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Japon (5) La politique relative |
Plan de l'article
1 La mondialisation et les minorités autochtones Le droit international Les restrictions 2 La situation des Aïnous L'ancienne loi de 1899 La loi aïnoue de 1997 3 La situation des Ryukyuiens La non-reconnaissance Une occupation illégale du territoire? |
La loi aïnoue de 2019 L'écriture aïnoue La discrimination effective 4 L'interventionnisme timide du département d'Okinawa La population locale et ses langues Un embryon de politique linguistique Les mesures réglementaires 5 L'absence réelle de protection linguistique Les tribunaux L'enseignement Les services publics Les médias |
Nous savons qu'il existe quelques langues minoritaires au Japon comme le coréen, le chinois et l’aïnou, sans oublier les petites langues japoniques que sont l’amami, le kikai, le miyako, le toku-no-shima, etc. Même les Japonais reconnaissent que, jusqu'ici, la société japonaise n’a pas vraiment respecté ses minorités autochtones. Il faut dire que l'idéologie dominante voulait que le Japon soit «une nation ethniquement pure». Or, sur le territoire japonais, les minorités subissent des discriminations sévères dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. En dépit de l’existence de ses minorités, la Constitution japonaise ne contient aucune disposition pour leur protection et aucune législation générale n’a été adoptée dans cette perspective.
1.1 Le droit international
Sous la pression internationale, le gouvernement japonais s'est vu dans l'obligation d’être plus «sensible» à la problématique minoritaire. Le gouvernement japonais a signé le 30 mai 1978 et ratifié le 21 juin 1979 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et n’a émis aucune réserve ou déclaration interprétative par rapport à l’article 27 qui protège les droits des minorités :
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Article 26 Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Article 27 Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue. |
1.2 Les restrictions
Toutefois, lors de la ratification du pacte, les autorités japonaises ont déclaré certaines restrictions concernant les articles 7 (torture ou traitements cruels), 8 (esclavage et travail forcé ou obligatoire) et 13 (expulsion des ressortissants étrangers) du Pacte:
Japon
1. En ce qui concerne l’application des dispositions du paragraphe d de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Japon se réserve le droit de ne pas être lié par les mots «la rémunération des jours fériés» figurant dans lesdites dispositions. 2. Le Japon se réserve le droit de ne pas être lié par les dispositions de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, sauf en ce qui concerne les domaines dans lesquels le droit mentionné dans lesdites dispositions est accordé en vertu des lois et règlements en vigueur au Japon à la date de la ratification du Pacte par le Gouvernement japonais. 3. En ce qui concerne l’application des dispositions des alinéas b) et c) du paragraphe 2 de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Japon se réserve le droit de ne pas être lié par les mots «et notamment par l’instauration progressive de la gratuité» figurant dans lesdites dispositions. 4. Rappelant la position adoptée par le Gouvernement japonais lorsqu’il a ratifié la Convention n° 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, à savoir qu’il estimait que les mots «la police» figurant à l’article 9 de ladite Convention devaient être interprétés de façon à comprendre les services japonais de lutte contre l’incendie, le gouvernement japonais déclare que les mots «membres de la police» figurant au paragraphe 2 de l’article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels doivent être interprétés de façon à comprendre les membres des services japonais de lutte contre l’incendie. |
De plus, en référence à l'article 27 du Pacte, les autorités japonaises ont aussi déclaré en 1978-1979 qu’il n’existait pas de telles minorités au Japon. On se demande bien pourquoi dans ces conditions avoir signé et ratifié un tel traité! Rappelons que, en 1997, un tribunal régional de Sapporo s’est fondé sur l’article 27 du Pacte pour invalider une autorisation administrative de construire un barrage qui aurait conduit à la submersion d’un petit village de 500 habitants aïnous. Toutefois, il s’agit d’un cas exceptionnel, car généralement les tribunaux japonais se montrent en général extrêmement réticents à invoquer les normes internationales des droits de la personne afin d’invalider des actes législatifs ou administratifs internes.
Il faut comprendre que, dans la version japonaise du Pacte, l'article 27 utilise les termes "shōsū minzoku" (少数民族) comme équivalent de «minorité/minority» en français et en anglais. Or, ces termes renvoient en japonais aux concepts suivants: groupe ethnique, nation, race, peuple, sinon une combinaison de ces notions. D'ailleurs, les termes pour désigner l'ethnie majoritaire du Japon, c'est Yamato minzoku (大和民族Un dictionnaire japonais définit le "minzoku" comme «un groupe social partageant de nombreuses caractéristiques communes de race, de langue, de culture, de religion, etc.». On trouve aussi cette définition: «Groupe englobé dans une collectivité plus importante.» En privilégiant cette traduction qui évite le concept de «minorité», on en arrive à la conclusion qu'il n'y a pas de minorités au Japon. Cela signifie aussi qu'il n'y a qu'une seule nation au Japon! Évidemment, cette interprétation de la part du Japon lui a attiré de sévères critiques de divers milieux. Aujourd'hui, on a tendance à privilégier 日本人, soit Nihonjin, pour désigner le peuple japonais.
En 1997, le Japon a abrogé une loi ancienne de 1899, la Loi sur la protection des anciens indigènes de Hokkaido. L'île de Hokkaido constitue la terre ancestrale du peuple aïnou. Cette loi était destinée à préserver la culture des Aïnous de Hokkaido; elle remplaçait un texte presque centenaire, responsable en grande partie de la discrimination dont les «anciens indigènes» étaient victimes.
