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Mexique
Présentation générale:
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Le Mexique (Estados Unidos Mexicanos) est un grand pays d’Amérique latine,
mais situé en Amérique du Nord, d’une
superficie de 1 964 382 km², soit trois fois et demi la France, cinq fois
moindre que les États-Unis ou le Canada. Le Mexique est bordé au nord
et à l’est par les États-Unis (en esp.: Estados Unidos de América), à l’est par le golfe du Mexique et la mer
des Caraïbes, au sud par le Belize (en esp.: Belice) et le Guatemala, et à l’ouest par l’océan
Pacifique (voir
la carte détaillée).
Le Mexique forme la partie sud, la plus étroite, de l'Amérique du Nord. En fait, son territoire est compris, d'une part, en Amérique du Nord, d'autre part, en Amérique centrale. En effet, l'isthme de Tehuantepec, qui représente la plus courte distance (210 km) entre le golfe du Mexique et l'océan Pacifique, constitue la limite traditionnelle, reconnue par les géographes entre l'Amérique du Nord et l'Amérique centrale. |
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Le Mexique est, comme les États-Unis, une
fédération —
officiellement appelée États-Unis du Mexique ou
Estados Unidos
Mexicanos — composée d’un district fédéral (Distrito
Federal), où se
trouve le siège du gouvernement fédéral, et de 32 États fédérés (voir
la carte des États) : Aguascalientes, Basse-Californie-du-Nord (Baja California Norte), Basse-Californie-du-Sud (Baja California Sur), Campeche, Chiapas, Chihuahua, Coahuila, Colima, Durango, Guanajuato, Guerrero, Hidalgo, Jalisco, Mexico, Michoacán de Ocampo, Morelos, Nayarit, Nuevo León, Oaxaca, Puebla, Querétaro, Quintana Roo, San Luis Postosí, Sinaloa, Sonora, Tabasco, Tamaulipas, Tlaxcala, Veracruz, Yucatán et Zacatecas. Chacun des États possède son parlement, son Exécutif (exercé par un gouverneur), sa propre constitution et est constitué de «municipalités» (municipes). Pour sa part, le district fédéral est composé de «délégations» et il n'a ni constitution locale ni gouverneur, mais il est régi par des statuts administratifs (Estatutos de Gobierno) et placé sous la direction d'un «régent» du district fédéral (Regente del Distrito Federal). La division administrative du Mexique ne compte pas de «province» ni de «territoire». La langue et la culture font partie des domaines qui dépendent de la juridiction des deux paliers de gouvernement, d’où des conflits éventuels en ce domaine bien que, de façon générale, les États aient la tendance à s'aligner sur la politique fédérale. La ville de Mexico (capitale) figure parmi l’une des plus grandes mégalopoles du monde, sa population étant estimée à 13,1 millions d'habitants en 2000. Les autres grandes villes sont Guadalajara, Monterrey et Puebla. Dans le cas des Amérindiens (appelés autochtones ou indigènes), la loi leur reconnaît maintenant certains droits en tant que minorités considérées comme «fragiles». Certaines «collectivités indigènes» possèdent leurs propres organisations, réglementations, religions, langues, traditions et coutumes. Toutefois, le gouvernement mexicain ne reconnaît pas leurs organisations politiques et les peuples autochtones sont assujettis à toutes les lois, tant celles du gouvernement fédéral que celles des États fédérés. |
Les 90 millions d'hispanophones (sur 101 millions d’habitants) du Mexique représentent 36 % des 266 millions de locuteurs de cette langue sur la planète. C’est le plus grand État hispanophone au monde. Selon les statistiques officielles, 90 % des Mexicains parlent l’espagnol comme langue maternelle.
2.1 Le métissage mexicain
On dénombre dans le pays quelque 65 % de Métis ou Mestizos (d’origine mixte espagnole et amérindienne), 20 % d'Amérindiens («Indiens» ou Indígenas) et 15 % de Blancs, généralement des descendants directs des Européens. Dès le début de la Conquête, les Espagnols avaient favorisé le métissage. Même Hernán Cortès avait montré l'exemple avec la «Malinche», sa maîtresse amérindienne qu'il avait fini par épouser. Pour donner une idée des métissages qu’a connus le Mexique, il suffit de lire cette description que l’on trouve sur un mur du château de Chapultepec (l'ancienne résidence d’été des vice-rois d'Espagne):
Español + Mestizo + Castiza + Española + Español + Español + Indio + Lobo + Cambuyo + Barquino + |
India Española Español Negro Morisca Albina Tornatras India Mulata Mulata |
= Mestizo = Castiza = Español = Mulata = Albina = Tornatras = Lobo = Sambaloo = Alvarazado = Coyote |
Cela dit, tous les Blancs, sauf les mennonites ainsi que les Métis, parlent l’espagnol comme langue maternelle. Il existe aussi une petite communauté particulière de Blancs — environ 40 000 personnes — vivant dans la région de Mexico et parlant une langue germanique, le bas-allemand appelé le Plautdietsch, mais ils écrivent en allemand standard. Ce sont des colons mennonites arrivés depuis quelques décennies dans le pays, plus précisément des descendants de protestants réformés radicaux hollandais et suisses formés au XVIe siècle par Menno Simons (1496-1561), d’où le nom de mennonites. Certaines de leurs croyances ont entraîné leur persécution dans d'autres pays, ce qui détermina de nombreux mennonites à trouver refuge dans les pays de l’Est, en Amérique et surtout au Mexique, au Paraguay, au Brésil, au Belize et en Argentine. Vivant dans de petites colonies agricoles, les mennonites se caractérisent maintenant par leurs vêtements jugés démodés et l’utilisation de leur langue héritée du bas-allemand.
