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Roumanie2) Données historiques
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Plan de l'article
1 Le royaume de Dacie 1.1 La Dacie antique 1.2 La langue dace 2 Une province romaine 2.1 La conquête romaine 2.2 La romanisation et la christianisation 3 La formation de la langue roumaine 3.1 Les variétés néo-latines |
3.2 Le daco-roumain 3.3 La domination hongroise 3.4 L'occupation ottomane 3.5 La Transylvanie sous les Habsbourg 3.6 Les mouvements nationalistes roumains 4 La Roumanie moderne 4.1 La Grande Roumanie (1918-1940) 4.2 La Roumanie communiste (1945-1989) 4.3 La Roumanie démocratique |
L’histoire du roumain peut être retracée à travers différentes périodes d’influence extérieure sur la langue, dont celle des Daces, des Romains et des Slaves. Mais ce n'est pas tout, car la Roumanie fut aussi envahie par les Goths, les Huns, les Vandales, les Avars, les Tatars et les Hongrois. Au XVIe siècle, la Moldavie et la Valachie passèrent sous tutelle ottomane. La Transylvanie fut occupée par les Autrichiens à la fin du XVIIe siècle. Au XIXe siècle, l'empire de Russie entra en scène, mais l'Allemagne nazie lui coupa l'herbe sous le pied jusqu'à ce que le Parti communiste accapare le pouvoir jusqu'en 1989. Durant tout ce temps, une grande partie de l'histoire de la Roumanie s'est confondue avec celle de la Moldavie et ces événements ont laissé des traces dans la langue roumaine.
1.1 La Dacie antique
Le royaume de Dacie fut attesté dès le IIe siècle avant notre ère. Le mot Dacie (du latin Dacia) tire son origine de ce peuple indo-européen apparenté aux Thraces et désigné par les Romains comme les «Daces». Les alliés de ces derniers furent les Celtes, les Thraces et les Grecs, du moins jusqu'à la conquête de la Grèce par l'Empire romain.
La Dacie antique comprenait une région plus grande que les actuelles Roumanie et Moldavie, puisqu'elle englobait une partie de l'Ukraine, de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Serbie. Ses côtes sur la mer Noire (alors le Pont-Euxin) étaient colonisées par une dizaine de cités-ports helléniques, une situation qui exerçait une influence certaine, car lorsque les Daces écrivaient ils utilisaient la langue et l'alphabet grecs. Les tribus daces se sont souvent affrontées, mais elles se sont parfois unies contre les Macédoniens et les Romains. Les Daces pratiquaient des expéditions de pillage dans les pays voisins, notamment dans les provinces romaines, ce qui entraîna plusieurs guerres avec les Romains, dont celles qui menèrent leur royaume à sa perte. |
1.2 La langue dace
Quant à la langue des Daces, le dace (une langue différente du dalmate), elle demeure mal connue pour ne pas dire inconnue, puisque seuls quelques mots que l'on croit d'origine dace (entre 30 et 160 au maximum) se retrouvent en roumain aujourd'hui; ces mots ont d'ailleurs transité par le latin. Nous ignorons la forme de cette langue, mais nous savons qu'elle a existé. Les mots d'origine dace sont ceux dont nous sommes certains qu’ils ne viennent ni du latin, ni du grec ancien, ni du vieux slave, etc.
Finalement, les mots daces ne se sont pas transmis directement au roumain, mais ils ont tous un équivalent de la même origine indo-européenne en albanais. Cette référence à l’albanais se fonde sur son origine thrace, selon certains linguistes, ou sur une langue proche du thrace, l’illyrien, selon d’autres. La romanisation de l'illyrien a donné une autre langue romane, le dalmate (éteint en 1898), tandis que la romanisation des langues thraco-daces a donné le roman oriental qui a lui-même donné les langues romanes orientales : le daco-roumain, l'aroumain, le méglénite et l'istrien. Le nombre de mots d’origine dace ou thraco-dace dans les langues romanes orientales est incertain. Le plus petit nombre de mots est estimé à 30 et le plus grand à 160, mais il y aurait certainement 90 mots provenant du dace, alors que de 50 à 60 le sont probablement. Les mots de cette catégorie demeurent toujours vivants en roumain moderne, dont brânză («fromage»), mal («rive»), fluier («flûte»), măgar («âne»), cioc («bec»).
Trois grands groupes ethniques, les Daces (Dacie), les Illyriens (Illyrie) et les Thraces (Thrace et Mésie), habitaient les régions du nord de l'Europe du Sud-Est dans l'Antiquité. La connaissance moderne de leurs langues est basée sur des preuves limitées, principalement sur les noms propres. Les Illyriens, ancêtres des Albanais, furent les premiers à être conquis par les Romains, qui ont organisé leur territoire sur la côte adriatique dans la province d'Illyrie vers 60 avant notre ère. Dans les terres habitées par les Thraces, les Romains fondèrent la province de Mésie en l'an 6 de notre ère. Depuis leur royaume puissant situé normalement au nord du Danube, les Daces combattirent régulièrement les Romains. En 101 de notre ère, l'empereur Trajan (de 98 à 117) fortifia la frontière et envahit la région avec quelque 150 000 soldats. Après six années de guerre, Trajan réussit à écraser les Daces et à constituer une province romaine.
