République populaire de Chine
Région autonome zhuang
du Guangxi

Capitale:  Nanning
Population: 50,1 millions (2020)
Langues officielles: chinois (putonghua) et zhuang
Groupe majoritaire:  chinois (62 %)
Groupes minoritaires: zhuang (32 %), yao (3 %), dong (0,6 %), mulao, maonan, chinois hui, jing, yi, sui, gelao
Système politique: région autonome de la Chine
Articles constitutionnels (langue): art. 4, 19 et 134 de la Constitution de 1982

Lois linguistiques: Règlement sur l'usage administratif des cantons ethniques (1993)
; Règlement sur le travail des minorités ethniques dans les villes (1993); Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001).
Lois à portée linguistique:
Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001-2015, en vigueur);
Loi sur la procédure administrative (1990); Règlement sur l'éradication de l'analphabétisme (1988-1993); Loi sur la carte d'identité de résident (2003); Loi organique sur les tribunaux populaires (2010); Loi sur le patrimoine culturel immatériel (2011); Loi sur la procédure pénale (2012); Loi sur l'éducation (2015); Loi sur la procédure civile (1991-2017); Loi sur l'enseignement obligatoire (2018); Loi sur la fonction publique (2018); Code civil (2020); Règlement détaillé pour la mise en œuvre de la loi sur l'enseignement obligatoire (2020); Loi sur la radio et la télévision (2021); Règlement d'application de la Loi sur la promotion de l'enseignement privé (2021); Esquisse pour le développement des enfants en Chine (2021-2030); Loi organique des assemblées populaires locales et des administrations populaires locales à tous les niveaux (2022).
Réglementation locale:
Règlement sur la langue et l'écriture des minorités (2018); Règlement sur la promotion de l'éducation ethnique (2018).

1 Situation géographique

Localisation de la province du Guangxi

La Région autonome zhouang du Guangxi (en pinyin: guǎngxī zhuàngzú zìzhìqū; en zhuang: Gvangjsih Bouxcuengh Swcigih) est située au sud de la Chine. D'une superficie de 236 000 km² (équivalant au Laos ou à Roumanie, mais à peine moindre que le Royaume-Uni), le Guangxi est limité à l'ouest par la province du Yunnan, au nord par la province de Guizhou, au au nord-est par la province du Hunan, au sud-est par la province de Guangdong et au sud-ouest par le Vietnam (voir la carte des provinces). Le Guangxi est situé à plus de 3000 km au sud de Pékin.

La région autonome est divisée en sept villes-départements : Nanning, Liuzhou, Guilin, Wuzhou, Beihai, Qinzhou et Fanchenggang. Nanning est la capitale régionale, une ville de 8,7 millions d'habitants (2021). Les autres villes importantes sont Liuzhou (4,1 M.), Guilin (4,9 M.), Beihai (1,8 M.), Wuzhou (2,8 M., Yulin (148 842) et Hechi ou Jinchengjiang (105 280). Les principales villes touristiques du Guangxi, Guilin, Nanning et Beihai, sont reliées entre elles par des lignes aériennes.

Rappelons que la Chine compte cinq régions autonomes «égales en statut à la province»: la Mongolie intérieure, le Guangxi, le Tibet, le Ningxia et le Xinjiang. En principe, le statut de régions autonomes s'applique aux provinces comptant historiquement d'importantes minorités nationales, telles que les Hui (le Ningxia), les Mongols (la Mongolie intérieure), les Zhuangs (le Guangxi), les Tibétains (le Tibet) et les Ouïgours (le Xinjiang). En plus de ces cinq régions autonomes, la Chine compte aussi 30 départements autonomes et 124 cantons autonomes et, dans certains cas, des districts autonomes.

Rappelons les cinq régions autonomes «égales en statut à la province»:

Nom
de la région autonome

Date
de fondation

Capitale
régionale

Superficie
(km2)

Population
en 2020

Ethnie
majoritaire

Ethnies
 minoritaires


Région autonome de Mongolie intérieure
 


1er mai 1947


Hohhot


1 197 547


24,7 millions


Hans (79%)


Mongols
(17%), Mandchous (2%), Hui (0,9%), Daur (0,3%)

Région autonome zhuang du Guangxi
 


15 mars 1958


Nanning


237 693


50,1millions


Hans
(62%)

Zhuangs (32%), Yao (3%, Hmong (1%), Dong (0,7%), Gelao (04%)

Région autonome du Tibet
 

1er septembre 1965


Lhassa


1 228 400


3,2 millions


Tibétains (92,8%)

Hans (6,1 %), Hui (0,3 %), Monba (0,3 %), autres (0,2 %)

Région autonome du Ningxia
 

25 octobre 1958


Yinchuan


62 818


6 millions


Hans (79 %)


Hui (20 %), Mandchous (0,4 %)

Région autonome ouïghoure du Xinjiang

1er octobre 1955


Urumqi


1 655 826


24,8 millions


Ouïghours (45 %)

Hans (41 %), Kazakhs (7 %), Hui (5 %), Kirghizes (0,9 %), Mongols (0,8 %), Dongxiang (0,3 %), Tadjiks (0,2 %), Xibe (0,2 %)

En principe, les régions autonomes s'occupent de leurs affaires intérieures, le pouvoir central chinois se réservant généralement la défense, les affaires étrangères et une foule d'autres prérogatives. Les matières suivantes sont réglementées par la province ou la région autonome: l'éducation, la santé publique, les industries et communications provinciales, l'administration et la mise en vente des propriétés de la province, l'administration des municipalités sous juridiction provinciale, les coopératives provinciales, l'agriculture et les forêts, la conservation des eaux, la pêche et l'élevage, etc.  Dans les faits, les régions autonomes n'ont qu'une faible marge de manœuvre, car les autorités chinoises demeurent omniprésentes.

2 Données démolinguistiques

La Région autonome zhouang du Guangxi comptait une population de 50 millions d'habitants en 2021. C'est une région multiethnique comptant une trentaine de groupes ethniques, dont les Zhuangs, les Hans, les Yao, les Miao, les Dong, les Mulao, les Maonan, les Hui, les Jing, les Yi, les Shui et les Gelao.

