République moldave de Transnistrie

Transnistrie

(État autoproclamé)

Pridnestrovskaïa Moldavskaïa Respublica

(Moldavie)

 
Capitale: Tiraspol
Population: 464 950 (est. 2020)
Langues officielles: russe, moldave et ukrainien
Groupe majoritaire:  aucun
Groupes minoritaires: Russes (29,1%), Moldaves (28,6%), Ukrainiens (22,9%), Bulgares (2,4 %), Gagaouzes (1,1%), Polonais (0,25%), etc.
Système politique: république autonome autoproclamée et sécessionniste de la Moldavie
Articles constitutionnels (langue): art. 12, 17 et 43 de la Constitution locale du 24 décembre 1995
Lois linguistiques: Loi sur les langues (1992);
Loi sur l'élection des députés du peuple (1995); Règlement garantissant la disponibilité des informations en russe, en ukrainien ou en moldave (en caractères cyrilliques) sur les produits alimentaires importés dans la RMT (1997); Loi constitutionnelle sur la citoyenneté (2002); Loi sur les actes législatifs (2002); Loi sur le développement de l'éducation en langue moldave (2005); Loi sur le développement de l'éducation en langue ukrainienne (2005); Loi sur les actes d'état civil (2008); Loi sur l'entrée en vigueur de la première partie du Code civil (2013); Loi constitutionnelle sur la Cour constitutionnelle (2016); Loi constitutionnelle sur le système judiciaire (2018); Loi sur les médias (2019); Loi sur la culture (2020); Code pénal (2021); Code de procédure civile (2021); Code sur les infractions administratives (2021); Code du travail (2021); Loi sur la fonction publique (2021); Loi sur la publicité (2021); Loi sur l'éducation (2021); Loi sur l'éducation préscolaire (2021); Loi sur les marques, les marques de service, les appellations d'origine et les noms de marque (2019); Règlement intérieur du Conseil suprême (2021); Loi sur les marchés publics (2021).
Loi moldave:
Loi n° 173/2005 portant dispositions fondamentales du statut juridique spécial des localités de la rive gauche du Dniestr (Transnistrie).

1 Situation générale

La Transnistrie (en moldave: Transnistria; en russe: Пpиднecтpoвьe / Pridnestrovié) forme, à l’est de la Moldavie, un petit territoire de 4163 km² (sept fois plus petit que la Belgique) entre les rives du fleuve Nistru à l'ouest (Nistru étant le nom du Dniestr en  roumain) et la frontière ukrainienne à l'est.

1.1 Les appellations

La forme longue en russe est Приднестровская Молдавская Республика (ПМР en cyrillique ou PMR en alphabet latin), ce qui se traduit littéralement par République moldave pridnestrovienne (Pridnestrovskaya Moldavskaya Respublika). L'appellation change selon la langue. Ainsi, la dénomination moldave, Република Молдовеняскэ Нистрянэ (РМН) en caractères roumains cyrilliques est la même qu'en caractères latins: Republica Moldovenească Nistreană (RMN), soit littéralement «République moldave nistréenne»). En ukrainien, c'est l'appellation Придністровська Молдавська Республіка (ПМР en cyrillique ou PMR en latin), ce qui donne «République moldave près du Dnierst». Comme on peut le constater, la forme «Transnistrie», issue du roumain "Transnistria" n'apparaît nulle part, elle n'est donc pas officielle, mais c'est néanmoins l'appellation la plus répandue, et certainement plus connue que la forme «Pridniestrovie» (Приднестровье), appellation russe signifiant «près du Dniestr».

Selon la légalité moldave et la communauté internationale (ONU), l'appellation officielle est UTAN pour "Unitatea Teritorială Autonomă din stînga Nistrului", littéralement «Unité territoriale autonome de la rive gauche du Dniestr». De fait, l'UTAN correspond à l'entité de droit qui n'inclut que la rive gauche du Dniestr, dont la monnaie est le leu moldave, et dont le drapeau n'a ni faucille, ni marteau, ni étoile, mais qui de facto ne contrôle qu'une moitié du district de Dubăsari. La Transnistrie a sa monnaie: le rouble de Transnistrie (voir ci-contre), à l’effigie de Souvorov, fondateur de Tiraspol. Cette monnaie ne circule que dans la région, car elle est impossible de la changer, même en Moldavie et en Russie.

Quant aux sigles PMR-RMN, il s'agit de l'entité autoproclamée, non reconnue par la communauté internationale et l'ONU, dont la monnaie est le rouble transnistrien, et qui utilise le drapeau avec faucille, marteau et étoile, hérités de l'époque soviétique, qui contrôle 96% de la rive gauche du Dniestr (dont l'autre moitié du district de Dubăsari) mais aussi des territoires de la rive droite, notamment l'important nœud ferroviaire de Tighina renommée «Bender». La PMR-RMN contrôle aussi la centrale hydroélectrique de Dubăsari, l'arsenal de Cobasna hérité de l'URSS et plus d'un tiers de l'industrie moldave.

Dans tous les documents concernant la Transnistrie, il est dit que la région est située à gauche du Dniestr, alors que sur une carte elle se trouve à droite. En vertu d'une convention géographique internationale, il faut considérer qu'un fleuve part de sa source pour se diriger vers la mer et que par conséquent la rive droite est toujours à son tribord (à sa droite) et la gauche à son bâbord (à sa gauche), quelle que soit sa position sur une carte. Donc, sur le Dniestr, la rive droite est aux sud-ouest et la gauche, au nord-est.

Roumain Russe cyrillique Russe latin
Camenca Каменка Kamenka
Rabnita Рабница Rybnitsa
Dubasari Дубэсарьский Doubossary
Grigoriopol Григориопольский Grigoriopol
Tighina Бендеры Bender
Slobozia Слобозия Slobodzeya
Le territoire de la Transnistrie compte cinq districts : Camenca, Rabnita, Dubasari, Grigoriopol et Slobozia. Tous ces districts, appelés «raïon»/«raionul» par les Moldaves, ont une dénomination russe (voir le tableau ci-contre).

En plus des districts, on compte deux villes de subordination républicaine ("goroda respublikanskogo podchineniya"): Tiraspol et Bender. La ville de Tiraspol, dont la population est à majorité russo-ukrainienne, est la capitale locale (voir la carte); elle est enclavée dans le district de Slobozia. Quant à la ville de Bender (dont le nom est d'origine ottomane), bien que située sur la rive droite du Dniestr en Moldavie et ne faisant pas partie de la Transnistrie, elle est contrôlée de facto par les autorités sécessionnistes.

1.2 Au pays des Soviets: «Prolétaires de tous pays, unissez-vous !»  

La Transnistrie est une région que le gouvernement moldave ne contrôle pas et qui demeure sous occupation militaire de la 14e armée russe, forte à l'origine de 6000 hommes (aujourd'hui 1500 soldats). Le territoire est devenu, de facto, une enclave russe entre la Moldavie et l’Ukraine, un peu à l’exemple de Kaliningrad (Калининград, Königsberg jusqu'en 1946) qui constitue un tampon russe entre la Lituanie et la Pologne.

Comme un véritable État, la Transnistrie possède son gouvernement, sa monnaie, son alphabet cyrillique, son armée et ses postes-frontière, bien que tous les pays de la planète la considèrent comme partie intégrante de la Moldavie. Sans reconnaissance diplomatique, la Transnistrie constitue l'émanation du pouvoir russe qui continue de soutenir cette république autoproclamée afin de conserver son influence sur l'ensemble de la Moldavie.

S'il est vrai que le gouvernement transnistrien ne pratique plus une économie de type communiste, il a néanmoins conservé tous les symboles soviétiques, dont son drapeau et ses armoiries (marteau et faucille). De plus, les autorités tiennent fortement à leur passé soviétique dont ils ne se sont jamais sortis, contrairement à la Russie. La Transnistrie est donc considérée comme le dernier bastion de l'ex-Union soviétique avec son régime de Parti patriotique (unique), ses parades militaires, ses affiches criardes dans Tiraspol, son architecture stalinienne, etc.

Par exemple, la figure de gauche représente les armoiries, lesquelles sont largement répandues dans les rues de Tiraspol. On y lit en moldave les lettres cyrilliques PCCM (en alphabet latin: RSSM), ce qui signifie République socialiste soviétique moldave (Republica Socialistă Sovietică Moldovenească). En russe: Республика Советская Социалистическая Молдавская). De gauche (en moldave) à droite (en russe), on peut lire le slogan de l'URSS: «Prolétaires de tous pays, unissez-vous!» Il n'y a aucune inscription en ukrainien.

La ville de Tiraspol affiche une apparence soviétique assez classique avec ses larges rues, ses trottoirs blanchis à la chaux, ses nombreuses affiches de propagande colorées, sa culture militariste, ses usines abandonnées, etc. Sous l'Union soviétique, l'armée russe avait ses quartiers à Tiraspol, car la région était réputée pour fabriquer des armes à grande échelle. D'ailleurs, ce sont les soldats russes qui ont finalement dirigé la guerre de Transnistrie qui s'est déroulée en 1992. La région a une tradition militariste avec ses défilés aux pas de l'oie. 

Depuis ses débuts, la Transnistrie a été accusée de violations des droits de l'homme. Il s'agit toujours d'un État à l'idéologie soviétique qui appelle encore ses services secrets (ministère de la Sécurité d'État) du nom de KGB (Ministerstvo Gosudarstvennoy Bezopasnosti), alors que la plupart des droits ne sont pas accordés aux minorités, sauf aux russophones qui ne sont d'ailleurs pas plus majoritaires (29%). La liberté d'expression demeure assez limitée et la liberté de religion est presque inexistante.

Cette entité politique est le résultat d’un conflit non résolu, comme ce fut le cas pour l’Abkhazie (Géorgie), l’Ossétie du Sud  (Géorgie) et du Haut-Karabakh (Azerbaïdjan). Dans tous les cas, il s'agit d'un conflit militaire suspendu par un cessez-le-feu imposé aux belligérants grâce à une force de maintien de la paix. En Transnistrie, le conflit est intervenu alors que, au moment de l'indépendance, la Moldavie s'orientait vers une réunification avec la Roumanie, tandis que la Transnistrie souhaitait rester dans l'orbite de l'URSS, sinon dans celle de la Russie. Plus les Moldaves s'approchaient de la Roumanie et de la langue roumaine ainsi que vers l'Europe de l'Ouest, plus les russophones de la Transnistrie craignaient d'être minorisés au point de devoir apprendre le roumain, une obligation aussi inacceptable que dégradante pour ces Russes habitués à prédominer toutes les ethnies en URSS. Les russophones se sont rebellés avec l'aide de l'armée de la fédération de Russie. Après avoir fait un millier de morts, le conflit s’est conclu par un accord russo-moldave en juillet 1992, mettant en place un mécanisme de maintien de la paix sous la responsabilité de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

2 Données démolinguistiques

Le recensement de 1989 établissait la population à 546 400 habitants, sans la ville de Tighina (estimée alors à 130 000 habitants). On comptait alors 39,9 % de Moldaves, 28,3 % d'Ukrainiens, 25,5 % de Russes et 6,4 % pour les autres groupes ethniques.
 

District (ou raïon)

Population estimée (2015)

Camenca (russe: Kamenka) 27 284
Rîbniţa (russe: Rybnitsa) 44 000
Dubăsari (russe: Dubossary) 31 300
Grigoriopol 43 400
Slobozia (russe: Slobodzeya) 87 100
Tiraspol = ville 157 000
Tighina (russe: Bender) = ville 91 000
Total 2015 481 084

Le dernier recensement, en date de l'année 2014, révélait une population de 500 000 individus, incluant le ville de Tighina (ou Bendery). C'est le district de Tiraspol qui est le plus peuplé (157 000), suivi de Bender (91 000). En 2020, la population était estimée à 464 950 personnes, ce qui laisse croire à une diminution constante de la population.

Selon le recensement de 2014, les Slaves sont majoritaires en Transnistrie avec 29,1% de Russes, 22,9% d'Ukrainiens, 2,4% de Bulgares, 0,58% de Biélorusses et 0,25% de Polonais — pour un total de 55,1% — , alors que les Moldaves ne représentent que 28,6% et les Gagaouzes 1,1%. Les Moldaves vivent effectivement en minoritaires dans le territoire, les Russo-Ukrainiens faisant la pluie et le beau temps. Les Moldaves demeurent fortement majoritaires dans seulement deux districts : Comenca (51,23%) et Grigoriopol (50,83%).

Cependant, plusieurs communautés linguistiques vivent pour une bonne partie concentrées dans des villages où elles sont relativement majoritaires, localement. Ce sont les villes qui sont davantage hétérogènes: on y trouve généralement des Russes, des Ukrainiens, des Moldaves, puis des Gagaouzes, des Bulgares, des Allemands, des Roms/Tsiganes et des Polonais. Le Nord est davantage moldavophone et ukrainophone, alors que le Sud est russophone et ukrainophone. De façon générale, Russes et Ukrainiens préfèrent habiter les villes plutôt que la campagne.


 
Groupe ethnique recensement 2014 Langue Nombre Pourcentage Filiation linguistique
Russes russe 145 703 29,1 %

langue slave

Moldaves moldave (roumain) 143 200 28,6 % langue romane
Ukrainiens ukrainien 114 660 22,9 % langue slave
Bulgares bulgare 12 016 2,4 % langue slave
Gagaouzes gagaouze/russe 5 507 1,1 % langue turcique (altaïque)
Biélorusses biélorusse 2 500 0,5 % langue slave
Transnistriens russe 1 000 0,2 % langue slave
Autres - 6 000 1,2 % -
Non précisé - 70 090 14,0 % -
Total - 500 700 100 % -

La plupart des russophones sont unilingues, mais presque tous les Ukrainiens et les Moldaves sont bilingues (ukrainien-russe ou moldave-russe). La Transnistrie est une région russophone qui vit à l'heure de Moscou, pour ne pas dire de l'URSS. Les russophones sont relativement satisfaits de la situation actuelle et ne veulent pas faire partie de la Moldavie; au mieux, ils désirent l'indépendance. Au fur et à mesure que la Russie réduit le nombre de ses soldats, les dirigeants de la Transnistrie compensent par le renforcement de l'armée transnistrienne fournie en équipement moderne par les forces russes.

Parmi les Moldaves, plusieurs d'entre eux ont fini par adhérer à l'idéologie du groupe dominant. C'est pourquoi ils craignent les «nationalistes de Kichinev» (Chisinau) qui voudraient réunir la Moldavie à la Roumanie; ils préféreraient être «indépendants» en Transnistrie, «mais sans perdre leur nationalité moldave». D'autres estiment qu'ils vivent comme des «colonisés» dans cette enclave russophone. Les Moldaves de la Transnistrie parlent le roumain, mais leur langue est appelée «moldave» et s'écrit en alphabet cyrillique, alors que le moldave de la Moldavie s'écrit avec l'alphabet latin comme en Roumanie.

