République populaire de Chine
Région autonome ouïgoure
du Xinjiang

Xinjang Uyghur Aptonom Rayoni

Capitale: Ürümqi
Population: 24,8 millions (2018)
Langues officielles: chinois et ouïgour 
Groupe majoritaire:  aucun
Groupes minoritaires: 
ouïghour (51 %), chinois (34 %), kazakh (6,8 %), kirghiz (0,9 %), mongols (0,8 %), dongxiang (0,3 %), tadjiks (0,2 %), xibé (0,2 %), russe, tatar, ouzbek, daur, miao, tibétain, tujia, etc.
Système politique: région autonome
Articles constitutionnels (langue): art. 4, 19 et 134 de la Constitution de 1982
Lois linguistiques: Règlement sur l'usage administratif des cantons ethniques (1993)
; Règlement sur le travail des minorités ethniques dans les villes (1993); Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001).
Lois à portée linguistique:
Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001-2015, en vigueur)
;
Loi sur la procédure administrative (1990); Règlement sur l'éradication de l'analphabétisme (1988-1993); Loi sur la carte d'identité de résident (2003); Loi organique sur les tribunaux populaires (2010); Loi sur le patrimoine culturel immatériel (2011); Loi sur la procédure pénale (2012); Loi sur l'éducation (2015); Loi sur la procédure civile (1991-2017); Loi sur l'enseignement obligatoire (2018); Loi sur la fonction publique (2018); Code civil (2020); Règlement détaillé pour la mise en œuvre de la loi sur l'enseignement obligatoire (2020); Loi sur la radio et la télévision (2021); Règlement d'application de la Loi sur la promotion de l'enseignement privé (2021); Esquisse pour le développement des enfants en Chine (2021-2030); Loi organique des assemblées populaires locales et des administrations populaires locales à tous les niveaux (2022).
Réglementation locale: Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (2002)

1 La situation géographique

La Région autonome ouïghoure du Xinjiang (en anglais: Xinjiang Uygur Autonomous Region) est une province de l'extrême nord-est de la Chine. Le mot Xinjiang doit se prononcer comme [sssin-djiang]. Pour les Chinois, le territoire porte le nom de Région autonome ouïgoure du Xinjiang chinois (中国新疆维吾尔自治区), mais pour les Ouïghours, c'est "Xinjang Uyghur Aptonom Rayoni" ou simplement le "Turkestan oriental". C'est la plus vaste région autonome de Chine avec 1 646 800 de kilomètres carrés, ce qui représente l'équivalent d'un pays aussi vaste que la Mongolie (1,5 million km²); par comparaison,  le Xinjiang est au moins deux fois grand que l'Ukraine (603 700 km²) ou que la France (547 030  km²). Si le Xinjiang était un État indépendant, il se situerait du point de vue de sa superficie au 16e rang (sur 194) après la Libye, mais avant l'Iran.

Le Xinjiang est limité à l'ouest et au nord-ouest par le Tadjikistan, le Kirghizistan, et le Kazakhstan, au nord-est par la Mongolie, à l'est par les provinces chinoises de Gansu et de Qinghai, au sud par le Tibet et au sud-ouest par l'Inde et l'Afghanistan. La capitale du Xinjiang est Ürümqi (à prononcer comme [ouloumtchi]).

Le mot Xinjiang (en chinois, Xīnjiāng; en ouïghour, Shinjang) signifie «nouveaux territoires», «nouveau front pionnier», «nouvelle marche» ou encore en anglais «nouvelles frontières». Les Américains diraient que c'est «le Far W/est des Chinois». Pour les Ouïghours, leur pays s'appelle le Turkestan oriental, une dénomination refusée par Pékin qui préfère Turkestan chinois. Avant le XIXe siècle, les Chinois désignaient la région par le mot Xiyu («région d’Occident» ou «contrées occidentales»). En fait, c’est l’empereur Qianlong de la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911), qui employa cette expression en 1768. Évidemment, les autorités chinoises ont toujours refusé, malgré les demandes répétées des représentants des Ouïghours, la formation d'une sorte de Ouïghouristan, une entité qui aurait disposé, à l'instar des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan), d'une autonomie plus étendue que celle que Pékin aurait pu tolérer pour une région autonome, ce qui entrait en contradiction avec la tradition centralisatrice des Chinois.

1.1 La région autonome

Rappelons les cinq régions autonomes «égales en statut à la province»:

Nom
de la région autonome

Date
de fondation

Capitale
régionale

Superficie
(km2)

Population
en 2015

Ethnie
majoritaire 2020

Ethnies
 minoritaires


Région autonome de Mongolie intérieure
 


1er mai 1947


Hohhot


1 197 547


24,7 millions


Hans (79%)


Mongols
(17%), Mandchous (2%), Hui (0,9%), Daur (0,3%)

Région autonome zhuang du Guangxi
 


15 mars 1958


Nanning


237 693


50,1millions


Hans
(62%)

Zhuangs (32%), Yao (3%, Hmong (1%), Dong (0,7%), Gelao (04%)

Région autonome du Tibet
 

1er septembre 1965


Lhassa


1 228 400


3,2 millions


Tibétains (90,0%)

Hans (6,1 %), Hui (0,3 %), Monba (0,3 %), autres (0,2 %)

Région autonome du Ningxia
 

25 octobre 1958


Yinchuan


62 818


6 millions


Hans (79 %)


Hui (20 %), Mandchous (0,4 %)

Région autonome ouïghoure du Xinjiang

1er octobre 1955


Urumqi


1 655 826


24,8 millions


Ouïghours (45 %)

Hans (41 %), Kazakhs (7 %), Hui (5 %), Kirghizes (0,9 %), Mongols (0,8 %), Dongxiang (0,3 %), Tadjiks (0,2 %), Xibe (0,2 %)

En principe, le statut de régions autonomes s'applique aux provinces comptant historiquement d'importantes minorités nationales, telles que les Hui (le Ningxia), les Mongols (la Mongolie intérieure), les Zhuangs (le Guangxi), les Tibétains (le Tibet) et les Ouïghours (le Xinjiang). En plus de ces cinq régions autonomes, la Chine compte aussi 30 départements autonomes et 124 cantons autonomes et, dans certains cas, des districts autonomes. En principe, les régions autonomes s'occupent de leurs affaires intérieures, le pouvoir central chinois se réservant généralement la défense, les affaires étrangères et une foule d'autres prérogatives. Les matières suivantes sont réglementées par la province ou la région autonome: l'éducation, la santé publique, les industries et communications provinciales, l'administration et la mise en vente des propriétés de la province, l'administration des municipalités sous juridiction provinciale, les coopératives provinciales, l'agriculture et les forêts, la conservation des eaux, la pêche et l'élevage, etc.  Dans les faits, les régions autonomes n'ont qu'une faible marge de manœuvre, car les autorités chinoises demeurent omniprésentes.

1.2 Les divisions administratives

Le Xinjiang est le plus grand territoire administratif de la Chine; il s'étend sur 1,6 million de kilomètres carrés sur certains des terres parmi les plus difficiles du monde. En effet, le Xinjiang se compose du bassin du Tarim (le fleuve principal de la région); il est couvert par le deuxième plus grand désert de sable du monde et par la Dzoungarie, une zone mixte de désert, de steppe et de forêt. Seuls 9,7 % environ de la superficie du Xinjiang est réellement habitable. L'éloignement et l'environnement hostile de la région en ont fait l'équivalent de la «Sibérie chinoise», ce qui s'est avéré pratique de la part du gouvernement chinois pour se débarrasser des criminels notoires et des indésirables politiques.

Au point de vue administratif, le Xinjiang est divisé en municipalités, en départements et en départements autonomes.  De façon simplifiée, le Xinjiang compte plusieurs niveaux distincts:

Les villes-départements ou villes-districts (sous-départements):

      Ürümqi (la capitale), Karamay, Shihezi, Wujiaqu, Aral et Tumxuk

Les départements et départements autonomes :
    
      Altay (ou Altaï) : subdivision du département autonome kazakhe d'Ili
      Tacheng : une subdivision administrative du département autonome kazakh d'Ili;
      Changji : département autonome pour le peuple des Hui;
      Bortola : département autonome pour le peuple mongol;
      Ili Kazakh : département autonome kazakh d'Illi;
      Turpan : département;
      Hami : département;
      Aksu : département;
      Kizilsu : département autonome kirghiz;
      Kachgar (ou Kasgar) : département;
      Hotan : département;
      Bayingolin
: département autonome mongol;

Voici un résumé pur chacun des départements (incluant la capitale Ürümqi) avec les recensements de 2000 et de 2010, la superficie, la majorité et la minorité principale:

Département Recensement 2000 Recensement 2010 Superficie Majorité Minorité principale
Aksu 1 980 354 2 370 809 131 161 km² Ouïghours Hans
Altay (Altaï) 561 667 603 283 118 015 km² Kazakhs Hans
Bayingolin 1 056 970 1 278 486 462 700 km² Hans Ouïghours
Bortala 424 040 443 680 10 000 km² Hans Kazakhs
Changji 1 331 929 1 428 587 77 129 km² Hans Hui
Hami 492 096 572 400 140 749 km² Hans Ouïghours
Hotan 1 681 310 2 014 362 247 800 km² Ouïghours Hans
Illi Kazakh 2 209 623 2 482 592 546 381 km² Hans Kazakhs
Kachgar 3 405 713 3 979 321 112 457 km² Ouïghours Hans
Kizilsu - 525 599 69 112 km² Ouïghours Kirghizes
Tacheng - 1 299 212 98 824 km² Hans Kazakhs
Turpan 550 731 622 903 70 049km² Ouïghours Hans

Ürümqi (ville-département)

2 081 834

3 112 559

14 577 km²

Hans

Ouïghours

Cependant, la réalité administrative est très complexe, car il faut compter 62 xian (similaires au district), 6 xian autonomes, 11 districts, 10 districts de xian, 1009 subdivisions de niveau canton, 582 cantons et 299 bourgs.

De plus, il existe à côté des «départements» (en anglais: "prefectures") des «départements autonomes» ("autonomous prefectures"), des «villes-départements» ("prefecture-level city") et des «villes-départements à administration directe» (" directly-administered county-level city»).

2 Données démolinguistiques

La composition de la population du Xinjiang est hétérogène et complexe: on y recense plus d'une vingtaine de groupes ethniques pour une population de 24,8 millions. De fait, le recensement de 2015 révélait que 59,3 % des 19,6 millions d’habitants qui composaient la population de la région autonome n'étaient pas d'origine han. Les données gouvernementales de 2018 révèlent que les Ouïghours constituent 51,1 % de la population, tandis que les Hans représenteraient 34,4%. Sauf que les statistiques ne prennent pas en compte les militaires ni les fonctionnaires et commerçants qui y résident sur une base temporaire.

2.1 Les groupes ethniques

Groupes ethniques du Xinjiang
Selon les statistiques de l'échantillonnage de la population, fin 2015 Données gouvernementales 2018
Nationalité Population Pourcentage Population Pourcentage
Ouïghour 11,303,300 46,42% 11 678 646 51,1%
Han 8,611,000 38,99% 7 857 370 34,4%
Kazakh 1,591,200 7,02% 1 574 930 6,8%
Hui 1,015,800 4,54% 1 015 700 4,4%
Kirghiz 202,200 0,88% 208 346 0,9%
Mongols 180,600 0,83% 178 993 0,7%
Tadjik 50,100 0,21% 51 355 0,2%
Xibe 43,200 0,20% 42 772 0,1%
Mandchou 27,515 0,11% 27 372 0,1%
Tujia 15,787 0,086% ---- ---
Ouzbek 18,769 0,066% 19 652 0,08%
Russe 11,800 0,048% 11 604 0,05%
Miao 7,006 0,038% --- ---
Daur --- --- 6 793 0,03%
Tibétain 6,153 0,033% --- ---
Zhuang 5,642 0,031% --- ---
Tatar 5,183 0,024% 5 019 0,02%
Salar 3,762 0,020% --- ---
Autres 129,190 0,600% 156 024 0,68%
Après les Ouïghours et les Hans, suivent les Kazakhs (6,8%), les Hui (4,4%), les Kirghizes (0,9%), les Mongols (0,7%), les Tadjiks (0,2 %), les Xibe (0,1%), les Mandchous (0,1%), etc.

Dans ces conditions, il il difficile de considérer les Ouïghours comme le peuple majoritaire dans le Xinjiang, bien qu'ils constituent l'ethnie la plus importante.

Cependant, il faut considérer chacun des départements pour constater que les Ouïghours sont loin d'être majoritaires dans l'ensemble du Xinjiang. Ils ne sont majoritaires que dans les départements suivants (voir la carte ci-dessous: «Présence des Ouïghours»):

Département du Hotan
Département du Kashgar
Département d'Aksu
Département du Turpan
Département autonome du Kizilsu
 

Il faut ajouter aussi la ville de Tumxuk où les Ouïghours constituent 67,4% de la population. 

2.2 La répartition de la population

Le tableau 1 permet de constater que, sur 12 départements, les Ouïghours ne sont majoritaires que dans cinq départements, bien qu'ils soient très concentrés dans les départements du Hotan et de Kachgar, un peu moins dans le département d'Aksu et encore moins dans les deux autres (Turpan et Kizilsu):

Tableau 1 (2018)

Ouïghours (%) Han(%) Kazakhs (%) Autres (%)
Xinjiang (total) 51,14% 34,41 6,90 7,55
Département de Hotan 96.96% 2,85  0,005 0,19
Département de Kachgar 92.56% 6,01  0,005 1,42
Département d'Aksu 80.08% 18,56 0,01 1,36
Département de Turpan 76.96% 16,84 0,05 6,15
Département autonome de Kizilsu 66.24% 6,29 0,03 27,44
Ville de Tumxuk 67,49% 31,73 0,005 0,78

Le département autonome de Kizilsu a la particularité d'avoir comme minorités principales les Kirghizes (27,44%), suivis par les Hans (6,29%).