2.1 Les groupes ethniques

Groupes ethniques, recensement 2000
Nationalité Population Pourcentage
Han  27,8 millions 62 %
Zhouang 14,8 millions 32 %
Yao      1,4 million 3,0 %
Dong

280 000

0,6 %
Maonan

170 000

0,3 %
Mulao         150 000 0,3 %
Hui

20 000

0,0 %
Jing

16 000

0,0 %
Yi

10 000

0,0 %
Sui

12 000

0,0 %
Gelao

2000

0,0 %
Les Hans constituent l'ethnie majoritaire avec 62% de la population de cette région autonome. Ils vivent surtout dans le Nord-Est et le Sud-Est ainsi que dans les villes telles que Nanning, Guigang, Liuzhou, Guilin, Yangshuo et Beihai. De façon générale, les Hans sont installés dans les plaines et les villes situées près des frontières des provinces du Guangdong et du Hunan. Ils parlent, selon le cas, le mandarin ou l'une de ses nombreuses variétés dialectales ou une autre langue chinoise comme le hakka, le xiang, le cantonais, etc. À Nanning, quelque 200 000 locuteurs parlent le pinghua, une variante du cantonais.

Les minorités du Guangxi représentent donc près de 40% de la population. Les Zhuangs forment la communauté minoritaire la plus importante dans le Guangxi avec 32% de la population; c'est en vertu de ce principe que le Guangxi a d'ailleurs obtenu le statut de «région autonome», ce qui l'autorise à gérer lui-même certaines affaires internes. Les Zhuangs constituent aussi la plus importante minorité non chinoise de toute la Chine. Dans la Région autonome du Guangxi, il existe une bonne douzaine d'autres petits groupes minoritaires tels que les Yao (1,3 million), les Dong (280 000), les Mulao (150 000), les Maonan (170 000), les Hui (20 000), les Jing (16 000), les Yi (10 000), les Sui (12 000), les Gelao (2000), etc. À l'exception des Hui (concentrés à Nanning, Guilin et Liuzhou) et des Jing (concentrés à Fangchenggang), les minorités du Guangxi vivent dans l'Ouest et le Nord-Ouest, refoulées par les Hans dans les régions montagneuses.

2.2 Les langues parlées

Les langues locales les plus courantes dans la Région autonome zhuang du Guangxi sont le zhuang, le chinois guiliu (ou chinois de Guilin) et le tubai.

- Le zhuang

Près de 25% des Zhuangs ne parlent que leur langue ancestrale, ce qui peut donner une idée de l'analphabétisme ou du faible taux de scolarité des Zhuangs. La langue zhuang est une langue dite tonale (comme le chinois ou le vietnamien) possédant six tons dans les syllabes ouvertes; elle fait partie des langues kam-thaï de la famille thaï-kadai. Il existe aussi des communautés zhuang dans les provinces voisines de Yunnan, Guangdong, Guizhou et Hunan. Les régions peuplées de plus de 100 000 Zhuangs sont les provinces du Yunnan et du Guangdong. Dans les provinces du Guizhou, de Hainan, du Hunan et du Hebei, la population des Zhuangs est supérieure à 10 000. Cela étant dit, le Guangxi abrite 87,8 % des 16,1 millions de Zhuangs de la Chine.

- Le mandarin guiliu

Le mandarin guiliu (ou mandarin de Gui-Liu) est une branche du mandarin du Sud-Ouest. C'est une variété dialectale formée par la famille des langues indigènes zhuang-dong dans le Guangxi. Le guiliu est parlé par environ 15 millions de locuteurs, ce qui correspond à la moitié des Hans du Guangxi. Évidemment, le guiliu est fortement concurrencé par le putonghua, le mandarin officiel.

 

- Les autres langues

Parmi les autres minorités du Guangxi, mentionnons les Yao, les Dong, les Mulao, les Maonan, les Hui, les Miao, les Jing, les Yi, les Sui (ou Shui) et les Gelao. Le maonan et le yi font partie des langues tibéto-birmanes; le dong, le mulao, le sui et le gelao appartiennent aux langues kam-thaï de la famille thaï-kadai; le yao et le miao font partie des langues hmong de la famille hmong-mien. Seuls le hui et le jing sont des langues chinoises. Toutes ces minorités sont dispersées dans l'ouest et le nord du Guangxi. Si l'on fait exception du yao parlé par plus d'un million de locuteurs, ces langues ne sont utilisées que par peu de locuteurs. Généralement bilingues, les locuteurs des langues minoritaires parlent également le zhuang lorsqu'ils vivent dans les mêmes districts que les Zhuangs, sinon ils parlent aussi le chinois mandarin ou le chinois hakka.

La plupart des membres des minorités non chinoises sont polythéistes et vénèrent, entre autres, les rochers géants, les vieux arbres, les hautes montagnes, le sol, les dragons, les serpents, les oiseaux et leurs ancêtres. Cependant, le taoïsme a aussi exercé une grande influence sur certains d'entre eux. Les statistiques locales montrent que 84% de la population du Guangxi peut aujourd'hui s'exprimer en mandarin commun.

3 Données historiques

ll y a environ 5000 ans, des populations thaïes, dont faisaient partie les Zhuangs, partirent de la Chine centrale vers le sud pour s'installer dans ce qui est aujourd'hui le Guangxi, alors que d'autres Thaïs poursuivirent leur voyage vers le sud et formèrent les peuples qui deviendront les Lao, les Thaïs et les Shan. Tous ces peuples, dont les Zhuangs, les Thaïs et les Nung, parlant des langues taïkadai, vécurent sous la domination de l'empire du Vietnam; donc, le territoire de ce qui est aujourd'hui le Guangxi.  En l'an 111 avant notre ère, l'empereur chinois Wudi (de -156 à -87), de la dynastie des Hans, envahit le Vietnam. Les dirigeants chinois décidèrent d'intégrer politiquement et culturellement à leur empire le Vietnam devenu la province du Jiaozhi (nom en chinois) ou du Giao Chi (nom en sino-vietnamien). Une grande partie de ce qui est la Chine actuelle fut alors soumise à l’ordre impérial, même si de nombreuses régions, notamment au sud du Yang-tseu-kiang (appelé alors le «fleuve Bleu»), n'étaient pas encore complètement intégrées : ce fut le cas notamment avec le nord du Vietnam.

Les Hans amorcèrent un programme de transfert de la population afin de renforcer leur autorité dans cette partie du pays. Ils construisirent des canaux d'irrigation pour relier les fleuves Xiang et Lijiang, et former le canal Lingqu. Lorsque les Hans prirent le pouvoir, ils installèrent des postes militaires à Guilin, à Wuzhou et à Yulin, ce qui réduisit l'autonomie administrative locale.

Puis, en l'an 42 de notre ère, un certain général Ma Yuan du Tonkin organisa une révolte et réussit à restaurer l'autorité zhuang et à améliorer la qualité de vie des Zhuangs. Des temples en l'honneur de cet illustre général existent encore aujourd'hui.

