Article 1er
Statut de la langue ukrainienne en tant que seule langue officielle en Ukraine
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Ukraine3) Politique relative
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Plan de l'article
Dans le cadre de cet article, il sera tenu compte des documents juridiques qui suivent:
- la Constitution de 1996;
- la Loi sur les langues de 1989;
- Le projet de loi de 1996;
- La Loi ukrainienne sur la politique linguistique de l'État (2012);
- Loi sur la pesse écrite (1993-2018)
- La Loi sur l'éducation (2019);
- La Loi sur la langue de 2019.
Il existe plusieurs dispositions linguistiques dans la Constitution du 28 juin 1996, modifiée au 8 décembre 2004, et actuellement en vigueur. Les plus importantes sont contenues sans contredit dans l'article 10, qui proclame que l'Ukrainien est la «langue officielle» (mot à mot: derjavna mova, c'est-à-dire «langue étatique» ou «langue d'État»):
Article 10
1) La langue d'État de l'Ukraine est l'ukrainien. 2) L’État assure le développement et le fonctionnement de la langue ukrainienne dans tous les domaines de la vie sociale partout sur le territoire de l’Ukraine. 3) En Ukraine, le libre développement, l'usage et la protection du russe et des autres langues des minorités nationales d'Ukraine sont garantis. 4) L'État favorise l'apprentissage des langues de communication internationale. 5) L'emploi des langues en Ukraine est garanti par la Constitution et est régi par la loi. |
Notons que cet article de la Constitution garantit aussi l'usage et la protection du russe et des autres langues des minorités nationales.
1.1 La terminologie relative aux langues
Pour les ukrainophones ou ukrainophiles à l'origine du texte de loi, les deux
termes — «langue officielle» ou офіційна мова (ofitziyna mova) et langue
d'État» ou державна мова (derjavna mova) — ne sont pas tout à fait
équivalents. Le mot «langue» en ukrainien s'écrit "MOBA", qui se prononce [mova],
mais Язык (yazyk) en russe. Les défenseurs de la langue
ukrainienne et de l'unilinguisme ukrainien voulaient insister sur cette nuance :
une seule «langue d'État» (en ukrainien, «d'État» se rend par l'adjectif
«étatique»), alors qu'il pourrait y avoir deux ou plusieurs
«langues officielles». C'est un peu
comme en allemand lorsqu'on écrit
Amtssprache
au lieu
de
Offiziell
Sprache.
Le mot allemand Amt est
difficilement traduisible
en français, il
correspond davantage
à «office»,
«bureau»
ou «service»,
ce qui équivaudrait en français à «langue administrative».
En français, l'expression «langue d'État» ne veut pas dire grand-chose, sinon qu'elle provient d'une mauvaise traduction. Pour sa part, l'anglais oppose "State language" à "official language", parfois à "national language", souvent tous employés comme synonymes, surtout dans les États américains. Dans le cas de l'Ukraine, on peut y voir dans l'expression «langue d'État» une manière de justifier l'unilinguisme ukrainien officiel. |
Pour les ukrainophiles, le bilinguisme officiel constituerait un choix déplacé dans le cadre de l'État ukrainien souverain. Tous les russophones doivent se plier à l'unilinguisme officiel, comme c'était autrefois pour le bilinguisme dans le cas des ukrainophones. Or, en droit international, un «État bilingue» implique que cet État s'engage à utiliser deux langues auprès de ses citoyens ainsi que dans tous ses services administratifs. C'est comme si l'Ukraine voulait bien reconnaître une forme de bilinguisme, mais sans l'appliquer à l'État.
Dans une décision rendue le 12 décembre 1999, la Cour constitutionnelle de l'Ukraine a précisé l'interprétation qu'il faut donner à l'article 10 de la Constitution et à l'expression originale de «langue d'État» plutôt que «langue officielle». Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a admis que, par «langue d'État», il fallait comprendre «langue officielle de l'État», ce qui signifie en principe que l'État rend son usage obligatoire dans les communications au sein de tous les organismes publics de la société ukrainienne.
En Ukraine, la notion de «langue officielle» («langue
d'État») est un
élément constitutif d'un ensemble d'une portée et d'une teneur plus étendues, à
savoir du «régime constitutionnel», dont les symboles nationaux sont également
une composante. Les activités publiques dans lesquelles est utilisée la langue
officielle sont en premier lieu celles où s'exercent les fonctions des
institutions et des organismes des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire,
ainsi que d'autres organismes des pouvoirs publics et des collectivités locales
(langue de travail, textes de lois, travaux de bureau et documents, relations
entre ces organismes et institutions, etc.). Comme le prévoient les articles 10
(paragraphe 5) et 92 (par. 4) de la
Constitution du 28 juin 1996, l'usage de la langue
officielle peut être imposé par voie législative ainsi que dans d'autres
secteurs.
DISPOSITIONS LINGUISTIQUES DANS LA CONSTITUTION Article 24 Les citoyens ont des libertés et des droits constitutionnels identiques, et sont égaux devant la loi. Il ne saurait exister aucun privilège, ni restriction fondé sur la race, la couleur de peau, les convictions politiques, religieuses ou autres, les origines sociales ou ethniques, la richesse, le lieu de résidence, la langue ou toute autre élément. Article 53 5) Les citoyens qui appartiennent aux minorités nationales ont la garantie et le droit, conformément à la loi, de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle ou d'étudier leur langue maternelle dans des établissements d'enseignement communs et publics et par des sociétés culturelles nationales. Article 92
Article 103 2) Tout citoyen de l'Ukraine qui a atteint l'âge de trente-cinq ans, qui a le droit de vote, a résidé en Ukraine pendant les dix dernières années avant le jour des élections et possède la maîtrise de la langue officielle, peut être élu président de l'Ukraine. Article 138 La juridiction de la République autonome de Crimée comprend :
Article 148 3) Tout citoyen de l'Ukraine qui a atteint l'âge de quarante ans le jour de sa nomination, possède une instruction légale élevée et une expérience professionnelle d'au moins dix ans, a résidé en Ukraine pendant les vingt dernières années et maîtrise la langue officielle, peut être nommé juge de la Cour constitutionnelle de l'Ukraine. |
Ayant été annexée par la Russie, la Crimée ne fait plus partie de l'Ukraine, mais celle-ci ne reconnaît pas l'annexion, ce qui explique que tous les textes de loi continuent d'inclure la Crimée bien que les Ukrainiens ne la contrôlent plus.
1.3 La langue ukrainienne
La question de l'emploi de l'ukrainien et des autres langues dans les établissements d'enseignement public est également réglementée par la loi. Les normes régissant la pratique des langues, conformément à l'article 92 (par. 1) de la Constitution, doivent être fixées par le législateur. Une bonne connaissance de l'ukrainien est nécessaire, notamment de la part des candidats à certains postes (art. 103, 127 et 148 de la Constitution). L'usage de l'ukrainien comme langue officielle est rendu obligatoire par le droit constitutionnel.
En vertu du paragraphe 3 de l'article 10 de la Constitution, le libre développement, l'emploi et la protection du russe et des langues des minorités nationales de l'Ukraine sont garantis. Il est interdit de concéder des privilèges ou imposer des restrictions en fonction de la langue utilisée au sens de l'article 24 (par. 2) de la Constitution.
Évidemment, avec le statut de langue officielle, l'ukrainien doit obligatoirement être pratiqué, sur toute l'étendue du territoire national, par les pouvoirs publics et les collectivités locales dans l'exercice de leurs fonctions (textes de lois, activités professionnelles, travaux de bureau, documentation, etc.), ainsi que dans les autres secteurs de la vie publique prévus par le paragraphe 5 de l'article 10 de la Constitution.
À l'article 138, en plus de la langue officielle, les administrations locales, les institutions de la République autonome de Crimée et les autorités locales peuvent, dans l'exercice de leurs fonctions, se servir, dans les limites et selon les règles fixées par la loi, du russe et des autres langues des minorités nationales.
En Ukraine, l'ukrainien est la langue pratiquée dans les établissements d'enseignement primaire, secondaire général, professionnel et supérieur de l'État et des collectivités en Ukraine. Toutefois, en vertu des dispositions du paragraphe 5 de l'article 53 de la Constitution, les langues des minorités nationales peuvent être enseignées et étudiées dans les établissements d'enseignement de l'État et des collectivités locales.
L'Ukraine dispose également d'une législation sur les langues: il s'agit d'abord de la Loi sur les langues de 1989, adoptée par la Parlement, alors que l'Ukraine faisait encore partie de l'Union soviétique. Elle demeurait encore en vigueur au moment de la déclaration de l'indépendance en 1991 et elle l'est restée jusqu'à l'adoption, le 3 juillet 2012, de la Loi ukrainienne sur la politique linguistique de l'État, mais cette dernière a aussi été abolie le 23 février 2014 et déclarée inconstitutionnelle en février 2018 par la Cour constitutionnelle, créant ainsi un vide juridique sur la question linguistique.
2.1 L'Ukraine soviétique
Le paragraphe 1 de l'article 2 de la Loi sur les langues de 1989 déclarait que «la langue officielle de la RSS d'Ukraine est l’ukrainien». Le paragraphe 2, pour sa part, garantit «le développement complet et le fonctionnement de la langue ukrainienne dans tous les milieux de la vie publique».
Article 2
[abrogé]
Langue officielle de la République
ukrainienne soviétique socialiste 2) La RSS d'Ukraine garantit le développement complet et le fonctionnement de la langue ukrainienne dans tous les domaines de la vie publique. 3) L'État républicain et les autorités locales, le Parti, les organismes publics, entreprises, établissements et organisations garantissent à tous les citoyens les conditions nécessaires pour l'étude de la langue ukrainienne et sa profonde maîtrise. |
De plus, l'État, les partis politiques, les entreprises et les organismes publics «garantissent à tous les citoyens les conditions nécessaires pour l'étude de la langue ukrainienne et sa profonde maîtrise» (par. 3).
2.2 Les langues de l'État socialiste bilingue
Cela dit, l'Ukraine de 1989 restait tributaire de sa dépendance à l'égard de l'Union soviétique, puisque le public pouvait s'adresser à l'Administration en russe plutôt qu'en ukrainien, voire en une autre langue. L'article 17 est révélateur à ce sujet, car «l'ukrainien ou une autre langue acceptée par les parties est employé dans tous les domaines des services aux individus».:
Article 17
[abrogé] Langue dans le secteur des
services |
D'ailleurs, l'article 6 de la Loi sur les langues oblige le personnel de l'État à maîtriser et l'ukrainien et le russe:
Article 6
[abrogé] Obligation des fonctionnaires de connaître les langues des
activités des corps et organismes |
Dans les faits, l'ukrainien faisait figure de parent pauvre dans les oblasts (régions) de l'Est et du Sud, car c'est le russe qui était utilisé partout et considéré comme la langue administrative. Les ukrainophones pouvaient avoir certaines difficultés à recevoir des services dans leur langue, alors que ce n'était jamais le cas pour les russophones habitant dans l'Ouest. Bien que l'ukrainien soit la langue officielle, le russe était donc permis par la loi. Dans les oblasts russophones, l'Administration n'utilisait l'ukrainien que pour communiquer avec l'Administration centrale de Kiev. Comme la connaissance de l'ukrainien était (et l'est encore) généralement médiocre dans les régions russophones, les autorités locales désignaient au moins un fonctionnaire bilingue lorsqu'il s'agissait de communiquer par écrit ou par téléphone avec Kiev.
Quant aux actes et documents de l'État, ils étaient adoptés en ukrainien, et publiés en ukrainien et en russe; il en était ainsi des inscriptions sur les tampons, les insignes et les en-têtes (art. 10 de la la Loi sur les langues de 1989):
Article 10
[abrogé] Langue des actes des autorités de l'État et des
organismes administratifs
Langue des activités, registres et documents
officiels |
Il ne faudrait pas oublier que les lois étaient discutées en ukrainien et en russe, puis adoptées en ukrainien et traduites en russe.
L'article 14 de la Loi sur les langues de 1989 précisait que les documents officiels certifiant le statut d'un citoyen (passeport, registres de travail, actes de naissance, de mariage ou de décès) étaient publiés en ukrainien ou en russe:
Article 14
[abrogé] Langue des documents
certifiant le statut d'un citoyen de la
RSS d'Ukraine |
L'article 34 énonçait que «les bureaux de poste et de télégraphe sont approvisionnés avec des enveloppes, cartes postales, en-têtes, etc., portant des inscriptions en ukrainien et en russe». Pour ce qui est des toponymes, l'article 37 indiquait que «les dénominations officielles de l'État, du Parti, des organismes publics, entreprises, établissements et organisations sont établies et présentées en ukrainien» et que «les noms traduits d'une autre langue peuvent être présentés à droite (ou en dessous)». De fait, l'affichage était unilingue ukrainophone: panneaux publicitaires, affiches du métro (Kiev), annonces dans les transports publics, enseignes, vitrines, etc. Avec le le rétablissement de la langue ukrainienne, l’orthographe des noms géographiques a changé : Kiev a été remplacé par Kyiv, ou Kyïv, Lvov par Lviv, Kharkov par Kharkiv, Dnieper par Dnipro, etc.
Les Forces armées n'ont jamais l'objet d'une analyse d'ordre linguistique. Selon les soldats ukrainiens interrogés, les ordres seraient donnés en ukrainien à partir de Kiev, tous les officiers ne parleraient que russe entre eux. Beaucoup de jeunes recrues ukrainophones étaient russifiés en entrant dans l'armée, tellement le russe est omniprésent.
2.3 Les langues de la justice
L'article 18 de la Loi sur les langues de 1989 traitait des langues dans la procédure judiciaire. L'ukrainien était la langue de la procédure judiciaire, mais une langue nationale parlée par la majorité de la population d'un district donné ou une langue acceptée par la population dudit district pouvait également être la langue de la procédure judiciaire:
Article 18
[abrogé]
Langue de la procédure
judiciaire |
Par ailleurs, la Loi sur la citoyenneté de 2005 oblige les citoyens à connaître l’ukrainien (art. 9) pour pouvoir communiquer. Depuis l’indépendance, les domaines de la vie officielle ont été ukrainisés, alors qu'ils ont subi en même temps une certaine «dérusssification».
Article 9
|
2.4 Les langues de l'éducation
L'article 25 de la Loi sur les langues accordait le libre choix de la langue de l'éducation et ce droit constituait «un droit inaliénable des citoyens de la RSS d'Ukraine»:
Article 25
[abrogé]
L'éducation et la langue d'enseignement 2) La RSSS d'Ukraine garantit le droit à tout enfant à l'éducation et de la recevoir dans sa langue maternelle. La mise en œuvre de ce droit est protégé par l'établissement d'un réseau d'écoles maternelles et d'établissements scolaires utilisant comme langue d'enseignement l'ukrainien et d'autres langues nationales. |
Ainsi, tout citoyen, qu'il soit russophone ou ukrainophone ou appartenant à une minorité nationale, pouvait choisir l'ukrainien, le russe ou toute autre langue pour recevoir son instruction.
