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Croatie 2) Données historiques |
Plan de l'article
1 La Croatie romaine 1.1 Une province romaine 1.2 La Dalmatie 2 Peuples germaniques et peuples slaves 5 Les empires byzantin et ottoman |
5.3 La Croatie ottomane 5.4 Les emprunts au turc ottoman 6 Le siècle autrichienne (1815-1918) 6.1 La double monarchie austro-hongroise 6.2 Le congrès de Berlin de 1878 6.3 L'annexion de la Bosnie-Herzégovine 7 La Yougoslavie 7.1 La première Yougoslavie 7.2 La seconde Yougoslavie 8 La Croatie indépendante 8.1 La proclamation de l'indépendance 8.2 La guerre de l'indépendance 8.3. La participation aux instances internationales 8.4 Les emprunts aux langues modernes |
L'histoire de la Croatie, ou la région où se trouve ce pays, remonte à la préhistoire. Cependant, peu de preuves suggèrent l'existence de colonies ou de peuples particulièrement importants à cette époque. Des restes de Néandertaliens ont été découverts en Croatie, dont l'âge est estimé à plus de 30 000 ans. Plus tard, vers 1000 avant notre ère, des peuples illyriens s'installèrent dans les régions auxquelles ils donnèrent leur nom. Parmi elles, les Histri (en Istrie) et les Delmati (en Dalmatie) vécurent sur le continent et sur certaines îles. Les Grecs conquirent ensuite des parties de l'actuelle Croatie au IVe siècle avant notre ère; leurs principales colonies étaient établies dans des îles le long de la mer Adriatique.
Les tribus illyriennes fondèrent plusieurs États qui furent conquis les uns après les autres par les Romains au IIe siècle et au Ier siècle avant notre ère.
1.1 Une province romaine
La région de la plaine de Pannonie, longtemps occupée par des populations celtes, devient une province romaine de Pannonie en l'an 20. Sous Trajan, en 105, la Pannonie fut scindée en Pannonie supérieure et en Pannonie inférieure. Pendant quelques siècles, l'Empire romain devait occuper les provinces de Pannonie et de Dalmatie.
Plus tard, l'Empire romain et le royaume de Dacie se déployèrent dans la région des Balkans. Avec sa victoire sur les Daces, l'Empire romain se trouva à acquérir presque tout le territoire de la Croatie actuelle.
Sous la domination romaine, le territoire fut divisé entre les provinces romaines de la Dalmatie, de la Mésie et de la Pannonie, puis subdivisé en unités administratives plus petites, ce qui changea les frontières à plusieurs reprises: la Pannonie fut divisée en deux, puis en quatre provinces, tandis que la Mésie fut divisée en deux, ce qui occasionna la création de nouvelles provinces. La région qui est aujourd'hui l'Istrie en Croatie faisait partie de l'Italie. Pendant quelques siècles, l'Empire romain domina les provinces de Pannonie et de Dalmatie. |
1.2 La Dalmatie
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Le nom de Dalmatie proviendrait de la nation antique des Dalmates, apparentée aux Illyriens et aux Pannoniens, dont la cité principale était Delminium, à proximité de l'actuelle ville de Tomislavgrad en Bosnie-Herzégovine (qui n'existait pas encore). Les populations illyriennes, thraces et daces se latinisèrent progressivement. À cette époque, la Dalmatie romaine comprenait les territoires de l'actuelle Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de l'ouest de la Serbie, du sud de la Slovénie ainsi que du nord de l' Albanie. Avec la domination romaine dans les Balkans, le latin devint la langue administrative et culturelle de sorte que beaucoup de mots latins devaient être intégrés dans la future langue croate.
En 476, un général mercenaire de l'Empire romain, Odoacre (v. 433-493), déposa l'empereur romain Romulus Augustule (475-476), ce qui mettait fin à l'empire d'Occident (285–476) auquel se substituèrent différents royaumes germaniques. Odoacre établit son royaume dans la péninsule d'Italie à partir de Ravenne, en théorie sous la juridiction de l'empereur romain d'Orient. Il s'empara de la Dalmatie en 488 et dut se battre contre les Ostrogoths de Théodoric le Grand. |
2 Peuples germaniques et peuples slaves
L'attaque des Huns vers 375 de notre ère et l'abandon de vastes territoires à l'est de l'Elbe en Allemagne avaient permis aux Slaves de s'y installer. C'est donc à partir de la fin du IVe siècle de notre ère que l'Empire romain avait été confronté à ce qu'on a appelé les «invasions barbares», ce que les Allemands d'aujourd'hui désignent par le mot plus neutre de Völkerwanderung, c'est-à-dire «le déplacement des peuples». Il s'agissait en fait de mouvements de populations de très grande ampleur et réalisés sur de très longues périodes. En se déplaçant vers l'ouest, ces peuples venus de l'est finirent par se heurter à la frontière romaine, militairement gardée; et poussés par d'autres peuples encore plus à l'est, ils tentèrent de prendre les territoires romains. Par un effet de dominos, les peuples germaniques durent fuir vers l'ouest de l'Europe.
2.1 L'emprise germanique
C'est ainsi que les Vandales, les Alains et les Lombards pillèrent de vastes territoires, de sorte qu'ils laissèrent le champ libre aux Slaves qui occupèrent une grande partie des pays illyriens et thraces romanisés dans les Balkans. D’après les historiens, le berceau d’origine des Slaves se trouverait sur le territoire de l'actuelle Pologne. Or, le sud de la Pologne fut, plus tôt qu'ailleurs en Europe, sous l’influence du royaume des Huns, dirigé par Attila (395-453).
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Avec la désintégration de l'Empire romain, la région de la Dalmatie (la Croatie actuelle en partie) fut gouvernée par les Byzantins, les Huns, les Ostrogoths, les Gépides, les Lombards et les Avars. Par la suite, les Macédoniens et les Slovènes se présentèrent dans la région; ils furent suivis par d’autres groupes qui se différencieront plus tard comme des Croates. Lors des déplacements germaniques du IVe siècle, la Dalmatie devint le refuge de ce qui restait de l’armée romaine d’Illyrie et le dernier lien terrestre entre l’ancien empire d’Occident et l'Empire romain d’Orient.
Vers 490, la Dalmatie passa sous la domination des Ostrogoths. Les Croates sont arrivés dans les actuelles Croatie et Bosnie-Herzégovine au VIIe siècle. |
2.2 La langue dalmate
Après le départ des Romains, les Dalmates développèrent une langue distincte du latin, qui fut parlée à partir de la fin du IVe siècle, et ce, jusqu'à la fin du XIXe siècle, le long de la mer Adriatique, depuis la ville de Fiume (Rijeka, en croate) jusqu'à la baie de Cattaro (aujourd'hui Kotor au Monténégro). Les locuteurs de la langue dalmate vivaient dans les villes côtières de Zadar (Jadera), Trogir (Traù), Spalato (Split), Ragusa (Dubrovnik) et Kotor (Cattaro), chacune de ces villes ayant une variété locale, ainsi que dans les îles de Krk (Veglia), Cres (Crepsa) et Rab (Arba). Le dalmate, une langue romane aujourd'hui disparue, constituait une sorte de transition entre le groupe balkano-roman et le groupe italo-roman. La plupart des îles dalmates demeurèrent des territoires de l'Empire romain d'Orient.
À partir du IXe siècle, plusieurs petits États slaves (Raska, Duklja, Zeta, etc.) virent le jour. En quelques siècles, les peuples slaves réussirent à s'imposer. La plupart des anciens occupants des Balkans latinisés ou germanisés s'assimilèrent aux Slaves et changèrent de langue. L'arrivée massive des peuples slaves eut raison de la plupart des langues romanes à l'exception du roumain et des langues qui allaient survivre en Roumanie. C'est aussi à cette époque que commença la christianisation des Croates.
En 799, Charlemagne envahit la Dalmatie et la conquit en 803, ce qui eut pour effet de conserver la région sous la juridiction religieuse de Rome et non pas de Constantinople. L’invasion franque de Charlemagne dans les cités côtières dalmates provoqua une guerre avec l’Empire byzantin, qui ne se résolut qu’en 812 par la paix d’Aix-la-Chapelle. Dès lors, l'Empire carolingien domina la majorité du territoire, dont l'actuelle Croatie, pendant que l’Empire romain d’Orient (Byzance) conservait une souveraineté sur certains espaces côtiers de la Dalmatie, mais surtout toute la région de l'actuelle Serbie. Malgré la suzeraineté franque, les Francs ne jouèrent pratiquement aucun rôle en Dalmatie (Croatie dalmate et principauté de Zachumlia) entre les années 820 et 840.