3.1 Le premier éclatement zhuang

Après la chute de la dynastie Han (v. 200), de nombreux Yao en provenance du Hunan vinrent s'installer dans le Guangxi, notamment dans la région de Guiping. Étant donné que les Yao étaient réfractaires à toute intégration, ils s'opposèrent rapidement aux Chinois hans, ce qui valut aux Zhuangs des représailles de la part des Hans. Sous la dynastie Tang (618 à 907), le Guangxi, le Hainan et le Guangdong firent partie de la province de Ling-nan Tao. Les Zhuangs décidèrent de se ranger du côté du royaume thaï de Nanchao dans le Yunnan, ce qui eut pour résultat de diviser le peuple zhuang entre une partie pro-zhuang à l'ouest de Nanning, la capitale, et une partie pro-han à l'est de Nanning. Cette division provoquera une fragmentation entre les langues zhuangs : le zhuang du Nord ou septentrional et le zhuang du Sud ou méridional. C'est à cette époque que les Chinois commencèrent à écrire sur les relations qu'ils avaient avec les «barbares du Sud», car pour les Chinois les Zhuangs étaient considérés comme des «primitifs», pas autant que les autres peuples de la région, mais ils l'étaient quand même pour eux! Les Chinois s'employèrent à étendre leur mode de vie aux peuples du Sud. Pour ce faire, ils y établirent des écoles confucéennes, implantèrent leurs méthodes d'agriculture intensive et détruisirent parfois les temples locaux.

Évidemment, l'expansion chinoise ne se réduit pas à une émigration pacifique: elle s'accompagna aussi de conflits militaires. Au Xe siècle, la dynastie Song (960-1279) annexa le Guangxi, ce qui aggrava les conflits entre les Yao, les Zhuangs et les Hans.  En 1052, les Zhuangs se soulevèrent et fondèrent un royaume indépendant dans le Sud-Ouest. La révolte fut rapidement écrasée par les Chinois qui devinrent encore plus violents, tandis que les Zhuangs se révoltaient davantage.

Les Chinois demeurèrent incapables d'étendre leur contrôle sur tous les Zhuangs. Lorsque la dynastie Song fut remplacée par la dynastie Yuan (1271-1368), celle-ci décida de faire du Guangxi une «province chinoise» en lieu et place d'un territoire occupé. Les résultats ne se firent pas attendre, car toute la région sombra dans le chaos, alors que les Zhuangs, les Yao et ensuite les Miao (arrivés du Guizhou et du Hunan) se soulevèrent continuellement contre le pouvoir chinois. En même temps, de nombreux paysans chinois s'installèrent dans le Sud et colonisèrent les régions du fleuve Xiang, ce qui incita les Zhuangs à émigrer vers l'Ouest en laissant derrière eux les groupes de Zhuangs qui s'assimilaient aux Hans.

3.2 La poursuite des conflits ethniques

Sous la dynastie Ming (1368-1644), le Guangxi connut une autre sombre période. Afin de calmer la région, les Chinois équipèrent une armée pour que les Zhuangs puissent se défendre contre les Yao. Une fois ces derniers éliminés, l'armée se retourna contre les chefs zhuangs pour les éliminer à leur tour. Les guerres entre les Zhuangs et les Chinois firent des milliers de victimes, dont 20 000 pour la seule bataille de Rattan en 1465. C'est à cette époque que les principales villes du Guangxi connurent la prospérité. Tout le Sud et les principales villes du Guangxi se sinisèrent.

Le Guangxi vécut dans la tourmente durant une grande partie du règne de la dynastie Qing (1644-1912). La région se calma pour un temps à partir de 1726, c'est-à-dire lorsque les Chinois imposèrent l'administration directe dans la province qui fut gouvernée par un vice-roi. Le gouvernement impérial encouragea la colonisation chinoise de l'exploitation des côtes et des frontières vers le Vietnam. Un siècle plus tard, les révoltes recommencèrent avec les Yao en 1831, puis en 1850 lors de la rébellion Taiping (1851-1864), en 1858 avec la seconde guerre de l'opium et en 1885 avec la guerre franco-chinoise. Les Zhuangs et les Hans du Guangxi formèrent l’Armée de la Bannière noire et refoulèrent les Français à trois reprises, dont lors de la célèbre victoire de Zhennanguan, à la frontière de la Chine et du Vietnam. Ces événements successifs causèrent une grave dépression économique qui dura tout au long du XIXe siècle. L'ouest de la province du Guangxi, avec ses minorités vivant dans leurs régions montagneuses, demeura isolé des grands bouleversements et évènements qui ébranlèrent la Chine au XIXe siècle.

Après la chute des Qing en 1912, les Zhuangs mandatèrent des représentants auprès de Pékin pour réclamer l'autonomie du Guangxi, mais les pourparlers n'aboutirent jamais. L'effondrement du gouvernement provincial du Guangxi en 1921 entraîna une foule de problèmes pour les Zhuangs. Des bandes de vagabonds et de soldats démobilisés commencèrent à ravager les petites fermes zhuang. Les Zhuangs se révoltèrent en 1927 et imposèrent une semi-autonomie durant deux ans, soit jusqu'à ce que le général Tchang Kaï-chek réussisse à écraser la révolte en 1929. Néanmoins, la province ne connut pas la paix, car le Guangxi demeura complètement désorganisé, abandonné à trois seigneurs de la guerre, appelés «clique du Guangxi», jusqu'en 1950. La province devint une cible privilégié lors de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Japonais envahirent la côte dès 1939. Les envahisseurs organisèrent une offensive contre la partie ouest du Guangxi, mais la guérilla zhuang et une contre-attaque chinoise les repoussèrent. À cette époque, le Guangxi était infesté de bandits et de rebelles, et parcouru de conflits ethniques. Les autorités civiles installées à Guilin (alors la capitale), souvent peu en contact avec le gouvernement central, étaient généralement laissées à leur propre initiative, soit tolérantes ou rigides, selon les intérêts locaux du moment. Parmi toutes les nationalités de Chine, les Zhuangs furent à peu près le seul peuple qui reçut avec bienveillance l'Armée populaire de libération au moment de sa marche dans la province en 1949. Pour certains observateurs, ce simple fait était révélateur de la faible résistance des Zhuangs par rapport à la civilisation han. Autrement dit, les Zhuangs étaient déjà acquis à l'idéologie chinoise.