Par ailleurs, la Transnistrie est un territoire appelé à diminuer démographiquement. Devant les perspectives d'emploi assez limitées, beaucoup de Russes ont décidé d'aller habiter la Russie, notamment Moscou. Il en résulte que la ville de Tiraspol, peuplée dans sa plus grande expansion par 211 800 habitants (2004), régresse considérablement. Depuis le recensement de 2015, la population de la capitale transnistrienne aurait diminué jusqu'à atteindre à peine 157 000 habitants, soit la population de 1995. Et la tendance semble se poursuivre.

La Transnistrie est un «pays qui n'existe pas», car elle s'est autoproclamée un État indépendant qui s'est détaché de la Moldavie après la dissolution de l'URSS en 1991. Cependant, malgré son propre gouvernement, son parlement, sa monnaie, son drapeau, son armée, sa police, son système postal, son hymne national et ses armoiries, seuls trois autres «États» le reconnaissent, mais aucun de ces derniers n'a été lui-même reconnu : l'Abkhazie, l'Artsakh et l'Ossétie du Sud. Pour le reste du monde, y compris la Russie, la Transnistrie fait partie de la Moldavie.

3 Données historiques

La Transnistrie tire son nom de Nistru, une dénomination roumaine du fleuve Dniestr. La région de la Transnistrie est située au-delà du Dniestr, entre la rive droite de celui-ci et la rive gauche du fleuve Boug en Ukraine. Le territoire n'a jamais constitué une zone clairement définie, encore moins un État. L'appellation de Transnistrie est relativement récente, car non seulement elle recouvre plusieurs réalités selon les époques, mais elle a changé plusieurs fois de nom.

3.1 L'occupation russe

On sait que les Ukrainiens et les Roumains ont constitué la population la plus ancienne du territoire de la Transnistrie actuelle. Après le partage de la Pologne et la guerre russo-turque (1877-1878), le territoire fut occupé par l'Empire russe (1892) dont il resta la frontière sud-ouest jusqu'à l'annexion de la Bessarabie par la Russie (traité de Bucarest), puis massivement colonisée avec des Moldaves (des Roumains de Bessarabie), des Roumains de l'empire des Habsbourg, des Serbes et des Allemands.

Rappelons que la Bessarabie est une région historique du sud-est de l'Europe, située entre le Prout et le Dniestr; la région correspond, pour les deux tiers, à la république de Moldavie actuelle, sauf dans ses parties septentrionale et méridionale (Transnistrie), qui se trouvent en Ukraine. Son nom provient de Basarab, une dynastie roumaine qui gouverna la Valachie voisine (l'actuelle Roumanie) du XIVe au XVIIe siècle. La Bessarabie (l'actuelle Moldavie) a aussi appartenu à la principauté de Moldavie (l'actuelle Roumanie), puis elle fut gouvernée par les Turcs de 1513 à 1812, avant d'être cédée à l'Empire russe.

3.2 La RSSM (1924-1940)

En octobre 1924, l'URSS créa sur ce territoire, appelé aujourd'hui Transnistrie et à cheval entre la Moldavie et l'Ukraine, la République socialiste soviétique autonome moldave (RASSM) avec Balta comme capitale, puis, à partir de 1929, Tiraspol. Cette république autonome (RASSM) se situait à l'est de la Bessarabie roumanophone et comprenait des zones de la rive droite du Dniestr, dont la Transnistrie, territoires qui appartiennent aujourd'hui à la république de Moldavie et à l'oblast d'Odessa en Ukraine. La RASSM couvrait une superficie de 8100 km², ce qui se comparerait aujourd'hui à l'île de Porto Rico (9104  km²). La capitale fut Balta jusqu'en 1929, puis Tiraspol. Il s'agissait d'un territoire construit artificiellement par le Kremlin dans le seul but de faire main basse sur la Bessarabie.

La création de la RASSM marquait un tournant dans le comportement du gouvernement soviétique et ses tentatives de reprendre le contrôle d’un territoire qu’il considérait comme lui revenant de plein droit. Dès lors, la langue, l’histoire, le patrimoine culturel, ainsi que les caractéristiques de la «nationalité» moldave firent l’objet de débats qui devaient se prolonger jusqu’à la fin des années 1930; ces débats eurent lieu dans le cadre du Comité scientifique moldave et des forums administratifs, mais en fonction des intérêts politiques poursuivis par les différents groupes impliqués dans l’édification nationale de la Moldavie soviétique.

La population de la RASSM était un mélange d'Ukrainiens, de Moldaves, de Russes et de Juifs, soit un total estimé à environ 545 500 habitants en 1924, puis 572 339 en 1926 et 582 138 en 1935.

- La moldavisation de la langue roumaine

La Constitution de la RASSM de 1925 prévoyait comme langues «les plus courantes» le moldave (et non le roumain), l'ukrainien et le russe.

Статья 9.

Самыми распространенными языками в Автономной Молдавской Социалистической Советской Республике являются: молдавский, украинский и русский язык.

Статья 10.

Яыки всех национальностей, населяющих территорию Автономной Молдавской Социалистической Советской Республики, равноправны. Каждому гражданину в Автономной Молдавской Социалистической Советской Республике обеспечивается возможность в его отношениях с государственными органами и в отношениях государственных органов с ним пользоваться родным языком, а также пользоваться им на заседаниях съездов советов, на всех других съездах, заседаниях и различных публичных выступлениях.

Article 9

Les langues les plus courantes en République autonome soviétique socialiste moldave sont le moldave, l'ukrainien et le russe.

Article 10

Les langues de toutes les nationalités habitant le territoire de la République autonome soviétique socialiste moldave sont égales. Tout citoyen de la République autonome soviétique socialiste moldave a la possibilité, dans ses relations avec les organismes de l'État et dans les relations des organismes de l'État avec lui, d'employer sa langue maternelle, ainsi que de l’utiliser lors de réunions de congrès du conseil, lors de tous les autres congrès, réunions et divers discours publics.

Bien que les autorités soviétiques aient mené la campagne de «moldovanisation», en proposant des sanctions contre les militants non moldaves ou des incitations financières pour ceux qui connaissaient la langue, tout au long de la vie de la Moldavie la vraie langue officielle fut le russe. Quant à la langue roumaine, elle fut dorénavant appelée «moldave» afin de la distinguer de la langue parlée en Roumanie. L'alphabet latin, qui avait été utilisé pour écrire la langue pendant les 80 dernières années, fut remplacé par une version de l'alphabet cyrillique, dérivée de l'alphabet russe. La justification des autorités était que, il y a 80 ans, la langue avait été écrite en alphabet cyrillique!

- La déroumanisation des Moldaves

Dès le début, les dirigeants soviétiques entreprirent de souligner les différences entre les Roumains et les habitants de la RASSM. À cet effet, une campagne fut élaborée pour identifier les Moldaves en tant que peuple distinct des Roumains, ce qui signifiait aussi que la langue des Moldaves était aussi une langue distincte, non une variété du roumain. Même l'écriture fut élaborée sur la base de l'alphabet cyrillique russe. Les linguistes moldaves puisèrent dans le roumain parlé en Transnistrie, rempli de mots ukrainiens et russes, pour trouver de nouveaux mots, ce qui prouvait que le moldave était une langue distincte. Cette théorie de deux peuples distincts, qui se voulait scientifique, opposait des Moldaves pacifiques à des «Roumains impérialistes oppressifs». Après la Seconde Guerre mondiale, cette théorie deviendra une partie de l'idéologie «dénationalisante» officielle du Parti communiste de la RASSM.

3.3 La République socialiste soviétique de Moldavie (RSSM) de 1940

Bien que la Roumanie eût, dès le début de la Seconde Guerre mondiale (en septembre 1939), déclaré sa neutralité, l’Armée rouge de Staline occupa la Bessarabie dès juin 1940 et annexa la région à la RSSM (République socialiste soviétique de Moldavie), ce qui incluait la Transnistrie. La RSSM fut officiellement créée le 2 août 1940. Son territoire correspondait pour 87% aux deux tiers de la Bessarabie qui, rappelons-le, faisait partie de la Roumanie avant la Seconde Guerre mondiale, et pour 13 % à une petite portion le long de la rive droite du Dniestr (la Transnistrie).

 Les deux régions (Bessarabie et Transnistrie) totalisaient une superficie de 50 138 km² avec une population de 3,75 millions d'habitants, mais les roumanophones moldaves représentaient cette fois 68,8% de la population; ils étaient donc majoritaires. Ils étaient suivis des Ukrainiens (11,1%), puis des Russes (6,7%), des Gagaouzes (4,9%) et des Bulgares (7,5%).
 
Groupe ethnique 1941 Nombre Pourcentage
Moldaves 1 620 800 68,8%
Ukrainiens 261 200 11,1%
Russes 158 100 6,7%
Gagaouzes 115 700 4,9%
Bulgares 177 700 7,5%
Autres 23 200 1,0%

Afin d'éviter le sort de la Pologne voisine, rayée de la carte de l'Europe par l'Allemagne nazie et l'URSS, le roi Carol II de Roumanie (1930-1940) et son gouvernement prirent le parti de l'Allemagne nazie en juillet 1940 et laissèrent Adolf Hitler arbitrer le conflit territorial entre la Roumanie et la Hongrie au sujet de la Transylvanie. Ayant pris le pouvoir à la suite d'un coup d'État, le général roumain Ion Antonescu provoqua l'abdication du roi, le 6 septembre 1940, au profit de son fils de 19 ans Michel Ier, qui resta dépourvu de tout pouvoir. Antonescu installa ensuite un régime totalitaire.

3.4 La Transnistrie roumaine

Entre octobre 1940 et juin 1941, environ 550 000 soldats allemands entrèrent en Roumanie.

Pour compenser la perte de la Transylvanie roumaine au profit de la Hongrie, Hitler permit au général Antonescu d’occuper la Transnistrie. En 1941, la Roumanie attaqua l’URSS avec l'aide de la Wehrmacht : les armées franchirent le Prout et le Dniestr, envahirent la Bessarabie et la Transnistrie, puis traversèrent le Boug et avancèrent jusqu'à Stalingrad (Russie).

Pour la première fois de son histoire, la Roumanie occupait au complet la Transnistrie. Elle transforma la région entre le Dniestr et le Boug, y compris la ville d’Odessa, en une zone d’occupation militaire, sous le nom de Gouvernorat de Transnistrie. En dépit de l'existence en Transnistrie d'environ 500 000 Roumains, la majorité de la population restait constituée d'Ukrainiens et de Russes, ce qui explique probablement la décision de la Roumanie de ne pas procéder à une annexion en règle de cette région. Celle-ci devint pour la Roumanie un lieu de déportation pour 185 000 Juifs, Tsiganes et résistants au régime, une sorte de «Sibérie roumaine»; les trois quarts des déportés moururent de froid, de faim et de maladie, ou furent simplement fusillés par les "Einsatzgruppen" (groupes d'intervention nazis). En même temps, des unités de l'armée allemande s'installèrent en Transnistrie, ce qui comprenait les services de sécurité, l'espionnage et les commandements allemands, lesquelles maintenaient les contacts avec le front et l'armée roumaine.

Le général Antonescu fit venir de force plus de 8500 fonctionnaires roumains pour administrer la Bessarabie et la Transnistrie. Pendant que la Roumanie employait le roumain auprès des habitants de Bessarabie, de la Bucovine et de Transnistrie, les nazis n'utilisaient que l'allemand, y compris avec les Roumains. Antonescu  ordonna aux fonctionnaires de gouverner «comme si la Roumanie s'était installée sur ces territoires depuis deux millions d'années». De plus, le gouverneur de la Transnistrie, Gheorghe Alexianu, conçut le gouvernement d'occupation roumain selon le «principe du Führer». La police locale, formée de Roumains et d'Ukrainiens, fut chargée de maintenir l'ordre et de faire travailler les habitants, y compris les Juifs, bien que la plupart d'entre eux devaient rester dans des ghettos étroitement surveillés.

Une ordonnance, publiée le 11 novembre 1941, autorisait les gendarmes à exécuter des Juifs fuyant les ghettos ou les camps de travail. Sur fond d'antisémitisme, le gouvernement d'Ion Antonescu adopta officiellement le mythe du «Juif responsable» des pertes territoriales subies par la Roumanie au cours de l'été 1940. Cela justifiait amplement le gouvernement roumain, en accord avec l'Allemagne, d'entreprendre un «nettoyage» ethnique dans les territoires reconquis en déportant et/ou en tuant les Juifs de Bucovine et de Bessarabie qui n'avaient pas eu le temps de fuir vers l'intérieur de l'Union soviétique. Au total, 380 000 à 400 000 Juifs, dont ceux de Transnistrie, furent liquidés dans les régions contrôlées par la Roumanie sous la dictature d'Antonescu.

En mars 1944, les troupes allemandes entamèrent une retraite désordonnée. Quelques jours plus tard, l'Armée rouge entrait en Transnistrie. L'URSS allait aussitôt reprendre les territoires perdus pendant la guerre, la Transnistrie et la Bessarabie.

3.4 Le retour des Soviétiques en Transnistrie

En août 1944, les Soviétiques occupèrent à nouveau la province de Transnistrie, mais aussi la Bessarabie (l'actuelle Moldavie). La république de Moldavie fut rétablie dans ses frontières de 1940, la Transnistrie désignant les parties orientales de la république de Moldavie. Dès lors, les autorités soviétiques favorisèrent la population russo-ukrainienne aux dépens des Moldaves. Ils développèrent le secteur industriel de cette région, tandis que le reste de la Moldavie restait agricole avec une industrie centrée exclusivement sur l'agroalimentaire. La Transnistrie fut réintégrée à l'Union soviétique qui déporta la moitié des roumanophones, accusés de collusion avec l'occupant fasciste.

C'est en Transnistrie que furent installés l'ensemble de l'industrie lourde et l'essentiel de l'industrie énergétique de la RSSM. Joseph Staline avait ainsi procédé à la jonction forcée de deux régions distinctes (Bessarabie et Transnistrie), dont la composition ethnique, l'histoire et les mentalités étaient différentes; les disparités se sont par la suite accentuées. Moscou favorisa constamment la Transnistrie, considérée comme étant plus sûre que la Bessarabie (Moldavie). Les apparatchiks soviétiques développèrent intensivement une politique de russification, celle-ci n'étant nullement inférieure aux techniques des anciens tsars impérialistes. Pour les russophones, les Moldaves étaient considérés comme des «primitifs» par comparaison à la prestigieuse culture russe! Ce sentiment persiste encore aujourd'hui. 

Durant le régime soviétique, la région constitua une pépinière pour les cadres du Parti communiste de Moldavie, et ce, jusqu'à la fin des années 1980. Les principaux responsables du Parti communiste et de l'État en Moldavie provenaient tous de la Transnistrie. Entre 1940 et 1989, aucun premier secrétaire du PC de Moldavie ne fut originaire de Bessarabie (Moldavie); cinq furent issus de l'Ukraine, deux de Transnistrie; il y eut aussi Leonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, qui administra la République socialiste soviétique de Moldavie (RSSM) de 1950 à 1952. En 1989, plus de 75 % des apparatchiks de la Moldavie furent originaires de la Transnistrie. Beaucoup de Moldaves en vinrent à contester l'hégémonie des Transnistriens russo-ukrainiens dans leur pays.