3.1 Les missionnaires Cyrille et Méthode
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C'est au cours de cette période que les frères Cyrille 827-869) et Méthode (815/820-885), envoyés par l’Église de Byzance, introduisirent le christianisme dans la région et fondèrent la liturgie slavonne. Afin de faciliter la propagation de la religion chrétienne aux populations slaves, les deux missionnaires créèrent un nouvel alphabet; ils voulurent remplacer l'alphabet grec par un alphabet qu'on appellera plus tard l’alphabet cyrillique. D'ailleurs, cet alphabet sert depuis plusieurs siècles à transcrire le russe, le bulgare, le serbe, l’ukrainien, ainsi que de nombreuses autres langues non slaves, notamment des langues turciques (langue altaïque) comme le kazakh et l'ouzbek. Finalement, le vieux slave employé par les missionnaires Cyrille et Méthode eut un impact significatif sur le développement des langues slaves, en particulier dans le domaine religieux. |
3.2 L'influence religieuse dans les alphabets
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Par le fait même, l'Église de Rome privilégia l'alphabet latin, tandis que l'Église de Constantinople préféra l'alphabet cyrillique. Plus précisément, l’héritage catholique favorisa l’alphabet latin avec le croate, le polonais, le tchèque, le slovaque, le slovène et le sorabe. L’héritage du monde orthodoxe privilégia l’alphabet cyrillique avec le serbe (Serbie), le russe (Russie), le biélorusse(Biélorussie), l’ukrainien (Ukraine), le bulgare (Bulgarie), le ruthène (Serbie) et le macédonien (Macédoine du Nord). Par conséquent, la Croatie écrivit toujours le croate avec l'alphabet latin, qui fut désigné par le terme gajica après nom de l'écrivain croate Ljudevit Gaj (1809-1872). |
Les Croates étaient donc considérés comme des Slaves situés aux limites de la chrétienté, sinon des païens pour les Francs, mais pour les autres Slaves c'étaient des populations chrétiennes de rite latin imprégnées d’une culture franque. Lors du schisme de 1054 entre chrétiens, les Croates choisirent le catholicisme et y sont demeurés fidèles depuis, au point que cette appartenance fait maintenant partie de leur identité. Néanmoins, en raison des contacts commerciaux et culturels avec l’Empire byzantin, le grec laissa également une empreinte sur la langue croate.
4 La période de Venise (697-1797)
De 1115 à 1420, la Dalmatie fut le théâtre de plusieurs confrontations: ce fut notamment le siège de Zara et le traité de Zara (1358), entre le Royaume croato-hongrois et la république de Venise, qui avait hérité les îles dalmates de l'Empire byzantin. À la longue, Venise, appelée officiellement «Sérénissime république de Venise (en vénitien: Serenìsima Repùblica Veneta), finit par étendre son domaine en Dalmatie continentale, à l'exclusion de la république de Raguse (aujourd'hui Dubrovnik), restée autonome, mais également de langue romane sous la forme du ragusain (issu du dalmate) et disparu au cours du XVe siècle.
4.1 La Dalmatie vénitienne
La Dalmatie vénitienne désigne les territoires sous la domination de la république de Venise, principalement du XVe au XVIIIe siècle. La Dalmatie fut vendue pour la première fois à Venise en 1409, mais la Dalmatie vénitienne ne fut pleinement consolidée qu'en 1420, bien que Venise ait déjà contrôlé un certain nombre de villes et d'îles dalmates depuis l'an 1000.
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La république de Venise possédait des possessions dans les Balkans et en Méditerranée orientale, dont l'Albanie vénitienne en mer Adriatique et les îles Ioniennes vénitiennes en Grèce occidentale. Ses possessions en Dalmatie s'étendaient de la péninsule d'Istrie jusqu'à ce qui est aujourd'hui le Monténégro côtier : elles comprenaient toutes les îles dalmates et les territoires continentaux, des montagnes centrales jusqu'aux frontières nord de la république de Raguse. Avec le traité de Passarowitz de 1718, Venise agrandit ses possessions en Dalmatie : elle fit quelques avancées en prenant les régions de l'arrière-pays dalmate. De nombreux Vénitiens s'installèrent durant cette période dans les ports et les îles de la Dalmatie et le vénitien y remplaça progressivement le dalmate. Le vénitien fut la langue officielle durant toute la durée de la République de Venise; rappelons qu'il s'agit d'une langue romane (groupe italo-roman) parlée encore aujourd'hui comme langue maternelle — le "veneto" — par plus de deux millions de personnes, principalement dans la région de la Vénétie (n° 5) dans le nord-est de l'Italie, où sur cinq millions d'habitants, presque tous peuvent le comprendre. |
4.2 L'influence linguistique du vénitien
Sous le régime vénitien, la langue croate a pu se développer en Dalmatie (y compris dans les îles) au même titre que l'italien, et des écoles ainsi que des publications croates y ont vu le jour. En revanche, parce que la langue dalmate n'était pas enseignée, elle finit par disparaître.
En raison des siècles de domination vénitienne dans l'Adriatique orientale, l'influence de la Venise médiévale fut particulièrement forte du XIVe au XVIIe siècle, notamment dans les formes variantes ikaviennes et tchakviennes parlées dans les villes côtières et les îles, avec de nombreux emprunts à la langue vénitienne. En plus de la domination vénitienne en Croatie, de nombreux Croates côtiers vivaient au moins occasionnellement à Venise, la plus grande ville occidentale la plus proche; ils ont rapporté dans leur pays une partie de la terminologie de cette ville. Au cours de cette période, les Croates ont emprunté de nombreux mots à la fois au vénitien et à l'italien florentin (qui deviendra l'italien officiel). En réalité, il est difficile de distinguer les mots qui proviennent du latin, du vénitien et de l'italien, tellement ces mots ont des origines communes.
Les exemples ci-dessous montrent une liste très partielle de termes croates empruntés à l'une ou l'autre des langues prêteuses:
Vénitien | Croate | Italien | Français | Origine du mot vénitien |
becàr | ljuto začinjeno | essere piccante | épicé | du verbe italien beccare : littéralement « picorer » |
bisata, bisato | jegulja | anguilla | anguille | du latin bestia (animal) |
bisa, biso | zmija | serpente | serpent | du latin biscia (un type de serpent) |
isarda, risardola | gušter | lucertola | lézard | du latin lacerta |
trar via | baciti | tirare | lancer | de l'italien tirare via |
calìgo | magla | nebbia | brouillard | du latin caligo |
cantón | ugao / strana | angolo/parte | coin / côté | du latin cantus |
petar sò | pasti | cascare | automne | du latin cadere |
co | kad | quando | quand | du latin cum, ou peut-être du vieux slavon kad |
còtola, còtoła | suknja | sottana | jupe | du latin cotta : couvrir, habiller |
fanela | majica | maglietta | chemise | du grec : phanela |
gòto, bicer | čaša za piće | bicchiere | verre à boire | du latin gut(t)us : « bouteille » |
insìa | izlaz | uscita | sortie | du latin in + exita |
mi | ja | io | je | du latin : moi |
morsegàr, smorsegàr | ugristi | mordere | mordre | du latin : morsus (« mordre ») |
munìn, gatin | mačka | gatto | chat | probablement à cause du son « miaou » |
saltapaiusk | skakavac | cavalletta | sauterelle | du latin salta : sauter + paiusk : herbe |
sgorlàr, scorlàr | tresti | scuotere | secouer | du latin : ex + crollare |
supiàr, subiàr, sficiàr | zviždati | fischiare | siffler | du latin : sub + flare (souffler) |
tòr su | pokupiti | raccogliere | ramasser | du latin : tollere (emporter) |
técia, tegia | tavica | pentola | poêle à frire | du latin : tecula |
tosàto, tosàt, | dečko, momak | ragazzo | garçon, mec | de l'italien : tosare (couper les cheveux) |
puto, putèo, putèło | dečkić, momče | ragazzo | petit garçon, garçon | du latin : puer, putus (enfant) |
matelot | dečko, momak | ragazzo | garçon, mec | du français : matelot (marin) |
vaca | krava | mucca, vacca | vache | du latin : vacca (vache) |
sciopa | puška | fucile-scoppiare | fusil | du latin : scloppum (pistolet, auto-allumage) |
Selon les linguistes croates, jusqu'aux 2/5 du vocabulaire de certaines îles dalmates sont composés de divers emprunts aux langues romanes, principalement d'origine vénitienne; dans l'arrière-pays, cette influence vénitienne fut moindre, et les emprunts proviennent davantage de l'allemand et des autres langues slaves, dont le slovène, ainsi que du hongrois (famille ouralienne).