La loi de 1889 ne contenait aucune disposition d'ordre linguistique, mais l'article 9 traitait des écoles primaires dont les frais devaient être assumés par le Trésor national aux endroits où vivait une tribu d'anciens indigènes de Hokkaido. D'autres articles prévoyaient de munir les Aïnous de l'équipement et/ou de semences pour l'agriculture (art. 4), de leur faire bénéficier d'un traitement médical ou de frais médicaux (art. 5), de leur accorder des secours si l'un d'eux décédait ou des sommes pour les frais funéraires (art. 6). |
2.1 L'ancienne loi de 1899
Voici quelques extraits (traduction) de cette Loi sur la protection des anciens indigènes de Hokkaido de 1899 :
Article 1er Ces anciens indigènes de Hokkaido qui s'engagent ou souhaitent s'engager dans l'agriculture doivent recevoir gratuitement une terre ne dépassant pas 15 000 tsubo (49 590 m²) par ménage. Article 4 Les anciens indigènes de Hokkaido vivant dans la pauvreté doivent être munis de l'équipement et/ou de semences pour l'agriculture. Article 5 Les anciens indigènes de Hokkaido blessés ou malades, mais qui ne peuvent se permettre de soins médicaux pour eux-mêmes doivent bénéficier d'un traitement médical ou de frais médicaux. Article 6 Les anciens indigènes de Hokkaido trop blessés, malades, handicapés, atteints de sénilité ou trop jeunes pour subvenir à leurs besoins doivent bénéficier de secours basés sur les lois en vigueur et, si l'un d'eux décède au moment ou au cours de l'assistance qu'il reçoit, il doit bénéficier des frais funéraires. Article 7 Les enfants des anciens indigènes de Hokkaido vivant dans la pauvreté doivent bénéficier des frais de scolarité s'ils fréquentent une école. Article 8 Les frais nécessités par les articles 4 et 7 seront couverts par le produit des fonds communautaires des anciens indigènes de Hokkaido et, en cas de pénurie, ils seront assumés par le Trésor public. Article 9 |
Nous pouvons constater qu'il n'existait aucune disposition d'ordre linguistique dans cette loi aujourd'hui désuète.
2.2 La loi aïnoue de 1997
Cette vieille loi de 1899 a finalement été abrogée et elle fut remplacée en 1997 par la Loi sur la promotion de la culture des Aïnous et sur la diffusion et la mise en valeur des connaissances relatives à leurs traditions. Cette loi, également appelée «nouvelle loi aïnoue» ("Ainu Shinpô"), reconnaissait pour la première fois l'existence d'une minorité ethnique au Japon. De plus, si la culture des Aïnous est reconnue par la loi, elle n'a ajouté aucun droit supplémentaire pour les Aïnous, encore moins en matière de langue, Tokyo craignant que de tels droits ouvrent la voie à des revendications territoriales. Voici les articles 1 et 2 de cette loi:
Article 1er
But La présente loi a pour but d'inciter la société japonaise à respecter la fierté aïnou en tant que peuple aïnou et de contribuer à soutenir les diverses cultures de notre pays en mettant en œuvre des politiques visant à diffuser les connaissances concernant les traditions et la culture (ci-après «traditions aïnous"), qui sont à l'origine de la fierté ethnique des Aïnous, et à promouvoir la culture aïnoue (ci-après «promotion de la culture aïnoue»), ainsi qu'à instruire la nation sur l'état des traditions aïnous. Article 2 Définition Selon la présente loi, la «culture aïnou» inclut la langue aïnoue, ainsi que la musique, la danse, l'artisanat et les autres dérivés culturels qui ont été perpétués par les Aïnous ou qui doivent encore être développés. |
D'après l'article 2 de la loi, la «culture aïnoue» inclut la langue aïnoue, ainsi que la musique, la danse, l'artisanat et les autres dérivés culturels qui ont été perpétués par les Aïnous ou qui doivent encore être développés. Mais le texte de loi ne va pas plus loin.
L'article 3 de la Loi sur la promotion de la culture des Aïnous et sur la diffusion et la mise en valeur des connaissances relatives à leurs traditions (1997) décrit les obligations des organismes du gouvernement national et des pouvoirs régionaux :
Article 3
Obligations des organismes du gouvernement national et des pouvoirs régionaux 1) Le gouvernement national doit s'efforcer de mettre en œuvre des politiques favorisant la perpétuation de la culture aïnoue par ses habitants, afin de promouvoir la conscientisation du public aux traditions aïnoues, d'encourager le contrôle et l'étude de la culture aïnoue visant à contribuer à la promotion de la culture aïnoue et à mettre en œuvre d'autres politiques destinées à soutenir la culture aïnoue. En outre, le gouvernement national doit s'efforcer d'offrir des conseils et un soutien nécessaires aux organismes administratifs régionaux pour mener à bien la promotion de la culture aïnou. 2) Les organismes administratifs régionaux doivent s'efforcer d'assurer la promotion de la culture aïnoue en tenant compte de la situation sociale de leurs régions respectives. |
Ces obligations visent à perpétuer la culture aïnoue par ses habitants. Cette culture est perçue comme un patrimoine folklorique à conserver de sorte que les «Japonais de la ville» puissent visiter quelques villages devenus aujourd'hui des sites touristiques recherchés. Bien que la Loi sur la promotion de la culture des Aïnous et sur la diffusion et la mise en valeur des connaissances relatives à leurs traditions (1997) prévoyait la promotion et la préservation de la langue aïnoue (art. 2), les autorités japonaises ne proposaient pas un enseignement dans cette langue ni même bilingue. Si la loi de 1997 reconnaissait pourtant que le peuple aïnou était d'origine autochtone, elle se limitait à considérer uniquement le lien autochtone que le peuple avait avec la terre sur laquelle il résidait. Bref, la loi n'accordait aucun autre droit particulier que celui de se voir reconnaître l'antériorité à la terre de Hokkaido.
2.3 La loi aïnoue de 2019
En 2019, la Diète adoptait la Loi sur la promotion de mesures visant à instaurer une société respectueuse de la fierté des Aïnous. Cependant, les représentants des Aïnous se sont dits très déçus, car la loi ne viserait, selon eux, qu'à promouvoir la promotion de la culture liée aux projets d’ouverture d’un musée et d’un parc national aïnou, dont l'objectif réel serait la promotion du tourisme exotique. L'article 2 traite de la «culture aïnoue», ce qui inclut aussi la langue:
Article 2 Définitions 1) L'expression «culture aïnoue» employée dans la présente loi désigne la langue aïnoue, le mode de vie, la musique, la danse, l'artisanat et d'autres produits culturels hérités par le peuple aïnou, ainsi que les produits culturels issus de ces produits. 2) L'expression «politique aïnoue» employée dans la présente loi désigne les mesures de développement d'un environnement qui contribue à la promotion de la culture aïnoue, à la diffusion et à l'enrichissement des connaissances concernant les traditions aïnoues, etc. (ci-après dénommés «Promotion de la culture aïnoue»), et la promotion de la culture aïnoue pour que les Aïnous vivent avec fierté en tant que peuple. |
Cette loi en vigueur interdit la discrimination contre les Aïnous sur la base de l'appartenance ethnique (article 4), exige que les administrations locales à lancer des campagnes éducatives et publicitaires pour approfondir compréhension des Aïnous (article 5) et oblige les citoyens à faire des efforts pour aider à la société visée par cette loi (article 6). La loi prévoit également que le gouvernement national doit approuver, lors d'une réunion du Cabinet, une politique de base en vue d'une promotion efficace de la politique sur les Aïnous (article 7); le gouvernement doit promouvoir une politique qui comprend des mesures pour favoriser le développement régional, l'industrie et le tourisme dans les régions où résident des populations aïnoues.
