Province autonome de Voïvodine |
Voïvodine 2) Données historiques |
Plan de l'article
1 Une région convoitée 1.1 L'Empire romain 1.2 L'Empire ottoman 1.3 La domination hongroise (1699-1849) 2 L'Empire austro-hongrois (1867-1918) 2.1 La mainmise hongroise 2.2 La politique d'assimilation 2.3 Le latin et le hongrois
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3 Les trois
Yougoslavies 3.1 La première Yougoslavie (1918-1945) 3.2 La seconde Yougoslavie (1946-1992) 3.3 La troisième Yougoslavie (1992-2003) 4 La Voïvodine dans l'État de Serbie-et-Monténégro (2003-2006) 4.1 La timide protection des minorités 4.2 L'Indépendance du Monténégro 5 La République serbe 5.1 L'autonomie retrouvée 5.2 Les contraintes juridiques |
Au carrefour de nombreux États (Hongrie, Roumanie, Croatie, Bosnie-Herzégovine), la Voïvodine, avec ses deux millions d'habitants, se démarque comme une région multiethnique (mais à majorité serbe de 66,7%) et multilingue. Des velléités de rapprochement avec l'Union européenne sont particulièrement nourries par les communautés non serbes, surtout les Hongrois et les Croates. Signalons l'afflux récent de réfugiés serbes expulsés de Croatie et de Bosnie, et de réfugiés kosovars fuyant le Kosovo. Tous ces nouveaux arrivants voient dans la Voïvodine un tremplin pour gagner l'Union européenne. L'histoire de la Voïvodine reflète son riche passé et son ancien emplacement à la frontière des empires ottoman et austro-hongrois, ainsi qu'à la confluence de divers peuples, ce qui en fait un foyer de processus d'invasion, de colonisation et d'assimilation. Actuellement, plus de 25 groupes ethniques vivent en Voïvodine avec six langues officielles (serbe, hongrois, slovaque, roumain, croate et ruthène). |
1.1 L'Empire romain
La région de la Voïvodine fut, un temps, une possession de l'Empire romain. L'attaque des Huns vers 375 de notre ère et l'abandon de vastes territoires à l'est de l'Elbe en Allemagne allaient permettre aux Slaves de s'y installer. C'est donc à partir de la fin du IVe siècle de notre ère que l'Empire romain fut confronté à ce qu'on a appelé les «invasions barbares», ce que les Allemands d'aujourd'hui désignent par le mot Völkerwanderung, c'est-à-dire «le déplacement des peuples». La région fut ensuite envahie au Ve siècle par les Lombards (qui venaient d'Italie), puis par les Avars (des tribus mongoles dAsie). Entre les VIe et VIIe siècles, des peuples slaves commencèrent à coloniser la Voïvodine, parmi lesquels on trouve les Serbes, mais des communautés romanisées restèrent néanmoins dans la région.
La région
de la Voïvodine fut rattachée à l’Empire
bulgare au IXe siècle avant d'être reprise par les Hongrois qui intégrèrent la
Voïvodine dans leur royaume. Le Banat (au carrefour de la Roumanie, de la
Hongrie et de la Serbie) passa sous la domination hongroise au XIe
siècle après la défaite d'Ahtoum,
tandis que la Syrmie fit de même au XIIe
siècle après que le royaume de
Hongrie l'ait conquise aux
Byzantins. Les Balkans furent divisés
en deux : d'un côté les
États dans la continuité de
Byzance, c'est-à-dire la
Serbie et la Bulgarie, et de
l’autre, les nouveaux États
des croisés latins, autour
de l'Empire latin de
Constantinople. C'est ainsi
que l’héritage catholique
favorisa l’alphabet latin
avec le croate, le polonais,
le tchèque, le slovaque, le
slovène, le sorabe et le cachoube (Pologne), alors que l’héritage du monde orthodoxe
privilégia
l’alphabet cyrillique
avec le serbe, le russe, le
biélorusse, l'ukrainien; le
ruthène demeura une exception alors
que ses locuteurs adoptèrent le
cyrillique tout en étant catholiques
romains.