2.2 Les autochtones
En 2005, la population autochtone du Mexique s'élevait à plus de 9,5 millions d'individus et représentait 9,2 % de la population totale du pays. D'après des estimations provenant de sources autochtones et de diverses autres études, le nombre des autochtones répartis sur de vastes régions du territoire mexicain, partageant la même identité socioculturelle, notamment la langue, s'élèverait au moins à 15 millions de personnes. Ces peuples sont essentiellement concentrés dans les États de Campeche, Chiapas, Guerroro, Hidalgo, Oaxaca, Puebla, Quintana Roo, Veracruz et Yucatán, où ils représentent parfois plus des deux tiers de la population (mais pas nécessairement les langues). À l'échelle du pays, non seulement la population autochtone du Mexique est très minoritaire par rapport à la population métisse, mais son influence dans les milieux politique, économique ou social demeure relativement marginale. Ces «indigènes» (Indígenas), auxquels de nombreux politiciens, intellectuels et artistes se réfèrent constamment, font peut-être partie du «folklore national», de la tradition et de l'histoire, mais leur condition depuis la Conquête en 1521 demeure extrêmement misérable.
Si nous prenons pour acquis que les autochtones comptent pour 9,2 % au moins de la population mexicaine, nous constatons aussi que seulement de 6,8 % de cette même population, soit 68 % des autochtones, parle ou comprend une langue amérindienne. Autrement dit, 32 % des autochtones ignorent maintenant leur langue ancestrale.
En consultant le tableau relatif à la population autochtone par État (recensement de 2000), on constate que 37 % des Mexicains parlent une langue autochtone dans les États d'Oaxaca et du Yucatan, 24,6 % au Chiapas, 22,9 % dans le Quintana Roo, 17,2 % dans le Hildago, 15,4 % dans le Campeche, 13,8 % dans le Guerrero, 11,7 % dans le San Luis Potosi et 10,3 % au Veracruz. On peut affirmer aussi que la moitié des autochtones vivent selon leurs coutumes anciennes, en communautés, même s'ils ne parlent plus leurs langues ancestrales.
2.3 Les langues amérindiennes
Les langues amérindiennes, appelées toujours «langues indigènes) sont fort nombreuses au Mexique. L’organisme Ethnologue du Texas en dénombre exactement 295, mais il est d’usage d’en compter une soixantaine. Il faut comprendre que, parmi toutes ces langues, il existe une grande variété de variétés dialectales et qu’aucune de ces dernières n’est unifiée sur le plan linguistique. D’ailleurs, les locuteurs de ces langues n’ont généralement pas l’impression de parler des langues similaires (appartenant à la même famille ou au même groupe linguistique); ne se comprenant pas entre locuteurs de langues apparentées, ils n’ont pas conscience de parler des langues parfois très proches. Par exemple, il existe en Amérique latine 60 langues appartenant à la famille uto-aztèque, 68 langues de la famille maya, 173 langues de la famille otomangue, etc. C'est pourquoi le caractère identitaire de ces populations est surtout basé sur leur façon de vivre, dans une région donnée, non pas en fonction de leur langue.
On peut consulter un tableau montrant toutes les langues
amérindiennes (ainsi que leurs variétés dialectales) parlées au Mexique, par famille et par État (cliquer
ICI, s.v.p.).
Selon l'Institut national des langues indigènes (Instituto Nacional de Lenguas Indígenas), plus connu sous le sigle INALI, un organisme public fédéral, le Mexique compte 11 familles linguistiques, 68 «groupes linguistiques» et 364 «variétés linguistiques». Pour simplifier les données, on peut dire que les langues numériquement les plus importantes concernent les groupes algique, maya, cochimi-yumana, yuto-nahua, tarasca, mixézoque, seri, chontal d'Oaxaca, otomangue, huave et totonaco-tepehua. Selon l'INEGI (Instituto Nacional de
Estadística y Geografía), les langues comptant plus de 100 000 locuteurs
sont les suivantes: le náhuatl, le maya, les langues mixtèques, le
tzeltal, les langues zapotèques, le tzotzil, l'Otomi, le totonaca,
le mazatèque, le chol, le huasteco, le mazahua, les langues
chinantèques, le mixe, le purépecha et le tlapanèque (voir le
tableau ci-dessous). |
Les principales langues parlées par les autochtones sont les
suivantes:
Langues principales |
1970 | 1990 | 2000 | 2005 | 2010 |
Total |
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Náhuatl |
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Maya |
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Langues mixtèques (a) |
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Tzeltal |
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Langues zapotèques (b) |
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Tzotzil |
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Otomí |
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Totonaca |
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Mazatèque |
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Chol |
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Huasteco |
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Mazahua |
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Langues chinantèques (c) |
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Mixe |
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Purépecha |
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Tlapanèque |
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Tarahumara |
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Zoque |
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Tojolabal |
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Amuzgo (d) |
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Chatino |
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Huichol |
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Chontal (e) |
ND |
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Popoluca (f) |
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Mayo |
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Tepehuano (g) |
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Cora |
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Huave |
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Yaqui |