Tableau 2 (2018)

Han(%) Ouïghours (%) Kazakhs (%) Autres (%)
Xinjiang 34,41 51,14% 6,90 7,55
Ville-département de Wujiaqu (AD) 96,29 0,05 0,10 3,55
Ville-département de Tiemenguan (AD) 95,96 0,07 0,0 0,97
Ville-département de Shihezi (AD) 94,13 1,09 0,63 4,15
Ville-département d'Aral (AD) 91,96 3,66 0,005 4,38
Ville-département de Karamay  74,67 15,59 4,05 5,69
Département autonome hui de Changji 72,29 4,89 10,34 12,49
Ville-département de Changji 72,28 4,89 10,34 12,49
Ville-département d'Ürümqi  71,21 12,85 2,77 13,16
Département de Hami 65,49 20,01 10,04 4,46
Département autonome de Bortala 63,27 14,76 10,41 11,56
Département de Tacheng 54,66 4,25 26,66 14,43
Département autonome de Bayingolin 53,31 36,38 0,11 10,20
Le tableau 2 montre que les Hans sont majoritaires dans cinq départements (Changji, Hami, Bortala, Tacheng et Bayingolin), mais également dans la plupart des villes-départements, et ce, dans des proportions très élevées. 

Tableau 3 (2018)

Han(%) Ouïghours (%) Kazakhs (%) Autres (%)  
Xinjiang 34,41 51,14% 6,90 7,55 -
Département autonome d'Illi Kazakh 40,09 17,95 27,16 14,80 Hui
Département autonome Kazakh d'Altay 39,85 1,42 52,76 5,97 Mongols

Le tableau 3 présente deux départements particuliers: l'Illi Kazakh et l'Altay, lesquels comptent des communautés kazakhes importantes, ainsi qu'une communauté mongole.

2.3 Les habitats des Ouïghours

Au Xinjiang, les Hans, y compris les Hui, ont une nette tendance à habiter dans les villes et les petites localités urbaines, ou encore près des routes stratégiques et des chemins de fer. Les Hans se concentrent plus particulièrement au sud de la Dzoungarie et ils se répartissent le long d’un axe est-ouest allant de Komul en passant par Ürümqi jusqu'à Karamay et Jinghe, avec une branche s'étendant vers Aksu, Kachgar, Yarkand et Khotan.

Les Ouïghours, les Kazakhs et les Mongols habitent davantage les steppes, les montagnes et les déserts. Les Ouïghours, qui représentaient en 2018 quelque 51 % de la population totale de la région autonome, sont concentrés principalement dans le bassin du Tarim et dans la région de Kuldja, alors que les Kazakhs (6,9%) sont regroupés dans les vallées des départements de l'Altay (ou Altaï) et de l’Ili en Dzoungarie. Malgré les chiffres officiels qui se veulent rassurants à l'égard des Ouïghours, il est généralement admis que les Chinois hans sont probablement majoritaires au Xinjiang.

Cela étant dit, les diverses ethnies du Xinjiang sont plus mélangées que ne le laisse croire la carte ci-dessous. Ainsi, le petit département de Karamay (n° 2 sur la carte des départements) compte 74,6% de Hans, le reste étant composé d'Ouïghours, de Kazakhs, de Mongols et de Hui.

Pour les autorités chinoises, les Ouïghours sont officiellement appelés des «Turcs mongols» ou «Turco-Mongols».

Le département de Turpan compte 76,9% d'Ouïghours, 16,8% de Han, 6,3% de Hui et quelques autres communautés. Les Hans forment 65,4% du département de Hami, contre 20,0% pour les Ouïghours, 10,0% pour les Kazakhs et 2,9 % pour les Hui. Le département du Kachgar (3,9 millions) semble plus hétérogène avec 92,5% d'Ouïghours, 6,0% de Hans, 0,9 % de Tadjiks, ainsi que quelques petits groupes de Kirghizes, de Hui, d'Ouzbeks, de Tujia, de Miao, de Mongols, de Tibétains, etc.

2.4 Les langues

Dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, on distingue trois groupes de langues: les langues turciques de la famille altaïque, les langues sino-tibétaines et les autres groupes.

- Les langues turciques

Les langues dites turciques forment un groupe comptant une trentaine de langues réparties dans une vaste région allant de la Turquie, de Chypre, de l'Europe de l'Est jusqu'à l'ouest de la Chine (Xinjiang) et en Russie (Sibérie). On estime que de 200 à 250 millions de locuteurs parlent une langue turque comme langue maternelle. Parmi les langues turciques, mentionnons principalement le turc, l'azéri (ou azerbaïdjanais), l'ouzbek, le kazakh, l'ouïghour, le turkmène, le kirghize, le tatar, le bachkir et le tchouvache. Les langues turciques font partie de la famille altaïque qui comprend aussi les langues mongoles et toungouzes.

Les Ouïghours parlent l'ouïghour, une langue turcique comme le kazakh, l'ouzbek, le kirghize, etc. L'ouïghour est fragmenté en trois grandes variétés dialectales:

- l'ouïghour central ;
- le hotan (ou hetian):
- le lop (ou luobu).

En fait, il existe un grand nombre de variétés dialectales parlées selon les villes et les cantons : Kashgar-Yarkand (Kashi-Shac he), Yengi Hissar (Yengisar), Khotan-Kerya (Hotan-Yutian), Charchan (Qarqan, Qiemo), Aksu (Aqsu), Qarashahr (Karaxahar), Kucha (Kuqa), Turfan (Turpan), Kumul (Hami), Ili (Kulja, Yining, Taranchi), Ürümqi (Urumchi), Lopnor (Lopnur), Dolan, Akto Türkmen. 

La langue ouïghoure standard est celle du parler régional d'Ürümqi et celle de la vallée de l'Ili (au nord). La différence entre les deux réside dans le fonds lexical attribuable aux langues dominantes que sont le mandarin (Ürümqi) et le russe (au nord). Au Xinjiang, l'ouïghour sert souvent de langue véhiculaire entre les ethnies non chinoises. La langue ouïghoure a généralement puisé son fonds lexical dans le turc, l'arabe et le persan, puis le russe (XIXe siècle) et le mandarin (à partir des années 1960), aujourd'hui à l'anglais.

Sous l’influence de diverses religions, les Ouïghours ont utilisé successivement et parfois de manière concurrentielle un grand nombre de systèmes d’écriture: turco-runique, brahmi, tokharien et sogdien. Ils ont ensuite développé un des alphabets sogdiens dans leur propre système graphique, appelé depuis «écriture ouïgoure ancienne».

Alphabet arabo-persan Translitération Version française
Alphabet arabo-persan Hey, péqir uyghur, oyghan, uyqung yéter,
Sende mal yoq, emdi ketse jan kéter.
Bu ölümdin özengni qutqazmisang,
Ah, séning haling xeter, haling xeter.

Allons, pauvre Ouïghour, réveille-toi, assez dormi !
Dépouillé, tu n’as plus rien à perdre que la vie.
Protège-la bien, sinon
Tout sera fini, tout sera fini.

Avec l'islamisation, les Ouïghours ont eu recours à l'alphabet arabe (ou arabo-persan), puis durant vingt ans un alphabet romanisé inspiré du pinyin chinois. Ils utilisent aujourd'hui de nouveau l’alphabet arabo-persan (appelé «écriture ouïghoure»), mais sous une forme modifiée. La dernière réforme de l’alphabet ouïghour fut effectuée en 1983.
 

On peut comprendre que les Ouïghours du Xinjiang soient davantage tournés, culturellement et linguistiquement, vers l'Asie centrale que vers la Chine. Au point de vue linguistique, le Xinjiang est voisin des pays de langues turciques (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Turkménistan).

De plus, la plupart des pays situés à l'ouest du Xinjiang, que ce soit en Asie centrale ou l'Asie du Sud, abritent des personnes de religion musulmane, qui utilisent elles aussi l'alphabet arabo-persan. Ainsi, culturellement, les Ouïghours ont beaucoup plus d'affinités avec les turcophones et les autres musulmans qu'avec les sinophones qui, au surplus, ont développé une aversion particulière à l'égard de l'islam. Pour la plupart des Ouïghours, la Chine est un pays étranger.

Ce sont les aléas de l'histoire qui ont fait que le Xinjiang a été annexé à la Chine plutôt que de devenir un Ouïghouristan, comme c'est le cas en Asie centrale, depuis la disparition de l'URSS. Si ce n'avait été de la Chine, c'est l'Union soviétique que se serait emparée du Xinjiang. 

Soulignons que l'ouïghour est aussi parlé au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan, en Ouzbékistan, en Afghanistan, en Mongolie, au Pakistan, en Turquie, aux États-Unis, en Australie, etc.

Le mongol et le dongxiang appartiennent également à la même famille altaïque, mais ils font partie du groupe mongol, alors que le xibé fait partie du groupe toungouze.

- Le chinois mandarin

Les Hui, pour leur part, parlent le mandarin standard, tandis que les Chinois hans parlent surtout le mandarin lanyin, donc une langue sino-tibétaine, mais les Tujia parlent une langue distincte dans cette famille, le tujia (isolat).

En Chine, on peut employer différents termes pour désigner ce qu'on appelle en Occident le «chinois»: mandarin, putonghua, langue nationale, langue commune standard. Au point de vue juridique, c'est le terme putonghua (普通话, en pinyin Pǔtōnghuà) qui est privilégié et non pas «mandarin» qui demeure un terme occidental comme «chinois». 

- Les autres langues

Seuls les Russes et les Tadjiks parlent une langue indo-européenne, le russe étant une langue slave, alors que le tadjik est une langue indo-iranienne. En Asie centrale, le Tadjikistan est le seul pays dont les ressortissants ne sont pas de langue turcique.

2.5 Les religions du Xinjiang

Outre la complexité ethnique et linguistique, le Xinjiang est caractérisé aussi par sa diversité religieuse. En effet, une majorité de la population du Xinjiang est de confession musulmane, soit 58% (en 2010). Il s'agit non seulement des turcophones (Ouïghours, Kazakhs, Kirghizes, Tatars, etc.), mais également des Hui qui sont ethniquement des Hans islamisés, ainsi que de quelques autres petites communautés (Dongxiangs, Salars, Bao’ans, etc.). Les Hui, qui représentaient 4,4% de la population du Xinjiang en 2018, sont des musulmans sunnites de rite hanafite, à l’exception des Tadjiks persanophones qui sont de confession chiite. On trouve aussi des bouddhistes (32%), des taoïstes (9%) et des chrétiens (1%).

Ainsi, l'islam constitue la principale religion du Xinjiang pratiquée surtout par les Ouïghours et les Hui, tandis que de nombreux Chinois hans pratiquent des religions folkloriques chinoises, ou le confucianisme, le taoïsme ou le bouddhisme. En 1950, on comptait 29 000 mosquées et 54 000 imams au Xinjiang, mais en 1966 il ne restait que 14 000 mosquées et 29 000 imams. Après la Révolution culturelle, il ne restait plus qu'environ 1400 mosquées. Au milieu des années 1980, le nombre de mosquées était revenu au niveau de 1950. Selon un rapport de 2020 de l'Australian Strategic Policy Institute, depuis 2017, les autorités chinoises ont détruit ou endommagé 16 000 mosquées au Xinjiang, soit 65 % du total de la région, en raison des politiques gouvernementales.

En fait, le gouvernement chinois a vigoureusement mis en œuvre sa politique de «sinisation des religions». Cette politique s'applique non seulement pour les musulmans du Xinjiang, mais aussi pour les bouddhistes tibétains, les chrétiens, les protestants et d'autres confessions dans tout le pays, en exigeant que les groupes religieux adhèrent et soutiennent l'idéologie du Parti communiste chinois.

Pour les musulmans du Xinjiang, cette politique de sinisation signifie qu'ils sont contraints de renoncer à leur foi islamique, selon des témoignages donnés par des survivants ouïghours des camps de détention du Xinjiang. C'est ainsi que les autorités chinoises ont forcé les Ouïghours à manger du porc, même à boire de l'alcool, ils ont rassemblé et brûlé des exemplaires du Coran, et ont restreint le port de la barbe pour les hommes et les vêtements longs et les foulards pour les femmes. Des chefs religieux, ainsi que des Ouïghours ordinaires, qui pratiquaient leur foi en privé ont été arrêtés et accusés pour divers crimes. Les enfants ne sont pas autorisés à adhérer à la religion de leurs parents. Les noms en langue ouïghoure tels que Muhammad, Ayishe ou Muhajid sont interdits et, dans les cas où ces noms ont déjà été donnés à des enfants, les autorités ont mis en place des politiques très strictes pour les changer. Le gouvernement chinois a également persécuté les élites universitaires, culturelles et commerciales en emprisonnant des universitaires, des imams, des présidents d'université et d'autres intellectuels, ainsi que des entrepreneurs et des hommes d'affaires ouïghours.

Le gouvernement chinois pratique également une politique de la censure des livres rédigés en ouïghour. Par exemple, des livres sont confisqués dans les librairies gouvernementales de Xinhua, dans les bibliothèques des écoles. Dans d'autres cas, la destruction des livres par ces campagnes de «brûlage» est monnaie courante, sous prétexte que ce sont des livres de propagande, ce qui inclut les manuels scolaires destinés aux enfants du primaire.

Depuis 2017, les autorités chinoises ont commencé à détenir des milliers d'Ouïghours et d'autres minorités turcophones dans des «camps de rééducation» ou «camps d'internement» dans le but de prévenir l'extrémisme religieux et le radicalisme. Ces camps sont officiellement appelés des «centres de formation fermés» ou des «centres de formation professionnelle»; il y en aurait plus de 300. Selon des informations d'origine américaine, les autorités chinoises  auraient détenu jusqu'à 1,8 million d'Ouïghours et d'autres personnes accusées d'avoir des opinions «religieuses fortes» et «politiquement incorrectes» dans un vaste réseau de camps d'internement au Xinjiang. Le gouvernement chinois a soumis les personnes non détenues à une surveillance intense, à des restrictions religieuses, au travail forcé et à des stérilisations forcées.  La carte montre la localisation des camps de rééducation en septembre 2020 sur la base d’images satellites, de reportages dans les médias, de documents gouvernementaux et d’autres sources.

Les autorités chinoises répandent un portrait peu flatteur des Ouïghours détenus comme étant des individus «infectés par l'extrémisme religieux» et propagent des solutions à propos des terroristes qui ont «besoin d'un traitement» parce qu'ils sont idéologiquement «malades». Pour traiter ces «maladies», les autorités ont jugé nécessaire de construire des «centres de rééducation» dans chaque département, voire dans chaque ville, district ou canton. Bref, l'opinion la plus répandue en Chine à ce sujet est que la pratique religieuse est considérée comme «un signe de maladie spirituelle» et «l'expression d'un virus de l'esprit».

Dans les faits, la sinisation de l'islam, et de tout autre religion, consiste à éliminer les croyances religieuses de sorte que les Ouïghours deviendront de «vrais Chinois». C'est pourquoi les autorités désirent également éradiquer leur langue, leur culture et leur mode de vie, et les forcer à parler le chinois mandarin. L'objectif final est de faire des Ouïghours un peuple sans religion et sans culture particulière, une pratique caractérisée d'un génocide culturel en éliminant leur identité ethnique et religieuse.