Bien que les Serbes aient fait partie de la population slave d'origine sur le territoire de la Voïvodine actuelle, ils s'installèrent de façon massive à partir du XIVe siècle; en 1483, selon une source hongroise, la moitié de la population du territoire de la Voïvodine était composée de Serbes. La Voïvodine resta hongroise jusqu'en 1529. |
1.2 L'Empire ottoman
Après la bataille de Mohacs (Hongrie) en 1526 et la conquête du Banat en 1552, l’Empire ottoman pris le contrôle de l’actuelle Voïvodine. L'occupation ottomane entraîna un dépeuplement massif en Voïvodine: la plupart des Hongrois et des Croates s'enfuirent vers le nord (en Hongrie) et furent remplacés par des Serbes et des Bosniaques (Serbes islamisé). Avec le temps, la région fut habitée de plus en plus par des Serbes avec le résultat que la plupart des villages devinrent majoritairement peuplés de Serbes, tandis que les villes étaient généralement mélangées avec des Serbes islamisés et diverses populations ottomanes et musulmanes. En 1594, les Serbes du Banat tentèrent un soulèvement contre la domination ottomane. En réalité, la population de la région s'islamisa graduellement, sans pour autant se turquifier.
1.3 La domination hongroise (1699-1849)
La monarchie hongroise des Habsbourg reprit le contrôle du territoire de la Voïvodine après les traités de Karlovci (1699) et de Požarevac (1718). Le royaume de Croatie-Slavonie fut créé par l'union du royaume de Croatie avec le royaume de Slavonie, lesquels avaient été repris aux Ottomans par les Habsbourg en 1699. Son territoire comprenait une partie de l'actuelle Croatie ainsi qu'une petite partie de l'actuelle Serbie, notamment la Voïvodine (la Syrmie orientale). Afin de réduire le nombre des musulmans, les autorités hongroises encouragèrent la colonisation slave en faisant venir des Bunjevci qui arrivèrent de Croatie en grand nombre parce qu'on leur accordait des terres à la condition de s’engager à combattre les Ottomans. Au milieu du XVIIIe siècle, des colons français vinrent s'installer dans une partie du Banat (qui appartient aujourd’hui à la Roumanie). Trois villages furent créés, en 1771, par des Lorrains venus de la région de Metz : Charleville, Saint-Hubert et Seultour. D’après le recensement fait en 1770, on comptait 42 201 colons français dans ces villages. En 1781, il y avait 63 enfants à l’école de Saint-Hubert, 39 à Charleville et 38 à Seultour. Au cours des années suivantes, l’allemand supplanta progressivement le français, jusqu’à la proclamation du 6 décembre 1777, par laquelle la langue française fut définitivement éliminée du système scolaire au Banat pour céder la place à l’allemand. Les descendants de cette population française furent chassés, voire «vendus» aux autorités allemandes ou expulsés; en 1840, ils ne constituaient plus que 6150 individus. |
La Yougoslavie récupérera les trois anciens villages français, qui deviendront serbes: Šarlevil, Soltur et Sveti Hubert. Aujourd'hui, ces villages sont intégrés dans la localité de Banatsko Veliko Selo (Voïvodine), qui fait partie de la municipalité de Kikinda dans le district du Banat septentrional. Les autorités hongroises eurent plus de succès avec les Serbes qui arrivèrent en masse. Ils furent non seulement reconnus comme l'une des nations officielles de la monarchie des Habsbourg, mais ils obtinrent aussi le droit à une autonomie territoriale au sein d'une voïvodie distincte, d'où l'accession à une autonomie de la Voïvodine depuis cette époque. L'immigration des Serbes dans la région s'est maintenue tout au cours du XVIIIe siècle.
Ainsi, sous le règne des Habsbourg, de nombreux colons non serbes s'installèrent également sur le territoire de la Voïvodine. Ce furent principalement des Allemands et des Hongrois catholiques, mais aussi des Ruthènes, des Slovaques, des Roumains, sans oublier les Français. En raison de cette colonisation, les Serbes finirent par perdre leur majorité absolue dans la Voïvodine, ce qui explique que le territoire actuel soit devenu l'une des régions les plus ethniquement diversifiées d'Europe.
Bien sûr, la population musulmane dut fuir la région rechristianisée, la plupart trouvant refuge en Bosnie ottomane. Les décennies de guerres finirent par cesser, alors que la Voïvodine fut intégrée dans l'Empire austro-hongrois.