L’article 27 de la Loi sur les langues précisait aussi que «la langue des activités éducatives et pédagogiques dans les écoles publiques sont menées en ukrainien». Cependant, dans les zones géographiques d'implantation substantielle des minorités nationales, des écoles publiques pouvaient être créées, alors que les activités pédagogiques pouvaient être menées dans leur langue nationale ou en une autre langue. Dans ces écoles, des classes séparées pouvaient être prévues, alors que les activités pédagogiques peuvent être en ukrainien ou dans la langue de la population d'une autre nationalité. Quoi qu'il en soit, l'étude de l'ukrainien et du russe dans toutes les écoles publiques était obligatoire:
Article 27
[abrogé]
Langue d'enseignement et éducation dans les écoles publiques
|
Quant à la Loi sur l'enseignement secondaire (1999), l'article 7 précise que les langues d'enseignement et d'éducation dans les établissements d'éducation publics sont déterminées par la Constitution de l'Ukraine et la Loi sur les langues de la RSS d'Ukraine.
Article 7 Langue(s) d'instruction et de formation dans les écoles secondaires La langue d'instruction et de formation dans les écoles secondaires est déterminée conformément à la Constitution et la loi de l'Ukraine «sur les langues en RSS d'Ukraine» (8312-11). |
Les langues étrangères étaient généralement le russe, l'anglais, l'allemand, le français, etc.
Pour être admis dans des collèges spécialisés et des établissements d'enseignement supérieur de la République, l'article 19 de la Loi sur les langues oblige les candidats à subir un test d'entrée démontrant leurs compétences en ukrainien.
Pour résumer, on peut dire que la situation actuelle se présente comme suit:
- le nombre des écoles maternelles publiques en ukrainien atteignait une proportion de 78 % en 2000;
- le nombre des écoles primaires et secondaire publiques, dans lesquelles la langue d'enseignement était l'ukrainien, s'élevait en 2000 à 70 %.
Cependant, la répartition régionale semble très différenciée. Ainsi, à l'ouest de Kiev, ce sont les écoles ukrainiennes qui dominent nettement. Dans l'Est et dans le Sud, c'est le russe et le nombre des maternelles, des écoles primaires et secondaires ne correspond pas du tout à la part de la population de langue ukrainienne.
Dans les établissements d'enseignement supérieur des 1er et 2e niveaux (écoles professionnelles, techniques, collèges et écoles normales), quelque 78 % des étudiants avaient reçu leurs cours en ukrainien au cours de l'année 2000-2001. Pour les étudiants des 3e et 4e niveaux (instituts et universités), la proportion atteignait les 73 %. Le taux des cours en ukrainien était de 94 % à 98 % dans l'Est, contre 100 % dans l'Ouest et le Sud (incluant la Crimée). De plus, il faut considérer que, lorsqu'une partie seulement des cours se déroule en ukrainien, les établissements d'enseignement sont considérés comme «de langue ukrainienne». Par ailleurs, les établissements supérieurs privés, où l'on enseigne presque exclusivement en russe, ne sont pas comptabilisés dans les statistiques; or, ces établissement sont de plus en plus nombreux en Ukraine.
2.5 Les langues de l'information
L'article 33 de la Loi sur les langues proclamait que «l'ukrainien est la langue des médias officiels» tout en précisant que «les langues des autres nationalités peuvent aussi être les langues des médias officiels», ce qui inclut le russe:
Article 33
[abrogé]
Langue des médias |
Bref, il existait une seule langue officielle en Ukraine, mais le russe était de facto à égalité avec l'ukrainien dans tous les rouages administratifs et scolaires. C'est un peu comme si l'Ukraine avait deux langues officielles, mais l'ukrainien serait seulement plus officiel que le russe.
Dans les faits, les deux langues se côtoient aujourd'hui dans tous les médias, mais le russe reste dominant dans les médias privés; l'ukrainien, dans les médias publics. Par exemple, les chaînes de télévision publique UT1 et UT2 émettent majoritairement en ukrainien, mais n'hésitent pas à diffuser des émissions vulgarisées en russe. Les films russes restent en russe, mais les films occidentaux (surtout américains) sont diffusés avec une traduction simultanée en ukrainien. Il est fréquent que la télévision ukrainienne propose des émissions en deux langues, ce qui projette une image d'une société bilingue.
Par contre, la radio publique est quasiment uniquement en ukrainien, surtout dans l'Ouest. Les radios privées diffusent dans une proportion des deux tiers des émissions en russe. De façon générale, les médias électroniques privées sont soutenues financièrement par Moscou. C'est l'ancien président de la fédération de Russie, Boris Eltsine, qui avait élaboré ce programme de soutien en 1996.
La part de journaux en ukrainien semble en deça de ce qu'ils devraient être, puisqu'elle ne correspond pas à la réalité démographique. De façon générale, les médias écrits sont en déclin. En 1985, en Ukraine soviétique, 65 % des journaux étaient en ukrainien; en 1998, la proportion avait baissé à près de 40 %. Selon Stattystyčnyi Ŝoričnyk za 2000 rik, seulement 27 % des journaux vendus en 2000 étaient en ukrainien.
Dans le cinéma, un décret en date du 16 janvier 2006 énonce que 20 % des films étrangers diffusés doivent être doublés ou sous-titrés en ukrainien, avec comme objectif à terme d'atteindre 70 % pour la totalité des films. Toutefois, les moyens mis en œuvre semble faire défaut pour que le décret soit réellement appliqué. En effet, la responsabilité du sous-titrage et du doublage incombe aux distributeurs de films, qui ne reçoivent aucune aide financière pour assumer ces coûts. C'est pourquoi la prépondérance de la langue russe persiste dans les médias, sauf dans le secteur public, et plus encore dans le monde des affaires.
2.6 L'efficacité de la législation
Toutes ces mesures étaient destinées à revaloriser la langue ukrainienne qui, sous le régime soviétique, était devenue une langue de seconde classe après le russe. La langue russe a été, surtout à l’écrit, une langue omniprésente, que ce soit dans l’administration, les écoles et les médias. Encore aujourd’hui, après une décennie d’indépendance, la république d’Ukraine n’est pas encore totalement libérée de sa dépendance à l’égard de la langue russe. Lorsque les Ukrainiens ouvrent leur téléviseur, presque tous les films étrangers sont doublés en russe, ce qui semble ne déranger personne. Les journaux les plus populaires sont en russe. En l'an 2000, plus de la moitié des Ukrainiens ne parlaient pas encore la langue officielle de leur pays. Comme les Russes (21 %) et les minorités (6 %) ne parlent généralement pas l'ukrainien, pour un total de 27 %, et que 73 % sont en principe des ukrainophones, cela signifie que 30 % de ces derniers auraient changé de langue pour passer au russe.
Si l'ukrainisation a touché l'école et les services publics, elle n'a pas encore atteint l'économie et les échanges interethniques. Le tableau suivant nous donne un aperçu de la situation:
Ukrainien | Russe |
Échanges
formels du domaine officiel Domaine de l’écrit officiel Domaine du pouvoir politique Secteur publi |
Échanges
informels Domaine de l’oral et de l’écrit privé Domaine du pouvoir économique Secteur privé |
Toutefois, cette représentation semble quelque peu réductrice, car elle ne correspond pas toujours à la réalité. Dans les écoles, il arrive que des professeurs maîtrisent mal l'ukrainien standard, sans compter les nombreux politiciens, même ukrainophones, qui parlent russe ou emploie le sourjyk dans leurs discours, voire au Parlement.
Sans revenir sur tous les articles de la Loi sur les langues de 1989, qui de toute façon a été abrogée en 2012, il faut retenir les éléments qui suivent :
1) Dans la plupart des situations, le russe demeure une alternative à l'ukrainien dans les régions (oblasts) où les russophones forment la majorité.
2) Seuls les articles 35 (publicité), 36 étiquettes et modes d'emploi des marchandises), 37 (dénominations officielles des organismes de l'État) et 38 (toponymes) obligent l'emploi de l'ukrainien.
3) Aucune ukrainisation des minorités n'est prévue dans la loi.
4) Aucune sanction pour le non-respect de la loi n'est prévue dans la loi.
Étant donné ces dispositions, l'ukrainien demeurait à la remorque du russe qui conservait toutes ses prérogatives. La loi de 1989 ne pouvait pas perdurer indéfiniment.
On peut comprendre que les Ukrainiens nationalistes trouvaient que les mesures contenues dans la Loi sur les langues de 1989 soient tout à fait insuffisantes. En général, les ukrainophones considéraient qu'il s'agit d'une «loi sur le bilinguisme» (ukrainien-russe), alors que certains russophones trouvaient que les dispositions de cette législation n'étaient pas assez axées sur le bilinguisme. Entre 1991 et 20003, on a pu compter au moins une quinzaine de projets de loi pour une nouvelle loi sur les langues, mais aucun n'a jusqu'ici pu être adopté.
On peut au moins en rappeler l'un d'eux, le plus important. À la fin de l'année 1996, un projet de loi «sur le développement et l'usage des langues en Ukraine» a été mis au point par le gouvernement, puis discuté et approuvé par le Conseil de la politique linguistique. Ce projet de loi est caractérisé par une tendance vers une plus grande ukrainisation. De façon générale, le projet de loi sur le développement et l'emploi des langues en Ukraine témoigne d'une augmentation de la sphère d'influence de l'ukrainien comme langue officielle tout en tenant compte du système de dépendance du pays à l'égard de la Russie et de la langue russe. Il faut aussi prendre conscience que ce projet de loi, comme d'autres plus ou moins similaires, va donner une orientation sur une future politique linguistique de l'Ukraine, qui consisterait à assurer la prédominance de la langue ukrainienne tout en accordant des droits linguistiques importants dans certains domaines aux minorités nationales, dont feraient dorénavant partie les russophones.
3.1 L'ukrainisation et la dérussification
Ce projet de loi (Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine), qui n'a jamais été adopté, va beaucoup plus loin que la Loi sur les langues de 1989. Par exemple, l'article 1er supprimerait toute allusion à la langue russe et obligerait non seulement l'État et ses organismes et ses sociétés à employer l'ukrainien, mais également les entreprises et les organismes privés dans leurs communications officielles:
Article 2
[non adopté] Langue officielle de l'Ukraine 1) L'ukrainien est la langue officielle de l'Ukraine. Il constitue l'un des principaux moyens de communication dans tous les secteurs de la vie sociale partout sur le territoire entier du pays. 2) La langue officielle est obligatoire dans son usage par les agences administratives du gouvernement et les organismes d'autonomie locale, les associations de citoyens, les établissements, les organisations et les sociétés, tant dans le public que dans le privé, dans leurs opérations quotidiennes. 3) Les agences administratives du gouvernement et les organisme d'autonomie locale, les associations de citoyens, les établissements, les organisations et les sociétés, tant dans le public que dans le privé, créeront toutes les conditions indispensables pour employer la langue officielle auprès des citoyens de l'Ukraine. 4) La seule forme de langue officielle pouvant être employée dans tous les secteurs de la vie sociale est sa forme standard. Employer une déviation de la langue officielle dans sa forme normalisée est inadmissible. |
Comparativement à 1989, il s'agirait ici d'une procédure de normalisation à l'égard de l'ukrainien, c'est-à-dire d'une politique visant à redonner à l'Ukrainien la place et le rôle qui leur sont dus.
3.2 Le russe comme langue minoritaire
L'article 6 de ce projet de loi prescrirait que «l'ukrainien est la langue d'usage des agences administrative du gouvernement et des organismes d'autonomie locale». Il est précisé également que la langue d'une minorité nationale — ce qui inclut les russophones — peut être employée par les agences administratives du gouvernement et les organismes d'autonomie locale dans les communautés où la majorité de la population est représentée par une minorité nationale. L'article 7 du projet de Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine énonce ce qui suit:
Article 7
[non adopté] Langue administrative de travail, de la documentation et de la tenue des registres 1) Les agences administratives du gouvernement et les organismes d'autonomie locale, les associations de citoyens, les établissements, les organisations et les sociétés, tant publics que privés, effectueront leur travail administratif et tiendront leur comptabilité, leurs rapport, leurs registres financiers, techniques et autres dans la langue officielle. 2) La langue d'une minorité nationale peut être employée dans le travail administratif, la documentation et la tenue des registres par les organismes d'autonomie locale, les associations de citoyens, les établissements, les organisations et les sociétés, tant publics que privés, parallèlement avec la langue officielle dans les cas prévus par le paragraphe 2 de l'article 6 de la présente loi, selon la procédure indiquée par le Cabinet des ministres de l'Ukraine. [...] |
On constatera que ces dispositions semblent apparemment plus fermées pour le russe, mais il n'en est rien. C'est le style et l'approche qui ont changé. Le russe ferait désormais partie des «langues des minorités nationales», mais il n'aurait rien perdu pour autant de son pouvoir d'attraction ni de sa force ni de son prestige. Par exemple, le paragraphe 2 du même article prévoit que «la langue d'une minorité nationale peut être employée dans le travail administratif, la documentation et la tenue des registres par les organismes d'autonomie locale, les associations de citoyens, les établissements, les organisations et les sociétés, tant publics que privés, parallèlement avec la langue officielle». Ce qui diffère, c'est que «les textes d'annonces, la publicité, les avis et autres types d'information destinés à la population locale sont présentés dans la langue officielle et peut être faite en double en traduction dans les langues des minorités nationales appropriées». Autrement dit, le russe est devenue une langue de traduction, tout en conservant ses prérogatives. Selon l'article 9, les administrateurs publics et les fonctionnaires des agences gouvernementales et des organismes d'autonomie locale, les employés des sociétés publiques, établissements et organisations doivent être compétents dans la langue officielle. Rien au sujet du russe!
3.3 La toponymie et le bilinguisme
L'article 27 aurait porté sur les toponymes (s'il avait été adopté). Les noms géographiques et les noms des divisions administratives et territoriales, des stations de chemin de fer, rues, places, etc., sont créés et présentés dans la langue officielle et suivies par leurs équivalents en alphabet latin latines, tels qu'ils doivent l'être si nécessaire. Cependant, dans les localités où la majorité de population appartient à une minorité nationale, un toponyme dans la langue officielle peut être suivi par son équivalent dans la langue de cette minorité nationale. Un toponyme dans la langue d'une minorité nationale est normalement placé en dessous d'un toponyme en ukrainien et indiqué dans des caractères plus petits.
Article 27
[non adopté] Langue employée dans les toponymes et cartographies 1) Les toponymes, c'est-à-dire les noms géographiques et les noms des divisions administratives et territoriales, des stations de chemin de fer, rues, places, etc., sont créés et présentés dans la langue officielle et suivies par leurs équivalents en alphabet latin latines, tels qu'ils doivent l'être si nécessaire. 2) Dans les localités où la majorité de population appartient à une minorité nationale, un toponyme dans la langue officielle peut être suivi par son équivalent dans la langue de cette minorité nationale. Un toponyme dans la langue d'une minorité nationale est normalement placé en dessous d'un toponyme en ukrainien et indiqué dans des caractères plus petits. 3) Les toponymes ukrainiens sont rendus en d'autres langues, conformément aux règles reconnues. 4) Les règles reconnues pour l'octroi de toponymes ukrainiens en d'autres langues sont établis par une autorité responsable de la surveillance en respect des normes dans la langue ukrainienne. 5) Les toponymes à l'extérieur de l'Ukraine sont orthographiés selon les règles standard de la langue officielle. 6) Les éditions cartographiques destinées à l'usage en Ukraine sont préparées et publiées dans la langue officielle. |
Évidemment, comme le projet de loi n'a pas été adopté, ces dispositions s'appliquent pas.