3 Données historiques

Le Xinjiang, appelé aussi Turkestan oriental, a toujours été un grand lieu de passage au cours de son histoire, ce qui a favorisé un brassage de populations d’origines ethniques diverses. Les historiens croient qu'à l'origine la région aurait été habitée par des populations indo-européennes  — les Tokhariens  — avant de subir des vagues successives d’envahisseurs nomades paléo-asiatiques, puis proto-turques, turques et proto-mongoles.

À partir du IIe siècle avant notre ère, notamment lors du règne de l’empereur Wudi de la dynastie des Hans (de -206 à +220), les Chinois commencèrent à pénétrer dans la région du Turkestan qu'ils appelaient alors les «contrées occidentales» (Xiyu). Ils y installèrent des colonies militaires, sans toutefois pouvoir s'y maintenir très longtemps. Néanmoins, ils ont conquis les régions de l'Altaï, du Pamir, du Kachgar, du Tarim, du Yarkand et du Korla. La dynastie des Tang (618-907) se réappropria les politiques utilisées par les Hans en recourant à des garnisons militaires dans des villes comme Karachahr, Kutcha, Kachgar et Khotan, mais là encore les Chinois perdirent le contrôle de la région au profit des Tibétains (791-842), puis des Ouïghours.

3.1 La turquification du territoire

À partir du Ve siècle, la région, appelée alors "Xiyu" («territoires de l'Ouest») se turquifia progressivement avec l'arrivée des Gaoches qui s'installèrent dans la Dzoungarie au nord. Puis ces derniers furent remplacés par d'autres turcophones, les Tujue, c'est-à-dire les Turcs bleus (Göktürks). Les Ouïghours, qui appartiennent aux tribus Oghonz de l'Orkhon en Mongolie, succédèrent aux Tujue. Cependant, la région ne fut entièrement turquifiée que vers le XIIIe siècle, alors qu'elle fut officiellement appelée Turkestan, c'est-à-dire le «pays des Turcs». Néanmoins, il y eut toujours des populations mongoles, kazakhes, kirghizes ou tadjikes, mais elles demeurèrent très minoritaires.

- Le khanat ouïghour (745-840)

En 744, Les Ouïghours vainquirent les Göktürks et les remplacèrent comme maîtres en Mongolie en formant un khanat, c'est-à-dire un royaume turc ou mongol (selon le cas), dirigé par un khan.  Le khanat ouïghour avait pour capitale Karabalghas. Il a duré de 745 à 840: il s'étendait dans toute la Mongolie actuelle, depuis la chaîne de montagnes de l’Altaï jusqu’en Mandchourie et au sud jusqu'au désert de Gobi. Cet État ouïghour réussit à maintenir des relations diplomatiques, militaires et commerciales avec la Chine de la dynastie des Tang, et étendit sa puissance sur le bassin du Tarim et la Dzoungarie depuis le milieu le VIIIe siècle.

L'âge d'or du peuple ouïghour correspond à l'apogée de la gloire de la célèbre dynastie chinoise des Tang. Les Ouïghours avaient atteint à cette époque un très haut niveau de culture; les recherches archéologiques ont mis au jour une grande quantité de textes littéraires et d'art ouïghours, d'où l'on apprend que le christianisme, le bouddhisme et le manichéisme furent tous pratiqués dans le khanat ouïghour, la plus grande tolérance étant observée alors que le manichéisme, une conception dualiste du bien et du mal, était la religion d'État.
Le khanat ouïghour s'effondra en 840 en raison des catastrophes naturelles, des conflits internes et des attaques de la part des peuples voisins.

- La fin de l'âge d'or ouïghour

Les Ouïghours furent vaincus par les Kirghizes en 840, qui s'emparèrent de leur capitale. Cet événement marqua la chute du Khanat ouïghour. De nombreux Ouïghours émigrèrent vers l’ouest, tandis que Beshbalik devint la capitale et Turpan, la seconde capitale de l'État appelé le «royaume des Ouïghours occidentaux» (entre 840 et 1284). Progressivement, les Ouïghours passèrent du nomadisme à la sédentarité près des oasis et se mélangèrent à la population locale. La langue ouïghoure remplaça ainsi le tokharien, un isolat indo-européen parlé jusque là par les populations locales et disparu il y a environ un millénaire. La langue tokharienne partageait une partie de son vocabulaire avec le germanique ancien et le grec ancien; au point de vue morphologique, le tokharien se rapprocherait de l'italo-celtique. De cette fusion entre nomades et sédentaires naquit la civilisation de Kocho. Dans le domaine de la religion, les populations de la région pratiquaient, selon le cas, le manichéisme, le bouddhisme ou le christianisme nestorien. La défaite de Talas face aux Arabes en 750 et la rébellion du général An Lushan (755-763) marquèrent la fin de la présence des Tang chinois dans la région. À partir de 763, le manichéisme devint la religion officielle du khanat ouïghour.

3.2 L'islamisation

L’islamisation de la région se fit progressivement à partir du XIIe siècle lors de la dynastie islamique turque des Qarakhanides, qui s'opposèrent fortement aux bouddhistes du Sud, dans la ville de Kachgar. Les Qarakhanides gardèrent le contrôle du sud et de l’ouest du bassin du Tarim jusqu’en 1141, date de leur défaite face aux Turcs de la dynastie des Kara Khitaï  (1124-1211). Malgré sa propagation et avant de s’imposer définitivement dans la région, l’islam dut affronter un retour du bouddhisme et même du christianisme sous l’influence de la dynastie toungouze des Kara Khitaï, qui détruisit le khanat musulman de Kachgar. Le bouddhisme se perpétua d'ailleurs dans certaines parties de la région (Turpan et Hami) jusqu’au XVIe siècle. À la dynastie des Kara Khitaï succédèrent les Mongols qui conquirent en 1218 l’ensemble des bassins du Tarim et de la Dzoungarie.

En 1209, le royaume ouïghour de Kocho ne peut que se soumettre aux Mongols de Gengis Khan. Celui-ci, qui ne savait ni lire ni écrire, comprenait qu'il ne pouvait pas diriger son immense empire (voir «L'Empire mongol») avec la seule langue parlée, car le grand nombre de peuples impliquait un aussi grand nombre de langues. Il a dû trouver des scribes qui pouvaient transcrire les sons de la variété mongole que lui-même et sa cour parlaient pour en codifier une écriture. Cependant, les scribes n'inventèrent absolument rien: ils empruntèrent aux Ouïghours leur écriture qu'il fallut modifier pour l'adapter à la langue mongole. Ils retournèrent verticalement l'écriture et le firent lire de gauche à droite, de haut en bas. L'apport de Gengis Khan paraît donc crucial pour la langue mongole, ne serait-ce parce qu'il fit introduire une écriture dans cette langue, puisque, avant lui, il n'existait pas de version écrite du mongol. Les contemporains de Gengis Khan eurent donc recours à l'écriture ouïghoure qui avait été empruntée à l'alphabet syriaque, elle-même dérivée de l'alphabet araméen.

À cette époque, rappelons que la majorité de la population de la steppe eurasienne parlait des langues turciques. Or, les langues turciques et les langues mongoles font partie de la famille altaïque, ce qui signifie que le turc, dont fait partie l'ouïghour, et le mongol ont déjà eu à l'origine une structure commune.

Sous la dynastie mongole des Yuan qui régna en Chine de 1277-1367, la région fit brièvement partie de l’Empire mongol avant d’être placée dès les années 1320 sous l’autorité complète de la dynastie des Djaghataïdes (second fils de Gengis Khan). C’est sous ce régime mongol que la conversion totale de la région de l'actuel Xinjiang fut acquise à l'islam. Entre le XIVe et le XVIe siècle, les cheiks de l'ordre de soufi des Naqshbandis furent les ardents propagandistes de l'islam. Mais le bouddhisme persista dans le sud de la région jusqu'au XVIe siècle. C'est à cette époque que le nom même de Ouïghour disparut pour ne renaître que vers 1920 sous l’influence d'un renouveau nationaliste turkestanais. Les Européens appelèrent "turki oriental" («turc oriental») l'ensemble des parlers de la région.

3.3 Du Turkestan chinois au Xinjiang

Au XVIIIe siècle la dynastie mandchoue des Qing étendit son pouvoir sur l'ensemble du territoire du Xinjiang (appelé à l'époque «Turkestan chinois»). Les Qing contrôlèrent la portion sud de la région et y établirent des colonies militaires et civiles au nord des montagnes du Tianshan (au nord d'Ürümqi). Les Mandchous érigèrent le Turkestan en province de l'Empire et asservirent et massacrèrent les Turkestanais; ils durent réprimer sauvagement les mouvements de révolte, ce qui, selon les historiens, serait à l'origine des mouvements sécessionnistes qui ébranlent la région encore aujourd'hui. 

En 1759, les Chinois chassèrent les Mongols du Turkestan chinois et nommèrent celle-ci "Xinjiang" (« nouvelle frontière »). Cependant, de multiples révoltes (principalement d’ethnies musulmanes d’origine indo-pakistanaise ou turco-mongole) affaiblirent l'emprise chinoise, de sorte que les Chinois durent perdre le territoire avant de le reconquérir en 1884.

Après une période de grand essor économique et démographique, l'Empire mandchou commença à faiblir : l'intrusion des puissances occidentales, la révolte des Taiping, puis celle des Boxers aboutirent, en 1911, à la chute des Qing et à l'instauration d'une éphémère république.

3.4 La colonisation chinoise

En 1884, la région fut définitivement intégrée au territoire chinois dans le but de bloquer les visées hégémoniques de la Russie tsariste. Par la suite, entre 1911, au moment de la fin de la dynastie des Qing, et l’établissement des communistes en Chine en 1949, la situation du Xinjiang demeura extrêmement confuse, le territoire étant convoité par l'URSS qui faisait de la région l'une de ses sphères d'influence. C'est ainsi que, avec l'aval de Moscou, fut créée entre 1944 et 1949 la République du Turkestan oriental, dirigée par des turcophones. Dans un objectif de modernisation, une assemblée de Turkestanais réunie en 1922 à Tachkent décida de nommer par «Ouïghours» les locuteurs du turki oriental installés en Asie centrale soviétique, puis de normaliser cette langue. Ce terme devait être officiellement adopté en 1934. 

Les limites actuelles du Xinjiang et de la Mongolie extérieure n'ont pas attendu les communistes pour être fixées, car elles datent de 1912, comme en témoignent les cartes des années 1920 et 1930. Cela dit, pendant l'entre-deux-guerres et jusqu'en 1949, les Soviétiques avaient réussi à modifier les frontières suivantes:

1) annexer le Tannou-Touva, devenu la République socialiste soviétique autonome de Touva, partie de l'URSS;

2) ériger en 1924 la Mongolie extérieure en République populaire mongole, État indépendant de la Chine et évidemment reconnu par les communistes chinois, mais pas par les nationalistes ;

3) occuper et administrer la Dzoungarie (partie kazakhe du Xinjiang) et d'autres zones frontalières à l'ouest (avec Kachgar et Yarkand), mais non annexées, ni détachées du Xinjiang et de la Chine.

Ces territoires furent fraternellement remis aux communistes chinois en 1949. Le Turkestan oriental tomba ainsi aux mains des Chinois au moment de la «libération pacifique». À cette époque, les Chinois hans ne représentaient pas plus que 6% de la population de la région.

Mais l'arrivée de Mao Tsé-toung au pouvoir allait bouleverser le Xinjiang dans la mesure où l’afflux de colons et de militaires chinois devait modifier profondément la composition ethnique de la région et contribuer à minoriser graduellement la population locale.

Dès le début, comme le font tous les empires puissants, les Chinois étendirent sur le Xinjiang leurs «valeurs civilisatrices». Pour le président Mao, la question des minorités était une simple question d'ordre social appelée à disparaître avec l'avènement du communisme.

En 1949, la Conférence consultative du peuple chinois  (putonghua : 中国人民政治协商会议 ; pinyin : "Zhōngguó Rénmín Zhèngzhì Xiéshāng Huìyì"), qui fut adoptée cette année-là, avait le statut d'une constitution provisoire. Elle précisait qu'aucune composante de la Chine ne pouvait être séparée du territoire (art. 9); que, si le nationalisme han et une nationalité s'opposaient, la culture han serait prédominante (art. 50); que les régions peuplées majoritairement d'une nationalité ethnique bénéficieraient d'un gouvernement local autonome (art. 51); que toutes les nationalités chinoises disposaient de droits égaux comme la liberté de religion, la liberté de langue et le choix d'une culture particulière (art. 52); que le gouvernement central s'engageait à fournir de l'aide aux régions minoritaires (art. 53).

Mais ces beaux principes d'ouverture aux minorités se révélèrent différents dans la pratique lorsque le président Mao en traça les limites en 1952. Ainsi, étant donné que le Xinjiang comptait alors 14 ethnies, le pouvoir fut divisé entre toutes les ethnies de façon proportionnelle. De là, l'intérêt pour le pouvoir central d'envoyer de nombreux colons chinois dans la région afin que l'ethnie chinoise puisse conserver son pouvoir décisionnel. Au début, le gouvernement central envoya de force des milliers de colons chinois dans la région du Xinjiang. Il s'agissait généralement de prisonniers chinois relocalisés dans des «camps de rééducation» (Zài jiàoyù yíng : 再教育营) ou l'équivalent de ce qu'on appelait en Union soviétique un «goulag».

Sous la régime maoïste, le camp de rééducation correspondait à un réseau de camps de rééducation et de travaux forcés pour les «ennemis du Parti communiste chinois», selon les catégories de «citoyens nuisibles»: les propriétaires fonciers, les paysans riches, les contre-révolutionnaires, les «mauvais éléments», les droitistes, les militaires et agents du Guomindang, les agents ennemis capitalistes et les intellectuels durant la Révolution culturelle. De 1949 à 1990, la proportion de Chinois han passa de 6,7% à 37,5%. Lors du recensement de 2000, les Hans étaient passés à 41%. Dans la plupart des villes, le rapport entre Ouïghours et Chinois fut inversé: il est passé de neuf pour un à un pour neuf.

