Dans le passé, la Constitution nationale n’avait jamais fait mention des particularités ethniques du peuple argentin et particulièrement des populations indigènes (voir la carte linguistique détaillée). Une modification constitutionnelle mineure a apporté des dispositions à ce sujet en 1994. En effet, le paragraphe 17 de l’article 75 de la Constitution fait mention de la «préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones argentins». C’est un peu court, car aucune mesure n'a été mise en œuvre pour appliquer cette disposition. Mais une commission nationale des Affaires autochtones ("Asuntos Indígenas") a été instituée en vue de garantir le droit à un «enseignement bilingue et interculturel»: «Garantizar el respeto a su identidad y el derecho a una educación bilingue e intercultural», dans le but d’actualiser le paragraphe 17 de l’article 75 inséré dans la Constitution nationale:
Constitución Nacional 1994
Artículo 75
17) Reconocer la preexistencia étnica y cultural de los pueblos indígenas argentinos.
Garantizar el respeto a su identidad y el derecho a una educación bilingüe e intercultural; reconocer la personería jurídica de sus comunidades, y la posesión y propiedad comunitarias de las tierras que tradicionalmente ocupan; y regular la entrega de otras aptas y suficientes para el desarrollo humano; ninguna de ellas será enajenable, transmisible ni susceptible de gravámenes o embargos.
Asegurar su participación en la gestión referida a sus recursos naturales y a los demás intereses que los afecten. Las provincias pueden ejercer concurrentemente estas atribuciones. |
Constitution nationale 1994
Article 75
17) Reconnaître la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones argentins.
Garantir le respect de leur identité et de leur droit à une éducation bilingue et interculturelle; reconnaître la personnalité juridique de leurs communautés, et la possession ainsi que la propriété communautaire des terres qu'ils occupent traditionnellement; et régulariser la remise des autres propriétés adéquates et nécessaires pour leur développement humanitaire; aucune de celles-ci ne sera vendue, transmise ou soumise à des charges ou des embargos.
Assurer la participation des indigènes dans les questions liées à leurs ressources naturelles et aux autres intérêts qui les concernent. Les provinces peuvent conjointement exercer ces attributions. |
La Cour suprême de la Nation a jugé que les dispositions du paragraphe 17 de l'article 75 de la Constitution sont applicables et qu'elles font respecter les droits énoncés dans cet article, et ce, même en l'absence d'une loi nationale ou provinciale. La Constitution de 1994 a ainsi ouvert une brèche dans la tradition juridique argentine, car elle a permis l’adoption par plusieurs lois fédérales et provinciales, dont certaines dispositions particulières portent sur les autochtones, parfois sur leurs langues.
2.2 La législation fédérale
Les législations fédérales découlent en général de cette disposition dans la Constitution nationale, ce qui a permis au gouvernement central d'adopter ou d'adapter des lois concernant les autochtones. En ce qui a trait aux provinces, certaines d'entre elles peuvent aller plus loin que les lois fédérales, comme le démontrent la Constitution provinciale du Chaco (1994) et la Loi n° 6.373 sur la promotion et le développement des autochtones (1986) de Salta, la Loi n° 11.078 sur les communautés autochtones (1993) de Sante Fé, la Loi intégrale sur les aborigènes, n° 426 (1984) de Formosa ou la Loi n° 3.258 sur les communautés autochtones (1987) du Chaco.
Là où le bât blesse, c'est en matière de droits linguistiques chez les autochtones, car les lois et les règlements fédéraux à ce chapitre sont peu nombreux et fort limités dans les domaines de l'éducation et des médias, comme c'est le cas pour la Loi n° 23.302 sur la politique indigène et l'appui aux communautés aborigènes (1985) qui créait un organisme national de protection sociale, l'Institut national des affaires autochtones (Instituto Nacional de Asuntos Indígenas) et qui prévoyait des mesures dans l'enseignement aux autochtones.
3 Le droit à la traduction en matière de justice
L'accès à la justice suppose la possibilité pour les citoyens de demander et d'obtenir réparation pour les griefs dont ils ont été victimes au moyen d'institutions judiciaires, conformément aux normes concernant les droits de l'Homme. Cet accès apparaît fondamental chez les peuples autochtones, compte tenu de la gravité des problèmes vécus dans le passé, notamment en ce qui concerne la discrimination dont ils ont été victimes dans le système de justice pénale, en particulier les femmes et les jeunes autochtones. Les peuples autochtones devraient en principe avoir accès à la justice, tant aux niveaux national, provincial et municipal, que ce soit à titre individuel ou collectif.
3.1 L'emploi obligatoire de la langue nationale
En matière de justice, la législation est claire: l'emploi de la langue nationale est obligatoire. Dans le Code de procédure pénale fédérale (2019), il est formellement énoncé que, dans tous les actes de procédure, la langue nationale doit être utilisée, et que, si le justiciable ne la comprend pas, le recours à un interprète est nécessaire:
Article 106
Langue
Dans tous les actes de procédure, la langue nationale doit être utilisée. Le cas échéant, un format et un langage accessibles sont utilisés. Si l'un des participants ne pouvait pas l'entendre ou le comprendre en raison de son impossibilité physique, un traducteur ou un interprète doit être nommé et/ou fournir le soutien nécessaire pour garantir sa compréhension et une communication adéquate. Lorsqu'un justiciable ne s'exprime pas dans la langue nationale, sa déclaration doit être enregistrée dans les deux versions dans la mesure du possible. |
Il serait possible de citer d'autres exemples, mais l'article 32 du Règlement sur le pouvoir judiciaire (1953) suffit, car tous les documents d'ordre judiciaire imposent la langue nationale:
Article 32
1) Tous les documents doivent être présentés exclusivement à l'encre noire. Les avocats et les procureurs doivent apposer leurs signatures et indiquer le numéro d'enregistrement de leur inscription.
2) Les documents soumis doivent être rédigés en castillan avec des lettres claires ou dactylographiées.
3) Les documents dont l'état ou la langue ne permet pas une lecture facile doivent être accompagnés d'une copie ou d'une traduction. |
Bref, en ce qui concerne les tribunaux, l'espagnol (appelé castillan ou langue nationale) est de mise partout. Les autochtones qui ne comprennent pas cette langue doivent recourir aux soins d'un interprète. L'accès à la justice passe donc par la traduction obligatoire, puisqu'aucun juge n'est tenu de connaître une quelconque langue autochtone.
3.2 Le difficile accès à la justice
Les peuples autochtones d’Argentine font face à de sérieux obstacles pour accéder à la justice, à l’éducation, aux soins de santé et aux autres services de base. L'Argentine n'a pas mis en œuvre les normes en vigueur garantissant le droit des populations autochtones, inscrit dans le droit international, à un consentement libre, préalable et éclairé lorsque le gouvernement prend des décisions qui pourraient affecter leurs droits.
Les représentants des communautés autochtones ont raison d'affirmer: "Somos extranjeros en nuestro propio país" : «Nous sommes des étrangers dans notre propre pays.» C'est pourquoi ces communautés se réclament des dispositions des Règles de Brasilia sur l'accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité (Reglas de Brasilia sobre Acceso a la Justicia de las Personas en condición de Vulnerabilidad), un instrument d'ordre international adopté lors du IXe Sommet judiciaire ibéro-américain qui s'est tenu à Brasilia en 2008.