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Cuicatèque |
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Autres langues |
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Note:
les résultats proviennent pour les dates de recensement suivantes:
le 14 février (2000), 17 octobre (2005) et le 12 juin (2010). a. Pour 1990, les résultats comprennent: le mixtèque, le mixtèque côtier, le mixtèque de la Haute-Mixtèque, le mixtèque de la Basse-Mixtèque, le mixtèque de la zone mazatèque et le mixtèque de l'État de Puebla. Pour l'année 2000, 2005 et 2010 les résultats comprennent: le mixtèque, le mixtèque côtier, le mixtèque de la Haute-Mixtèque, le mixtèque de la Basse-Mixtèque, le mixtèque de la zone mazatèque et le mixtèque de l'État de Puebla. b. Pour 2000 et 2005, les résultats comprennent: le zapotèque, le zapotèque de Cuixtla, le zapotèque d'Ixtlan, le zapotèque de l'Isthme, le zapotèque de Rincon, le zapotèque méridional, le zapotèque de Vallista et le zapotèque de Vijano. Pour l'année 2010, ils comprennent: le zapotèque, le zapotèque d'Ixtlan, le zapotèque de l'Isthme, le zapotèque de Rincon, le zapotèque méridional et le zapotèque de Vallista. c. Pour l'année 1990, les résultats comprennent: le chinantèque, le chinantèque de Lalana, le chinantèque d'Ojitlan, le chinantèque de Petlapa, le chinantèque de Quiotepec, le chinantèque de Sochiapan, le chinantèque d'Usila et le chinantèque de la Valle Nacional. Pour l'année 2000, ils comprennent: le chinantèque, le chinantèque de Lalana, le chinantèque d'Ojitlan, le chinantèque de Petlapa, le chinantèque d'Usila et le chinantèque de la Valle Nacional. Pour l'année 2005, ils comprennent: le chinantèque, le chinantèque de Lalana, le chinantèque d'Ojitlan, le chinantèque de Petlapa, le chinantèque d'Usila, le chinantèque de la Valle Nacional, le chinantèque de Latan et le chinantèque de Yolox. Pour l'année 2010, ils comprennent: le chinantèque, le chinantèque de Lalana, le chinantèque d'Ojitlan, le chinantèque de Petlapa, le chinantèque de Sochiapan, le chinantèque d'Usila et le chinantèque de la Valle Nacional. d. Pour 2005 et 2010, les résultats comprennent: l'amuzgo, l'amuzgo de Guerrero et l'amuzgo d'Oaxaca. e. Pour 2000, ils ne comprennent que le chontal de Tabasco. Pour 2005 et 2010, ils comprennent : le chontal de Tabasco et le chontal d'Oaxaca. f. Pour 2000, ils ne comprennent que le popolaca. Pour 2005 et 2010, ils comprennent: le popoluca de la Sierra, le popoluca dOluta et le popoluca de Texistepec. g. Pour 2005 et 2010, les résultats comprennent: le tepehuano, le tepehuano de Durango et le tepehuano de Chihuahua. NA = non disponible. Source: INEGI (Instituto Nacional de
Estadística y Geografía). Censos de Población
y Vivienda, 1970, 1990, 2000 y 2010. |
2.4 L'emploi des langues autochtones
La situation étant très complexe, il n'est pas facile de décrire l'emploi des langues autochtones au Mexique. Néanmoins, il est possible de proposer trois types de communautés linguistiques: les communautés linguistiques dites «préservées», les communautés «bilinguisées» et les communautés «assimilées».
- Les communautés linguistique «préservées»
Ces communautés vivent généralement dans les régions les plus isolées du Mexique, celles qui fonctionnent plus ou moins à l'écart des centres économiques et qui, par voie de conséquence, ont plus d'autonomie politique. Ces communautés ont su conserver leurs langues ancestrales parce qu'elles n'ont pas ou peu subi d'ingérence de la part des instances gouvernementales, tant fédérales que locales, dans leurs affaires intérieures.
Actuellement, cette situation semble la caractéristique des hauts plateaux du Chiapas, des montagnes situées au nord de Puebla et dans les régions d'Amuzga et de Chatina dans l'État d'Oaxaca. Le taux d'unilinguisme autochtone se situe à 9,6 % au Chiapas et à 7,8 % dans l'Oaxaca. Dans toutes ces régions, l'espagnol apparaît moins utile et l'unilinguisme autochtone, relativement fréquent.
- Les communautés linguistiques «bilinguisées»
Dans ces communautés, le bilinguisme varie d'assez étendu à très généralisé. Les enfants apprennent ordinairement l'espagnol quand ils arrivent à l'école primaire. Pour ces communautés, la connaissance de l'espagnol n'entraîne pas nécessairement la perte de leur langue locale. Vivant dans une situation de diglossie, les autochtones emploient l'espagnol parallèlement avec la langue locale. De façon générale, l'espagnol sert pour les activités non traditionnelles comme l'école ou pour les affaires perçues comme extérieures à la communauté; la langue locale est employée pour les activités dites «intérieures», telles que les communications en famille ou avec les voisins, le travail domestique ou local, ou lors des cérémonies civiques ou religieuses à caractère local. On trouve ce type de communautés linguistiques bilingues dans les États de Camapeche, Chiapas, Guerroro, Hidalgo, Oaxaca, Puebla, Quintana Roo, San Luis Potosi, Veracruz et Yucatan.
- Les communautés «assimilées»
Ces communautés dites «assimilées» se retrouvent principalement dans des régions où la pénétration de la société hispanique moderne est importante, par exemple dans les grandes zones de développement touristique ou dans les zones pétrolières de l'État de Tabasco et du sud de Veracruz. Coupées de leurs racines historiques, les populations autochtones ont été littéralement dissoutes dans la grande masse hispanique. Les autochtones plus âgés peuvent encore parler encore leur langue ancestrale, les autres également, mais avec une plus ou moins grande «élasticité» dans leurs compétences langagières; les plus jeunes ignorent généralement la langue de leurs parents ou de leurs grands-parents. Dans toutes ces communautés, la langue locale n'exerce plus de fonction sociale autre que dans le cercle restreint de la famille. Dans certaines localités, on se sert de la langue indigène uniquement à des fins symboliques ou d'ordre rituel. Dans ce cas, les autochtones ne parlent plus ni ne comprennent la langue de leurs ancêtres.
La carte linguistique présentée ci-contre présente les
États où les autochtones (âgés de cinq ans et plus) parlent une langue
amérindienne dans une proportion de plus de 30 % (Yucatan et Oaxaca).