3.5 La Région autonome ouïghoure du Xinjiang

Le 1er octobre 1955, le Xinjiang fut proclamé région autonome: en ouïghour et en alphabet latin, "Xinjang Uyghur Aptonom Rayoni"; en putonghua, 新疆维吾尔自治区; en pinyin, "xīnjiāng wéiwú'ěr zìzhìqū". La région autonome fut instaurée en remplacement du statut de «province». La mise en place de cette région autonome s'inscrivait dans la politique du gouvernement central de l'époque dans le but de donner plus d'autonomie et de pouvoirs à des régions à forte population de minorités ethniques, telles que le Xinjiang, le Tibet, la Mongolie intérieure, le Ningxia et le Guangxi.

Par la suite, virent affluer dans la région autonome un grand nombre de soldats de l'Armée populaire de libération. Il fallait au plus vite intégrer le Xinjiang dans le territoire chinois. Ce n'est qu'à partir de 1957 que certains Chinois purent s'installer de leur plein gré dans la région, moyennant certaines compensations financières et divers privilèges. En 1959, la Constitution chinoise supprima le droit pour les nationalités de gouverner leur propre région. Or, l'article 3 de la Constitution chinoise de 1954 énonçait clairement que tous les groupes ont la liberté d'employer et de développer leurs propres langues parlées et écrites, et ont la liberté de maintenir ou de réformer leurs propres coutumes et habitudes:

第三条

中华人民共和国是统一的多民族的国家。


各民族一律平等。禁止对任何民族的歧视和压迫,禁止破坏各民族团结的行为。

各民族都有使用和发展自己的语言文字的自由,都有保持或者改革自己的风俗习惯的自由。

各少数民族聚居的地方实行区域自治。各民族自治地方都是中华人民共和国不可分离的部分。
 
Article 3

La République populaire de Chine est un pays multiethnique unifié

Tous les groupes ethniques sont égaux. La discrimination et l'oppression contre un groupe ethnique et les actes qui sapent l'unité de tous les groupes ethniques sont interdits.

Tous les groupes ethniques ont la liberté d'employer et de développer leurs propres langues parlées et écrites, et ont la liberté de maintenir ou de réformer leurs propres coutumes et habitudes.

L'autonomie régionale s'exerce dans les zones où cohabitent diverses minorités ethniques. Toutes les zones ethniques autonomes sont des parties inséparables de la République populaire de Chine.

Toutefois, après 1957, en raison des changements de la situation internationale, notamment en Union soviétique qui vivait alors certains effets négatifs de la construction socialiste, la Chine de Mao Tsé-toung s'engagea dans une voie de gouvernance nationale qui devait remplacer l'État de droit en un immense mouvement socialiste, économique, social et politique, le «Grand Bond en avant». Le gouvernement chinois craignait alors que la politique de multilinguisme contribuerait à élargir le fossé entre les Chinois hans et les nationalités, notamment les Ouïghours. Afin d'éviter que ces derniers puissent recourir à des appuis auprès de leurs frères musulmans de l'autre côté des frontières, notamment en URSS, Pékin supprima l'alphabet arabe et introduisit l'alphabet pinyin pour transcrire la langue ouïghoure. Mais ce sera un échec, car on fera marche arrière en 1983.

3.6 Le Grand Bond en avant

En 1958, Mao Tsé-toung développa son nouveau programme appelé le «Grand Bond en avant» (1958-1962). Ce fut la collectivisation dans tous les domaines de la vie quotidienne, avec des contrôles rigides afin d'accroître la production agricole, réduire la consommation et accélérer l’industrialisation.

La politique du «Grand Bond en avant» fut étendue aux minorités nationales, notamment au Xinjiang. Ce fut la période de «l'unité par l'uniformisation en marche» où toute revendication à la différence impliquait nécessairement «un frein à la collectivisation». La politique linguistique précédente à l'égard des Ouïghours, ainsi qu'à toutes les autres minorités, fut dénoncée et remise en question. Au nom de l'unité nationale, on supprima ou on réduisit considérablement les coutumes locales, les religions et l'emploi des langues minoritaires.

Durant le «Grand Bond en avant», le gouvernement chinois s'est mis à pratiquer une politique favorisant l'immigration massive des Hans dans les régions minoritaires, y compris au Xinjiang. Cette politique entraîna la minorisation des non-Hans sur leur propre territoire. En même temps, de jeunes enfants furent déportés dans la région de Pékin en vue de les initier à la grande culture han. Mais cette mesure fut inégalement appliquée parce qu'elle provoquait la révolte chez les minoritaires, entre autres, chez les Ouïghours qui ne comprenaient pas les «bienfaits» de cette éducation han.

Finalement, la politique du «Grand Bond en avant» fut l'une des plus grandes catastrophes qu'a connues la Chine moderne: au moins 30 millions de personnes moururent de faim durant ce sombre épisode de l’histoire chinoise.

Puis, en 1966, Mao Tsé-toung décida de lancer la «Révolution culturelle», qui allait se révéler une autre période sombre de son régime. Le président Mao souhaitait purger le PCC de ses éléments «révisionnistes» et limiter ainsi les pouvoirs de la bureaucratie. Les intellectuels furent discrédités et publiquement humiliés, les élites furent bafouées au nom de la supériorité du peuple et de ses droits. Le peuple en question est celui des Chinois, ce qui exclut les peuples minoritaires. Tous les dirigeants ouïghours durent donc quitter leur poste au Parti communiste chinois.  

Ce fut l'époque où le chauvinisme han croissait au fur et à mesure de l'importance des «méfaits du nationalisme local». Si le «chauvinisme han» fut encouragé, le chauvinisme non han, lui, fut durement réprimé.

Au cours de la Révolution culturelle, les fameux Gardes rouges détruisirent des centaines de mosquées, brûlèrent les livres rédigés en ouïghour et discréditèrent la foi musulmane. Le gouvernement chinois renforça sa politique de sinisation en incitant les Hans à s'installer en plus grand nombre dans le lointain Xinjiang, l'objectif étant de minoriser le plus rapidement possible les Ouïghours sur leur territoire. La langue nationale des Ouïghours fut qualifiée de «langue des bêtes» et de «langue féodale». Les écoles des Ouïghours furent fermées et les enfants forcés de fréquenter les écoles chinoises et d'étudier avec des enfants chinois. Les manuels en langue ouïghoure furent confisqués et détruits, répandant chez les Chinois la haine et le mépris à l'égard de ces «barbares d’Ouïghours».

Ce régime de terreur dura une décennie, soit de 1967 à 1977. Ce fut certainement l'une des périodes les plus sombres de l'histoire du Xinjiang, car il s'agissait d'une forme de génocide planifiée et froidement exécutée.  Durant tout ce temps, aucun Chinois ne subit une quelconque peine d'emprisonnement pour avoir pratiqué le «chauvinisme han». On parla même de «chauvinisme grand han», dont le discours ultranationaliste sur la «race chinoise» visait à occulter les problèmes de coexistence ethnique en confondant la nationalité han largement majoritaire et la nation.

Durant la Révolution culturelle, les soulèvements au Xinjiang furent plus nombreux qu'ailleurs en Chine, plus qu'en Mongolie intérieure et au Tibet, et le gouvernement chinois dut redoubler d'efforts en 1978 pour réinstaller la stabilité et amorcer une nouvelle période de développement alignée sur la réforme et l'ouverture. Jusque là, le gouvernement chinois ne s'était jamais rendu compte que la répression contre les Ouïghours avait pour résultat d'exacerber davantage le nationalisme ouïghour. 

3.7 La politique coloniale chinoise

Au cours des années 1980, sous Deng Xiaoping, la République populaire de Chine poursuivit une politique de «libéralisation culturelle» à l'égard des minorités, dont celles du Xinjiang, en adoptant une politique linguistique flexible au niveau national.  Malgré une attitude positive parmi les responsables du PCC et les groupes minoritaires, le gouvernement chinois finit par considérer cette politique comme un échec et, à partir du milieu des années 1980, la politique officielle de multilinguisme devint progressivement subordonnée à une politique discrète d'assimilation des minorités. Par conséquent, en particulier au Xinjiang, le multilinguisme et le pluralisme culturel furent réduits afin de favoriser un modèle d'unilinguisme ethnoculturel qui affirmait haut et fort la supériorité de la nation han.

Les Ouïghours furent  discrédités, leur culture dénigrée, et ils furent officiellement qualifiés de «natifs sensuels» (parce qu'ils étaient contre la limitation des naissances). Les Chinois perçurent la minorité ouïghoure comme un «peuple barbare» et «immoral». En Chine, le degré d'ouverture de la majorité han à l'égard des minorités nationales fut au mieux nul! 

- Le refuge dans l'islam

Pour se défendre contre le colonialisme chinois, les Ouïghours ont toujours tenu à pratiquer leur religion musulmane, à respecter leur culture et leurs traditions, à refuser de s'aligner sur le fuseau horaire de Pékin, à s'interdire tout mariage mixte avec les Chinois et à tirer avantage de toutes les petites possibilités que leur offrait le suspicieux régime chinois. L'alphabet arabe étant de nouveau autorisé en 1980, les Ouïghours l'ont aussitôt employé, car il leur permet de se réapproprier leurs connaissances et leurs traditions culturelles. Ils purent à nouveau lire le Coran en arabe. La plupart des mosquées furent reconstruites ou réparées. On assista ainsi à une réislamisation de toute la société ouïghoure: les femmes furent de plus en plus voilées, les hommes portèrent davantage la calotte et la barbe.

Les Ouïghours profitèrent des pèlerinages autorisés à La Mecque, financés par des fonds privés provenant de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis, le tout étant encadré par le Bureau des affaires religieuses du PCC, de sorte que seules quelques centaines de personnes âgées de 50 à 70 ans purent effectivement se rendre à La Mecque, dans le cadre de voyages organisés... lorsque les passeports n'étaient pas confisqués.

En même temps, l'islam demeura toujours un objet de suspicion de la part du gouvernement central parce qu'il servirait de moyen efficace pour susciter des mouvements dits «sécessionnistes» au Xinjiang. C'est pourquoi Pékin s'assura que les étudiants musulmans respectent l'État chinois, demeurent loyaux et se tiennent éloignés des idées «séparatistes» et «terroristes». Le gouvernement chinois afficha dans tout le Xinjiang des affiches portant des slogans rédigés en ouïghour tels que «Unité, Amitié, Progrès» (tuanjie, yanyi, jinbu = 团结、友谊、进步), afin de propager le concept des «nationalités unies». Les autorités chinoises ont toujours craint le «séparatisme ethnique» du Xinjiang. Elles en firent une véritable paranoïa!

Si le gouvernement central accepta temporairement une certaine liberté de culte chez les Ouïghours, ce n'était certainement pas pour leurs beaux yeux, mais pour maintenir un climat de bonne entente avec ses partenaires musulmans des pays du Proche-Orient. C'est évidemment du colonialisme à l'état pur, puisque les autorités chinoises recoururent à des pratiques commerciales et économiques aux dépens des Ouïghours afin de favoriser les seuls Hans.

- La répression chinoise

La conséquence de cette politique de népotisme ethnique fut d'accroître l'escalade de la violence chez les Ouïghours. De nouvelles émeutes éclatèrent à partir de 1992 à Kachgar, à Ürümqi, à Khotan, etc., et même à la base nucléaire de Lop Nor. Le gouvernement chinois déplaça 100 000 Chinois dans le sud du Xinjiang, là où les Ouïghours étaient jugés «trop» majoritaires. L'arrivée de ces nouveaux colons eut pour effet d'exacerber les Ouïghours.

Des dirigeants officiels d'origine ouïghoure furent assassinés par des nationalistes et des bombes éclatèrent. En 1996, de violents actes de répression eurent lieu dans les villes du sud du Xinjiang en raison des slogans tels que «Indépendance et liberté pour le Turkestan oriental», «Non à l'immigration massive de Chinois au Turkestan oriental», «Le Turkestan oriental n'est pas un camp de prisonniers chinois».

- L'entreprise de minorisation

Entre 1990 et 1997, la population urbaine, majoritairement han, passa de 3,6 millions à 5,1 millions. Les unités des Corps de production et de construction du Xinjiang ou CPCX(Xīnjiāng shēngchǎn jiànshè bīngtuán) comptaient environ 2,5 millions de membres (ce qui incluait les familles). Ce nombre représentait près de 40% de la population chinoise du Xinjiang, du moins d'après les chiffres officiels. Pendant ce temps, quelque 18 000 «activistes» ouïghours furent arrêtés. Le gouvernement dénonça le nationalisme et les activités religieuses illégales qui constituaient les principaux dangers menaçant la stabilité de la région autonome. Beaucoup de fonctionnaires ouïghours furent congédiés pour avoir eu des «sentiments séparatistes», alors que des dirigeants ouïghours pratiquant leur religion furent punis et rétrogradés. Dans le seul mois de septembre 1996, plus de 4800 fonctionnaires ouïghours furent congédiés après avoir été accusés de «propagande séparatiste». Par la suite, les accusés sont simplement emprisonnés, sans aucune forme de procès, afin d'être rééduqués, conformément aux exigences du Parti tout-puissant. 

Simultanément, les autorités centrales imposèrent un contrôle rigoureux des naissances (pas plus de deux enfants en ville, trois à la campagne), interdit les livres religieux illégaux et prescrivirent une politique de sinisation, appelée hanhua, destinée à «rendre chinois» les Ouïghours. La politique de restriction des naissances heurta particulièrement les valeurs traditionnelles des Ouïghours. Les Chinois qui habitaient dans le Xinjiang eurent aussi le droit d'avoir deux ou trois enfants, comme pour les Ouïghours, ce qui représentait une façon évidente de favoriser la minorisation des communautés musulmanes, et ce, d'autant que le gouvernement encourageait aussi l'immigration massive de Chinois dans le Xinjiang. De plus, il accorda des récompenses financières aux Chinois qui épousaient des membres de la communauté musulmane, et leurs enfants éventuels furent enregistrés comme des «Chinois». Les Ouïghours, surtout les nationalistes, qui seraient un peu trop réfractaires à la sinisation furent torturés et exilés vers les fameux camps de rééducation dans la province chinoise du Qinghai.