2.1 La conquête romaine
Cette province romaine de Dacie était limitée aux actuelles Transylvanie, Olténie et une partie de la Munténie, trois régions de la Roumanie actuelle (voir la carte historique de la Roumanie) et, à une partie de la Hongrie, elle s'étendait des Carpates au nord jusqu'au Danube au sud, et du Dniestr à l'est jusqu'à la Tisza à l'ouest. Les autres territoires de l'ancien royaume dace restaient aux tribus daces demeurées libres.
Tout ce que nous savons de leur culture provient de sources romaines. Les Daces auraient formé une puissance régionale importante pendant des siècles, pillant et exigeant un tribut de leurs voisins. Ils étaient des métallurgistes qualifiés, extrayant et fondant du fer, et cherchant de l'or pour créer des bijoux et des armes magnifiquement ornés. |
La province de «Dacie trajane» (fondée par l'empereur Trajan), au
nord du Danube, demeura romaine durant 150 ans, soit de 106 à 256. Avec la conquête, la Dacie fut traversée de voies romaines qui recouvrirent rapidement les voies de circulation naturelles.
Les années 230 marquèrent la fin de la paix en Dacie romaine, alors que les Romains furent contraints de payer un tribut annuel aux Goths. Après 271, au sud du Danube, où vivaient les Traces romanisés et où se replièrent aussi des Daces romanisés, l'Empire romain établit un diocèse de Dacie, comprenant les provinces de «Dacie aurélienne» (fondée par l'empereur Aurélien) et de Thrace, où la romanisation allait se poursuivre pendant encore trois siècles, jusqu'à l'arrivée des Slaves. Entre 275 et , la Dacie aurélienne occupait la plus grande partie de ce qui est aujourd'hui la Serbie et la Bulgarie. |
2.2 La romanisation et la christianisation
Si la domination romaine ne dura qu’un siècle et demi au nord du Danube, mais elle se prolongea pendant plus de six siècles au sud et son implantation entraîna des conséquences linguistiques permanentes. En effet, le latin populaire se diffusa dans ces régions et les populations thraco-daces abandonnèrent leur langue au profit du latin. En établissant des provinces appelées «Dacie» successivement sur les deux rives du Danube, l’Empire romain propagea une version du latin dans les Balkans : le roman oriental. Beaucoup de soldats de l'armée romaine étaient d'origine dace et thrace. À la fin de leurs 25 années de service, ils avaient forcément appris le latin et les coutumes des Romains. De plus, de nombreux soldats d'origine romaine se marièrent à des femmes daces, mais ce fut le latin qu'elles apprirent à leurs enfants. L'urbanisation constitua un autre rôle majeur dans la romanisation de la Dacie. Comme les centres urbains étaient entourés de zones rurales, les fonctionnaires, les marchands, les colons et les voyageurs romains se transformèrent en agents de latinisation. Cependant, un peu plus d’un siècle après la soumission de la Dacie, l'armée romaine quitta la province alors en proie aux invasions germaniques: les Goths chassèrent en 256 les colons romains qui étaient restés, et abandonnèrent totalement la province en 275.
Les habitants de la Dacie (voir la carte historique) non seulement se romanisèrent, mais se christianisèrent également. Selon la légende, ils auraient été convertis par l'apôtre André, mais historiquement, on a la preuve que l'évangélisation commença au IVe siècle par les colonies grecques de la mer Noire d'où sont originaires les moines orthodoxes et catholiques Jean Cassien (360-435) et Denys le Petit (470-av. 555).
Il faut noter que ce christianisme prit la forme dite
«nicéenne», en raison du concile de Nicée de 325, sur convocation de
l'empereur romain Constantin, afin de discuter de la controverse
théologique de la relation entre Jésus et Dieu. Un camp, dirigé par
l'évêque d'Alexandrie, Athanase, affirmait que la
Trinité est le Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et
le Saint-Esprit, égaux, participant d'une même essence divine et
pourtant fondamentalement distincts. L'autre camp, dirigé par le
théologien alexandrin Arius, concluait plutôt qu’ils étaient de
différentes essences et croyait que Jésus-Christ
est le Fils de Dieu qui a été engendré par Dieu le Père. Les
élites des royaumes germaniques de l'Ouest choisirent l'arianisme
(christianisme arien), tandis que les populations romanes de l'Empire romain d'Orient adoptèrent le christianisme nicéen. L'opposition entre ces deux tendances dogmatiques perdura pendant plusieurs siècles et généra plus tard le catholicisme et l'orthodoxie. L'Ouest allait devenir catholique, l'Est et les Slaves allaient devenir orthodoxes. |
L'arrivée des Huns à la fin du IVe siècle, puis celle des Slaves au VIIe siècle submergèrent les populations romanophones sans les éradiquer. Si le latin parvint à se maintenir malgré ces invasions, il n’échappa pas aux influences linguistiques des différents envahisseurs. Le roumain évoluera différemment des autres langues romanes de l'Europe de l'Ouest telles que l'italien, l'espagnol, le français, etc., pour une raison bien simple: il fut isolé de l'aire romane occidentale et enclavé par les langues slaves dont il subit les influences. Les quatre langues romanes orientales (daco-roumain, aroumain, mégléno-roumain et istro-roumain) sont atypiques parmi les langues d'origine latine.