Entre 15 % et 30 %: Chiapas, Campeche et Quintana Roo. Entre 5 % et 15 %: Vecracuz, Guerrero et Puebla. Entre 2 % et 5 % : Sonora, Chihuahua, Sinaloa, Nayarit, Hidalgo, Michoacan, Tlaxcala, Morelos et Tabasco. Source: Instituto Nacional de Estadística y Geografía (INEGI), Censo de Población y Vivienda, 2000. |
Rappelons une anecdote inventée par les Mexicains qui, facilement, semblent aimer plaisanter sur eux-mêmes et sur leur pays perçu à tort ou à raison comme un «vaste territoire vierge». Lorsque Dieu créa le monde, il aurait prévu pour le Mexique de grandes montagnes, des fleuves gigantesques, de nombreux lacs, des déserts, des volcans, des plaines, etc. Mais, dans l’entourage du créateur, on lui fit remarquer qu'il était dommage de faire un si beau pays sans y mettre d'habitants. Dieu aurait répondu: «Ne craignez rien, j'y mettrai des Mexicains!» Il y a aussi ce mot du dictateur Porfirio Díaz (1830-1915) qui tentait d'expliquer la situation de son pays par l'éloignement de la puissance divine (le Bien?) et par la proximité du voisin du Nord (le Mal?) : «Pauvre Mexique. Si loin de Dieu et si proche des États-Unis.» Plus près de nous, cette boutade: les Mexicains aiment dire que leur pays ressemble à l’ex-URSS, à la différence que les dissidents constituent la majorité du Mexique. On remarquera aussi que toute l'histoire du Mexique est jalonnée de multiples réformes avortées, qui ne se sont jamais révélé la solution rêvée. Retenons une autre constante: la dépossession et le déni des premiers peuples qui ont habité le Mexique.
3.1 La période précolombienne
Les premiers occupants de l’actuel Mexique étaient des chasseurs pratiquant la cueillette; les fouilles archéologiques situent ces premiers humains sur le territoire avec 13 000 ans à 10 000 avant notre ère. Les premières grandes civilisations mexicaines furent celles des Olmèques (2000-500 avant notre ère), puis celles des Zapotèques (900 avant notre ère) et surtout des Mayas (1200 avant notre ère), sans oublier les Toltèques (vers 900), les Mixtèques (vers 1400) et les Aztèques (1345-1521). Vers 1400, l’empire des Mayas s’est éteint, puis en 1521 celui des Aztèques.
Pour bien comprendre ces grandes civilisations, il faut savoir que, par exemple, les Mayas et les Aztèques, vivaient éparpillés dans des cités-États dominées par de gigantesques pyramides. Les Aztèques ont particulièrement construit de grandes villes et ont développé une organisation sociale, politique et religieuse complexe. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’«empire maya» ou l’«empire aztèque» n’a jamais vraiment existé (surtout dans le cas des Mayas): chacune des cités-États formait un petit royaume en soi, lesquelles se faisaient souvent la guerre. Les moeurs, les coutumes sociales, les rites religieux et les langues se ressemblaient, mais ne formaient aucune unité. Cet éparpillement à la fois géographique et social a favorisé la fragmentation linguistique, alors que les langues proviennent toutes d’une même souche, en l’occurrence le proto-maya ou proto-aztèque. Ces langues ont tellement évolué différemment que leurs locuteurs aujourd’hui ne peuvent plus se comprendre entre eux.
3.2 La conquête espagnole (1521 - 1810)
Le premier explorateur européen qui visita le territoire mexicain fut Francisco Fernández de Córdoba. Il découvrit en 1517 la trace des Mayas au Yucatán. En 1519, Hernan Cortés débarqua au Tabasco et fonda Veracruz. Avec ses 553 soldats, ses 16 chevaux, ses 13 mousquets et quelques petits canons, il entra sans résistance dans la capitale aztèque Tenochtitlán (Mexico) — qui fut presque entièrement détruite par les conquistadores — et, en 1522, fut nommé gouverneur et capitaine général par l’empereur Charles Quint, aussi roi d’Espagne. En moins de dix ans, Cortés réalisa la Conquête du Mexique et devint le maître du pays fièrement rebaptisé la «Nouvelle-Espagne», une vice-royauté d’Espagne.
La Conquête ouvrit la voie à la colonisation et à la christianisation, c’est-à-dire à l’emprise des Espagnols sur le continent. Une nouvelle société coloniale se forma. Fondée sur une hiérarchie sociale rigide, celle-ci assura l’exploitation des indigènes et l’exportation des matières premières, surtout l’argent, vers l’Espagne. De son côté, l’Église catholique, avec son tribunal de l’Inquisition (institué en 1571), exerça un pouvoir absolu sur tous les Mexicains. Pendant 300 ans, la colonisation transforma la physionomie du pays et imposa la castillanisation des habitants, notamment chez les Métis et les Criollos (Créoles); quand ils n’étaient pas exterminés, les Amérindiens furent simplement ignorés. C'est de cette époque coloniale que date l’immense richesse architecturale des villes comme Mexico, Puebla, Oaxaca, Guanajuato, Zacatecas, etc. Ce patrimoine témoigne de la prospérité qui régnait sous la domination espagnole. Les Espagnols étendirent le pays vers le nord (conquête du Nouveau-Mexique en 1598) et vers le sud.
Au début du XIXe siècle, le Mexique était certainement l’un des pays les plus riches au monde. Toutefois, cette prospérité s’était faite aux dépens d’une grande «masse indienne» — pratiquement réduite à l’esclavage — et d’un peuple de Métis et de Criollos (Créoles) exploités par une minorité d’Espagnols (parfois de Métis) qui possédaient toutes les richesses. Il y eut quelques tentatives de rébellion amérindienne, dont une en 1712, mais elles furent toutes étouffées dans le sang et leurs meneurs exécutés. Sur une population d’environ 80 millions d'indigènes à l'arrivée des Espagnols, on estime à plus de 70 % la proportion de la population autochtone qui fut décimée par les guerres, les maladies, les travaux forcés et l'alcool. Il s’agit d’un génocide sans précédent qui ne sera jamais dépassé dans les siècles suivants. Par la suite, le régime colonial ignora simplement les populations autochtones qui vécurent en dehors du système. Bien que ces populations aient fait l'objet de ségrégation raciale et territoriale, elles disposèrent ainsi d'une sorte de «zone propre» — des réserves indigènes — où elles pouvaient se perpétuer. D'ailleurs, l'une des revendications les plus connues de la part des indigènes du XVIIIe siècle était qu'on leur enseigne l'espagnol afin qu'ils puissent se défendre contre les abus des Criollos et des Espagnols.