Drapeau illégal du Turkestan oriental

Au Xinjiang, la torture dans les interrogatoires devint une pratique courante, de même que les mauvais traitements infligés aux prisonniers, ainsi que les déportations, les exécutions publiques à la chaîne, les procès sommaires, etc. La proportion des Ouïghours condamnés à mort serait dix fois supérieure à celle des Hans. Le Xinjiang détient le plus haut record d’exécutions, soit 1,8 par semaine. Le seul fait de brandir, par exemple, le drapeau du Turkestan oriental peut entraîner la peine de mort pour un Ouïghour! Mais plus le gouvernement exécute des Ouïghours, plus ceux-ci assassinent des policiers ou des dirigeants chinois, c'est une spirale de la violence. Depuis 1998, les condamnations et les exécutions d’Ouïgours sont montées en flèche, ce qui a eu pour effet de renforcer davantage les velléités indépendantistes des Ouïghours qui semblent divisés entre ceux qui prônent la violence — une minorité — et ceux qui optent pour des revendications plus pacifistes. On oppose souvent à tort les nationalistes et les pro-Chinois ou les «assimilés».

En 1998, le gouvernement a interdit aux jeunes de moins de 18 ans d'assister à la prière dans les mosquées, ce qui a encore accru l'animosité des Ouïghours et leur désir de se révolter. En août 2001, les autorités chinoises ont déployé dans le Xinjiang plus de 50 000 soldats de l'Armée populaire de libération. Après les attentats du 11 septembre, Pékin en a profité pour sévir encore plus sévèrement contre le Xinjiang afin de contrer le terrorisme international. Paradoxalement, les autorités chinoises ont envoyé un convoi de 3000 hommes dans le but d'assister les talibans en Afghanistan tout en soutenant la construction militaire en Corée du Nord. Les événements du 11 septembre constituaient une occasion rêvée pour la Chine d'accentuer sa politique de répression contre le Xinjiang et de discréditer les tendances sécessionnistes des Ouïghours, et ce, sans devoir encourir de réprobation de la part de la communauté internationale.

En 2003, le gouvernement chinois publiait une liste de présumés «terroristes» ouïghours recherchés. Selon le gouvernement chinois, il existerait quelque 40 organisations terroristes au Xinjiang. Même s'il est impossible de tous les identifier, on peut en nommer quelques-unes: le Mouvement de résistance islamique du Turkestan oriental, l'Organisation de libération du Turkestan oriental, le Comité international du Turkestan oriental, le Front révolutionnaire unifié du Turkestan oriental, l'Étoile de la patrie, les Tigres du Lop Nor, etc. Mais, ce que le gouvernement chinois ne semble pas comprendre, c'est qu'il est également responsable de cette «prolifération» en pratiquant avec acharnement une répression toujours plus infernale.

3.8 La situation actuelle

Pour la Chine, l'islamisation progressive du mouvement indépendantiste ouïghour est le résultat des influences néfastes de la part des pays voisins en Asie centrale comme le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan ou le Turkménistan. Aucun Chinois en poste ne peut croire que le gouvernement et les forces chinoises de sécurité pourraient être le moindrement en cause. Or, malgré la volonté des Ouïghours, il n'existe aucune forme de coopération quelconque entre les ethnies musulmanes du Xinjiang et les musulmans des pays voisins (Kazakhs, Tadjiks, Turkmènes, etc.), les frontières étant entièrement bouclées par l'armée chinoise, tant la Chine a peur que les peuples d'Asie centrale n'aident les Ouïghours dans leur quête d'indépendance.

Alors que les Kazakhs, les Kirghizes, les Turkmènes, les Ouzbeks et les Tadjiks peuvent affirmer librement leur identité nationale, les Ouïghours, pour leur part, sont asservis à une nation colonisatrice qui nie leur culture et leurs droits par ailleurs restreints. L'ex-président américain, George W. Bush, dans l'un de ses grands moments de lucidité, affirmait ainsi la position de son pays sur les groupes terroristes, sans faire une allusion particulièrement au Xinjiang: «La guerre contre le terrorisme ne doit jamais être une excuse pour persécuter des minorités.» Au Xinjiang, la torture, la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires continuent d'être des pratiques courantes.

- L'arrivée de Xi Jinping

Depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, la situation ne s'est guère améliorée, bien au contraire. Après sa visite dans la région autonome en 2014 , le président chinois mit en place des politiques sévères: arrestations généralisées, surveillance, endoctrinement et transferts de main-d'œuvre, etc. Le but était de faire pression sur les Ouïghours de la région et d'autres groupes ethniques majoritairement musulmans afin qu'ils s'identifient comme membres d'une nation chinoise fidèle au Parti communiste chinois. Pour le président Xi, chacun des  groupes ethniques du Xinjiang doit être «un membre inséparable de la grande famille de la nation chinoise».  Ses remarques publiées ne mentionnent pas l'éradication de «l'extrémisme» et du «séparatisme», que les responsables citent depuis longtemps comme justification des politiques sévères du PCC. Les autorités chinoises ont été critiquées pour ne pas faire la distinction entre les «extrémistes religieux» et les «musulmans pacifiques», mais cette distinction est non avenue en Chine, car les musulmans qui tentent de résoudre pacifiquement un grief religieux, politique ou économique sont associés aux extrémistes religieux prêts à commettre ou à tolérer des actes de terreur.

Le gouvernement chinois a fait publier en des millions d'exemplaires des brochures et des cassettes audio dénonçant le séparatisme et les activités religieuses illégales. Il s'agit d'une mission idéologique devenue une priorité dans la lutte contre le séparatisme. Il faut punir ceux qui ont commis des crimes violents et éduquer la population locale afin qu'elle comprenne mieux comment les séparatistes déforment l’histoire du Xinjiang. C'est pourquoi des centaines de responsables du PCC et du gouvernement ont été envoyés dans les zones rurales du Xinjiang en «groupes de travail» pour faire connaître la politique du gouvernement, alors qu'une campagne de propagande était menée dans les écoles et dans les organisations religieuses.

De plus, le gouvernement a intensifié sa «mission» par une politique linguistique qui affecte non seulement les militants, mais tous les Ouïghours du Xinjiang, dans la mesure où l'emploi de la langue ouïghoure constitue un «signe de déloyauté», sinon une indication du «soutien au terrorisme». Or, l'ouïghour fut la principale langue d’enseignement dans de nombreuses écoles du Xinjiang à côté du mandarin commun, mais ce n'est plus le cas maintenant. Les deux langues ne sont aucunement liées structurellement parlant: l'ouïghour est une langue turcique de la famille altaïque, tandis que le mandarin est une langue de la famille sino-tibétaine. Cela signifie que les Ouïghours doivent apprendre le mandarin (putonghua) comme une langue étrangère.

Dans la principale université de la région, l’Université du Xinjiang, l’ouïghour et le putonghua étaient tous deux utilisés comme langues d’enseignement jusqu’à ce qu’une décision gouvernementale de mai 2002 décrète que la grande majorité des cours seraient dorénavant enseignés uniquement en mandarin commun. Les autorités universitaires ouïghoures affirment, conformément aux instructions du PCC, qu’il n’y a pas de manuels appropriés en ouïghour, en particulier pour les cours de sciences; les autorités soutiennent également qu’il est vital pour tous les étudiants du Xinjiang de pouvoir travailler en mandarin à un niveau élevé, quelle que soit leur origine ethnique. Toutefois, ce genre de décision est considéré par de nombreux Ouïghours comme une attaque contre leur culture de la part des Hans habitant le Xinjiang. Dans les écoles et autres établissements d'enseignement, des sessions de brulage de manuels et d'autres livres écrits en ouïghour sont devenues plus normales.

- La colonie pénitentiaire

Des groupes et des militants des droits de l'homme affirment que le gouvernement chinois détient des Ouïghours et d'autres musulmans dans des camps dits de «rééducation», sous des accusations de terrorisme et d'atteinte à la sécurité de l'État. En somme, les responsables gouvernementaux affirment que les Ouïghours ne sont pas détenus arbitrairement. En 2020, les chercheurs ont documenté quelque 200 camps de rééducation et 179 centres de détention et des prisons.

Le gouvernement chinois aurait détenu arbitrairement, depuis 2017, plus de 800 000 à deux millions d’Ouïghours et d’autres musulmans, y compris des Kazakhs et des Ouzbeks, selon des chercheurs internationaux et des responsables du gouvernement américain. Dans le Xinjiang, la plupart des enfants ouïghours dans les écoles n’ont qu’un seul parent : pour 80% des enfants, l’un des parents a été arrêté, principalement les pères, mais dans certains cas le père et la mère sont en détention.

D'autres décrivent ces établissements comme des camps de concentration parce que des travaux forcés ont également été signalés dans ces centres, tandis que d'anciens détenus ont dénoncé la torture et les agressions sexuelles, surtout chez les femmes, sans parler des stérilisations obligatoires. De plus, on force les détenus à manger du porc, parfois à boire de l'alcool, à se faire raser la barbe et à suivre des cours intensifs de mandarin. Des survivants des camps de rééducation affirment avoir subi quotidiennement la cérémonie de lever du drapeau, des récitals de «chansons rouges», des leçons obligatoires en mandarin, des cours comprenaient la répétition sans fin de courtes phrases telles que «Il n’y a pas de Dieu. Je ne crois pas en Dieu. Je crois au Parti communiste.» Quiconque ne prononce pas correctement ces slogans en mandarin est battu ou mis dans un instrument de torture connu sous le nom de «chaise du tigre»; d'autres subissent des électrocutions. Bref, il s'agit de mesures disciplinaires qui impliquent un endoctrinement à l'idéologie du Parti communiste et qui tentent de dépouiller les détenus de leur culture, de leur langue et de leur religion. Le but de ces traitements est de faire en sorte que les adeptes de l'islam renoncent à leur croyance.

La plupart des personnes détenues dans les camps de rééducation n’ont jamais été inculpées de crimes et n’ont aucun recours judiciaire pour contester leur détention. Les représentants du gouvernement ont d’abord nié l’existence de tels camps. Vers la fin de 2018, ils ont commencé à reconnaître qu’il existait des «centres d’enseignement et de formation professionnelle» au Xinjiang. Ils ont aussi déclaré que ces centres avaient deux objectifs: enseigner le mandarin, les lois chinoises et les compétences professionnelles, et empêcher les citoyens d’être influencés par des idées extrémistes, pour «étouffer les activités terroristes dans l’œuf». Pékin soupçonne depuis longtemps les dissidents ouïghours d'être le fer de lance d'un mouvement séparatiste islamique mondial. Sauf que les Ouïghours du Xinjiang n'ont aucun contact avec les musulmans des autres pays.

Néanmoins, le gouvernement se trouve à emprisonner et à rééduquer un très grand nombre de personnes qui n’ont montré aucune autre activité «illégale» que la pratique religieuse musulmane normale. Dans la majorité des cas, la plupart des «activistes» ouïghours, loin de propager l'indépendance du Xinjiang, désirent avant tout trouver des solutions aux problèmes liés à l'environnement, à la contamination de la nappe phréatique, à la surtaxation, aux essais nucléaires dans leur région, à la politique de limitation des naissances, à la liberté religieuse et à l'usage de leur langue dans les écoles primaires. Par réaction, les Chinois préfèrent traiter les Ouïghours de terroristes, de fondamentalistes ou d'extrémistes. Pour les autorités chinoises, toute critique à l'égard du gouvernement chinois est considérée comme une activité criminelle.

Il est également reconnu que des détenus sont de réels criminels ou des prisonniers politiques. Ce sont des Chinois dits «indésirables» que le gouvernement expédie dans le Xinjiang afin de s'en débarrasser pour de bon. Le Xinjiang est la seule région de Chine où l'exécution des prisonniers politiques demeure une pratique commune. Deux faits demeurent certains : la Chine est le pays qui exécute le plus de prisonniers dans le monde, bien que les exécutions aient tendance à diminuer depuis quelques années, soit autour de seulement 1000 par année. Quant aux criminels qui ont purgé leur peine, ils sont contraints de s'installer définitivement au Xinjiang. Bref, la région autonome est devenue une colonie pénitentiaire pour les Chinois indésirables, ce qui a donné au Xinjiang sa réputation peu enviable de «Sibérie de la Chine». Dans ces conditions, le Xinjiang serait devenu une vaste colonie pénitentiaire en Chine.

- Des citoyens de seconde classe

Dans les faits, les minorités du Xinjiang sont considérées comme des étrangers dans leur propre pays et elles ne bénéficient guère, à l'exemple de la majorité chinoise, du développement économique de leur région. Toutes les villes abritant des Chinois sont aujourd'hui transformées, remodelées et modernisées selon les standards chinois. L'architecture et le patrimoine ouïghours disparaissent progressivement au fur et à mesure de l'implantation des Hans. La plupart des hauts fonctionnaires et tous les officiers militaires du Xinjiang sont des Chinois nommés par Pékin. Ce sont encore les Chinois qui contrôlent les principales industries, alors que les minorités restent confinées dans les emplois traditionnels comme l'agriculture et l'élevage des moutons. Presque toutes les ressources naturelles de la région sont exportées dans le centre de la Chine et sont réimportées comme des produits manufacturés à des prix élevés. Les autorités centrales accordent toujours la préférence aux Chinois plutôt qu'aux minorités locales en matière d'accès aux emplois, à l'éducation, aux soins de santé et à d'autres services. La langue des Ouïghours et des Kazakhs est devenue inutile pour trouver un emploi dans le Xinjiang, sauf pour la production agricole et la surveillance des troupeaux.

Tous les dirigeants ou fonctionnaires ouïghours qui s'obstineraient à pratiquer leur religion sont accusés de fanatisme et forcés de démissionner. Officiellement, les autorités chinoises veulent combattre le fondamentalisme religieux et le terrorisme islamique afin de faire cesser les pratiques jugées «illégales». Toutefois, la distinction entre la pratique religieuse «légale» et la pratique religieuse «illégale» ne repose sur aucun texte juridique, ce qui laisse la possibilité de toutes sortes d'interprétations arbitraires dans la politique de sinisation du Xinjiang.

Selon des rapports de 2018, l'écriture ouïghoure a été effacée des panneaux de signalisation et des peintures murales, car le gouvernement chinois a lancé une campagne pour forcer les Ouïghours à apprendre le mandarin. Tout intérêt pour la culture ou la langue ouïghoure peut conduire à la détention pour quelques années. Des reportages récents ont également documenté l'existence d'internats obligatoires où les enfants sont séparés de leurs parents; les enfants sont punis pour avoir parlé ouïghour, ce qui rend la langue menacée d'extinction. Les autorités ont également mis la région sous surveillance étroite, détruit des mosquées et des sanctuaires, envoyé des habitants travaillant dans des usines, intensifié les mesures de contrôle des naissances pour les femmes musulmanes et placé des enfants dans des internats.

Paradoxalement, les autorités se demandent pourquoi les Ouïghours sont si hostiles au fait d'être traités comme des citoyens de seconde classe dans leur propre pays, ce qui, par surcroît, nie l'idéologie égalitariste du système communiste.