3.5 L'indépendance de la Moldavie

Alors que la Moldavie faisait encore partie de l'URSS, le Parlement adopta en 24 heures trois lois linguistiques:

1. Loi sur le statut de la langue officielle de la République soviétique socialiste moldave (Lege cu privire la statutul limbii de stat a RSS Moldoveneşti);
2. Loi du Parlement de la république de Moldavie sur le fonctionnement des langues parlées sur le territoire de la République soviétique socialiste moldave (Legea Parlamentului Republiciib Moldova cu privire la funcţionarea limbilor vorbite pe teritoriul RSS Moldoveneşti):
3.
Loi sur la réintroduction de la langue moldave à la graphie latine (Lege cu privirea la revenirea limbii moldoveneşti la grafia latină).

Cette journée du 31 août 1989 fut proclamée jour de la Fête nationale et célébrée chaque année depuis 1989. En juin 1990, le Parlement moldave vota une déclaration de souveraineté instaurant la primauté de la Constitution moldave sur tout le territoire, ce qui incluait la Transnistrie. Lorsque le Parlement moldave voulut mettre en vigueur la législation consacrant le roumain comme seule langue officielle du nouveau pays, les Russo-Ukrainiens exprimèrent leur mécontentement, car de façon générale les Russes ne parlaient que le russe, les Ukrainiens le russe et l'ukrainien, certainement pas le moldave. De plus, une éventuelle réunification entre la Roumanie et la Moldavie paraissait inacceptable pour les russophones, déjà bien prévenus depuis 1989 par la réintroduction de l'alphabet latin sur tout le territoire et la volonté moldave de sortir de l'influence soviétique.

- La rébellion russo-transnistrienne

Déjà alarmés depuis 1989 par la réintroduction de l'alphabet latin et la volonté moldave de sortir du giron soviétique, les Russo-Ukrainiens, par crainte de perdre leur statut préférentiel avec la langue russe, exprimèrent leur refus de devoir apprendre le roumain. De plus, la perspective de vivre dans une éventuelle réunification entre la Roumanie et la Moldavie parut tout à fait inacceptable pour ces slavophones qui ne seraient plus que 8 % dans une Roumanie-Moldavie unifiée. Aussitôt, les slavophones de Transnistrie, stimulés par Igor Smirnov, un Russe originaire de l'Extrême-Orient soviétique dans la péninsule du Kamtchatka (océan Pacifique), réclamèrent le maintien de leur région au sein de l'URSS et son rattachement à la République soviétique socialiste de Russie, à l'exemple de l'enclave de Kaliningrad.

Après avoir proclamé leur indépendance le 2 septembre 1990 sous le nom de «République socialiste soviétique moldave du Dniestr», les dirigeants russophones espéraient continuer à faire partie de l'URSS. Toutefois, après la dissolution de l'URSS en 1991, la Transnistrie devenait un État enclavé entre la Moldavie et l'Ukraine.

À l'occasion d'un référendum tenu en décembre 1991, la population de Transnistrie se prononça pour l'indépendance pure et simple de son territoire. Pendant que les Moldaves déboulonnaient les icônes soviétiques, les Russes transnistriens continuaient d'astiquer leurs statues de Lénine et d'afficher les slogans à la gloire du monde ouvrier.

En 1992, une guerre civile éclata dans la république de Transnistrie entre les forces armées moldaves et les russophones; ces derniers étaient alors appuyés par des contingents de cosaques et surtout par la 14e armée russe qui, stationnée en permanence sur le territoire, pouvait opposer une force de 6000 hommes bien entraînés et bien équipés contre les Moldaves de Chisinau.

La nouvelle République sécessionniste de Transnistrie désigna Tiraspol comme capitale et demanda son rattachement à l'URSS, puis à la Russie. Les Moldaves accusèrent la «tutelle russo-ukrainienne» de répandre la terreur au moyen de troupes spéciales — les omon — issues de l'ex-KGB, qui quadrillaient la Transnistrie comme lors du régime soviétique. Partout, sur tous les murs de Tiraspol, on pouvait lire des slogans du genre «SOUVENONS-NOUS. Nous ne sommes pas la Moldavie.»

- Un statut qui perdure

À l'automne de 1992, la guerre aboutit à un accord entre le président moldave (Mircea Snegur) et le président russe (Boris Eltsine), en vertu duquel la Russie devenait neutre (elle cessait d’appuyer la Transnistrie), alors que la Transnistrie bénéficiait d'un statut politique particulier (type région autonome) dans le cadre de la république de Moldavie. En échange, la Moldavie s'engageait à ne pas demander son rattachement à la Roumanie ou, dans ce cas, à accorder le droit à l'autodétermination de la Transnistrie. Cet accord fut complété par un pacte entre le président Snegur et le président Kravtchouk d'Ukraine: la Moldavie et l’Ukraine s’engageaient à ne pas autoriser le transit de troupes étrangères sur leur sol.

En mars 1995, les habitants de la Transnistrie votèrent par référendum, dans une proportion de 81 %, en faveur d'une nouvelle constitution indépendantiste. On peut se demander de quel côté ont voté les 40 % de Moldaves de Transnistrie... s'ils ont voté! Lors du même référendum, la population de la république de Transnistrie s'est prononcée à 93,3 % (malgré les 40 % de Moldaves!) pour le maintien des troupes russes sur le territoire. Comme on peut s'en douter, on a parlé de «fraude»: le taux de participation aurait été artificiellement gonflé, les opérations électorales se seraient déroulées exclusivement dans des autobus loués dans lesquels les urnes auraient été truquées. En février 1998, les dirigeants de Tiraspol demandèrent à la Douma russe de ne pas ratifier l'accord de 1992 sous prétexte que la Moldavie regarderait «avec trop d'insistance» en direction de la Roumanie, de l'Occident, de l'OTAN, et surtout ne respecterait pas les droits acquis de la population russophone. La situation devint politiquement bloquée.  Même si l'armée et le gouvernement russes sont toujours considérés comme «sauvant» la Transnistrie, il n'y a aucune raison politique pour que la Russie reconnaisse la Transnistrie, la laissant dans un état d'incertitude politique.

3.6 La république autoproclamée

Il n'en demeure pas moins que la partition entre la république de Moldavie et la République moldave de Transnistrie est réelle: la Transnistrie possède, comme la Moldavie, sa propre constitution, son drapeau, son hymne, son président, son parlement, son gouvernement, son armée (en même temps que l'armée russe), sa monnaie (le rouble transnistrien ou Souvoriki) et son alphabet (cyrillique). Cependant, aucun État, pas même la Russie, ne reconnaît l'indépendance de la Transnistrie toujours dirigée par un régime «présidentiel» de type autoritaire (on dirait stalinien), qui a pris une orientation nationaliste, russophile, anti-moldave et xénophobe. Il en résulte que la population moldave autochtone n’était protégée ni par le pouvoir local, ni par les autorités moldaves, ni par les normes internationales (p. ex., le Conseil de l'Europe et l'Union européenne). C’est pourquoi la discrimination ethnique devenait omniprésente, notamment dans le domaine des services, de l’éducation et de la culture.

En 1994, la Transnistrie s’est dotée d’une monnaie artificielle qui n’a aucune valeur hors de ses frontières. Ce rouble n’est reconnu par aucun pays au monde, à l’image de l’indépendance que les autorités de Tiraspol ont proclamée il y a un quart de siècle.

- Une clique mafieuse

De plus, la Transnistrie est souvent montrée du doigt pour sa corruption endémique. Le général russe Alexandre Lebed (aujourd'hui décédé) a même accusé les dirigeants transnistriens d'être une «clique mafieuse et totalement corrompue». Depuis 1993, la Transnistrie est devenue un territoire où tous les trafics sont non seulement permis, mais encouragés par les autorités en place qui en bénéficient économiquement. La Transnistrie est également une «affaire de famille»: Boris Smirnov, le fils de l'ancien président Igor Nikolaievitch Smirnov, est le grand patron des douanes et l'un des principaux dirigeants de la firme Sheriff qui détient le monopole du commerce du pétrole, de l'alcool et des cigarettes. En plus d'enrichir la famille Smirnov, un nom célèbre pour la vodka, les bénéfices provenant des impôts de la production industrielle ne sont jamais versés au gouvernement de la république moldave, mais attribués exclusivement au budget de la Transnistrie.

Alors qu'il était président (1991-2011), Igor Smirnov, appelé aussi «le duc» par les russophones, disposait dans les faits de tous les pouvoirs et ne rencontrait pas d'opposition sérieuse, encore moins structurée. Pour les dirigeants de la république de Moldavie, Smirnov était «une marionnette du Kremlin» pour promouvoir en Moldavie les intérêts de la Russie. Le pouvoir politique était solidement établi et il se maintenait par un savant alliage de criminalité, de profit sauvage et d'un service de sécurité efficace.

Les dirigeants étaient et sont encore tous des citoyens russes qui ne connaissent en général que la langue russe et parmi lesquels se trouvaient des anciens officiers de l'armée soviétique. S'il y avait des élections libres, tous les dirigeants seraient sans aucun doute impitoyablement balayés par la population, mais pendant longtemps la Transnistrie a résisté avec succès à tout changement géopolitique.

Quant aux jeunes, ils devaient faire jusqu'à récemment leur service militaire dans la 14e armée russe. Les Moldaves qui refusaient de se plier à cette mesure étaient simplement jetés en prison dans des conditions généralement pénibles; les fuyards étaient inculpés de «diffusion des secrets» de la 14e armée russe. Aujourd'hui, les jeunes font leur service militaire dans l'armée transnistrienne; ceux qui ont la citoyenneté russe (avec un passeport russe) ont le droit de choisir entre l'armée russe ou l'armée transnistrienne.

Igor Smirnov, 70 ans, fut le dernier dictateur en Europe avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko. Aux élections de décembre 2011, le président Igor Smirnov fut éliminé dès le premier tour de l'élection présidentielle. Tout le monde avait fini par être «fatigué» du président Smirnov. La Commission électorale centrale confirma officiellement l'élection de l'ancien président du Parlement transnistrien, Evgueni Chevtchouk, au poste du président de la République. Celui-ci appartenait à la communauté ukrainienne, puis candidat à un deuxième mandat il fut défait le 11 décembre 2016 par Vadim Krasnoselsky qui l'emporta avec 62 % des voix.

Ce troisième président de la Transnistrie est né en Russie, mais il vécut la majeure partie de sa vie en Transnistrie. Le 27 avril 2017, il signait une loi sur l'emploi du drapeau russe sur le territoire de la Transnistrie au même titre que le drapeau de l'État tout en estimant que les symboles soviétiques ne sont plus guère pertinents parce qu'ils ne donnent pas une image positive pour attirer les touristes.   

- Quelques tentatives de solution

Le président communiste moldave, Vladimir Voronin (mandat de 2001 à 2009), tenta dans les premiers mois de son mandat de trouver une solution avec le président Igor Smirnov. Il proposa de donner au territoire de la Transnistrie une très large autonomie dans le cadre d'un système de type fédéral, sans transiger sur les conditions suivantes: l'appartenance de la Transnistrie à l'État moldave qui demeurerait compétent pour le contrôle des frontières, de la monnaie, des forces armées et de la politique extérieure, toutes les autres compétences pouvant être confiées à la région autonome de Transnistrie.

Toutefois, les autorités de Tiraspol refusèrent ce statut : elles exigèrent plutôt une confédération, c'est-à-dire une quasi-indépendance, une solution qui fut rejetée à la fois par le gouvernement de Chisinau et la communauté internationale. En même temps, Voronin diffusait sa propagande haineuse à l'égard des russophones de Transnistrie; tous les jours, la radio d'État diffusait des messages aux Moldaves pour leur faire comprendre que les Russes étaient la cause de tous leurs malheurs depuis qu'ils ont «pris» la Transnistrie.

Bref, le gouvernement moldave «culpabilisa» les russophones et «victimisa» les Moldaves de Transnistrie. En réalité, il faut avouer que les Moldaves ne firent pas beaucoup d'efforts pour attirer les Transnistriens vers la Moldavie. Pour l'analyste et écrivain moldave Nico Popescu, ce serait pourtant là l'une des solutions: «Les Moldaves devraient cesser de geindre et travailler à faire de la Moldavie un pays plus attirant que la Russie.» Il est vrai que, si les Transnistriens voyaient un intérêt à s'allier avec la Moldavie, ils le feraient. Mais ce n’est pas demain la veille!
 


La 14e armée russe — transformée en 1994 en Groupe opérationnel des forces russes (GOFR) — restait toujours sur place, même si ses effectifs furent réduits à moins de 2600 hommes, puis à 1600. Mais l'armée transnistrienne compte entre 6000 à 7000 hommes, toujours bien équipés! Pour les Russes, l'indépendance de la Transnistrie empêcherait la république de Moldavie de devenir partie intégrante de la Roumanie. D'ailleurs, ils croient que si la Transnistrie rentrait dans le «giron moldave», le drapeau roumain serait rapidement hissé à Chisinau, tandis que l'OTAN s'empresserait de rénover l'aéroport de Tiraspol. Autrement dit, la Moldavie fusionnerait avec la Roumanie pendant que l'Ouest remplacerait les bases russes par des bases américano-européennes.

C'est pourquoi la politique du président de la Russie (Poutine) est axée sur la consolidation de l'influence de Moscou dans cet espace géostratégique que constitue la Transnistrie. C'est en ce sens que la Russie a proposé, le 15 novembre 2003, le Mémorandum Kozak (du nom de Dmitri Kozak, le premier adjoint du chef de l'administration de la Présidence russe). Le Mémorandum proposait d'établir de facto un protectorat russe au sein de la république moldave. En plus de rendre permanente la présence militaire russe, le projet visait la création d'une «structure non étatique» au statut politique incertain placée sous l'influence russe, comme une sorte de territoire tampon pour la Russie, le long des frontières orientales de la Roumanie, lesquelles seraient les nouvelles frontières de l'Union européenne et de l'OTAN. En réalité, on sait que la Russie rêve de faire de la Transnistrie un nouveau Kaliningrad, c'est-à-dire une nouvelle enclave russe en territoire étranger.

En 2004, la Moldavie et la Transnistrie se disaient prêtes à envisager un éventuel pays fédéral avec deux entités sous le nom de «État fédéral de Moldavie et du Dniestr». Quant au président Smirnov de Transnistrie, il avait déclaré qu'il ne quitterait son poste que lorsque son pays serait indépendant, mais il ignorait à ce moment qu'il serait désavoué bien avant! De son côté, l'administration moldave de Tiraspol fut accusée de corruption, de trafic d'armes, de drogues et d'êtres humains, etc., dans le but de faire partir Smirnov. Ce n'est pas pour rien que de nombreux observateurs ont exprimé leur scepticisme quant à une avancée notable du règlement du conflit transnistrien.