L'influence linguistique significative et surtout indirecte de l'italien littéraire standard (toscan) a commencé en Croatie beaucoup plus tard, seulement à l'époque moderne, principalement après l'effondrement de la République de Venise, soit après 1797. Cependant, l'influence linguistique relativement plus forte de l'italien en Croatie s'est surtout manifestée en Istrie, ainsi que dans les îles le long de la mer Adriatique (Zadar, Cres, Lošinj et Lastovo), qui sont restées le plus longtemps en Italie, jusqu'à l'année 1943. Cette influence de Venise en Dalmatie contribua à faire reculer le pouvoir byzantin qui dut se résoudre à composer avec cette nouvelle puissance commerciale et militaire pour mieux résister aux ambitions normandes sur l’Adriatique orientale.
5 Les empires byzantin et ottoman
La République de Venise demeurait sous la «protection» de l'Empire byzantin plus au sud, ce qui est aujourd'hui, entre autres, la Turquie. La Croatie médiévale tire ses origines à partir des migrations slaves au VIᵉ siècle. Or, ce processus d'installation des Croates avec l'Empire byzantin et le christianisme de Constantinople, ce qui signifie une influence importante de la part de l'Église d'Orient. 5.1 Le christianisme byzantin Le christianisme byzantin exerça un rôle déterminant dans l'unification culturelle et politique des peuples slaves. Dès le VIIᵉ siècle, les missionnaires byzantins, suivis par les efforts du pape de Rome, introduisirent la foi chrétienne auprès des élites locales. L’influence byzantine s'est révélée particulièrement importante sur la côte dalmate, où de nombreuses villes ont longtemps conservé leur caractère gréco-romain. Par contre, les régions intérieures se sont davantage intégrées à une organisation politique distincte avec les Francs, notamment sous Trpimir Ier (845-864), le fondateur de la principauté de Croatie. Son règne fut marqué par une centralisation politique et la reconnaissance officielle du christianisme. La création du royaume de Croatie en 925 constitue un événement décisif dans l’histoire croate, car le royaume parvint à s’affirmer comme une entité politique et militaire influente dans les Balkans. |
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Tomislav fut le premier roi de Croatie (925-928). Sous son règne, il élabora une alliance avec l'Empire byzantin (en croate: Bizantsko carstvo) contre la Bulgarie et contre la principauté de Hongrie; l'État conserva ses frontières et réussit même à les étendre. Tomislav participa au concile de Split en 925, convoqué par le pape Jean X (914-928), pour discuter de l'emploi des langues slaves dans la liturgie et de la juridiction ecclésiastique sur la Croatie et la Dalmatie. Sous les successeurs de Tomislav, la Croatie connut une période d’expansion territoriale et de prospérité culturelle. Cette domination sur les routes commerciales maritimes et terrestres renforça l’économie du royaume, qui bénéficia également de liens solides avec les villes byzantines de la côte. Le règne de Petar Krešimir IV (1058-1074) marqua l’apogée territorial et culturel du royaume croate, ce qui se répercuta sur l'avancement de la langue croate. Sous son gouvernement, le royaume atteignit son extension maximale et devient un acteur majeur de la politique adriatique. La Croatie, qui avait été construite d'abord à partir de la Slavonie et de la Dalmatie, intégra progressivement des territoires de la Bosnie et de l'Herzégovine. |
En raison des relations commerciales et politiques, les nombreux ouvrages juridiques byzantins rédigés en grec ont grandement influencé le développement du droit dans les territoires croates au Moyen Âge, en particulier les systèmes juridiques des villes dalmates. L'influence byzantine s'est fait sentir en Croatie par la littérature et la philosophie, ainsi que dans les beaux-arts (peinture, sculpture, architecture, orfèvrerie, etc.) et la musique religieuse. Toutes ces disciplines ont amené en même temps de grandes quantités de mots grecs, un grec médiéval qui avait évolué de façon différente du grec ancien. Voici quelques mots empruntés du grec: balzam (baume), baptisterija (baptistère), Biblija (Bible), cedar (cèdre), čimbalo (cymbale), drama (drame), dunja (coing), flegma (flegme), himna (hymne), kaktos (plante épineuse), kamata (intérêt), krevet (lit), mimoza (mimosa), pamflet (pamphlet), plankton (plancton), simbol (symbole), sinod (synode), škola (école), teatar (théâtre). Les rois croates importants de cette époque, notamment Tomislav (925-928), Petar Krešimir IV (1059-1074) et Dmitar Zvonimir (1076-1089), incarnent encore aujourd'hui l’apogée de la souveraineté croate; ils ont laissé un héritage durable dans la mémoire historique des Croates. Toutefois, à la fin du XIᵉ siècle, la mort de Dmitar Zvonimir, sans héritier direct, plongea la Croatie dans une crise dynastique. Le roi Zvonimir avait épousé en 1075 la fille du roi de Hongrie, Béla I er, ce qui entraînait une relation plus étroite avec la dynastie hongroise des Árpád dont Béla était issu.5.2 L'Union hongroise (1102-1526) Par conséquent, après le décès de Dmitar Zvonimir (1089), la Hongrie voulut affirmer des droits de succession. Après une série de conflits, Coloman, un prétendant au trône de Hongrie, envahit la Croatie et conclut en 1102 un accord connu sous le nom de Pacta Conventa («Pacte convenu»), un accord entre le roi Coloman de Hongrie et la noblesse croate définissant le statut de la Croatie au sein de la Hongrie. Selon les termes du «pacte», la noblesse croate devait conserver ses biens et propriétés sans ingérence; le pacte accordait également aux familles mentionnées l'exemption d'impôts et de tributs au roi hongrois. Chacune des douze tribus nobles croates était tenue de répondre à l'appel du roi en cas d'attaque sur ses frontières et d'envoyer à ses frais au moins dix cavaliers armés à la guerre, jusqu'à la frontière nord de la Croatie avec la Hongrie. Au-delà, le roi de Hongrie prenait en charge les dépenses. |
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La carte ci-contre montre les régions de Hongrie ayant un statut d'autonomie (points verts): royaume de Croatie-Slavonie, banat de Sévérie, principauté de Transylvanie). Les autres régions, la Slovaquie et la Blatnie, ne bénéficiaient pas d'une telle autonomie. Les bandes vert-mauve au nord de la Serbie sont les "banats serbes" que la Hongrie a soumis pendant un temps, mais laissés autonomes. Dans le royaume de Hongrie, les Magyars (futurs Hongrois) s'étaient établis, d'une part, dans le centre entre le Danube et la Transylvanie, d'autre part, dans l'extrême est, à l'est de la Transylvanie. Ailleurs, le royaume était encore à majorité slave.
Néanmoins, cette structure permit à la Croatie de préserver son identité juridique et administrative, ainsi que sa langue, malgré l’intégration au royaume de Hongrie. Cette période devait être aussi marquée par des défis géopolitiques importants. |
- Les magyarismes
Sous l'union croato-hongroise, la langue croate emprunta un grand nombre de mots au hongrois, appelés «magyarismes». Certains de ces mots ont été abandonnés après un certain temps parce que la réalité a également disparu, mais d'autres ont été conservés: cikla (< cékla: betterave), gulaš (< gulyás: goulasch), palačinka (< palacsinta: crêpe), doboš torta (< dobos sütemény: gâteau tambour), cikla (< cékla: betterave), čizma (< csomagtartó: botte), đumbir (< gyömbér: gingembre), kečiga (< tokhal: esturgeon), artičoka (< articsóka: artichaut), kocka (< kocka: cube), lopov (< tolvaj: voleur), bunda < bunda: manteau de fourrure), gumb (< gomb: bouton), karika (< gyűrű: lien), soba (< szoba: pièce), stol (< táblázat: table), tabor (< tábor: camp), etc. Il existe également des exemples où les mots hongrois ont changé de sens une fois en croate: par exemple, birov, qui désigne un «juge hongrois» est devenu un «tambour de village» en croate; le mot Đilkoš, un «meurtrier» en hongrois, devint un «scélérat» en croate; korov, une souche sèche et dure de plantes qui ne survivent pas à l'hiver en hongrois devint une «plante sauvage inutile et nuisible» à la culture agricole en croate.
Dès le XIIIᵉ siècle, la Croatie devint une frontière stratégique dans la lutte contre l'expansion ottomane. En 1493, les Ottomans conquirent une ville stratégique importante, Zagreb, mais la soumission complète de la Croatie survint plus tard, en 1526, après la bataille de Mohács, lorsque l'armée croato-hongroise fut écrasée. Cette bataille, qui marquait la fin de la domination hongroise, devait aussi ouvrir la voie à l’intégration de la Croatie dans l'empire des Habsbourg.