3.4 La lutte pour l’indépendance (1810-1821)
Dès le début du XIXe siècle, les Criollos, ces descendants d’Espagnols nés en Nouvelle-Espagne, commencèrent à revendiquer des libertés économiques ainsi qu’une autonomie accrue. Miguel Hidalgo (1753-1811) et José María Morelos (1765-1815) restèrent les héros de cette époque troublée: la lutte pour l’indépendance embrasa en effet tout le pays. Le Mexique subit aussi les effets des idées libérales de la Révolution française de 1789. Après la conquête de la péninsule ibérique par Napoléon en 1808, l’Espagne dut se résigner à accepter la déclaration d’autonomie du Mexique.
La guerre, qui avait débuté en 1810, avait duré 11 ans et causé plus de 600 000 morts au pays. En juillet 1821, le Mexique proclama son indépendance, qui fut effective lors de la signature du traité de Córdoba par l’ancien général royaliste Agustín de Iturbide et O’Donojù, le dernier vice-roi.
3.5 L’indépendance
Les trois siècles de domination espagnole avaient bien mal préparé le pays à l’indépendance. L’instabilité politique et la ruée vers le profit économique plongèrent le Mexique dans le chaos, alors que les injustices envers les indigènes et la population métissée se multiplièrent. Le couronnement impérial du révolutionnaire mexicain Agustín de Iturbide (comme empereur du Mexique qui comprenait alors l’Amérique centrale), le 21 juillet 1822, symbolisa l'indépendance triomphante face à l'hégémonie séculaire de l'Espagne sur le pays, mais Iturbide fut renversé en mars 1823 par un officier (Santa Anna) qui instaura la république en 1824.
Le pays s’installa alors dans une période d’anarchies pendant laquelle alternèrent les dictatures militaires et les brèves présidences civiles. Les années qui suivirent permirent au Texas (sous contrôle mexicain) de proclamer son indépendance en 1836. Il faut se souvenir que les États-Unis avaient colonisé le Texas avec l’accord des autorités mexicaines et qu’à la veille de la révolution du Texas les Américains représentaient la communauté la plus nombreuse. C’est alors que le Mexique fut entraîné dans une coûteuse guerre contre les États-Unis, qui lui fit perdre, selon les termes du traité de Guadalupe Hidalgo du 2 février 1848, toute la moitié nord du pays. Victorieux, les Américains acquirent en même temps le Texas, l'Arizona et le Colorado. Au même moment, en 1842, le Mexique annexa le Chiapas qui appartenait au Guatemala. À partir de ce moment, on constata un ralentissement de l'extension de la grande propriété seigneuriale en raison des révoltes indiennes. Le Chiapas se distinguera toujours ensuite par un fort esprit d'autonomie.
En 1858, le président Benito Pablo Juárez décida de suspendre les dettes extérieures contractées par les gouvernements précédents, ce qui irrita la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne. Les trois puissances décidèrent d’agir conjointement afin de protéger leurs intérêts économiques. L’expédition hispano-franco-britannique se prépara en novembre et en décembre 1861; les Espagnols arrivèrent le 17 décembre, bientôt suivis des Français et des Britanniques. Mais devant les ambitions coloniales de Napoléon III, les Britanniques et les Espagnols se retirèrent du conflit. Les troupes françaises pénétrèrent seules dans Mexico en juin 1863. Napoléon III proclama l’Empire mexicain et en offrit la couronne à Maximilien (le frère de l’empereur François-Joseph d’Autriche), archiduc d’Autriche (1864-1867). Mais les Mexicains ne supportaient plus ces intrusions dans leur destinée. Devant la pression des États-Unis, la France se désengagea rapidement, ce qui permit à l’armée de Juárez de reconquérir le pays. Maximilien d’Autriche fut fait prisonnier et fusillé le 19 juin 1867, à Querétaro, sur les ordres du président mexicain Juárez. La guerre franco-mexicaine constitua le premier échec de Napoléon III en matière militaire. Après de nombreuses révoltes, le général Porfirio Díaz devint président en 1877.
Le Mexique dut subir la dictature de Díaz (1830-1915) durant près de trente ans (jusqu’en 1911), avec une interruption entre 1880 et 1884. Díaz modernisa le Mexique, mais le développement économique fut en grande partie financé et dirigé par des étrangers. Cette politique économique favorisa les inégalités sociales, alors que les paysans pauvres furent spoliés de leurs terres par les grands propriétaires des haciendas. Un mouvement de révolte s’amorça pour aboutir en 1910 à la Révolution mexicaine. Le réélection de Porfirio Díaz fut fortement contestés et celui-ci dut démissionner en 1911 et prendre la route de l’exil. Francisco Indalecio Madero, le leader de la révolution populaire fut élu président.
Pendant toute cette période, les langues indigènes furent exclues de tout usage officiel et public. Tout indigène qui voulait avoir accès aux rares services publics (instruction, santé, justice, etc.) devait parler l'espagnol. Avec cette politique linguistique de déni, les langues indigènes devinrent encore plus vulnérables que pendant la période coloniale. Cependant, la faiblesse politique et économique de l'État mexicain a empêché la transformation du mode de vie de ces populations de telle sorte que les autochtones ont continué à vivre de façon relativement isolée et ont perpétué leurs langues. En somme, l'espagnol était de peu d'utilité aux autochtones et, de façon générale, leurs langues ancestrales suffisaient pour répondre à leurs besoins de communication.
