuples de Russie, de Biélorussie et d'Ukraine.

L'autoritaire Loukachenko entra rapidement en conflit avec le Parlement biélorusse. Il proposa dès 1995 un référendum pour faire approuver ses décisions en s'appuyant sur la nostalgie de l'époque soviétique. Le référendum eut lieu le 14 mai 1995; il comportait quatre questions, parallèlement aux élections législatives. Ces questions évoquaient la possibilité d'accorder au russe un statut égal à celui du biélorusse; l'adoption éventuelle de nouveaux symboles nationaux en raison d'une intégration économique avec la Russie et des changements à la Constitution devaient permettre des élections anticipées si le Parlement violait systématiquement les lois.

Selon les résultats officiels, les quatre questions furent approuvées par au moins les trois quarts des électeurs, avec un taux de participation de 64,8%:  l'attribution au russe du statut de «seconde langue officielle» (83%), l'intégration économique avec la Russie (82,4%), le retour au drapeau de la période soviétique (75%) et le droit pour le président de dissoudre le Parlement (78%). 

La plupart des membres de la communauté internationale critiquèrent ce référendum et ne reconnurent pas la légitimité de la Constitution de 1996 en raison des vices de procédure.

- Les résultats du référendum de 1995

En réalité, le président Loukachenko aurait utilisé le référendum dans le but de modifier la Constitution de 1994 en vue d'élargir ses pouvoirs et de prolonger son mandat. Il ignora les avis de la Cour constitutionnelle qui avait statué que la Constitution ne pouvait pas être modifiée par référendum. Le pays connut aussitôt des manifestations de mécontentement, ce qui démontrait que l'agitation sociale n'était pas terminée. D'ailleurs, durant de nombreuses manifestations anti-Loukachenko qui eurent lieu par la suite, beaucoup de citoyens furent arrêtés et des journalistes étrangers furent expulsés.

Le régime politique actuel reste basé sur la Constitution de 1996, laquelle a été adoptée de façon inconstitutionnelle. Le nouvel article 17 de la Constitution proclame que «les langues officielles de la Biélorussie sont le biélorusse et le russe»:

Article 17

Les
langues officielles de la Biélorussie sont le biélorusse et le russe.

Article 50

1) Chacun a le droit de conserver son appartenance ethnique, tout comme nul ne peut être contraint de définir ou d'indiquer sa nationalité.

2)
Tout affront à la dignité ethnique sera poursuivi par la loi.

3)
Quiconque a le droit d’employer
sa langue maternelle et de choisir sa langue de communication. Conformément à la loi, l’État garantit la liberté de choisir la langue de son instruction et de son enseignement.

Entre-temps, le président Loukachenko, connu pour son attitude dédaigneuse envers la langue biélorusse, annula presque toutes les initiatives destinées à promouvoir le biélorusse : le russe réussit rapidement à éclipser le biélorusse dans presque tous les domaines; la version soviétique de l'histoire du pays fut de nouveau enseignée dans les écoles et les universités; la recherche sur des thèmes tels que la répression stalinienne fut découragée, non financée et retirée des listes de publications; et les professeurs et les étudiants politiquement actifs ou qui s'exprimaient ouvertement sur ces sujets subirent des pressions, furent congédiés ou expulsés du pays.

Alexandre Loukachenko est arrivé au pouvoir dans des conditions démocratiques, en prônant la lutte contre les mafiosos post-soviétiques et en promettant la sécurité. Effectivement, il a respecté ses promesses en écartant toutes les mafias, sauf la sienne, et a mis en place une certaine sécurité dans son pays.

- Le recul du biélorusse

Dans les années qui suivirent le référendum de 1995, les autorités utilisèrent massivement le russe de préférence au biélorusse. Dans les écoles, les manuels continuèrent d'être publiés en russe en raison de la hausse vertigineuse du coût des manuels scolaires. Quelques mois après le référendum, l'enseignement en russe était pratiquement revenu à son niveau d'avant la Loi sur les langues de 1990, les parents de langue biélorusse ayant à nouveau la possibilité de choisir la langue d'instruction de leurs enfants. Toute la politique linguistique, qui favorisait le biélorusse en éducation, fut anéantie avec le retour du libre choix. Dans les médias, le russe revint en force et surpassa le biélorusse. Dans les entreprises, la langue de travail resta massivement le russe. Les quatre années de mise en application de la Loi sur les langues (1990) furent réduites à néant, moins de deux  ans après le référendum de 1995.