Article 4 Nul ne peut faire de discrimination à l'égard des Aïnous ni commettre tout autre acte qui viole ses droits ou intérêts sur le fait d’être aïnou. Article 5 Responsabilités des administrations nationales et locales 1) Les gouvernements nationaux et locaux sont responsables de la formulation et de la mise en œuvre des politiques aïnoues conformément aux principes de base prescrits dans les deux articles précédents. 2) L’État et les entités publiques locales s'efforcent de prendre les mesures appropriées pour former les personnes qui hériteront de la culture aïnoue. 3) L'État et les entités publiques locales s'efforcent d'approfondir la compréhension des Aïnous par les citoyens au moyen d'activités éducatives, publicitaires et autres. 4) L'État s'efforce de promouvoir la recherche et les études qui contribuent à la promotion, etc., de la culture aïnoue, et s'efforce de donner les conseils nécessaires et de prendre d'autres mesures pour promouvoir les politiques aïnoues mises en œuvre par les entités publiques locales. Article 6 Efforts du peuple Le peuple doit s’efforcer de contribuer à la réalisation d'une société dans laquelle le peuple aïnou peut vivre avec fierté en tant que peuple et où sa fierté est respectée. |
La loi exige également que les municipalités travaillent indépendamment ou conjointement pour développer des programmes régionaux pour la promotion de la politique sur les Aïnous, y compris des programmes de mise en œuvre. Lors de la formulation des programmes de mise en œuvre, les municipalités sont tenues de consulter les parties qui mettront en œuvre ces programmes et ceux des municipalités dont les programmes régionaux ont été approuvés auront droit à des subventions (article 15). La législation de 2019 comprend également des dispositions spéciales pour protéger la culture aïnoue, y compris les rituels et modes de vie traditionnels. La loi prévoit aussi que, lorsque cinq ans se seront écoulés après la mise en vigueur de cette loi, le gouvernement examinera l'état de sa mise en vigueur et, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires sur la base des conclusions de ce réexamen (article 9 des dispositions complémentaires).
Quoi qu'il en soit, la langue aïnoue elle-même ne fait pas partie des priorités du gouvernement japonais. L'objectif semble être de s'accommoder des standards internationaux en matière de protection des autochtones tout en sauvegardant la culture aïnoue, ce qui pourrait stimuler le tourisme exotique, quitte à oublier totalement la langue ancestrale des Aïnous.
Le fait d'accorder des droits collectifs aux Aïnous serait inconstitutionnel en vertu du principe de la non-distinction de race ou d'ethnie proclamé à l'article 14 de la Constitution:
Article 14
1) Tous les citoyens sont égaux devant la loi ; il n'existe aucune discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l'origine familiale. 2) Ni nobles ni titres nobiliaires ne seront reconnus. |
Il serait donc interdit d'adopter des mesures qui pénaliseraient une ethnie, ce qui semble justifié, mais il serait tout aussi interdit de favoriser une ethnie et de pratiquer de la discrimination «positive». Bref, toute disposition visant spécifiquement les Aïnous ou d'autres communautés autochtones constituerait une forme de discrimination qui mettrait en échec le principe d'égalité entre tous les citoyens japonais. C'est le même principe que la France a adopté à l'article 1er dans sa constitution: «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Dans cette perspective, protéger une communauté minoritaire équivaudrait à pratiquer une forme de discrimination, fût-elle positive! Toujours la sempiternelle objection: en donnant des droits à des groupes particuliers, on irait à l'encontre de l'unicité du peuple japonais (ou français?).
2.4 L'écriture aïnoue
Dans le passé, le gouvernement invoquait le manque d'écriture pour refuser un enseignement dans cette langue qui se transmettait oralement. Aujourd'hui, la langue aïnou est écrite à l'aide de l'écriture japonaise katakana avec des symboles spéciaux), mais aussi à l'aide de l'alphabet latin.
Plusieurs dictionnaires bilingues (aïnou-japonais) ont été publiés et plusieurs associations locales aïnou offrent maintenant des cours de langue aïnoue. Le principal journal en langue aïnoue, The Ainu Times, publie une version en katakana et une version en alphabet latin. Cependant, peu d'Aïnous utilisent cet alphabet, car il n'y a pas assez de locuteurs de cette langue, la plupart des membres de ce peuple indigène ayant été linguistiquement assimilés. La grande majorité des dizaines de milliers de personnes qui prétendent être ethniquement aïnoues ne parlent que japonais. On pense que le nombre réel de personnes d'ascendance aïnoue est plus élevé, mais beaucoup ignorent leur appartenance ethnique ou la nient par crainte de discrimination. |
2.5 La discrimination effective
L'article 14 de la Constitution du Japon énonce que tous les citoyens sont égaux devant la loi et ne peuvent être victimes de discrimination politique, économique ou sociale sur la base de la race, des convictions, du sexe, ou social ou autre:
Article 14 1) Tous les citoyens sont égaux devant la loi ; il n'existe aucune discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l'origine familiale. |
Cependant, le Japon n'a pas de législation sur les droits civils, qui interdirait ou sanctionnerait les activités discriminatoires commises par des citoyens, des entreprises ou des organisations non gouvernementales.