La région fut rattachée à
l'Empire austro-hongrois en 1867, alors que la Hongrie l'avait été dès 1860. En
fait, le système
austro-hongrois
transforma la monarchie
des Habsbourg en une
union de deux États
souverains: l'Autriche
et la Hongrie.
L'Autriche-Hongrie
représentait un système
dualiste dans lequel
chaque moitié de
l'empire était dotée de
sa propre constitution,
de son gouvernement et
de ses organismes
représentatifs. Les
citoyens de la moitié de
l'empire étaient donc
considérés comme des
étrangers dans l'autre
partie. La moitié
autrichienne
fut désignée sous le nom
de Cisleithanie
(en allemand :
Cisleithanien, «terre de ce côté de la
Leitha», de
Land diesseits der Leitha, la rivière
frontière historique
entre la Basse-Autriche
et la Hongrie). Les
locuteurs allemands de
la monarchie appelaient
autrement simplement
cette Autriche: «les
terres de la Couronne
slave». La
moitié hongroise de
l'empire s'appelait
Transleithanie (en
allemand :Transleithanien, «terre de la couronne
hongroise»).
2.1 La mainmise hongroise Après la conquête de la Voïvodine, celle-ci fit partie du royaume de Hongrie et n'avait aucun lien avec la Serbie. Le territoire fut confié à un gouverneur autrichien qui siégeait à Temesvar (Temesvár en hongrois; Timișoara en roumain), une ville située dans l'ouest de la Roumanie hongroise. L'empereur austro-hongrois portait le titre de voïvode (dérivé du serbe voï signifiant «armée» et de voda «qui conduit». Le territoire sur lequel le voïvode exerçait ses fonctions s'appelait donc voïvodat ou voïevodat, d'où le nom rattaché à la région désignée désormais comme la Voïvodine. L'empereur d'Autriche fit venir des colons provenant de tout son empire afin de repeupler et d’exploiter la région; vinrent des Allemands, des Slaves (moldaves, slovaques, slovènes, etc.), des Roumains, des Ukrainiens, etc. L’actuelle mosaïque ethnique de la Voïvodine tire son origine de cette époque. |
2.2 La politique d'assimilation
Sous les Habsbourg, la politique linguistique eut pour effet de maintenir la «tour de Babel» en Voïvodine, une pratique qui favorisait le multilinguisme dans le but de diviser pour mieux régner («en vertu du principe connu du "dividere et imperare"»). Pour ce faire, toutes les nationalités furent mises sur un pied d'égalité et la langue locale devait être la langue officielle dans chacun des États de l'Empire. En fait, l'Empire austro-hongrois pratiqua une politique d'assimilation linguistique. L'article 19 de la Constitution de 1867 de l'Empire austro-hongrois précisait ce qui suit:
Article 19 1) Tous les groupes ethniques (en allemand: Volksstämme) de l'État ont des droits égaux et chaque groupe ethnique a le droit inviolable de préserver et de cultiver sa culture nationale et sa langue. 2) L'égalité de toutes les langues coutumières dans les pays de la couronne (en allemand: landessübliche Sprachen) est reconnue dans les écoles, l'administration et la vie publique. 3) Dans les pays habités par plusieurs groupes ethniques, les établissements d'enseignement publics doivent être organisés de telle manière que, sans être obligé d'apprendre une autre langue du pays, chacun puisse recevoir les fonds nécessaires pour enseigner leur propre langue. |
Étant donné que la Voïvodine faisait partie du royaume de Hongrie, le hongrois devint la langue administrative et officielle, ce qui eut pour effet de satisfaire les Hongrois, mais en même temps de mécontenter les autres groupes ethniques, car les Hongrois étaient réputés pour être intolérants à l'égard des autres groupes ethniques placés sous leur juridiction. Le rattachement à l'Empire austro-hongrois fut le prélude d’un processus de magyarisation (en hongrois : magyarosítás), un terme donné à la politique d'assimilation culturelle et linguistique à l'égard des peuples non hongrois du royaume de Hongrie au sein de l'Autriche-Hongrie : essentiellement des Slaves (Slovaques, Ukrainiens, Ruthènes, Serbes, Croates, etc.), mais aussi des Roumains, des Roms, des Juifs, etc. Cette assimilation fut particulièrement importante dans le domaine de l’enseignement, aboutissant à la loi de 1913, qui obligeait les enfants scolarisés de parler et d'écrire correctement le hongrois, et ce, au bout de quatre années d’études seulement. Par le fait même, en Autriche, les Habsbourg pratiquèrent une importante politique de germanisation: l'allemand devint la langue véhiculaire administrative, tout en laissant les Hongrois s'occuper de la politique linguistique sur leur territoire.