De plus, cette romanisation des langues d'origine latine ne s'est pas faite à partir du latin savant, mais du latin populaire. Les langues qui en sont issues n'ont plus par la suite été envahies par des latinismes savants, comme ce fut le cas, par exemple, en français. Il y eut aussi des raisons religieuses : les populations romanes orientales n'optèrent pas pour l'église de Rome de tradition latine, mais pour celle de Constantinople de tradition grecque et slavonne. Voilà pourquoi leur lexique latin est aussi distinctif et archaïque par comparaison avec celui des langues romanes occidentales.
3 La formation de la langue roumaine
Pendant près de 1000 ans, la Dacie fut envahie par les vagues successives des Goths (III-IVe siècles), des Gépides (IV-Ve siècles), des Huns (IV-Ve siècles), des Avars (VI-VIIe siècles), des Slaves ou plus précisément des Bulgares (VII-IXe siècles). La dernière des grandes invasions fut celle des Mongols (1241). Le latin oriental populaire, appelé aussi «thraco-romain» ou «proto-roumain», demeura la langue usuelle de la Dacie et il fut utilisé jusqu’au VIIe siècle. À partir de ce moment, ce sont les Slaves qui imposèrent leur langue, notamment le slavon, aux habitants daces, et il y eut une interpénétration linguistique. C'est pourquoi le roman oriental est aussi atypique. Son lexique latin est le plus archaïque, sa syntaxe présente des influences slaves, son vocabulaire a puisé à des langues aussi diverses que le grec, le hongrois, le coumane des Turcs kiptchaks ou le turc ottoman. Il en est résulté une langue romane «asymétrique», car ses locuteurs comprennent aisément les autres langues romanes, alors qu'un hispanophone, un francophone ou un italophone n'a pas une facilité équivalente.
Le latin demeura la langue officielle de la Dacie jusqu'au Ve siècle. Ensuite, au nord du Danube, ce fut le slavon et, au sud du Danube, le grec et le slavon, en parallèle. Le grec était officiel chez les Romains d'Orient dits «byzantins», le slavon dans l'Empire bulgare. À partir de ce moment, ce sont les langues slaves qui vont concurrencer les langues existantes dans cette partie de l'Empire romain.
3.1 Les variétés néo-latines
Afin de se protéger des invasions, la population romanophone abandonna les villes et les plaines pour se réfugier dans les montagnes des Carpates et des Balkans, une vaste région allant de l'Adriatique à la mer Noire et de la Transylvanie à la Macédoine et l'Épire, où cette population conserva ses traditions et sa langue (latine) devenue le roman oriental, celui-ci enrichi cependant d'un important apport lexical d’origine slave, surtout entre les VIIe et Xe siècles.
Ces Proto-Roumains, appelés aussi «Valaques», contribuèrent à la formation de quatre langues : le daco-roumain aujourd'hui parlé en Roumanie et Moldavie, l'istro-roumain encore parlé par quelques centaines de personnes en Istrie croate, le mégléno-roumain quasiment éteint et l'aroumain en Grèce du Nord, appelé également «valaque», «aromoune», «zinzare» ou «mécédo-roumain».
3.2 Le daco-roumain
De fait, le roumain standard et officiel est surtout basé sur le parler de la région historique de la Valachie (sud de la Roumanie), mais d'autres parlers traditionnels, très proches, existent en Moldavie et en Transylvanie (dans le nord de la Roumanie et en république de Moldavie). C'est vers le Xe siècle que le daco-roumain (issu du thraco-roman) commença à acquérir sa forme actuelle.
- Le slavon et le daco-roumain
Entre le Xe siècle et le XIIIe siècle, des principautés telles que la Valachie et la Moldavie se constituèrent avec, comme religion, le christianisme orthodoxe et, comme langue, le daco-roumain; l’Église orthodoxe bulgare introduisit le slavon écrit en alphabet cyrillique comme langue liturgique, tout en essayant avec un succès très relatif de l’implanter dans la population comme langue maternelle.
Durant tout le Moyen Âge, la langue officielle adoptée par les principautés roumaines/moldaves était le slavon, mais la population continuait de parler le daco-roumain qui deviendrait plus tard la variété standard du roumain officiel en Roumanie, du moldave en Moldavie ou du valaque en Bulgarie et en Serbie. Ensuite rattachée à l’Empire byzantin, la région a adopté la religion orthodoxe, toujours dominante dans la Roumanie d'aujourd’hui.