Enfin, il faut dire qu'en Moldavie l'économie va très mal et que les Moldaves pensent plus à survivre qu'à s'intéresser au sort de la Transnistrie. Même en Transnistrie, il y a des intérêts économiques et financiers qui empêchent la résolution du conflit. Si les négociations pour une fédération échouent et que la Transnistrie reste «indépendante», la Moldavie n'aura plus de raison d'être, mais il lui resterait la possibilité à s'annexer à la Roumanie dont l'entrée dans l'Union européenne eut lieu en 2007. Toutefois, jamais la Russie n'accepterait que la petite Moldavie s'unissent à la Roumanie, ce serait une déclaration de guerre. 

- Un musée du communisme

Pour le moment, la Transnistrie est une sorte de «musée en plein air du communisme», un petit morceau d'URSS encore bien vivant. Les Russes de la Transnistrie ont la certitude de demeurer dans une enclave russe, pas du tout en Moldavie! Même le référendum du 17 septembre 2006 sur l'indépendance eut des résultats de type soviétique. Comme il fallait s'y attendre, la population de la Transnistrie a voté avec une écrasante majorité en faveur de son rattachement à la fédération de Russie. Le OUI l'a emporté avec 97,1 % des suffrages, comme si les Moldaves n'existaient pas. Le taux de participation s'est élevé à 77,63 %, selon la commission électorale.

Aujourd’hui, le territoire de la Transnistrie est dirigé par des Russes et, jusqu'à un certain point, par des Ukrainiens, qui manifestent tous un mépris évident pour tout ce qui n’est pas russe. Partisans depuis toujours des nationaux bolcheviks, ils ont développé une orientation politique nettement nationaliste, anti-moldave et résolument xénophobe. La population moldave d'origine est considérée comme une simple minorité et elle n’est protégée ni par le pouvoir local, ni par les autorités moldaves, ni par les normes internationales, notamment  le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, qui ne sont d'ailleurs pas reconnues par Tiraspol. C’est pourquoi la discrimination ethnique est omniprésente, notamment dans le domaine des services, de l’éducation et de la culture.

Les dirigeants de la Transnistrie ne reconnaissent aucune autorité de la part du Parlement ou du gouvernement moldave. C’est pourquoi aucune des lois promulguées par la république de Moldavie n’est appliquée sur ce territoire. Le pouvoir russo-ukrainien a proclamé trois langues officielles: le moldave basé sur l’alphabet cyrillique (et non latin), le russe et l’ukrainien. Conformément à la loi locale, l'utilisation de l'alphabet latin dans n’importe quel document ou publication est rigoureusement interdite et sévèrement punie.

Malgré le trilinguisme officiel de la république autoproclamée de Transnistrie, le russe demeure l’unique langue de travail de l’administration, la plupart des fonctionnaires ignorant le moldave. Quant aux Ukrainiens, ils parlent tous le russe comme langue seconde. Cette pratique fait en sorte que les autorités locales privent ainsi de ses droits l'entière population de langue moldave. Tous les jeunes hommes habitant la Transnistrie doivent faire leur service militaire dans la 14e armée russe; lorsque des Moldaves refusent de s’y plier, ils sont jetés en prison.

En matière de justice, seul le russe est reconnu, les langues moldave et ukrainienne sont totalement ignorées. En éducation, il n'existe que quelques rares établissements d'enseignement offrant des cours en moldave. Normalement, les Moldaves ont le droit de recevoir une instruction en moldave (avec l’alphabet cyrillique) qu’en tant que langue seconde. Néanmoins, certains parents ont réussi à déjouer la «répression slave» (expression consacrée pour désigner la propagande russe) dans un petit nombre d’écoles primaires où la langue moldave basée sur l’alphabet latin est enseignée. Dans les faits, la plupart des enfants moldaves ne peuvent exercer leurs droits en matière de langue d’enseignement. Dans l’affichage public, seul l’alphabet cyrillique est permis: la quasi-totalité des enseignes sont en russes, parfois en ukrainien, très rarement en moldave et obligatoirement en cyrillique.

- Une zone d'intérêt stratégique

Depuis le conflit d'indépendance de 1992, la Transnistrie est depuis ce temps considérée comme un «trou noir» qui n'est ni tout à fait en guerre, ni tout à fait en paix. Complètement isolé diplomatiquement et économiquement, cet État mafieux vit surtout de trafics en tous genres, en particulier d'armes (plusieurs usines d'armement sont situées en Transnistrie et une importante part de l'arsenal des pays du pacte de Varsovie y a été entreposée). De plus, on trafique tout ce qui peut l'être, et c'est un paradis pour le blanchiment d'argent et la transformation des voitures volées. Le qualificatif d'«enclave russe» et le parallèle avec Kaliningrad semblent évidents.

Pour Moscou, la Transnistrie est perçue officiellement comme une «zone d'intérêt stratégique». Pendant que le Kremlin soutient le gouvernement de Moldavie dans son intégrité territoriale, il continue à soutenir le séparatisme transnistrien, car le sort des «minorités russes» préoccupe toujours l'opinion publique en Russie; les autorités russes ne sauraient ignorer cet état de fait. Toutefois, il est évident que les russophones de Transnistrie sont loin d'être persécutés. De plus, ils commencent à s'habituer à avoir leur propre État et ont de moins en moins le sentiment d'appartenir à la Moldavie. Par voie de conséquence, le séparatisme transnistrien contribue à affaiblir la nation moldave et la prive de 17 % de sa population. Le conflit armé déclenché entre la Moldavie et la Transnistrie au moment de la dislocation de l'URSS, est relégué aux oubliettes, consolidant ainsi la souveraineté autoproclamée. Pendant ce temps, la minorité moldave de la Transnistrie est également oubliée. 

En somme, on peut considérer que les russophones de la Transnistrie, avec la complicité des ukrainophones, ont eu tout intérêt à s'aligner sur Moscou parce qu'ils ne couraient aucun risque à se désolidariser des Moldaves afin de perpétuer le suprémacisme russe, car leur intégration à la Moldavie aurait signifié l'acceptation de leur statut de minoritaire, ce qui fut perçu comme trop «dégradant» ou humiliant à leurs yeux.

Selon la propagande des autorités transnistriennes, la République moldave pridnestrovienne est un État souverain, indépendant, démocratique, légal et laïc, dont la plus haute valeur est l'être humain, faisant partie intégrante de la communauté mondiale, qui s'efforce de devenir un sujet à part entière du droit international, qui exerce un rôle important dans le développement régional et qui bénéficie d'un puissant potentiel de transit. Néanmoins, la légitimité démocratique des élus de cet État est contestée, puisque aucun des divers scrutins ne s’est déroulé en présence d’observateurs indépendant ou d'observateurs internationaux de l’OSCE. 

L'aspect le plus positif de l'existence de la Transnistrie, c'est qu'elle est devenue une destination recherchée pour les touristes aventuriers qui l'ont qualifiée de «capsule soviétique» en raison de ses nombreuses statues de Vladimir Lénine, de son imposante architecture de style soviétique et de son drapeau national, le dernier au monde à porter les insignes du marteau et de la faucille. D'ailleurs, beaucoup de personnes âgées de cette enclave s'identifient encore comme des «Soviétiques», même si l'Union soviétique n'existe plus.

4 La politique linguistique

La politique linguistique de la Transnistrie est définie en partie dans la Constitution de la Pridnestrovskaia Moldavskaia Respublica adoptée lors du référendum national du 24 décembre 1995; la loi constitutionnelle fut signée par le président de la République moldave de Transnistrie le 17 janvier 1996. La formulation de l'actuelle Constitution inclut les modifications présentées le 30 juin 2000 dans la Loi constitutionnelle n° 310. Mais la politique linguistique est surtout définie dans la Loi sur les langues de 1992. Dans le domaine culturel et linguistique, la Transnistrie a adopté l'alphabet cyrillique (y compris pour le moldave) et l'enseignement y est offert en russe. Seules quelques écoles sur tout le territoire offrent un enseignement en moldave (roumain). Rappelons que la langue parlée par les Moldaves est appelée «moldave» en Transnistrie, bien que ce soit la langue roumaine.

Les dirigeants de la Transnistrie ne reconnaissent aucune autorité de la part du Parlement ou du gouvernement moldave. C’est pourquoi aucune des lois promulguées par la république de Moldavie n’est appliquée sur ce territoire. Les Transnistriens russophones continuent d'appeler de son nom russe Kichinev la capitale de la Moldavie, maintenant devenue Chisinau. Par ailleurs, le régime actuel interdit le pluralisme politique, impose de nombreuses restrictions aux libertés individuelles, applique le droit de l’ex-Union soviétique et refuse systématiquement d'appliquer certaines normes internationales, notamment celles du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne.

4.1 L'égalité entre les citoyens

Les articles 17 et 43 de la Constitution locale du 24 décembre 1995 semblent pourtant reconnaître l'égalité entre tous les citoyens:

Article 17

1) Chacun possède la liberté et des droits égaux devant la loi sans distinction de sexe, de race, de nationalité, de langue, de religion, d'origine sociale, d'opinion, de statut personnel et social.

2) Les bénéfices et privilèges peuvent être admis seulement s'ils sont conformes à la loi et ils doivent être compatibles avec les principes de la justice sociale.

Article 43

1) Chacun a le droit de
préserver son appartenance ethnique, comme nul ne peut être forcé de nommer et d'indiquer son appartenance ethnique.

2) L'offense à la dignité nationale doit être punie comme prévu, conformément à la loi.

3) Chacun a le droit d'employer sa langue maternelle et de choisir sa langue de communication.

Par ailleurs, l'article 1er de la Loi sur les langues de 1992 énonce les grands principes suivants:

Article 1

La souveraineté des langues et les droits du citoyen

1) Le République moldave de Transnistrie garantit la souveraineté de la langue du citoyen, indépendamment de son origine, statut social et fortune, de l'appartenance raciale et nationale, de son sexe, son éducation, sa religion, son emploi et autres conditions.

2) Chaque citoyen possède le droit naturel et juridiquement égal de choisir librement la langue des relations et de l'employer dans tous les domaines de l'activité sociale. 

3) Il est injustifiable de limiter les droits des citoyens dans l'usage de leur langue maternelle ou d'autres langues des peuples de la CEI dans les diverses sphères politiques et sociales.

Voilà pour les grands principes. S'il est vrai que chacun a le droit d'employer sa langue maternelle, il reste à évaluer comment ces dispositions se concrétisent dans les faits.

4.2 Les langues officielles

Le pouvoir russo-ukrainien de Transnistrie proclame trois langues officielles: le russe, le moldave écrit avec l’alphabet cyrillique (et non avec l'alphabet latin comme dans le reste de la Moldavie et en Roumanie) et l’ukrainien. En effet, l'article 12 de la Constitution  déclare ce qui suit:

Article 12

Les langues moldave, russe et ukrainienne ont le statut de langues officielles sur une base égale.

De plus, la Loi sur les langues de 1992 déclare ce qui suit à l'article 3:

Article 3

Le statut juridique des langues

1) Sur le territoire de la République moldave de Transnistrie,
toutes les langues possèdent un statut juridique égal et sont assurées de la sauvegarde et du soutien identique de l'État.

2) Le statut de langue officielle est de façon égale assigné au moldave, au russe et à l'ukrainien.

3) Dans les localités particulières, la priorité est donnée à chacune desdites langues définie par la République ou par décision de la collectivité locale ou par un référendum tenu dans la République ou l'unité administrative territoriale correspondante.

Dans les faits, le trilinguisme officiel est une façade, car les dirigeants transnistriens ont imposé, dans tous les districts soumis à leur autorité, une politique précise concernant l’usage officiel des langues, un régime que certains qualifieraient d'abusif et de discriminatoire. Ce droit d'employer la langue de son choix s'applique dans la seule vie privée, non dans la vie administrative officielle. Selon la législation transnistrienne, la langue russe est l’une des trois langues officielles, mais le russe est doté d’un statut particulier puisque cette langue sert de communication inter-ethnique.

La langue russe est omniprésente, l'ukrainien et le moldave étant relégués à l'arrière-plan, voire réprimés. Malgré le trilinguisme officiel, les russophones considèrent que leur territoire est le leur et qu'ils n'ont pas à concéder quoi que ce soit à la langue moldave, langue officielle d'un État dont ils ne veulent surtout pas faire partie; quant à la reconnaissance de l'ukrainien, elle semble destinée à assurer l'appui des Ukrainiens aux politiques des russophones. Le statut de co-officialité du moldave n'est donc que purement symbolique. D'ailleurs, dans la législation, les textes font généralement mention de «l'une des langues officielles» comme étant obligatoire, c'est-à-dire le russe. 

4.3 L'emploi des langues au Parlement

Le Parlement de Transnistrie est appelé «Conseil suprême de Transnistrie» (en russe : Верховный Совет ou "Verkhovny Sovet"). C'est une assemblée monocamérale composée de 33 sièges. La durée du mandat du Conseil suprême est de cinq ans; il siège à Tiraspol. Le Règlement intérieur du Conseil suprême (2021) ne contient aucune disposition concernant l'emploi des langues, sauf une allusion à l'usage d'un langage offensant dans les débats:

Article 154

Procédure d'application de la procédure disciplinaire

1)
Le président de la séance veille au maintien de l'ordre dans la salle de réunion et au respect des normes du présent règlement. Les députés du Soviet suprême, les participants à la réunion qui ne sont pas des députés et les autres personnes présentes obéissent aux ordres du président en ce qui concerne le maintien de l'ordre et le respect des règles.

2) Un suppléant est rappelé à l'ordre par le président dans les cas suivants:

a) la prise de la parole dans le débat sans recevoir l'autorisation;
b) l'interruption du discours d'un autre député par des commentaires;
c) le dépassement du temps alloué à un député pour s'exprimer;
d) les écarts par rapport au sujet en discussion;
e) l'interruption du vote par des remarques;
f)
l'utilisation d'un langage offensant dans les débats;

- L'unilinguisme des actes législatifs

L'article 10 de la Loi sur les langues (1992) énonce que les lois et autres actes juridiques sont publiés en moldave, en russe et en ukrainien:

Article 10

Les langues de la publication des lois et autres actes juridiques

Les lois et autres actes juridiques de la République et de l'administration locale de l'État dans la République moldave de Transnistrie sont
publiés en moldave, en russe et en ukrainien. Tous ont un caractère équivalent officiel et possèdent une force juridique identique.

Dans les lois présentées par l'Internet, on lit toujours les mots russes: ЗАКОН  ПМР, ce qui correspond en français à LOI RMP (République moldave du Pridniestrovie). Cette inscription est uniquement en russe! Mais l'article 15 de la Loi sur les actes législatifs (2002) semble plus subtile, car il précise que les lois «peuvent» être publiées en russe, en moldave, en ukrainien (sans l'ajout de la conjonction «et»:

Article 15

Types de textes d'un acte juridique et exigences générales pour leur conception

2)
Les actes juridiques adoptés en République moldave de Transnistrie
peuvent être publiés en russe, en moldave, en ukrainien.