Cet instrument, qui prévoit des mesures pertinentes pour faire progresser et renforcer le droit fondamental à l'accès à la justice de ces groupes de personnes (en particulier leur droit à un accès collectif aux tribunaux), fait partie du système du droit interne de l'Argentine en vertu de l'accord de la CSJN, n° 5/2009. Selon les fondements de la règle d'adhésion, la Corte Suprema de Justicia de la Nación (CSJN) a déclaré que ces règles «constituent un outil précieux sous un aspect qui mérite une attention particulière en termes d'accès à la justice, à laquelle la Cour s'est effectivement engagée à contribuer, entre autres mesures, par la création de la Commission nationale pour l’accès à la justice (Accord n° 37/2007 du 17 décembre 2007)». En fonction de cet accord de la part de la plus haute instance judiciaire du pays, l'Argentine a adhéré à ces règles qui «doivent être suivies dès que cela sera approprié». Voici quelques extraits des Règles de Brasilia sur l'accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité (2008) :
Article 1er
Le but de ces règles de garantir les conditions d’un accès effectif à la justice pour les personnes vulnérables, sans discrimination aucune, englobant l’ensemble des politiques, des mesures, des installations et de soutiens, qui permettent à ces personnes de bénéficier pleinement des services du système judiciaire.
Article 4
Les facteurs qui suivent peuvent être des causes de vulnérabilité, entre autres: l'âge, le handicap, l'appartenance à des communautés autochtones ou minoritaires, la victimisation, les migrations et les déplacements internes, la pauvreté, le sexe et la privation de la liberté.
La détermination concrète des personnes en situation de vulnérabilité dans chaque pays dépendra de leurs caractéristiques spécifiques, voire de leur niveau de développement social et économique.
Article 9
Les membres des communautés autochtones peuvent se trouver dans une situation vulnérable lorsqu'ils exercent leurs droits devant le système de justice de l'État. Les conditions destinées à permettre aux personnes et aux peuples autochtones d’exercer pleinement ces droits devant la justice doivent être mises en place, sans aucune discrimination fondée sur leur origine ou leur identité autochtones. Les pouvoirs judiciaires veilleront à ce que le traitement qu'ils reçoivent des organismes de l'administration de la justice de l'État soit respectueux de leur dignité, de leur langue et de leurs traditions culturelles.
Article 49
De plus, les autres mesures prévues dans le présent règlement s’appliqueront aux cas de résolution de conflits à l'extérieur d'une communauté autochtone par le système d’administration de la justice de l’État, où il sera également utile de traiter les questions liées à l’expertise culturelle et au droit de s’exprimer de manière indépendante dans sa langue propre. |
Depuis l'adhésion aux «Règles de Brasilia» en 2008, les autochtones de l'Argentine n'ont pas encore vu l'ombre d'un changement dans l'accès à la justice fédérale. Cependant, plusieurs provinces ont pris certaines mesures pour faciliter cet accès à la justice dans les tribunaux locaux: Catamarca, Chubut, Chaco, Cordoba, Entre Rios, Formosa, La Pampa, Mendoza, Misiones, Salta, Santa Cruz, Santa Fé et Tucumán.
Dans la situation actuelle, comme c'est le cas dans d'autres pays, les peuples autochtones sont surreprésentés dans la population carcérale de l'Argentine. Les dommages liés aux injustices historiques continuent de se manifester aujourd'hui et ils doivent donc être pris en compte, car la plupart des difficultés à ce sujet proviennent des griefs antérieurs. Ces injustices commises dans le passé, qui restent non résolues, constituent un affront permanent à la dignité des peuples autochtones, ce qui contribue à entretenir la méfiance des responsables, surtout lorsque c'est l'État qui revendique son autorité sur les peuples autochtones.
4 L'emploi de la langue en matière administrative
Les années 1980 ont été caractérisées par la ferveur des luttes des peuples autochtones, ce qui a donné lieu en Argentine à une visibilité croissante et significative, dont l’un des résultats a été la création de l'Instituto Nacional de Asuntos Indígenas (INAI: Institut national des affaires autochtones) par la Loi n° 23.302 sur la politique indigène et l'appui aux communautés aborigènes (1985).
4.1 L'institut national des affaires autochtones
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La mission de cet institut est d'élaborer et de coordonner les politiques publiques visant à garantir le développement communautaire, le droit à la santé et à l'éducation, l'accès à la terre et la préservation des identités culturelles autochtones; l'Institut doit aussi promouvoir la participation des communautés à la conception et à la gestion des politiques de l'État les impliquant, dans le respect de leurs formes et de valeurs traditionnelles.
La loi n° 23.302 porte sur la protection des communautés autochtones et charge l'Institut national des affaires autochtones de concevoir et de mettre en œuvre des politiques en faveur de ces peuples. En vertu de cette loi et de ses règlements, le statut juridique des communautés autochtones était reconnu et acquis avec leur inscription au Registre national des communautés autochtones (Registro Nacional de Comunidades Indígenas). Quoi qu'il en soit, cette loi 23.302 ne prévoit rien sur la langue au point de vue administratif, mais seulement en éducation. |
4.2 L'emploi des langues
Le Décret n° 1883/91 sur la réglementation de la procédure administrative (1991) est très clair au sujet des documents qui doivent être rédigés «dans la langue nationale»:
Article 15
Présentation des documents
1) Les documents doivent être écrits à la main ou dactylographiés à l’encre, sous une forme lisible, dans la langue nationale, en conservant toutes les modifications testamentaires et les mots interlinéaires. Ils porteront dans la partie supérieure le tarif ou le résumé de la requête.
Article 28
Documents certifiés de juridiction étrangère. Traduction.
Les documents émis par une autorité étrangère doivent être dûment certifiés s'il est exigé par l'autorité administrative. Les textes rédigés dans une langue étrangère doivent être accompagnés d'une traduction correspondante effectuée par un traducteur agréé. |
Pour le gouvernement fédéral, les langues des peuples autochtones sont considérées comme des «langues étrangères». Le locuteur de ces langues doit nécessairement passer par le moyen de la traduction, puisque seule la langue nationale est admise.
Cependant, il arrive que, dans des cas exceptionnels, certains documents administratifs soient publiés par une province ou une municipalité dans l'une ou l'autre des langues suivantes: wichi, qom, guarani, quechua, mapuche, etc.
5 La question des droits scolaires
Près d’un million de personnes sont reconnues en Argentine comme appartenant à des peuples autochtones ou à leurs descendants. Parmi eux, quelque 250 000 sont des enfants ou des adolescents scolarisés. Cependant, le système d'éducation nationale n'identifie qu'un tiers (en fait: 84 111) dans ses statistiques en tant que membres d'une communauté autochtone dans le réseau scolaire aux niveaux initial, primaire et secondaire. L'Argentine est un pays qui a néanmoins réalisé d'importants progrès en matière de législation et de reconnaissance des droits relatifs aux autochtones. Cependant, la reconnaissance légale des communautés autochtones fut constamment retardée, car ce n'est qu'en 1994 que la Constitution nationale a reconnu la préexistence et les droits de ces peuples en matière d'éducation. Ce processus d'intégration sociale témoigne des mécanismes d'invisibilité qui persistent dans le pays en général et dans le système scolaire en particulier.
5.1 Le système d'éducation argentin
Celui-ci est identique tant pour les autochtones que pour les autres citoyens argentins, à savoir (voir la figure):
1) Le niveau initial (Educación Inicial): c'est ce qu'on appelle ailleurs la maternelle (Jardín de Infantes) dans laquelle les enfants de trois à cinq ans peuvent débuter leur scolarité préprimaire. Seule la dernière année est obligatoire.
2) Le niveau d’enseignement général de base (Educación General Básica) ou EGB: ce niveau, pour les cinq à seize ans, est divisé en trois cycles de trois ans (neuf ans au total) et porte sur l’acquisition des compétences de base.