Par exemple, beaucoup d'Aïnous déclarent que l'école est le milieu le plus courant pour transmettre la discrimination. Les enfants sont souvent victimes d'intimidation; ils sont discriminés tant par les autres élèves que par les enseignants. De nombreux jeunes Aïnous abandonnent l'école avant leurs études secondaires. Seulement 16 % des jeunes Aïnous de Hokkaido fréquentent une l'université, contre 34 % pour l'ensemble des Japonais de la préfecture. L'absence d'Aïnous en politique augmente aussi la discrimination et la marginalisation du peuple aïnou.
Le Japon pourrait prendre des mesures plus incitatives afin que les Aïnous puissent à la fois conserver leurs terres, leur culture et leur langue, tout en participant pleinement à la vie politique du pays. Cela nécessiterait une initiative nationale d'éducation pour sensibiliser tous les Japonais à respecter leur minorité indigène. Rien n'indique pour le moment que les manuels proposés servent réellement dans les classes. De plus, il serait nécessaire de prendre des mesures juridiques plus solides pour lutter contre la discrimination, de trouver de nouveaux mécanismes pour veiller à une plus grande représentation politique adéquate et d'entamer des moyens concrets pour lutter contre les abus et la discrimination. Pour ce faire, il faudrait aussi contourner l'article 14 de la Constitution qui, sous le couvert de la non-discrimination, interdit les droits collectifs d'une communauté minoritaire. Pour le moment, cette question semble constituer une impasse que le gouvernement japonais brandit comme un argument irréfutable et que les associations aïnoues ont bien du mal à contourner. Et ce n'est pas la loi de 2019 qui règlera la question! |
En 2005, un rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme et la xénophobie s'était dit «préoccupé par le racisme profond» au Japon et la reconnaissance insuffisante du problème par le gouvernement. D'ailleurs, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations unies concluait, après une enquête et une tournée de neuf jours au Japon, que la discrimination raciale et la xénophobie au Japon affectaient principalement trois groupes: les minorités nationales, les descendants d'anciennes colonies japonaises et les étrangers des autres pays d'Asie.
Heureusement, en 2010, selon le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale, le bilan du Japon en matière de racisme s'était nettement amélioré, bien qu'il puisse rester des possibilités pour des progrès. L'article 14 de la Constitution, il est vrai, interdit la discrimination fondée sur la race, la croyance, le sexe, la condition sociale ou l'origine familiale, mais ledit Comité des Nations unies s'interrogeait sur le manque de législation anti-discours de haine dans le pays et le traitement des minorités japonaises et de ses grandes communautés coréennes et chinoises. Le Japon n'a pas de loi qui sanctionne sévèrement les actes de discrimination, de haine ou de violence contre des individus ou un groupe spécifique.
Des tentatives ont été faites à la Diète pour promulguer une législation sur les droits de l'homme. En 2002, un projet fut soumis à la Chambre des représentants, mais celui-ci n'a pas abouti à un vote. Si une telle loi avait été adoptée, elle aurait mis en place une Commission des droits de l'homme pour enquêter, dénoncer ou sanctionner financièrement les pratiques discriminatoires ainsi que les discours de haine commis par des particuliers ou des organismes.
Les habitants de l'archipel des Ryukyu parlent, rappelons-le, des langues japoniques différentes des Japonais vivant dans le reste du Japon, dont l’amami du Nord et l'amami du Sud, le kikaî, le yoron, le kunigami, le miyako, l’okinawaïen, le yaeyama et le yonaguni. Bien qu'il y ait quelques initiatives privées dont le but est la revitalisation de la culture et des langues ryukyu, il n'existe guère de politique positive de la part des autorités japonaises à ce sujet. Ces dernières ne reconnaissent pas l'existence des Ryukyiens en tant que minorités linguistiques ou culturelles. Malgré de nombreuses demandes au cours des années 1980 et 1990, notamment de la part de l'Association des peuples indigènes des Ryûkyû, afin de permettre un minimum d'accès des langues des Ryukyu dans certains services publics, judiciaires et scolaires, rien n'a été fait ni même pensé en ce sens. Ces dernières années, le gouvernement japonais a pris quelques initiatives en faveur des Aïnous, mais il refuse totalement de considérer les Ryukyuiens non seulement comme minorité, mais aussi comme un peuple autochtone, ce qu'ils sont au même titre que les Aïnous. |
3.1 La non-reconnaissance
Dans son Rapport du Comité des droits de l’Homme (2009), le supplément n° 40 (A/64/40), le Comité des droits de l'homme notait de façon préoccupante que le Japon n’avait pas officiellement reconnu les peuples natifs des Ryukyu/Okinawa en tant que peuples autochtones titulaires de droits spéciaux et ayant droit à une protection (art. 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) :
L’État Partie devrait reconnaître expressément les Aïnous et les natifs des Ryukyu/Okinawa comme peuples autochtones dans la législation interne, adopter des mesures spéciales pour protéger, préserver et promouvoir leur patrimoine culturel et leur mode de vie traditionnel, et reconnaître leurs droits fonciers. Il devrait en outre garantir aux enfants des Aïnous et des Ryukyu/Okinawa des possibilités adéquates de recevoir un enseignement dans leur langue ou relatif à leur langue et à leur culture, et inscrire au programme scolaire ordinaire un enseignement relatif à la culture et à l’histoire des Aïnous et des Ryukyu/Okinawa. |
La seule réponse du gouvernement japonais aux observations du rapporteur spécial de l'ONU fut de mentionner l'élaboration d'un «plan de promotion et de développement d'Okinawa» et la création d'un Conseil de la politique pour Okinawa. Or, aucun de ces documents ne se réfère aux Ryukyuiens comme minorité ou comme peuple autochtone.
3.2 Une occupation illégale du territoire?
De plus, la présence militaire des États-Unis à Okinawa et les politiques discriminatoires du gouvernement japonais, qui favorisent l'occupation militaire américaine dans ces îles, accaparent toute l'énergie de la plupart des groupes politiquement actifs à Okinawa.
Pour la Chine, l'occupation des îles Ryukyu par le Japon ne repose sur aucune base juridique et elle serait totalement illégale. Le gouvernement japonais se doit de respecter inconditionnellement les termes des déclarations du Caire, les accords de Potsdam et d'autres lois internationales, et mettre immédiatement fin à l'occupation armée et au gouvernement colonial de l'archipel des Ryukyu.