3.4 L'interprétariat dans la procédure judiciaire
En matière judiciaire, l'article 12 du projet de Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine prévoyait que «la procédure judiciaire en Ukraine est menée dans la langue officielle». Pourtant, le législateur aurait prévu l'usage d'une autre langue au moyen d'un interprète :
Article 12
[non adopté] Langue de la procédure judiciaire 1) La procédure judiciaire en Ukraine doit être menée dans la langue officielle. 2) Pendant le procès, les personnes constituant une partie de l'affaire et n'ayant aucune maîtrise de la langue officielle, sont assurées du droit de se familiariser avec les matières de la cause et de participer à la procédure de la cour au moyen d'un interprète. Ces personnes peuvent parler à la cour, soumettre leur plaidoyer et produire les pièces de leur preuve par écrit dans leur langue maternelle et obtenir, sur demande, des matières d'enquête et des documents judiciaires en traduction dans leur langue, sans encourir des frais supplémentaires. 3) Les matières du procès dans les procédures d'arbitrage, menées selon la procédure normale, sont attribuées aux autorités juridiques des autre pays en traduction dans la langue de ce pays ou en une autre langue acceptée pour les deux parties. |
3.5 L'ukrainien obligatoire en éducation
En éducation, il n'est plus question de libre choix, du moins formellement, car l'ukrainien est obligatoire :
Article 18
[non
adopté] Langue d'enseignement et de l'éducation 1) L'État assure le droit aux citoyens de l'Ukraine de recevoir leur instruction dans la langue officielle. 2) L'ukrainien est employé comme la langue d'enseignement dans l'éducation préscolaire, l'éducation secondaire générale, les établissements professionnels et supérieurs, publics ou privés. Cette règle ne s'applique pas aux ressortissants étrangers et aux apatrides invités recrutés dans l'enseignement et dans le processus d'éducation dans les établissements d'enseignement de l'Ukraine. 3) L'étude de la langue officielle dans tous les établissements d'enseignement est obligatoire. |
Dans les faits, les citoyens qui appartiennent aux minorités nationales auraient toujours le droit de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle ou d'étudier leur langue maternelle à la condition que nombre des individus appartenant à une minorité nationale soit «assez suffisant» :
Article 18
[non adopté] 4) Les citoyens qui appartiennent aux minorités nationales ont le droit de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle ou d'étudier leur langue maternelle. Dans sa démarche, en fonction de ses possibilités, l'État crée des conditions appropriées dans la structure de son système d'éducation et promeut la création des établissements éducatifs de niveaux différents pour apprendre la langue d'une minorité appropriée ou pour que l'éducation soit dispensée en cette langue. L'éducation est entièrement financée par les budgets locaux et d'autres sources, incluant des donations, prévoyant que l'éducation offerte par ces établissements d'enseignement corresponde aux normes exposées et approuvées par les autorités éducatives compétentes. 5) Dans les cas prévus au paragraphe 2 de l'article 6 de la présente loi et lorsque le nombre des individus appartenant à une minorité nationale est assez suffisant, la langue d'enseignement dans les établissements préscolaires et/ou la langue d'enseignement dans les écoles secondaires générales peut être la langue d'une minorité nationale pertinente parallèlement avec la langue officielle. 6) L'État encourage les citoyens de l'Ukraine à étudier les langues des communications internationales. 7) Les autorités éducatives, particulièrement les autorités centrales, précisent la procédure et la forme d'apprentissage de l'ukrainien pour les individus qui sont viennent d'autres pays afin de recevoir leur instruction en Ukraine ou y poursuivre leurs études. |
L'une des nouveautés réside dans le fait que les enfants des minorités doivent néanmoins apprendre l'ukrainien comme langue seconde dans la mesure où l'enseignement de la langue maternelle doit se faire «parallèlement avec la langue officielle».
3.6 Les langues des médias et les quotas
Une nouveauté assez importante concerne les médias. L'article 22 du projet de loi (Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine) prévoyait que «la radio publique et les émissions télévisées, ainsi que la publication des journaux et magazines, qui sont parrainées par les autorités publiques et les organismes d'autonomie locale, soient diffusées dans la langue officielle». Mais il est précisé aussi que «le volume total des informations présentées en langue ukrainienne dans les stations de radio et les canaux de télévision privées doit composer au moins 70 % du volume complet du temps d'antenne diffusé, lequel demande un permis de diffusion».
L'article 24 du projet de loi (Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine) portant sur la langue de la publicité mérite d'être cité in extenso:
Article 24
[non adopté] Langue de la publicité 1) La publicité commerciale, les messages promotionnels et autres formes de produits publicitaires audiovisuels sont délivrés dans la langue officielle. 2) Dans les documents publicitaires présentés par des sociétés étrangères, le nom d'une société en langue originale peut être transmis, côte à côte avec le nom de cette société transcrit en caractères différents ou traduit en ukrainien, et il est normalement placé à gauche du nom ukrainien ou en-dessous de celui-ci avec des caractères plus petits. 3) Dans les cas prévus au paragraphe 2 de l'article 6 de la présente loi, la publicité commerciale, les messages promotionnels ou autres produits publicitaires audiovisuels peuvent également être transmis, côte à côte avec le texte en langue officielle, avec une traduction dans la langue d'une minorité nationale dans des caractères plus petits. |
On aura remarqué que les textes bilingues doivent respecter une hiérarchisation dans leur présentation. Un texte non ukrainien doit être placé au gauche du nom ukrainien ou en dessous avec des caractères plus petits. L'article 25 fixe les mêmes exigences pour l'étiquetage des produits et les modes d'emploi des produits fabriqués en Ukraine: ils doivent être rédigés dans la langue officielle.
Enfin, l'article 33 du projet de loi abrogerait la Loi sur les langues de 1989. Come on le sait ce projet de loi de 1996 n'a jamais été adopté. Il faudra attendre en 2012 pour voir apparaître une nouvelle loi linguistique.
Le 3 juillet 2012, le Parlement (la Verkhovna Rada) a adopté par 232 voix sur 334 députés une nouvelle loi linguistique: la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État. Cette loi n° 5029-VI, fut aussi appelée «loi Kivalov-Kolesnichenko», d’après les noms de ses initiateurs, des députés ukrainiens russophones du Parti des régions. Cette loi a aussi été surnommée par les ukrainophones «loi des trois k» (Kremlin-Kivalov-Kolesnichenko), car elle correspondait aux objectifs de Moscou.
Le projet de loi ne devait entrer en vigueur qu'après avoir été signé par le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, et le président du Parlement, Volodymyr Lytvyn. Cependant, ce dernier remit sa démission le 4 juillet, donc le lendemain de son adoption, mais la Verkhovna Rada n'accepta pas la démission de son président, avec le résultat que Lytvyn signa la loi le 31 juillet. La projet de loi fut signé par le président Ianoukovitch, le 8 août suivant. La loi est donc entrée en vigueur le 10 août 2012, mais abolie en février 2018 par la Cour constitutionnelle.
4.1 Le statut de «langue régionale»
C'est une loi qui se voulait conforme aux dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais elle permettait aussi l'emploi à égalité avec la langue officielle (l'ukrainien) de deux ou de plusieurs langues régionales ou minoritaires dans une région donnée. L'article 2 de la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État énonçait le principe de la cohabitation des langues officielle et régionales ou minoritaires ainsi:
Article 2
[abrogé]
Objectif de la politique linguistique de l'État |
L'article 7 de la loi reconnaissait les langues régionales là où le nombre d'une
minorité représente 10 % ou plus de la population, soit en
principe dans 13 régions sur 27, dont Kiev, la capitale:
Article 7
[abrogé]
Langues régionales ou minoritaires de l'Ukraine |
Ce statut de «langue régionale» équivalait dans les faits à rendre toute autre langue aussi officielle que l'ukrainien au plan local. C'est ainsi que, dans les mois qui ont suivi l'adoption de la loi n° 5029-VI, le russe a été déclaré «langue régionale» dans les régions d'Odessa, de Kharkiv, de Kherson, de Mykolaïv, de Zaporijjia, de Dnipropetrovsk, de Louhansk et de Donetsk, sans oublier la ville de Sébastopol en Crimée. De plus, le hongrois, le moldave et le roumain ont obtenu ce même statut dans certaines villes de l'Ukraine occidentale.
Bref, ce n'est pas une loi qui favorisait en principe l'emploi de l'ukrainien, puisqu'elle permettait, dans les faits, un bilinguisme ou un multilinguisme reconnu par la loi. Ce type de loi a donc pour effet de protéger avant tout les langues minoritaires et de les faire entrer en concurrence avec la langue officielle dans tous les domaines et dans plusieurs régions du pays.
4.2 L'ukrainien comme langue officielle
Il n'y a que quelques rares dispositions à porter exclusivement sur l'ukrainien comme langue officielle. C'est le cas des paragraphes 1, 2, 4 et 5 de l'article 6 de la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État (2012), qui traitent de l'ukrainien comme langue officielle:
Article 6
[abrogé]
La langue officielle de l'Ukraine
4)
Les règles de la langue ukrainienne sont définies dans le Dictionnaire de
langue ukrainienne et de l'orthographe ukrainienne. La procédure d'approbation des dictionnaires de langue ukrainienne et
des manuels en orthographe ukrainienne sont des ouvrages de
référence obligatoires pour l'utilisation de l'ukrainien, et la
publication officielle de ces manuels est déterminée par le Conseil
des ministres de l'Ukraine.
L'État encourage l'emploi de la forme standard de la langue ukrainienne
dans les médias et d'autres secteurs publics. |
Toutefois, le paragraphe 3 du même article 6 (abrogé) précise que «
l'application obligatoire de la langue officielle ou la promotion de son emploi dans l'un ou l'autre domaine de la vie publique ne doit pas être interprétée comme niant ou restreignant le droit d'utiliser les langues régionales ou minoritaires dans les domaines pertinents et dans les territoires»:3) L'application obligatoire de la langue officielle ou la promotion de son emploi dans l'un ou l'autre domaine de la vie publique ne doit pas être interprétée comme niant ou restreignant le droit d'utiliser les langues régionales ou minoritaires dans les domaines pertinents et dans les territoires. |
Ce paragraphe revient à dire que l'ukrainien est la langue officielle, mais que toutes les autres langues ont les mêmes droits que l'ukrainien. L'article 29 de la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État déclare que l'ukrainien est la langue des Forces armées:
Article 29 [abrogé]
Langue des Forces armées de l'Ukraine et des autres formations militaires |
Il s'agit là de l'une des rarissimes prérogatives de la langue officielle.
Enfin, l'article 30 de la
Loi sur
les principes de la politique linguistique de l'État
obligeait l'État à assurer
la promotion de la langue et de la culture ukrainiennes à
l'étranger:
Article 30 [abrogé]
Promotion de la langue et de la
culture ukrainiennes à l'extérieur de l'Ukraine |
Et tout s'arrête ici, c'est-à-dire que la langue officielle dispose, dans tous les domaines de la vie publique, des mêmes prérogatives que toutes les autres langues régionales ou minoritaires parlées en Ukraine et mentionnées à l'article 7: le russe, le biélorusse, le bulgare, l'arménien, le gagaouze, le yiddish, le tatar de Crimée, le moldave, l'allemand, le grec moderne, le polonais, le rom, le roumain, le slovaque, le hongrois, le ruthène, le karaïte et le trasianka. Il paraît évident qu'une telle loi soit inacceptable pour la majorité ukrainophone, mais il ne faut pas oublier qu'elle a été adoptée dans des circonstances troublantes par une majorité pro-russe, comprenant aussi bien une fort groupe de débutés russophones avec l'aide d'un certain nombre de collègues ukrainophones russophiles.
4.3 De l'abolition à l'invalidation de la loi
Le 23 février 2014, un député de l'Union panukrainienne «Patrie», Vyacheslav Kyrylenko, proposa d'inscrire à l'ordre du jour un projet de loi abrogeant la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État. La motion fut adoptée avec 86 % des voix POUR ─ 232 députés en faveur et 37 CONTRE ─, alors que le minimum requis était de 226 sur un total de 334 voix. Le projet de loi fut inscrit à l'ordre du jour, immédiatement mis aux voix sans débat et approuvé par les mêmes 232 voix en sa faveur, c'est-à-dire une majorité pro-Ukraine. L'abolition ramena en vigueur le loi précédente sur les langues, la Loi sur les langues de 1989, qui était en vigueur en Ukraine depuis deux décennies et réglementait l'emploi des langues minoritaires.
Ce n'est pas tout, puisque en février 2018 la Cour constitutionnelle ukrainienne déclara inconstitutionnelle la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État. Soulignons que la Cour a annulait la loi de 2012 non pas pour son contenu, mais en raison de la procédure employée au moment de son adoption. La Cour conclut que les violations de la procédure d'examen et d'adoption du projet de loi n° 9073 avaient eu un impact significatif sur le résultat final lors de l'adoption de la loi. Par conséquent, la loi pro-russe de 2012 fut invalidée. Dans son arrêt du 2 février 2018, la Cour a estimé également que la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État de 2012 était inconstitutionnelle parce qu'elle neutralisait le statut de la langue ukrainienne en accordant un statu identique au russe et en élevant celui-ci au-dessus des autres langues des minorités nationales d'Ukraine, ce qui est absolument inacceptable compte tenu de l'importance et des fonctions de la langue ukrainienne.
Le 25 avril 2019, la Verkhovna Rada a adopté le projet de loi n° 5670-d «visant à assurer le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle» plus connue sous le nom de «Loi sur la langue». Quelque 278 députés pro-ukrainiens ont voté pour l’adoption de cette loi, mais 38 ont voté contre et 7 se sont abstenus. Le président Petro Porochenko a répété à plusieurs reprises que l’adoption de la Loi sur la langue avant l’expiration de ses pouvoirs constituait pour lui une question de principe. Évidemment, les législateurs ukrainophones désiraient s’inscrire dans l'Histoire en arguant que la langue ukrainienne a été malmenée depuis trop longtemps et qu’il fallait la défendre, en l'occurrence face au russe; ils se plaçaient dans une logique de promotion légitime de l’ukrainien.
La loi entrait en vigueur le 17 juillet 2019. Seule la langue ukrainienne est désormais autorisée à être employée tant par les autorités nationales et locales, que par les entreprises, les institutions et les divers organismes. La seule exception concerne la Crimée actuellement occupée par la Russie, où, en plus de l'ukrainien, la langue tatare de Crimée est autorisée en tant que langue du peuple autochtone ukrainien.
L’emploi obligatoire de l’ukrainien dans toutes les domaines de la vie publique doit servir à «renforcer l'identité nationale» et à « garantir son maintien en tant que facteur de renforcement de l'État de la nation ukrainienne». Précisons que le russe n’est mentionné explicitement dans aucun des 57 articles de la loi, mais chaque article de celle-ci vise à en réduire son emploi, voire l'interdire, dans l’administration, la justice, l’enseignement, les médias, les commerces, etc. Ainsi, le russe, au contraire de l’anglais, ne peut désormais plus être utilisé comme langue d’instruction dans les écoles secondaires ni dans les assemblées et les publications scientifiques.
La loi ne couvre pas la sphère de la vie personnelle et, dans cette perspective, il est possible d’utiliser n’importe quelle langue. Cependant, les fonctionnaires qui contreviennent aux prescriptions de la Loi sur la langue risquent des amendes allant jusqu’à 11 900 hryvnias (450 $US ou 404 €), voire l'emprisonnement s’ils tentent d’introduire le multilinguisme en Ukraine, ce qui est considéré comme l’équivalent du renversement du régime constitutionnel.