- L'accroissement du ressentiment des Ouïghours

La stratégie chinoise de Pékin peut paraître paradoxale: d'une part, les autorités pratiquent la terreur en amplifiant considérablement les risques du séparatisme, d'autre part, elles favorisent l'accroissement de la haine chez les Ouïghours envers leurs maîtres chinois et alimentent des conflits encore plus profonds à l’avenir. Dans les faits, plus le gouvernement s'ingénie à frapper les Ouïghours, plus les mouvements indépendantistes amplifient, ce qui produit l'effet contraire désiré par Pékin. Les Chinois n'ont apparemment jamais compris cette spirale! Étant donné que les Ouïghours n'ont aucun espace légitime dans lequel s'exprimer, certains jeunes suffisamment désespérés peuvent choisir la mort sous une pluie de balles plutôt que ce qu'ils considèrent comme une vie d'asservissement. Pour le gouvernement, l'Internet empoisonne les jeunes esprits ouïghours avec des visions toutes faites du martyre et un sentiment d'appartenance à une plus grande mission.

Il en résulte un territoire sous constante occupation militaire. L'opération appelée «Frapper fort» a commencé dès 1998, mais elle s'est accentuée depuis la prise du pouvoir par Xi Jinping afin d'éliminer toute menace «terroriste» ou «séparatiste», sans jamais réussir à éradiquer l'escalade de la violence. En dépit des innombrables interdits, les Ouïghours continuent de pratiquer l'islam et de parler leur langue, et il en est de même pour les Kazakhs, les Tadjiks, les Mongols, etc. 

En un sens, on peut parler d'échec dans la volonté de Pékin de siniser le Xinjiang. Pourtant, jamais la Chine ne laissera tomber le Xinjiang parce qu'elle a besoin de cette région très riche en ressources naturelles (pétrole et mines), et ce, tant pour son développement économique que pour servir de déversoir pour son milliard de Chinois hans. Il y a plus: outre la question des richesses naturelles et de l'intérêt géopolitique, la conservation du Xinjiang constitue aussi «une mission sacrée» pour les patriotes chinois. Il vaut la peine que les autorités chinoises y mettent beaucoup d'efforts pour conserver ce territoire indispensable. La présence de plus de 100 000 soldats stationnés en permanence dans la région ne sont pas là pour rien. Parallèlement, les autorités chinoises affirment leur volonté de soutenir les activités normales et de protéger les droits des Ouïghours.  

En réalité, sous prétexte de se protéger contre le terrorisme, Xi Jinping veut promouvoir le «rêve chinois», mais il croit aussi que ce rêve ne peut être réalisé tant qu'un groupe ethnique est «enfermé dans sa race» ou «dans sa langue». Terminons avec des propos de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, un révolutionnaire communiste et un théoricien politique vénéré par les Russes. Mao Tsé-toung déclarait avoir adapté les théories de Marx et de Lénine à la situation politique et économique de la Chine.

En 1917, Lénine semblait plus sage que Mao et Xi par cette déclaration sur l'Ukraine (La Pravda, 30 juin 1917):
 

Отвечайте благосклонно к украинцам - подсказывает здравый смысл. Потому что, если вы этого не сделаете, все станет еще хуже. Сила не будет контролировать украинцев, а только озлобит их. Относитесь к украинцам благосклонно, и вы проложите путь к взаимному доверию и братскому союзу между двумя народами на основе равноправия! Répondez favorablement aux Ukrainiens - le bon sens l'exige. Parce que, si vous ne le faites pas, les choses vont empirer. La force ne contrôlera pas les Ukrainiens, mais cela ne fera que les aigrir. Traitez favorablement les Ukrainiens et vous ouvrirez la voie à la confiance mutuelle et à l'union fraternelle entre les deux peuples sur la base de l'égalité !

Manifestement, le président Xi Jinping n'a jamais lu ces propos ou il a, comme Staline, repoussé ce genre d'approche, préférant la contrainte jugée plus efficace, puisqu'un Xinjiang autonome, pas indépendant, n'apparaît guère concevable.

4 La politique linguistique sino-ouïghoure

Précisons que les lois et règlements de la République populaire de Chine s'appliquent dans toutes les régions autonomes bien que celles-ci puissent adopter des dispositions supplémentaires concernant leur territoire dans la mesure où la réglementation locale n'entre pas en contraction avec celle du gouvernement central. Dans le cadre du présent article, il est apparu inutile de reprendre intégralement le texte de l'article intitulé «5. La politique à l'égard des minorités nationales». On tiendra compte surtout des dispositions qui caractérisent plus particulièrement la Région autonome ouïghoure du Xinjiang. Il vaudrait mieux parler de politique «sino-ouïghoure», parce que la politique linguistique actuelle du Xinjiang est totalement inféodée à la politique chinoise; elle ne dispose d'aucune marge de manœuvre, puisqu'elle consiste à appliquer intégralement les directives de Pékin.

4.1 La garantie constitutionnelle

Cette région autonome du Xinjiang ne dispose pas d'une politique linguistique propre, puisque c'est le gouvernement central qui prend toutes les décisions à ce sujet. Rappelons l'article 4 de la Constitution chinoise qui reconnaît le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue:

Article 4

Nationalités, minorités, régions, langues

1) Toutes les nationalités sont égales en droits en République populaire de Chine. L'État garantit les droits et les intérêts légitimes des minorités ethniques, il maintient et développe les rapports entre les nationalités selon les principes d'égalité, de solidarité, d'entraide et d'harmonie. Toute discrimination et oppression à l'égard d'une nationalité, tout acte visant à saper l'unité des nationalités et toute activité séparatiste sont à proscrire.
[Modifié par le 5e amendement, al. 38, le 11 mars 2018]

2) L'État aide les régions de minorités nationalités à accélérer leur développement économique et culturel en tenant compte de leurs particularités et de leurs besoins.

3) L'autonomie régionale est appliquée là
où les minorités nationalités vivent en groupes compacts ; à cet effet sont établis des organismes d'administration autonome qui exercent le droit d'autonomie. Toutes les régions d'autonomie nationale sont partie intégrante de la République populaire de Chine.

4) Toutes les nationalités jouissent de la liberté d'utiliser et de développer leur langue et leur écriture, de conserver ou de réformer leurs usages et coutumes.

L'une des parties du premier paragraphe est importante, car elle peut servir à limiter ou à supprimer des droits accordés: «Tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.» Le gouvernement central a adopté plusieurs lois à portée linguistique, mais les principales lois sont la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), la Loi sur l'éducation (2015) et à la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001). Il suffit de lire le premier article du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (2002) pour s'en convaincre:

Article 1er

Afin de promouvoir le développement et la prospérité des langues parlées et écrites de tous les groupes ethniques, et d'améliorer le niveau scientifique et culturel des peuples de tous les groupes ethniques, conformément à la Loi sur l'autonomie des régions ethniques, la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales et d'autres lois et règlements pertinents, le présent règlement est formulé en fonction des conditions réelles de la région autonome.

Comme pour toutes les régions autonomes de la Chine, les règlements particuliers des assemblées autonomes ne servent qu'à appliquer les lois chinoises.

4.2 La justice

Rappelons que, d'après l'article 139 de la Constitution chinoise, les citoyens des différentes les nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès.

Article 139

1) Les citoyens des différentes nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Pour les parties ne possédant pas la langue et l'écriture en usage dans la localité, le tribunal populaire et le parquet populaire doivent assurer la traduction.

2) Dans les régions où une minorité nationale vit en groupes compacts ou dans celles où cohabitent plusieurs nationalités, il faut employer, au cours des audiences, la langue parlée communément en usage dans la localité et, selon les besoins réels, la langue ou les langues écrites communément en usage dans ladite localité pour dresser l'acte d'accusation et le verdict, rédiger les avis au public et les autres documents.

Rappelons aussi que les articles 12 et 13 du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure autorisent l'emploi des langues locales:

Article 12

Les citoyens de tous les groupes ethniques ont le droit d'employer leurs langues parlées et écrites dans les procès. Les tribunaux populaires et les parquets populaires utilisent la langue locale pour connaître et poursuivre les litiges dans les zones où les minorités ethniques vivent en concentrations ou où plusieurs groupes ethniques vivent ensemble, et traduisent les participants au litige qui ne maîtrisent pas la langue locale parlée et écrite.

Les documents juridiques doivent utiliser une ou plusieurs langues couramment employées dans la localité selon les besoins.

Article 13

Les organismes de l'État, les organismes judiciaires et les organisations populaires à tous les niveaux, lorsqu'ils acceptent ou reçoivent des documents et des visites de citoyens de tous les groupes ethniques, doivent répondre et traiter des questions dans les langues que les visiteurs connaissent ou traduisent pour eux. Les membres du personnel doivent traiter les lettres, les documents d'approbation et tout autre document rédigé dans des langues qu'ils ne comprennent pas en temps opportun, sans arriéré ni retard.

Officiellement, toute procédure judiciaire peut se dérouler en ouïghour ou dans une autre langue minoritaire. En effet, de façon théorique, dans le domaine judiciaire, les Ouïghours bénéficient, comme les habitants des autres régions, de tous les droits prévus par la loi, mais la connaissance du mandarin demeure néanmoins indispensable. Il est extrêmement rare qu'un juge comprenne l'ouïghour ou le kazakh, pour ne mentionner que ces deux seules langues, le recours à un interprète étant incontournable.  

Légalement, les juges ne sont pas tenus de savoir l'ouïghour ou du moins toute autre langue que le chinois mandarin. C'est donc le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris. 

4.3  L'administration locale et la réglementation

Les régions autonomes (自治区: zìzhìqū) ont été créées par le gouvernement communiste à partir de 1947. La Constitution actuelle donne en principe aux régions autonomes (voir la carte des régions autonomes) une certaine indépendance financière, économique et administrative. Normalement, le président de la région doit appartenir à la nationalité exerçant l'autonomie régionale ou à une des nationalités parmi celles reconnues dans l'exercice de l'autonomie régionale; en Russie, on parlerait de la minorité titulaire, dans ce cas-ci les Ouïghours.

- Les langues locales

Les principales responsabilités des administrations locales concernent l’éducation, la santé, l’agriculture et l’aide sociale. Conformément aux dispositions de la réglementation concernant les zones ethniques autonomes, les organismes d'autonomie doivent employer une ou plusieurs langues locales couramment utilisées lorsqu'ils exercent leurs fonctions officielles. Si plusieurs langues peuvent être utilisées pour ces fonctions officielles, la langue du groupe ethnique exerçant l'autonomie régionale doit être employée en priorité, du moins en principe.

Les assemblées locales des organismes autonomes du Xinjiang peuvent employer des langues des minorités linguistiques en plus du putonghua. D'ailleurs, l'article 16 de la Loi chinoise sur la procédure civile (1991-2017) prévoit que les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent formuler et élaborer des règlements:

Article 16

Les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent, conformément aux dispositions de la Constitution et de la présente loi et, compte tenu des conditions particulières des ethnies locales,
formuler des dispositions modifiées ou complémentaires. Les règlements de la région autonome sont soumis au Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale pour approbation. Les dispositions des départements autonomes et des comtés autonomes sont communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire de la province ou de la région autonome pour approbation, et communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire nationale à des fins d'enregistrement.

L'article 7 du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure, un acte juridique local, prescrit l'emploi à la fois de la langue ouïghoure et de la langue nationale standard, ou l'une d'entre elles:

Article 7

Dans l'exercice de leurs fonctions, les organismes d'autonomie de la région autonome emploient à la fois les langues ouïghoure et chinoise; s'il est nécessaire, ils peuvent également employer simultanément les langues d'autres groupes ethniques; lorsque les organismes d'autonomie des départements autonomes et des cantons autonomes exercent leurs fonctions, ils utilisent la langue ouïghoure couramment utilisée dans la région autonome dans l'exercice de leurs fonctions. En plus de la langue chinoise, la langue du groupe ethnique qui exerce l'autonomie régionale peut être employée, et la langue d'autres groupes ethniques couramment utilisée dans une zone locale peuvent être utilisées en même temps selon les besoins; si plusieurs langues sont employées en même temps pour exercer des fonctions, le groupe ethnique qui exerce l'autonomie régionale peut prévaloir.

Le mot «ouïghour» pour désigner la langue «titulaire» du Xinjiang n'est mentionné que dans l'article 7 parmi les 33 articles du règlement.

- Le bilinguisme dans la réglementation

Étant donné que les communautés ethnolinguistiques membres d'un organisme autonome peuvent employer leur langue, ils ont aussi le droit en principe de rédiger les réglementations dans leur langue, en plus du putonghua. C'est ainsi que l'Assemblée populaire de la région autonome du Xinjiang a pu adopter le Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure (2002):
 

Article 2

L'usage linguistique doit respecter le principe de l'égalité des langues parlées et écrites de tous les groupes ethniques, veiller à ce que tous les groupes ethniques aient la liberté d'employer et de développer leurs propres langues parlées et écrites, défendre et encourager tous les groupes ethniques à apprendre les langues les uns et des autres, afin que les langues parlées et écrites puissent mieux servir la réforme et l’ouverture de la région autonome et le développement global des entreprises politiques, économiques et culturelles, et promouvoir l’unité, le progrès et la prospérité commune de tous les groupes ethniques.

Il en est ainsi à l'article 8 de la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001):

Article 8

1) Tout groupe ethnique possède la liberté d'utiliser et de développer sa propre langue et sa propre écriture.

2) L'utilisation des langues et écritures des minorités ethniques s'appuie sur les dispositions en la matière qui sont inscrites dans la Constitution, dans la Loi sur l'autonomie des régions ethniques et dans d'autres textes législatifs.

L'article 5 du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure reprend en d'autres mots ces mêmes dispositions:

Article 5

L’organisme de gestion des langues et de l’écriture de la région autonome est responsable de l'usage de gestion des langues et de l’écriture de la région. Les organismes de l'administration linguistique des départements autonomes (départements et villes) et les administrations populaires des cantons (villes) sont aussi responsables de la gestion des langues parlées et écrites, ainsi que de la gestion des langues parlées et écrites dans leurs circonscriptions administratives respectives.