- Le vieux slave
Jules Verne le remarquait déjà dans Le Château des Carpates : «Le roumain, écrivait-il, est un mélange de latin et de slave.» Un nombre important de mots roumains proviennent du vieux slave et ces emprunts constituent un fonds lexical remarquable dans la langue roumaine. Les plus anciens, environ 300 termes, datent du VIIe siècle, de l'arrivée des Slaves à travers les régions habitées par les Thraco-Romains, ancêtres des Roumains, dans le bassin du Bas-Danube. Même si le proto-roumain était déjà constitué du point de vue de sa structure latine, il a quand même reçu un certain bagage lexical slave en raison du voisinage et de la coexistence avec ces peuples. C'est pourquoi, notamment, les autres langues romanes sont plus faciles à comprendre pour les Roumains que le roumain ne l'est pour les locuteurs des langues romanes occidentales. Environ 20% du lexique roumain a été emprunté au vieux slave, mais aujourd'hui moins de 10% de ce lexique est encore en usage, surtout dans la langue familière ; les autres sont devenus archaïques. Voici quelques exemples:
- noms des proches: nevastă («épouse»), maică («mère»), nene («oncle»), rudă («parent»); - noms des aliments: ulei («huile»), castravete («concombre»), slănină («lard»), drojdie («levure»), oțet («vinaigre»), drob («portion, morceau»); - noms de la vie courante: pod («grenier»), pivniță («cave»), prag («seuil»), zid («mur»), iesle («mangeoire»), coteț («cabane»), plug («charrue»), topor («hache»), ciocan («marteau»), clește («pince»), sanie («traîneau»), lanț («chaîne»), jar («pot»); - noms divers de la nature: zăpadă («neige»), vifor («tempête de neige»), praf («poussière»), nisip («sable»), deal («colline»), pajiște («prairie»), ogor («champ»), prăpastie («gouffre»), izvor («source»); - noms d'usage courant: ceas («horloge», «montre»), sobă («poêle»), slovă («lettre, écriture»), buche («bucher» au sens d'étudier, lire attentivement), prostovol («filet épervier pour la pêche»), undiță («canne à pêche»), necaz («souci, dépit»), sărac («pauvre»), bogat («riche»), lacom («avide», «cupide», «goulu»), veselie («joie»), prieten («ami»), slab («faible»), prost («bête», «stupide»); - noms du monde animal: rac («écrevisse»), lostriță («huchon» ou «saumon du Danube et de la mer Noire»), gâscă («oie), pițigoi («mésange»), vrabie («moineau»), lebădă («cygne»), veveriță («écureuil») ; - noms de plantes: ovăz («avoine»), sfeclă («betterave»), morcov («carotte»), hrean («raifort»), cocean («trognon, tige, épi de maïs»), pleavă («son de blé»); - noms des parties du corps humain : trup («corps»), gât («cou»), obraz («joue»), pleoapă («paupière»), burtă («ventre»), gleznă («cheville»). |
Au Haut Moyen Âge, les mots d'origine slave ont tantôt remplacé les mots d'origine latine (ainsi dragoste a remplacé amor / amour), tantôt doublé ces mots (ainsi duh double suflet / âme).
Lors de la renaissance culturelle roumaine au XIXe siècle, un processus de relatinisation voulu par les lettrés réintroduira des formes latines. Par exemple, si le français emploie «oncle», c'est parce qu'il provient de l'évolution spontanée à partir du latin avunculus; mais le roumain moderne, lui, emploie ocazie («occasion») depuis son processus de relatinisation, au lieu de l'équivalent slave prilej. À l'influence slave ancienne s'est ajoutée au XXe siècle une influence russe au début du régime communiste sous deux formes : une reslavisation lexicale (prilej préféré à ocazie) tant en Roumanie qu'en Moldavie, et l'adoption en Moldavie soviétique de l'alphabet cyrillique russe (différent de l'alphabet cyrillique médiéval jadis employé par la langue roumaine – cet alphabet russe est toujours employé en Transnistrie, une région sécessionniste de la Moldavie indépendante). En Roumanie, la reslavisation lexicale du XXe siècle a été abandonnée avant même l'ouverture du rideau de fer et la chute du régime communiste, dès les années 1970.
3.3 La domination hongroise
À la fin du IXe siècle, les Hongrois conquirent une grande partie de l'Europe centrale, dont la Transylvanie en 1003, qui devint en 1111 une principauté autonome au sein du royaume de Hongrie. Quant aux populations locales roumanophones, elles reçurent une charte de franchises, l'Universitas Valachorum ou Jus Valachicum, qu'elles perdirent au XIVe siècle, ce qui obligea les nobles roumains à choisir entre leur intégration dans la noblesse hongroise (qui impliquait l'adoption de la forme catholique du christianisme) et la fuite vers la plaine danubienne de Valachie au sud-est (qui comprend l’Olténie et la Munténie), soit vers la Moldavie au nord-ouest.