Le département d'Okinawa (沖縄県, Okinawa-ke) administre l'archipel des Ryūkyū — forme japonaise d'un mot d'origine chinoise, Liuqiu — comprenant plus de 150 îles dans la mer de Chine orientale, entre entre Taïwan et l'île principale du Japon. Les principales îles sont Okinawa, la plus grande, Amami, Kunigami, Miyako, Yaeyama, Yonaguni et Daitō. Jusqu'à 1879, cet archipel ne faisait pas partie du Japon, c'était un pays indépendant: le Royaume de Ryūkyūdu, lequel a existé du XIVᵉ au XIXᵉ siècle. Initialement divisé et limité à l'île d'Okinawa il fut unifié et élargi jusqu'aux îles Amami et aux îles Yaeyama près de Taïwan en 1429 par Shō Hashi. L'archipel fut annexé par le Japon en 1879 avant d'être occupé par les États-Unis le 28 avril 1952. Bien que les États-Unis aient restitué la région en mai 1972, celle-ci continue d'abriter plusieurs bases militaires, la principale base américaine de la région Asie-Pacifique se situant sur Okinawa Hontō.
Malgré une complète égalité de droit avec les autres Japonais, les habitants de l'archipel des Ryūkyū sont toujours demeurés dans une certaine situation de dépendance, voire coloniale, à l'égard de Tokyo, une dépendance à la fois politique, en raison de la nomination aux postes clefs de l'administration de fonctionnaires étrangers au département, et économique, du fait des monopoles exercés par les grandes firmes japonaises. |
Une fois redevenu japonais, l'archipel appelé Ryūkyū se vit progressivement remplacer son nom par Okinawa dans la désignation de toutes les institutions politiques et les organismes administratifs de cette région.
4.1 La population locale et ses langues
Au recensement de 2011, le département d'Okinawa affichait une population de 1,4 million d'habitants avec une densité de 580 habitants/km². C'est dans ce département que l'on retrouve la plus longue espérance de vie au monde, soit 86 ans pour les femmes et 78 ans pour les hommes, sans oublier le plus grand nombre de centenaires à l’échelle de la planète, notamment en partie grâce à l'hérédité et à l'alimentation des Okinawaïens.
L'ensemble des habitants du département, les Ryukyuiens, constituent le plus grand groupe minoritaire ethnolinguistique au Japon, avec 1,4 million d'habitants. Ils habitent non seulement la plus grande île de l'archipel, Okinawa, mais également plusieurs autres îles de la région. On distingue plusieurs «nations» selon le lieu de leur habitat: les Miyako, les Kikai, les Okinawaïens, les Yaeyama, les Amami-Oshima.
En fait, la population ryukyuienne dans son ensemble, y compris les Okinawaïens, revendique ses différences culturelles avec le Japon : la culture d’Okinawa et des îles environnantes constitue un mélange de cultures chinoise et japonaise, avec de nombreuses particularités, notamment dans les domaines de la musique, de l'alimentation et de la langue. Aujourd'hui encore, la langue de prédilection des familles d'Okinawa est toujours le japonais standard, bien que les locuteurs puissent lui donner une prononciation locale à certains mots japonais. De plus, en raison de leur proximité avec la Chine, les Ryukyuans et ont absorbé de nombreuses formes de langue chinoise, la littérature primitive qui enregistre la langue de l'ancienne cour impériale japonaise montre des archaïsmes plus proches des dialectes locaux. Finalement, les Ryukyuiens, mais plus particulièrement les Okinawaïens, parlent un «japonais okinawaïen», un japonais standard teinté de régionalismes.
La plupart des langues ryukyu sont maintenant en voie d'extinction, y compris l'okinawaïen, car elles sont concurrencées fortement par le japonais standard. En 2009, plusieurs langues parlées sur l'archipel japonais ont été répertoriées parmi les langues vulnérables par l’Atlas de l'UNESCO. Outre le hachijō au sud de l'île Hoshu, ce sont l’amami du Nord et l'amami du Sud, le kikaî, le yoron, le kunigami, le miyako, l’okinawaïen, le yaeyama et le yonaguni.
Les langues les plus en danger sont l'amami, le kunigami, le miyako et l'okinawaïen. Aucune de ces langues n'est protégée par les autorités japonaises qui les considèrent comme un sous-groupe du peuple japonais, similaire au peuple yamato. D'ailleurs, des linguistes japonais croient que les langues autochtones sont des «dialectes» (hōgen), non des langues à part entière, et que l'ancien royaume fait maintenant partie du Japon, ce qui signifierait que ces langues devraient être considérées comme des «descendantes» du japonais. |
Il faut aussi comprendre que la configuration d'un archipel formé de plus de 150 îles a forcément favorisé la fragmentation dialectale: environ 700 variétés dialectales. Par exemple, l'okinawaïen en compte 400; l'amami, 250; le miyako, 75; le yaeyama, 25, etc. Dans ces conditions, il n'est guère surprenant qu'en l'absence d'une uniformisation la plupart de ces petites langues soient en danger de disparition. Le japonais standard est devenu exclusivement employé dans le domaine public. Néanmoins, la langue traditionnelle d'Okinawa est encore utilisée dans les activités culturelles traditionnelles, telles que la musique folklorique et la danse folklorique.
4.2 Un embryon de politique linguistique
Le gouvernement central de Tokyo n'a jamais jugé nécessaire de légiférer pour protéger les langues ryukyu, contrairement aux efforts entrepris pour l'aïnou. C'est plutôt le gouvernement local du département d'Okinawa qui a commencé à élaborer un embryon de politique linguistique dans le but de protéger les nombreuses langues ryukyu présentes sur son territoire. Il faut ajouter que, selon une enquête menée par le département d'Okinawa en 2014, qu'environ 70% des personnes interrogées déclarent vouloir que leurs langues locales soient enseignées à l'école, ce qui, à l'heure actuelle, semble difficilement réalisable, car les programmes scolaires sont entièrement décidés par le gouvernement central japonais.