Ces faits semblent démontrer que les citoyens du pays n'étaient pas prêts, dans leur grande majorité, à remettre en cause la hiérarchie des langues en Biélorussie. De leur côté, les partisans du biélorusse dénonçaient le recul des autorités et continuaient de combattre pour le maintien du biélorusse dans l'enseignement. Généralement, cette lutte s'est faite sans grand soutien de la part de la population qui semblait davantage préoccupée par ses problèmes matériels que par la biélorussification.  

Par ailleurs, le gouvernement ne prit guère tous les moyens dont il disposait pour appliquer avec une certaine rigueur la Loi sur les langues de 1990. La plupart des fonctionnaires ne montraient qu'une connaissance imparfaite du biélorusse pour exercer leurs fonctions. Le gouvernement aurait dû assurer une formation linguistique au personnel et, pour l'avenir, recruter des citoyens parfaitement bilingues. Il aurait fallu aussi instaurer des «examens de recrutement» et des «épreuves de biélorusse», ce qui aurait donné à la langue nationale une fonction utilitaire. Avec le référendum de 1995, la biélorussification fit place au bilinguisme (libre choix), ce qui revenait à assurer dans les faits la prédominance du russe.

En avril 1996, les présidents Loukachenko de Biélorussie et Eltsine de Russie signèrent un traité d'union économique entre la république de Biélorussie et la fédération de Russie. Cette union russo-biélorussienne n'aboutit pas à la création d'institutions communes ou supranationales, mais elle ne devait pas rester pour autant une coquille vide. Vers la fin de l'année 2000, la Russie et la Biélorussie créèrent, avec le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, la Communauté économique eurasienne.

- La modification de la loi linguistique

En 1998, la Loi n° 46 sur les langues de 1990 fut modifiée afin de tenir compte du bilinguisme officiel: ce fut la Loi n° 187 sur les langues (1998), qui désignait le russe en plus du biélorusse comme les deux langues officielles de la Biélorussie.

À la suite de l'adoption de cette nouvelle loi, la politique de discrimination positive en faveur du biélorusse prit fin, car selon cette version de 1996 le russe et/ou le biélorusse pouvaient être utilisés dans tous les domaines importants de la vie publique. En raison de la prédominance habituelle du russe en Biélorussie, cette «égalité» juridique des deux langues officielles devait dans les faits entraîner un usage presque exclusif de la langue russe dans la vie publique, à l'exception de certains individus particulièrement roublards. Dans la seconde moitié des années 1990 et la première moitié des années 2000, l'emploi public du biélorusse en dehors des sphères de l'éducation et de la culture devint le symbole d'une attitude d'opposition anti-Loukachenko.

Les changements apportés dans la Loi n° 187 sur les langues (1998) apparaissent comme une rupture par rapport aux dispositions de la loi précédente, Les modifications et les ajouts furent délibérément faits dans le but d’assurer la prédominance de la langue russe en évinçant le biélorusse de toutes les sphères de l’activité sociale. En même temps, l'État lui-même adoptait d'autres lois visant à l'éradication de la langue de sa «nation titulaire» dans la vie publique! On pourrait affirmer que gouvernement biélorusse recherchait la liquidation finale de la langue nationale. Le gouvernement de Loukachenko s'est engagé dans une telle voie antinationale, parce qu'il savait sans doute que le peuple biélorusse, déjà manipulé par toute la politique de l'État soviétique, n'élèverait pas la voix pour défendre sa langue nationale.