5.3 La Croatie ottomane
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Au XVe siècle, la conquête ottomane ne couvrit pas toute la Croatie actuelle, mais uniquement la partie orientale de la Croatie ainsi que la Bosnie-Herzégovine. La zone occidentale devint la Croatie habsbourgeoise, alors que la Dalmatie resta une possession vénitienne.
Dans la Croatie ottomane, des Croates se sont islamisés, soit après avoir été faits prisonniers de guerre, soit après s'être fait enrôler de force dans l'armée ottomane. Cette période marqua profondément l'histoire croate en raison de la difficile procédure d'intégration de la société croate et des échanges culturels pas toujours souhaitée. De plus, la Croatie fut divisée en plusieurs unités administratives, connues sous le nom de "sandjaks", tandis que les principaux centres de pouvoir se sont déroulés dans les villes comme de Slavonski Brod, de Zagreb et de Pula. |
En même temps, les Ottomans accordèrent un certain degré d'autonomie, en particulier dans les affaires religieuses, ce qui favorisa une coexistence pacifique entre musulmans et chrétiens. Toutefois, les Ottomans offrirent aussi des avantages et des privilèges aux musulmans et aux convertis, pendant que la population chrétienne faisait face à des restrictions et à des impôts supplémentaires.
Malgré ces défis, la Croatie conserva une relative autonomie culturelle au cours de la période ottomane. L'Église catholique, soutenue par la noblesse, joua un rôle clé dans le maintien de l'identité croate, de sorte que les monastères, les écoles et les manuscrits religieux préservèrent la langue et les traditions croates. De leur côté, les écrivains et les poètes croates commencèrent à employer de nouvelles formes et de nouveaux thèmes inspirés de la culture ottomane. Cette interaction engendra une nouvelle vague d'expression créative, reflétant la diversité de la société. Quant à la noblesse croate, elle continua de défendre les intérêts régionaux.
En dépit des différentes formes de pacification, la domination ottomane suscita périodiquement des résistances parmi la population croate. Il y a eu plusieurs grandes révoltes contre le pouvoir ottoman, parmi lesquelles la plus connue est la révolte de 1573, connue sous le nom de «Révolte des paysans». Évidemment, toutes les révoltes furent sévèrement réprimées, mais elles se transformèrent en symbole de la lutte contre l'oppression étrangère.
5.4 Les emprunts au turc ottoman
Comme il faut s'y attendre, la langue croate a emprunté des turcismes, des mots issus du turc ottoman: alat < âlet: «vol»; boja < boya: «garçon»; budala < budala: «idiot»; bunar < pinar: «printemps»; čarapa < çorap: «chaussette»; čičak < çiçek: «fleur»; ćup < kȕp: «pot»; dućan < dükkan: «boutique»; deva < deve: «chameau»; fitilj < fitil: «mèche»; jastuk < yastık: «oreiller»; jogurt < yoǧurt: «yogourt»; papuča < pabuç : «chaussure»; pekmez < pekmez: «confiture»; šećer < seker : «sucre»; torba < torba: «sac».
Cette partie de l'histoire diffère de celle des Serbes de Serbie. Les Ottomans ont importé l'islam dans les Balkans, souvent par des mesures coercitives, notamment chez les Albanais du Kosovo et les Bosniaques du Sandjak et de la Bosnie-Herzégovine. La Serbie fut longtemps sous la domination ottomane, mais fut capable de résister à l'islamisation. Quant aux Croates, ils subirent plusieurs dominations, mais pas sur tout leur territoire: Byzance, Venise, Hongrie, sans oublier les Ottomans et les Autrichiens qui se partagèrent des portions de territoire, sans qu'aucune de ces puissances ne se soit approprié toute la Croatie. Au cours des années 1700, l'Empire ottoman fut repoussé de la Hongrie et de la Croatie, tandis que l'Autriche allait établir progressivement son pouvoir.6 Le siècle autrichien (1815-1918)
La république de Venise disparut après 1100 ans d'indépendance en 1797. Par le traité de Campo-Fornio imposé par le général Bonaparte aux Autrichiens, ses possessions furent rattachées en 1809 aux Provinces illyriennes de la France. Disputée entre les empires français, russe et autrichien entre 1806 et 1814, la Dalmatie fut finalement attribuée à l'Autriche au congrès de Vienne de 1815 et y resta jusqu'en 1918.
6.1 La double monarchie austro-hongroise
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Sous le nom de «royaume de Dalmatie», la province forma l'un des «Länder» constitutifs de l'Autriche qui y favorisa le développement de la culture croate, d'autant plus qu'elle y voyait un moyen de limiter l'irrédentisme des Italiens de la côte adriatique. Sous l’influence de l’affaiblissement de leur société féodale ainsi que pour résister pressions de la germanisation et de la magyarisation, les Croates accélérèrent leur renaissance nationale au cours de la période de 1830 à 1848. Ils normalisèrent leur langue littéraire et leur écriture, créèrent des journaux et des revues modernes, fondèrent des institutions nationales, rejetèrent le latin officiel, les langues allemande et hongroise imposées et, à partir de 1847, leur langue, le croate, devint officielle à côté du hongrois. De cette façon, ils administrèrent la plupart des terres croates depuis Zagreb et influencèrent la renaissance des Croates en Dalmatie, en Istrie et en Bosnie-Herzégovine. En 1816 la présence italienne en Istrie et Dalmatie était estimée à 20 %, mais en 1865 elle n’était plus que de 12,5 %. |
Jusqu'en 1867, l'Empire d'Autriche (1804-1867, en allemand: Österreichische Kaiserreich) réunit sous la couronne des Habsbourg cinq royaumes (Bohême-Moravie, Galicie-Lodomérie, Hongrie, Croatie-Slavonie et Dalmatie) et douze «Länder» (Haute-Autriche, Basse-Autriche, Bucovine, Carinthie, Carniole, Istrie-Gorizie, Salzbourg, Haute-Silésie, Styrie, Transylvanie, Tyrol et Vorarlberg) auxquels se superposent les «Confins militaires» le long des frontières avec l'Empire ottoman. En 1867 l'Empire se restructure par le «compromis austro-hongrois» pour former une «double-monarchie»: l'Empire austro-hongrois (en allemand: Österreichisch-Ungarische Monarchie; en hongrois: Osztrák-Magyar Monarchia) qui ne compte plus que deux États: l'Autriche et la Hongrie. Une partie de la Croatie (le royaume de Croatie-Slavonie) se trouva en Hongrie, une autre (Istrie et Dalmatie avec leurs îles) en Autriche. |
À l'époque, les Croates réclamèrent (vainement) la réunion de ces territoires, et après 1908 celle de la Bosnie-Herzégovine aussi, en un troisième royaume constitutif de l'Empire des Habsbourg, ce qui en aurait fait non plus une «double monarchie», mais une «triple». La farouche opposition des noblesses autrichienne et hongroise fit ruiner tout projet du genre.
- La partie hongroise
Dans la partie hongroise, le hongrois était la langue officielle; malgré ses efforts, la Hongrie ne réussit pas à magyariser les Croates. En 1868, le Parlement adopta la Loi sur l'égalité des nationalités ("A nemzetiségek egyenjogúságáról szóló törvény") qui stipulait que la langue officielle était le hongrois:
Az 1868. évi XLIV a nemzetiségi egyenjogúság tárgyában 1. cikk A nemzet politikai egységénél fogva Magyarország államnyelve a magyar levén, a magyar országgyülés tanácskozásai s ügykezelési nyelve ezentúl is egyedül a magyar; a törvények magyar nyelven alkottatnak, de az országban lakó minden más nemzetiség nyelvén is hiteles fordításban kiadandók; az ország kormányának hivatalos nyelve a kormányzat minden ágazatában ezentúl is a magyar. |
Loi n° XLIV de 1868 sur l'égalité des nationalités Article 1er En raison de l'unité politique de la nation, la langue officielle de la Hongrie est le hongrois, et la langue des délibérations et de la gestion des affaires du Parlement est uniquement le hongrois; les lois sont rédigées en hongrois, mais doivent également être publiées dans une traduction authentique dans la langue de toutes les autres nationalités vivant dans le pays; la langue officielle du gouvernement du pays dans tous les domaines du gouvernement est toujours le hongrois. |
Ainsi, à l'échelle du royaume hongrois, seule la langue hongroise était officielle, et au Parlement de Budapest, en 1910, sur 453 députés, 372 soit 82 % étaient hongrois, alors que les Hongrois formaient 47 % de la population du royaume; toutefois si la proportion de la population appartenant à une minorité donnée dans un district donné atteignait 20 %, la loi hongroise tolérait localement la pratique de la culture et de la langue de cette minorité dans ses requêtes et devant les juridictions inférieures, et elle recevait également des ordonnances dans sa langue. La langue officielle des villages était déterminée par les habitants, ils pouvaient également s'exprimer dans leur langue maternelle lors des assemblées départementales. Ils étaient libres de disposer de leurs écoles et de leurs églises, de créer des institutions et des sociétés à des fins nationales. Dans la quasi-totalité des comitats et des communes du royaume de Croatie-Slavonie, les Croates non seulement dépassaient 20 % mais atteignaient couramment 80 % de sorte que de facto, le croate était ainsi co-officiel à tous les échelons.