En 2000, un organisme privé voué à la préservation de la langue okinawaïenne, le Conseil pour la promotion de la langue d'Okinawa, a été créé: "Okinawago fukyu kyogikai" (沖縄語普及協議会). Lors de son assemblée inaugurale, les membres se sont fixé l'ultime objectif de créer des cours dans les langues locales au primaire et au début du secondaire. À cette époque, les Japonais se découvraient un intérêt pour la culture et les arts d'Okinawa, ce qui faisait espérer aux Okinawaïens d'intégrer ces éléments culturels dans l'enseignement scolaire et, ultimement, les langues elles-mêmes.
En 2017, le gouvernement local a mis en place le "Shima kutuba fukyu sentaa" (しまくとぅば普及センター), le Centre de promotion de la Shima kutuba. En ryukyuien, les termes "shima kutuba" signifient littéralement «langue de l'île» ou «langue insulaire» (en anglais: "Island Speech"). La Shima kutuba sert à désigner les événements traditionnels de la région, ainsi que les caractéristiques fondamentales de la culture d'Okinawa comme la danse de groupe, la danse ryukyuienne et les pièces de théâtre d'Okinawa. Pour ainsi dire, c'est aussi la base de l'identité des Okinawaïens. |
Le gouvernement
départemental prévoyait adopter une approche en trois phases s'étalant sur dix
ans. Au cours de la première phase de l'exercice 2013 à 2015, il devait
s'efforcer de familiariser le public avec la langue ryukyuienne,
notamment en offrant des cours de langue aux étudiants.
Dans la deuxième phase, de 2016 à 2018, il encourageait chaque région pour la
promotion de la langue et, dans la dernière phase de 2019 à 2022, les habitants
d'Okinawa devaient utiliser activement la langue dans une proportion de 30%,
voire beaucoup plus.
Toutefois, le point central de la revitalisation de la langue d'Okinawa demeure le choix de la variété linguistique qui devrait faire l'objet d'une langue patrimoniale en éducation. La variété de Shuri (ville), en particulier la variété sociale de l'ancienne classe de samouraïs, est la plus élevée. Les partisans de cette langue proposèrent de continuer à parler les variétés locales tout en s'alignant sur l'okinawaïen de Shuri, l'ancienne capitale du royaume de Ryūkyū.
Au moins, une orthographe standard a pu être fixée pour les variétés linguistiques du ryūkyū, particulièrement pour l'okinawaïen. Mais il faut aussi assurer la formation d'enseignants et introduire l'enseignement de ces langues dans les écoles. Il faut aussi obtenir l'approbation du Conseil scolaire du département d'Okinawa qui, jusqu'à présent, ne s'est pas montré très favorable à cette éventualité.
En 2012, l'Association culturelle du département d'Okinawa a interrogé les gestionnaires scolaires dans 274 écoles primaires et 154 écoles secondaires sur leurs activités de valorisation linguistique. Selon cette enquête, 80 écoles primaires (29%) et 32 écoles secondaires (21%) ont déclaré avoir à un moment donné inclus une langue locale en classe ou dans des activités parascolaires. En réalité, les élèves ont étudié généralement ces langues que de façon sporadique, c'est-à-dire quelques fois dans une année scolaire. Quelques années plus tard, en 2016, on s'est rendu compte qu'il était impossible d'enseigner correctement la langue locale dans le cadre du programme de langue nationale actuel. Un autre facteur important vient du fait que la plupart des enseignants ne parlent pas ces langues. Dans ces conditions, ils ont dû faire appel à des personnes âgées parmi les communautés locales qui ont participé à ces expériences.
Bien sûr, la revitalisation ou la valorisation d'une langue «discréditée» nécessite une promotion du statut de la variété linguistique en question au sein de la communauté locale, ainsi que reconnaissance d'un tel statut à l'extérieur de cette communauté. Ce genre de politique de valorisation doit normalement faire face à de nombreux obstacles et ne s'obtient pas sans combat et sans un changement de la législation en vigueur.
4.3 Les mesures réglementaires
Lutter contre la japonisation n'est pas une mince affaire, que ce soit au point de vue linguistique ou culturel. Les autorités ont tenté d'adopter des mesures réglementaires dans le but de valoriser la culture okinawaïenne. De son côté, le ministère japonais de l'Éducation a abandonné son objectif d'un enseignement exclusif du japonais standard et a accordé une période de temps limitée pour une initiation aux «dialectes locaux» (hōgen). Il est devenu possible d'intégrer une heure de cet enseignement comme matière: souvent il s'agit de leçons sur la langue, la culture, l'histoire ou les arts de la scène ryukyuiens. Il est aussi possible d'étudier les langues locales dans des "hōgen kurabu", c'est-à-dire des activités parascolaires centrées sur les dialectes. Toutefois, le nombre d'enfants participant à ces «activités» est extrêmement faible. Pour remédier à ce problème, les autorités locales ont introduit la création de groupes de théâtre en langue locale.
- La Journée de la Shima kutuba
L’un des efforts les plus notables du département d'Okinawa pour tenter de préserver la langue okinawaïenne ou ryukyuienne fut son soutien, le 31 mars 2006, à la journée annuelle de la langue locale appelée "Shima kutuba no hi" (し ま く と ぅ ば の 日). Ainsi, le 18 septembre de chaque année serait dorénavant commémoré sous le nom de "Shima kutuba no Hi", c'est-à-dire la «Journée de la Shima kutuba», la langue de l'île. Une commémoration similaire a lieu dans l'île d'Amami, le 18 février à partir de 2007, qui a été proclamée "Hōgen no Hi" (方言 の 日), la «Journée du dialecte») par le sous-département d'Ōshima dans le département de Kagoshima. Chaque île aurait ainsi son propre nom pour ce genre d'événement.