3) Le niveau polymodal (Educación Polimodal): ce niveau (apparenté au secondaire dans d'autres pays), non obligatoire, est offert aux jeunes de 15 à 18 ans. Il correspond à un enseignement destiné à préparer les jeunes au monde du travail;
4) Le niveau supérieur (Educación Superior): il comprend les universités et les écoles non universitaires de formation des enseignants, les instituts de formation technique pour tous les secteurs professionnels avec des programmes qui vont de deux à quatre ans, ainsi que tous les établissements universitaires.
5.2 L'accès à l'école pour les autochtones
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La plupart des enfants autochtones ont accès à l'école primaire, du moins dans une proportion de 70% (58 832 enfants). Cette proportion demeure très faible à la maternelle (niveau initial) avec 0,84% et elle n'est que de 31,5% au secondaire. Il s'agit ici des enfants inscrits et non pas du nombre réel de tous les enfants autochtones, estimé à environ 250 000. En ce cas, cette proportion chuterait dramatiquement autour de 6% à 10 % au secondaire et à 2% dans les établissements d'enseignement supérieur. Par comparaison, les enfants argentins non autochtones fréquentent l'école maternelle dans une proportion de 95,5%, le primaire dans une proportion de 95,6% et le secondaire dans une proportion de 97,4%.
Le nombre d'adolescents issus des communautés autochtones fréquentant l'école secondaire est nettement inférieur à celui du primaire. Les raisons peuvent être trouvées dans le décrochage scolaire, mais aussi dans les plus grandes difficultés pour la saisie de cette information en raison d'une plus grande fragmentation de l'organisation de l'école et du suivi des trajectoires scolaires personnelles. Les données de l’Enquête complémentaire auprès des peuples autochtones (ECPI: Encuesta Complementaria de Pueblos Indígenas) indiquent que, parmi la population autochtone âgée de 15 ans et plus, environ 20% des jeunes et des adultes n'ont pas terminé leurs études primaires, alors que 14% seulement avaient terminé leurs études secondaires. De même, les taux de redoublement sont plus élevés que la moyenne nationale, avec une insertion tardive dans le système éducatif et un départ anticipé avant la fin du secondaire, où le facteur économique était l’une des principales raisons du décrochage. |
5.3 La législation fédérale
Il existe plusieurs documents juridiques dans la législation fédérale concernant l'éducation offerte aux autochtones:
- Loi n° 23.302 sur la politique indigène et l'appui aux communautés aborigènes (1985);
- Loi fédérale n° 24.195 sur l'éducation (1993);
- Accord-cadre pour l'enseignement des langues (1998);
- Loi n° 26.206 sur l'éducation nationale (2006);
- Convention relative aux peuples indigènes (2000)
Toutes ces lois ont pour objectif la reconnaissance des langues et des cultures autochtones, ce qui constitue l’un des principes de base des politiques scolaires en Argentine. Ces instruments juridiques représentent un effort notable dans le but d’atteindre graduellement les objectifs d'équité et d'égalité entre tous les citoyens argentins.
L'article 14 de la Loi n° 23.302 sur la politique indigène et l'appui aux communautés aborigènes (1985) prévoit l'accroissement des services pédagogiques et culturels dans les zones d'habitation des communautés autochtones et l'élaboration de programmes dans le but de sauvegarder et de revaloriser l'identité historique et culturelle de ces communautés:
Article 14
L'intensification des services pédagogiques et culturels dans les zones d'habitation des communautés autochtones constitue une priorité. Les programmes mis en œuvre en la matière doivent sauvegarder et revaloriser l'identité historique et culturelle de chaque communauté autochtone, tout en garantissant leur intégration égale dans la société nationale. |
Cependant, cet article énonce aussi qu'il faut garantir en même temps l'intégration égale de ces communautés dans la société nationale. Il est possible que ce soit là des objectifs conflictuels: entre l'objectif de sauvegarder l'identité culturelle et celui de l'intégration dans la société argentine, le second objectif risque de peser plus lourd. L'article 16 de la même loi énonce que l'enseignement est offert «dans la langue maternelle indigène concernée» et que celle-ci est considérée comme une discipline particulière de la langue nationale:
Article 16
L'enseignement donné dans les zones d'habitation des communautés indigènes doit s'assurer des contenus pédagogiques prévus dans les programmes scolaires communs et également, au niveau primaire, qu'une méthode de travail est adoptée en divisant le niveau en deux cycles : durant les trois premières années, l'enseignement est offert dans la langue maternelle indigène concernée et celle-ci est considérée comme une discipline particulière de la langue nationale; durant les autres années, l'enseignement doit être sous forme bilingue. La formation et la qualification des enseignants bilingues au primaire sont encouragées, avec un accent particulier pour les aspects anthropologiques, linguistiques et pédagogiques, ainsi que l'élaboration de textes et d'autres documents par l'intermédiaire de la création d'établissement et/ou de cours spéciaux de niveau supérieur destinés à ces activités.
Les établissements primaires situés à l'extérieur des lieux d'habitation des communautés indigènes, là où il existe des enfants autochtones (qui s'expriment seulement ou principalement dans une langue indigène) peuvent adopter la méthode de travail prévue dans le présent article. |
Dans cet article, le législateur annonce encore deux notions possiblement conflictuelles: l'enseignement de la langue maternelle est offert comme une discipline particulière de la langue nationale, l'espagnol. Encore là, l'espagnol risque de peser plus lourdement que la langue maternelle autochtone.
L'article 34 de la Loi fédérale n° 24.195 sur l'éducation (1993) reprend les mêmes dispositions en d'autres mots de façon à promouvoir des programmes de langues et de cultures indigènes dans le but de faciliter l’intégration des autochtones dans la société argentine:
Article 34
L'État national assure, en coordination avec les juridictions pertinentes, la promotion des programmes de sauvegarde et de renforcement des langues et cultures indigènes en soulignant leur valeur comme instrument d'intégration. |
L'Accord-cadre pour l'enseignement des langues de 1998 donne des renseignements importants quant à la politique des langues autochtones, notamment en ce qui a trait à «l'alphabétisation initiale dans la langue maternelle pour les locuteurs parlant leur langue et qui n'ont pas l'espagnol comme première langue»:
Article 5
Les langues autochtones
Il existe une relation étroite entre la langue, la culture et l'identité personnelle et sociale, où l'identité est reconnue au sens d'appartenance à un groupe avec lequel il y a des liens objectifs et symboliques, entre autres, la langue qui constitue l'un des plus puissants facteurs de cohésion sociale.