- La partie autrichienne
Dans la partie autrichienne, la langue allemande était majoritaire dans huit des quatorze nouveaux Länder (en Haute-Autriche, Basse-Autriche, Carinthie, Salzbourg, Haute-Silésie, Styrie, Tyrol et Vorarlberg), importante dans quatre autres (Bohême, Bucovine, Carniole et Moravie) et très minoritaire dans deux autres (Istrie-Gorizie et Dalmatie). Par conséquent, la législation linguistique y était beaucoup plus souple qu'en Hongrie: d'une part les autres groupes ethniques ont pu disposer d’un droit inaliénable à conserver et à cultiver leur langue et leur identité, et d'autre part ils disposaient au Parlement de Vienne d'un nombre de représentants proportionnel à leur nombre.
Les Croates ont pu employer leur langue d’usage dans les régions où ils étaient reconnus comme égaux par l’État: école, administration et vie publique. Dans les faits, si de tels droits linguistiques furent reconnus dans l'Empire austro-hongrois, c'est parce que les autorités n'avaient guère le choix, l'allemand en Autriche et le hongrois en Hongrie n'étant pas majoritaires, alors que tous les peuples slaves, dont les Croates et les Slovènes, voulaient à tout prix conserver leur identité. L'article 19 de la Loi fondamentale (qui comptait 20 articles) proclamait l’égalité de tous les groupes ethniques:
Artikel 19. 1) Alle Volksstämme des Staates sind gleichberechtigt, und jeder Volksstamm hat ein unverletzliches Recht auf Wahrung und Pflege seiner Nationalität und Sprache. 2) Die Gleichberechtigung aller landesüblichen Sprachen in Schule, Amt und öffentlichem Leben wird vom Staate anerkannt. |
Article 19 1) Toutes les ethnies de l'État ont des droits égaux, et chaque ethnie a un droit inviolable à la préservation et au soin de sa nationalité et de sa langue. 2) L'État reconnaît l'égalité de toutes les langues habituelles du pays dans les écoles, les bureaux et la vie publique. |
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De fortes influences autrichiennes ont commencé à apparaître en croate au XVIe siècle avec la création des «Confins militaires», lorsqu'un grand nombre de soldats germanophones s'installèrent avec leurs familles en Croatie et en Slavonie, et lorsque de nombreuses écoles allemandes commencèrent à être créées. Sous le règne de Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780), impératrice du Saint-Empire romain germanique et reine de Bohême-Moravie, de Hongrie et de Croatie-Slavonie, environ 10 000 familles germanophones s'installèrent vers les territoires croates entre 1763 et 1770; sous le règne de Joseph II (1765-1790), précisément entre 1782 et 1788, environ 3000 familles, pour la plupart protestantes, s'installèrent en Croatie. En 1849, l'allemand devint la langue officielle et la langue d'enseignement dans les écoles, et le reste jusqu'à la chute de l'absolutisme en 1860, lorsque le croate revint à l'usage officiel dans les écoles, sur scène et dans les journaux. Ayant constaté assez tôt qu'ils ne pouvaient pas dominer les autres groupes linguistiques, les Autrichiens se sont tournés vers l'Empire allemand qui favorisait la Hochdeutsch au détriment des autres variétés allemandes (francique, bas-allemand et moyen-allemand). Bref, les nationalités slaves réussirent à tenir le coup, que ce soit le tchèque, le slovaque, le polonais, l'ukrainien (alors dit «ruthène»), le croate, le slovène, etc. Il en fut de même sur les côtes pour l'italien et dans les parties orientales de l'Empire pour le roumain. |
En revanche, d'autres langues, non écrites et non-enseignées, disparurent ou diminuèrent: le dalmate au profit du croate, le boyko et le goral au profit du polonais, le yiddish au profit de l'allemand ou du hongrois, le romani des Roms au profit du hongrois.
Dans ces conditions, il ne faut pas se surprendre si le nombre des «germanismes» (en croate: germanizmi) dans la langue croate est important, probablement au moins 2000 mots. Il vaudrait peut-être mieux les appeler «autricismes» (en croate: austrijacizmima) parce que ces emprunts sont apparus en croate à partir des territoires de l'ancienne monarchie des Habsbourg, l'Autriche, et non de l'Allemagne. En voici une courte liste de 40 termes :
Mot croate | Origine autrichienne | Signification | Mot croate | Origine autrichienne | Signification | |
ancug badecimer bluza canšteher ciferšlus |
< der Anzug < das Badezimmer < die Bluse < der Zahnstocher < der Ziehverschluss |
costume salle de bain chemise cure-dent fermeture éclair |
melšpajz penzl purger rapšicer rolšuhe |
< Mehlspeisen < der Pinsel < Bürger < der Raubschütze < die Rollschuhe |
gâteau pinceau» citoyen> braconnier patins à roulettes | |
cviker(i) dinstati dizna drek drot |
< der Zwicker < dünsten < die Düse < der Dreck < der Draht |
lunettes mijoter buse saleté fil |
šajba šarmer šircl šlank šnala |
< die Scheibe < der Charmeur < die Schürze < die Schürze < die Schnalle |
tuile charmant tablier maigre boucle | |
fašnik flaša fleka frištikat karfiol |
< der Fasching < die Flasche < der Fleck < das Frühstück (doručak) < der Karfiol |
carnaval bouteille tache petit-déjeuner chou-fleur |
šnicla štambilj štikla štirka štrik |
< das Schnitzel < der Stempel < der Stöckel < die Stärke < der Strick |
steak timbre talon haut amidon corde | |
keks krigla krizbam/križbam mansarda majstor |
< der Keks < der Krügel < der Christbaum < der Mansarde < der Meister |
biscuit verre à bière sapin de Noël grenier artisan / expert |
štrikati štruc šuster tišler trajbana jaja |
< stricken < der Strutz < der Schuster < der Tischler < treiben |
tricoter miche de pain cordonnier charpentier œufs brouillés |
On peut remarquer que la plupart des mots empruntés ont été croatisés phonétiquement et morphologiquement tout en demeurant relativement proche de la langue de départ.
6.2 Le congrès de Berlin de 1878
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En 1878, le congrès de Berlin proclama l'indépendance de la Serbie et du Monténégro. Mais les Serbes restèrent dispersés dans plusieurs États, puisqu'ils habitaient dans les territoires contrôlés à la fois par l’Empire ottoman ou par l’Empire austro-hongrois, par exemple en Bosnie-Herzégovine, ainsi que dans la principauté de Serbie. En fait, le congrès de Berlin avait confié la Bosnie-Herzégovine et le sandjak de Novipazar à Vienne pour une durée de trente ans; la province connut ainsi une longue période d'expansion économique, comme le reste de l'Empire austro-hongrois. Dans la Bosnie-Herzégovine de 1878, il y avait environ 500 000 Serbes orthodoxes, 200 000 Croates catholiques et environ 450 000 musulmans. Ces derniers, dans leur immense majorité, étaient des Slaves, plus précisément des Serbes convertis à l’islam. La Bosnie-Herzégovine fut l'une des régions de l’Empire ottoman où la conversion fut la plus intense sans que l’on sache vraiment pourquoi, mais, quelles que soient leur origine et leur religion, tous les habitants de la Bosnie-Herzégovine parlaient la même langue, le serbe. |
6.3 L'annexion de la Bosnie-Herzégovine
En 1908, l'Empire austro-hongrois finit par annexer formellement la Bosnie-Herzégovine, le vilayet de Bosnie et le vilayet d'Herzégovine, cette province ottomane que l'Autriche administrait pour le compte du sultan ottoman depuis 1878, en vertu des accords passés à Berlin. Mais l'Autriche-Hongrie restitua à l'Empire ottoman le sandjak de Novipazar (identifié par un S sur la carte ci-contre), une région située entre la Serbie et le Monténégro. Dans tous ces territoires vivaient alors des chrétiens et des musulmans (ces derniers ont adopté l'islam durant la période ottomane, pour ne plus payer de double capitation et pour devenir des sujets à part entière du Sultan, avec droit de propriété, d'héritage, de porter des armes, etc.). Les musulmans furent appelés «Bosniaques» en Bosnie, mais «Sandjakis» dans le sandjak (et «Goranes» ailleurs). Les chrétiens furent appelés «Croates» s'ils étaient catholiques et «Serbes» ou «Monténégrins» s'ils étaient orthodoxes. |
Après l'annexion, les Autrichiens cherchèrent à imposer le concept d'une langue bosniaque en Bosnie-Herzégovine, mais les Croates et les Serbes de la Bosnie s’y opposèrent, de sorte que les autorités autrichiennes, espérant satisfaire tout le monde, adoptèrent officiellement l’appellation «serbo-croate/croato-serbe» — "hrvatsko-srpski" en croate et "Srpskohrvatsk" en serbe —, ce qui contribua à répandre le concept selon lequel le serbe et le croate étaient une seule et même langue.