Voici le texte de l'ordonnance no° 35 promulguée à cet effet par le département d'Okinawa:
Article 1
Effet La Shima kutuba, qui s'est transmise de génération en génération dans chaque région du département, est le fondement de la culture de ce département, et il est important de transmettre la Shima kutuba à la génération suivante. La Journée de la Shima kutuba sera mis en vigueur pour approfondir l'intérêt et la compréhension de la Shima kutuba par les citoyens du département et pour promouvoir la diffusion de la Shima kutuba. Journée de la Shima kutuba La Journée de la Shima kutuba est le 18 septembre. Désignation 1) Le département s'efforcera de faire connaître la Journée de la Shima kutuba et de réaliser des projets pour promouvoir la propagation de la Shima kutuba autour de ce jour. |
La «shima kutuba» forme la base des événements traditionnels de la région; elle sert de fondement de la culture okinawaïenne comme le karaté, la danse ("sanshin") et le théâtre traditionnel musical ("kumi odori") d'Okinawa. Selon l'enquête de sensibilisation départementale menée en 2016, environ 80% des citoyens du département connaissent la shima kutuba, mais moins de 10% peuvent l'utiliser. Les autorités du département d'Okinawa espèrent que l'Ordonnance sur la Journée de la Shima kutuba favorisera de transmettre cette fête culturelle à la génération suivante.
Certains universitaires croient cependant qu'il vaudrait mieux remplacer les termes «Shima kutuba» par simplement «langue ryukyu» (琉球諸語, Ryūkyū shogo). Le linguiste Patrick Heinrich, qui a étudié la question des langues ryukyuiennes, juge l'emploi des termes «shima kutuba» comme problématiques. Le fait que les langues ryukyuiennes ne soient pas normalisées ni standardisées en plus d'être d'une vitalité en déclin affecte négativement les efforts d'un enseignement de ces langues et les tentatives d'élaboration des politiques linguistiques. D'autres s’opposeraient au choix d’une langue standard par crainte que l’établissement d’une telle variété aurait pour effet d'éliminer toutes les autres variétés, y compris la shima kutuba.
- L'Ordonnance sur la promotion de la culture et des arts (2013)
En 2013, le département d'Okinawa a adopté l'Ordonnance sur la promotion de la culture et des arts. Les principes fondamentaux énoncés dans l'ordonnance sont les suivants:
- le respect de l'indépendance des détenteurs de la culture et des arts;
- la garantie et le droit de créer et de profiter des arts culturels;
- la protection et le développement de la diversité de la culture et des arts;
- assurer l'héritage de la culture et des traditionnels;
- la promotion des activités créatrices:
- la diversification des ressources humaines;
- la langue comme base de la vie culturelle.
L'ordonnance compte 27 articles, dont un seul porte sur la langue: l'article 7. Le premier paragraphe de cet article oblige le département à prendre les mesures nécessaires pour promouvoir la Journée de la Shima kutuba. Le deuxième paragraphe propose aux autorités locales de prendre les mesures nécessaires pour favoriser la danse et la musique traditionnelles, alors que le paragraphe suivant demande de populariser le karaté et les arts martiaux anciens. Le paragraphe 4 vise à encourager l'artisanat traditionnel (poterie, textile, laque, etc.). Enfin, le paragraphe 5 exige que le département prenne les mesures nécessaires pour préserver et développer à l'avenir les événements traditionnels, la culture alimentaire et les autres cultures traditionnelles. Voici cet article 27 (en traduction) de l'Ordonnance sur la promotion de la culture et des arts:
Article 7 1) Compte tenu que la langue constitue la base de la vie quotidienne et des arts culturels, voire qu'elle forme la culture elle-même, le département prend les mesures nécessaires de manière à ce que la Shima kutuba soit diffusée et transmise conformément à l’article 1er de l’Ordonnance sur la Journée de la Shima kutuba. 2) Le département prend les mesures nécessaires pour la transmission et le développement du kumiodori*, de la musique accompagnée du sanshin*, de la danse ryukyu et d'autres arts de la scène traditionnels. 3) Le département prend les mesures nécessaires pour la transmission vers le futur du karaté et du kobudō*, afin de promouvoir les échanges avec le reste du pays et à l’international. 4) Le département prend les mesures nécessaires pour que le bingata*, les textiles, les faïences, les laques et autres objets artisanaux traditionnels cultivés dans l'histoire et le climat de ce département puissent être transmis et développés vers le futur. 5) Outre ce qui est prévu aux paragraphes précédents, le département prend les mesures nécessaires pour préserver, transmettre et développer à l'avenir les manifestations traditionnelles, la culture alimentaire et les autres cultures traditionnelles de ce département. |
Il apparaît judicieux de présenter ici la signification de certains termes : Bingata: technique de
teinture traditionnelle au pochoir originaire de la préfecture
d'Okinawa. |
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Évidemment, ce genre de dispositions réglementaires n'ara aucune incidence sur la préservation et la survie des langues parlées dans les quelque 800 villages de l'archipel des Ryukyu, notamment l'amami, le kunigami, le miyako et l'okinawaïen. D'ailleurs,
plusieurs villes et départements (Tokyo, Osaka, Tomakomai, Kozushima, Shizioka, Sakata, Wakayama, etc.) ont adopté des ordonnances similaires, alors que les langues locales ne sont guère en cause. L'intérêt premier est de sauvegarder certaines traditions, parfois millénaires, afin de favoriser par ces moyens les
activités touristiques.
Il faut admettre que les villes et les départements du Japon sont très limités dans leurs possibilités d'intervention en matière de langue. En fait, ils ne peuvent qu'instaurer des mesures incitatives, sans jamais avoir recours à la coercition. Or, dans le domaine des politiques linguistiques, les mesures incitatives ne donnent généralement aucun résultat si elles ne sont pas accompagnées en même temps de mesures coercitives. Dans les circonstances actuelles, il est fort peu probable que ces langues autochtones aient des chances de survivre, car elles ne sont plus guère utiles dans la vie quotidienne des insulaires, et ce, d'autant plus qu'elles ne sont même pas unifiées. Ce n'est sûrement pas le gouvernement japonais qui va s'aventurer sur ce terrain dans la mesure où les populations concernées ne peuvent exercer de pressions suffisamment fortes pour faire changer les autorités centrales de quelque manière que ce soit. On peut affirmer que, dans les circonstances actuelles, le département d'Okinawa ne peut pas faire grand-chose pour sauvegarder les langues ryukyuiennes qui font l'objet d'une préoccupation qu'on pourrait qualifier de «muséale», des artéfacts à contempler à défaut d'être utiles. Il apparait impossible que cette timide politique linguistique départementale puisse faire en sorte que les langues ryukyuiennes remplacent un jour le japonais comme langue véhiculaire dans l’archipel. Cependant, ces langues locales pourraient servir au mieux comme langue seconde. Étant donné que les langues ryukyuiennes sont en grand danger de disparition, elles pourraient à tout le moins accéder comme symbole identitaire pour les communautés locales, sans que cela menace le moindrement la langue japonaise. |
En définitive, il est illusoire de croire qu'une politique linguistique axée sur la culture et les arts traditionnels ait pour effet de redonner vie à ces langues, car il est maintenant trop tard pour même tenter d'appliquer une politique de bilinguisme dans laquelle on trouverait deux langues qui, à défaut d'être égalitaires, se feraient concurrence.