2.3 Le latin et le hongrois
Pendant longtemps, le latin fut maintenu comme langue officielle à côté du hongrois, et à l'exclusion de l'allemand. Toutefois, les municipalités pouvaient adopter une autre langue officielle que le hongrois si au moins 20 % de la population le réclamait. La Loi sur les nationalités en Hongrie autorisait aussi les «citoyens non magyars» à utiliser leur langue maternelle dans l'enseignement. En 1879, la loi introduisit le hongrois comme langue obligatoire dans les écoles des minorités linguistiques de la Voïvodine. En 1881, les autorités hongroises imposèrent aux élèves des écoles primaires de parler couramment le hongrois au bout de six ans. En 1913, nous le savons, la nouvelle loi exigea que les enfants sachent écrire et parler correctement le hongrois après quatre années. La Voïvodine réussit à maintenir certaines écoles en slovaque, en ruthène, en croate, en allemand et en romani, mais étant donné que les instituteurs qui enseignaient en hongrois recevaient un salaire plus élevé, les écoles des minorités souffrirent d'une pénurie d'enseignants qualifiés.
Le terme de Yougoslavie désigne le «pays des Slaves du Sud», un État d'Europe du Sud-Est, qui a existé sous différentes formes entre 1918 et 2006. En effet, la «Yougoslavie» correspond à trois réalités politiques différentes au cours du XXe siècle.
La première Yougoslavie (1918-1945) fut une monarchie fondée sous l'appellation «Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes» avant d'être renommée «royaume de Yougoslavie» en janvier 1929.
La deuxième Yougoslavie (1946-1992) fut une république fédérale à partir du 29 novembre 1945. Elle survécut jusqu'en janvier 1992, alors que quatre de ses républiques fédérées firent sécession : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine.
La troisième Yougoslavie (1992-2003) fut un État fédéral formé en 1992 sur le territoire de la Serbie (incluant les provinces de Voïvodine et du Kosovo) et du Monténégro. Elle prit fin en février 2003, pour s'intégrer dans la «Communauté des États de Serbie-et-Monténégro».
3.1 La première Yougoslavie (1918-1945)
L'éclatement de l'empire des Habsbourg et la création de la première Yougoslavie furent des événements décisifs dans la vie des nationalités de la Voïvodine. Le 1er décembre 1918, deux États nouvellement indépendants, la Serbie et le Monténégro, ainsi que les régions peuplées de Slaves du Sud qui faisaient partie de l'Autriche-Hongrie, s'unirent en un «royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes» dirigé par Pierre ler Karadjordjevic, auparavant roi de Serbie, puis par son fils Alexandre ler (1921-1934). Le nouveau royaume engloba les anciennes provinces de Croatie, de Dalmatie, de Bosnie, de Herzégovine, de Slovénie, de Voïvodine et le Monténégro indépendant. La vie politique resta dominée par l'antagonisme des élites serbes (orthodoxes) et croates (catholiques). Les Serbes considérèrent leur nouvel État comme une extension de la Serbie et imposèrent un régime centralisé. Quant aux minorités parfois importantes, telles que les Albanais et les Hongrois, elles n’avaient aucun droit de cité. Le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes avait signé à Saint-Germain-en-Laye, en 1919, un traité (Traité de Saint-Germain-en-Laye) concernant la protection des minorités, mais ce traité n'a jamais été le moindrement respecté par le Royaume, pas davantage en Voïvodine, sinon encore moins. En 1920, la majorité des écoles hongroises furent supprimées; il ne resta que des classes hongroises dans les écoles serbes. |
La Constitution yougoslave de 1921 proclamait à l'article 3: «La langue officielle du Royaume est le serbo-croate-slovène.» C'est une langue qui n'existait pas, bien que l'intercompréhension entre les Serbes, les Croates et les Slovènes était relativement aisée. Étant donné que seulement trois peuples étaient reconnus par la Constitution, les autres nations n'existaient pas, notamment celles dont la langue avait dominé dans le passé: les Hongrois avec le hongrois et les Autrichiens avec l'allemand. Néanmoins, le hongrois continua d'être employé par défaut dans des écoles, les tribunaux et dans certaines administrations en raison du manque de cadres et de personnel slaves. En 1929, la Loi sur les écoles publiques du Royaume de Yougoslavie imposa le serbo-croate comme langue d'enseignement, mais des classes minoritaires pouvaient être permises s'il y avait un minimum de 30 élèves. Les enfants d'une minorité n'eurent pas le droit de fréquenter les écoles d'une autre minorité. Lorsque l'enseignement n'était pas disponible dans leur langue, les enfants devaient recevoir leur instruction dans la langue officielle de l'État, le serbo-croate.