3.3 Le statut de région autonome

Le 15 mars 1958, la province du Guangxi devint officiellement la Région autonome zhuang du Guangxi, avec Nanning comme capitale à la place de Guilin. Mais les Zhuangs n'avaient guère exigé un tel statut. Il n'existait plus aucun mouvement national en ce sens dans le Guangxi. En réalité, ce sont les autorités chinoises qui sentirent le besoin d'accorder ce statut, non pour protéger les Zhuangs déjà minoritaires (36,9 %), mais pour se doter d'un modèle reflétant leur politique et leur idéologie, celles de la République populaire de Chine. C'était aussi une façon pour le Parti communiste chinois de répliquer à la montée massive du nationalisme des nationalités (le chauvinisme local) en offrant un modèle de région autonome, dont le choix portait sur une nationalité déjà fortement assimilée. Même la nouvelle capitale, Nanning, n'était pas contrôlée par les Zhuangs, car elle était presque entièrement sinisée, contrairement à Guilin.

Afin de se conformer à l'idéologie de la construction socialiste du Parti communiste chinois, une représentation proportionnelle stricte fut respectée dans l'élection du premier Conseil populaire de la nouvelle région autonome. Les Zhuangs reçurent alors trois des dix postes de la vice-présidence, les Yao, les Dong et les Miao en reçurent chacun un, et les Hans, quatre. Cependant, seuls les représentants des nationalités étaient bilingues, les Hans demeurant unilingues chinois. Les assemblées devaient donc se dérouler en chinois.

En ce qui a trait à la question linguistique, les Zhuangs pouvaient difficilement administrer leur propre région autonome dans leur langue ancestrale, puisqu'ils ne disposaient même pas encore d'écriture. De plus, ils étaient aussi analphabètes en chinois commun qu'en zhuang. Ceux qui devaient écrire le faisaient nécessairement avec les caractères chinois. Quelques mois après le 15 mars 1958, le Conseil d'État de la République populaire de Chine, de sa propre initiative, adoptait un alphabet romanisé pour les Zhuangs. Aussitôt, quelque 350 000 Zhuangs, sur une population de 7,3 millions, durent immédiatement employer le nouvel alphabet élaboré si généreusement par le peuple chinois.

La région profita ensuite d’une politique de développement économique et social à l'égard des minorités, mais les cantons zhuangs demeurèrent en marge de cette prospérité économique. Ce sont les Hans du Nord-Est et de l'Est qui en profitèrent. Au cours des années 1970, le statut de région autonome n'avait pas encore apporté l'auto-administration promise et ne correspondait plus qu'à une façade qui n'avait rien à voir avec les pratiques réelles. L'effet sur les Zhuangs fut plutôt d'accélérer leur assimilation au lieu de renforcer leur autonomie et leur identité. Le 21 juillet 1973, la radio officielle de Nanning put fièrement annoncer:

Plusieurs cadres des minorités du pays ont été formés pour jouer un rôle important dans la révolution et la construction socialiste. Les peuples zhuang, yao, dong et les autres minorités comptent maintenant 87,4 % des cadres aux niveaux du canton, de la commune et de la brigade.

Sauf qu'on ne mentionnait pas de quel type de cadre il s'agissait. Parmi les postes élevés, il ne restait plus qu'un seul Zhuang, complètement sinisé. 

Fait à noter, les minorités ethniques ont droit à deux enfants (au lieu d'un seul) avec un délai de quatre ans obligatoire avant la naissance du deuxième enfant. Cependant, en mai 2007, près de 50 000 paysans du Guangxi lancèrent des pierres à la police anti-émeute durant deux jours. Les autorités locales avaient imposé aux familles n'ayant pas respecté la politique de limitation des naissances des amendes équivalentes à dix fois leur revenu annuel. Les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi auraient été tués par la foule.

Aujourd'hui, beaucoup de Zhuangs plus âgés considèrent que leur peuple s'assimile inexorablement à la langue et à la culture han. Tout ce qui demeure vivant dans la culture zhuang correspond uniquement à la musique et aux vêtements traditionnels portés lors des fêtes nationales.  Bref, les autorités chinoises encouragent les Zhuangs à sauvegarder surtout leur folklore hérité de la culture thaïe. Il n'en demeure pas moins que, pour les autorités chinoises, la Région autonome du Guangxi est devenue une province chinoise comme les autres.

4 La politique linguistique

Précisons que les lois et règlements de la République populaire de Chine s'appliquent dans toutes les régions autonomes bien que celles-ci puissent adopter des dispositions supplémentaires concernant leur territoire dans la mesure où leur réglementation n'entre pas en contraction avec celle du gouvernement central. Dans le cadre du présent article, il est apparu inutile de reprendre intégralement le texte de l'article intitulé «5. La politique à l'égard des minorités nationales». On tiendra compte surtout des dispositions qui caractérisent plus particulièrement la Région autonome zhuang du Guangxi.

4.1 La garantie constitutionnelle

Cette région autonome ne dispose pas d'une politique linguistique propre, puisque c'est le gouvernement central qui prend toutes les décisions à ce sujet. Rappelons l'article 4 de la Constitution chinoise qui reconnaît le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue:

Article 4

Nationalités, minorités, régions, langues

1) Toutes les nationalités sont égales en droits en République populaire de Chine. L'État garantit les droits et les intérêts légitimes des minorités ethniques, il maintient et développe les rapports entre les nationalités selon les principes d'égalité, de solidarité, d'entraide et d'harmonie. Toute discrimination et oppression à l'égard d'une nationalité, tout acte visant à saper l'unité des nationalités et toute activité séparatiste sont à proscrire.
[Modifié par le 5e amendement, al. 38, le 11 mars 2018]

2) L'État aide les régions de minorités nationalités à accélérer leur développement économique et culturel en tenant compte de leurs particularités et de leurs besoins.

3) L'autonomie régionale est appliquée là
où les minorités nationalités vivent en groupes compacts ; à cet effet sont établis des organismes d'administration autonome qui exercent le droit d'autonomie. Toutes les régions d'autonomie nationale sont partie intégrante de la République populaire de Chine.

4) Toutes les nationalités jouissent de la liberté d'utiliser et de développer leur langue et leur écriture, de conserver ou de réformer leurs usages et coutumes.

L'une des parties du premier paragraphe est importante, car elle peut servir à limiter ou à supprimer des droits accordés: «Tout acte visant à saper l'unité nationale et établir un séparatisme ethnique est proscrit.» Le gouvernement central a adopté plusieurs lois à portée linguistique, mais les principales lois sont la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), la Loi sur l'éducation (12015) et à la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001).