Par la suite, une importante communauté magyare et des colons saxons s'installèrent en Transylvanie; l'aristocratie hongroise s'imposa sur une paysannerie restée largement roumaine. Peu de Hongrois s'installèrent dans le banat de Severin, mais
principalement dans le «Pays sicule».
Les Sicules, appelés en hongrois "Székelyek", désignaient «ceux qui tiennent les sièges», soit les sièges militaires, parce qu'au XIIe siècle les Sicules avaient comme principale fonction la protection de la frontière orientale du royaume de Hongrie. Ce statut se traduisait par une relative indépendance au sein du système féodal hongrois en échange de leurs services militaires dans la défense du royaume. Entre le Xe siècle et le XIIIe siècle, la Valachie et la Moldavie se constituèrent en principautés orthodoxes sous l'obédience du patriarcat de Constantinople, dont les institutions sont sous la souveraineté byzantine, mais dont la monarchie est élective comme en Hongrie et en Pologne. L'Église orthodoxe introduisit le slavon écrit en alphabet cyrillique comme langue liturgique, tout en essayant avec un succès très relatif de l’implanter dans la population comme langue maternelle. En Hongrie et en Transylvanie, c'est le catholicisme qui prévalut. |
Pendant ce temps, la Valachie et la Moldavie devinrent des petites principautés qui parvinrent à résister à la pression des Hongrois, des Polonais, des Tatars et des Ottomans en jouant sur la rivalité entre ces puissances régionales, au risque de passer pour des alliés peu fiables aux yeux de tous. Une fois les Grecs byzantins soumis par les Ottomans, ces principautés durent accepter de payer tribut aux sultans : ce tribut s'alourdit progressivement, mais c'était le prix à payer pour ne pas devenir des provinces ottomanes à l'instar des pays voisins. Durant tout le Moyen Âge, la langue officielle adoptée par les principautés roumaines était le slavon, mais la population continuait de parler le daco-roumain qui deviendra plus tard le roumain officiel.
3.4 L'occupation ottomane
Dès le XIVe siècle, les trois grandes provinces de la Roumanie actuelle — Moldavie, Valachie et Transylvanie — avaient pris leur visage historique. La Moldavie et la Valachie connurent à cette époque un exceptionnel développement culturel et économique.
Cependant, les peuples de religion orthodoxe, dont une grande partie était des roumanophones, se virent coincés par les catholiques au nord-ouest et les musulmans au sud, car les Turcs ottomans progressaient en Anatolie. À la fin du XVIe siècle, Michel le Brave (1563-1601), un prince valaque, parvint à chasser les Ottomans (1594-1597); il fit la conquête de la Transylvanie en 1599 et annexa la Moldavie en 1600. Après la mort de Michel le Brave, assassiné en 1601, les Ottomans rétablirent progressivement leur autorité en Moldavie et en Valachie, tandis que les Autrichiens s’emparaient de la Transylvanie qui fut annexée à leur empire, puis gouvernée par des princes hongrois majoritairement protestants. En intégrant la principauté de Transylvanie, l'empire des Habsbourg récupérait les «sièges» sicules qu'il organisa en confins militaires ("katonai határőrvidék"), plus précisément en «Généralat frontalier de Transylvanie» ("Erdélyi határőrvidék") au sein duquel les Sicules conservaient leur autonomie; ils allaient même acquérir de nouveaux privilèges en 1804 lorsque l'empire des Habsbourg devient l'empire d'Autriche. |
Quant aux deux principautés roumaines, elles furent conquises par l'Empire ottoman auquel elles durent payer tribut jusqu'au milieu du XIXe siècle. Après la bataille de Mohács en Hongrie en 1526 et la défaite hongroise aux mains des Ottomans, la Transylvanie redevint une principauté semi-indépendante sous la domination de la noblesse hongroise locale, bien que sous la suzeraineté de l'Empire ottoman.
Toutefois aucune des trois principautés ne devint province ottomane, comme beaucoup de cartes erronées le montrent; et toutes les trois purent rester des États chrétiens, disposant de leurs propres princes, armées, lois et ambassadeurs. En Transylvanie, à côté des Roumains orthodoxes, un édit de tolérance du XVIe siècle permit la cohabitation pacifique des catholiques et des protestants; de leur côté, la Moldavie et la Valachie orthodoxes restaient sous la juridiction de Constantinople, non seulement au point de vue religieux, mais aussi politique puisque de nombreux aristocrates de souche byzantine, les Phanariotes, y furent élus princes.
- La Valachie et la Moldavie sous les Ottomans
Sous le régime des Ottomans, les élites roumaines de la Moldavie et de la Valachie commencèrent à se diviser entre les partisans des Ottomans et ceux du roi hongrois. Elles misaient sur l'une ou l'autre puissance, au gré de l'évolution de la situation politique ou militaire. Dans la pratique, entre 1711 et 1821, les Roumains furent administrés par les Grecs phanariotes, ce qui eut pour effet de favoriser la pénétration de la culture occidentale.