Il faut aussi comprendre que la politique linguistique ukrainienne ne s'applique plus depuis 2014 au Donbass compris dans les oblats de Louhansk et de Donetsk, deux régions séparatistes contrôlées depuis par Moscou.
5.1 Les principes généraux
L'article 1er de la Loi sur la langue de 2019 traite du statut de la langue ukrainienne à l'article 1er (par. 1): «la seule langue officielle en Ukraine est langue ukrainienne.» Toutefois, les paragraphes suivants introduisent des prescriptions inédites. Par exemple, le paragraphe 6 sur toute tentative d'introduire un multilinguisme, le paragraphe 7 sur «l'humiliation publique» ou «l'outrage à la langue ukrainienne», le paragraphe 8 sur l'introduction des erreurs délibérées de la langue ukrainienne dans les documents et les textes officiels, le paragraphe 9 sur l'obligation de la part des autorités de l'État et des collectivités locales à l'employer, le paragraphe 10 sur l'obligation d'employer l'ukrainien comme langue de communication interethnique:
Article 1er Statut de la langue ukrainienne en tant que seule langue officielle en Ukraine 1)
La seule langue
officielle en Ukraine est la langue ukrainienne. 8) Les erreurs délibérées de la langue ukrainienne dans les documents et
les textes
officiels, en particulier l'usage volontaire de l'ukrainien en
violation des exigences de l'orthographe et des
règles ukrainiennes de la langue
officielle, ainsi que la création d'obstacles et de restrictions dans
l'emploi de l'ukrainien engagent la responsabilité prévue par
la loi. |
L'article 15 de la Loi sur la cinématographie (1998-2019) prescrit l'obtention d'un certificat d'État pour le droit de distribuer et de diffuser des films. Mais l'organisme exécutif central peut refuser d'accorder un tel certificat pour le motif concernant l'humiliation ou au mépris de la langue officielle:
Article 15
Droits et
conditions de distribution et de diffusion
d'un film
|
L'article 2 de la de la Loi sur la langue précise que celle-ci ne concerne pas les conversations privées. Personne ne va arpenter les cafés, les arrêts de bus ou écouter les conversations des gens sur les balcons pour savoir s'ils parlent l'ukrainien ou une autre langue.
5.2 La langue officielle et la citoyenneté ukrainienne
Selon l'article 6 de la Loi sur la langue, tous les citoyens sont tenus de parler la langue officielle en tant que langue de leur citoyenneté :
Article 6
Obligation du citoyen ukrainien de parler la langue officielle 3) L’État doit organiser des cours de langue ukrainienne pour les adultes et offrir la possibilité de maîtriser librement la langue officielle aux citoyens ukrainiens qui n’ont pas eu la possibilité de le faire. |
Quant à l'article 7, il déclare que «toute personne ayant l'intention d'acquérir la citoyenneté ukrainienne est tenue de certifier le niveau approprié de maîtrise de la langue officielle». Cela signifie que la maîtrise de l'ukrainien est obligatoire pour obtenir la citoyenneté. Les exigences relatives au niveau de maîtrise de la langue officielle exigée pour l'acquisition de la citoyenneté ukrainienne sont déterminées par la Commission nationale sur les normes de la langue officielle. Mais il y a des exceptions pour les individus qui fournissent des services exceptionnels à l'Ukraine, y compris les étrangers et les apatrides qui servent dans les forces armées ukrainiennes et se voient attribuer un prix par l'État, ainsi que les personnes dont l'accès à la citoyenneté ukrainienne présente un intérêt national pour l'Ukraine. Ces personnes ont le droit d'acquérir la citoyenneté ukrainienne sans certificat du niveau de compétence dans la langue officielle. L'article 7, qui concerne le niveau de compétence linguistique pour l'obtention de la citoyenneté, doit entrer en vigueur le 16 mai 2021.
Rappelons que l'article 9 de la Loi sur la citoyenneté (2001-2019) exige comme l'une des conditions pour obtenir la citoyenneté ukrainienne est la maîtrise de la langue officielle ou la compréhension de celle-ci de façon suffisante pour pouvoir communiquer:
Article 9
Admission à la citoyenneté ukrainienne
|
Il convient de considérer que l'obligation de parler une langue officielle pour l'obtention de la citoyenneté n'est pas inhabituelle dans plusieurs pays. Par exemple, aux États-Unis, il existe un examen de citoyenneté consistant en un test de compétence linguistique et un test sur l'histoire du pays. En Belgique, il faut avoir une bonne maîtrise de l'une des langues officielle: le français, le néerlandais ou l'allemand. En Ukraine, tout étranger qui désire acquérir la citoyenneté doit auparavant obtenir un certificat de compétence linguistique de la langue ukrainienne ("Svidotstvo pro movnu kompetentnistʹ ukrayinsʹkoyi movy") avant de s'adresser au Service de l'immigration.
L'article 8 de la
Loi sur les réfugiés et les personnes
ayant besoin d’une protection supplémentaire ou temporaire (2012)
autorise l'emploi de l'ukrainien ou du russe à un(e) requérant(e) qui
demande une protection en tant que réfugié(e).
Article 8 Procédure d’examen préliminaire des demandes 3) Au cours de l’entretien d’un requérant qui ne parle ni l’ukrainien ni le russe, l’organisme exécutif central chargé de la mise en œuvre de la politique de l’État dans le domaine des réfugiés et des personnes ayant besoin d’une protection supplémentaire ou temporaire doit fournir un interprète dans la langue dans laquelle le requérant peut communiquer. Celui-ci a le droit de faire appel à un interprète à ses propres frais ou aux frais d’autres personnes morales ou physiques. Le traducteur doit respecter la confidentialité avec l’enregistrement obligatoire par l’organisme exécutif central mettant en œuvre la politique de l’État dans le domaine des réfugiés et des personnes ayant besoin d’une protection supplémentaire ou temporaire, un récépissé pour non-divulgation des informations contenues dans le dossier personnel du requérant. |
À la demande du requérant, un avocat doit participer à l’examen préliminaire de la demande de reconnaissance du statut de réfugié ou d'une personne ayant besoin d’une protection supplémentaire.
5.3 La langue des autorités nationales, régionales et municipales
L'emploi de la langue officielle est obligatoire dans les travaux des autorités de l'État, y compris en Crimée dont l'annexion russe n'est pas reconnue par l'Ukraine, ainsi que dans les collectivités locales, les entreprises, les institutions et les organismes de propriété nationale et municipale. L'ukrainien est également la seule langue utilisée lors des élections, des référendums et des campagnes électorales. Selon la Loi sur l'élection des députés du peuple d'Ukraine (2012), l'article 27 impose la maîtrise de la langue officielle pour se présenter comme candidat ou candidate à l'élection à la Rada suprême. De plus, en vertu de l'article 69, tout le matériel de campagne doit être publié en ukrainien à côté de celui en une autre langue:
Article 69
Matériel de campagne électorale |
Selon la Loi sur la langue, l'ukrainien devra être appliqué à toutes les tâches officielles du pays. Cela comprend les fonctionnaires de tous les niveaux, les responsables de l'application des lois, les procureurs, les juges, les avocats, les notaires, les directeurs d'école, les enseignants et les scientifiques, les agents de santé d'institutions municipales et d'État, les employés d'entreprises, d'institutions et d'organisations à propriété publique et publique. L'article 13 de la Loi sur la fonction publique (2016) prévoit d'organiser, avec la participation des établissements d'enseignement, la formation des fonctionnaires afin d'améliorer leur niveau de maîtrise dans la langue officielle, voire dans la langue régionale ou nationale minoritaire, ainsi que dans une langue étrangère:
Article 13
Organisme exécutif central, qui
assure la formation et la mise en œuvre de la politique de l'État
dans le domaine de la fonction publique
|
Tout ce beau monde devra prouver son niveau de connaissance de la langue ukrainienne avec un document officiel. Pour les fonctionnaires, à l'exception des députés locaux et des fonctionnaires des administrations locales, ainsi que pour la direction des organismes chargés de l'application des lois, les procureurs, les juges et les chefs d'établissements d'enseignement, il s'agit d'un Certificat de compétence linguistique de la langue ukrainienne émis par la Commission nationale des normes linguistiques. Pour les autres, le diplôme d’enseignement secondaire suffira.
L'article 14 de la Loi sur la langue impose l'emploi de l'ukrainien dans les tribunaux:
Article 14
Application de la langue officielle à la magistrature 2) Le tribunal peut utiliser une autre langue que la langue officielle, conformément à la manière prescrite par les codes de procédure de l'Ukraine et par la loi ukrainienne portant «sur le système judiciaire et le statut des juges». 3) Les tribunaux prennent les décisions et les publient dans la langue officielle, conformément à la manière prescrite par la loi. Le texte de l'arrêt judiciaire doit être basé sur les règles de la langue officielle. |
En vertu de l'article 16, la langue des actes normatifs, de la documentation, de la tenue des registres, des activités officielles et de la communication avec les citoyens ukrainiens dans les services de détection et de répression, les services de renseignement, les organismes publics à vocation spécifique chargés de faire respecter la loi doit être la langue officielle. Une personne qui ne comprend pas la langue officielle peut communiquer dans une langue acceptable pour les parties, ainsi que par un interprète, par un employé d'un organisme chargé de l'application de la loi, un service de renseignement, un organisme spécialisé de l'État doté de fonctions d'application de la loi. Les autorités officielles ne devront utiliser le logiciel qu'en ukrainien. Si cela n'est pas possible, un logiciel en anglais est autorisé.
Quant à l'article 12 de la Loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges (2010), elle prévoit l'emploi obligatoire de la langue officielle dans les tribunaux ukrainiens tout en autorisant le droit des citoyens à utiliser leur langue maternelle :
Article 12 Langue de la justice et
de la procédure judiciaire |
Dans le domaine des relations de travail, l'article 20 de la Loi sur la langue de 2019 oblige l'emploi de l'ukrainien :
Article 20 Langue officielle dans le domaine des relations de travail
3) Les contrats de travail en Ukraine doivent être conclus dans la langue officielle, ce qui n'empêche pas les parties d'utiliser un contrat de travail pour la traduction. |
Il en est ainsi dans le domaine des soins de santé:
Article 33 Langue officielle dans le domaine de la santé |
Toutes les dénominations concernant les autorités de l'État et les organismes d'autonomie locale, ce qui inclut la Crimée (même devenue russe), doivent avoir une appellation en ukrainien (art. 39). La dénomination officielle des autorités de l'État, des autorités de la République autonome de Crimée et des organismes d'autonomie locale, des entreprises, des institutions et des organismes appartenant à l'État et aux collectivités municipales doit être inscrite dans la langue officielle. L'inscription des noms officiels des autorités s'applique aux sceaux, aux timbres, aux tampons, aux formulaires et à tout autre signe ou logo officiel.
De plus, l'article 13 de la Loi sur les forces armées ukrainiennes (1992-2023) impose l'ukrainien comme langue officielle dans l'armée:
Article 13 Langue dans les forces armées ukrainiennes 1) La langue des forces armées ukrainiennes est la langue officielle. 2) La langue des statuts, de la documentation, du travail de bureau, des commandements, de la formation, des activités éducatives, des autres communications statutaires et des activités officielles dans les forces armées ukrainiennes est la langue officielle. |
Pour résumer, on peut dire que les fonctionnaires et les candidats à une fonction représentative (président, ministres, avocats, notaires, médecins, militaires, enseignants et agents des entreprises publiques et municipales) sont tenus de maîtriser l'ukrainien, tests à l'appui. Selon la loi, la connaissance de la langue ukrainienne doit être l’une des principales conditions pour occuper des postes à responsabilité dans l’État; les discours publics ne doivent être tenus qu’en ukrainien; la moitié de l’édition imprimée doit être publiée dans la langue officielle; dans les magasins et les restaurants, les employés doivent répondre en ukrainien si les clients s’adressent à eux en ukrainien. La nouvelle loi prévoit des garanties pour l'emploi de la langue ukrainienne dans l'espace public et ne couvre pas la langue de la communication privée et la langue des pratiques religieuses.
5.4 La langue officielle en éducation
Au cours des dernières décennies de l'Union
soviétique, la langue russe se trouvait alors en pleine
expansion au détriment de l’ukrainien. En 1991, l'accession à
l'indépendance de l'Ukraine eut des conséquences importantes dans le
domaine linguistique. Ainsi, alors qu'en 1992 l’ukrainien était
langue d’enseignement dans 49% des lycées et le russe dans 50% des
autres, la situation avait grandement changé en 2001, puisque
l'ukrainien était enseigné dans 70% des mêmes établissements et dans
29% de ces derniers pour le russe. Encore aujourd'hui, certains établissements
d'enseignement peuvent continuer à offrir un enseignement en russe
dans des écoles où la langue officielle est l’ukrainien. Quand on consulte le tableau ci-contre, on constate qu'en 1987, juste avant l'indépendance, il y avait beaucoup plus d'écoles russes que d'écoles ukrainiennes dans la plupart des villes — à l'exception de Lviv et Ternopil dans l'Est. Pourtant, l'ukrainien était la langue de la majorité de la population. Même à Kiev, la capitale, on comptait 34 écoles ukrainiennes contre 152 écoles russes et 88 écoles mixtes. À Donetsk, il n'y avait que des écoles russes (146). C'est effarent de constater qu'à Zaporijjia il n'y avait qu'une seule école ukrainienne et 95 écoles russes. Sous le régime soviétique, l'Ukraine était devenu un pays culturellement et linguistiquement russifié! Suite à la révolution de Maïdan en novembre 2013 et la guerre au Donbass en 2014, l’ukrainien est devenu obligatoire dans les écoles en 2017; et des modifications à la Loi sur l'éducation et à la Loi sur la langue en 2019 ont été adoptées pour le rendre obligatoire, par étapes, dans tous les domaines de la vie publique. |
- La structure du système d'éducation
L'éducation en Ukraine possède une structure de type européen et comprend l'enseignement préscolaire, l'enseignement secondaire général, l'enseignement extrascolaire, l'enseignement professionnel et technique, l'enseignement supérieur.
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Malgré ces catégories (niveaux I à III), les élèves étudient généralement dans le même établissement scolaire tout au long de leurs études primaires et secondaires. La plupart des établissements possèdent en effet les trois niveaux d'enseignement. Les établissements d’enseignement privés scolarisent environ 1% des élèves dont l’âge est compris entre 15 et 17 ans et 7% environ des élèves au niveau de l’enseignement supérieur. À partir de 2018, l'éducation primaire et secondaire se déroule sur douze ans, contre onze ans auparavant. Quant à l'enseignement préscolaire, il est offert dans les crèches, les jardins d'enfants et la famille. Selon la loi ukrainienne sur l'éducation, les citoyens ukrainiens ont le droit de recevoir leur instruction sous diverses formes: à temps plein (à temps plein), en soirée, par correspondance ou en externat.
- L'enseignement préscolaire
Créé en 1969, le «Nouveau programme d'éducation à la maternelle» ("Prohrama
vykhovannya v dytyachomu sadku") réglementait l'ensemble de
l'enseignement préscolaire: il prévoyait le régime quotidien, l'enseignement
obligatoire défini, des jeux et un programme établi pour tous les types
d'enseignement.