L'usage de nouveaux termes et d'expressions étrangères dans les actes juridiques est autorisé s'il n'y a pas de termes et d'expressions russes ayant la même signification, ou de termes d'origine étrangère qui sont devenus courants en russe.

- La langue des débats parlementaires

Dans la pratique, seul le russe est utilisé dans les débats parlementaires, ainsi que dans l'administration de la république sécessionniste. Ces pratiques sont conformes à l'article 9 de la Loi sur les langues, qui énonce que les travaux du Conseil suprême doivent se dérouler dans l'une des langues officielles : dans tous les cas, c'est le russe.

Article 9

Les langues dans l'activité administrative de l'État

1)  Dans les pouvoirs publics et dans l'administration de l'État, leurs entités structurelles (Congrès des députés du peuple à tous les niveaux de la République moldave de Transnistrie, assemblées du Conseil suprême de la République moldave de Transnistrie, assemblées du Conseil des nationalités, Conseil de la République, comités, commissions, présidium du Conseil suprême de la RMT, gouvernement, etc.), les travaux doivent se dérouler dans l'une des langues officielles (moldave, russe et ukrainien), selon la décision respective dudit organisme administratif.

2) Les particuliers qui ne connaissent pas la langue officielle des activités du pouvoir national et de ses organismes administratifs ont le droit de s'exprimer dans leur langue maternelle ou dans l'une des seules de la CEI. En cas de besoin, les propos sont accompagnés d'une traduction.

Les lois ne sont à peu près jamais traduites en moldave ni en ukrainien, mais il peut arriver que des lois le soient en anglais pour des raisons de commerce international avec l'étranger.

- La langue des élections

L'article 11 de la Loi sur les langues (1992) précise que les bulletins de vote doivent être imprimés «dans l'une des langues officielles», c'est-à-dire en russe:

Article 11

Les langues des élections et des référendums

1) La préparation et l'administration des élections au Parlement et les référendums de la République moldave de Transnistrie
sont effectués dans la langue parlée par la majorité des citoyens dans la région donnée.

2) Les documents d'élection sont distribués
dans l'une des langues officielles, selon la décision de la Commission électorale centrale.

3) Les bulletins de vote des élections et référendums sont imprimés
dans les langues employées par les citoyens
de la circonscription électorale.

La Loi sur l'élection des députés du peuple (1995) interdit la discrimination fondée notamment sur la langue, mais la plupart des lois sont ainsi faites, sans qu'une telle affirmation n'élimine la discrimination linguistique. L'article 40 précise, là encore, que les bulletins de vote sont imprimés dans l'une des langues officielles utilisées par la population de la circonscription, ce qui désigne par défaut le russe:

Article 2

Le suffrage universel

3)
Est interdit tout avantage ou toute restriction, de façon directe ou indirecte, concernant les droits électoraux des citoyens, en fonction de l'origine, du statut social et de la propriété, de la race et de la nationalité, du sexe, de l'éducation,
de la langue, de l'attitude envers la religion, des convictions politiques, du type et de la nature des professions non prévues par la présente loi.

Article 40

Le bulletin de vote

1)
Le bulletin de vote doit contenir le nom de la Chambre du Conseil suprême où se déroulent les élections.

2) Le bulletin de vote comprend par ordre alphabétique tous les candidats à la députation inscrits dans la circonscription électorale respective, en indiquant le nom, le prénom, le patronyme, l'année de naissance, l'appartenance au parti, la fonction (profession).

3) Les bulletins de vote sont imprimés
dans l'une des langues officielles utilisées par la population de la circonscription.

Bref, l'unilinguisme russe règne en maître au Conseil suprême de Transnistrie et aux élections.

4.4 L'emploi des langues dans les tribunaux

En matière de justice, la législation écrite semble plutôt généreuse au sujet des langues officielles. L'article 133 du Code pénal (2021) interdit toute discrimination en raison de la langue sous peine d'amende:

Article 133

Violation de l'égalité des droits et libertés de l'homme et du citoyen


Toute discrimination, c'est-à-dire toute violation des droits, libertés et intérêts légitimes d'une personne et d'un citoyen en fonction de son sexe, de sa race, de la couleur de la peau, de sa nationalité,
de sa langue
, de son origine, de sa fortune, de sa famille, de son statut social et officiel, de son âge, de son lieu de résidence, de son attitude à l'égard de la religion, de ses croyances, de son appartenance ou non à des associations publiques ou à des groupes sociaux, commis par une personne exerçant sa fonction officielle -

est passible d'une amende d'un montant de 500 à 800 roubles au niveau calculé du salaire minimum, ou par la privation du droit d'occuper certains postes ou de se livrer à certaines activités pour une durée de deux ans jusqu'à cinq ans, ou une peine d'emprisonnement maximale de trois ans.

Il faut 12 roubles de Transnistrie pour obtenir un euro et 11 roubles pour un dollar américain.

- L'une des langues officielles

L'article 15 de la Loi constitutionnelle sur le système judiciaire (2018) déclare que la procédure judiciaire «peut» se dérouler dans «l'une des langues officielles» : 

Article 15

Langue de la procédure judiciaire devant les tribunaux

1)
La procédure judiciaire devant les tribunaux peut se dérouler
dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie.

2) Les justiciables participant au procès qui ne connaissent pas la langue de la procédure se voient garantir le droit de parler et de donner des explications
dans leur langue maternelle ou dans toute langue de communication librement choisie, ainsi que de recourir aux services d'un interprète.

Ces dispositions semblent contredire l'article 12 de la Loi sur les langues, qui prévoit que la procédure judiciaire doit se dérouler dans l'une des langues officielles (moldave, russe ou ukrainien) ou dans la langue de la majorité de la population dans la région donnée, mais il n'en est rien, puisque la langue de la majorité de la population est le russe:

Article 12

Les langues dans la procédure judiciaire et les délits administratifs

1) Dans les tribunaux de la République moldave de Transnistrie, la procédure judiciaire doit se dérouler
dans l'une des langues officielles (moldave, russe ou ukrainien) ou dans la langue de la majorité de la population dans la région donnée.

2) Les justiciables présentes à une cause du tribunal, qui ne peuvent pas parler la langue de la procédure judiciaire, ont le droit de consulter le dossier complet de la cour, de participer à la procédure en employant un interprète et de se présenter devant le tribunal
dans leur langue maternelle


3) Dans les cas prévus par la législation, les justiciables peuvent demander que la procédure et la documentation soient traduites dans leur langue maternelle ou dans une autre langue qu'ils possèdent.

4) La violation des dispositions sur la langue de la procédure constitue un motif de l'annulation de la décision judiciaire.

Bref, seul le russe est reconnu dans les tribunaux, mais il est possible de recourir aux services d'un interprète lorsqu'une personne ignore le russe. Il n'en demeure pas moins que, pour un pays qui a trois langues officielles, cette manière de procéder semble pour le moins étrange.

Le Code de procédure civile (2021) apparaît plus explicite, car la procédure civile doit se dérouler en russe,  qui est l'une des langues officielles de la République:

Article 9

Langue de la procédure civile

1)
La procédure civile doit se dérouler en russe, qui est l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie.

2) Les justiciables participant au procès qui ne parlent pas la langue dans laquelle la procédure civile se déroule ont le droit de recevoir et de donner des explications et des opinions, de s'exprimer, de déposer des requêtes, de loger des plaintes dans leur langue maternelle ou dans toute langue de communication librement choisie, ainsi
que recourir aux services d'un interprète.

Article 55

Traducteur

1)
Un interprète est une personne qui parle couramment la langue dont la connaissance est nécessaire pour la traduction au cours d'une procédure judiciaire et qui est demandée par le tribunal pour participer à un procès et selon la manière prévue par le présent code.

Un traducteur peut être un interprète qui comprend les signes d'une personne sourde ou muette et les traduits.

2) Les justiciables participant à une procédure judiciaire ont le droit de proposer un traducteur au tribunal.

Les autres participants à la procédure civile ne sont pas habilités à assumer les fonctions de traducteur, même s'ils connaissent les langues nécessaires à la traduction.

L'article 24.2 du Code sur les infractions administratives (2021) reprend les mêmes dispositions:

Article 24.2

Langue dans laquelle se déroule la procédure relative aux infractions administratives

1)
La procédure relative aux infractions administratives
se déroule en russe, qui est l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie.

2) Les personnes participant à la procédure pour infraction administrative, qui ne parlent pas la langue dans laquelle se déroule la procédure, ont le droit de s'exprimer et de donner des explications, de déposer des requêtes et des contestations, de déposer des plaintes dans leur langue maternelle ou dans une autre langue de communication librement choisie par les personnes indiquées, ainsi que de recourir aux services d'un interprète.

Finalement, l'article 40 de la Loi constitutionnelle sur la Cour constitutionnelle (2016) impose la langue russe dans la procédure:

Article 40

Langue de la procédure de la Cour constitutionnelle

1) La procédure devant la Cour constitutionnelle de la République moldave de Transnistrie doit se dérouler en russe.

2) Les participants à la procédure, qui ne parlent pas russe, ont le droit de fournir des explications dans une autre langue et de recourir aux services d'un interprète.

En conclusion, toute procédure judiciaire devant les tribunaux peut se dérouler dans l'une des langues officielles, c'est-à-dire toujours en russe, mais les justiciables qui ne connaissent pas la langue de la procédure se voient garantir le droit de parler et de donner des explications dans leur langue maternelle ou dans toute langue de communication librement choisie (le russe), ainsi que de recourir aux services d'un interprète.

4.5 L'emploi des langues dans les services administratifs

Rappelons que la République moldave de Transnistrie se réclame de trois langues officielles: le russe, le moldave et l'ukrainien, toutes trois avec l'alphabet cyrillique. La législation transniestrienne touche les fonctionnaires de l'État, les services publics aux citoyens, les actes et documents gouvernementaux, la toponymie, les raisons sociales des entreprises, les marques déposées, l'étiquetage des produits alimentaires, etc.

- La non-discrimination

La Loi constitutionnelle sur la citoyenneté (2002) interdit toute discrimination dans l'admission à la citoyenneté transniestrienne:

Article 12

Admission à la citoyenneté de la République moldave de Transnistrie

1)
Toute personne apte qui a atteint l'âge de dix-huit ans et qui n'est pas reconnue conformément à l'article 1er de la présente loi constitutionnelle comme étant un citoyen de la République moldave de Transnistrie, peut demander à être admise à la citoyenneté de la République moldave de Transnistrie, indépendamment de son origine, de son statut social, de sa race et de sa nationalité, de son sexe, de son éducation, de sa langue, de son attitude à l'égard de la religion, de ses croyances politiques et autres.

- La fonction publique et les services aux citoyens

L'article 18 de la Loi sur la fonction publique (2021) oblige tout candidat et toute candidate à la fonction publique de parler «au moins une langue officielle»:

Article 18

Admissibilité à l'admission au service civil

1)
Les citoyens de la République moldave de Transnistrie qui ont atteint l'âge de 18 ans
qui parlent au moins une langue officielle de la République moldave de Transnistrie et qui répondent aux conditions de qualification prévues par cette loi.

2) La limite d'âge pour la fonction publique est de 60 ans.

En principe, tout fonctionnaire peut donc ne connaître que le moldave ou l'ukrainien. Plus précisément, c'est l'entité administrative qui décide de la langue officielle et c'est toujours le russe. L'article 20 de la Loi sur les langues énonce bien que les citoyens ont le droit de s'adresser aux organismes publics de l'État dans l'une des langues officielles de la République:

Article 20

Les communications entre les citoyens et les organismes publics de l'État, les entreprises, institutions et organisations de la République moldave de Transnistrie.

1) Les citoyens ont le droit de s'adresser aux organismes publics de l'État, aux entreprises, institutions et organisations pour exposer leurs offres, demandes et plaintes
dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie.

2) Les réponses aux offres, demandes et plaintes des citoyens aux organismes publics de l'État, ainsi qu'aux entreprises, institutions et organisations, sont données dans la langue du traitement.

L'article 19 de la Loi sur les langues reprend les mêmes dispositions:

Article 19

Les organismes publics de l'État, entreprises, institutions et organisations

1) Les réunions, conférences et autres organisations ainsi que les formes juridiques de l'activité des organismes publics de l'État, des entreprises, institutions et organisations sont maintenues dans l'une des langues officielles (moldave, russe ou ukrainien) selon la décision coordonnée des personnes participant officiellement à ces activités.

2) Les citoyens qui ne possèdent pas la langue des activités données sont assurés
d'obtenir une traduction pour une autre langue maternelle ou une langue qu'ils comprennent.
Les participants de ces activités ou conférences ont le droit d'employer la langue ils possèdent. Au besoin, leurs interventions sont assurées par la traduction.

Il faut comprendre que le russe est «l'une des langues officielles», ce qui répond aux exigences de la loi. Évidemment, en cas de besoin, l'administration de l'État fait appel à des interprètes. Néanmoins, ces pratiques font en sorte que les autorités locales privent ainsi de ses droits la population de langue moldave. Quant aux Ukrainiens, ils parlent tous le russe et ils ne s'opposent pas, au contraire, aux mesures discriminatoires envers les Moldaves.

De plus, les sites officiels du gouvernement de la Transnistrie (sites du président, du Parlement, de la Cour suprême, etc.) sont principalement (le site de la Cour constitutionnelle étant une exception) ne sont disponibles uniquement en russe .

- Les documents officiels

L'article 34 de la Loi sur les langues (1992) prescrit que certains documents officiels doivent être rédigés en trois langues:

Article 34

Les documents officiels

1) Les documents officiels certifiant l'état civil ou les renseignements personnels (passeports, cartes de travail, livrets militaires, certificats, documents d'éducation, actes de naissance, de mariage et de décès) sont rédigés en moldave, en russe et en ukrainien.

2) Les règles orthographiques et les transcriptions des noms personnels, des noms patronymiques et des ethnonymes respectent l'orthographe des langues littéraires nationales.  Leur transmission au moyen d'autres langues est faite conformément aux normes littéraires de ces langues. Toute contestation ultérieure est autorisée et réglée par la cour après l'établissement de faits légalement appropriés.


 

En fait, le passeport est rédigé en trois langues, mais le russe est en caractère plus gros à l'intérieur des 28 pages; sur la couverture, seule l'inscription паспорт («passeport») en russe apparaît.

Toutefois, ce passeport transnistrien n'a aucune valeur légale; il n'est valable qu'en Transnistrie. La plupart des citoyens de cette république autoproclamée se munissent en général de deux autres passeports: un russe (Russie) et un moldave (Moldavie). Pour les autres documents officiels, ils sont émis en russe, mais il est possible d'obtenir des actes similaires en roumain par des organismes de traduction spécialisés en Moldavie.

L'article 17 de la Loi sur les langues stipule bien que les actes du Ministère public sont rédigés «dans l'une des langues officielles», donc en russe:

Article 17

Le Ministère public

1) Les actes du Ministère public sont rédigés
dans l'une des langues officielles (moldave, russe ou ukrainien) par décision du gouvernement de la République moldave de Transnistrie en coordination avec les comités exécutifs des Soviets locaux des députés du peuple. C'est aussi la langue de la correspondance avec les citoyens, ainsi que les entités de l'État, les coopératives, les institutions, les associations et autres formations installées sur le territoire de la République moldave de Transnistrie.