- La crise internationale
Quand le gouvernement de Vienne proclama officiellement l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, ce fut aussitôt une levée de boucliers à Belgrade (Serbie), mais aussi chez les dirigeants russes. Bref, l'annexion de 1908 entraîna une crise internationale de grande ampleur, aussi bien dans les Balkans (Serbie, Monténégro, Roumanie, Bulgarie, Grèce, etc.) que dans les relations entre les grandes puissances (Allemagne, Italie, Russie, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, etc.). Quelques mois plus tard, le partage des territoires conquis ralluma le conflit entre les belligérants qui se partagèrent les dépouilles des Ottomans.
Le traité de paix de Bucarest (10 août 1913) mit un terme aux guerres balkaniques, tandis que la quasi-totalité des territoires européens de l'Empire ottoman revint aux Autrichiens, aux Bulgares, aux Serbes, aux Roumains et aux Grecs. Cependant, à ce moment-là, ce traité de 1913 n'eut aucune incidence sur le sort des Croates.- Le traité de Versailles
D'ailleurs, le traité fut annulé par l’effondrement des puissances centrales au moment du traité de Versailles, signé le 28 juin 2019; il faisait disparaître en Europe l'Empire allemand, l'Empire russe et l'Empire austro-hongrois, ainsi qu'au Proche-Orient l'Empire ottoman, ce qui remodelait considérablement les frontières existantes. Dès lors, les Croates, comme les Slovènes et les Serbes, se tournèrent vers le «yougoslavisme» qui devint une réalité après la disparition de l'Empire ottoman.Par le traité de Rapallo en 1920, à la suite de la défaite des puissances centrales dans la Première Guerre mondiale, la Dalmatie, à l'exception de la ville de Zadar (Zara) et de l'île de Lastovo (Lagosta), cédée à l'Italie, fut incluse avec le reste de la Croatie dans le «Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes», renommé un peu plus tard Royaume de Yougoslavie. Le terme «Yougoslavie» signifie en serbo-croate le «pays des Slaves du Sud». Il y eut trois Yougoslavie: la Yougoslavie monarchiste (1929-1941), la Yougoslavie titiste (1945-1992) appelée République fédérative socialiste de Yougoslavie et la Yougoslavie de 1992 à 2003, nommée République fédérale de Yougoslavie. La Croatie n'a fait partie que des deux premières.
7.1 La première Yougoslavie
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Dans l'entre-deux-guerres, la première Yougoslavie se forma en 1918, mais ne prit le nom de Royaume de Yougoslavie qu'en 1929; la dynastie serbe des Karageorgevitch y régnait. Le royaume fut divisé en neuf nouvelles provinces appelées banovines (ou banats): la Dravine (ou Dravska), la Savine (ou Savska), le Vrbas, le Littoral (ou Primorska), la Drina, la Danubie (ou Dunavska), la Moravie serbe (ou Moravska), la Zeta et la Vardarie (ou Vardarska). Ces territoires furent découpés selon des critères strictement géographiques sans tenir compte des frontières ethniques, sauf entre Slovènes et Croates. Au cours de cette période, le nationalisme des Croates, des Albanais et des Macédoniens se radicalisa, notamment en raison des pratiques autoritaires du monarque, mais aussi à cause de la politique de l'Allemagne nazie, visant à détacher les Slovènes et les Croates des autres Slaves du Sud. Aidés par l’Armée rouge, les partisans du chef communiste croate Josip Broz, dit Tito, finirent par l'emporter d'abord sur les résistants royalistes de Draza Mihaïlovitch fidèles au gouvernement yougoslave de Londres (majoritairement serbes), ensuite sur les occupants italiens en Dalmatie, et finalement sur les divisions allemandes de Bosnie et de Croatie, libérant Belgrade en 1944 et Zagreb en 1945. Au cours de cette période, le concept de langue serbo-croate ou croato-serbe fut régulièrement soutenu non seulement par les linguistes, mais aussi par les autorités de Belgrade. |
L'article 3 de la Constitution déclarait que «la langue officielle du Royaume est le serbo-croate-slovène» ("Службени језик Краљевине је српско-хрватско-словеначки"). Toutefois les Croates, déçus par leur importance dans le nouvel État, revinrent au standard croate de l'époque austro-hongroise. Par conséquent, le Royaume de Yougoslavie constitua une période d’éloignement entre le croate et le serbe.
7.2 La seconde Yougoslavie (1945-1992)
La seconde Yougoslavie, la République fédérale socialiste de Yougoslavie, sur laquelle régna Josip Broz Tito jusqu'à sa mort en 1980, devait prendre fin en 1992 avec la sécession de la Slovénie et de la Croatie, suivies des déclarations d'indépendance de la Macédoine et de la Bosnie-Herzégovine. La composition ethnique de ce nouveau pays de 23 millions d’habitants était relativement complexe, car l'ethnographie yougoslave adopta la nomenclature soviétique, qui considère comme un «peuple à part» toute communauté un peu différente de ses voisines par le dialecte (parler local), l'accent ou la moindre particularité culturelle. Ainsi les recensements officiels y comptaient plus d'une vingtaine de communautés linguistiques, là où les linguistes n'en trouvaient que quatre principales (slovène, serbo-croate-monténégrine et bulgaro-macédonienne) plus quelques minorités (hongroise, italienne, roumaine, aroumaine, albanaise, turque et tsigane). Dans l’ancienne Yougoslavie titiste, on ne trouvait jamais le mot minorité dans les textes juridiques, mais plutôt les termes nation ("nacija") et nationalité ("nacionalnost"). Au nombre de six, les «nations constitutives» (konstitutivnih nacionalnost) correspondaient aux six républiques socialistes fédérées et à des ethnies slaves méridionales: Slovènes, Croates, Serbes, Monténégrins, Macédoniens et «Musulmans» (Slaves de tradition musulmane, regroupant les Bosniaques de Bosnie-Herzégovine, les Sanjakis de Serbie et du Monténégro, et les Goranes du Kosovo; les albanophones du Kosovo, bien que musulmans eux aussi, n'en faisaient pas partie). Dans cet ensemble, Serbes et Croates formaient les deux tiers de la population. |
Le serbo-croate officialisé de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine s’écrivait en alphabet latin, celui de la Serbie et du Monténégro, en cyrillique. Dans la Yougoslavie titiste, la promotion de la langue serbo-croate et les tentatives d’estomper les différences entre le croate et le serbe deviennent les composantes d’une politique linguistique officielle, promue par les communistes croates et serbes.
- La suprématie du serbe
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Sous la main de fer du maréchal Tito, qui était d’origine croate, le nationalisme serbe fut habilement neutralisé. En effet, le découpage des frontières yougoslaves ne permettait pas le regroupement du peuple serbe dispersé dans les républiques de Serbie, de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.
D’ailleurs, Tito aurait maintes fois affirmé qu’il préconisait «une Yougoslavie forte avec une Serbie faible». Les nationalistes serbes expliquent aujourd’hui les politiques de Tito par ses origines croates. Celui-ci déclarait que sa langue maternelle était le "srpskohrvatski" (le serbo-croate). Il dut constamment s'appuyer sur les Serbes (de Bosnie-Herzégovine et du Monténégro) pour exercer sa politique yougoslave et, de peur d'être accusé de favoritisme, il écarta délibérément les Croates aux principaux postes de pouvoir. |
À la suite de la relative libéralisation du régime dans les années 1960, les intellectuels croates manifestèrent leur mécontentement causé par la domination du serbe dans les instances officielles. En 1967, plusieurs linguistes et écrivains «yougoslaves» revendiquèrent de mettre sur un pied d’égalité quatre langues yougoslaves : le slovène, le croate, le serbe et le macédonien. Ils espéraient ainsi mettre un terme à la domination du serbe sur le plan national et dans les institutions fédérales.
En somme, si les Croates n’étaient généralement pas satisfaits de la position de leur nation au sein de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, les Serbes de Croatie se montraient très enthousiastes à l’égard de la situation dans laquelle ils se trouvaient dans une «union nationale» qui comprenait leurs compatriotes de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine.