3.6 La Révolution mexicaine (1910-1920)
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Le président Madero ne put mettre fin aux remous politiques et militaires
qui agitaient le pays. D’autres chefs révolutionnaires, dont Emiliano Zapata
(qui donnera son nom aux zapatistes)
et Pancho Villa, refusèrent de se soumettre aux nouvelles autorités. Les
révoltes armées se succédèrent les unes aux autres. En mars 1911, Zapata
recruta une armée de paysans dans les villages et les haciendas, et
rejoignit la révolution mexicaine au cri de «terre et liberté»; cette
révolution avait pour double objectif le renversement de Díaz et la
redistribution des terres aux petits paysans. Mais la Révolution, qui avait commencé par une révolte des classes moyennes, se transforma en un combat populaire contre la mainmise étrangère sur l’économie, ainsi que pour la séparation radicale de l’Église et de l’État, sans oublier la réforme agraire. |
En août 1915, une commission représentant huit pays latino-américains et les États-Unis reconnut le chef rebelle Venustiano Carranza comme l’autorité légitime du Mexique. Carranza voulut entreprendre des réformes, mais ses politiques irritèrent les compagnies pétrolières étrangères parce qu’il avait déclaré que le pétrole constituait une ressource naturelle mexicaine inaliénable et avait imposé des taxes sur les champs pétrolifères. Le président Carranza essaya d'imposer par la force au Chiapas les lois constitutionnelles mexicaines concernant la réorganisation des propriétés, le loi contre l'usure, le régulation du travail salarié, la réforme de l'éducation, la réduction du pouvoir de l'Église, etc. Il en résulta un soulèvement armé (les «Mapuches») contre les troupes gouvernementales. Les milices mapuches vinrent à bout des troupes de Carranza peu avant 1920. En 1920, trois généraux se rebellèrent contre le président Carranza qui fut tué, tandis que l’un des généraux, Álvaro Obregón, accéda au pouvoir. Après une présidence difficile marquée par les guerres civiles, celui-ci fut assassiné à son tour en 1928 par un fanatique religieux.
Après les assassinats successifs de tous les chefs révolutionnaires (Zapata, Villa, Carranza et Obregón), le mythe révolutionnaire fut récupéré et institutionnalisé dans le Parti national révolutionnaire (PNR) créé en 1929; ce sera plus tard le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le garant des acquis de la Révolution. Le programme du PNR fut mis en place en 1934 avec l’élection du président Lázaro Cárdenas qui favorisa les réformes agraires, la protection sociale et l’éducation. Cárdenas fut considéré comme l'instigateur d'une «seconde révolution mexicaine». En 1938, le gouvernement mexicain expropria les biens des compagnies pétrolières étrangères et fonda la société nationale PEMEX pour administrer l’industrie pétrolifère (nationalisée). Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), pour sa part, allait se maintenir au pouvoir jusqu’en 2000, ce qui donne une idée de la continuité politique du Mexique.
En somme, l’histoire mexicaine n’a jamais été tendre pour ses héros. C’est le célèbre écrivain mexicain Carlos Fuentes qui écrivit: «Il n'y a pas eu un seul héros qui ait réussi, au Mexique. Pour être des héros, ils ont dû périr.» En effet, ont été fusillés Miguel Hidalgo (et son célèbre «Que vivá Mexico!»), José María Morelos, Pancho Villa, l'empereur Maximilien, Emiliano Zapata, Huerta, Madero, etc.; Bartolomé de Las Casas, le «père des Indiens» fut déchu, Carranza, le «père de la Constitution mexicaine» fut assassiné. Toutes ces figures, qui ont façonné la nation mexicaine, sont aujourd’hui encore respectées et adulées.
Néanmoins, l'histoire du Mexique depuis l'Indépendance s'est faite sans l'apport des populations autochtones. Jamais une quelconque mesure de protection concernant les langues nationales ne fut adoptée par un gouvernement. On constate une diminution de l'ordre de 40 % dans le nombre des langues autochtones, alors que l'espagnol devint officiellement la langue nationale dans l'enseignement publique. Déjà, à la fin du XIXe siècle, on constatait la disparition d'un grand nombre de langues dans tout le Mexique, notamment le californiano, le lipano, le comanche, le concho, le chuchona, le guasave, l'ópata, le tubar, le pochuteco, le chiapaneco, etc. Et la tendance s'est perpétuée tout au long du XXe siècle. Le mouvement révolutionnaire qui a commencé en 1910 ignora le Chiapas, ce «Midi» mexicain où les pratiques de l'oligarchie locale ont interdit non seulement la restitution de la terre au paysans, mais la lui ont même arrachée au bénéfice des éleveurs de bétail, des propriétaires fonciers qui exploitèrent le Chiapas comme une réserve coloniale.
3.7 Le Mexique contemporain
À partir de 1940, le régime mexicain s’organisa dans une démocratie relative et un compromis politique qui laissa le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) au pouvoir, la richesse aux entrepreneurs et les garanties d’un niveau de vie minimal au peuple. En juin 1945, Le Mexique devint officiellement membre de l’ONU. Après une première fissure survenue en 1968 à la suite de la révolte des étudiants et du massacre de Tlateloco (la répression ayant fait plus de 400 morts), la crise économique des années quatre-vingt, qui succédait aux illusions du boom pétrolier, accéléra le déclin du régime politique. En 1970, Luis Echeverría Álvarez, candidat du PRI, devint président et poursuivit une stratégie plus équilibrée de croissance économique; il introduisit des mesures destinées à réduire le contrôle de l’économie par les étrangers et à accroître les exportations. En 1976, la découverte de larges réserves de pétrole brut dans les États de Campeche, Chiapas, Tabasco et Veracruz fit croire au PRI que le pays pourrait accélérer son développement économique.
José López Portillo, le candidat du PRI, fut élu à la présidence en 1976. Il poursuivit une politique d’austérité économique en appelant les travailleurs à modérer leurs revendications salariales et les patrons à maintenir des prix bas et à accroître leurs investissements; dans le domaine des affaires étrangères, Portillo resserra les liens avec les États-Unis et rétablit des relations diplomatiques avec l’Espagne. La production de pétrole doubla pendant la seconde moitié des années soixante-dix, ce qui permit au Mexique de s’affranchir partiellement de la tutelle des États-Unis. En 1982, Miguel de la Madrid succéda au président López Portillo. De tendance nationaliste, il tenta de réglementer l’usage de l’anglais dans le district fédéral de Mexico.