Les phanariotes — du mot Phanar, un quartier de Constantinople où résidait le patriarche orthodoxe entouré de Grecs fortunés — étaient issus des familles aristocratiques de confession chrétienne orthodoxe, regroupées à l'origine dans le quartier du Phanar. Depuis la prise de la ville par l'Empire ottoman en 1453, le quartier du Phanar servait de refuge aux chrétiens regroupés autour de l’église Saint-Georges, le siège du Patriarcat orthodoxe. Ainsi, les phanariotes purent exercer des fonctions administratives très importantes dans l'Empire ottoman, car ils étaient instruits et pour la plupart polyglottes.
En effet, beaucoup d'entre eux parlaient couramment le grec, le turc ottoman, le français, mais également le russe, l'italien, le roumain, parfois aussi l'allemand ou l'anglais. Dans ces conditions, ceux-ci servirent d'interprètes pour les Ottomans. Leurs connaissances linguistiques leur permirent de s'impliquer dans la politique étrangère et parfois de gouverner certains territoires grecs ou roumains. Dans l'Empire ottoman, les phanariotes furent fortement engagés dans le développement et la restauration de l'éducation et de la culture. De plus, la plupart des phanariotes qui parlaient le français imitaient le système d'éducation français et embauchaient des instituteurs français. Ce furent eux qui favorisèrent le plus les contacts avec la langue française, tout en connaissant bien le grec ancien et le turc ottoman. Ainsi, le français devint une langue très à la mode parmi les membres de la haute société roumaine. |
Dans le cas de la Roumanie, plusieurs autres facteurs sont intervenus : tout d'abord, les dirigeants phanariotes — le français était parlé à la cour royale, l'éducation française fut introduite, la littérature française entra dans les bibliothèques, des traductions de la littérature française furent faites à travers le grec —, puis les officiers russophones francophones avec lesquels les Roumains étaient entrés en contact pendant les guerres russo-turques, l'émigration française après la Révolution de 1789 (composée d'enseignants, de médecins, de cuisiniers), et le rôle joué par la France dans l'histoire roumaine (notamment dans l'Union des principautés). Le français continua à gagner du terrain et, en 1766, il fut introduit dans les écoles moldo-valaques, et ce, par la réduction du nombre des matières grecques pour favoriser l’apparition de nouvelles matières de la langue et de la grammaire françaises.
La Moldavie et la Valachie, vassaux de l'Empire ottoman, ont pu ainsi vivre une relation particulière avec la culture française grâce aux phanariotes, aux soldats russes et aux exilés français à la suite de la Révolution. Ce ne fut pas le cas pour la Transylvanie.
- Les emprunts au turc ottoman
Beaucoup de mots turcs sont entrés en roumain durant l'ère des phanariotes. Un certain nombre de ces mots ne sont plus en usage, mais plusieurs sont restés ou ont acquis en roumain un sens ironique ou péjoratif. Le roumain a emprunté un peu moins de 3000 termes du turc ottoman, mais l'apport de ces mots a varié selon les époques et les territoires. Par exemple, dans la Dobrogée, un territoire ottoman de 1420 à 1877, on compterait entre190 et 340 emprunts. Dans le Banat (1552-1718), il n'y aurait que 25 mots turcs. Dans la principauté de Transylvanie, sous protectorat ottoman entre 1541 et 1688, aucun terme n'a été tiré directement du turc ottoman, car la classe dirigeante de cette principauté appartenait à la noblesse hongroise ou magyarisée, de sorte que l'influence de la langue hongroise était dominante, tandis que, du point de vue économique, la principauté était surtout liée à l'Europe centrale. En revanche, dans les principautés de Valachie et de Moldavie, tributaires des Ottomans au cours des XVe et XIXe siècles, et économiquement très liées à leur empire, plus de 2500 emprunts au turc ottoman ont été comptabilisés.
Cependant, seuls environ 1000 mots d'origine turque ont survécu jusqu'à
aujourd'hui. Parmi les mots turcs souvent utilisés, citons ceux qui suivent:
cafea («café»), cearșaf («drap»), bairam («fête»), chibrit («allumette»), ciorap («chaussette»), caldarâm («pavage»), catifea («velours»), cântar («balance»), cioban (qui double le latin păstor «berger»), dulap («armoire»), sertar («tiroir»), farfurie («assiette»), geantă («sac»), odaie (qui double le latin cameră «chambre»), gălăgie (qui double le slave zgomot «boucan», «bruit», «rumeur»), dușman («ennemi»), papuc («pantoufle»), pantof («chaussure»), parale («argent»), perdea («rideau»), podea («parquet»), tavan («plafond»), capac («couvercle»), cazan («chaudière»), chioșc («kiosque»), bici («fouet»), ciorbă («soupe»), bacaliar («morue»), conac («manoir»), canapea («sofa»), mătase («soie»), tejghea («comptoir»), tinichea (qui double le latin tablă «tôle»), vizir («vizir»), etc. |
Certains de ces mots ont également été empruntés par le français au turc: café, kiosque, canapé, vizir, ainsi que divan, janissaire, gilet, minaret, pacha, pilaf, sorbet, etc.