La reconnaissance des langues autochtones comme facteur de cohésion collective, et de leur incidence dans l'apprentissage à l'école, se pose aujourd'hui comme des nécessités incontournables dans le contexte de notre pays complexe au point de vue linguistique. Ceci implique la mise en œuvre de l'alphabétisation initiale dans la langue maternelle pour les locuteurs parlant leur langue et qui n'ont pas l'espagnol comme première langue; c'est pourquoi il est nécessaire de promouvoir le rétablissement des langues autochtones et leur développement soutenu, ce qui favorisera l'expression de relations harmonieuses entre les différentes communautés linguistiques de notre pays. |
Mais c'est la Loi n° 26.206 sur l'éducation nationale (2006) qui donne le plus de précision concernant l'éducation destinée aux autochtones, car l'article 52 impose «l'éducation bilingue interculturelle» aux enfants autochtones afin de garantir le droit constitutionnel des peuples autochtones de recevoir une instruction favorisant leurs cultures et leurs langues:
Article 52
L'éducation bilingue interculturelle
L'éducation bilingue interculturelle est la spécificité du système d'éducation des niveaux d'enseignement préscolaire, primaire et secondaire que garantit le droit constitutionnel des peuples indigènes, conformément à l'art. 75, par. 17, de la Constitution nationale; de recevoir une éducation qui contribue à préserver et à fortifier leurs modèles culturels, leur langue, leur vision du monde et leur identité ethnique; de se rendre activement libre dans un monde multiculturel et d'améliorer leur qualité de vie. De la même manière, l'éducation bilingue interculturelle favorise un dialogue mutuellement enrichissant de connaissances et de valeurs entre les peuples indigènes et les populations ethniques linguistiquement et culturellement différents, et rend propices la reconnaissance et le respect envers de telles différences. |
L'article 53 de la Loi n° 26.206 sur l'éducation nationale (2006) ajoute des précisions dans les stratégies de l'éducation bilingue interculturelle:
Article 53
Pour favoriser le développement de l'éducation bilingue interculturelle, l'État a la responsabilité :
a) de créer des mécanismes de participation permanente pour les représentants des peuples indigènes dans les organismes responsables de définir et d'évaluer les stratégies de l'éducation bilingue interculturelle.
b) de garantir la formation spécifique des enseignants, de façon initiale et continue, correspondant aux différents niveaux d'enseignement du système d'éducation.
c) de promouvoir la recherche sur la réalité socioculturelle et linguistique des peuples indigènes, qui permette la conception de programmes, de documents pédagogiques pertinents et d'instruments de gestion pédagogique.
d) de promouvoir la multiplication d'instances institutionnelles de participation de la part des peuples indigènes dans la planification et la gestion des processus d'enseignement et d'apprentissage.
e) de rendre propice l'élaboration de modèles et de pratiques pédagogiques propres aux peuples indigènes, ce qui comprend leurs valeurs, leurs connaissances, leur langue et toute autre particularité sociale et culturelle. |
5.4 L'éducation interculturelle bilingue
Comme partout en Amérique latine, l'objectif de l'enseignement n'est pas vraiment de préserver avant tout les langues autochtones, mais de faciliter l'intégration des locuteurs de ces langues au sein de la majorité hispanophone grâce à une alphabétisation plus «rentable» dans la langue maternelle. L'élève devrait ensuite passer plus facilement à l'espagnol une fois rendu au secondaire. Plus précisément, l’enseignement bilingue n’est pensé que pour mieux assurer le transfert vers l'espagnol. D'ailleurs, la langue maternelle n'est employée que dans le cours de langue autochtone puisque tous les autres cours de base ne sont donnés qu'en espagnol. Selon l'UNICEF, ce problème se pose dans les zones où les peuples autochtones conservent encore leur propre langue et parlent peu l'espagnol, comme dans les communautés des Mbyá Guarani de la province de Misiones et des Wichi dans les provinces de Chaco, de Formosa et de Salta. Or, le taux d'analphabétisme en espagnol dans cette population autochtone est plus de neuf à dix fois supérieur à la moyenne nationale de 2,6%.
- La méconnaissance de la culture autochtone
En réalité, il existe une distorsion entre les principes énumérés dans la législation et leur transposition dans les écoles où il y a loin de la coupe aux lèvres. Effectivement, on compte de nombreuses écoles destinées aux autochtones (quelques centaines). Conformément à la pratique dans toute l’Amérique latine, il s’agit d’écoles où l’on pratique l’éducation interculturelle bilingue. Pour la majorité des autochtones, ces écoles laissent grandement à désirer parce qu’elles ne correspondent pas à leurs besoins, mais surtout elles ne respectent pas la «culture autochtone». Bref, l’enseignement offert ne tient non seulement pas compte de la «culture autochtone», mais ne l’intègre pas à la «culture nationale».
Jusqu’à maintenant, les écoles argentines n’ont fait qu’uniformiser les cultures avec le résultat que les cultures dites inferiores («inférieures») ont toujours été subordonnées à la cultura nacional, jugée nettement «supérieure». Or, aujourd’hui, les autochtones réclament le respect de leur culture et ils ne veulent plus être victimes de la discrimination sociale et de l'indifférence des gouvernements qui sous-estiment, voire méprisent la culture indigène. Les autochtones voudraient mettre d’abord l’accent sur leur propre culture, ce qui impliquerait qu’on intègre la culture nationale à leur culture et non l’inverse. De plus, l’éducation bilingue ne fonctionne que dans un sens unique: seuls les enfants autochtones sont soumis à un tel «avantage», pas les enfants hispanophones. Le bilinguisme autochtone-espagnol ne vaut que pour les autochtones. Quant à l'interculturalité (ou l'interculturalisme), c'est une notion qui, en principe, doit impliquer un ensemble des relations et d'interactions entre des cultures différentes, c'est-à-dire des échanges réciproques fondés sur le respect mutuel et le souci de préserver l'identité culturelle de chacun. Ces échanges réciproques ne valent que pour les autochtones, et certainement pas pour les enfants non autochtones hispanophones.
- Une instruction inégalitaire
Il faut aussi souligner que cette «éducation bilingue interculturelle» n’est pas disponible dans toutes les provinces. Dans plusieurs provinces, la plupart des enfants autochtones suivent encore leurs cours entièrement en espagnol. L’État provincial a souvent tendance à ignorer les problèmes liés à l’alphabétisation des autochtones. La Constitution nationale garantit aux peuples autochtones le «droit à une éducation bilingue et interculturelle». Cependant, les garçons et les filles autochtones sont les enfants qui ont le plus de difficultés à terminer l'école primaire et ceux qui reçoivent un enseignement de qualité inférieure. Peu d'enfants, toute proportion gardée, peuvent apprendre dans leur propre langue et encore moins ceux qui terminent leurs études secondaires. De fait, entre 70 % et 89 % des enfants autochtones ne suivent pas de cours dans leur langue, alors que moins de 15 % réussissent à terminer leurs études secondaires, tandis que seulement de 2 % à 4,8 % peuvent accéder à un degré supérieur.
Bien qu'un rapport de l'Unicef reconnaisse les progrès réalisés à l'école primaire, la qualité de l'éducation demeure toujours déficiente. L'analphabétisme dans de nombreuses communautés dépasse de loin la moyenne nationale de 2,6 %: par exemple, 19,5% des Tufs, 23,4% des Wichi; 29,4 % des Mbyá Guaraní. Dans la plupart des villages, au moins un cinquième des jeunes et des adultes n’ont pas achevé l’école primaire, avec des sommets spectaculaires chez les Mbyá Guaraní (54%), les Wichi (52%), les Pilagá (39,8%), etc.
5.5 Les problèmes dans l'éducation offerte aux autochtones
De façon générale, l'enseignement aux autochtones paraît de mauvaise qualité. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Dans les écoles rurales, il existe une pénurie de bibliothèques et de matériel pédagogique, sans oublier une formation insuffisante des ressources humaines dans les communautés autochtones, ce qui implique forcément les enseignants.
Les enfants commencent souvent l'école plus tard au niveau initial (jardins d'enfants et maternelle), surtout dans les régions rurales. Ils quittent l'école après deux ou trois ans pour aller travailler avec leur famille; ils ont entre 5 et 7 ans et partent sans compétences de base, ni dans la langue maternelle autochtone (quand ils en ont une), ni dans la langue seconde (l'espagnol). Quand parfois ils reviennent à l'école, ils ont trois ans de retard, sinon plus. Par exemple, 65 % des enfants wichi vivent dans cette situation.