4.2  L'administration locale et la législation

Les régions autonomes (自治区: zìzhìqū) ont été créées par le gouvernement communiste à partir de 1947. La Constitution actuelle donne en principe aux régions autonomes (voir la carte des régions autonomes) une certaine indépendance financière, économique et administrative. Normalement, le président de la région doit appartenir à la nationalité exerçant l'autonomie régionale ou à une des nationalités parmi celles reconnues dans l'exercice de l'autonomie régionale.

Les principales responsabilités des administrations locales concernent l’éducation, la santé, l’agriculture et l’aide sociale. Conformément aux dispositions de la réglementation concernant les zones ethniques autonomes, les organismes d'autonomie doivent employer une ou plusieurs langues locales couramment utilisées lorsqu'ils exercent leurs fonctions officielles. Si plusieurs langues peuvent être utilisées pour ces fonctions officielles, la langue du groupe ethnique exerçant l'autonomie régionale doit être employée en priorité.

Les assemblées locales des organismes autonomes du Guangxi peuvent employer des langues des minorités linguistiques en plus du putonghua. D'ailleurs, l'article 16 de la Loi sur la procédure civile (1991-2017) prévoit que les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent formuler et élaborer des règlements:

Article 16

Les assemblées populaires des zones autonomes ethniques peuvent, conformément aux dispositions de la Constitution et de la présente loi et, compte tenu des conditions particulières des ethnies locales,
formuler des dispositions modifiées ou complémentaires. Les règlements de la région autonome sont soumis au Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale pour approbation. Les dispositions des départements autonomes et des comtés autonomes sont communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire de la province ou de la région autonome pour approbation, et communiquées au comité permanent de l'Assemblée populaire nationale à des fins d'enregistrement.

Étant donné que les communautés ethnolinguistiques membres d'un organisme autonome peuvent employer leur langue, ils ont aussi le droit en principe de rédiger les réglementations dans leur langue, en plus du putonghua. C'est ainsi que l'Assemblée populaire de la région autonome du Guangxi a pu adopter le Règlement sur la langue et l'écriture des minorités (2018) et le Règlement sur la promotion de l'éducation ethnique (2018). Cependant, tout acte réglementaire de la région autonome doit être conforme aux lois nationales. Voici le genre de restrictions inscrites dans le Règlement sur la langue et l'écriture des minorités (2018):
 

Article 1er

Le présent règlement est formulé sur la base de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques, de la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales et d’autres lois et règlements administratifs, et à la lumière des conditions réelles de la région autonome, afin de renforcer l'usage des langues minoritaires, de garantir la liberté de toutes les minorités ethniques d’employer et de développer leurs langues et leurs écritures, de protéger et de développer scientifiquement les langues et les écritures des minorités ethniques, de promouvoir la prospérité commune de toutes les cultures ethniques et de promouvoir l’unité et le progrès des groupes ethniques.

Le Règlement sur la langue et l'écriture des minorités est entré en vigueur le 1er août 2018. Il réglemente la standardisation, la normalisation et la construction de l'informatisation des langues minoritaires, l'éducation bilingue, le cadre professionnel et les programmes, la formation des enseignants, l'apprentissage bilingue pour les cadres. L'article 10 de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001) prescrit aux organismes autonomes de garantir que tous les groupes ethniques ont la liberté d'utiliser et de développer leurs propres langues parlées et écrites, et de maintenir ou de réformer leurs us et coutumes:

Article 10

Les organismes autonomes des régions autonomes ethniques garantissent que tous les groupes ethniques d'une zone ethnique ont la liberté d'utiliser et de développer leurs propres langues parlées et écrites, et de maintenir ou de réformer leurs propres us et coutumes.

Il en est ainsi à l'article 8 de la Loi sur la langue et l’écriture communes nationales (2001):

Article 8

1) Tout groupe ethnique possède la liberté d'utiliser et de développer sa propre langue et sa propre écriture.

2) L'utilisation des langues et écritures des minorités ethniques s'appuie sur les dispositions en la matière qui sont inscrites dans la Constitution, dans la Loi sur l'autonomie des régions ethniques et dans d'autres textes législatifs.

De plus, l'article 4 du Règlement sur la langue et l'écriture des minorités (2018) privilégie la langue «tutélaire», le zhuang, tout en ne nuisant pas aux variétés dialectales de cette langue:

Article 4

Sur la base de la promotion et de l'usage unifiée de la langue parlée et écrite commune nationale, la région autonome doit encourager et soutenir l'emploi de la langue et de l'écriture zhuang dans le programme de langue zhuang approuvé par l'État dans les zones habitées par la nationalité zhuang. .

L'emploi de la langue et des caractères zhuang déterminés dans le «Programme de langue zhuang» ne doit pas affecter l'usage des dialectes zhuangs et d'autres langues et caractères minoritaires locaux à divers endroits.

L'article 20 du Règlement sur la langue et l'écriture des minorités (2018) énonce clairement que dans le recrutement des fonctionnaires on doit privilégier des candidats bilingues maîtrisant à la fois la langue nationale commune et la langue minoritaire:

Article 20

Lors du recrutement de fonctionnaires et d'institutions dans les zones habitées par des minorités ethniques, en fonction des besoins et du nombre de postes, certains de ceux-ci sont désignés pour recruter des candidats bilingues maîtrisant à la fois la langue nationale commune et la langue minoritaire.

Lors du recrutement de fonctionnaires et du personnel professionnel et technique dans les zones habitées par des minorités ethniques, des quotas et des postes correspondants doivent être désignés, et des candidats bilingues maîtrisant la langue et l'écriture communes nationales et la langue et l'écriture des minorités ethniques doivent être sélectionnés de manière ciblée.

Toute l'administration gouvernementale emploie généralement le putonghua dans ses relations avec les administrés, à l'exception de plusieurs postes subalternes dans les villes où cohabitent les Hans et les Zhuangs, ainsi que d'autres petites minorités. La quasi-totalité des cadres, des fonctionnaires, des gens d'affaires, des juges, des enseignants, etc., est d'origine han. Comme le zhuang est théoriquement une langue officielle dans la région autonome, certains documents officiels paraissent en zhuang. Il n'est pas toujours aisé d'utiliser, par exemple, le zhuang ou le yao dans les bureaux administratifs, car il s'est installé depuis longtemps une pratique qui favorisait le mandarin officiel. Partout, celui-ci sert de langue de travail. Dans toutes les administrations gouvernementales (bureaux, banques, postes, stations d’autobus, etc.), la plupart des documents ne sont rédigés aujourd'hui qu'en mandarin commun, rarement dans une langue minoritaire. Il en est ainsi des noms de localité (toponymes) qui, de façon progressive, perdent leur dénomination zhuang ou yao pour une dénomination en putonghua.