- Les langues des peuples de Yougoslavie
En principe, le serbo-croate devait servir de façon exceptionnelle comme langue de commandement dans l'armée yougoslave, mais ce n'était pas «la langue officielle de la fédération». De fait, l'article 131 de la Constitution de 1963 énonçait que les lois fédérales devaient être publiées «dans les langues des peuples de Yougoslavie», c'est-à-dire en serbo-croate ("srpsko hrvatskom") ou en croato-serbe ("hrvatsko srpskom"), en slovène ("slovenačkom") et en macédonien ("makedonskom"). Bref, il y avait trois langues plus égales que les autres parmi «les langues des peuples de Yougoslavie» : le serbo-croate, le slovène et le macédonien. Les autres langues étaient considérées comme les «langues des nationalités». En fait, l'État fédéral devait employer le serbo-croate pour les Serbes (en cyrillique) et le croato-serbe pour les Croates (en alphabet latin), ainsi que, selon le cas, le slovène et le macédonien, pour communiquer avec les peuples de la Yougoslavie. Dans les faits, la plupart des locuteurs yougoslaves n’ont jamais désigné leur langue comme étant le serbo-croate. Les Serbes ont toujours affirmé parler le serbe et les Croates le croate. Les Monténégrins considéraient généralement qu’ils parlaient le serbe ou parfois le monténégrin, alors que les Bosniaques disaient parler le croate ou plus rarement le serbe. Finalement, d'autres décidèrent d'employer l'expression "naš jezik" en croate ou "наш језик" en serbe, ce qui signifie dans les deux cas «notre langue».En 1986, l’Académie des sciences et des arts de Belgrade publia un important texte appelé le Mémorandum, qui dénonçait les «injustices» du peuple serbe qui «n'a pu obtenir d'être l'égal en droits des autres peuples de Yougoslavie» et «qui n'a pas eu le droit d'avoir son propre État». Le message évident appelait à la reconquête des territoires perdus et à la reprise du contrôle serbe sur les provinces autonomes. En somme, la Yougoslavie était devenue, selon le cas, anti-serbe, anti-croate, anti-slovène, etc.
En 1991, après que la Croatie eut déclaré son indépendance vis-à-vis de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, la région redevient un champ de bataille entre indépendantistes croates et pro-yougoslaves serbes : la flotte yougoslave fit le blocus des côtes et bombarda les ports. Puis les dirigeants serbes firent expulser les habitants croates (non sans violences) du nord de la Dalmatie, et rattachèrent celle-ci à la République serbe de Krajina autoproclamée, mais celle-ci tomba en 1995 aux mains de l'armée et de la police croate lors de l'opération «Tempête» (en croate "Oluja").
8.1 La proclamation de
l'indépendance
Le 25 juin 1991, le premier président croate, Franjo Tudjman (de 1990 à 1999), annonça que la Croatie se déclarait un État indépendant et souverain dans un discours qui fut regardé par des millions de citoyens à la radio et à la télévision:
S neskrivenim zadovoljstvom i ponosom obznanjujemo svim republikama i saveznim tijelima SFRJ, objavljujemo cijelom svijetu suverenu volju hrvatskog naroda i svih građana Republike da se današnjim danom Republika Hrvatska proglašuje samostalnom i suverenom državom, te pozivamo sve vlade i parlamente svih država da prihvate i priznaju čin slobodne odluke hrvatskoga naroda, čin slobode kojim još jedan narod hoće postati punopravnim članom međunarodne zajednice slobodnog svijeta.
C’est avec un plaisir et une fierté non dissimulés que nous annonçons à toutes les républiques et à tous les organismes fédéraux de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, nous annonçons au monde entier la volonté souveraine du peuple croate et de tous les citoyens de la République qu’à compter de ce jour la République de Croatie est proclamée État indépendant et souverain, et nous appelons tous les gouvernements et parlements de tous les pays à accepter et à reconnaître l’acte de libre décision du peuple croate, un acte de liberté par lequel une autre nation veut devenir un membre à part entière de la communauté internationale du monde libre.
Au moment de l’adoption de la décision constitutionnelle sur la souveraineté et l’indépendance de la République de Croatie, celle-ci fut aussitôt exposée à l'opposition de la minorité serbe de Croatie et au gouvernement de Belgrade. L’objectif initial de l’armée yougoslave (JNA), selon le plan élaboré par le ministre de la Défense la Yougoslavie (1982 à 1988), Branko Mamula, après la mort de Tito, était de maintenir la Yougoslavie en tant qu’État fédéral unique par la force.
8.2 La guerre de l'indépendance
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Les Serbes, c'est à dire les chrétiens orthodoxes de Croatie, représentaient à ce moment-là environ 12% de la population totale, soit plus de 550 000 sur 4,6 millions de personnes. Craignant de devenir minoritaires en une Croatie indépendante alors qu'ils étaient majoritaires en Yougoslavie, ils formèrent, avec l'appui de la Serbie, des milices paramilitaires et autoproclamèrent une région autonome, la République serbe de Krajina (RSK), sur deux territoires, l'un à la frontière avec la Bosnie-Herzégovine, l'autre le long du Danube à l'est de la Croatie, près de la Serbie. En 1991, la Krajina comptait approximativement 270 000 habitants. Lorsque la police croate tenta de reprendre le contrôle de ces régions, ce fut la guerre, que les Croates nomment «guerres d'indépendance» et les Serbes «guerre civile yougoslave» ou «guerre de dislocation». Au cessez-le-feu de janvier 1992, on estimait que près de 80 000 Croates, soit environ 90 % de leur nombre total, avaient été chassés de leur foyer. Les minorités présentes dans les zones contrôlées par les Serbes furent persécutées, déplacées et furent victimes d'exactions (pillages, assassinats, massacres, etc.). Les monuments culturels et religieux furent détruits pour effacer toute trace de présence autre que serbe. |
Cette politique de «nettoyage ethnique», avec déplacement forcé et la violence contre les populations croates et autres résidents non serbes dans la région de Krajina, fut également pratiquée à cette époque dans les autres républiques ex-yougoslaves et ex-soviétiques, partout où une communauté soutenue par le pouvoir fédéral tentait d'empêcher une autre communauté de sortir de la fédération. Ainsi, en Krajina, les Serbes furent constamment soutenus et appuyés par la puissante armée yougoslave. Finalement, 13 000 non-Serbes de Croatie furent tués et 250 000 furent chassés du territoire contrôlé par la RSK. Comme ailleurs en ex-Yougoslavie et en ex-URSS, l'indépendance de la RSK comme celles des autres entités autoproclamées soutenues par le pouvoir central ex-communiste, ne fut reconnue par aucun État ni par aucune organisation internationale, alors que les entités autoproclamées reconnurent en revanche les indépendances des républiques fédérales dans leurs frontières antérieures à la guerre.
Il est vrai que les Serbes de Croatie restaient attachés à la Yougoslavie qu'ils contrôlaient politiquement, mais la grande majorité de ceux qui vivaient en Croatie se sont laissés convaincre par leurs dirigeants locaux, qu'il était impossible pour des Serbes de vivre côte à côte avec des Croates, présentés comme «nazis» par référence aux persécutions exercées pendant la Seconde Guerre mondiale par l'état croate collaborationniste d'Ante Pavelic. D'ailleurs, l'Armée populaire yougoslave, dirigée par des ex-communistes devenus nationalistes serbes, fut accusée d'avoir manipulé et incité les Serbes de Croatie à la sécession et à la violence. Certains considèrent les Serbes de Croatie comme des victimes de la politique expansionniste de la Serbie, tandis que d'autres les considèrent comme des instigateurs du conflit.
Il fallut attendre le début de 1992 pour que la communauté internationale reconnaisse l'indépendance de la Croatie. Par la suite, un plan de paix fut accepté et des troupes de l'Organisation des Nations unies (ONU) furent dépêchées, mais les affrontements à caractère ethnique devaient persister. Armée par les États-Unis et financée par l'Allemagne tout juste réunifiée, l'armée croate réussit à reprendre le contrôle du pays, forçant 120 000 Serbes à prendre le chemin de l'exode et 30 000 militaires et paramilitaires serbes, surpris et terrifiés par la force de frappe de l'armée croate, à fuir les combats et les territoires de la RSK pour rejoindre soit la République serbe de Bosnie soit la Serbie.
Contrairement à ce qu'ils croyaient, les Serbes qui ont
décidé de rester en Croatie après la guerre furent acceptés en tant que
citoyens de la république de Croatie; ils ne furent pas exposés à des
représailles ni à des châtiments, sauf pour un certain nombre de criminels
de guerre; et pour ceux dont les biens ont été endommagés purent bénéficier
d'une indemnisation pour les dommages et la reconstruction de leur maison.