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Voïvodine fut réattribuée à la Hongrie. Cette fois-ci, les Hongrois émirent une ordonnance en croate, rédigée avec l'orthographe hongroise, qui obligeaient les Serbes, les Juifs et les Roms/Tsiganes arrivés dans la région après 1918 à quitter le territoire. À la fin de la guerre, la Voïvodine revint à la Yougoslavie et, en octobre et en novembre 1945, quelque 40 000 Hongrois furent massacrés; Tito refusa de mettre à exécution les projets de déportation massive des Hongrois hors de la province. Mais la minorité allemande, forte dun demi-million de personnes, fut expulsée de la Voïvodine par le régime titiste pour être remplacée par des immigrants serbes en provenance de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine. Pendant l'entre-deux-guerres, le gouvernement de Belgrade favorisa l'immigration des Serbes en Voïvodine et força de nombreux habitants hongrois à l'exil, ce qui modifia considérablement la composition ethnique de la région.
3.2 La seconde Yougoslavie (1946-1992)
La Yougoslavie de 1946
était composée de six
républiques et deux
provinces au sein de la
république de Serbie
(Kosovo et Voïvodine).
Le statut de «province
autonome» à l'intérieur
de la république de
Serbie fut confirmé dans la Constitution yougoslave de 1974.
Les autorités de la
province reconnurent
cinq langues
officielles: le
serbo-croate, le hongrois, le slovaque, le ruthène et lukrainien.
Sous Tito, la Voïvodine comptait 44 municipalités; dans sept d'entre elles, les Hongrois étaient majoritaires à plus de 60 % et ils formaient des minorités dans plus d'une vingtaine d'autres, toutes dans le nord de la province. Les Slovaques étaient concentrés dans six localités où ils étaient majoritaires. La situation des Roumains et des Ukrainiens étaient à peu près semblables, hormis le fait qu'ils ne constituaient pas de majorité. Au total, un quart des 450 localités (villes et villages) de la Voïvodine comptait une population formée à plus de 50 % par l'une ou l'autre des minorités suivantes: Hongrois, Slovaques, Roumains, Ukrainiens et Ruthènes. Bref, il existait un grand nombre de minorités en Voïvodine, mais elles formaient des communautés compactes à l'échelle des villages. |
La politique linguistique du régime de Tito en était une de multilinguisme stratégique, le principe étant d'accepter plusieurs langues afin qu'aune ne domine. Il faut préciser que Tito était un Croate et qu'il ne désirait certainement pas que puisse prédominer la langue serbe. Parmi les cinq langues officielles, aucune langue n'ayant la priorité dans la province, c'étaient les municipalités qui décidaient des langues d'usage officielle; c'est encore le cas aujourd'hui. Les députés de l'Assemblée provinciale s'exprimait dans la langue de leur choix et un système de traduction simultanée était disponible. La Constitution de la Voïvodine prévoyait l'enseignement dans les langues minoritaires dans les écoles maternelles, primaires et secondaires. Plus de 80 % des enfants hongrois et slovaques, 70 % des enfants roumains et 50 % des enfants ruthènes (ou ukrainiens) fréquentaient des écoles dans leur langue maternelle. Le nombre minimal pour ouvrir une classe dans une langue minoritaire était de quinze. Tous les écoles des minorités devaient en outre assurer un enseignement du serbo-croate en tant que langue seconde. Il était cependant plus difficile d'assurer un enseignement dans les écoles secondaires pour la plupart des minorités, même si beaucoup pouvaient recevoir un enseignement dans leur langue. Au niveau universitaire, il n'était pas certes aisé de fournir un enseignement dans les cinq langues, car dans les faits seul le hongrois bénéficiait de cet avantage. |
Par ailleurs, toutes les minorités possédaient leurs propres journaux et magazines. La radio de Novi Sad réservait une chaîne consacrée aux minorités, alors que la télévision offrait un certain nombre d'émissions dans les quatre langues minoritaires. Cette politique linguistique de multilinguisme local était alors unique dans les Balkans et, fait encore plus rarissime, était rigoureusement appliquée.