Pour l'année scolaire 1973-1974, on comptait 5800 écoles qui
recevaient 260 000 enfants. Plus de 70% des fermes collectives abritaient
également des jardins d’enfants. Les crèches et les jardins d’enfants sont
aujourd'hui partiellement gratuits (1/3 du coût est payé). Depuis 1976, des
écoles normales préparent les enseignants à œuvrer dans les établissements
préscolaires dans le cadre de programmes permettant au
personnel d’instruire les enfants de tous âges, à commencer par les
nourrissons. Malgré l’augmentation du nombre de locaux, seuls 37 % des
enfants fréquentaient des établissements pour enfants en 1976.
Les écoles maternelles sont publiques et privées, mais souvent ces établissements publics ne sont pas en mesure de fournir des places pour tous les enfants d'une localité. Dans un contexte de loi martiale depuis l'invasion russe, la plupart des établissements préscolaires sont gérés par les municipalités et la langue d'enseignement est l'ukrainien, mais il existe des exceptions pour les enfants des minorités nationales. Dans le Dunbass et les territoires occupés par la Russie, seul le russe est enseigné.
- L'enseignement de la langue officielle
Le long article 21 de la Loi sur la langue de 2019 traite de l'éducation (une quinzaine de paragraphes). Il est énoncé que «la langue du système d'éducation dans les établissements d'enseignement est la langue officielle». Les établissements d'enseignement doivent assurer l'étude obligatoire de la langue officielle, en particulier les établissements d'enseignement professionnel et d'enseignement supérieur dans la mesure où il est possible d'exercer une activité professionnelle dans le domaine choisi en utilisant la langue officielle. Cependant, les membres appartenant à des minorités nationales d'Ukraine se voient garantir le droit d'étudier dans les établissements d'enseignement municipaux pour l'enseignement préscolaire et primaire, ainsi que la langue officielle et la langue de la minorité nationale concernée en Ukraine:
Article 21 Langue officielle dans le domaine de l'éducation |
L'État ukrainien doit aussi promouvoir l'étude des langues de communication internationale, principalement l'anglais, dans les établissements d'enseignement publics. De plus, dans les établissements d'enseignement, selon le programme d'enseignement en vigueur, une ou plusieurs disciplines peuvent être enseignées dans au moins deux langues, la langue officielle, l'anglais ou d'autres langues officielles de l'Union européenne.
L'article 7 de la Loi sur l'éducation (2019) reprend en touts points les mêmes dispositions que dans l'article 21 sur la Loi sur la langue, sauf pour les paragraphes 6 et 8 des deux lois, puisque l'une parle de la «langue ukrainienne» (українська мова = ukrayinsʹka mova), l'autre de la «langue officielle» (державна мова = derzhavna mova) :
Article 7 (Loi sur l'éducation) 6) L'État encourage la création et le fonctionnement à l'étranger d'établissements d'enseignement dans lesquels l'enseignement est donné dans la langue ukrainienne ou offert au moyen de la langue ukrainienne [українська мова = ukrayinsʹka mova]. |
Article 21
(Loi sur la langue) 8) L’État encourage la création et le fonctionnement à l’étranger d’établissements d’enseignement dans lesquels l’enseignement est donné dans la langue officielle ou est offert au moyen de la langue officielle [державна мова = derzhavna mova]. |
- L'enseignement obligatoire de l'ukrainien
Aujourd'hui, l'enseignement de l'ukrainien est obligatoire dans toutes les écoles publiques. Au primaire, l'ukrainien reste de loin la matière la plus enseignée, avec 19 heures, sur un total de 72:
Disciplines |
Heures d'enseignement hebdomadaires |
|||||||||
Cours primaire de trois ans |
Cours primaire de quatre ans |
|||||||||
Année de scolarité |
1 |
2 |
3 |
Total |
1 |
2 |
3 |
4 |
Total |
|
Matières obligatoires |
||||||||||
1. Ukrainien |
8,5 |
8 |
8 |
24,5 |
7,5 |
7,5 | 7 | 7 | 29 | |
2. Mathématiques |
5 |
5 |
5 |
15 |
4 |
4 |
4 |
4 |
16 | |
3. Environnement |
1 |
1,5 |
1,5 |
4 |
1 |
1 |
1,5 |
1,5 |
5 | |
4. Musi que et arts |
2 |
2 |
2 |
6 |
2 |
2 |
2 |
2 | 8 | |
5. Éducation physique |
2 |
2 |
2 |
6 |
2 |
2 |
2 |
2 |
8 | |
6. Éducation au travail |
1 |
1 |
1 |
3 |
1 |
1 |
1 |
1 |
3 | |
7. Protection de la santé |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
1,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
2 | |
Total |
20 |
20 |
20 |
60 |
18 |
18 |
18 |
18 |
72 |
Le tableau ci-dessous indique le nombre d'heures consacrées à la langue ukrainienne dans les écoles secondaires, par comparaison aux autres matières. La langue et la littérature ukrainiennes occupent 30 heures d'enseignement:
Disciplines |
Heures hebdomadaires dans les classes 5 à 9 |
||||||
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
Total |
||
Matières obligatoires | |||||||
1 | Langue ukrainienne |
5 |
4 |
4 |
3 |
2 |
18 |
2 | Littérature ukrainienne |
2 |
2 |
2 |
3 |
3 |
12 |
3 | Littérature étrangère |
2 |
2 |
2 |
2 |
2 |
10 |
4 | Langue étrangère |
4 |
3 |
3 |
3 |
2,5 |
15,5 |
5 | Mathématiques et bases d'informatique |
4,5 |
4,5 |
4,5 |
4,5 |
4,5 |
22,5 |
6 | Histoire de l'Ukraine |
1 |
1 |
2 |
2 |
6 |
|
7 | Histoire du monde |
2 |
1 |
1 |
1 |
5 |
|
8 | Sciences juridiques |
1,5 |
1,5 |
||||
9 | Géographie |
2 |
2 |
2 |
2 |
8 |
|
10 | Environnement et sciences de la nature |
1 |
1 |
||||
11 | Biologie |
2 |
2 |
2 |
2 |
8 |
|
12 | Physique |
2 |
2 |
3 |
7 |
||
13 | Chimie |
2 |
2 |
4 |
|||
14 | Musique et arts |
2 |
2 |
2 |
1 |
7 |
|
15 | Éducation physique |
2 |
2 |
2 |
2 |
2 |
10 |
16 | Éducation au travail |
2 |
2 |
2 |
2 |
2 |
10 |
17 |
Protection de la santé |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
4,5 |
Total |
26 |
28 |
30 |
32 |
32 |
Chez les plus jeunes, notamment dans les grands centres, le choix de l’anglais comme langue seconde apparaît de plus en plus important. Ensuite vient le russe en deuxième place, puis l'allemand comme troisième langue. En 2013, les langues étrangères les plus enseignées dans les écoles primaires et secondaires étaient l’anglais (3,5 millions d'élèves), suivi de l’allemand (592 000) et du français (193 200). Dans les universités, l'apprentissage de nombreuses langues étrangères est possible: anglais, allemand, français, espagnol, russe, chinois, japonais, italien, japonais, coréen, arabe, turc, persan, etc.
- Les langues d'enseignement
Au 1er septembre 2016, il y avait 16858 écoles secondaires
en Ukraine pour plus de 3,8 millions d'élèves inscrits. Quelque
16678 écoles publiques et municipales représentaient la majorité
des élèves (selon le ministère de l'Éducation et des Sciences, 3,8 millions d'enfants), et 23 466 élèves fréquentaient 180 établissements
privés. Dans l'ensemble, 89,7% des écoles ukrainiennes enseignent en ukrainien, ce qui constitue la grande majorité des écoles, alors que dont 9,4% sont russophones. Il existe aussi quelques écoles où l'enseignement est donné en d'autres langues pour certaines minorités nationales (hongrois, tatar, moldave, etc.), ainsi qu'en anglais. Dans les établissements publics d'enseignement général, le pourcentage d'emploi de la langue ukrainienne atteint 89,8% et le russe 9,2%, tandis que dans les écoles privées les chiffres diffèrent grandement : 55% pour l'ukrainien et 41,1% pour le russe. Les écoles où l'enseignement n'est pas en ukrainien sont situées dans l'est et le sud du pays, notamment dans les oblasts de Donetsk (40,5%), de Louhansk (34,9%), d'Odessa (30,6%) ), de Kharkiv (27,1%) et de Zaporijjia (24,6%), ainsi que de façon moindre dans les oblasts de Kherson et de Dnipropetrovsk. Ailleurs, la plupart des écoles de langue ukrainienne dépassent les 90% et certaines atteignent presque 100%: Tcherkassy (99,2%), Kiev-oblast (99,5%), Jytomyr (99,5%), Ternopil (99,9%), Volhynie (99,9%), Khmelnitski (99,6%), Vinnytsia (99,6%), Lviv (98,7%), Rivne (100%). |
- La ré-ukrainisation de l'école
Dans la capitale ukrainienne, 97,1% des écoles sont
ukrainiennes et 2,7% sont russophones. Il existe une
minorité hongroise en Transcarpathie et une minorité
roumaine/moldave en Tchernivtsi. Au cours de l'année scolaire 2019-2020, dans l'ensemble de l'Ukraine, 96,2 % des élèves du pays recevaient un enseignement en ukrainien, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde, si l'on exclut la Crimée. Seuls les oblasts de Tchernivtsi (87%), d'Odessa (88%), de Zaporijia (88%) et de Kharkiv (85%) affichaient un taux de moins de 90%. On peut donc dire que les autorités ukrainiennes ont réussi leur pari de faire de l'ukrainien la langue commune interethnique plutôt que le russe. À la fin de leurs études, les jeunes doivent posséder les compétences qui leur seront utiles dans la société ukrainienne moderne. Il s'agit notamment de la maîtrise de la langue officielle, des compétences dans les domaines des mathématiques, de la culture, de l'environnement, de l'esprit d'entreprise et de l'innovation, de l'économie, sans oublier la pensée critique, la créativité, l'initiative, la capacité de gérer les émotions de manière constructive, à évaluer les risques, à prendre des décisions, à résoudre des problèmes, etc. Toutefois, depuis septembre 2020, les écoles de langue russe ont dû passer à l'ukrainien comme langue d’enseignement à partir de la 5e année. Pour les élèves parlant des langues minoritaires appartenant aux langues de l’Union européenne, ce passage commençait en septembre 2023. Selon le ministère de l’Éducation et des Sciences, cette différence dans la transition est due au fait qu’il serait plus facile pour les enfants qui étudient en russe d’apprendre l’ukrainien, car les langues appartiennent au même groupe linguistique. |
Ainsi, en septembre de l'année 2020, pour la première fois en un siècle de russification, toutes les écoles russophones d'Ukraine (au secondaire et à l'université), qui enseignaient auparavant en russe, sont passées à l'étude à 100 % de toutes les matières d'enseignement dans la langue officielle. Les élèves de toutes les classes de la 5e à la 11e année de 194 écoles russophones, soit près de 200 000 écoliers, sont passés à la langue d'enseignement ukrainienne. En 2023, selon le ministère de l’Éducation et des Sciences, il resterait 125 écoles de langue russe en Ukraine. En outre, 43 écoles privées enseignent encore en russe. Indépendamment de ce que le président Volodymyr Zelensky aura réussi et échoué pendant son mandat, le fait que la russification de l'éducation ukrainienne ait pris fin sous sa présidence restera dans les mémoires des manuels d'histoire du pays. Cela dit, cette situation ne vaut pas dans les territoires occupés par la Russie (voir plus loin).
Dans les faits, les autorités ukrainiennes ont compris que le libre choix des langues, s'il est guidé par le seul souci de faire apprendre à ses enfants la langue la plus «rentable» conduit nécessairement à l’écrasement de la langue la plus faible par la langue la plus forte dans des domaines sans cesse plus étendus. En Ukraine comme ailleurs, la seule protection durable pour la langue ukrainienne menacée consiste à promouvoir par des mesures coercitives l’emploi et l’apprentissage de la langue menacée. De plus, l'histoire a aussi démontré que, en situation de concurrence linguistique, l'ukrainien ne faisait pas le poids devant le russe. En éliminant cette concurrence, l'ukrainien peut espérer reprendre la place qui lui est due.
Selon la Loi sur la langue, les établissements privés qui offrent un enseignement secondaire complet peuvent choisir indépendamment leur langue d’enseignement, y compris en russe ou en anglais. Néanmoins, les écoles privées doivent également assurer une étude correcte de la langue officielle.
- L'enseignement des langues étrangères
Dans le domaine de l'enseignement des langues étrangères, des changements importants ont lieu en Ukraine. Le développement de l'État ukrainien et les processus d'intégration européenne imposent de nouvelles exigences pour la maîtrise des langues étrangères, y compris l'anglais. Dans les grands centres urbains, le choix de l’anglais comme langue seconde langue devient de plus en plus important, et tend à remplacer le russe qui demeure encore la première langue «étrangère»» enseignée, suivie l'anglais (3 534 227 d'étudiants), puis de l'allemand (592 086) et du français (193 201). Dans les faits, le niveau de maîtrise des langues étrangères, à l'exception du russe, chez les Ukrainiens semble extrêmement bas. Selon le British Council, seuls environ 7% des Ukrainiens peuvent parler couramment l'anglais, contrairement à au moins 50% des locuteurs qui parlent l'anglais dans la plupart des pays de l'Union européenne; dans les pays scandinaves, ce pourcentage atteint 80% à 90%. Quant aux autres langues étrangères, la situation en Ukraine n'est pas très enviable, sauf pour l'espagnol. |
- L'enseignement supérieur
Depuis l'indépendance, les autorités
ukrainiennes ont voulu se distancier du modèle universitaire
soviétique. Ainsi, la centralisation, l’intervention de l'État à
tous les niveaux (p. ex. la gestion du système, la planification
des cadres, le choix des contenus et des méthodes, etc.) et une
forte idéologisation de l’enseignement ont été considérés comme
les principaux obstacles au développement d’un nouveau système
démocratique de l’enseignement supérieur. Selon les
réformateurs, il fallait abandonner le principe du «nivellement
soviétique» au profit d'un «modèle occidental» perçu comme plus
«compétitif».
Les autorités ont cru devoir discréditer le «passé socialiste» et
idéaliser «l'expérience européenne», justifiant ainsi des
changements structurels. Il faut dire que le développement des
marchés dans l’enseignement supérieur a toujours été lié à une
demande de formation supérieure réservée généralement à l’élite
du système soviétique.
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, le réseau des
universités ukrainiennes s'est largement développé en raison de
l'émergence d'établissements privés. Selon les statistiques, le
nombre d'établissements d'enseignement supérieur est passé de
149 en 1990 à 353 en 2009; puis il est progressivement passé à
287 en 2017. Depuis 1991, 126 universités privées ont vu le
jour. Outre les universités privées, les institutions publiques
ont également commencé à offrir des formations «payantes».
Actuellement, il existe en Ukraine 91 universités, dont la
plupart se nomment «Université nationale». Ce statut est accordé
aux établissements qui se distinguent par leur formation
professionnelle de haut niveau et par leur participation à
la construction démocratique de la société ukrainienne ou encore
par leur rayonnement international. L'Ukraine a signé la
Convention de Lisbonne sur la reconnaissance des qualifications
relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne
(1997). En mai 2005, l'Ukraine est devenue membre à part
entière du Processus de Bologne, dont l'un des objectifs est de
créer un système de diplômes universitaires facilement
reconnaissable et comparable, de promouvoir la mobilité des
étudiants, des enseignants et des chercheurs, et de garantir un
enseignement et un apprentissage de grande qualité. Ainsi,
l'Ukraine est un membre participant actif du développement de
l'espace européen dans le domaine de l'éducation supérieure.