- Les fonctionnaires

L'article 17 du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure précise de façon claire que dans le recrutement des fonctionnaires et des travailleurs de nationalité han doivent être privilégiées des candidats bilingues maîtrisant à la fois la langue nationale commune et la langue ouïghoure:

Article 17

Les administrations populaires à tous les niveaux doivent éduquer et encourager tous les groupes ethniques à apprendre les langues parlées et écrites les uns des autres. Les cadres hans doivent apprendre les langues des minorités locales; les cadres des minorités ethniques, tout en apprenant à employer leur propre langue, doivent également apprendre le chinois mandarin et les caractères chinois standardisés couramment utilisés dans tout le pays.

- L'usage des langues dans l'administration locale

Les trois articles suivants du Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure prescrivent un bilinguisme égalitaire entre le mandarin officiel et les langues locales :
 

Article 8

Les sceaux officiels, les plaques d'immatriculation, les certificats et les enveloppes portant le nom des organismes, des organisations et des institutions, ainsi que divers documents et lettres officiels signalés et distribués sur le territoire de la région autonome, doivent employer simultanément des langues minoritaires normalisées et des caractères chinois. Le matériel didactique et le matériel publicitaire publiés doivent employer une ou plusieurs langues couramment utilisées dans la région, selon les besoins.

Lorsque les langues des minorités ethniques et les caractères chinois sont employés en même temps, ils doivent être de taille proportionnelle et normalisée, et leur disposition doit être conforme aux réglementations pertinentes de l'administration populaire de la région autonome.

Article 9

Dans les lieux publics, les installations publiques et les services publics, les écritures normalisées des minorités ethniques et les caractères chinois doivent être employés simultanément dans les panneaux nominatifs, les publicités d’intérêt public, les panneaux de délimitation, les panneaux d’orientation, les panneaux de signalisation et les noms des unités et les slogans de sécurité imprimés sur les véhicules, ainsi que les noms et les manuels des produits fabriqués et vendus dans la zone.

Article 10

Les organismes, les groupes, les entreprises et les institutions tiennent leurs réunions en employant une ou plusieurs langues selon les conditions des participants. Les monogrammes des réunions importantes doivent employer à la fois des écritures minoritaires et les caractères chinois.

Parmi les représentants de l'Administration régionale du Xinjiang, les Ouïghours et les autres communautés linguistiques ne constituent qu'une minorité. Lors de la création de la région autonome en 1955, le pourcentage des fonctionnaires chinois était encore très faible, alors qu'aujourd'hui il atteint plus de 90%. Il en est ainsi des juges et des policiers qui sont massivement d'origine chinoise han. Par ailleurs, selon de nombreux observateurs étrangers, la qualité des administrateurs chinois dans le Xinjiang, comme dans toute région éloignée, laisserait grandement à désirer, la corruption étant endémique. Les dirigeants chinois locaux ne savent faire autre chose que d'exploiter et d'abuser de leurs privilèges et de leur pouvoir. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils acceptent de travailler en zones éloignées: ils peuvent s'enrichir plus rapidement. 

Dans ces conditions, la langue chinoise, le putonghua, est devenue incontournable dans la plupart des centres urbains non seulement pour communiquer avec l'Administration locale, mais aussi pour trouver du travail. Quoi qu'il en soit, presque toutes les principales villes du Xinjiang sont majoritairement habitées par des Hans. Lorsque des Ouïghours habitent eux aussi dans une ville, ils sont parqués à l'écart de la population chinoise dans des quartiers distincts, la ségrégation ethnique étant la norme acceptée par les Chinois. Quant aux représentants des groupes minoritaires, ils doivent rester à l’écart de la nouvelle économie de marché, qui se développe sur leur propre territoire. Au fur et à mesure que le poids des Hans s'accentue dans les domaines de la démographie et de la productivité au travail, l’administration régionale se sinise en profondeur, pendant que les responsables indigènes, ouïghours, kazakhs ou kirghizes, occupent des fonctions subalternes. Généralement, les fonctionnaires hans ne parlent pas l'ouïghour, mais les petits commerçants chinois qui vendent leurs produits dans les marchés publics le parlent généralement un peu. 

Il est plus commode d'utiliser l'ouïghour dans les symboles administratifs (formulaires, en-têtes, etc.) que dans les communications officielles. Il n'est pas facile de recourir au ouïghour dans les bureaux administratifs, car il s'est installé, depuis plusieurs décennies, une pratique qui favorisait le mandarin officiel (officiellement le putonghua). Partout, c'est le putonghua qui sert de langue de travail. Au final, cette langue est prépondérante parmi les langues officielles. Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en mandarin, rarement en ouïghour. Il en est ainsi des noms de localité (toponymes) qui, au fur et à mesure de la pénétration chinoise, perdent leur dénomination ouïghoure pour porter une dénomination chinoise.

Dans les faits, les rapports administratifs du gouvernement, particulièrement à un niveau plus élevé, sont rédigés uniquement en mandarin. Presque tous les logiciels employés dans le Xinjiang dans les bureaux sont formatés pour lire uniquement le putonghua et ses caractères. Progressivement, les minorités nationales perdent toute capacité d'écrire dans leur propre langue.

- L'affichage en général

De façon générale, le bilinguisme putonghua-ouïghour n'est pas la norme dans l'affichage au Xinjiang, sauf dans la signalisation routière et dans les mosquées où cette pratique est plus fréquente, bien qu'il y en ait de moins en moins.

Quoi qu'il en soit, les caractères chinois sont bénéficient d'une taille plus grande que l'alphabet arabo-persan utilisé dans la langue ouïghoure, bien que cet alphabet soit placé au-dessus des signes chinois.

Lorsque le trilinguisme existe, c'est avec l'anglais, mais ce n'est guère systématique.

Il est peu fréquent que les petits commerçants aient recours au bilinguisme ou au trilinguisme, mais cela demeure possible.

De plus, l'utilisation officielle des toponymes chinois dans les zones où habitent les minorités nationales (par exemple, Tacheng pour Chöchäk, Kashi pour Kachgar) renforce l'impression que les langues des minorités sont délibérément supprimées. Le fait de conserver au moins les dénominations dans les langues nationales (à côté des dénominations chinoises) aurait pour effet d'améliorer la perception de la part des minorités à l'égard de leur gouvernement central. Pour le moment, la suppression progressive des toponymes dans les langues nationales sert à attiser le «séparatisme».

Plus récemment, l’écriture ouïghoure est maintenant perçue comme un «signe d’extrémisme», ce qui signifie que les commerces doivent éliminer des étagères de tout ce qui est écrit en ouïghour. On a commencé aussi à «nettoyer» les panneaux de signalisation rédigés en ouïghour.

4.4 L'emploi des langues en éducation

Le domaine de l'éducation minoritaire s'avère complexe en Chine du fait que les établissements d'enseignement doivent se conformer aux politiques du gouvernement central. D'une part, l'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, d'autre part, il a aussi mis en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays. En réalité, l'utilisation de l’ouïghour en éducation fait face à de sérieux problèmes. Le gouvernement de Pékin craint des problèmes politiques dans la région autonome. Pour contrecarrer les éventuels conflits, le secteur de l'éducation a été perçu comme le moyen privilégié pour inculquer la fidélité à l'État chinois. L'objectif principal de l'éducation de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang semble être de siniser la population locale et de l'endoctriner par des dogmes idéologiques et politiques. Par exemple, l'État chinois ne rate aucune occasion pour saturer les masses ouïghoures, kazakhes, etc., avec des sempiternels discours portant sur «l'amour de la grande patrie», la Chine, sans oublier la levée du drapeau chaque matin.

 

- Les mesures générales de protection

Conformément à l'article 36 de la  Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), les organismes autonomes peuvent décider de la langue enseignée dans les écoles de leur localité:

Article 36 Les organismes autonomes des zones autonomes ethniques doivent, conformément à la politique éducative de l'État et conformément aux dispositions de la loi, décider de la planification de l'éducation de la localité, de la création d'écoles de tous niveaux et types, le système d'éducation, la forme de gestion des écoles, le contenu de l'enseignement, les termes utilisés pour l'enseignement et les méthodes d'inscription des élèves.

Il en est ainsi de l'article 12 de la Loi sur l'éducation (2015), sauf qu'il est clairement énoncé que le chinois ou putonghua demeure obligatoire:

Article 12

1) La langue chinoise parlée et écrite commune doit être la langue de base utilisée par les écoles et autres établissements d'enseignement dans l'éducation et l'enseignement, et les écoles et autres établissements d'enseignement doivent utiliser la langue chinoise parlée et écrite standard dans l'éducation et l'enseignement.

2) Les écoles et autres établissements d'enseignement
dans les zones ethniques autonomes qui sont principalement composés d'élèves issus de minorités ethniques doivent, selon les circonstances réelles, mettre en œuvre un enseignement bilingue dans la langue parlée et écrite commune de l'État et la langue parlée et écrite commune de leur propre groupe ethnique ou groupe ethnique local.

3) L'État doit prendre des mesures pour faciliter et soutenir
la mise en œuvre de l'enseignement bilingue
dans les écoles et autres établissements d'enseignement dominés par des élèves appartenant à des minorités ethniques.

L'Assemblée de la Région autonome du Xinjiang a adopté le Règlement sur la langue et l'écriture dans la Région autonome ouïghoure, dont les articles suivants portent sur l'éducation:

Article 18

Les écoles qui utilisent les langues minoritaires pour l’enseignement des langues parlées et écrites doivent, tout en renforçant l’enseignement de base dans leurs propres langues parlées et écrites, offrir des cours de mandarin à partir de la troisième année de l’école primaire;  si les conditions le permettent, les écoles peuvent faire un apprentissage adéquat dans l’enseignement du mandarin afin de permettre progressivement aux élèves appartenant à des minorités ethniques de maîtriser les deux compétences en chinois lorsqu’ils obtiennent leur diplôme d’études secondaires.

Les collèges et les universités doivent renforcer l’enseignement bilingue en mandarin et favoriser les talents bilingues.

Article 19

Les écoles secondaires et primaires qui enseignent en mandarin dans les régions habitées par des minorités ethniques peuvent, de manière appropriée, mettre en place des cours de langue locale pour les minorités ethniques.

Article 20

Les élèves appartenant à des minorités ethniques peuvent fréquenter les écoles primaires et secondaires où l’enseignement est offert en mandarin, et les élèves hans peuvent également fréquenter les écoles primaires et secondaires où l’enseignement est donné dans les langues minoritaires. Les écoles doivent les soutenir et les accepter.

Par ailleurs, la Chine a signé, le 2 mars 1992, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. L'article 30 énonce:

Article 30

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

La Chine est ainsi obligée de s'assurer, du moins théoriquement, que les Ouïghours et les Kazakhs bénéficient de la protection concernant les «minorités ethniques, religieuses ou linguistiques».

- La langue maternelle

Comme dans les autres régions autonomes, le système d'éducation dans le Xinjiang est fondé sur l'apprentissage de la langue ouïghoure (ou kazakhe) durant les premières années du primaire, mais l'enseignement du chinois (putonghua) demeure obligatoire pour les minorités, alors que les Chinois n'ont pas à apprendre ces langues. Dans le Xinjiang, les Chinois reçoivent leur instruction en mandarin et apprennent l'anglais comme langue seconde. Quant aux membres des minorités, ils ont droit à une instruction dans leur langue, mais ce droit n'est réel que dans les zones rurales et les villages où ils sont en concentration suffisante. Dans les villes, ce sont surtout des écoles bilingues, généralement en ouïghour et en chinois, mais dans beaucoup de grandes villes seules les écoles chinoises sont disponibles.

L'Annuaire statistique du Xinjiang de 2000 révélait que 68% des élèves qui fréquentaient les écoles primaires étaient des membres des minorités nationales, mais cette moyenne provinciale ne tenait pas compte des écarts entre la ville et la campagne. Dans les zones rurales, il faut parfois considérer que 100% des enfants appartiennent aux minorités. En 2017, le service de l’éducation du département du Hotan a publié une directive exigeant un enseignement complet en mandarin dès l’école maternelle et interdisant l’utilisation de l’ouïghour dans toutes les activités éducatives et la gestion.

Au secondaire, il n'existe guère d'écoles où l'on enseigne dans une langue minoritaire, alors que 65% des élèves appartiennent effectivement aux minorités. L'un des problèmes provient du fait que, malgré la législation en vigueur, l’école obligatoire n'est pas gratuite. En raison de la pauvreté des familles issues des nationalités, la plupart des filles ne peuvent fréquenter l'école, alors que la priorité est accordée aux garçons. De plus, beaucoup de garçons délaissent l'école avant d'arriver au secondaire. Cependant, le gouvernement régional du Xinjiang a accordé une certaine priorité à l'instruction dans les langues minoritaires pour les écoles destinées à l'agriculture et à l'élevage des moutons et autres animaux de bergerie. Des manuels ont été traduits en ouïghour, mais ils ne sont disponibles que pour le réseau du primaire. De plus, les écoles chinoises reçoivent un financement gouvernemental considérablement plus élevé que les écoles des minorités ethniques. On estime que 25% des Ouïghours habitant dans les campagnes sont analphabètes.

Mentionnons aussi que le gouvernement chinois fait en sorte que les jeunes les plus doués poursuivent leur scolarité loin de leur région natale, à l'extérieur de leur milieu familial, dans le but de leur inculquer une éducation conforme aux dogmes du PCC et ainsi diminuer l’identité ouïgoure.

- La réduction dans l'enseignement des langues minoritaires

En 2004, le Parti communiste chinois et l'administration régionale ont décidé qu'une cinquantaine d'écoles des minorités ethniques devaient être fusionnées avec des écoles chinoises, tandis que des élèves des minorités ethniques devaient être mélangés avec des élèves chinois. Les autorités estimaient que les écoles où l'on enseigne en ouïghour, en kazakh, en kirghiz, en mongol, en xibé ou en tadjik étaient inefficaces au point de pédagogique et néfastes pour le système d'éducation. Évidemment, tous les psycho-éducateurs croient plutôt qu'il faut commencer par employer la langue maternelle des enfants. Néanmoins, en Chine, on a jugé que l'enseignement devrait être donné seulement en mandarin autant que possible. Depuis 1984, la Commission sur l'éducation du Xinjiang a graduellement réduit l'enseignement de la langue ouïghoure à tous les niveaux de l'éducation. Ainsi, jusqu'au début des années 1990, le mandarin (putonghua) était enseigné seulement comme langue seconde dans les écoles des nationalités, jamais comme langue d'enseignement, alors qu'aujourd'hui l'enseignement du mandarin est exigé dès le primaire et c'est la langue de la minorité (par exemple, l'ouïghour) qui est enseignée comme si c'était une langue seconde. Même les écoles maternelles ont réduit l'enseignement de l’ouïghour.