Après le décès de Josip Broz Tito en mai 1980, la politique linguistique commença à avoir des ratés et le savant équilibre imposé par le maréchal-président fut rapidement disloqué. En mars 1989, le président serbe, Slobodan Milosevic, fit abolir par le Parlement fédéral le statut d'autonomie de la Voïvodine. Le gouvernement de la Voïvodine fut alors forcé de démissionner de telle sorte que le gouvernement de la république de Serbie exerça tous les pouvoirs sur la province.
3.3 La troisième Yougoslavie (1992-2003)
La Yougoslavie de Slobodan
Milošević s'est trouvée réduite à deux républiques: la Serbie (avec ses deux
provinces: la Voïvodine et le Kosovo) et le Monténégro. Lors du recensement de 1991, les Serbes formaient
encore le groupe majoritaire (57 %). Suivaient les Hongrois (16,8 %), les
Croates (3,7 %), les Slovaques (3,1 %), les les Monténégrins (2,2 %), les
Roumains (1,9 %), les Tsiganes (1,2 %), les Ruthènes (0,8 %), les Macédoniens
(0,8 %). Il y avait aussi en Voïvodine des Ukrainiens, des Albanais, des des
Slovènes des tchèques, des Bulgares, des Allemands et des Russes. De plus, 174
225 (8,7 %) personnes s'était déclarées «Yougoslaves», généralement des
individus issus de mariages mixtes.
Contrairement à Tito, Slobodan Milošević pratiqua une politique agressive et fortement nationaliste, qui se transforma en politique de serbisation que certains ont qualifié de «purification ethnique». En 1991, il fit adopter par le Parlement de la Serbie la Loi sur l'usage officiel des langues et des alphabets, qui faisait du serbe la langue officielle de la Serbie, donc celle de la Voïvodine et du Kosovo. De ce fait, l'usage des autres langues a été pratiquement interdit dans toutes les affaires officielles de la Voïvodine. Cependant, étant donné qu'une trentaine de municipalités prévoyaient par règlement des dispositions sur l'emploi des langues, certaines minorités ont pu exercer leurs droits linguistiques, tels que les Hongrois, les Slovaques, les Roumains et les Ruthènes, à l'exclusion des Croates, des Slovènes, des Tsiganes, etc. |
La politique de serbisation, essentiellement soutenue par la police locale, consistait à utiliser des méthodes fondées sur lintimidation et la violence de façon à pousser les non-Serbes, surtout les «indésirables» Croates et les «incontournables» Hongrois, à quitter la Voïvodine. À lété de 1992, par exemple, des dizaines de villages de la Voïvodine furent «purgés» pour faire place à des réfugiés serbes fuyant la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. En mai 1993, les Hongrois et les Croates accusèrent les «Faucons serbes», une organisation paramilitaire destinée à combattre les minorités, davoir bombardé des villages, fusillé et battu leurs concitoyens, sans compter les milliers de viols pratiqués par les milices serbes. Selon certaines estimations, au moins 35 000 Hongrois et autant de Croates auraient quitté la Voïvodine. Sans que lon en connaisse vraiment limportance exacte, il est évident que, depuis les guerres de 1991-1992 et de 1995 qui entraînèrent larrivée des réfugiés serbes et les départs des Hongrois et des Croates, l'élément serbe dut être considérablement renforcé en Voïvodine. Ce phénomène de la «purification ethnique» fut accentué par la fuite à létranger de plus de 20 000 jeunes non serbes cherchant à échapper à la mobilisation dans larmée.
Finalement, en raison des pressions exercées à la fois par les Serbes locaux et les nombreuses minorités de la Voïvodine, le gouvernement serbe permit en 1996 une certaine restauration de l'autonomie provinciale. Cependant, les 120 députés qui siégeaient à nouveau à l'Assemblée provinciale de Novi Sad navaient plus de pouvoirs réels, tandis que les Serbes locaux étaient majoritaires. Sous Slobodan Milosevic, la gouvernement serbe prenait toutes les décision sur les langues minoritaires à enseigner, à employer dans les médias et dans les administrations locales, sans jamais consulter les représentants des groupes minoritaires.