4.2 L'isolement du pays

Sur la scène internationale, l'isolement du pays s'accrut à mesure que s'accentuait la dérive autoritaire du régime et que se dégradait l'application des mesures démocratiques. À la fin de 2002, le président Loukachenko fut interdit de séjour en Europe et aux États-Unis du fait de son autoritarisme et des violations des droits de l'homme dans son pays. En mars 2006, Loukachenko fut réélu pour un troisième mandat dans la confusion la plus totale avec 83 % des voix. En décembre 2010, il fut réélu avec officiellement  79,6 % des voix. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) évoqua un dépouillement «imparfait» et une élection «loin des principes démocratiques». Avec le président Lukachenko, les élections devinrent un rituel, la compétition politique totalement supprimée et l'élite dirigeante ayant recours aux représailles pour conserver le pouvoir.

De façon générale, le mécontentement de la population persista. L'économie ne décolla pas parce que, notamment, elle dépendait trop de la Russie. La Biélorussie demeura relativement isolée des pays occidentaux, ce qui n'était certainement pas étranger au fait que le régime politique contenait un relent de «nostalgie soviétique» et se rapprochait davantage de celui de la Russie.

Le président Loukachenko exploita à son profit les sentiments extrémistes sévissant à l'état endémique dans son pays. En Biélorussie, les nationalistes, souvent issus de la Biélorussie occidentale et de la minorité catholique, étaient ordinairement perçus comme des représentants d'intérêts «polonais»; les libéraux, comme une classe «au service de la haute finance supranationale»; et les communistes, comme un «groupe d'intérêt archaïque» peu lié à la Biélorussie profonde. Signalons que les organisations pour la défense des droits humains ont rapporté plusieurs cas de disparitions suspectes d'anciens dignitaires passés dans l'opposition. Loukachenko fut surnommé comme «le dernier dictateur d'Europe» par l'ancien président des États-Unis, George W. Bush.

Le président Loukachenko continue de maintenir un État providence en échange de restrictions draconiennes des libertés. Depuis 2008, il se montre fréquemment avec son plus jeune fils Kolia (né en 2004); on peut en déduire qu'il rêve d'en faire son successeur. À l'Instar des régimes autoritaires, la Biélorussie se méfie de ses minorités, sauf des Russes et des Ukrainiens. Cela dit, les responsables occidentaux commencent à penser que l'isolement de la Biélorussie ne fait que la rapprocher davantage de la Russie.

4.3 L'emploi des langues

Dans les recensements de la population biélorusse de 1999 et de 2009, les répondants furent interrogés sur leur langue maternelle et sur la langue qu'ils parlaient habituellement à la maison. En 1999, 85,6% des citoyens de nationalité biélorusse avaient déclaré le biélorusse comme langue maternelle, contre 14,3% pour le russe. En 2009, ces proportions changèrent considérablement: 60,8% pour le biélorusse et 37,0% pour le russe, soit une baisse de 24,8% pour le biélorusse et une hausse de 21,6% pour le russe. En 1999, comme langue parlée habituellement à la maison, 41,3% des Biélorusses déclarèrent le biélorusse, 58,6% le russe. En 2009, ces proportions devenaient 26,1% pour le biélorusse et 69,8% pour le russe. L'enquête, il est vrai, peut paraître incomplète dans la mesure où il n'est pas fait mention de la «langue mixte biélorusse-russe», communément appelée «trasianka», comme réponse possible autre que le russe et le biélorusse.

Outre le russe, le biélorusse et la trasianka, les langues des minorités nationales sont aussi employées en Biélorussie, mais dans une bien moindre mesure parce que toutes ces langues ne rassemblent que 6,3 % de la population, soit 600 400 locuteurs sur 9,4 millions de citoyens. Selon le dernier recensement biélorusse de 2009, la plupart des non-biélorussophones utilisaient le russe dans leur vie quotidienne.