2) La langue de communication des organismes du Ministère public de la République moldave de Transnistrie et le Ministère public des autres pays de la CEI est le russe.

D'après la Loi sur les actes d'état civil (2008), les actes sont publiés dans les trois langues officielles:

Article 4

Enregistrement par l'État des actes de l'état civil

6)
La procédure administrative dans les bureaux d'état civil doit être effectuée
dans les langues officielles de la  République moldave de Transnistrie.

Dans la pratique, ce n'est pas toujours possible et les délais peuvent être longs. Depuis le mois de janvier 2018, le gouvernement de Moldavie a pris des mesures pour pouvoir enregistrer les naissances et émettre des certificats de naissance pour les enfants nés dans certaines municipalités de la Transnistrie.

Malgré le trilinguisme officiel de la république autoproclamée de Transnistrie, le russe demeure l’unique langue de travail de l’administration, la plupart des fonctionnaires ignorant totalement le moldave. Les russophones considèrent que, si la Moldavie impose le moldave, ils ont le droit d'imposer le russe. C'est oublier que la langue russe occupe des positions socialement et économiquement décisives dans toutes les grandes villes de la Moldavie, y compris dans la capitale (Chisinau). La langue russe demeure la principale langue de communication entre les citoyens d'ethnies différentes dans toute la Moldavie, et elle jouit d'un prestige considérable. Même la langue moldave est très influencée par le russe (contrairement à la langue roumaine). On ne peut pas en dire autant du moldave en Transnistrie où le moldave est quasi inexistant dans la vie publique.

- Le paysage linguistique et le russe

Dans l’affichage commercial, seul l’alphabet cyrillique en russe, en ukrainien et en moldave est autorisé, à l'exception des inscriptions en anglais dans les zones touristiques (panneaux de direction, hôtels, restaurants, etc.). Toutefois, la quasi-totalité des enseignes est en russe, très rarement en ukrainien ou en moldave. Les mots écrits en alphabet latin demeurent donc peu nombreux et c'est toujours en anglais. La Transnistrie est un «pays russe», il ne faut pas l'oublier.

L'article 40 de la Loi sur les langues (1992) précise que les appellations officielles doivent être en moldave, en russe et en ukrainien:

Article 40

La dénomination des organismes publics de l'État, entreprises, institutions et organisations

Les noms officiels des organismes publics de l'État, entreprises, institutions et autres organisations sont rédigés
dans les langues moldave, russe et ukrainienne. La disposition graphique est la suivante: à gauche ou par dessus, en moldave, au milieu en russe, en bas ou à droite en ukrainien. Les variantes de toute autre disposition sont décidées par les comités exécutifs des conseils locaux des députés du peuple.

Dans les faits, les inscriptions en trois langues sont peu nombreuses, car elles sont généralement en russe. Lorsque ces inscriptions officielles se présentent en trois langues, le moldave est généralement au-dessus, le russe au milieu et l'ukrainien en dessous.

A
ОФИЦИАЛЬНОЕ ПРЕЛСТАВИТЕЛЬСТВО
ПРИДНЕСТРОВСКОЙ МОЛДАВСКОЙ
            РЕСПУЛИКИ
В РОССИЙСКОЙ ФЕДЕРАЦИИ

= Drapeaux officiels de la République moldave de Transnistrie et de la Fédération de Russie
B
ПРАВИТЕЛЬСТВО ПРИДНЕСТРОВСКОЙ МОЛДАВСКОЙ РЕСПУБЛИКИ
(russe)
= Gouvernement de la République moldave de Transnistrie
C
КОНСТИТУЦИЯ ПРИДНЕСТРОВСКОЙ МОЛДАВСКОЙ РЕСПУБЛИКИ (russe)
= Constitution de la République moldave de Transnistrie
D
Le panneau indique en moldave, en russe et en ukrainien la rue Manoïlov:

CTP = abréviation de страда ou "strada":
Yл. ou Byл = abréviations de улица ou "oulitsa" («rue» en russe) ou бульвар («boulevard» en ukrainien).

- La toponymie

Selon l'article 41 de la Loi sur les langues (1992), les noms des localités, des rues, des places, des rivières, etc., doivent être en trois langues:

Article 41

Les toponymes et la cartographie 

1)
 Dans la République moldave de Transnistrie, les noms des localités, des unités administratives territoriales, des rues, des places, des rivières, etc., sont présentés en moldave, en russe et en ukrainien.  

2) Le nom complémentaire en une autre langue nationale peut être ajouté si la majorité des citoyens appartient à un territoire donné.

3) La reproduction nationale dans une autre langue est assurée par la traduction.

4) Les toponymes du territoire de la République moldave de Transnistrie sont rédigés dans les langues officielles avec la transcription de la langue originale respective.

5) L'édition cartographique destinée à l'usage dans la République moldave de Transnistrie est préparée et publiée
en moldave, en russe et en ukrainien.

Tiraspol est connue pour être l'une des dernières villes arborant encore les symboles de l'ancienne URSS. De nombreuses statues datant de l'ère communiste sont toujours présentes dans les rues (notamment celles de Lénine). La ville a aussi conservé de nombreux édifices de style stalinien. Après la révolution d'Octobre de 1917, les rues de Tiraspol furent renommées en l'honneur de chefs célèbres de la révolution, de la guerre civile ou en mémoire des événements de l'histoire moderne. Voici quelques exemples de noms issus de militaires, d'écrivains ou de héros: Tchekhov, Gogol, Gorki, Yuri Gagarine, Kalinin, Dzerzhinsky, Schmidt, Stary, Ilyin, Potemkin, Karl Marx, Lénine, Boris Feoktistovich Safonov, Lev Mikhailovich Dovator, G.K. Zhukov, F.A. Ostashenko, Fyodor Afanasyevich, Mikhail Nikolaevich Sharokhin, Sergueï Ivanovitch Poletsky, Vladimir Aleksandrovich Bochkovsky, etc.

Bref, les noms en trois langues sont quasiment inexistants, dans la mesure où les autorités privilégient les héros de la Grande Guerre patriotique et les héros de l'Union soviétique, héritage militaro-patriotique de la Pridnestrovie. Néanmoins, il existe un grand nombre de dénominations d'origine moldave, dont les noms ont été russifiés afin de leur donner une visibilité russe. À l'extérieur de Tiraspol, des appellations moldaves sont restées en roumain, mais comme elles sont en caractères cyrilliques, tout étranger croira que tout est en russe.

- Les raisons sociales et les marques

En vertu de l'article 56 de la Loi sur l'entrée en vigueur de la première partie du Code civil (2013), les raisons sociales doivent être dans l'une des langues officielles, ce qui est effectivement le cas lorsqu'elles sont en russe:

Article 56

Les marques

1)
Une personne morale qui est une organisation commerciale doit avoir une raison sociale.

2) Une raison sociale est le nom réel d'une entité juridique, qui n'inclut pas d'indication de sa forme organisationnelle et juridique.

La raison sociale d'une personne morale (résidente) doit être exprimée
dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie, du moins en tant que marque ou partie de celle-ci utilisée avec des mots étrangers.

L'article 42 de la Loi sur les marques, les marques de service, les appellations d'origine et les noms de marque (2019) impose également l'emploi d'une des langues officielles, mais la loi ne s'applique pas aux personnes morales d'origine étrangère:

Article 42

Marque

1)
La raison sociale d'une personne morale (résidente) doit être présentée
dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie, même si des mots étrangers sont employés comme raison sociale.

2) Dans le cas de l'emploi de mots étrangers dans le nom de la société, le nom de la société, au choix de celle-ci, est donné soit
en traduction dans l'une des langues officielles
, soit sous forme de translittération en lettres alphabétiques de l'une des langues officielles.

3) L'effet du présent article, en cas de coïncidence de la raison sociale et de la marque déposée, ne s'applique pas aux succursales et aux bureaux de représentation de personnes morales étrangères.

- L'étiquetage des produits

Lorsque les marchandises proviennent de la Russie, elles apparaissent avec des étiquettes en russe, ce qui respecte l'article 39 de la Loi sur les langues:

Article 39

L'étiquetage des marchandises

1) L'étiquetage des marchandises, la marque de fabrique sur les marchandises, les ordonnances sur l'usage des marchandises produites dans la République moldave de Transnistrie sont rédigés
dans l'une des langues officielles: le moldave, le russe ou l'ukrainien. La langue appropriée de l'étiquetage des marchandises est décidée par le comité exécutif de la collectivité locale en considérant le respect des intérêts des consommateurs.

2) L'étiquetage des marchandises pour l'exportation au-delà de la République moldave de Transnistrie est rédigé
dans les langues moldave, russe et ukrainiennes, ou dans la langue du client.

3) Les noms des marques déposées sont écrits
dans les langues officielles: le moldave, le russe et l'ukrainien. 

Il en est ainsi de l'article 2 du Règlement garantissant la disponibilité des informations en russe, en ukrainien ou en moldave (en caractères cyrilliques) sur les produits alimentaires importés dans la RMT (1997):

Article 2

1) Les organisations qui importent des produits alimentaires dans la RMT, après la publication du présent règlement, doivent prévoir dans les contrats de leur fourniture l'une des conditions obligatoires pour la disponibilité d'informations sur les marchandises en russe, en ukrainien ou en moldave (en cyrillique) sur leur composition, leur valeur nutritionnelle, leur date de péremption, leurs conditions de stockage et d'emploi.

2) Les entrepreneurs individuels peuvent acheter des produits alimentaires importés s'ils disposent d'informations sur le produit acheté
en russe, en ukrainien ou en moldave (en cyrillique).

- La langue des services

L'article 3 du Code du travail (2021) interdit toute discrimination au travail pour des motifs de langue:

Article 3

Interdiction de la discrimination au travail

1)
Quiconque a des chances égales d'exercer ses droits au travail.

2) Nul ne peut être limité dans les droits et libertés du travail ou de recevoir des avantages sans distinction de sexe, de race, de couleur de peau, de nationalité, de langue, d'origine, de propriété, de famille, de statut social et officiel, d'âge, de lieu de résidence, d'attitude à l'égard de la religion, convictions politiques, affiliation ou non-affiliation à des associations publiques, ainsi que d'autres circonstances non liées aux qualités professionnelles de l'employé.

Néanmoins, quiconque ne maîtrise pas la langue russe sera exclu du monde du travail, bien que l'article 23 de la Loi sur les langues énonce que les entreprises doivent employer les langues officielles, en fait l'une d'elles:
 

Article 23

Le secteur des services

Les entreprises, établissements et organismes offrant des services (le commerce, l'assistance médicale, le transport local, le service ménager, le transport interurbain et d'autres secteurs de service)
emploient les langues officielles (moldave, russe ou ukrainien) et toute autre langue des peuples de la CEI ou une langue étrangère assurant une plus grande efficacité de cette activité.

 

La société Sheriff est un conglomérat basé en Transnistrie. Créé en 1993 par deux anciens membres des services secrets russes, il est présent dans la distribution de produits pétroliers, dans la grande distribution, dans les médias, dans la construction, dans la téléphonie, la fabrication de pain et de cognac. L'entreprise entretient des liens étroits avec le premier président de Transnistrie, Igor Smirnov (qui est né et a grandi en Russie). La société Sheriff possède absolument tout : les stations-service, les chaînes de télévision, les agences de publicité, les services bancaires, diverses usines (pain, spiritueux, etc.), le réseau de téléphonie mobile, les hôtels, les vêtements, l'équipe de football locale et le stade, etc. Tout ce qui est perçu comme une entreprise privée appartient pratiquement à Sheriff. Dans ces conditions, celle-ci contrôle toute la situation politique et économique en Transnistrie. C'est le plus gros employeur privé avec plus de 13 000 employés. La seule exigence linguistique: maîtriser le russe.

La Loi sur les marchés publics (2021) exige une traduction dans l'une des langues officielles lors d'un enregistrement officiel:

Article 38

Procédure de dépôt des demandes de participation à une enchère ouverte

5)
Pour toute personne étrangère: une procuration et un document d'enregistrement officiel de cette personne morale étrangère, ainsi
qu'une traduction dûment certifiée de ces documents dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie, conformément à la législation actuelle de la République moldave de Transnistrie;

En Transnistrie, la connaissance de la langue anglaise est fort médiocre, car cette langue est jugée peu nécessaire. Presque tous les citoyens de la Transnistrie peuvent parler en russe, mais ensuite c'est le moldave et/ou l'ukrainien. Quant au français assez fréquemment connu en Moldavie, il est totalement inexistant en Transnistrie.

4.6 L'emploi des langues en éducation

Le système d'éducation en Transnistrie est calqué sur celui de la Russie et non sur celui de la Moldavie. Alors que le système d'éducation moldave a subi des changements majeurs, dont l'abolition de l'alphabet cyrillique et des lois soviétiques, ainsi que l'introduction des normes européennes, le système d'éducation adopté en Transnistrie préconise le maintien du système soviétique et l'interdiction de l'alphabet latin, y compris pour les Moldaves.

- La législation scolaire

La Loi sur l'éducation préscolaire (2021) ne précise aucune langue en particulier, car c'est le fondateur de l'école, à plus de 90% un Russe, qui choisit la langue d'enseignement:

Article 17

Exigences relatives au contenu de l'éducation préscolaire, sa mise en œuvre

6)
La
langue d'enseignement dans l'organisation de l'éducation préscolaire est déterminée par le fondateur, conformément à la législation en vigueur de la République moldave de Transnistrie.

L'article 26 de la Loi sur les langues prescrit que chaque citoyen a le droit de choisir librement la langue d'enseignement de ses enfants, que ce soit en moldave, en russe ou en ukrainien:

Article 26

L'éducation et l'enseignement

1) Chaque citoyen a le droit
de choisir librement la langue d'enseignement de ses enfants et l'État garantit ce droit inaliénable.

2) La République moldave de Transnistrie assure avec respect les intérêts des nationalités vivant de façon compacte dans une région définie en prévoyant des établissements préscolaires et des écoles moyennes avec l'enseignement en moldave, en russe et en ukrainien. 

3) Des groupes de travail, des salles de classe, des groupes d'étude et d'autres formes d'enseignement
dans la langue maternelle sont organisés dans les écoles préscolaires et les écoles de type différent.

4) Les parents ou tuteurs ont le droit de choisir pour leurs enfants l'établissement préscolaire et l'école moyenne de culture générale
avec la langue d'enseignement correspondante.

L'article 7 de la Loi sur l'éducation (2021) reprend les mêmes dispositions en matière de langues d'enseignement:

Article 7

Langue d'enseignement

1)
La langue d'enseignement dans les établissements d'enseignement publics de la République moldave de Transnistrie est déterminée conformément à la
Loi sur les langues dans la République moldave de Transnistrie.