3.5 La Transylvanie sous les Habsbourg
Rappelons que les Habsbourg régnèrent en Transylvanie de 1690 jusqu'en 1918. À la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, les Roumains de Transylvanie et du Banat furent séparés en deux provinces sous la couronne hongroise. Les Roumains transylvains purent se maintenir comme «peuple toléré» parmi les Hongrois qui étaient catholiques. Dans le Banat, les Roumains se retrouvèrent non seulement avec des Hongrois, mais aussi avec des Serbes et des Macédoniens, qui, eux, étaient orthodoxes. Par une sorte de «solidarité orthodoxe», les Roumains
bénéficiaient en plus d'une relative autonomie culturelle et confessionnelle, en vertu des privilèges accordés par Vienne en 1690. À partir de 1765, la Transylvanie devint une principauté intégrée dans le royaume de Hongrie, puis en 1804 elle fut soumise à la Couronne autrichienne, toujours gouvernée par les Habsbourg. Pendant la Révolution hongroise de 1848, le gouvernement hongrois proclama l'union avec la Transylvanie qui redevint une partie intégrante de la Hongrie. En 1867, dans le cadre de l’Autriche-Hongrie, la Transylvanie retrouva une autonomie sous l'autorité du roi de Hongrie. Même si de nombreux Hongrois s'installèrent en Transylvanie, la majorité de la population demeura roumanophone. Ainsi, les Roumains conservèrent toujours leur langue, mais avec certaines variantes par rapport à la Valachie et à la Moldavie occidentale. |
Après le transfert de la domination à la Hongrie (dans le cadre de l'Empire austro-hongrois), la plupart des écoles de langue allemande et de langue roumaine furent fermées, tandis que le hongrois devint la langue principale de l'administration; la plupart des organisations culturelles roumaines furent supprimées. Lentement, au cours des années 1870 et 1880, certains établissements d'enseignement furent rouverts, le plus souvent en tant qu'organismes privés et parfois au bord de la légalité, mais en continuant à offrir un enseignement en roumain. Les réformes orthographiques de 1862 favorisèrent un système d'éducation unique sur l'ensemble du territoire de la Roumanie. La coexistence, pendant quelques siècles, entre Roumains et Hongrois conduisit à une influence mutuelle entre les deux langues, plus précisément entre le daco-roumain et le hongrois.
- Les emprunts au hongrois
Entre les différents mots hongrois pénétrés en roumain, deux catégories doivent être distinguées, selon l'époque à laquelle ils sont entrés dans la langue roumaine et leur répartition géographique. Les termes les plus anciens (environ 150) ont été empruntés au cours des XIe et XIIe siècle, lors de l'arrivée des Magyars en Europe centrale; les autres sont plus récents et remontent à la cohabitation des Hongrois et des Roumains en Transylvanie. Les mots anciens sont généralement répandus dans toute la Roumanie et en Moldavie:
- l'organisation sociale : nemeș qui double le slave jupân «maître de la terre»; iobag «serf»; gazdă «hôte»; - l'agriculture : belșug «abondance»; hădărag «meule»; heleșteu «étang à poissons» ; holdă «semis de céréales»; mohor «fourrage»; - l'élevage : labă «patte»; imaș qui double le latin pășune «pâturage»; sălaș «abri»; - l'organisation féodale : birui «gagner»; hotar «limite», «frontière»; oraș «cité», «bourgade», «ville»; - le commerce et la vie urbaine: gând «intention»; «pensée» ; bâlci «foire»; bir «impôt» qui double le latin dijmă venu de decima, «dîme»; - les métiers et leurs produits : marfă «marchandise»; vamă «douane»; lanț «chaîne»; giulgiu «linceul»; ham «harnais»; pahar «verre»; - la chasse : șoim «faucon»; a hăitui «harceler»; harță «dispute», «harcèlement». |
Les mots les plus récents n'existent que dans les parlers transylvains: badog qui double le turc cutie «conserve, boîte en métal»; bai qui double le slave necaz «souci, dépit»; chefe qui double le slave perie «brosse»; a cuștuli qui double le latin a gusta : «goûter»; dărab qui double le latin bucată «pièce, morceau» et le néo-latin porție «portion, morceau»; fedeu qui double le turc capac «couvercle»; temeteu qui double le latin cimitir «cimetière»; uiagă qui double le slave sticlă «verre»; feștic qui double le turc vopsea «peinture»; virag qui double le latin lăcrămioare «muguet», etc.