Bien que le biélorusse et le russe soient proclamés langues officielles dans la Constitution de la Biélorussie, le biélorusse demeure marginalisé, même par l'État. Son emploi officiel demeure en effet rare, alors que la majorité des lois ne sont disponibles qu'en version russe, parfois également en anglais. En principe, 85 % des Biélorusses auraient en 2020 le biélorusse comme langue maternelle, mais l'accès à cette langue dans les écoles paraît limité, puisque seuls 13 % des enfants reçoivent un enseignement en biélorusse et aucune université ne l'utilise comme principale langue d'enseignement. De plus, 85 % des livres publiés chaque année en Biélorussie sont rédigés en russe, tandis que les livres écrits en biélorusse représentent 9,5 % du marché.

4.4 La langue identitaire

Beaucoup de citoyens biélorussophones tiennent à leur langue, du moins au point de vue affectif. Ils ne souhaitent aucunement qu'elle disparaisse et probablement aucun politicien n'oserait suggérer le contraire en public. Dans la pratique toutefois, la seule langue qu'on entend dans les villes, surtout à Minsk, est le russe, que ce soit dans les véhicules de transport en commun, les bureaux gouvernementaux, les commerces, les entreprises, etc. On peut donc affirmer que la «communauté linguistique urbaine» est massivement russophone et forcément russophile. Parler biélorusse à la ville, c'est risquer d'être perçu comme un «opposant politique», un «nationaliste», un «agitateur», voire un «plaisantin» ou un «excentrique». En fait, en pleine ville, il faut une certaine dose de courage pour s'adresser à un autre interlocuteur dans la langue officielle du «peuple titulaire».  

On peut se demander alors à quoi peut bien servir la langue nationale dans un espace socio-culturel aussi restreint. Pour les Biélorusses, elle constitue avant tout un signe d'identité dont la valeur ne tient pas à son aspect utilitaire, mais à sa portée symbolique. C'est le recteur de l'Université européenne de Minsk qui, lors d'un entretien en 1995, résumait ainsi la problématique linguistique (propos cités par jeantheau, 2001:

L'anglais est la langue du commerce, l'allemand la langue de la philosophie, le français la langue du droit, le russe la langue de la littérature ou des sciences.

Et le biélorusse? «Il est peut-être irremplaçable pour décrire l'âme des paysans biélorusses», d'ajouter l'illustre recteur. Une telle déclaration fait réfléchir. Comment peut-on expliquer une pareille situation chez un peuple souverain, qui contrôle tous les rouages de son État? 

Justement, beaucoup de Biélorusses s'interrogent sur l'avenir de la langue nationale dans de telles conditions. On craint sa disparition en raison de la dégradation de son prestige social, du rétrécissement de son aire linguistique, de la chute du nombre de ses locuteurs, etc. Néanmoins, il faut signaler que le biélorusse est encore présent dans toutes les sphères de la société et qu'il bénéficie d'une masse importante de locuteurs. Sa disparition n'est certes pas pour demain, mais la bilinguisation massive de la société biélorusse marque un pas de plus vers l'assimilation et la russification à plus long terme. Quant aux nationalistes qui défendent la langue, ils sont associés aux partis extrémistes.

4.5 Une économie en déroute et la dépendance au russe

En décembre 2010, le président Loukachenko, qui briguait un quatrième mandat, après seize ans de pouvoir, avait promis de doubler le salaire des fonctionnaires. Cet engagement électoraliste devait assurer sa réélection par une victoire écrasante, avec officiellement 80 % des voix. Mais la suite des événements amena le pays vers la catastrophe financière.

Dans les circonstances, la Biélorussie ne peut trouver qu'un seul prêteur: la Russie. Celle-ci souhaite des réformes dans le pays, notamment des privatisations, mais celui-ci est paralysé, ce qui pourrait entraîner la prise de contrôle des sociétés d'État et de l'économie par les oligarques russes. La Biélorussie risque d'augmenter encore davantage sa dépendance envers le grand frère russe, ce qui causerait inévitablement une plus grande emprise de la langue russe. Le président Loukachenko a juré de toute façon que la Russie sera toujours le partenaire le plus important de la Biélorussie, de sorte que l'économie de style soviétique de son pays restera profondément dépendante du soutien russe.