Face au candidat de l’opposition, Cuauhtémoc Cárdenas, fils de l’ancien chef de l’état, le président Carlos Salinas de Gortari, candidat du PRI, fut élu en 1988, malgré des accusations de fraudes électorales. Salinas dut, lui aussi, entreprendre un certain nombre de réformes. Dès 1989, le gouvernement Salinas accéléra la privatisation des entreprises nationalisées et prit des mesures pour inciter les étrangers à investir en leur permettant de contrôler entièrement les entreprises. Le 5 septembre 1990, le Mexique signa la Convención sobre pueblos indígenas y tribales (la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux) de l'Organisation internationale du travail, et reconnut une certaine autonomie aux indigènes afin de clamer leurs revendications. En décembre 1992, Salinas, le président des États-Unis (George Bush, père) et le premier ministre canadien (Brian Mulroney) signèrent le TLCAN, le Tratado de Libre Comercio de América del Norte, c’est-à-dire l’Accord de libre-échange nord-américain ou ALENA (en angl.: North American Free Trade Agreement). Le Parlement mexicain ratifia l’accord en 1993 et le traité prit effet le 1er janvier 1994, créant ainsi la plus grande zone de libre-échange du monde. Néanmoins, aucune mesure efficace ne put réduire l’importante dette extérieure du pays.
3.8 Les revendications autochtones
Le 1er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), un groupe d’autochtones, appelé l’Armée zapatiste de libération nationale (Ejercito Zapatista de Libéracion Nacional) — en hommage au guerillero Emiliano Zapata qui vécut de 1879 à 1919 —, s’empara de quatre villes du sud dans l’État du Chiapas et exigea des réformes en profondeur. Bien que les troupes gouvernementales aient rapidement repris une grande partie du territoire occupé par les rebelles, le groupe rebelle donna naissance à un vaste mouvement pour la réforme politique au Mexique. En août de la même année, Ernesto Zedillo (PRI) fut élu président de la République. Toutefois, l’ampleur de la récession et de la crise financière et monétaire (avec un déficit d’environ 30 milliards de dollars), la résurgence de la question autochtone (insurrection du Chiapas sous la direction du charismatique «subcomandante Marcos») et la multiplication des scandales politico-judiciaires (révélant, entre autres, la lutte que se livraient certains politiciens influents au sein du PRI) soulignèrent les limites de ces réformes.
Le gouvernement mexicain entreprit en 1994 de reconnaître constitutionnellement les droits culturels des autochtones, mais cette reconnaissance était accompagnée d'une politique économique de type néolibéral qui accentuait la pauvreté des peuples autochtones et, en conséquence, la marginalité de leurs langues. Le conflit s’intensifia entre les zapatistes et le gouvernement au début de 1995. Le gouvernement mexicain ressentit la nécessité d’établir à nouveau son autorité en lançant une opération militaire qui permit de reprendre le contrôle de plusieurs municipalités occupées et de repousser les guérilleros. Toutefois, l’armée nationale ne parvint jamais à s’emparer des dirigeants zapatistes.
L’échec de cette offensive entraîna une reprise des négociations qui aboutirent à la signature d’un accord, le 16 février 1996, à San Andrés Larrainzer (Chiapas). Cet accord prévoit l’inclusion dans la Constitution de 1917 d’une série de droits pour les autochtones, notamment une forme d’autonomie permettant «l’exploitation collective des ressources naturelles dans les communautés indigènes». Néanmoins, la situation demeura tendue, alors que les pourparlers sur l’application de l’accord de San Andrés furent interrompus en 1996; le gouvernement refusait notamment que la notion de «propriété collective» soit reconnue constitutionnellement.
En 1997, le président E. Zedillo tenta bien de relancer les pourparlers en proposant l’adoption d’une loi permettant la mise en place d’un «pacte social» en faveur des «56 ethnies du pays». Parallèlement, les zapatistes fondèrent un parti politique indépendant, le Front de libération nationale. En juin 1998, le démantèlement par l’armée de la quatrième «municipalité autonome» (38 villages zapatistes ont été fondés depuis le début du conflit) donna lieu à de violents affrontements entre l’armée et l’AZLN — ou en espagnol la EZLN (l’Armée zapatiste de libération nationale). Tout dialogue entre les zapatistes et le gouvernement fut rompu jusqu’en septembre de la même année, lors de la reprise des négociations de paix.
Aujourd'hui, le mouvement zapatiste s'est fait damner le pion par la Mara Salcatrucha originaire du Salvador. Dans la langue populaire salvadorienne, mara signifie «bande», salva est le diminutif de «salvadorien» et trucha veut dire «futé». C'est une bande de jeunes assassins, rasés et tatoués, que rien n'arrête. Ce sont les orphelins de la la guerre que Ronald Reagan a livrée en Amérique centrale dans les années quatre-vingt-dix. Il se sont installés dans le Chiapas. Les zapatistes ne sont plus beaucoup d'actualité; la Mara Salcatrucha, oui.
3.8 Le Mexique démocratique
Déclenchée par le mouvement zapatiste, l'éternelle réforme de la vie politique dut se poursuivre. Pour la première fois depuis 1929, le PRI, perdit la majorité absolue à la Chambre des députés, lors des élections législatives du 6 juillet 1997. Au même moment, Cuauhtémoc Cardenas, l’un des leaders du parti de la Révolution démocratique (PRD), une formation de gauche, fut élu maire de Mexico au suffrage universel. Le gouvernement dut ensuite faire face, en 1997, à d’importants problèmes de corruption liés en particulier au trafic de drogue, ainsi qu’à une chute des cours du pétrole. En octobre de la même année, la presse mexicaine fit état d'une forte concentration de troupes au Chiapas: plus de 40 000 soldats. En mars 1999, deux millions et demi de Mexicains participent à la consultation organisée par les zapatistes pour réclamer à une écrasante majorité l’inclusion de la «loi indigène» dans la Constitution mexicaine. Le 2 juillet 2000, le parti au pouvoir depuis 1929, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) perdit l'élection présidentielle historique au profit du candidat de droite et chef du Parti d'action nationale (PAN), Vicente Fox. Cette victoire, qui mettait fin à 71 années de pouvoir du Parti révolutionnaire institutionnel, marquait pour plusieurs «la victoire de la démocratie».