4.3 Les langues minoritaires en justice

Les tribunaux populaires locaux constituent les organismes aptes à employer des langues minoritaires. L'article 139 de la Constitution autorise le recours à ces langues:

Article 139

1) Les citoyens des différentes nationalités du pays ont le droit d'utiliser leur propre langue parlée et écrite au cours des procès. Pour les parties ne possédant pas la langue et l'écriture en usage dans la localité, le tribunal populaire et le parquet populaire doivent assurer la traduction.

2) Dans les régions où une minorité nationale vit en groupes compacts ou dans celles où cohabitent plusieurs nationalités, il faut employer, au cours des audiences, la langue parlée communément en usage dans la localité et, selon les besoins réels, la langue ou les langues écrites communément en usage dans ladite localité pour dresser l'acte d'accusation et le verdict, rédiger les avis au public et les autres documents.

La loi ne précise pas que le juge doit connaître la langue minoritaire en usage dans une localité, mais la traduction est prévue. Officiellement, la procédure judiciaire peut se dérouler en zhuang ou dans une autre langue minoritaire. Effectivement, la Constitution, la Loi sur la procédure civile, la Loi organique sur les tribunaux populaires, la Loi sur la procédure civile, la Loi sur la procédure pénale et la Loi sur l'autonomie des régions ethniques énoncent formellement que les citoyens appartenant à des minorités ethniques ont le droit d'employer leur propre langue dans les procès et que les jugements doivent être publiés dans la langue locale commune. Cela signifie que, dans les zones autonomes, les procès peuvent être bilingues. Tel est la disposition de l'article 47 de la Loi sur l'autonomie des régions ethniques:

Article 47

Les tribunaux populaires et les parquets populaires des zones autonomes ethniques doivent utiliser la langue locale couramment utilisée pour juger et poursuivre les procès, et affecter raisonnablement du personnel maîtrisant les langues des minorités locales couramment utilisées. Pour les participants au procès qui ne maîtrisent pas la langue locale couramment utilisée, une traduction doit leur être fournie. Les documents juridiques doivent utiliser une ou plusieurs langues couramment utilisées dans la localité en fonction des besoins réels. Il est garanti que les citoyens de tous les groupes ethniques ont le droit d'utiliser dans les procès leurs propres langues parlées et écrites.

L'article 14 du Règlement sur la promotion de l'éducation ethnique (2018) semble prescrire l'usage des langues minoritaires dans les tribunaux populaires locaux:

Article 14

Les citoyens des minorités ethniques ont le droit d'utiliser leur langue parlée et écrite pour les litiges. Les tribunaux populaires et les parquets populaires dans les régions où cohabitent des minorités ethniques et où vivent de nombreux groupes ethniques doivent utiliser la langue locale pour juger et poursuivre les causes. Pour les participants au litige qui ne maîtrisent pas la langue et l'écriture locales, une traduction doit leur être fournie. Les tribunaux populaires et les parquets populaires doivent, selon les besoins réels, employer une ou plusieurs langues couramment utilisées localement dans les documents judiciaires.

En la matière, les Zhuangs et autres minorités bénéficient, comme les habitants des autres régions, de tous les droits prévus par la loi, mais la connaissance du putonghua demeure incontournable.  Il est extrêmement rare qu'un juge comprenne le zhuang ou le yao, pour ne mentionner que ces deux seules langues, le recours à un interprète étant systématique. Légalement, les juges ne sont pas tenus de savoir le zhuang. C'est le principe du droit de parler sa langue maternelle, qui n'implique pas nécessairement celui d'être compris dans sa langue. 

4.4 L'éducation

L'État chinois a élaboré des principes généraux en matière de protection linguistique, tout en mettant en vigueur un enseignement de la langue nationale à tous les citoyens du pays. En fait, l'usage des langues minoritaires dans le Guangxi en éducation fait face à de sérieux problèmes dans la mesure où l'éducation a été perçue comme le moyen privilégié pour inculquer la fidélité à l'État chinois. D'où le dilemme suivant : comment maintenir les langues ethniques et assurer l'apprentissage de la langue commune officielle.

- La protection juridique

Conformément à l'article 36 de la  Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001), les organismes autonomes peuvent décider de la langue enseignée dans les écoles de leur localité:

Article 36

Les organismes autonomes des zones autonomes ethniques doivent, conformément à la politique éducative de l'État et conformément aux dispositions de la loi, décider de la planification de l'éducation de la localité, de la création d'écoles de tous niveaux et types, le système d'éducation, la forme de gestion des écoles, le contenu de l'enseignement, les termes utilisés pour l'enseignement et les méthodes d'inscription des élèves.

Il en est ainsi de l'article 12 de la Loi sur l'éducation (2015), sauf qu'il est clairement énoncé que le chinois ou putonghua demeure obligatoire:

Article 12

1) La langue chinoise parlée et écrite commune doit être la langue de base utilisée par les écoles et autres établissements d'enseignement dans l'éducation et l'enseignement, et les écoles et autres établissements d'enseignement doivent utiliser la langue chinoise parlée et écrite standard dans l'éducation et l'enseignement.

2) Les écoles et autres établissements d'enseignement
dans les zones ethniques autonomes qui sont principalement composées d'élèves issus de minorités ethniques doivent, selon les circonstances réelles, mettre en œuvre un enseignement bilingue dans la langue parlée et écrite commune de l'État et la langue parlée et écrite commune de leur propre groupe ethnique ou groupe ethnique local.

3) L'État doit prendre des mesures pour faciliter et soutenir
la mise en œuvre de l'enseignement bilingue
dans les écoles et autres établissements d'enseignement dominés par des élèves appartenant à des minorités ethniques.

L'Assemblée de la Région autonome zhuang du Guangxi a adopté le Règlement sur la promotion de l'éducation ethnique (2018) dans lequel elle demande aux administrations locales, les cantons ou au-dessus, d'accélérer le développement de l'éducation préscolaire, primaire et secondaire, tout en satisfaisant aux normes nationales exigées par l'État, c'est-à-dire le bilinguisme avec le putonghua:
 

Article 8

Les administrations populaires au niveau du canton ou au-dessus doivent accélérer le développement de l’éducation préscolaire dans les zones habitées par des minorités ethniques, soutenir la construction de jardins d’enfants privés publics et inclusifs, allouer les ressources éducatives nécessaires, améliorer les conditions d’éducation des enfants et répandre progressivement l’éducation préscolaire.