En somme, il ne faisait pas bon d’être une minorité en Voïvodine sous le régime du président Milošević (1989-2000). De nombreux organismes internationaux accusèrent les Serbes de pratiquer une politique de «purification ethnique» en Voïvodine et condamnaient fortement les autorités serbes. Cette politique de «purification ethnique» se manifestait de plusieurs façons: licenciements de travailleurs hongrois ou croates, et remplacement par des travailleurs serbes; expulsion de leurs logements des Hongrois et Croates congédiés, et attribution de ces logements aux Serbes; discrimination dans l'enseignement; brutalités policières et décès suspects dans les commissariats, distribution d'armes aux habitants serbes, incidents armés et répression antisyndicale. Des dizaines de villages virent leur nom modifié, cest-à-dire qu'ils furent ont été «serbisés». Le sentiment dinjustice paraissait dautant plus grand que la Voïvodine na jamais fait partie de la Serbie avant 1918. Et le souvenir dune cohabitation relativement harmonieuse dans le cadre du royaume de Hongrie y était resté très vivace. Bref, le règne de Milošević (1989-2000) fut certainement une catastrophe pour toutes les minorités de la Serbie, notamment les minorités de la Voïvodine. |
La Serbie et le Monténégro formèrent en 2003 l'État de Serbie-et-Monténégro qui s'est officiellement
substitué à la République fédérale de Yougoslavie, laquelle regroupait ces deux
pays depuis 1992; le nom officiel fut la Communauté des États de Serbie-et-Monténégro (Drzavna zajednica Srbija i Crna).
Les deux républiques constituèrent une sorte de confédération, car
dans les institutions internationales (Nations unies, OSCE, Union
européenne et Conseil de l'Europe) elles furent représentées à
égalité selon un système de rotation. On peut consulter le texte préalable de l'accord d'Union du 14 mars 2002 en cliquant ICI. La Voïvodine continua d'être une province autonome de la Serbie, mais cette autonomie ne fut pas nécessairement retrouvée. Sous la pression internationale, le Parlement de Serbie-et-du-Monténégro adopta en 2002 la Loi sur la protection des droits et libertés des minorités nationales. Étant donné que la Serbie conservait ses deux provinces, le Kosovo au sud et la Voïvodine au nord, cette loi, qui liait les deux républiques, devait imposer des contraintes juridiques à la Serbie. |
4.1 La timide protection des minorités
La Communauté d'États de Serbie-et-Monténégro se dota en 2004 d'une nouvelle constitution, mais celle-ci ne contenait aucune disposition concernant l'emploi d'une langue officielle, encore moins un quelconque emploi des langues minoritaires. De façon générale, les articles 8, 9 et 10 proclamaient le principe de la protection des minorités devant la loi:
Члан 8.
Повеља о
људским и мањинским правима и грађанским слободама Остваривање људских и мањинских права и
грађанских слобода Непосредна примена међународних уговора |
Article 8
Charte des droits de l'homme et
des minorités et des libertés civiles L' exercice des droits de l'
homme et des minorités et des libertés civiles Les dispositions des accords internationaux sur les droits de l'homme et des minorités et les libertés civiles en vigueur sur le territoire de la Serbie et du Monténégro sont directement applicables. |
En même temps, la Serbie voulut montrer sa volonté de prendre des mesures pour améliorer ses droits de l'homme et le sort de ses minorités. C'est pourquoi Belgrade promit de restaurer l'autonomie de la Voïvodine, tout en continuant de présenter des excuses pour retarder cette mise en œuvre. La réticence de Belgrade à rétablir les droits de la Voïvodine découlait des craintes que les dirigeants de la Voïvodine, pourtant majoritairement des Serbes, nourrissent des objectifs sécessionnistes. L'exclusion de la Voïvodine dans la formation du nouvel État Serbie-Monténégro envoyait un message négatif à toutes les communautés qui luttaient pour la reconnaissance à travers l'Europe de l'Est. Pendant que le Kosovo faisait parler de lui parce qu'il recourait à la force physique; le Monténégro améliorait son image à l'international parce qu'il disposait d'un gouvernement indépendant. De son côté, la Voïvodine n'était guère écoutée parce qu'elle demeurait une région pacifique où l'autonomie continuait d'être refusée. Sans pression internationale sur Belgrade, les choix de la Voïvodine se resserraient davantage. De plus, il demeurait illusoire de croire que la réconciliation entre les principales communautés ethniques, entre autres, les Serbes, les Albanais, les Bosniaques et les Croates, était chose faite.