2) Dans les établissements d'enseignement sous toutes les formes organisationnelles et juridiques, et sous toute forme de propriété, à l'exception de la langue d'enseignement, s'il s'agit d'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie, les étudiants étudient la deuxième langue officielle de la République moldave de Transnistrie. Si la langue d'enseignement n'est pas l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie, les étudiants doivent alors étudier l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie.

3) La
liberté de choisir la langue officielle d'enseignement
est assurée par la création du nombre requis d'organisations, de classes et de groupes scolaires pertinents et par la création des conditions nécessaires à leur fonctionnement.

De plus, la Loi sur les langues prévoit l’usage exclusif de caractères cyrilliques pour transcrire le moldave (roumain):

Article 6

Forme écrite de la langue moldave 

1) L'alphabet traditionnel
cyrillique constitue la forme écrite du moldave dans tous les cas de son usage.

2)
L'imposition de l'alphabet latin dans la langue moldave peut être passible de poursuites judiciaires.

Rappelons qu'en Moldavie et en Roumanie la langue roumaine s'écrit avec l'alphabet latin, mais pas en Transnistrie où c'est en principe interdit. L'objectif des russophones qui dirigent la Transnistrie est, d'une part, faire une distinction entre le moldave (écrit en cyrillique) et le roumain (écrit en latin), d'autre part, uniformiser l'alphabet dans toute la région de façon à minimiser la visibilité du moldave. D'ailleurs, sous l'Union soviétique, le moldave s'écrivait avec l'alphabet cyrillique.

Le Parlement a même adopté en 2005 deux lois sur l'enseignement en moldave et en ukrainien. L'article 2 de la Loi sur le développement de l'éducation en langue moldave (2005) présente ainsi les objectifs du programme en moldave:

Article 2

Buts et objectifs du programme

Le but du programme est d'assurer le fonctionnement et le développement durables du
système d'éducation en langue moldave et commencer la formation d'un environnement culturel et pédagogique en langue moldave.

Les objectifs du programme sont les suivants:

a) mettre à jour les logiciels, le support pédagogique et méthodologique du programme pédagogique en moldave;

b) élargir la gamme des services pédagogiques avec
une formation en moldave dans les établissements d'enseignement professionnel;

c) assurer l'intégration des activités des organisations éducatives, de la culture, des organismes publics, des médias, de la communauté parentale dans la formation d'un environnement culturel et éducatif adapté et  approprié dans la langue moldave;

d) créer les conditions pour
élargir la portée et l'usage de la langue moldave dans la République.

Pour l'ukrainien, la Loi sur le développement de l'éducation en langue ukrainienne (2005) présente les objectifs du programme de la façon suivante:

Article 2

Buts et objectifs du programme

Le but du programme est de former un système d'éducation solidaire, multi-niveaux et socialisant en langue ukrainienne dans la République moldave de Transnistrie.

Les objectifs du programme sont les suivants:

a) assurer le développement d'un réseau d'organismes pédagogiques en langue ukrainienne, en tenant compte des besoins de la population et des capacités en ressources des unités administratives et territoriales;

b) améliorer qualitativement le personnel, le programme, le soutien pédagogique, méthodologique, informationnel et financier pour
le développement de l'enseignement en ukrainien;

c) coordonner les activités de toutes les matières de la politique pédagogique dans la mise en œuvre des activités du programme;

d) accroître l'impact social de l'éducation en ukrainien;

e) créer les conditions pour
élargir la portée de la langue ukrainienne
dans la République moldave de Transnistrie;

f) promouvoir le développement des relations dans le domaine de l'éducation avec l'Ukraine, y compris au plan régional.

La Loi sur les langues prévoit un examen d'admission pour les candidats aux études des établissements d'enseignement professionnel:

Les tests linguistiques d'admission (2019)

Les candidats aux études des établissements d'enseignement professionnel de la république moldave de Transnistrie ont le droit de choisir la langue (moldave ou russe, ou ukrainien), lorsqu'ils réussissent le test d'admission dans l'une des langues officielles, si un tel test d'entrée est prévu par le règlement d'admission de ces établissements d'enseignement.

Les tests d'admission doivent être administrés au choix des candidats ou candidates uniquement dans l'une des trois langues officielles (russe, moldave ou ukrainien). Les tests individuels dans d'autres langues ne sont pas autorisés. Les individus qui ont soumis des documents à des groupes dont la langue d'enseignement est le moldave ou l'ukrainien sont en principe testés respectivement en moldave ou en ukrainien.

- Les pratiques réelle en éducation

Les langues d'enseignement autorisées sont le russe, le moldave et l'ukrainien. Étant donné que les parents ont le choix de la langue d'enseignement pour leurs enfants, la plupart choisissent le russe pour diverses raisons.

Dans les 156 établissements préscolaires de la région, 91,9% des élèves étudient en russe. Il ne reste que 8% des enfants pour le moldave et moins de 1% pour l'ukrainien, en dépit du fait que 34,2% des bébés transnistriens sont issus de familles moldaves, 31,4% de familles russes et 28% de familles ukrainiennes. Cependant, il existe des groupes spéciaux pour les enfants souffrant de déficience d'audition, de vision, d'élocution, d'intelligence, de retard mental, etc., dont l'enseignement se déroule nécessairement en russe.

Le tableau ci-contre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe montre bien que le russe est nettement avantagé dans les écoles primaires par rapport aux deux autres langues. Au point de vue démographique, les Russes comptent pour 29,1% de la population, contre 28,6 % pour les Moldaves et 22,9% pour les Ukrainiens. Or, les écoles primaires moldaves représentent environ 11% du total des écoles de la Transnistrie, tandis que les écoles ukrainiennes sont deux fois moins nombreuses. Sur le nombre total d'établissements d'enseignement général, 73,6% enseignent uniquement en russe; 16,4% en moldave; 1,9% en ukrainien. En outre, il existe 13 écoles russo-moldaves.

Malgré l'égalité déclarée des langues officielles, la langue russe est légalement employée plus souvent que les autres langues officielles. Sur un total de 181 écoles, 145 donnent un enseignement en russe, dont 126 uniquement en russe. Seules 19 écoles offrent un enseignement mixte: russe-moldave ou russe-ukrainien. Il y aurait seulement une vingtaine d'écoles moldaves,  

La composition ethnique des jeunes est caractérisée comme suit: 34,2 % de Moldaves, 31,4% de Russes, 28,0% d'Ukrainiens, 2,6 % de Bulgares et 3,8% d'autres nationalités. En somme, si la composition d'étudiants sur une base nationale est à peu près égale, la priorité d'enseigner en russe ne reflète pas du tout la composition ethnique.

Pour les écoles secondaires, il n'existe qu'un seul lycée qui enseigne en moldave à Tiraspol, tous les autres sont en russe. La majorité des élèves des écoles professionnelles étudient en russe : 93%. En moldave, c'est seulement environ 7%.

Dans les études supérieures, la situation est à peu près la même: 94,8% de tous les étudiants étudient en russe, contre 4,6 % en moldave et 0,06 % en ukrainien. Il existe une université russe en Transnistrie: la Pridnestrovskii Universitet (l’Université de Transnistrie). Dans la langue courante, elle est simplement appelée l'«Université»; elle offre des cours de russe, d'ukrainien, de moldave et d'anglais. Toutefois, il faut comprendre que les langues moldave et ukrainienne ne sont enseignées qu'à la Faculté de philologie, ce qui est nettement insuffisant pour la population de la région.

Dans les faits, le principal vecteur qui détermine l'emploi des diplômés en dehors de la Transnistrie est la langue d'enseignement, où 94,8% de tous les étudiants universitaires reçoivent leur enseignement en russe, 4,6% en moldave et 0,6% en ukrainien. On peut aussi affirmer que les diplômés des écoles avec une éducation en langues moldave et ukrainienne ne trouvent pas la mise en œuvre de leurs connaissances sur le territoire de la Transnistrie et, par conséquent, dans une écrasante majorité, ils entrent dans les établissements d'enseignement supérieur d'Ukraine, de Moldavie ou d'autres États.

- Les écoles moldaves

En 1994, l’enseignement utilisant l’alphabet latin fut rigoureusement interdit. Cette politique réduisait le droit reconnu à la population moldave d’apprendre sa langue maternelle et de l'écrire correctement. C'est un peu comme si l'on obligeait des enfants francophones dans une région donnée à apprendre et à écrire leur langue avec l'alphabet cyrillique ou l'alphabet arabe, de sorte qu'ils seraient les seuls à savoir lire et écrire de cette façon! Du point de vue moldave, plus de 35 000 enfants se sont ainsi vu refuser le droit de faire leurs études en moldave en utilisant l’alphabet latin, et selon les programmes élaborés en Moldavie.

Non seulement la plupart des écoles moldaves sont obligées d'enseigner la langue avec l'alphabet cyrillique, mais ils doivent aussi utiliser des livres qui datent de l'Union soviétique: les manuels sont dépassés, alors que les programmes scolaires sont désuets parce que ceux-ci proposent des méthodes et des contenus vieux de plus de quarante ans. Selon un rapport de l'OSCE de juin 2005, les parents qui inscrivent leurs enfants dans les écoles moldaves avec l'alphabet cyrillique courent le risque que les diplômes ne soient pas reconnus ni en Moldavie ni en Roumanie. Ainsi, cet enseignement du moldave cyrillique constitue un obstacle important. Autrement dit, l'envoi des enfants dans l'une des quelques 20 écoles transnistriennes qui enseignement le moldave en cyrillique n'est pas une alternative intéressante.

Quant aux écoles qui choisissent malgré tout un enseignement avec l'alphabet latin, elles sont soumises à la pression des autorités et la plupart ont été contraintes de revenir à l'écriture cyrillique. Seules six écoles de langue roumaine s'identifiant comme telles ont été autorisées à conserver l'écriture latine en Transnistrie dans les municipalités suivantes: Tiraspol (1), Bender (2), Grigoriopol (1), Dubasari (1) et Rabnita (1). De plus, les autorités transnistriennes ne reconnaissent pas les diplômes émis par les écoles moldaves en écriture latine, ce qui empêche les diplômés de ces écoles d'étudier dans les établissements transnistriens d'enseignement supérieur. Les tentatives d'élargissement du nombre d'écoles employant l'écriture latine se heurtent à une répression sévère.

Pour toutes ces raisons, la plupart des Moldaves de Transnistrie préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles de langue russe où il n'y a pas de harcèlement. Nous le savons, la langue est appelée «roumain» lorsqu'elle est enseignée avec l'écriture latine et «moldave» lorsque l'écriture cyrillique est employée.

- La propagande

Certaines écoles ont tenté de «tricher» et ont enseigné l'alphabet latin à leurs élèves. C'est alors que les fonctionnaires russes chargés de vérifier l'enseignement dans les écoles moldaves auraient «découvert» qu'on apprenait aux élèves à «haïr les Russes» et les Ukrainiens: les Slaves seraient ainsi considérés par les Moldaves comme des «peuples de peu d'importance qu'on doit éliminer». Le mot «russe» aurait par conséquent une connotation négative. D'après les vérificateurs russes, on apprendrait dans les écoles moldaves de Transnistrie l'histoire de la «Grande Roumanie» en s'apitoyant sur le régime d'Ion Antonescu (1940-1944), le Conducator qui a fait entrer l'armée nazie en Roumanie et en Transnistrie. À l'été 2004, le gouvernement a sévi: les écoles moldaves récalcitrantes, qui fonctionnaient sans permis, furent toutes fermées. Selon les russophones, ce fut une autre occasion pour les Moldaves de «pleurnicher une fois de plus sur leurs droits».

De son côté, le ministère de l'Éducation de la République moldave de Transnistrie a toujours déclaré que le gouvernement ferait tout ce qu'il pouvait pour intégrer les établissements d'enseignement en moldave dans le système normal. Les autorités transnistriennes rejettent les accusations de partialité anti-roumaine et défendent leur préférence du cyrillique au roumain comme moyen de maintenir la langue d'origine, soulignant que, dès le Moyen Âge, les Bibles moldaves étaient toujours écrites en cyrillique. Alors que la langue roumaine a utilisé l'alphabet cyrillique pendant des siècles, celui-ci n'est plus utilisé en Roumanie. L'écriture cyrillique en moldave n'est donc employée qu'en Transnistrie, tandis qu'un seul journal (appartenant à l'État par les autorités transnistriennes) imprime quelques centaines d'exemplaires en cyrillique.

Ce n'est pas tout, les enseignants et les manuels scolaires doivent apprendre aux élèves que la Transnistrie est une république indépendante et que la Moldavie est un État ennemi qui veut détruire la Transnistrie. De façon générale, les enfants ne savent même pas qu'ils vivent dans la république de Moldavie. Par ailleurs, cette dernière fait peu d'efforts pour changer la situation en sa faveur.

- Les droits linguistiques niés

Par ailleurs, il existe de nombreux villages avec des minorités moldaves qui n'ont pas d'écoles dans leur langue maternelle:

Nombre de villages Population moldave Langue d'enseignement Villages (district)
3 100% écoles russes Cuzmin (Camenca); Broșteni, Lenino (Rabnita).
5 majorité écoles russes Vadul Turcului, Sovetskoe, Mocra (Rabnița); Comisarovca ​​Nouă (Dubasari); Gîrtop (Grigoriopol)
4 moins de 50% aucune école Zozuliani (Rabnița), Crasnoie, Glinoia (Slobozia), Protiagailovca (Bender)
21 100% aucune école Frunzovca, Podoimița (Camenca), Vasilievca, Saraței, Vladimirovca, Zaporojeț, Besarabca, Jurca (Rabnița); Goianul Nou, Vasilievca, Afanasievca, Alexandrovca ​​Nouăs (Dubasari); Pobeda, Kotovca, Bruslachi, Mocriachi, Marian, Crasnoe, Inde, Tocmazeia (Grigoriopol)
2 majorité aucune école Butuciani (Rabnița), Priozornoie (Slobozia)
12 minorité importante écoles russes Gidirim, Voroncău, Popenchi (Rabnița), Doibani, Jerjinscoe (Dubasari); Hlinaia, Șipca (Grigoriopol); Vladimirovca, Frunze, Pervomaisc, Cremenciug (Slobozia )

C'est un fait indéniable: la plupart des élèves moldaves n’ont pas la possibilité d’apprendre la langue officielle de leur pays, la Moldavie. Toutefois, pour les russophones, la Moldavie n'est pas considérée comme leur «pays», puisque la Transnistrie est leur «vrai pays». Les enfants moldaves de Transnistrie n'apprennent partiellement le moldave que dans six ou huit établissements scolaires sur près de 80 au total. De plus, les maternelles, les écoles, les collèges et les lycées manquent de matériels pédagogiques adéquats. La Russie a offert de fournir gratuitement des manuels russes aux élèves moldaves: il s'agit d'anciens volumes publiés avant l'effondrement de l'URSS et destinés à l'origine aux Roumains!