Les établissements d'enseignement supérieur comprennent les
écoles techniques, les collèges, les instituts, les
conservatoires, les académies, les universités, etc. Selon le
statut des établissements d'enseignement supérieur, quatre
niveaux d'accréditation sont établis:
- I : les écoles techniques;
- II : les collèges et autres institutions équivalentes;
- III et IV : les académies, les universités, les instituts, les conservatoires.
De plus, l'article 48 de la Loi sur l'enseignement supérieur impose l'ukrainien comme langue d'enseignement:
Article 48
Langue de la pratique
pédagogique dans les établissements d'enseignement
supérieur |
Le paragraphe 48.2 énonce que l'emploi des langues dans les établissements d'enseignement supérieur est régie par la Loi visant à assurer le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle, c'est-à-dire la Loi sur la langue, dont l'article 21 prescrit l'emploi de l'ukrainien :
Article 21 Langue officielle dans le domaine de l'éducation 2) Les établissements d'enseignement doivent assurer l'étude obligatoire de la langue officielle, en particulier les établissements d'enseignement professionnel (technique / professionnel) et d'enseignement supérieur dans la mesure où il est possible d'exercer une activité professionnelle dans le domaine choisi en utilisant la langue officielle. |
Selon l'article 45 de la Loi sur l'enseignement supérieur (2014-2019), les candidats et les candidates qui désirent accéder aux études supérieurs doivent réussir un test d'admission en ukrainien:
Article 45
Évaluation externe
indépendante |
Les tests d'admission dans une autre langue ne valent que pour les études dans quelques langues étrangères, soit l'anglais, l'allemand, le français ou l'espagnol. En réalité, l'ukrainien et d'autres langues officielles de l'Union européenne peuvent être utilisées comme langues pour les étudiants étrangers, mais le russe n'en fait pas partie.
De plus, la loi indique clairement que la langue d'enseignement est l'ukrainien et que seules quelques matières peuvent être enseignées dans les langues de l'Union européenne. L'ancienne règle, qui autorisait la langue russe dans les établissements d'enseignement supérieur, a été supprimée lors de l'examen de la Commission de l'éducation, des sciences et de l'innovation. Toutefois, certains établissements enfreignent la règle en utilisant le russe dans les cours; ils ne semblent pas en être inquiétés. De nombreux étudiants étrangers venant des anciens pays de la Communauté des États indépendants (CEI): Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, etc.
Quoi qu'il en soit, le président Volodymyr Zelensky a signé, le 18 décembre 2019, la Loi sur les amendements à certaines lois de l'Ukraine sur l'amélioration des activités d'enseignement dans l'enseignement supérieur; qui avait été adoptée au Parlement le 22 octobre 2019. Cette loi modifie notamment l'article 48 de la Loi sur l'enseignement supérieur en ajoutant ce paragraphe qui permet d'enseigner en russe à des étudiants étrangers :
Article 48
Langue de la pratique
pédagogique dans les établissements d'enseignement
supérieur |
Selon la spécialisation choisie, les étudiants ont la possibilité d'étudier en ukrainien, anglais ou en russe, voire en français, en allemand ou en espagnol. Si un étudiant étranger ne les connaît pas bien, il est possible d'améliorer ses compétences linguistiques dans les cours préparatoires pour étrangers, dont la durée des études ne dépasse généralement pas un an.
Les plus grandes universités en Ukraine sont les suivantes: l'Université nationale Tarass Chevtchenko de Kyiv, l'Université nationale Ivan Franko de Lviv, l'Université nationale V.N. Karazine de Kharkiv, l'Université nationale I.I. Metchnikov d'Odessa, etc.
- Les problèmes en éducation
Le problème du sous-financement des établissements
d'enseignement demeure un problème très aigu en Ukraine. L'un des
premiers facteurs concerne le salaire des enseignants, lequel est
nettement inférieur au salaire moyen des travailleurs dans le
domaine industriel. L'inadéquation entre les salaires des
enseignants et le niveau de subsistance entraîne une pénurie de
personnel dans les établissements d'enseignement.
Parmi les facteurs qui nuisent au processus d'apprentissage, il y a
le manque de manuels modernes et d'aides audiovisuelles, ainsi que le
faible niveau d'informatisation. Ainsi, sur les quelque 21 000
écoles de jour, seulement 10 000 possèdent des ordinateurs modernes.
La fourniture d'installations de formation en général est d'environ
23% des exigences réglementaires, alors que les équipements pour
effectuer des travaux de laboratoire répondent à entre 7% et 10% des
exigences, ce qui réduit grandement la qualité de la formation
pédagogique.
Comme dans plusieurs autres pays post-communistes,
le système d'éducation ukrainien est l'un des secteurs les plus
touchés par la corruption. Ses manifestations vont de la corruption
dans les admissions à la fraude aux examens, à la mauvaise
affectation des fonds disponibles, à l'extorsion d'argent, aux enseignants
fantômes et au plagiat des travaux. Alors que la corruption serait
la plus répandue dans l'enseignement
supérieur, en particulier dans les universités médicales
compétitives, l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) a récemment détaillé des problèmes endémiques similaires
dans le système scolaire ukrainien, du préscolaire au secondaire
supérieur.
L'annexion de la Crimée et la guerre dans les territoires orientaux de l'Ukraine ont eu un impact dévastateur sur la vie économique et politique de l'Ukraine, ainsi que sur son système d'éducation. Selon l'UNICEF, 10 000 personnes ont été tuées et 1,5 million de personnes ont été déplacées. Environ 700 établissements d'enseignement ont été endommagés ou fermés, et quelque 220 000 enfants ont un besoin urgent d'écoles sécurisées.
- Les difficultés dans l'enseignement supérieur
Il y avait 143 établissements d'enseignement supérieurs dans les territoires annexés ou occupés, dont 36 en Crimée et dans la ville de Sébastopol, et 107 dans les parties contrôlées par les rebelles de la région du Donbass dans l'Est. Ces territoires abritaient également 140 établissements de recherche, représentant plus de 12% de tous les établissements de recherche ukrainiens et 31% de l'ensemble des inscriptions dans l'enseignement supérieur. En 2015, seules 16 universités et 10 instituts de recherche avaient réussi à quitter les zones de conflit. L'Ukraine a ainsi perdu une partie importante de ses ressources éducatives et scientifiques et n'a pas encore entièrement résolu le problème des migrants, y compris les étudiants, les enseignants et le personnel administratif, des territoires annexés et occupés.
L'Ukraine apparaît comme l'une des sociétés les plus éduquées au monde avec un taux brut de scolarisation universitaire de plus de 80%, selon l'Unesco en 2014. Pourtant, beaucoup considèrent les établissements universitaires du pays comme rigides et déconnectées des demandes du marché du travail et des besoins de la société. De ce point de vue, la société ukrainienne semble être victime d'une obsession pour l'enseignement universitaire théorique au détriment d'une formation davantage axées sur l'emploi. Le chômage des jeunes est élevé (19,6% parmi les 15 à 24 ans en 2018) et bien au-dessus des taux de chômage de la population en âge de travailler. Plusieurs problèmes graves entravent le secteur de l'éducation en Ukraine. Ils comprennent la corruption universitaire, la diminution de la population, le manque d'autonomie universitaire, les installations désuètes et les conflits armés.
Selon un sondage réalisé par la "Democratic Initiatives Foundation" en décembre 2016, les principaux problèmes de l'enseignement supérieur en Ukraine sont les suivants :
• la corruption des enseignants (37% des répondants);
• la non-reconnaissance des diplômes des universités ukrainiennes dans le monde (34%):
• l'inadéquation de l’enseignement universitaire avec les exigences du marché du travail (32%):
• la faible base matérielle et technique des universités (32%).
La formation de spécialistes se fait sans tenir compte des besoins en perspective de l'économie du pays. En conséquence, une grande partie des diplômés universitaires ne peuvent pas trouver d'emploi et sont obligés de changer leurs qualifications (ou même leur profession) par le biais des centres d'emploi. À l'apogée de l'Union soviétique, il y avait une grande demande pour la formation supérieure dans les sciences dans les domaines de l'industrie, de l'exploration spatiale et des affaires militaires. La situation du marché du travail ukrainien confirme un fait décevant: les qualifications des diplômés, le nombre de nouveaux spécialistes dans certains domaines, la qualité de leurs connaissances et leurs compétences ne répondent pas aux besoins des employeurs. La médiocrité de l'enseignement supérieur produit des spécialistes non sollicités qui remplissent les rangs des jeunes chômeurs année après année. La seule possibilité qui reste pour les diplômés est de se requalifier ou de chercher un emploi en dehors de leur formation. La proportion de personnes contraintes de travailler en dehors de la spécialité acquise à l'université varie de 80% (maximum) à 40% (minimum).
D'autres problèmes découlent de l'héritage du système rigide et très centralisé de l'ancienne Union soviétique. Ainsi, les universités ukrainiennes manquent généralement d'autonomie et d'initiatives. Bien qu'il y ait eu des tentatives accrues pour élargir l'autonomie, les réformes entreprises n'ont pas réussi à produire des changements adéquats, notamment en termes d'autonomie financière des universités publiques. Les universités restent tributaires du gouvernement dans divers domaines cruciaux, notamment les salaires du personnel universitaire, le financement de la recherche et le développement des infrastructures.
Les université souffrent aussi du sous-financement. Une centralisation historique héritée de la gestion de l'enseignement supérieur a conduit à une concentration excessive des pouvoirs entre les mains du ministère de l'Éducation et des Sciences de l'Ukraine. Cette situation a entraîné une augmentation des risques de corruption et de mauvaise gestion dans son ensemble, en raison de la qualité de la mise en œuvre de tous les responsables. La corruption se situe à tous les niveaux du système: dans les relations entre enseignants et étudiants, entre les étudiants eux-mêmes, entre les enseignants et administration de l’enseignement supérieur, entre universités et les organismes gouvernementaux, etc. En ce qui concerne l'Insuffisance des fonds accordés à l'enseignement supérieur, il apparaît urgent de modifier radicalement le système de financement, notamment en diversifiant les sources et en envisageant la possibilité d'un financement direct de la part des étudiants.
-
L'éducation dans les
territoires occupés
Dans les régions passées sous le contrôle de Moscou, les forces
d’occupation mènent une politique de russification des territoires conquis,
c'est-à-dire depuis 2014 dans la Crimée annexée et dans les parties
capturées des régions de Donetsk et de Louhansk, puis maintenant dans les
territoires nouvellement occupés de Marioupol, de Zaporijjia (mais pas la
ville) et de Kherson.
Vladimir Poutine a compris que les écoles constituent le point d'entrée pour changer l'histoire, de sorte que, dès leur entrée dans les territoires contrôlées par l'armée russe, les nouvelles autorités ont immédiatement commencé à planifier l'organisation de l'éducation afin d'exercer la mainmise sur l'opinion publique et la société en général. Dans cette nouvelle réalité, la Russie ne doit pas apparaître comme un agresseur qui aurait attaqué l'Ukraine, détruit Marioupol, commis des crimes de guerre, etc., car la Russie veut plutôt se présenter comme un «libérateur». C'est cette idée que la propagande russe impose aux habitants des territoires occupés. Et cela devait commencer par l'école! En premier lieu, les livres écrits en ukrainien, en particulier les manuels d'histoire de l'Ukraine, furent retirés des bibliothèques scolaires. Ainsi, plus de 22 000 manuels sur l'histoire de l'Ukraine furent au mieux amenés vers une destination inconnue ou furent simplement brûlés ou jetés aux ordures, ce qui a été le cas pour la plupart des livres entreposés dans les bibliothèques publiques. |
Après la destruction des livres en ukrainien, les autorités russes entreprirent d'ouvrir des écoles où les enfants doivent désormais étudier selon les programmes russes officiels, car plus aucune école ne devait enseigner dans la langue ukrainienne.
Il fallut aussi trouver des enseignants «fidèles» et des directeurs d'école «coopératifs». Peu d'entre eux ont accepté ce genre de coopération. Devant cette situation, la Russie a dû recourir à des méthodes connues: faire pression, intimider et kidnapper les enseignants et le personnel qui refusaient de coopérer. Devant ce résultat décevant et ne trouvant pas assez de collaborateurs, les occupants russes réquisitionnèrent des enseignants de Crimée et de la Russie pour les envoyer enseigner aux enfants ukrainiens selon le programme pédagogique russe. Les nouveaux enseignants doivent instruire les enfants en russe dans toutes les matières et en «adaptant» une partie du passé ukrainien. Dans ce programme adapté, les personnages historiques de la Russie tsariste ou de la Russie soviétique, Pierre le Grand ou Lénine et Staline, sont devenus les nouveaux héros dans l'Ukraine occupée. Tous les personnages ukrainiens sont maintenant présentés sous un jour négatif ou sont disparus complètement du programme scolaire.
Mais la Russie fut confrontée au refus des parents d'envoyer leurs enfants à l'école russe, de sorte que le nombre d'écoles ouvertes à la rentrée scolaire dans les territoires occupés est demeuré faible. Seules 10% des écoles ont pu ouvrir avec fort peu d'élèves. C'était ignorer les capacités de la Russie d'en arriver à ses fins. Les parents qui ont refusé d'envoyer leurs enfants à l'école ou dans les jardins d'enfant furent menacées d'amendes et de confiscation de leurs biens. Les occupants menacent d'amendes de 4000 roubles (50$US ou 45 €) par enfant et de confiscation de leurs biens.
Ainsi, les forces occupantes prévoient «éduquer» la population par la désukrainisation et également recruter les hommes ukrainiens faits prisonniers en les mobilisant dans ses forces armées dans des régions précédemment occupées de Donetsk et Louhansk, ainsi que de la Crimée.
5.5 La langue officielle dans la culture et les sciences
L'article 23 de la Loi sur la langue de 2019 traite de la culture. Il est explicitement indiqué que les différents événements d'ordre culturel (divertissement, loisirs, billets, théâtre, musées, expositions, publicité, etc.) doivent dans la langue officielle. Après la mise en vigueur du 16 juillet 20121, les théâtres nationaux et municipaux sont autorisés à présenter des représentations dans une langue non officielle, mais avec des sous-titres, une traduction audio ou autre; pour les théâtres privés, cette exigence n'existe pas du tout.