- La pauvreté
Les questions d'ordre économique constituent le principal motif de l'abandon scolaire chez les autochtones. Dans la plupart des cas, les jeunes n'ont pas accès à l'école secondaire, soit qu'il n'y a pas d'école située près de leur communauté, soit que les routes sont trop mauvaises ou trop dangereuses, soit que les parents n'ont pas d'argent pour défrayer la pension de leurs enfants dans la ville la plus proche, soit que les jeunes doivent travailler, soit que les jeunes filles tombent enceintes, etc.
Dans une perspective territoriale, nous pouvons constater certaines particularités: des provinces qui comptent la plus grande population autochtone (Chaco, Formosa, Misiones, Salta et Santiago del Estero) présentent en même temps des niveaux élevés de pauvreté et de vulnérabilité sociales, ce qui entraîne une insertion plus faible dans le système d'éducation chez les enfants d'âge scolaire. Dans ces provinces, deux enfants sur dix appartenant à ces communautés vivent complètement hors de l'école, ce qui démontre les écarts les plus importants entre la population des communautés autochtones et celle des non-autochtones en ce qui concerne l'accès à l'éducation.
- La non-fréquentation
Dans l’état actuel des choses, l’école ne semble pas rendre les services qu’elle devrait rendre aux autochtones du pays. Rares sont les enfants indigènes qui accèdent au secondaire (en espagnol); généralement, ils abandonnent leurs études très tôt, souvent avant la fin du primaire. Il faut dire que de nombreux enfants doivent parfois parcourir entre 4 et 10 km à pied dans des sentiers qui traversent des montagnes et des hauts plateaux pour se rendre à l’école primaire. Dans la plupart des cas, l'école secondaire se situe à une distance de 100 à 200 kilomètres. Selon les données du ministère de l'Éducation, de la Culture, de la Science et de la Technologie, environ 40 % des écoles primaires dans les zones rurales n'ont pas d'école secondaire à proximité. Au cours des dernières années, les gouvernements provinciaux ont prévu des écoles secondaires avec pensionnat afin qu'elles soient plus accessibles aux jeunes autochtones. Pour réussir à fréquenter une école secondaire, ces jeunes doivent généralement émigrer vers les centres urbains, ce qui les expose à tous les risques découlant du déracinement de leur milieu familial et de leur culture, sans compter la nécessité de travailler pour payer leurs dépenses. De plus, l’insuffisance des budgets alloués a entraîné d'autres problèmes sociaux tels que des problèmes de malnutrition, d'insécurité, de manque de soins en santé, de grossesses précoces, etc.
Bref, si la non-fréquentation scolaire est de 6,9 % pour l’ensemble des Argentins (non indigènes), elle est de 56 % pour les autochtones. Les spécialistes expliquent ce piètre résultat en raison des nombreux conflits et contradictions entre les deux cultures au moment des premiers apprentissages. Plutôt que de servir de lieu d’intégration, l’école ne fait que marginaliser la plupart des élèves autochtones. Bien que, au cours des dernières décennies, de nombreux progrès aient été accomplis dans l'enseignement primaire et en reconnaissance de l'identité des peuples autochtones, de nombreuses conditions d'exclusion inacceptables persistent encore. On peut comprendre que, dans ces conditions, les écoles de qualité qui desservent la population autochtone demeurent l'exception.
- Les immigrants
Précisons qu’il existe en Argentine des populations autrement plus importantes et influentes que les autochtones, notamment les germanophones et les italophones, sans oublier aussi les juifs et les communautés syro-libanaises. À cet égard, l’État permet l’enseignement de toute autre langue que l’espagnol dans les écoles privées à la condition que l’enseignement de l’espagnol comme langue seconde demeure obligatoire. Depuis deux décennies, les parents mennonites d'Argentine ont l'obligation d'apprendre l'espagnol à leurs enfants d'âge scolaire, avec d'un manuel fourni par le gouvernement de la province de La Pampa. On compte neuf écoles pour 300 enfants. Le maître d'école est un mennonite qui ne connaît guère l'espagnol; il apprend à ses élèves répartis en quatre niveaux à lire et à écrire en allemand standard.
5.6 La formation des enseignants
Un autre problème concerne la pénurie du personnel enseignant. En général, la politique linguistique des provinces argentines se limite à l’éducation bilingue et/ou interculturelle pour les autochtones. Le système d’éducation a prévu deux types de personnel afin de répondre aux besoins des enfants autochtones. Étant donné la pénurie d’enseignants diplômés (normalement unilingues espagnols) dans les zones rurales et éloignées où se trouvent les autochtones, les gouvernements provinciaux ont comblé les postes d’enseignants par des «auxiliaires» ou des «collaborateurs» bilingues (les auxiliares bilingües). Ces derniers, rémunérés moins cher que les «vrais enseignants», sont toujours d'origine autochtone. Leur tâche est d’accompagner les enfants durant les premières années de leur formation scolaire. Leur rôle est considéré d'importance vitale pour l'adaptation des enfants dont la langue maternelle n’est pas l'espagnol. On compte en principe un ou deux "auxiliares bilingües" par école, mais leur nombre peut varier à la baisse en fonction des budgets accordés par les provinces. Il arrive souvent que des écoles n’aient aucun auxiliaire disponible dans tout le réseau. Dans ces cas relativement fréquents, parfois généralisés dans certaines provinces plus pauvres, les enfants autochtones ne reçoivent pas la formation bilingue à laquelle ils ont pourtant droit en vertu de l'article 75 de la Constitution nationale.
De plus, les «vrais enseignants» unilingues espagnols répugnent à aller travailler, en raison des conditions jugées mauvaises, dans les zones rurales éloignées où vivent les autochtones. La plupart d’entre eux cherchent avant tout des postes disponibles près des grands centres ou des capitales provinciales.
5.7 L'enseignement supérieur
L’enseignement supérieur autochtone en Argentine suit une trajectoire similaire aux autres pays de l'Amérique du Sud. L’éducation bilingue interculturelle en Argentine n'est qu'une modalité pédagogique du système d'éducation nationale. La législation fédérale, notamment la Loi n° 26.206 sur l'éducation nationale (2006), garantit le droit à l'éducation des peuples autochtones au niveau «initial», au primaire et, en théorie, au secondaire, sans tenir compte du niveau supérieur.
Dans la Loi n° 24.521 sur l'enseignement supérieur (1995), l'alinéa c) de l'article 2 indique que c’est la responsabilité de l’État national et des provinces de «promouvoir des politiques d'inclusion dans l'enseignement, qui reconnaissent également les différentes identités de genre et les démarches multiculturelles et interculturelles»:
Article 2
La responsabilité principale et non transférable de l’État national, des provinces et de la ville autonome de Buenos Aires, en matière d’enseignement supérieur, implique:
a) de garantir l'égalité de chances et des conditions d'accès, de permanence, de grade et d'accès dans les différentes alternatives et trajectoires d'enseignement du niveau pour tous ceux qui en ont besoin et qui remplissent les conditions légales établies dans la présente loi;
c) de promouvoir des politiques d'inclusion dans l'enseignement, qui reconnaissent également les différentes identités de genre et les démarches multiculturelles et interculturelles; |
L'État fédéral laisse aux autorités administratives locales le soin d'appliquer les mesures «d’inclusion dans l'enseignement» dans les universités et autres établissements d’enseignement supérieur, avec le résultat qu'il n'a jamais existé d’université autochtone destinée spécifiquement à la formation des autochtones. De toute façon, cette question relative à l'enseignement supérieur aux autochtones n'intéresse pas beaucoup les politiciens. Rappelons que la plupart des enfants autochtones ont accès à l'école primaire dans une proportion se situant entre 70% et 90 %, mais cette proportion chute autour de 6% à 10 % au secondaire et à 2 % dans les établissements d'enseignement supérieur.