Pourtant, l'article 3 de la Loi sur le développement de l'éducation en langue moldave (2005) garantit le droit constitutionnel des citoyens de recevoir une éducation abordable et de qualité dans la langue moldave:

Article 3

Principales orientations de la mise en œuvre du programme et des résultats attendus

Le programme comprend la mise en œuvre d'un ensemble de mesures visant à préserver et à développer le système d'éducation en langue moldave et à créer un environnement culturel et pédagogique approprié. [...]

Les résultat attendus:

a) la garantie du droit constitutionnel des citoyens de recevoir une éducation abordable et de qualité dans la langue moldave (maternelle);

Il est est ainsi avec la Loi sur le développement de l'éducation en langue ukrainienne (2005):

Article 3

Principaux domaines de mise en œuvre des programmes et les résultats attendus

Le programme comprend la mise en œuvre d'un ensemble de mesures visant à soutenir, développer les traditions établies d'enseignement en langue ukrainienne et à prendre des mesures adéquates en rapport avec les nouvelles demandes du public. [...]

Les résultats attendus:

a) la garantie le droit constitutionnel des citoyens de recevoir un enseignement en ukrainien;

Dans les faits, la législation de cet État autoproclamé ne veut absolument rien dire, sauf lorsque les textes concernent la langue russe.

En raison des diplômes sans valeur à l'extérieur de la Transnistrie, de nombreux étudiants quittent la région. Ils partent pour la Moldavie ou la Russie, qui sont les seuls à les accepter. En fait, la migration ne concerne pas que les jeunes. Entre 1989 et 2014, la Transnistrie est passée de 750 000 habitants à 450 000, principalement à cause du manque d’emplois.

4.7 Les médias

La législation est relativement importante en ce qui concerne les médias et la culture. 

- La culture

Ainsi, la Loi sur la culture (2020) garantit à tous les citoyens le droit de participer à la vie culturelle, quelle que soit la langue:

Article 7

Le droit aux activités culturelles et à la participation à la vie culturelle

1)
L'État garantit aux citoyens, quels que soient leur sexe, leur race, leur nationalité, leur langue, leur origine, leur propriété et leur statut officiel, leur lieu de résidence, leur attitude à l'égard de la religion, leurs croyances, leur appartenance à des associations publiques, ainsi que dans d'autres circonstances, le droit de participer à vie culturelle et à l'accès aux valeurs culturelles dans les fonds culturels de la République moldave de Transnistrie.

2) Les raisons pour restreindre l'accès aux valeurs culturelles sont déterminées par la législation actuelle de la République moldave de Transnistrie.

Article 8

Le droit à la créativité et à l'identité culturelle

1)
Chacun a droit à toutes sortes d'activités créatives en fonction de ses intérêts et de ses capacités, au libre choix de valeurs morales, esthétiques et autres, pour protéger son identité culturelle.

2) Le droit humain de s'engager dans des activités créatives peut être exercé à la fois sur une base professionnelle et non professionnelle (amateur).

L'article 31 de la Loi sur les langues garantit l'usage égal du moldave, du russe et de l'ukrainien et d'autres langues, y compris dans les domaines comme le cinéma et autres œuvres audiovisuelles:

Article 31

Le domaine de la culture

1) La République moldave de Transnistrie garantit
l'usage égal du moldave, du russe et de l'ukrainien et d'autres langues dans la vie culturelle du pays.

2) La République assure
les traductions dans les langues officielles (moldave, russe et ukrainien)
aussi bien que dans d'autres langues nationales et la garantie des publications d'ouvrages littéraires, artistiques, politiques, scientifiques et autres, de films et d'œuvres artistiques audiovisuelles et d'œuvres d'art différentes sur les valeurs culturelles des peuples de la CEI et des nations du monde.

- La publicité

La Loi sur la publicité (2021) autorise les commerçants à publier dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie:

Article 5

Exigences générales en matière de publicité

1)
La publicité doit être identifiée comme telle dans les médias, sans connaissances particulières et sans recours à des moyens techniques; la publicité doit être clairement distinctive des autres documents et émissions au moyen de médias imprimés, audiovisuels ou combinés ou de commentaires.

2) Il est interdit aux organismes de médias et à leurs employés de facturer des frais pour placer des publicités sous le couvert de contenus informatifs, éditoriaux ou protégés par le droit d'auteur.

3) La publicité sur le territoire de la République moldave de Transnistrie peut être distribuée dans l'une des langues officielles de la République moldave de Transnistrie. Cette disposition ne s'applique pas à la radiodiffusion, à la télédiffusion et aux publications imprimées réalisées exclusivement en langues étrangères, ainsi qu'aux marques déposées (marques de service).

- Les médias traditionnels

Enfin, l'article 35 de la Loi sur les langues (1992) reconnaît que le moldave, le russe et l'ukrainien sont les langues officielles des médias:

Article 35

Les médias

Les langues officielles des médias de la République moldave de Transnistrie (télévision, radio, journaux, revues, etc.) sont
le moldave, le russe et l'ukrainien. Les langues des autres nationalités peuvent également être utilisées dans les médias.

De plus, l'article 50 de la Loi sur les médias (2019) interdit aux journalistes de dissimuler ou de falsifier des informations socialement importantes, de répandre des rumeurs sous le couvert de messages fiables, de collecter des informations en faveur d'une personne, etc.:

Article 50

Irrecevabilité de l'abus des droits d'un journaliste

1)
Il n'est pas permis d'utiliser les droits d'un journaliste établis par la présente loi
dans le but de dissimuler ou de falsifier des informations socialement importantes, de répandre des rumeurs sous le couvert de messages fiables, de collecter des informations en faveur d'une personne ou d'une organisation extérieure qui n'est pas un média.

2) Il est interdit d'utiliser le droit d'un journaliste de diffuser des informations afin de discréditer un citoyen ou certaines catégories de citoyens uniquement sur la base du sexe, de l'âge, de la race et de la nationalité,
de la langue, de l'attitude envers la religion, de la profession, du lieu de résidence et le travail, ainsi que dans le cadre de leurs convictions politiques.

- La presse écrite

La presse écrite demeure entièrement contrôlée par les autorités transnistriennes. Il n'y a donc pas de liberté de presse en Transnistrie.  L'autocensure est pratiquée couramment, car la presse locale évite les sujets remettant en question l'objectif de la Transnistrie d'indépendance ou critiquant la politique étrangère pro-russe.

Mentionnons le journal officiel du Conseil suprême la Приднестровье (Pridnestrovie > «Transnistrie»), la Днестровская правда (Adevarul Nistrean > «La Vérité nistrienne»); puis les Профсоюзные Вести (Profsoiuznie Vesti > «Nouvelles syndicales»), le Солдат Отечества (Soldat Otechestva > «Le Patriote soldat»), puis la Днестровская Правда (Dnestrovskaia Pravda > «La Vérité transnistrienne»), le За Приднестровье (Za Pridnestrovye > «Pour la Transnistrie») et les Казачьи Вести > (Kazatchyi Vesti > «Les Actualités des Cosaques»).

Il existe de nombreux régionaux de type hebdomadaire: la Drujba à Grigoriopol («Amitié»), la  Zarea Pridnestrovia à Dubasari («Lumière transnistrienne»), les Novosti à Ribnita («Nouvelles»), le journal publié par la Défense nationale transnistrienne Za Pridnestrovie («Pour la Transnistrie») et celui du parti communiste le Communiste Pridnestrovia («Le Communiste transnistrien»).

Les seuls journaux publiés à la fois en russe et en moldave (avec l'alphabet cyrillique) sont les Слободзейские вести (Slobodzeiskie Vesti > «Nouvelles de Slobozia») et le Dnestr à Camenca. Mentionnons également le Гомін (Homin > «Le Bruit»), un journal publié par le Soviet suprême de la République à l'intention de la communauté ukrainienne de Transnistrie.

- Les médias électroniques

Les médias électroniques restent importants pour les autorités transnistriennes. Du temps de l'Union soviétique, toutes les chaînes de radiotélévision étaient transmises de Moscou. Au moment de la guerre avec la Moldavie, l'État moldave a coupé le téléphone, ainsi que les ondes de radio et de télé. En 1990, les autorités transnistriennes ont réussi à créer une télévision indépendante: entre 1992 et 1995, deux ou trois diffuseurs commerciaux russophones ont fait leur apparition en Transnistrie à partir de Kichinev (Chisinau en roumain). En 1997-1998, la firme la plus importante de la Transnistrie, Sheriff, a reçu le monopole pour la télévision et téléphonie portable. Il est possible de recevoir une vingtaine de canaux gratuitement après avoir acheté antenne spéciale pour 20 $ US; pour un supplément de 15 $ US, un convertisseur donne accès à plusieurs autres canaux commerciaux. Les langues diffusées sont surtout le russe, puis l'anglais, parfois le français en provenance de Chisinau.

La "Pridnestrovskaya gosudarstvennaya teleradiokompaniya" (en cyrillique: Приднестровская государственная телерадиокомпания) est la Société de télévision et de radio d'État de Transnistrie. Aujourd'hui, la PGTRK comprend quatre institutions médiatiques: 1) La première chaîne de télévision transnistrienne: "Pervii Prednevstrovskii Telekanal"; 2) la "Radio1"; 3) la "Radio Pridnestrov'ya" et 4) l'agence de presse «Novosti Pridnestrov'ya».

La station de radio d'État, "Radio PMR", émet à la fois sur FM et sur ondes courtes. Quatre radios privées commerciales diffusent depuis la Transnistrie: Inter FM, Dynamit FM, Energy Radio FM, Frequence 3. Il existe quatre chaînes de télévision en Transnistrie, dont deux sont locales (à Tiraspol et Bendery ) et deux couvrent tout le territoire du pays.

La société Sheriff domine le marché des médias privés, y compris la radiodiffusion privée, la télévision par câble et les services Internet. Les émissions transnistriennes sont diffusées 24h / 24 depuis Tiraspol. En plus des émissions d'information, on trouve de la publicité, de la musique, des longs métrages et des émissions de la télévision russe. En fait, la plupart des films présentés par la société d'État ont été tournés sous l'Union soviétique, il y a trente ou quarante ans; la Pervii Prednevstrovskii essaie ainsi d'implanter durablement la nostalgie de la glorieuse Union soviétique. Même dans le domaine du tourisme, l'administration met en quelque sorte l'accent sur le fait que l'on peut remonter dans le passé en allant en Transnistrie.

- Les langues moldave et ukrainienne

La plupart des émissions de radio et de télévision diffusées en Transnistrie sont exclusivement en langue russe. Mais la radio d'État diffuse des bulletins d'information d'une durée d'environ quinze minutes, lesquels sont généralement offerts à des moments inappropriés, c'est-à-dire vers 15 heures pendant la journée, alors que la plupart des gens sont au travail, à l'école ou occupés à d'autres activités. Bref, la couverture de l'information pour les populations moldave et ukrainienne est assez faible, et ce, d'autant plus que les trois quarts des informations portent sur les activités du président de la République autoproclamée et sur son parti politique, ainsi que sur les nombreux succès de la société Sheriff.

La politique linguistique de la Transnistrie semble très particulière pour un pays situé en Europe. C'est à la fois une politique officielle de multilinguisme de façade et une politique d'assimilation et de répression dans les faits. Il est rare qu'un État européen viole aussi systématiquement les droits linguistiques les plus élémentaires de ses citoyens. En réalité, le trilinguisme officiel de la république autoproclamée n'est que symbolique, car il correspond à un unilinguisme russe qui fait fi de toutes les autres langues. Le trilinguisme officiel ne correspond pas du tout à la réalité! De façon empirique, il est facile de remarquer que dans la vie quotidienne toutes les activités, tous les médias, toute la documentation est en russe, ce qui ne correspond en rien aux déclarations selon lesquelles les droits des locuteurs du moldave ou de l'ukrainien sont respectés. Pourtant, le russe n'est parlé que par 29 % de la population, ce qui devrait laisser une grande part aux autres langues. Le problème ne vient pas vraiment du fait que les russophones veulent se protéger, c'est surtout qu'ils désirent avant tout ignorer les autres langues, en particulier le moldave, la langue officielle de la Moldavie, et perpétuer leur suprématisme économique, culturel, linguistique et idéologique.

Si les russophones de Tiraspol n'avaient pas obtenu l'appui de la 14e armée russe ainsi que la complicité des Ukrainiens, ils ne pourraient pas poursuivre leur politique d’isolement et de répression à l’égard de la population moldave. Même le nom officiel de la république autonome — République moldave de Transnistrie — n'a rien de moldave. De plus, la situation de la Transnistrie et sa politique linguistique demeurent une anomalie en Europe, sauf si l'on fait exception de la Bosnie-Herzégovine pour le serbe. Du point de vue des Occidentaux, la Transnistrie est une sorte de «vestige de l'Union soviétique» dans ses pratiques les plus rétrogrades. Pour les russophones de Transnistrie, le point de vue est différent: ils considèrent que leur territoire est «historiquement russe», et qu'ils sont culturellement et militairement plus avancés que «ces pauvres Moldaves».  Pour eux, le problème est réglé et la situation normalisée, la vie pouvant se poursuivre comme si de rien n'était, comme sous la glorieuse Union soviétique. Pourtant, il est possible de vouloir se protéger sans nécessairement interdire les autres langues! Les russophones disent qu'ils n'interdisent rien, sauf l'alphabet latin pour la langue moldave!

Quoi qu'il en soit, la Transnistrie est là pour durer, même si les actuels dirigeants de type soviétique disparaissent; ils seront toujours remplacés par d'autres pour perpétuer ce régime du passé. Depuis la crise de 2013-2014 en Ukraine et l'annexion de la Crimée en mars 2014 par la Russie, les Russes de la Transnistrie ont de beaux jours devant eux. Ils pourraient demander leur rattachement à la Russie à la suite d'un référendum massivement pro-russe, mais pour le moment le statu quo est avantageux pour la Russie. Il ne lui est même pas nécessaire de reconnaître la Transnistrie dans la mesure où elle peut exercer une influence sur la vie politique de toute la Moldavie. Pourtant, celle-ci est prête à offrir une grande autonomie à la Transnistrie pour qu'elle revienne dans son giron, sauf que le gouvernement autoritaire transnistrien, n'étant qu'une «marionnette russe», ne détient pas les clés de la résolution du conflit. Seule la Russie permettrait un règlement si elle était assurée de conserver sa mainmise sur la petite Moldavie. Après les États baltes, l'Ukraine et la Géorgie, Moscou ne voudrait surtout pas voir une autre des anciennes républiques soviétiques sortir de sa sphère d'influence. Pour Moscou, ce n'est pas une option! Une Transnistrie indépendante jetterait nécessairement la Moldavie dans les bras de la Roumanie. Ce n'est pas d'avantage une option pour la Russie. D'où le statu quo pour la Transnistrie. C'est ce qui explique que tous les efforts de médiation se sont révélés nuls. Certes, la situation est aujourd’hui pacifiée, mais elle n'est guère résolue. Cet immobilisme ne fait chaque jour qu’éloigner l’espoir de rendre cette région européenne réceptive en termes de respect des droits de l'homme.

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 Dernière révision: 19 décembre, 2023

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