Cela ne signifie pas pour autant que c'est un amour fou entre Croates et
Serbes.
Plus de trois décennies après l'indépendance croate, l’appellation de la
langue constitue un réel problème pour ceux qui proviennent de mariages
mixtes. Ceux qui ne veulent renoncer à aucune partie de leur identité disent
qu’ils parlent le serbo-croate, mais c’est seulement dans les documents des
recensements qu’on peut trouver ce terme. Dans le pays, ceux qui déclarent
le serbo-croate comme langue maternelle sont au nombre de 7822. En y
ajoutant les 3059 personnes qui déclarent parler le croato-serbe, on arrive
à un total de 10 881 sur les 3,8 millions d'habitants de la Croatie (en
2025).
8.3 La participation aux instances internationales
La Croatie participe activement à plusieurs instances internationales, notamment l'Union européenne (2013), l'OTAN (2009), l'ONU (1992) et le Conseil de l'Europe (1996); elle est aussi membre de la Francophonie en tant qu'observateur (2004).
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Si la Croatie participe à la Francophonie ("Francofonija") en tant
qu'État observateur de
l'Organisation
internationale de la Francophonie (OIF), ce statut signifie que
la Croatie ne fait pas partie de la liste des «membres de plein droit»
ou «associés» de l'OIF, mais qu'elle participe aux activités de
l'organisation, notamment en organisant des événements culturels et
éducatifs liés à la francophonie.
La Croatie est également un pays où la langue française est étudiée et appréciée, avec des écoles et des universités offrant des programmes d'études en français. L'Institut français de Croatie joue un rôle important dans la promotion de la langue française et de la culture francophone en Croatie. |
En résumé, la Croatie est un pays qui participe activement à la Francophonie en organisant des événements culturels et éducatifs, en soutenant l'apprentissage du français et en encourageant la coopération avec les autres pays francophones.
8.4 Les emprunts aux langues modernes
Ces dernières décennies, il y a eu diverses normalisations de la langue croate, principalement sur une base chtokavienne et, en même temps, des tentatives ont été faites pour nettoyer la langue des emprunts aux langues germaniques et romanes, ainsi qu'au turc ottoman. Depuis le milieu du XXe siècle, ces langues ont été remplacées par d'autres telles le russe, le français et l'anglais.
- La langue russe
Il est certain que le croate a emprunté des mots à des langues slaves (serbe, tchèque, russe, etc.). Pendant le régime communiste yougoslave, le croate a certainement été influencé par le serbe, mais comme ces deux langues ont des origines communes et que le croate a aussi influencé le serbe, il est difficile de distinguer l'origine de certains mots s'ils sont croates ou serbe, voire bosniaque ou monténégrins.
Pour les emprunts au russe, il est plus aisé d'en trouver l'origine : agitka (< агитка / agikta: «agitation), bajan (< баян / bayan: «fabuleux»), bajdak (< байдак / baïdak: «salaud»), balalajka (< балалайка / balalajka: «balalaïka»), centar (<центр / centr: «centre»), dača (< дача / datcha: «dacha», villa), diktatura (< диктатура / diktatura: «dictature»), imperijal (< империал / imperial: «impérial»), kalašnjikov (< Калашникова / Kalashnikova: «Kalachnikov»), kazak (<казак / kazak: «cosaque»), kozmonaut (< космонавт / kosmonavt: «cosmonaute»), kremlj / Kremlj (< кремл / kreml': «Kremlin», forteresse), mazut (< мазут / mazut: «mazout»), naturščik (< натурщик / naturchtchik: «naturaliste»), oblast (< область / oblast': «oblast: région administrative»), opasan (< опасный / opasnyï: «dangereux»), pirog (< пирог / pirog: «pirogue: tarte»), pogrom (< погром / pogrom: «pogrom»), prikaz (< приказ /prikaz: «décret, oukase»), propaganda (< пропаганда / propaganda: «propagande»), reakcija (< реакция / reaktsiya: «réaction»), revolucija (< революция / revolyutsiya: «révolution»), sputnjik (< спутник / sputnik: «spoutnik»), ukaz (< указ /ukaz: «oukase»), votka (< водка / vodka: «vodka»).
- La langue française
Les premiers contacts entre les langues croate et française ont eu lieu dès le IX
e siècle à l'époque carolingienne, mais il y a encore aujourd'hui de sorte que la langue croate compte de nombreux gallicismes ("galicizmi"); on peut en citer quelques-uns: abažur (< abat-jour), àrmija (< armée), avènija (< avenue), bež (< beige), kavàljer (< cavalier), moda (< mode), bulevar (< boulevard), avenija (< avenue), bàlans (< balance), biskvit (<biscuit), elipsa (< ellipse), limuzina (< limousine), kòkīl (<coquille: moule), distans (< distance), šal (< châle), màsēr (< masseur), funikùler (< funiculaire), omlet (< omelette), gùrman (< gourmand), plàfon (< plafon), sàlon (< salon), baget (< baguette), kompòsiter (< compositeur), kroasan (< croissant), spaljena krema (< crème brûlée), hotel (< hôtel), etc. Beaucoup d'autres mots français ont été adoptés par l'allemand avant de se retrouver en croate.- L'anglais
Au XX
e et XXIe siècle, un certain nombre de mots anglais ("anglizmi") ont été introduits: autsajder (<outsider), boks (<boxing), blog, break, chat, klub (<club), kruzer (<cruiser), detektiv, e-mail, fashion week, gadget, internet, kompjuter (<computer), fotofiniš (<photofinish), link, marketing, monitoring, party, kupovina (<shopping), vikend (<week-end), onlajn (on line), kontejner (<container), sajt (<site), spam, tvist, piknik, park, selfi (<selfie), strip, hokej (<hockey), etc.). Néanmoins, certains de ces mots ont des équivalents en croate, mais des locuteurs peuvent préférer employer le terme anglais.La langue anglaise bénéficie d'une présence mondiale et elle est particulièrement employée dans des domaines tels que l’informatique, la technologie, le style de vie, la mode, le sport, la musique et le cinéma.
- Le latin et le grec savant
En même temps, de nombreux termes techniques d'origine latine ou grecque sont entrés dans la langue croate: teorija (théorie), anatomija (anatomie), atom (atome), astronomija (astronomie), biologija (biologie), kvantitativno (quantitatif), ekologija (écologie), energija (énergie), molekul (molécule), genetika (génétique), fizika (physique), klimatologija (climatologie), matematika ,(mathématiques), kemija (chimie), geometrija (géométrie), zoologija (zoologie), patologija (pathologie), fiziologija (physiologie), orgulje (organe), psihologija (psychologie), virus (virus), etc. Et la liste pourrait s'allonger considérablement, ce qui démontre que le croate a su s'adapter et évoluer.
L’examen de l’étymologie croate révèle une langue riche et complexe, façonnée par des siècles d’histoire et de contacts culturels. De très nombreux mots d'origine étrangère sont une fenêtre sur le passé, une trace des interactions entre les peuples. En observant les origines des mots croates, nous découvrons non seulement l’histoire de cette langue, mais aussi celle de la Croatie. En même temps, la langue croate a su adapter ces apports à son système phonétique et grammatical, de sorte que ces mots font partie intégrante du croate. Si l'on fait exception aux plus récents emprunts à la langue anglaise, les Croates ne savent même pas qu'ils emploient des centaines de mots «étrangers» parce qu'ils sont devenus croates. Seuls les emprunts récents, en l'occurrence en anglais, ne sont pas tous naturalisés dans la langue d'arrivée. En réalité, c'est le même phénomène que vivent la plupart des francophones qui ignorent que des centaines de mots employés quotidiennement sont d'origine germanique (francique), arabe, normande, italienne, etc.
La langue croate possède une histoire riche et complexe, marquée par des influences diverses et des évolutions constantes. De ses origines slaves médiévales à son statut de langue officielle de la Croatie moderne, le croate a su s’adapter et se transformer tout en préservant son identité unique. Aujourd’hui, la langue croate continue de jouer un rôle central dans la culture et l’identité nationale croates. Elle sert d'instrument de communication, de transmission des traditions et de création artistique. En somme, la langue croate est plus qu’un simple moyen de communication, elle est le reflet de l’histoire et de la culture du peuple croate. Avec l'adoption de la Loi sur la langue croate (2024), la Croatie donne pour la première fois à la protection de la langue un cadre institutionnel bienvenu et nécessaire, qui permet son développement sans entrave, au profit du peuple croate et de l’ensemble de la culture croate. Comme pour d'autres langues, la préservation et la promotion du croate sont essentielles pour maintenir la diversité linguistique et culturelle du monde.
1) Généralités |
2) Données historiques |
3) Politique de croatisation |
4) Politique des minorités nationales |