4.2 L'Indépendance du Monténégro
Finalement, le Monténégro se déclara indépendant le 3 juin 2006, ce qui mettait fin à l'union entre la Serbie et le Monténégro, ainsi qu'à l'accord d'Union de 2002. Au moment du référendum, les électeurs du Monténégro privilégièrent le OUI dans une proportion de 55 %, ce qui marquait la dernière étape du démantèlement de la Yougoslavie. Depuis, la Serbie et le Monténégro sont alors devenus deux États souverains indépendants.
La Serbie ne fut pas pour autant au bout de ses peines. Après avoir perdu le Monténégro, le Kosovo proclama son indépendance le 17 février 2007. Les négociations qui eurent lieu entre le Kosovo et la Serbie en 2007 ne sont jamais parvenues à une solution. Ce fut l'impasse totale: la Serbie n'accordait qu'une grande autonomie, le Kosovo voulait l'indépendance.
5.1 L'autonomie retrouvée
La Serbie se retrouva sans le Kosovo, mais la
Voïvodine demeura sous la souveraineté de la Serbie. Au carrefour de nombreux
États (Roumanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie et Hongrie), la Voïvodine, avec ses
deux millions d'habitants, se caractérise comme une région très multiethnique et
multilingue. C'est une région à majorité serbe (66,7%), renforcée par la migration
de Serbes expulsés de Croatie et de Bosnie-Herzégovine au cours de la guerre de
1991 à 1995) et multilingue. En 2009, la Serbie abrogeait et remplaçait la Loi sur les compétences particulières de la province autonome (2002) par la Loi établissant les compétences de la Province autonome de Voïvodine. Cette loi de la Serbie donnait une pleine juridiction à la province en matière d'éducation. Devant la pression européenne, la colère montante des habitants de la Voïvodine et la présence des pancartes prônant la sécession du genre "Republika Vojvodina", le Parlement serbe finit par adopter en 2009 le Statut d'autonomie. Celui-ci fut abrogé avec la version de 2014 du Statut d'autonomie. Bien que la province ait retrouvé son autonomie, son assemblée provinciale et son gouvernement, ses défis sont encore présents aujourd'hui. Il lui faut gérer la cohabitation de quelque 25 groupes ethniques et d'autant de langues. L'Assemblée provinciale, avec l'accord des autorités de la Serbie centrale, semble réussir à préserver le multilinguisme traditionnel, voire à le promouvoir. Les lois de la Serbie continuent de s'appliquer en Voïvodine. De plus, si la législation relative à la protection des minorités n'est que partiellement applicable en Serbie centrale, elle trouve dans la province de la Voïvodine un terrain beaucoup plus propice dans l'application des droits linguistiques. Il faut admettre qu'il est plus aisé de faire appliquer ces droits dans un environnement multilingue que dans un milieu où les minorités ne constituent qu'une très faible force numérique. |
5.2 Les contraintes
juridiques Dans la pratique, la Voïvodine doit composer avec les lois serbes qui
prévoient, depuis le règne du président Tito, d'accorder d'importants pouvoirs aux
municipalités en matière de langue. De fait, les 45 municipalités de la
province sont demeurées toutes-puissantes de sorte qu'elles peuvent à la rigueur
supprimer des droits à d'importantes minorités et en accorder à d'autres qui
sont numériquement très faibles. Ainsi, la province n'a que des pouvoirs
qui sont limités à la fois par Belgrade et par les 45 municipalités. De
plus, elle ne peut adopter de loi, mais uniquement des ordonnances, des
règlements ou des arrêtés. Enfin, la démographie avantage nettement la majorité
serbe forte de 66,7 % de la population. Les Serbes ne sont restreints que
lorsqu'ils forment une minorité dans des villages à forte prédominance
hongroise, slovaque ou roumaine.
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4) Politiques linguistiques municipales |
5) Bibliographie |