4.6 L'institutionnalisation de la répression

Au cours de trois décennies de présidence, Alexandre Loukachenko a mis en place un système politique qui fait de lui le principal instigateur de toutes les initiatives politiques, économiques et sociales. L'État a institutionnalisé la violence et le système répressif à l’encontre des opposants politiques, qui ne bénéficient d’aucune représentation institutionnelle depuis 1996. Le contrôle quasi total de l’État sur les médias, principaux instruments de la propagande officielle, contribue à accréditer l’image d’un président encore populaire, malgré les sondages. Beaucoup de Biélorusses appuient leur président autocrate, quitte à perdre leur liberté, leur identité et leur langue, parce qu'en retour celui-ci leur assure l'ordre public et une certaine sécurité. Loukachenko s’appuie sur une base sociale relativement solide, c'est-à-dire un électorat conservateur et dépendant d'un État omniprésent par sa politique sociale: les salariés des administrations et des entreprises publiques, les retraités et les habitants des zones rurales, ainsi que la plupart des russophones.

Depuis près de trente ans, la Biélorussie est dirigée d’une main de fer par Alexandre Loukachenko qui s'est fait réélire pour un cinquième mandat présidentiel en 2015 avec plus de 80 % des voix. Il fut encore réélu en 2020 avec un résultat officiel de 80,4 %. Or, ces élections présidentielles ont été entachées d'irrégularités importantes et ont été largement condamnées comme n'étant ni libres ni équitables. À la suite de protestations généralisées de l'élection, il y a eu des arrestations massives. Selon de nombreux rapports crédibles, en réponse à ces protestations, les forces de l'ordre ont employé la violence et la torture contre les civils.

Depuis peu, le président Loukachenko lance des appels pour renforcer la préservation de la langue et de la culture nationales, espérant ainsi attirer le soutien des forces nationales et de l'opposition en cas d'une improbable agression russe. Toutefois, sa présidence est de plus en plus controversée en raison du manque de liberté politique. Ses détracteurs le qualifient de tyran et de dictateur, alors que ses partisans estiment que sa politique a permis d'éviter au pays les pires effets de la transition au capitalisme de l'ère post-soviétique. N'étant pas considéré comme comme un État démocratique par une majorité des médias et des politiciens occidentaux, la Biélorussie n'a jamais pu joindre le Conseil de l'Europe.

Le président Loukachenko, qui n'a jamais caché son admiration pour Hitler, a mis en place un régime despotique qui s'apparente à une implacable dictature: nostalgie de l'empire soviétique, concentration des pouvoirs, violations de la Constitution, harcèlement de l'opposition, verrouillage des médias, confiscation des élections, hantise du complot, etc.

L'histoire de la Biélorussie montre bien que l'âge d'or de la langue biélorusse s'est limité à la période du grand-duché de Lituanie, de 1239 à 1569. Depuis cette époque, les Biélorusses ont été constamment dominés par des puissances étrangères. Ce fut d'abord la Pologne qui pratiqua une politique de polonisation à l'égard des Biélorusses et des Lituaniens. À la Pologne succédèrent les Russes et les Soviétiques; il s'ensuivit des politiques de russification, tant de la part de l'Empire russe que de l'Union soviétique. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, la langue biélorusse a subi une longue et incessante russification, soit durant plus de deux siècles et demi.

L’indépendance de la Biélorussie en 1991 a pu provisoirement donner un coup de pouce à la langue biélorusse, mais la politique s'est inversée à partir de 1994 et de l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Loukachenko. En fait, l'indépendance du pays n'a changé en rien le rapport de force entre la Biélorusse et la Russie. La russification de la population biélorusse s'est produite dans tous les domaines de la vie publique, mais aussi dans l'intimité de la vie privée.

Dans les médias, trois des neuf chaînes de télévision incluses dans l'offre de télévision standard émettent en russe, tandis que les autres chaînes utilisent le russe comme principale langue. La Biélorussie achète la majorité de ses émissions de télévision à la Russie et les diffuse même sur les chaînes de langue biélorusse. Bien que les experts continuent de parler de la prétendue biélorussification dans les secteurs de la culture et du divertissement, le libre choix de la langue dans les établissements publics d’enseignement continue de diminuer inlassablement l’emploi du biélorusse. Tous les experts vont l'admettre: le libre choix des langues, guidé par le seul souci de faire apprendre à ses enfants la langue la plus «rentable», conduit nécessairement à l’écrasement de la langue la plus faible dans des domaines de plus en plus étendus.