Article 9

Les administrations populaires au niveau des cantons ou au-delà doivent renforcer la normalisation des écoles d’enseignement obligatoire dans les zones habitées par des minorités ethniques, améliorer complètement les conditions de base pour la gestion des écoles dans les établissements faibles et satisfaire aux normes prévues par l’État. Elles doivent veiller à ce que le taux de consolidation de l’enseignement obligatoire pour les élèves des minorités ethniques et celui de toutes les nationalités dans les zones habitées par des minorités ethniques soit conforme aux normes nationales. Les enfants et adolescents d'âge scolaire des minorités ethniques ont le droit garanti de recevoir l’enseignement obligatoire sur un pied d’égalité.

Article 10

Les administrations populaires au niveau du canton ou au-dessus doivent accélérer la propagation de l'enseignement secondaire pour les élèves des minorités, soutenir la construction d'écoles secondaires ordinaires dans les zones habitées par des nationalités minoritaires et fournir des installations et des équipements tels que des livres, des laboratoires et des instruments d'enseignement, conformément aux normes prescrites par l'État. Elles doivent promouvoir le développement diversifié et caractéristique des lycées ordinaires, et encourager et soutenir la création de lycées polyvalents.

Cependant, ce genre de disposition s'apparente davantage à des vœux pieux plutôt qu'à des obligations. De plus, ces articles ne mentionnent aucune langue minoritaire, même pas le zhuang. Les autorités locales affirment pourtant que la région autonome compterait 20 groupes ethniques sur 56, dont la langue est parlé par plus de 1000 locuteurs: zhuang, yao, hmong, dond, mulao, maonan, buyi, jing, yi, etc.  

Par ailleurs, la Chine a signé, le 2 mars 1992, la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. L'article 30 énonce:

Article 30

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

La Chine est ainsi obligée de s'assurer que les Zhuangs, les Yao, les Dong, les Mulao, etc., les autres minorités nationales bénéficient de la protection concernant les «minorités ethniques, religieuses ou linguistiques».

- La réalité dans l'enseignement des langues minoritaires

Le système d'éducation dans le Guangxi est fondé sur l'apprentissage de la langue maternelle durant les premières années du primaire, mais l'enseignement du putonghua demeure obligatoire pour les minorités. De leur côté, les Hans n'ont pas à apprendre ces langues. Dans le Guangxi, les Hans ont droit à une instruction en putonghua et apprennent l'anglais comme langue seconde. Quant aux membres des nationalités, ils peuvent recevoir leur instruction dans leur langue, mais ce droit n'est réel que dans les zones rurales et les villages où ils sont en concentration suffisante. Dans les villes, ce sont surtout des écoles bilingues, généralement en zhuang ou encore en yao et en putonghua, mais dans les grandes villes seules les écoles en mandarin officiel sont disponibles. Au secondaire, il n'existe guère d'écoles où l'on enseigne en une langue minoritaire. L'un des problèmes provient du fait que, malgré la législation en vigueur, l’école obligatoire durant le primaire n'est pas gratuite. En raison de la pauvreté des familles zhuang, yao, miao, etc., la plupart des filles ne peuvent fréquenter l'école, alors que la priorité est accordée aux garçons. De plus, beaucoup de garçons délaissent l'école avant d'arriver au secondaire.

Le gouvernement régional a accordé une certaine priorité à l'instruction dans les langues minoritaires pour les écoles destinées à l'agriculture, la sylviculture, la pêche et la culture des rizières. Des manuels ont été traduits en zhuang et en yao, mais ils ne sont disponibles que pour le réseau du primaire. Le problème le plus important, c'est le taux de décrochage des élèves dans les régions rurales. En Chine, lorsqu’on parle de quelqu'un qui utilise une langue minoritaire et qui n’a pas été à l’école, on dit de cette personne meiyou wenhua, c'est-à-dire que cette personne «n’est pas civilisée».

Il existe une vingtaine d'établissements d'enseignement supérieur dans le Guangxi. D'après les sources gouvernementales, la moitié des étudiants seraient des membres des minorités, mais ce pourcentage concerne surtout l'Institut ethnique du Guangxi. Les écoles chinoises reçoivent un financement gouvernemental plus élevé que celui prévu aux écoles des minorités ethniques.

La formation des maîtres dans le Guangxi connaît aussi ses problèmes dans la mesure où les frais de scolarité et de subsistance sont tellement élevés que beaucoup de Zhuang ne peuvent faire carrière dans l'enseignement. En moyenne, ces frais atteignent plus de 15 000 yuan (2100 $ US ou 1416 €) pour la durée de la formation (cinq années). De plus, à peu près personne ne désire enseigner dans les villages de montagne. Dans la plupart des cas, ce sont des citoyens du village qui enseignent aux enfants, mais comme ils n'ont pas reçu une formation adéquate ils ne bénéficient pas d'un poste officiel ni du salaire correspondant, et ne disposent que d'un statut fort précaire.

L'arrivée de nouveaux immigrants de l'ethnie han de plus en plus qualifiés et maîtrisant mieux le putonghua a pour effet de marginaliser la main-d’œuvre locale. La langue zhuang, bien que valorisée de façon épisodique, est généralement un moyen commode de discrimination aux mains des dirigeants politiques au nom de l'idéologie sinisante. Malgré les dispositions linguistiques dans la législation chinoise nationale, la langue zhuang s'achemine vers l'extinction parce qu'elle ne constitue plus un moyen collectif de communication dans le Guangxi. Le gouvernement central a créé une demande incontournable pour la langue chinoise commune en brandissant la menace du chômage pour ceux qui s'en tiennent à une seule langue minoritaire. De toute façon, peu de Zhuangs insistent pour conserver leur langue. Les communautés minoritaires ne pèsent jamais lourd dans les prises de décision économiques, et ce, même au niveau local.

- Les contraintes idéologiques

Le 27 avril 2021, lorsque le président Xi Jinping a visité le Guangxi à des fins d'inspection, il a salué la Région autonome zhuang du Guangxi comme «une zone de démonstration pour l'unité nationale et le progrès dans le pays».Il a même précisé que le Guangxi était «endroit le plus réussi pour l'unité nationale et l'intégration nationale». Depuis quelques années, les autorités locales de la région autonome et le Parti communiste ont fait de réels efforts pour «forger la conscience de la communauté de la nation chinoise». Tout a été fait pour promouvoir le mouvement commun de tous les groupes ethniques vers la modernisation socialiste.