En dépit de lois nationales favorables et des programmes de bourses, l’accès à l’école secondaire et à l’éducation supérieure des garçons et des filles autochtones demeure très limité. Il faudrait recourir à des mesures d'action positive ou de «discrimination positive» (ou de «dédiscrimination») dans le but de favoriser l'accès à l'enseignement supérieur pour tous les citoyens, y compris les autochtones. Dans la situation actuelle, les Argentins se perçoivent comme un pays de Blancs, culturellement homogène et lié aux valeurs et aux traditions des immigrants européens.
5.8 La Convention relative aux peuples indigènes
Le gouvernement de l’Argentine a signé, le 3 juillet 2000, la Convention relative aux peuples indigènes (ou Convención sobre pueblos indígenas y tribales) de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce document d’une grande importante implique 14 États, dont l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Pérou et, en Amérique centrale, le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et l’Équateur.
La Convention reconnaît aux peuples indigènes le droit de jouir pleinement des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination (art. 3). Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. Les gouvernements des États signataires doivent mettre en place des moyens par lesquels les peuples autochtones pourront, à égalité avec le reste de citoyens de leur pays, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent (art. 6). L’article 7 reconnaît aux populations concernées le droit de contrôler leur développement économique, social et culturel propre. Les États doivent aussi tenir compte des coutumes et du droit coutumier de ces populations (art. 8). L’article 20 de la Convention oblige les gouvernements à «prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions d'emploi». Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés.
La partie VI de la Convention est consacrée à l’éducation, donc indirectement à la langue. L’article 26 est très clair sur la possibilité des autochtones d’acquérir leur instruction à tous les niveaux:
Article 26
Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la communauté nationale. |
Le paragraphe 3 de l’article 27 reconnaît «le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation» et que des ressources appropriées leur soient fournies à cette fin. C’est l’article 28 qui semble le plus important en cette matière:
Article 27
1) Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif.
2) Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays.
3) Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique. |
Les États appuieront l'élaboration de programmes scolaires correspondant à la réalité des peuples autochtones et mobiliseront les ressources techniques et financières nécessaires à leur bonne application. Quant à l’article 31, il précise que «mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples». Dans ces perspectives, il est précisé que «des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés».Comme il se doit, les États signataires de la Convention reconnaîtront et établiront des mécanismes pour assurer l'exercice de tous les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne l'éducation, la langue et la culture.
En ce qui a trait à l’Argentine, il reste encore à appliquer la plupart des dispositions de ladite Convention. Ce n’est pas une mince affaire quand on sait que le pays est aux prises avec d’autres problèmes socio-économiques d’importance considérable impliquant 98 % de la population.
6 Les médias autochtones
Un décret du 29 décembre 2015, publié le 4 janvier 2016, créait l'Ente Nacional de Comunicaciones (ENACOM), c'est-à-dire l’Autorité nationale pour les communications. Cet organisme a absorbé l'Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle (AFSCA) et l’Autorité fédérale des technologies de l'information et des communications (AFTIC), qui sont disparues. L'ENACOM est une agence argentine autonome et décentralisée, créée pour diriger le processus de convergence technologique en Argentine et pour favoriser des conditions de marché stables, en assurant l'accès à l'Internet, à la téléphonie mobile et fixe, ainsi qu'à la radio et à la télévision pour tous les Argentins. Les données fournies par l'ENACOM, en date du 27 avril 2016, indiquent qu'il existe 64 communautés de peuples autochtones autorisées dans tout le pays, et que la majorité d'entre elles (soit 34) sont concentrées dans la région du Nord-Ouest, alors que 13 se trouvent en Patagonie, 7 dans le Nord-Est, 5 dans la province de Buenos Aires, 4 dans le Centre et un seul dans la région de Cuyo (provinces de Mendoza, de San Juan et de San Luis).
Il est difficile de trouver un axe commun relatif au développement des médias autochtones en Argentine. Sont en cause l'extension du territoire, la diversité des peuples autochtones et leur faible intégration sociale urbaine.
6.1 La législation fédérale
En 1980, l'article 15, aujourd'hui abrogé, de la Loi n° 22.285 fixant les objectifs, les politiques et les bases à respecter par les services de radiodiffusion prévoyait des émissions radiophoniques destinées aux peuples autochtones:
Article 15 [abrogé]
Emploi de la langue
Les émissions de radiodiffusion doivent être diffusées en castillan. Celles qui sont diffusées en d'autres langues doivent être traduites dès que possible ou simultanément, à l’exception des cas suivants;
a) les paroles des compositions musicales; b) les émissions destinées à l'enseignement des langues étrangères; c) les émissions de la Radiodiffusion argentine aux étrangers (RAE); d) les émissions des communautés étrangères et celles dans lesquelles les peuples autochtones sont utilisés, avec l'autorisation préalable du Comité fédéral de la radiodiffusion.
Les séries ou les films en langues étrangères diffusés à la télévision doivent être doublés en castillan, de préférence par des professionnels argentins. |
Cette loi n° 22.285 avait été promulguée en 1980 par la dictature civilo-militaire et désignée comme un «processus de réorganisation nationale». En 1998, l'article 15 était modifié par le Décret n° 1062 de nécessité et d'urgence du pouvoir exécutif national «dans le but de promouvoir les langues autochtones de notre pays»:
Article 1er
L'article 15 de la loi n° 22.285 et ses modifications sont remplacés par le texte suivant:
«Article 15
Emploi de la langue
Les titulaires des services de radiodiffusion peuvent diffuser des émissions en langues étrangères avec l'autorisation du Comité fédéral de radiodiffusion (COMFER), sans préjudice du fait qu'ils doivent orienter leurs émissions par la diffusion de la langue castillane dans le but de promouvoir les langues autochtones de notre pays. Pour le doublage de films ou de séries parlés dans des langues étrangères qui doivent être doublés en castillan pour être diffusés à la télévision, la priorité doit être donnée aux professionnels argentins.» |
Mais, en 2009, la Loi n° 26.522 réglementant les Services de communication audiovisuelle sur tout le territoire de la République argentine, promulguée le 10 octobre par la présidente Cristina Fernández de Kirchner, reconnaissait les peuples autochtones comme des entités de droit public autorisées à fournir des services de communication par leurs propres moyens et à détenir une fréquence AM, une fréquence FM et une fréquence de télévision dans les localités où sont établies ces communautés. Cette réalisation est due aux revendications des communautés et aux organisations autochtones qui, au moment de l'élaboration de la loi, ont poussé l'inclusion de leur «droit à la communication avec l'identité». L'article 2 de la loi n° 26.522 considère que «l’État doit sauvegarder le droit à l’information, à la participation, à la préservation et au développement de l’État de droit, ainsi que les valeurs de la liberté d'expression», ce qui implique «l'égalité des chances pour tous les habitants de la Nation d'accéder aux bénéfices de ses capacités»:
Article 2
[...]
La condition d'activité d'intérêt public est importante pour la préservation et le développement des activités prévues dans la présente loi dans le cadre des obligations de l'État national définies au paragraphe 19 de l'article 75 de la Constitution nationale. À cette fin, la communication audiovisuelle dans n’importe lequel de ses médias constitue une activité sociale d’intérêt public dans laquelle l’État doit sauvegarder le droit à l’information, à la participation, à la préservation et au développement de l’État de droit, ainsi que les valeurs de la liberté d'expression.