Depuis ces changements dans la langue d'enseignement, les différences entre les «écoles des nationalités» et les «écoles chinoises» sont devenues ténues. Pour les Chinois, les écoles de langue ouïghoure favoriseraient le séparatisme. Mais les représentants ouïghours estiment que, au contraire, l'enseignement dans la langue maternelle des enfants aiderait à dissiper l'impression maintenant reconnue par beaucoup d’Ouïghours que le gouvernement est systématiquement déterminé à exterminer leur langue.  Pékin considère qu'il fallait réduire l'enseignement des langues minoritaires en faveur du mandarin pour des raisons essentiellement économiques dans le but de prévenir le chômage chez les minorités du Xinjiang.

- La formation des maîtres

Il existe aussi des écoles de formation des maîtres destinées aux minorités. Quant à l'enseignement supérieur offert dans la langue des minorités, il ne forme que des enseignants, des médecins ou des fonctionnaires qui travailleront localement. Les disciplines scientifiques, techniques ou économiques ne sont enseignées qu'en mandarin, ce qui restreint l’accès des jeunes issus des minorités à ces occupations et au rôle de gestionnaire strictement local. Pour être admis comme enseignant, tout candidat ou toute candidate doit connaître la langue nationale commune, sinon tout travail lui est refusé.

Depuis 2017, le PCC a lancé une vaste campagne de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire des provinces de la Chine continentale, pour qu’ils s’installent dans le Xinjiang. Plusieurs enseignants chinois, qui ont accepté de travailler dans le Xinjiang ou qui ont été obligés de s'y installer (plus de 45 000 enseignants), ont commencé à regretter cette décision dès leur arrivée. D'une part, ils se sont sentis dupés par l’État parce que les conditions n’étaient pas celles promises, d'autre part, ils se sont sentis contrôlés et surveillés en permanence, tant au travail que pendant leur temps libre. Par exemple, des réunions à caractère politique sont organisées à l’école presque chaque jour et on oblige les enseignants chinois à mémoriser et à réciter les politiques nationales et les pensées de Xi Jinping. Cette pratique se veut une préparation destinée à recevoir les équipes d’inspection qui peuvent s'introduire à l’école à tout moment. Lorsque les enseignants ne parviennent pas à répondre correctement aux questions des équipes d’inspection, ils sont accusés d'avoir une faible «sensibilisation idéologique», ce qui favorise les sanctions disciplinaires. Certains enseignants sont arrêtés juste pour avoir pour avoir mal prononcé une phrase lors d'un interrogatoire.

Afin d’empêcher que les enseignants de quitter le Xinjiang, les autorités chinoises confisquent leurs certificats de qualification, leurs diplômes et tout autre document, en prétendant les détenir «pour vérification». Rappelons que ces mesures sont appliquées à des enseignants chinois de l'ethnie han.

- Les universités

L'université du Xinjiang à Ürümqi a été fondée en 1949 en tant qu'établissement d'enseignement bilingue. Il était alors exigé de la part des étudiants ouïghours qu'ils fassent une année supplémentaire afin de parfaire leurs connaissances du chinois. Pendant que les étudiants chinois terminaient leurs études après quatre ans, les Ouïghours devaient en faire cinq. Beaucoup de cours étaient offerts en ouïghour, notamment les sciences sociales, les sciences naturelles et les mathématiques. Aujourd'hui, tous les cours sont en mandarin, y compris la poésie ouïghoure. On estime que 43,2% des étudiants fréquentant une université feraient partie d'une minorité nationale.

En 2002, l’usage de la langue ouïghoure fut banni de toutes les universités, avant de se voir également interdit au niveau secondaire. Voici l'explication donnée par un professeur ouïghour de l'Université du Xinjiang (cité par Fanny LOTHAIRE, p. 188):

On ne peut pas utiliser la langue ouïghoure maintenant, on ne peut plus. Pour la simple bonne raison que les conséquences peuvent être graves sur les étudiants, car ils ne trouveront pas de travail s'ils n'apprennent pas le mandarin. C'est pour s'adapter au développement économique de la région que l'on doit apprendre le chinois. Il y a peu de travail, et c'est le gouvernement qui emploie beaucoup, alors si l'on se met à parler l'ouïghour!

Toutes les universités n'enseignent aujourd'hui qu'en chinois mandarin. Il n'existe que deux universités coraniques dans le Xinjiang, à Ürümqi et à Kachgar, qui scolarisent en arabe quelques centaines d'étudiants triés sur le volet.

 - Les disparités du système

En principe, on suppose que le système d'éducation chinois aide les membres des minorités nationales à s'élever dans l'échelle sociale au moyen de bourses d'études. Cependant le retrait partiel de l'État de financer le système d'éducation a entraîné une augmentation des dépenses liées aux études et à la réduction des bourses. Avec la libéralisation de l'économie chinoise, les familles les plus pauvres n'ont plus les moyens de fournir une instruction complète pour leurs enfants; et elles doivent limiter les années scolaires de leur progéniture. Tandis que les familles chinoises établies généralement dans les zones urbaines sont plus aisées et peuvent prolonger l'instruction de leurs enfants et les envoyer dans les meilleurs établissements, les enfants des communautés minoritaires sont souvent incapables de poursuivre leurs études, même au niveau secondaire, ce qui signifie qu'ils abandonnent l'école avec des qualifications moindres sur le marché du travail.

Ces différences relatives au financement des études ainsi que des méthodes de recrutement qui sont souvent discriminatoires pour les enfants des minorités contribuent à perpétuer la stratification socioprofessionnelle, car les Ouïghours et les Kazakhs, pour ne mentionner que ces deux communautés, sont pénalisés en comparaison des Hans. En fait, l’éducation des enfants est devenue l'une des causes les plus fortes du ressentiment des Ouïghours à l'égard des Chinois. C'est un véritable dilemme: si un Ouïghour n’a pas un bon niveau de mandarin, il éprouve d’énormes difficultés pour trouver du travail. Mais s’il fréquente l’école chinoise, il est assimilé! La politique éducative chinoise entend siniser tous les aspects de la vie des Ouïghours, et l'école n'y échappe pas.

Les minorités nationales du Xinjiang sont «surreprésentées» au bas de l'échelle socioprofessionnelle et les Chinois sont «surreprésentés» dans le haut de l'échelle sociale. Par exemple, alors que les minorités nationales représentaient en 1990 presque 54 % de la population du Xinjiang, ils occupaient plus de 76 % de la main-d'œuvre agricole (comme contre 69,4% en 1982 alors qu'ils formaient 52,8% de la population totale) et moins de 41% d'entre eux étaient employés dans des professions libérales et techniques et moins de 30 % dans les postes administratifs. Étant donné que les minorités nationales restent au bas de l'échelle socio-économique du Xinjiang, leur niveau de vie devient plus précaire, et ce, d'autant plus que la Chine n'a presque aucun système de sécurité sociale. Les régions rurales de l'est, du sud et de l'ouest du Taklamakan (plus précisément Täklimakan), peuplées majoritairement de Ouïghours, sont aujourd'hui parmi les couches de la population les plus délaissées économiquement et les plus hostiles aux autorités chinoises. Même les Chinois ne s'y aventurent pas, sauf avec la police ou l'armée!

- L'enseignement de l'anglais

L'anglais est devenu une langue étrangère obligatoire dans les écoles chinoises. Les jeunes l'apprennent au primaire. Mais au Xinjiang, plus de 80% des Ouïghours et des Kazakhs apprennent l'anglais en passant par le mandarin. C'est comme si un enfant francophone devait apprendre le russe en passant par l'anglais! Au lieu d'apprendre l'anglais directement à partir de leur langue et grâce à des manuels en ouïghour ou en kazakh, il faut utiliser le mandarin avec des manuels chinois-anglais. Les autorités justifient le manque de manuels anglais-ouïghour ou anglais-kazakh en raison de l'absence de demandes formelles à cet effet.

Il n'existe même pas de manuels unilingues anglais. Tous ceux qui apprennent l'anglais sans passer par le mandarin doivent le faire par leurs propres moyens. Les Chinois, pour leur part, n'ont pas ce problème. Pour les Ouïghours, le fait d'apprendre l'anglais au moyen du mandarin constitue un irritant de plus, car une telle mesure implique qu'ils seront toujours à la remorque des étudiants sinophones. Or, en raison des caractéristiques de sa langue maternelle, il est plus facile pour un Ouïghour d'apprendre l'anglais que pour un Chinois.

4.5 Les médias

Comme partout ailleurs en Chine, la presse n'est pas libre. Les autorités chinoises contrôlent totalement les médias tant écrits qu'électroniques.  Selon le gouvernement de Pékin, l’ouïghour est grandement employé dans les médias et dans les publications. En réalité, pratiquement tous les journaux, livres et périodiques distribués dans le Xinjiang sont en mandarin, non en ouïghour ou en kazakh. C'est que la politique linguistique chinoise à l'égard des médias a eu pour effet d'entraîner le déclin du nombre des journaux écrits dans ces langues minoritaires. Depuis les années 1980, les journaux en mandarin ont beaucoup augmenté, tandis que les journaux ouïghours, par exemple, se sont imprégnés d'une certaine sinisation du vocabulaire. Ainsi, tous les mots d'origine russe ont été systématiquement remplacés par des mots chinois. Quant aux journaux publiés en ouïghour et en kazakh, tels que Le Quotidien du Xinjiang et Le Quotidien du peuple, sont tous des traductions des éditions chinoises, sauf les journaux très locaux à faible diffusion. Dans les journaux de grande diffusion, on trouve généralement des traductions littérales diffusant une sorte de «ouïghour gouvernemental» souvent éloigné de l’ouïghour standard. Ces journaux encouragent même la substitution de termes ouïghours existants pour des mots chinois. 

Du côté des médias électroniques, toutes les chaînes émettent en mandarin. Les émissions radiophoniques et télévisées, relativement fréquentes au début des années 1990, ont été considérablement réduites depuis. Les sinophones bénéficient d'un grand nombre d'heures à la radio et à la télévision. Ils peuvent même recevoir des émissions par câblodistribution ou par satellite. Quant aux Ouïghours et aux Kazakhs, ils peuvent obtenir en principe les mêmes services, mais avec beaucoup moins d'heures de diffusion. Non seulement, il n'existe qu'une seule station de télévision en langue ouïghoure, mais la majorité des auditeurs possibles vivent dans les zones rurales ou désertiques et ne peuvent capter les ondes des émetteurs. De toute façon, on peut se demander avec quel argent ils pourraient bien se procurer le matériel électronique nécessaire. Au Xinjiang, seules les stations radiophoniques sont légèrement plus multilingues.

Comme au Tibet et en Mongolie intérieure, les stations de télévision et de radios du Xinjiang demeurent les plus importants outils de propagande pour le Parti communiste chinois. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en chinois, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation» de la langue ouïghoure. Tous les journalistes vivent dans une grande insécurité, tant ils ont peur d'être inquiétés par la police avec des accusations d'avoir publié des «pamphlets contre-révolutionnaires». Depuis 1990, de nombreux journalistes ont été emprisonnés et torturés.

 

La situation linguistique dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang n'est pas favorable aux minorités nationales. Les Ouïghours n'ont jamais contrôlé leur territoire depuis 1949. Les représentants ouïghours se voient dans l'obligation de composer avec une politique chinoise qui les ignore totalement, sauf lorsqu'il s'agit de les amadouer de peur qu'ils multiplient leurs revendications.

L'Administration locale ouïghoure ne tente même plus de présenter un caractère identitaire musulman à la région autonome. Lorsqu'elle le fait, elle s'appuie invariablement sur les chansons folkloriques, les instruments de musique, les costumes traditionnels, jamais la religion elle-même d'ailleurs considérée comme suspecte par Pékin. Malgré les déclarations officielles, la Région autonome du Xinjiang n'est jamais présentée comme musulmane, mais comme un territoire avec plusieurs minorités ethniques, dont les Ouïghours ne constituent qu'une partie parmi d'autres. Pour s'adapter et s'intégrer dans le Xinjiang, il faut être «un bon Chinois», un «musulman malléable» ou «docile» qui n'est pas trop religieux et «qui ne parle pas trop l'ouïghour». Paradoxalement, les Chinois ont eu tendance, dans la gouvernance de type colonial qu’ils pratiquent au Xinjiang, à favoriser les Kazakhs et les Kirghizes pour s’en faire des alliés contre les Ouïghours.

Comme ailleurs en Chine, il semble que les lois de protection ne soient là que pour masquer les pratiques de sinisation culturelle et de «nettoyage ethnique». Les instruments juridiques, qui ne servent pas à protéger l'identité minoritaire, ne sont là que pour amadouer la communauté internationale et protéger théoriquement les petites minorités nationales ne constituant pas une menace pour la Chine.  Il convient toujours de se rappeler qu'en Chine les politiques ethniques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs apparents de protection, tout en dissimulant une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise. Dans le Xinjiang, la politique d'assimilation ne semble pas avoir encore réussi, mais elle a permis de contrôler partiellement les tendances nationalistes des Ouïghours. En même temps, la question ouïghoure ne semble préoccuper ni la communauté internationale ni les organisations pour la défense des droits de l'homme. Les États doivent penser à leurs intérêts nationaux, et la Chine représente un immense marché!

Quoi qu'ilk en soit, la République populaire de Chine a raison de revendiquer sa place de puissance majeure dans le monde, c'est-à-dire à la mesure de son histoire et de sa taille. Toutefois, elle ne peut gagner le respect et susciter l'admiration en renouant avec les pires excès de sa tradition impériale et de son histoire récente. Dans les faits, il n’y a pas vraiment d’élimination physique systématique des Ouïghours, bien que ce soit une attaque évidente contre l’identité, la culture, les traditions ouïghoures et contre l’islam qu’ils pratiquent. Pourquoi tant d'acharnement contre des minorités vulnérables? Le sort actuel des Ouïghours semble indigne d'une puissance émergente comme la Chine qui se prétend un modèle pour le monde.

 
Dernière mise à jour: 20 févr. 2024
  Chine  

(1)
Région autonome zhuang
du Guangxi
 

(2) Région autonome
de Mongolie intérieure

(3)  Région autonome hui
du Ningxia
(4) Région autonome
ouïgoure du Xinjiang
(5) Région autonome
du Tibet
(6) La politique linguistique à l'égard des minorités nationales


(7)
Bibliographie

(8)  Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001)


 
L'Asie
Accueil: aménagement linguistique dans le monde