Article 23 Langue officielle dans le domaine de la culture |
- Le cinéma
Le paragraphe 6 du même article 23 porte sur la langue de la distribution et de l'affichage des films en Ukraine, qui doit être la langue officielle pour tous les films produits par des cinéastes ukrainiens. Les films nationaux peuvent être projetés en tatar de Crimée, dans d'autres langues des peuples autochtones, conformément à la loi ukrainienne portant «sur la cinématographie». Dans la version principale (de base) du film national (à l'exception des films pour enfants et des films d'animation), il est autorisé d'utiliser d'autres langues dans une proportion ne dépassant pas 10 % de la durée totale de toutes les répliques de participants au film. Lors de la projection nationale du film en Ukraine, ces répliques devraient être doublées ou sous-titrées en ukrainien:
Article 23
6) La langue de distribution et d'affichage des films en Ukraine est la langue
officielle. Les films non identifiés au deuxième paragraphe du présent article doivent être distribués et projetés en Ukraine ou doublés ou prononcés dans la langue officielle. En plus de la langue officielle, les films étrangers peuvent contenir des pistes audio réalisées dans d'autres langues. [...] Dans le cadre d’événements comme des festivals de cinéma organisés en Ukraine en accord
avec l’organisme exécutif central chargé de la mise en œuvre de la politique de
l’État dans le domaine de la cinématographie, les films des établissements
cinématographiques ukrainiens sont autorisés à montrer des films
dans la langue
originale, mais avec des sous-titres réalisés dans la langue officielle. En
dehors des manifestations du festival, ces films doivent être présentés dans la langue
officielle. |
- Les sciences
L'article 22 de la Loi sur la langue impose l'ukrainien dans le domaine scientifique. Lorsque les publications scientifiques sont publiées en anglais ou dans d'autres langues officielles de l'Union européenne, elles doivent être accompagnées d'une annotation et d'une liste de mots-clés dans la langue officielle:
Article 22 Langue officielle le domaine
scientifique Pour les articles publiés dans des revues professionnelles internationales dans d'autres langues que l'anglais, le Conseil scientifique spécialisé peut, par sa décision, obliger à fournir une traduction ou une brève annotation de l'article dans la langue officielle. |
Dans les faits, l'anglais remplace définitivement le russe dans les relations internationales.
L'Union européenne compte 24 langues officielles qui sont utilisées pour la communication officielle au sein des institutions de l'Union européenne: l'allemand, l'anglais, le bulgare, le croate, le danois, l'espagnol, l'estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l'irlandais, l'italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois et le le tchèque. Cependant, les langues officielles de l'Union européenne ne correspondent pas à l'ensemble des langues officielles des États membres. Par exemple, le luxembourgeois, langue officielle au Luxembourg, et le turc, officiel à Chypre, ne sont pas des langues officielles de l'Union. De plus, certaines langues régionales comme le catalan et le gallois ont obtenu un statut de langues co-officielles de l'Union européenne. En Ukraine, les langues officielles de l'Union européenne les plus parlées sont le hongrois, le roumain, le polonais, le bulgare et l'anglais.
5.6 La langue officielle dans le domaine des médias
Durant la période soviétique, tous les médias étaient créés, possédés et contrôlés par l’État. En 1991, après la dissolution de l’URSS et la proclamation de l'indépendance de l’Ukraine, les médias indépendants ont commencé à s'exprimer tout en profitant d’une situation politique chaotique; la plupart des médias écrits étaient encore en russe. À partir de 1994, les oligarques ont pris la main sur les médias privatisés. Sous la présidence du russophone Viktor Iouchtchenko, des réformes furent prises en accordant plus de liberté des médias et moins d’influence gouvernementale. Cependant, c'est la Loi sur la langue de 2019 qui a imposé des restrictions au russe et des quotas à respecter à l'égard de la langue ukrainienne. La loi sur la langue énonce que les médias doivent créer une version en ukrainien dans les trois ans, mais il n'est pas question d'interdire les médias qui publient ou diffusent en d'autres langues. De plus, la Loi sur la télévision et la radio (1994-2019) reprend les mêmes dispositions.
- Les médias électroniques
Toutes les exigences relatives à la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique sont énoncées dans la loi de façon précise. La part des émissions et des films en ukrainien dans le volume de diffusion hebdomadaire total entre 7 h 00 et 18 h 00 et entre 18 h 00 et 22 h 00 doit passer de 75% à 90% de leur durée totale pour les diffuseurs nationaux et régionaux et de 60% jusqu'à 80% pour les diffuseurs locaux. Cependant, cette règle n'entrera en vigueur qu'après le 16 juillet 2024. Selon le Conseil national de la télévision et de la radio, les émissions des chaînes de télévision ukrainiennes étaient en moyenne à 92% ukrainiennes en 2018.
Article 24 Langue officielle dans le domaine de la radiodiffusion télévisuelle et
radiophonique 4) Les règles relatives au calcul de la part des émissions et/ou des films
dans le volume total des émissions, ainsi que des règles relatives au calcul du
pourcentage des chansons interprétées dans la langue officielle lors de la
radiodiffusion, sont dictées par la loi ukrainienne portant «sur la radiodiffusion
télévisuelle et radiophonique. |
Les quotas linguistiques dans les médias paraissent élevés. Le pourcentage obligatoire de programmes en ukrainien passera ainsi de 75% à 90% pour les télévisions nationales et de 60% à 80% pour les chaînes régionales.
- La presse écrite
L'article 4 de la Loi sur la pesse écrite (1993-2018) énonce que la presse écrite en Ukraine est publiée dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues:
Article 4 La langue de la presse écrite 1) La presse écrite en Ukraine est publiée dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues. 2) Le style et le vocabulaire de la presse écrite doivent être conformes aux normes éthiques et morales généralement reconnues. L'emploi de mots abusifs et brutaux n'est pas autorisée. |
Cependant, la Loi sur la langue va beaucoup plus loin en imposant des quotas. La presse écrite n'est pas soumise à certaines prescriptions de la loi jusqu'au 16 janvier 2022, mais à partir de cette date les éditeurs de la presse écrite nationale et régionale pourront publier journaux et magasines dans n'importe quelle langue, à la condition qu'une édition similaire soit publiée également en ukrainien. Pour les médias écrits locaux, cette exigence entrera en vigueur plus tard le 16 juillet 2024. Ces règles ne s'appliquent pas aux médias écrits qui sont publiés exclusivement en tatar de Crimée, dans d'autres langues des peuples autochtones d'Ukraine, en anglais et dans d'autres langues officielles de l'Union européenne:
Article 25 Langue officielle dans le domaine de la presse écrite 2) La distribution de la presse écrite publiée sur abonnement dans d'autres langues que la langue officielle est autorisée à la condition que leurs propriétaires (ou copropriétaires) aient des possibilités d'abonnement en Ukraine à la fois dans la même langue et dans la langue officielle. 3) Les propriétaires (ou copropriétaires)
de la presse écrite sont tenus de produire, de publier et de
remettre un exemplaire obligatoire des documents (numéros
de la presse écrite) dans la langue officielle, conformément à la manière prescrite par la
loi. |
En ce qui concerne l'édition de livres, la loi stipule une règle similaire : au moins la moitié de tous les livres publiés au cours de l'année devraient être publiés par l'éditeur de livres, et au moins 50% des titres vendus dans les librairies ou autres lieux de distribution devraient être dans la langue nationale.
- Les exceptions
Ce genre de prescriptions ne s'applique pas à la publication écrite en tatar de Crimée, dans d'autres langues des peuples autochtones ou des minorités nationales d'Ukraine aux frais des budgets nationaux et/ou locaux, conformément à la loi sur la procédure de réalisation des droits des peuples autochtones, des minorités nationales d'Ukraine. En ce qui concerne la distribution, cette règle ne s'applique pas aux librairies et autres institutions qui distribuent des publications de livres exclusivement dans les langues officielles de l'Union européenne, la langue officielle et/ou les dictionnaires et les guides de conversation de langues étrangères, les manuels d'apprentissage des langues étrangères et les livres spécialisés, réalisation des droits des peuples autochtones et des minorités nationales d'Ukraine.
- La situation réelle
Les médias doivent tenir compte de la composition linguistique de la population. Par conséquent, la diffusion des langues dans l'usage quotidien peut être jugée par la liste des journaux publiés en Ukraine. La répartition des journaux selon les langues dans lesquelles a été publiée en 2015. En analysant le tableau ci-dessous, il est possible de conclure que la part des titres en langue russe en 2015 (30% du total plus 10% des titres bilingues ukrainien-russe) ne reflète pas la proportion des russophones, puisqu'avec 17,2% de la population ceux-ci accaparent 40,5% des journaux. Pour les ukrainophones (75,5%), c'est 68,3%.
Types de journaux |
Nombre des publications |
||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Total |
Langue |
||||||||||
Ukrainien | Russe | Ukrainien et russe | Hongrois | Polonais | Roumain | Anglais | Allemand | Bilingue | Multilingue | ||
Nationaux | 271 | 149 | 99 | 15 | – | – | – | 2 | 3 | – | 3 |
Régionaux | 265 | 171 | 57 | 35 | – | 1 | – | – | – | 1 | – |
Villes | 292 | 156 | 103 | 32 | – | – | – | 1 | – | – | – |
Districts | 390 | 342 | 14 | 28 | 1 | – | 3 | – | – | 2 | – |
Presse des institutions | 105 | 62 | 27 | 16 | – | – | – | – | – | – | – |
Privés | 267 | 85 | 147 | 30 | 3 | 1 | – | – | – | 1 | – |
Promotionnels | 162 | 75 | 64 | 23 | – | – | – | – | – | – | – |
Autres | 94 | 29 | 46 | 14 | 1 | 1 | – | – | – | 1 | 2 |
Total | 1846 (100%) | 1069 (57,9%) | 557 (30,1%) | 193 (10,4%) | 5 | 3 | 3 | 3 | 3 | 5 | 5 |
Source: Zasoby masovoi informatsii ta knyhovydannia v Ukraini u 2015 rotsi, 2016, p. 10.
La situation démontrant la force du russe dans les médias écrits en 2015 s'explique par le fait que les autorités n'ont pas soutenu les journaux en ukrainien en concurrence avec ceux de langue russe. La même année, l'analyse des langues dans l'Internet a également montré la prédominance des sites d'information en langue russe. Étant donné que la langue russe est compréhensible par la majorité absolue des Ukrainiens, les plus grands détaillants en ligne ne traduisaient pas leur site.
En janvier 2022, une nouvelle disposition de la Loi sur la langue a été introduite, en vertu de laquelle les médias imprimés enregistrés en Ukraine étaient tenus de publier en ukrainien. Cela n'interdit pas les publications dans d'autres langues, mais la loi exige que tout le contenu soit également publié en ukrainien. Des exceptions en vertu de cette disposition ont été prévues pour certaines langues comme l'anglais et d'autres langues officielles de l'Union européenne, mais pas pour le russe. Évidemment, ce n’est pas considéré comme une option rentable pour les éditeurs dans le marché en déclin des médias imprimés.
5.7 La langue officielle dans les services
En ce qui concerne le fond de l'article 30 de la Loi sur la langue de 2019, l'obligation expliquée qui apparaît correspond à la nécessité de soumettre des informations sur les produit et les service dans la langue officielle, y compris sur les sites Internet (sur les emballages, les étiquettes, etc., qui ont été fournis beaucoup plus tôt et pratiquement entièrement mis en œuvre). En ce qui concerne le service client personnalisé (par exemple, les visiteurs des établissements de restauration, des agences de voyages, etc.), le service «par défaut» est également public, mais en même temps, il est énoncé que le service personnalisé peut également être fourni dans une langue acceptable par les parties à la demande du client. Autrement dit, le personnel offrant un service public doit d'abord s'exprimer en ukrainien, mais il peut passer à une autre langue si un client le demande, mais à la condition que cette langue convienne aux deux parties pour fournir toutes les informations nécessaires :
Article 30 Langue officielle dans le domaine des services à la clientèle |
Quant à l'article 32 de la
Loi sur la langue
de 2019, il concerne le domaine de la publicité. Toutes les informations
destinées à la publicité générale (annonces, panneaux, enseignes, etc.) doivent
être présentées dans la langue officielle. Cependant, ces informations peuvent
être dupliquées dans d'autres langues, dans les cas prévus par la loi. Un
article concernant la langue de la publicité, qui stipule clairement que la
langue de la publicité est la langue officielle (des exceptions ne sont
possibles que pour la publicité dans les médias ou dans une des langues de
l'Union européenne), entrait en vigueur le 16 janvier 2020. Voici cet article
32:
Article 32 Langue officielle dans le domaine de la publicité |
Même le matériel de campagne diffusé à la télévision et à la radio, ainsi que celle distribuée sous forme de tracts et de journaux ou sur Internet, doit être dans la langue officielle. Mais la loi va plus loin en touchant la vie publique au sens large. Un serveur dans un restaurant devra d'abord accueillir les consommateurs d’un bar en ukrainien, et un médecin mener ses consultations d'abord en ukrainien. Et après trois ans d’une période de transition, les infractions seront sanctionnées par des amendes.
5.8 La langue officielle dans les toponymes et les patronymes
L'article 41 de la Loi sur la langue de 2019 traite des noms géographiques. Que ce soit les noms de places, de boulevards, de rues, de ruelles, de trottoirs, de passages, d'entrées, d'avenues, de ponts, etc., ainsi que les panneaux de signalisation routière, tout doit être dans la langue officielle, mais il est possible d'employer la langue anglaise ou l'alphabet latin à côté de la langue officielle :
Article 41 Application de la langue
officielle aux noms géographiques et aux noms
d'objets de toponymie 2) Les noms d'objets géographiques de l'Ukraine et des objets de toponymie ne doivent pas être traduits en d'autres langues, mais transmis dans les documents officiels, les médias, les publications cartographiques, de référence, d'encyclopédie, d'éducation et d'autres au moyen de lettres de l'alphabet correspondant en fonction de la phonétique dans la langue officielle. 3) Les noms d'objets géographiques et
toponymiques situés sur le territoire des autres pays, ainsi que les noms
géographiques et les objets toponymiques non couverts par la souveraineté et la
juridiction d'un autre État, lorsqu'ils sont utilisés en Ukraine, doivent être
présentés dans la langue officielle
avec une transcription de la langue d'origine en tenant compte des
particularités de la phonétique et de l'orthographe ukrainiennes. S'il s'agit
d'un objet géographique, le nom de lieu doit porter un nom d'origine
ukrainienne; ce nom peut être utilisé à la place d'une langue étrangère ou à
proximité de celle-ci. Les documents officiels doivent donner la préférence
au nom d'origine ukrainienne. |
Une section distincte de la de la Loi sur la langue (section VI , articles 39 à 42) traite de l'utilisation de la langue ukrainienne comme langue officielle dans les noms et prénoms des particuliers. Pour ce qui est des prénoms, des noms ou des patronymes des citoyens d'Ukraine, ils doivent être affichés selon les règles de l'orthographe ukrainienne, ni être traduits, sinon par des lettres de l'alphabet correspondant en fonction du son de la langue officielle. La loi prévoit également qu'une personne a le droit de transcrire ses nom, prénom et patronyme selon sa tradition nationale.
5.9 Les organismes de protection de la langue officielle
La Loi sur la langue ne prévoit pas de «police linguistique», ni d'inspecteurs. En lieu et place, la loi crée deux nouvelles institutions : la Commission nationale des règles de la langue officielle (section VII ) et le Commissaire à la protection de la langue officielle (section VIII).