L'objectif principal de l'activité fournie par les services réglementés dans ce domaine est la promotion de la diversité et de l'universalité de l'accès et de la participation, ce qui implique l'égalité des chances pour tous les habitants de la Nation d'accéder aux bénéfices de ses capacités. En particulier, dans la réalisation des besoins en information et en communication sociale des communautés dans lesquelles les médias sont installés et qui atteignent leur zone d'influence ou d'approvisionnement. [...] |
L'article 9 de la loi n° 26.522 traite de la langue de façon explicite et stipule que la programmation doit être faite «dans la langue officielle ou dans les langues des peuples autochtones», à l'exception de cas prévus par la loi :
Article 9
Langue
La programmation diffusée au moyen des services visés par la présente loi, y compris les annonces publicitaires et les promotions de programme, doit être faite dans la langue officielle ou dans les langues des peuples autochtones, à l’exception des cas suivants:
a) Les émissions destinées à des publics situés au-delà des frontières nationales; b) Les émissions d'enseignement en langues étrangères; c) Les émissions diffusées dans une autre langue et traduites ou sous-titrées simultanément; d) Les émissions spéciales destinées aux habitants des communautés étrangères ou aux résidents du pays; e) Toute programmation issue d'accords réciproques; f) Les paroles des compositions musicales, poétiques ou littéraires; g) Les signaux à portée internationale qui sont reçus sur le territoire national. |
L'adoption en 2009 de la Loi n° 26.522 réglementant les Services de communication audiovisuelle sur tout le territoire de la République argentine marque un tournant dans la réglementation du spectre radioélectrique après des décennies de réglementations et de modifications obsolètes et désordonnées, soutenues par l’ancienne loi de 1980 sur la radiodiffusion n° 22.285, alors promulguée sous la dernière dictature militaire d'Argentine. La loi de 2009 considère que les peuples autochtones sont des sujets de droit public (non gouvernemental) et qu'ils peuvent créer des médias privés à but non lucratif en tant que «radiodiffuseurs communautaires» ("emisoras comunitarias").
Artíclulo 4
[...]
Emisoras comunitarias: Son actores privados que tienen una finalidad social y se caracterizan por ser gestionadas por organizaciones sociales de diverso tipo sin fines de lucro. Su característica fundamental es la participación de la comunidad tanto en la propiedad del medio, como en la programación, administración, operación, financiamiento y evaluación. Se trata de medios independientes y no gubernamentales14. En ningún caso se la entenderá como un servicio de cobertura geográfica restringida.
[...] |
Article 4
[...]
Les radiodiffuseurs communautaires: ce sont des acteurs privés à vocation sociale qui se caractérisent par leur gestion par des organisations sociales à but non lucratif de différentes sortes. Sa caractéristique fondamentale est la participation de la communauté à la propriété de l’environnement, ainsi qu’à la programmation, à l’administration, au fonctionnement, au financement et à l’évaluation. Ce sont des médias indépendants et non gouvernementaux. En aucun cas, ils ne doivent être compris comme un service à couverture géographique restreinte.
[...] |
De façon tout à fait exceptionnelle, le Bureau du médiateur des services de communication audiovisuelle ("Defensoría del Público de Servicios de Comunicación Audiovisual") a présenté plusieurs versions traduites de la loi n° 26.522 dans les langues suivantes: ava-guaraní, quechua, mapuche, qom et wichí. Cette loi, surnommée aussi "Ley de Medios" («Loi sur les médias», ne résout pas tous les problèmes des peuples autochtones sur le territoire argentin, mais elle est devenue un instrument utile, sinon nécessaire, car elle donne la possibilité aux communautés autochtones de créer et de diffuser des réseaux de communication dans leurs langues.
L'une des grandes réussites de la loi est que, dans la mesure où les peuples autochtones constituent une personne morale de droit public non gouvernemental, ils ne sont pas tenus de se soumettre à un concours pour obtenir une licence qui leur est accordée si une communauté requérante peut rédiger en espagnol un rapport descriptif de son projet technique et culturel, et fournir une attestation concernant la durabilité de la station et de ses moyens financiers. En plus des subventions accordées par l'État fédéral ou une province, les médias autochtones doivent se débrouiller seuls et trouver des moyens pour subsister.
Quoi qu'il en soit, la situation juridique concernant les médias autochtones s'est détériorée en raison des mesures prises par le gouvernement de Mauricio Macri. Ainsi, le décret n° 267.2015 a modifié la nature même de la «Loi sur les médias» : répétons-le, l'Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle (AFSCA) a cessé d'exister, un ministère des Communications a été créé, abritant une nouvelle entité de réglementation, l'ENACOM, sans compter que le nombre de licences possibles pour un seul titulaire a été modifié.
Dans les faits, la «Loi sur les médias» n'a pas été profondément modifiée de sorte que les aspects concernant les autochtones n'ont pas été touchés directement, les Fonds pour la promotion de la communication audiovisuelle ("Fondo de Fomento Concursable de Comunicación Audiovisual" : FOMECA) et l'octroi de licences déjà approuvées ayant été gelés.
6.2 Les médias propres aux autochtones
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Les journaux destinés aux autochtones sont généralement en espagnol, sauf pour des périodiques locaux publiés notamment en quechua, en guarani, en toba et en aymara. Dans la plupart des cas, parce que les langues sont surtout orales, c'est l'alphabet latin propre à l'espagnol qui est employé.
Pour la radio et la télévision, la situation est différente. Les peuples autochtones disposent de 56 stations réparties dans 15 provinces argentines, avec la plus forte concentration dans la province de Salta avec 10 stations et dans la province de Jujuy avec 11 radios. Jusqu'à présent, plus de 60 communautés de 22 peuples autochtones ont été autorisées à installer et à exploiter leurs propres médias. La plupart des stations sont situées au nord de l'Argentine, bien qu'au sud les Mapuches bénéficient de quelques stations de radios.
Ce sont généralement des radios communautaires de faible diffusion. Cependant, la qualité, tant des émissions que de la retransmission de celles-ci, varie énormément d'un endroit à l'autre, car l'accès à la technologie est très inégal. Au fil des ans, plusieurs stations se sont regroupées dans un réseau central leur permettant de partager des programmes, notamment La Voz Indígena. |
Depuis le 7 décembre 2012, les peuples autochtones de l'Argentine disposent d'une chaîne de télévision: Wall Kintun TV, qui signifie en langue mapuche «regarder autour de soi». C'est une chaîne diffusée en langue mapuche, la première d'un peuple autochtone du pays. Elle a été créée dans le cadre de la loi n° 26.522 promulguée en 2009. L'article 151 de cette loi énonce que les peuples autochtones peuvent posséder des médias audiovisuels, ce que la loi de la dictature militaire ne permettait pas:
Article 151
Autorisation
Les peuples originaires peuvent être autorisés à installer et à exploiter des services de communication audiovisuelle par radiodiffusion sonore à modulation d'amplitude (AM) et à modulation de fréquence (FM), ainsi que par la télédiffusion ouverte dans les conditions et les termes établis dans la présente loi.
Les droits prévus dans la présente loi s’exercent dans les termes et la portée de la loi n° 24.071.
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La loi n° 24.071, promulguée le 7 avril 1992, approuvait le texte de la Convention relative aux peuples indigènes (ou Convención sobre pueblos indígenas y tribales) de l’Organisation internationale du travail (OIT).