Il n'existe aucun droit linguistique mentionné, et ce, ni dans la Constitution ni dans aucune loi générale ou particulière. C'est le néant absolu dans tous les domaines de la vie publique. En réalité, la législation japonaise ne mentionne pas la garantie des droits dont bénéficient les peuples autochtones. Or, ces droits consistent essentiellement à celui de pêcher librement dans la rivière pour leurs cérémonies traditionnelles. Les termes «culture aïnoue» réfèrent aux éléments suivants: la langue aïnoue, le mode de vie, la musique, la danse, l'artisanat et d'autres produits culturels hérités par le peuple aïnou, ainsi que les produits culturels issus de ces produits, mais la loi n'est pas allée aussi loin, encore moins jusqu'à accorder des droits linguistiques. Au mieux, les Aïnous peuvent faire jouer des pièces de théâtre traditionnelles aïnoues traduites en japonais lors de la «Fête de l'Action de grâce» qui a lieu chaque année.
5.1 Les tribunaux
L’article 74 de la Loi sur les tribunaux précise que «la langue japonaise doit être employée», sans aucune disposition prévoyant que des membres d'une minorité pourraient être jugés dans leur langue. D'ailleurs, les minorités n’exigent même pas une telle mesure, car ils savent que leur demande ne serait même pas entendue. À la rigueur, quand elle ne peut faire autrement, la cour fait appel à des interprètes.
5.2 L'enseignement
Aucune loi ni aucun règlement ne prévoit un enseignement dans une langue minoritaire. Mais il est possible de fonder des écoles privées où l'on donne des cours dans une autre langue que le japonais. Dans ces établissements fort coûteux, la direction accorde de l'importance à l'«éducation ethnique», que ce soit la langue, la culture, l'histoire, la géographie et les valeurs nationalistes. Cet enseignement est destiné à maintenir une communauté minoritaire vivante et active au sein de la société nippone majoritaire. En général, ce sont la des écoles chinoises, coréennes ou anglaises, non des écoles destinées aux autochtones qui sont les citoyens japonais parmi les plus pauvres de la société. Dans ces conditions, il n'existe pas de droit reconnaissant aux membres des minorités tel que la possibilité d'obtenir des écoles ou même des classes qui leur seraient officiellement réservées dans les écoles publiques.
De plus, le ministère de l’Éducation ne reconnaît pas les diplômes de ces écoles, ce qui interdit aux élèves de se présenter au concours d'admission dans les universités nationales. Les communautés minoritaires considèrent ce fait comme extrêmement humiliant.
5.3 Les services publics
Les membres des minorités n'ont pas le droit d'exiger ou de recevoir des services publics dans leur langue, y compris de la part des départements ou des municipalités. Cependant, ils ont le droit de porter des noms et prénoms dans leur langue, ce qui signifie qu'ils ne sont plus tenus de japoniser leurs nom et prénom. Les caractères ou symboles graphiques autres que chinois et japonais ne sont pas acceptés pour les nom et prénom.
5.4 Les médias
La législation japonaise ne prévoit aucune modalité ni de règlement pour faciliter l’accès des minorités aux médias privés ou publics dans leur langue. Seules les minorités immigrantes plus riches, tels les Coréens et les Chinois, peuvent réussir à créer leurs propres médias. Cette question ne se pose pas dans les bases militaires américaines qui constituent un État dans l'État.
En raison de sa situation géographique d'insularité, l'archipel japonais a longtemps favorisé l'isolement linguistique de ses habitants. Quant aux autorités japonaises, en l’absence de conflit linguistique particulier, elles ont privilégié une politique linguistique de non-intervention. De ce fait, les langues minoritaires se sont trouvées désavantagées, car elles n'ont pu se défendre contre le rouleau compresseur du japonais standard. Étant donné que l'intégration nationale était privilégiée, toutes les populations autochtones minoritaires, notamment les Aïnous et les Ryukyuiens, ont dû délaisser progressivement leurs langues ancestrales.
En même temps, la politique de non-intervention du Japon ne s'est montrée guère sensible aux revendications des minorités autochtones, car le mythe de l'homogénéité nationale s'est opposé longtemps à toute diversité culturelle et linguistique. Le contexte politique, juridique et social a supprimé toute concurrence linguistique, sauf pour l’anglais qui n’est pas une langue autochtone. Bien que les minorités ne soient pas juridiquement reconnues comme faisant partie de la société japonaise, car elles ne possèdent pas les attributs de la japonité, mais la société japonaise a commencé à changer. Certains signes démontrent que beaucoup de Japonais semblent accepter la présence minoritaire comme partie intégrante du pays.
Jusqu'à présent, le Japon avait choisi de ne pas se doter d'une législation pour baliser les rapports entre les langues présentes sur son territoire. Cet État, bien que linguistiquement très homogène, abrite néanmoins plusieurs langues autochtones. Il a donc été décidé, depuis 1997 et plus récemment en 2019, de traiter de façon administrative les questions relatives à la langue aïnoue. En réalité, le gouvernement japonais ne s'intéresse guère à cette langue considérée comme éteinte, il mise plutôt sur la «culture aïnoue» dans le but de favoriser le tourisme exotique de façon à encourager l'économie locale. Bref, ce ne sont pas les langues des autochtones qui motivent les autorités japonaises, mais l'économie de subsistance. En procédant de cette manière, le Japon mise encore sur l'immobilisme au lieu d'intervenir en matière de langue pour la protection des minorités autochtones nationales.
(1) Situation générale |
(2) La langue et l'écriture japonaises |
(3) Données historiques sur la langue |
(4) La politique relative au japonais |
(5) La politique relative aux minorités autochtones |
(6) Bibliographie |