La région autonome du Guangxi en a profité pour lancer une nouvelle publication en livre de poche sur la pensée de Xi Jinping: Le marxisme en Chine au XXIe siècle - Apprendre la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère. Cet instrument de propagande rédigé par Zhao Jianying comprend principalement des articles théoriques sur l'étude de l'auteur de la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère depuis le 18e Congrès national du Parti communiste chinois. Pour les autorités chinoises, les contraintes liées au Parti communiste et à la «pensée de Xi Jinping» doivent primer sur les droits linguistiques des minorités ethniques, car le maintien de l'unité nationale constitue un intérêt supérieur pour la nation afin de prévenir les risques majeurs et les dangers cachés dans le domaine ethnique, et de construire «un Guangxi aux caractéristiques chinoises de la nouvelle ère».

4.5 Les médias

Comme dans toute la Chine, la presse n'est pas libre au Guangxi. Les autorités chinoises contrôlent totalement les médias tant écrits qu'électroniques. Toutes les stations de radio et de télévision du Guangxi émettent en mandarin, parfois en zhuang (ou en pinghua de Nanning) ou en yao. Seules les stations de radio de l'Ouest diffusent quelques heures par semaine en zhuang, en yao, en miao, en li, etc. Selon le gouvernement de Pékin, les langues des nationalités sont largement employées dans les médias et les publications. En réalité, pratiquement tous les journaux, livres et périodiques distribués dans le Guangxi sont en putonghua, très exceptionnellement dans ces langues. L'article 15 du Règlement sur la promotion de l'éducation ethnique (2018) énonce que les langues et les écritures minoritaires normalisées doivent être employées.:

Article 15

Lors de l'utilisation des langues et des écritures minoritaires dans le matériel pédagogique, la radio, le cinéma et la télévision, les livres et les périodiques, l'Internet, les représentations théâtrales et les services publics, les langues et les écritures minoritaires normalisées doivent être employées.

Depuis 1996, l'administration populaire de la Région autonome zhuang du Guangxi s'est engagée à employer des moyens administratifs pour mettre en œuvre la politique de «promotion du mandarin» dans de nombreuses villes. Cette année-là, les autorités locales ont pris l'initiative d'annuler les journaux locaux vernaculaires de Nanning, alors que les stations Wuzhou Nanning TV, la radio et autres médias ont été interdits. En 2004, la chaîne de cinéma et de télévision de Guangxi TV a annulé la diffusion de la série télévisée audio originale pure de Hong Kong TV Broadcasting, la nuit. Le 26 décembre 2010, le programme vernaculaire cantonais diffusé par Guangxi Radio Economic Radio pendant 18 ans a été annulé. La radio économique était à l'origine la seule série de stations de radio Guangxi qui diffusait en mandarin et en cantonais. Le 28 décembre 2012, le réseau de télévision numérique de Southern Satellite TV sur tout le territoire du Guangxi a soudainement cessé de diffuser. Désormais, les langues locales du Guangxi sont marginalisées et remplacées par le "Mandarin Nanning" avec un mélange de zhuang et de pinghua guangxi. Comme dans toutes les provinces chinoises et les autres régions autonomes, les stations de télévision et de radios demeurent d'importants outils de propagande pour les autorités chinoises. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en mandarin, afin de contrer les «activités contre-révolutionnaires» au nom de la «nécessaire dictature du prolétariat». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la «politique de sinisation».

 

La Région autonome zhuang du Guangxi n'a jamais été contrôlée par les Zhuangs, mais par les autorités centrales de Pékin. Les représentants zhuangs doivent composer avec une politique chinoise qui les ignore totalement. La politique linguistique prioritaire ne concerne que les sinophones, les Hans. Il s'agit de promouvoir le putonghua et de tenter de réduire les différenciations dialectales et idéalement les autres langues chinoises telles que le zhuang, le hakka, le xiang ou le cantonais. La politique à l'égard des nationalités est réduite à sa plus simple expression: quelques affiches administratives bilingues, quelques heures par semaine d'émissions radiophoniques dans la langue des nationalités, quelques rarissimes journaux locaux, etc.  La politique linguistique appliquée dans le Guangxi correspond à une politique d'assimilation puisqu'elle ne cherche pas à protéger les langues minoritaires, mais à temporiser en attendant que les Zhuangs et les Yao s'assimilent au putonghua. Quoi qu'il en soit, toute politique orientée dans la pratique vers la sauvegarde d'une langue minoritaire sera perçue comme antipatriotique par les Chinois. 

Malgré les déclarations officielles, le chinois mandarin (putonghua) reste la principale langue de communication dans la Région autonome zhuang du Guangxi. À la rigueur, le cantonais et le hakka vont prédominer localement sur le mandarin. Le zhuang et les autres langues ne servent qu'aux communications informelles dans les villages des montagnes. Les autorités chinoises accordent toujours la préférence du travail aux Chinois, sous prétexte que les membres des nationalités ne sont pas suffisamment qualifiés. Dans ces conditions, les langues minoritaires comme le zhuang ou le yao se détériorent graduellement.

Comme ailleurs en Chine, il semble que les lois de protection ne soient là que pour masquer les pratiques de sinisation et de «nettoyage ethnique». Ces instruments juridiques, qui ne servent pas à protéger la langue minoritaire, sont là pour amadouer la communauté internationale et protéger théoriquement les petites minorités nationales (Miao, Dong, Mulao, Maonan, Jing, Yi, Sui et Gelao) ne constituant pas un menace pour la Nation chinoise.  Il convient toujours de se rappeler qu'en Chine les politiques linguistiques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs théoriques de protection, tout en dissimulant une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise. Dans le Guangxi, la politique d'assimilation est en voie de réussir à court terme. Certains estiment que, quelles que soient les mesures qu'on pourrait adopter pour y remédier, il est trop tard, sauf si la politique de la République populaire de Chine suscitait, contre toute attente, un fort mouvement identitaire chez les Zhuangs.

 

Dernière mise à jour: 20 févr. 2024
  Chine  

(1)
Région autonome zhuang
du Guangxi
 

(2) Région autonome
de Mongolie intérieure

(3)  Région autonome hui
du Ningxia
(4) Région autonome
ouïgoure du Xinjiang
(5) Région autonome
du Tibet
(6) La politique linguistique à l'égard des minorités nationales


(7)
Bibliographie

(8)  Loi sur l'autonomie des régions ethniques (2001)

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Accueil: aménagement linguistique
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