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La chaîne Wall Kintun TV est diffusée sur le canal 8 VHF de San Carlos de Bariloche (communément appelée Bariloche), une ville argentine de la région de Patagonie, plus précisément dans la province de Tierra des Fuego. La chaîne est parrainée par le Coordonnateur de la communication audiovisuelle autochtone de l’Argentine (CCAIA: Coordinadora de Comunicación Audiovisual Indigena Argentina) et est gérée par la communauté mapuche Buenuleo. Wall Kintun TV diffuse non seulement sa propre production, mais également des contenus produits dans tout le pays et appartenant à la Banque audiovisuelle universelle pour le contenu en Argentine (BACUA). Elle offre du matériel provenant d'autres peuples et des communautés autochtones dans les provinces de Jujuy, de Chaco, de Salta, de Chubut, etc. |
Cependant, Wall Kintun TV connaît son lot de difficultés. La loi prévoit divers moyens de financement pour les médias autochtones, tels que la publicité, les dons, les legs et tout autre moyen en conformité avec les objectifs du service de communication, mais ce n'est pas si simple. La chaîne devait être financée par la publicité et, selon ses fondateurs, plusieurs commerces de la ville touristique de Bariloche avaient manifesté leur intérêt à participer au projet, mais rien de cela ne s'est produit. La plupart des employés travaillent sans salaire, tandis que la chaîne est quasi paralysée: elle n'a pas de caméra, ni machine à éditer, ni micro, etc. Quelque huit membres du peuple mapuche de Bariloche s’emploient à faire avancer la chaîne en dépit des difficultés et de la manipulation de la part des fonctionnaires qui entravent, par le fait même, l'exercice des droits des autochtones. Déjà en 2013, Mme Deolinda del Pilar Buenule, membre du conseil d'administration de Wall Kintun TV, soulignait le problème de la façon suivante:
Jamás podrá existir una comunicación libre, independiente, con identidad, con lenguaje propio, con capacidad, si la aplicación de la ley de medios audiovisuales queda en manos de funcionarios que tienen como lógica la conspiración, el boicot, la cooptación, división y la mentira. |
[Il ne peut jamais y avoir de communication libre et indépendante avec une identité, avec sa propre langue, avec des capacités suffisantes, si l'application de la loi sur les médias audiovisuels est entre les mains de fonctionnaires qui ont comme logique la conspiration, le boycottage, la cooptation, la division et les mensonges. ] |
Les problèmes de la chaîne Wall Kintun TV sont les mêmes à peu près partout chez les peuples autochtones. Le fait que les stations radiophoniques accusent un faible financement a pour effet de rendre instables les équipes de travail et, par voie de conséquence, l'irrégularité de la programmation, ainsi que la pénurie d'équipements techniques et la difficulté de les maintenir ou de les mettre à jour.
En réalité, les fonctionnaires du gouvernement fédéral sont en violation flagrante des garanties fondamentales et des droits reconnus dans la Constitution, telle que le reconnaît la Loi n° 23.592 adoptant des mesures pour quiconque empêche arbitrairement le plein exercice des garanties fondamentales et des droits reconnus dans la Constitution (1988):
Article 1er
1) Quiconque empêche, entrave, restreint ou nuit de manière arbitraire au plein exercice, sur un pied d'égalité, des garanties fondamentales et des droits reconnus dans la Constitution, sera tenu, à la demande de la victime, d'annuler l'acte discriminatoire ou de cesser sa réalisation et de réparer les dommages moraux et matériels causés.
2) Aux fins du présent article, les omissions discriminatoires et les actes déterminés pour des motifs comme la race, la religion, la nationalité, l'idéologie, l'opinion politique ou syndicale, le sexe, la situation économique, la condition sociale ou des caractéristiques physiques seront particulièrement pris en compte. |
Dans les faits, c’est une chose d’accorder des licences à tout le monde et de se vanter de la quantité de nouveaux médias autochtones dans le pays, mais c'en est une autre de favoriser la durabilité des moyens dans le temps et de garantir adéquatement le financement. Il faut aussi reconnaître que de nombreux médias autochtones existaient avant la loi n° 26.522 et que leur mise en œuvre n'a pas beaucoup évolué depuis 2009. L'obtention des autorisations sans concours semble un grand pas en avant dont plusieurs communautés profitent. Cependant, il reste à rendre le processus d'obtention des autorisations plus facilement réalisable, parce qu'il est trop lourd en termes bureaucratiques pour ceux qui ne disposent pas de la logique administrative de l'appareil d'État lui-même ni des mécanismes de soutien financier et technologique pour leurs activités. Or, les médias permettent aux peuples autochtones de rendre compte de leurs traditions et de leurs combats dans le but d'affirmer leur identité ethnique. Pour les représentants des peuples autochtones, l'État argentin a une dette impayée envers ces peuples, c'est une raison pour laquelle celui-ci devrait faciliter l'accès aux médias par un financement public adéquat. Dans le cas contraire, l'application de l'article 152 de la loi n° 26.522 sur le financement devient inopérante.
Par ailleurs, les membres des peuples autochtones semblent bien peu représentés dans les médias argentins. On accuse les producteurs des feuilletons, des publicités et des films latino-américains de camoufler les descendants des indigènes ou des Noirs, afin de faire paraître la population argentine comme exclusivement composée de Blancs. Les acteurs autochtones, quand il y en a, doivent généralement correspondre à des stéréotypes restreints dans des rôles subordonnés et soumis : ce sont des conducteurs, des gardes du corps, des domestiques, des pauvres ou de petits fonctionnaires. En fait, les peuples autochtones ne peuvent décoloniser les discours stigmatisés des médias et renforcer en même temps leur identité ethnique en se représentant eux-mêmes sur la scène des médias, c'est-à-dire en rendant leurs luttes et leurs cultures visibles. Par conséquent, les médias ne sont pas seulement des espaces et des outils pour accompagner le mouvement autochtone, mais ils deviennent des objets de revendication en eux-mêmes.
La situation linguistique des autochtones en Argentine n’est pas très différente de celle des autres pays de l’Amérique du Sud. Les communautés autochtones sont généralement concentrées dans les zones rurales éloignées des grands centres et disposent de services publics réduits par rapport au reste de la population. Quant à l'emploi des langues autochtones, c'est une pratique minimaliste due à des textes juridiques quasi symboliques, visant davantage à calmer l’opinion publique argentine et internationale que de favoriser les citoyens les plus pauvres du pays.
La politique linguistique fédérale de l'Argentine à l'égard des autochtones est dans les faits limitée à la fameuse éducation bilingue, parfois complétée du qualificatif interculturel. Cette politique ne s'applique évidemment qu'aux seuls autochtones qui assument à part entière l'«interculturalité» ou l'interculturalisme, c'est-à-dire l'intégration de leurs communautés dans un environnement où l'espagnol est la langue commune de la vie publique.
On peut affirmer aussi que l'État fédéral ne se soucie guère de ses autochtones qui ne comptent que pour moins de 2 % à 3 % de la population du pays. L'Argentine continue, depuis quelques siècles, à ignorer ses premiers habitants bine que la Constitution nationale reconnaisse leur préexistence. Il ne semble pas que cette politique soit appelée à changer dans un proche avenir. En ce sens, il s’agit d’une politique linguistique de non-intervention linguistique destinée à liquider lentement les peuples autochtones du pays. Bref, l'Argentine a encore beaucoup de chemin à parcourir, mais ce n'est pas le seul pays dans ce cas. On comprend pourquoi les représentants des communautés autochtones demandent la «décolonisation» de leurs peuples. Dans tous les cas, il est indéniable que des problèmes restent en suspens et que le modèle utilisé par le gouvernement fédéral argentin risque de se perpétuer dans les provinces. Certaines langues autochtones ont survécu à la colonisation espagnole et tentent de se redéfinir en tant que symboles de réconciliation, de créativité et d’espoir pour les nouvelles générations. Pour cela, il faudrait que l'Argentine et ses provinces en fassent davantage.