- La Commission nationale des
règles de la langue officielle
La mission de la Commission nationale des règles de la langue
officielle (Natsionalʹna komisiya zi standartiv derzhavnoyi movy), conformément à l'article 43 de la
Loi sur la langue
de 2019, est de préserver et de développer la langue officielle en
établissant des règles et des méthodes de vérification du niveau de
maîtrise de la langue officielle requis pour acquérir la nationalité ou
occuper des postes statutaires:
Article 43
Commission nationale des règles de la
langue officielle |
Les pouvoirs de la Commission nationale des règles de la langue officielle consistent notamment à élaborer et approuver les règles de la langue officielle (orthographe, terminologie, transcription et translittération) et approuver les exigences relatives à la maîtrise de la langue officielle pour l’acquisition de la citoyenne :
Article 44
Pouvoirs de la Commission nationale des
règles de la langue officielle
|
- Le Commissaire à la
protection de la langue officielle
Selon l'article 49 de la
Loi sur la langue,
la tâche du commissaire à la protection de la langue officielle ("upovnovazhenyy
iz zakhystu derzhavnoyi movy")
est de promouvoir le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que
langue officielle dans les domaines de la vie publique et de supprimer
les obstacles et les restrictions dans son emploi:
Article 49
Commissaire à la protection de la langue officielle
3) Le commissaire est un fonctionnaire dont le statut est déterminé par la
présente loi. |
Le Cabinet des ministres de l'Ukraine nomme le commissaire et assure la composition de la Commission nationale des règles de la langue officielle dans un délai de trois mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, c'est-à-dire jusqu'au 16 octobre 2019. Le commissaire doit aussi examiner les plaintes pour violation de la loi. Toutefois, en cas de violation de l'un des articles de cette loi, la responsabilité pénale n'est pas prévue pour les individus, sauf pour les agents de l'administration de l'État avec un avertissement si l'infraction est commise pour la première fois.
Le commissaire à la protection de la langue officielle a accusé le président ukrainien Volodymyr Zelensky d'avoir enfreint la Loi sur la langue en raison de son emploi fréquent de la langue anglaise, notamment lorsqu'il s'adresse à des auditoires étrangers. Selon la loi, il devrait toujours employer l'ukrainien. Le Kremlin est même intervenu pour rappeler au président ukrainien qu'il ne respectait pas sa propre loi.
De nombreux pays ont des commissions ou des comités linguistiques, mais en général ces derniers ne sont pas contrôlés par les autorités publiques, alors que c'est le cas en Ukraine. Ces commissions ou comités font des recommandations concernant l'emploi de la langue officielle. Lorsque le bilinguisme des services publics est réglementé par la loi, les autorités publiques sont alors tenues d'émettre la totalité ou une partie de leurs documents en deux langues. La législation peut préciser quels sont les documents qui doivent être imprimés dans une seule langue et lesquels doivent être multilingues, ces règles pouvant même varier selon la région. Habituellement, il est prévu que les citoyens se plaindront eux-mêmes si les agences gouvernementales ne fournissent pas de documents dans une langue reconnue par la loi.
- Les infractions
Dans les cas d'infraction à la loi, un agent de l'État peut être condamné à une amende de 3400 à 6800 hryvnia (de 146 $US à 29 2$US), dans le domaine de la culture, de l'éducation, de la science et des sports, mais une amende de 3400 à 5100 hryvnia (de 146 $US à 220 $US) pour la publicité et de 6800 à 8500 hryvnia (de 292 $US à 365 $US) pour la presse écrite. Si quelqu'un enfreint la loi pour la deuxième fois en un an, l'amende sera de 8500 à 11 900 hryvnia (de 365 $US à 512 $US). Cependant, si l'infraction est produite pour la première fois, un avertissement peut suffire.
Une version précédente du projet de loi prévoyait la responsabilité pénale en vertu de l'article 338 du Code pénal qui condamne les insultes au drapeau national, aux armoiries ou à l'hymne national ainsi qu'à «l'humiliation publique ou l'humiliation de la langue». Ainsi, l'humiliation de la langue officielle serait assimilée à un usage abusif du drapeau, de l'hymne national ou de l'emblème de l'État; une telle infraction, selon le Code pénal, est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à la moitié du revenu minimal non imposable (environ 150 $US/mois) ou d'une peine d'emprisonnement maximale de trois ans:
Кримінальний кодекс (2001-2019) Стаття 338 Наруга над державними символами 1) Публічна наруга над Державним Прапором України, Державним Гербом України або Державним Гімном України -
2) Публічна наруга над офіційно встановленим або піднятим прапором чи гербом іноземної держави -
|
Code pénal (2001-2019) Article 338
2) Tout usage abusif public d'un drapeau ou d'un emblème apposé ou hissé officiellement par un pays étranger :
|
En cours d'examen relatif aux modifications à la loi, les députés ont refusé d'inclure cette disposition du Code pénal pouvant s'appliquer à «l'humiliation de la langue». C'était là l'aspect le plus controversé de la Loi sur la langue, soit la criminalisation de l'humiliation publique ou de la diffamation de la langue officielle. Par exemple, l'humiliation publique ou l'humiliation de la langue officielle pouvait être motif pour refuser d'émettre un certificat pour le droit de distribuer et d'afficher des films.
- Les opposants à la loi
Avant l'adoption de la Loi sur la langue
de 2019, plus de 2000 amendements ont été apportés au projet de loi, ce qui
indique un effort considérable de la part des députés pour en arriver à un
accord. Il est même probable qu'aucun projet de loi dans l'histoire de l'Ukraine
n'a fait l'objet d'un tel travail parlementaire. Il semble que des batailles
féroces entre les partisans pro-ukrainien et les opposants pro-russes au
Parlement aient eu lieu avec chacun des 2000 amendements. Finalement, la loi a
été adoptée par 278 députés sur un total de 450, soit une proportion de 61,7%.
Les opposants à cette loi soutenaient qu'un délit ne peut être réparé par une
autre personne et que les gens devraient être autorisés à parler la langue
qu'ils veulent. Voici les principaux points soulevés:
- la loi discrimine la langue russe en tant que langue des minorités, car elle reçoit le moins de droits par rapport aux autres langues minoritaires, puisqu'à partir de septembre 2020 les écoles de langue russe doivent passer à 80% de l'enseignement en la langue ukrainienne, tandis que dans les écoles pour les minorités nationales avec des langues de l'Union européenne passeront, d'ici 2023, avec 60% en ukrainien ;
- la loi est discriminatoire à l'égard de la langue russe, puisque l'enseignement dans les universités est assuré dans la langue officielle et, à la demande de l'université, il est possible que ce soit en anglais et dans les langues de l'Union européenne;
- des députés recommandaient de reporter l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à l'adoption de la Loi sur les minorités nationales, qui devait garantir les droits des minorités nationales et à minimiser l'obligation des minorités nationales d'utiliser la langue officielle;
- les opposants recommandaient au législateur d'envisager la possibilité d'annuler le mécanisme de dépôt de plaintes et de sanctions prévu par la loi ou, du moins, de le limiter;
- certains voulaient recommander qu'on accorde aux services de l'État le droit de communiquer partout dans le pays dans une autre langue que l'ukrainien, notamment dans des situations d'urgence qui constituent une menace pour la vie, l'état physique ou mental des personnes (pompiers, ambulances, cliniques, hôpitaux, etc.);
- d'autres voulaient qu'on accorde le libre choix de la langue aux enfants dans tout le système d'enseignement.
En fait, les opposants désiraient le plus possible perpétuer le statu quo ou minimiser les changements en faveur de l'ukrainien. C'est ainsi que de de nombreux partisans du statu quo se sont adressés au président russe, Vladimir Poutine, dans l'espoir qu'il intervienne pour faire modifier ladite loi. Par la suite, les autorités de la Hongrie, de la Roumanie, de la Pologne et, traditionnellement, de la fédération de Russie qui accusait l'Ukraine d'opprimer la population russophone, ont exprimé leur indignation face à la loi. Par le fait même, la langue russe était perçue comme un instrument d'entente et de relation entre les communautés, tandis que la langue ukrainienne semblait être la cause de la guerre! Bref, beaucoup d'opposants à la loi croyaient même que le projet de loi n'avait aucune chance d'être adopté.
Nous savons tous que, en raison de la suprématie de la langue russe introduite en Ukraine par la Russie tsariste et l'URSS, la langue russe s'est répandue sur les terres ukrainiennes et bien d'autres. Depuis l'indépendance, en dépit de certains progrès ont été accomplis dans l'établissement de l'ukrainien comme langue officielle, la question linguistique n'a jamais été résolue dans la mesure où elle a suscité continuellement des passions et des controverses. Jusqu'à la guerre de février 2022, l'Ukraine restait polarisée entre l'Ouest ukrainophone et l'Est russophone. Compte tenu de l'importance numérique des russophones et des ukrainophones russophiles, il paraissait peu probable d'en arriver à un accord pouvant rallier l'ensemble des communautés linguistiques du pays. Les rapports de force n'étaient pas encore arrivés à un point où une solution paraissait acceptable pour les deux grands groupes impliqués.
Il semblait évident que la Loi sur les langues de 1989 ne pouvait satisfaire les ukrainophones, mais encore moins la fameuse «loi Kivalov-Kolesnichenko» de 2012. Ces deux lois étaient trop axées sur le bilinguisme russo-ukranien, selon le point de vue des ukrainophones, mais pas suffisamment pour celui des russophones. En ce sens, le projet de loi de 1996 (Loi sur le développement et l'usage des langues en Ukraine correspondait davantage à l'Ukraine d'aujourd'hui, mais des considérations politiques ont empêché qu'il soit adopté. Quant à la Loi sur la langue de 2019, elle semblait restreindre de beaucoup les droits linguistiques des russophones afin de promouvoir l'ukrainien, surtout en matière d'enseignement et des médias. On peut même affirmer que la politique d’ukrainisation ne semblait pas avoir eu d’impact dans les régions russophones orientales.
Dans les faits, on a plutôt assister à un phénomène de diglossie, alors que chaque langue domine dans des domaines spécifiques : le russe dans la communication quotidienne, la culture, les médias, les sciences, l'économie et même l'armée, l'ukrainien dans la vie politique et l'éducation. On sait que l'argent est le nerf de la guerre! En l'absence d'un véritable soutien financier massif de l'État à la culture ukrainienne, notamment à la presse et aux médias de langue ukrainienne, le russe devait continuer de bénéficier d'un statut qui ferait concurrence à la langue officielle. Chaque étape visant à étendre les fonctions de la langue ukrainienne s'accompagnait, jusqu'à l'invasion de la Russie, de la résistance des groupes de population pro-russe. L'ukrainisation du pays se heurtait à une très forte résistance non seulement de la part des russophones, mais aussi de la part des ukrainophones russophiles. C'est sûrement l'une des raisons de la stagnation, ainsi que du revers de toute politique en faveur de l'ukrainien: chaque pas, même le plus prudent, vers l'élargissement de la sphère d'influence de la langue ukrainienne provoquait des protestations de la part des forces politiques internes et externes, sans oublier les accusations de suppression de la langue et de la culture russes, de la violation des droits de l'homme, etc., tout y passait. Par ailleurs, toute tentative de la part des russophones de bilinguiser systématiquement l'Ukraine frappait également un mur chez les ukrainophones.
Selon le président Poutine, la politique linguistique d'ukrainisation était d'un «crétinisme complet et inconditionnel», car la lutte contre la langue russe au niveau de l'État suscitait un conflit interminable dans la société ukrainienne. Poutine décrivait la politique linguistique ukrainienne comme «une lutte agressive contre la langue russe», ce qui constituait, d'après lui, l'une des principales erreurs de calcul commises par le régime de Kiev. Autrement dit, Poutine reprochait à l'Ukraine de faire ce qu'il faisait lui-même en Russie: favoriser la langue officielle de son pays. Ce qui était bon pour la Russie n'était pas bon pour l'Ukraine.
Il était probable que, si rien ne changeait dans les mentalités, toute solution durable devait aussi bien passer par l'abandon d'une nation ukrainienne unilingue d'est en ouest que par un bilinguisme généralisé. Dans ces circonstances, il apparaît difficile de s'en tenir à une notion peu appropriée pour l'Ukraine, celle «d'un pays, une nation, une langue». Il fallait donc privilégier la notion d'une «nation politique» plutôt qu'une «nation ethnique» irréaliste. Ainsi, la formation d'une identité ukrainienne, fondée sur des bases politiques plutôt qu'ethniques, pouvait être possible. Mais il restait encore de l'eau à couler sous les ponts avant de voir cette éventualité se concrétiser: comment faire accepter une législation linguistique qui assurerait la primauté de l'ukrainien tout en accordant des droits aux minorités régionales, dont la minorité russophone.
Et il est surprenant que ce soit un russophone, Volodymyr Zelenskyi, qui franchisse peut-être le pas le plus important dans l'ukrainisation de ce siècle, alors qu'il aurait pu s'en abstenir s'il l'avait souhaité. Disposant d'une majorité parlementaire sans précédent, le parti «Serviteur du peuple» pourrait annuler ou modifier, voire reporter dans un long tiroir, toutes les initiatives législatives de ses prédécesseurs. Et aucune faction n'aurait suffisamment de soutien électoral et de mandats électoraux pour les empêcher de le faire. Aujourd'hui, Zelenskyy peut lancer le processus de ré-ukrainisation des régions ukrainiennes russifiées, en commençant la première étape, mais extrêmement importante, pour le retour de la jeunesse et des territoires ukrainiens dans l'espace d'information ukrainien.
Après tout, ce n'est un secret pour personne qu'en 2019 certains électeurs du Donbass et des régions du sud-est ont voté pour ce Zelensky russophone dans l'espoir de préserver le statu quo linguistique ou même d'augmenter le statut de la langue russe. Cependant, le président Zelensky a choisi la position d'un homme d'État; il a sacrifié sa propre cote de popularité pour le bien de la langue ukrainienne et celui de son pays. Et cela en dit long sur la vision du monde d'un politicien qui a grandi dans un environnement russophone et qui n'a appris que récemment l'ukrainien.
Mais la guerre entreprise par la Russie allait changer la donne. Après plus d'une année de guerre, de destruction, de morts et d'autres atrocités, il n'existe plus en Ukraine de parti politique prônant un rapprochement avec la Russie ou un élargissement du statut de la langue russe. Tout ce qui concerne la Russie est maintenant toxique, le russe apparaissant comme la langue de l'envahisseur. Il semble que ces changements soient irréversibles, compte tenu des pertes physiques et psychologiques que subissent actuellement les Ukrainiens. Après ce que les habitants de Kharkiv, de Mykolaïv, de Kherson, de Kiev ou d'Odessa ont vécu, toute tentative d'instaurer une quelconque relation amitié avec la Russie provoquera de vives réactions agressive.
Si il y a dix ans le nombre d'Ukrainiens qui employaient uniquement le russe dans leur vie quotidienne atteignait 40%, en raison de la guerre d'invasion les sondages indiquent que leur part est tombée à 13%, tandis que 86% des Ukrainiens sont favorables à ce que l'ukrainien soit la seule langue officielle de leur pays. Il semble maintenant plus vraisemblable que les autorités ukrainiennes soient capables d'assurer la primauté de la langue ukrainienne sans nier certains droits à la minorité russophone et aux autres minorités, sinon elles pourraient avoir des difficultés à assurer la paix. Mais cette guerre d'invasion de la part de la Russie va changer l'Ukraine à jamais, et ces changement seront irréversibles. En 2023, il existe un fort consensus parmi les Ukrainiens sur la façon dont l'usage de la langue devrait évoluer dans le pays, puisque 80% déclarent que la langue ukrainienne devrait être dominante dans tous les domaines des relations, ce qui réfute les affirmations de Poutine sur la prétendue solide «majorité russe» en Ukraine (ou dans ses régions) qui désire plutôt l'unité avec la Russie.
Ukraine |
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1) Données démolinguistiques |
2) Données historiques |
3)
Politique
relative à la langue ukrainienne |
4) politique linguistique relative aux minorités nationales |
5) Bibliographie |