Outre la russification du système d'éducation, l'intérêt des jeunes pour la langue biélorusse est en concurrence avec une fuite des cerveaux. Chaque année, une centaine de petites écoles se ferment en Biélorussie, dont la plupart ont employé la langue biélorusse dans l'enseignement. Il existe aussi une tendance à transférer les universitaires de ces écoles vers des établissements de langue russe; on assiste ainsi à une perte de chercheurs ayant recours au biélorusse. Par ailleurs, seulement pour l'année 2018, plus de 11 000 citoyens biélorussiens ont émigré vers d'autres pays pour travailler, avec un total de près de 95 000 personnes œuvrant officiellement à l'étranger.

Au cours de toute son histoire, l'État biélorusse n'a presque jamais soutenu la langue et la culture biélorusses. Le fait de déclarer le russe langue co-officielle en 1996 a créé les conditions permettant d’évincer la langue biélorusse. Prétendre à l'égalité de statut entre une langue forte et une langue faible relève de l'utopie. La politique linguistique du président Alexandre Loukachenko se révèle une catastrophe pour la langue nationale de son pays. Sous son règne, la russification s'est intensifiée de la même façon que sous les tsars, les bolcheviks et les Soviets, sauf que cette fois-ci l'opération est menée par un «autochtone» biélorusse. Durant ces trente dernières années, le pays a continué à changer les noms biélorusses de ses villages, de ses rues et d'autres réalités géographiques, en faveur de personnages russes ou selon la tradition russe. Et les Biélorussiens ont inlassablement voté pour Loukachenko depuis des décennies. Pourtant, la période du règne de ce chef d'État rétrograde coïncide avec la plus forte baisse de locuteurs du biélorusse depuis l'effondrement de l'URSS. Trompés et manipulés pendant des siècles, les Biélorusses ne semblent plus avoir le goût de revenir au biélorusse.

En cela, les Biélorusses ressemblent aux Irlandais. Ils appuient toutes les politiques de promotion linguistique à l’égard de la langue nationale, à la condition de ne désavantager personne. La plupart des Biélorusses favorisent l’apprentissage de la langue nationale à l’école à la condition qu’elle ne soit pas une matière obligatoire, car ils sont très attachés au libre choix. Tous les Biélorusses sont d’accord pour connaître la langue biélorusse, mais ils sont contre l’obligation de l’employer. Une majorité de Biélorusses est contre l’emploi du biélorusse à des fins de favoritisme, de coercition ou de discrimination positive; il ne faut pas que la politique linguistique désavantage les non-biélorussophones, en réalité les russophones. La population ne souhaite pas la disparition du biélorusse dans une très large majorité, mais quand les décrets d'application prennent effet ils suscitent aussitôt le mécontentement des citoyens. C'est vouloir à la fois le beurre et l'argent du beurre!

La Biélorussie est encore un jeune État qui éprouve d’importantes difficultés à sauvegarder son identité nationale dans les limites de son territoire. Ces difficultés proviennent directement de son histoire, au cours de laquelle la langue nationale, le biélorusse, a toujours été en concurrence avec d'autres langues. Mais le combat fut toujours inégal contre le polonais et surtout contre le russe. Pendant les derniers 500 ans de son histoire, les Biélorusses furent orthodoxes, catholiques, uniates, protestants et encore orthodoxes; ils furent désigés comme des Polonais et des Russes. Ces multiples changements d'adhésion ont probablement effacé leur identité culturelle et leur volonté de s'affirmer en tant que nation distincte.