Le 1er décembre 2000, Vincente Fox Quesada devenait président des États-Unis du Mexique. Lors de son discours d'investiture, le nouveau président avait lancé un vibrant «Jamais plus un Mexique sans vous!» M. Fox voulait ainsi montrer qu'il allait «s'occuper prioritairement» de la question autochtone, puisque le slogan «Jamais plus un Mexique sans nous» était celui adopté par le Congrès national indigène de 1996. Le président Vicente Fox s’engage à privilégier la croissance afin de réduire le chômage et améliorer les revenus de la population. L’une de ses principales ambitions est le développement du commerce: il mise sur un renforcement des échanges au sein de l'ALENA et espère beaucoup de la future Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Le président a repris les négociations de paix avec l'Armée zapatiste de libération nationale au Chiapas et a retiré, en mars 2001, les troupes fédérales (qui n'auraient été que «repositionnées») de sept bases du Chiapas, l'une des trois conditions de base fixées par les rebelles pour reprendre les discussions de paix. Plusieurs dirigeants zapatistes — dont le sous-commandant Marcos — se sont rendus à Mexico, au terme d’un voyage historique, à travers plusieurs États du sud et du centre du pays pour exposer les revendications des autochtones devant le Congrès.
Puis ce fut la débandade encore une fois. Le président Vicente Fox a bien fait parvenir au Sénat pour discussion et approbation, le 5 décembre 2000, la fameuse proposition de loi Cocopa ("Comisión de Concordia y Pacificación" ou Commission de concorde et de pacification) proposée par toutes les organisations autochtones. Mais, en avril 2001, le projet de loi sur les droits des indigènes (la «loi Cocopa») a été modifié par le Sénat avant d’être adopté par les deux Chambres, de telle sorte que les dispositions garantissant l'autonomie et l'auto-détermination se sont trouvées considérablement atténuées. Les zapatistes ont carrément rejeté le projet de loi et interrompu toute négociation. Pour reprendre tout dialogue avec le gouvernement, les zapatistes attendent voir se réaliser trois conditions: le démantèlement des bases militaires (qui n’ont été que «repositionnées»), la libération de tous les prisonniers zapatistes et l’adoption intégrale par le Congrès de la «loi Cocopa».
Quant au président Fox, ou il n'a pas compris les enjeux ou il a trompé les autochtones. Tout de suite après l'adoption de la loi sur les indigènes, il s'est aussitôt félicité du vote et a déclaré avec enthousiasme que le conflit armé était «désormais terminé» et que «l'allégresse remplissait le cœur de chacun des Indiens du Mexique». Pour les zapatistes, le président a seulement fait semblant de faire sienne «l'initiative de la loi Cocopa» pendant qu'il négociait avec les représentants durs et purs du Congrès une «réforme» qui ne reconnaîtrait pas vraiment les droits des autochtones. La loi, telle qu'adoptée, supprime des parties essentielles du projet de la COCOPA: la reconnaissance des communautés comme sujets de droit ; la reconnaissance des territoires indigènes ; l'utilisation et la jouissance collectives des ressources naturelles qui se trouvent dans lesdits territoires et la possibilité d'association des communautés et municipalités indigènes. Depuis, tout est à recommencer.
Depuis le 1er décembre 2006, Felipe Calderon est le président du Mexique. Contrairement à son prédécesseur, le président Calderon n'a pris aucun engagement explicite et clair au sujet du respect des droits de l'Homme et du droit des indigènes. Depuis son élection, il s'est lancé dans la guerre contre le trafic de la drogue au Mexique. De graves violations des droits humains ont été commis par des militaires, notamment dans les États de Chihuahua, de Chiapas, d'Oaxaca et de Guerrero. Un groupe d'avocats a poursuivi Calderon devant la Cour internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité pour la mort de quelque 50 000 personnes au cours de la guerre contre le trafic de la drogue et du crime organisé. Felipe Calderon affirme vouloir trouver refuge au Brésil à la fin de son mandat parce qu'il craint pour sa vie.
Le gouvernement mexicain semble maintenant près de reconnaître les droits légitimes des autochtones, mais les réalisations se font attendre. Les autochtones veulent être considérés comme des citoyens à part entière et trouver enfin leur place dans l'économie mexicaine. Une nouvelle réforme de la Constitution, définissant le statut d'autonomie et d'autodétermination des peuples indigènes, est à l'ordre du jour. Cependant, n'oublions pas que beaucoup de Mexicains hésitent à accorder une grande autonomie, car les milieux les plus conservateurs agitent le «spectre de la balkanisation» du Mexique et du «séparatisme». La réforme de la Constitution est devenue la principale revendication de l'Armée zapatiste de libération nationale, laquelle joue plus que jamais le rôle de «chien de garde» du mouvement autonomiste des autochtones. Les zapatistes défendent aujourd'hui le droit pour des communautés appartenant à des ethnies diverses de se rassembler dans des circonscriptions administratives nouvelles au sein desquelles elles définiraient des règles propres de gouvernement. C'est la nature même de l'État mexicain qui semble ici remise en question. C'est justement cela que le gouvernement veut à tout prix éviter. Dans toute l'histoire du Mexique, la situation d'extrême pauvreté, d'injustice, de pillage et de dépossession, de viol, dans laquelle vivent les autochtones depuis le XVIe siècle demeure une constante qui a traversé la période coloniale et la Révolution, sans qu'aucune solution n'ait été trouvée jusqu'à maintenant. Aujourd'hui, la minorité indigène est portée aux nues dans les musées, mais on continue de plus belle de l'exploiter dans la vie; on la méprise et on ne lui rend pas justice. Le paternalisme ambiant la maintient dans une situation quasi archéologique.
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