Comme l'illustre l'affrontement entre le pot de fer et le pot de terre dans la deuxième «Fable» du Livre V de Jean de La Fontaine, c'est généralement le plus solide qui finit par gagner. Dans cette perspective, la politique des langues co-officielles ne peut entraîner, au pire, la liquidation à long terme de la langue nationale et, au mieux, que sa folklorisation. Tout compte fait, peu de peuples souverains accepteraient se voir ainsi spolier de leur identité et de leur langue. Dans les circonstances, il est possible que cette indépendance ne soit qu'un leurre! Plus que tout autre peuple souverain en Europe, les Biélorusses ont été victimes du «mimétisme de la puissance»! Ils ont cru, comme le leur faisait miroiter leur président, qu'en acceptant la prédominance du russe ils amélioreraient leur sort et deviendraient plus riches.

Ce n'est pas ce qui s'est produit! La Biélorussie est demeurée un pays relativement pauvre en Europe, tout en étant restée une «colonie» de la Russie. Si le PIB par habitant était de 6289 $US en Biélorussie en 2018, il était de deux ou trois fois plus élevé dans les pays voisins qui ont évacué complètement la langue russe (Pologne, 15 420 $US; Lituanie, 19 153 $US; Lettonie, 17 800 $US). Le mimétisme proposé par le président Loukachenko à l'égard de la Russie et du russe était une lubie. La situation est devenue telle dans la régression du biélorusse que, si la tendance se maintient, la Biélorussie deviendra une nation biélorusse de langue russe, comme jadis l'Irlande est devenue une nation irlandaise de langue anglaise. Il ne reste plus qu'à espérer que, lorsque «le dernier dictateur de l'Europe» partira, les décisions du référendum de 1995 seront annulées et que la langue nationale réussira à reprendre progressivement ses droits de primauté dans le pays. Tout au cours de l'histoire de la Biélorussie, les facteurs politiques ont toujours eu une très grande importance dans le développement du biélorusse.

De plus, l’affinité linguistique du biélorusse et du russe, combinée à d’autres facteurs telle l'absence de soutien de la part de l'État, se révèle un obstacle presque insurmontable au rayonnement du biélorusse. Le pays vit une situation coloniale qui perdure, résultat de deux siècles de russification imposée d'abord par l'Empire russe, puis par l'Union soviétique et perpétuée aujourd'hui avec la complicité de l'oligarchie russo-biélorusse. Aujourd'hui, la dépendance de la Biélorussie vis-à-vis de la Russie est si grande que cette dernière peut utiliser le territoire de nos anciens «amis» comme tremplin pour attaquer l'Ukraine depuis le Nord. Mais le principal allié de la Biélorussie est en train de devenir son principal fossoyeur, car le pays risque d'être enseveli par la grosse machine russe. Le succès de l'assimilation linguistique et culturelle des Biélorusses donne espoir à la Russie de Poutine d'une mise en œuvre complète du projet impérial à long terme, celui de construire une seule nation avec la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, afin de corriger «une erreur de l'histoire».

Quoi qu'il en soit, la Biélorussie doit envisager la survie ou la liquidation de la nation biélorusse. La langue biélorusse est devenue avant tout un instrument politique pour le gouvernement et l'opposition politique, ce qui freine toute motivation pour apprendre cette langue. Sans un fort sentiment d'identité nationale, les Biélorusses ne pourront pas maintenir bien longtemps leur indépendance, ni protéger l'avenir de leur pays, ni l'empêcher de se dissoudre dans le «monde russe». Des siècles de domination étrangère ont rendu très difficile le développement d'une culture authentique. Même si les autorités du pays semblent comprendre le danger, elles restent quand même captives de leurs dogmes idéologiques encastrés dans un système véhiculé par le Kremlin. De plus, elles craignent l'émergence et surtout l'expansion d'une large couche de la population qui veut reconstruire un pays tout à fait différent de celui dans lequel elle est engluée.

Dernière mise à jour: 16 février, 2024  

Biélorussie


(1) Considérations générales
 

(2) Données historiques

 

(3) Politique des langues officielles

 

(4) Politique des minorités nationales

 

(5) Bibliographie

 

Loi sur les langues (1998)
Loi sur les minorités nationales (2004)
 

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