- Les emprunts à l'allemand
Étant donné que la Roumanie a fait partie de l'Empire austro-hongrois, la langue allemande y a également joué un rôle non négligeable. Entre les différents mots allemands empruntés par le roumain, on trouve aussi deux catégories. Les termes les plus anciens (environ 200) ont été empruntés au Moyen Âge, lors du Drang nach Osten («la marche vers l'Est») qui a amené dans les trois principautés de Transylvanie, de Moldavie et de Valachie, à l'appel des voïvodes gouvernant ces trois États, des maîtres d'œuvre germanophones, architectes, bûcherons, constructeurs, charpentiers, forgerons, menuisiers, meuniers, mineurs et tailleurs de pierre. Les mots plus récents datent de la Renaissance et de la révolution industrielle. Tous sont de même répandus dans toute la Roumanie et en Moldavie.
Les mots anciens désignent l'organisation sociale et féodale (meșter «maître »; pârcălab «bourgmestre» ou «gouverneur»; graniță «frontière»), les métiers, le commerce et la vie urbaine (chelnăr «caviste, aubergiste, serveur ; iarmaroc «foire annuelle»; polițai «policier»; țal «addition, compte» et qui double le hongrois bir pour une «taxe»).
Les mots les plus récents sont liés aux échanges et à l'industrie: abțibild (de plus en plus remplacé par sticăr, de l'anglais sticker, «autocollant»); cartof «pomme de terre»; crenvurști «saucisse de Strasbourg»; șine «rails»; șuncă «jambon», etc.
Bien que l'histoire du roumain ne soit pas si récente, cette langue est restée longtemps orale. Le premier document écrit en roumain remonte seulement au XVIe siècle: il s'agit d’une lettre à un marchand, rédigée avec l'alphabet cyrillique. Cette absence de traces écrites s’explique du fait que les gens instruits n’écrivaient pas en roumain, mais en hongrois, en allemand ou en grec. Par la suite, de nombreux textes vont être rédigés en roumain, surtout dans les documents religieux.
- L'École latiniste de Transylvanie
Il faut signaler qu'en Transylvanie ce sont des latinistes normalisateurs qui exercèrent une grande influence sur la langue roumaine. Rappelons que, vers la fin du XVIIIe siècle, la Transylvanie se trouvait sous domination austro-hongroise, alors que les philologues roumains essayaient «d’éveiller le sentiment latin» parmi le peuple. Ce mouvement intellectuel, issu de la philosophie des Lumières, se manifesta dans les activités de l’École latiniste de Transylvanie (en roumain: la "Școala Ardeleană"), qui était fortement soutenue par l'Église catholique. En 1700, la Transylvanie fut annexée à l’Autriche, ce qui favorisa l'entrée du catholicisme en Roumanie et l'enseignement du latin. Il faut aussi souligner que l'École de Transylvanie s'inscrivait dans le contexte des Lumières «allemandes», l'Aufklärung, soutenue politiquement par l'empereur Joseph II. La différence avec les Lumières françaises vient du fait que l'École transylvanienne ne constituait pas un courant anticlérical, le mouvement culturel transylvanien partant précisément du cœur de l'Église roumaine unie à Rome.
Dans le but d'éveiller une «conscience latine», les représentants de l’École latiniste décidèrent d'abord d'employer l’alphabet latin au lieu de l'alphabet cyrillique. Puis ils entreprirent des études d’étymologie, d’orthographie et de grammaire afin de démontrer la base latine du roumain. Cette initiative incita les latinistes à étudier d'autres langues romanes comme le français et l’italien, qui étaient considérés comme de «vrais» modèles. De fait, le courant latiniste a le mérite d'avoir conçu de nouveaux arguments en faveur de l'origine latine de la langue roumaine. Pour ce faire, l'emprunt lexical est sans conteste le moyen le plus important de latiniser le lexique roumain. On a alors emprunté non seulement des mots de la langue française (5458 mots), mais aussi du portugais (6165 mots), de l'espagnol (5508 mots), du catalan (5891 mots) et de l'italien (5991 mots).C'est ce qu'on a appelé en Roumanie la «reromanisation» (ou «relatinisation»), bien qu'elle n'eût pas la même ampleur que la francisation faite en Moldavie et en Valachie. Le courant latiniste cessa son influence vers 1880 , soit un demi-siècle après son apparition.
- La relatinisation du roumain
Il faudrait mentionner qu'il y a eu des contacts directs ininterrompus avec la France, par l'intermédiaire d'étudiants, d'hommes politiques et de scientifiques ou d'artistes, notamment au XIXe siècle alors que l'influence française régressait en Europe occidentale. À la fin du XIXe siècle, on a pu même remarquer un phénomène de bilinguisme chez l'aristocratie roumaine, qui cultivait la langue et la littérature françaises. C'est la plus forte des influences modernes : avec les influences savantes latines et italiennes, elle a contribué à la relatinisation de la langue roumaine. De fait, au cours des années 1800, les linguistes roumains ont déployé des efforts pour relatiniser leur langue, notamment en se servant du français.
Dans le vocabulaire de la langue roumaine, les mots d'origine française occuperaient le quatrième rang, après les éléments hérités du latin, les créations lexicales roumaines et les mots provenant des langues slaves, qui sont dans les trois premières places. On compte 193 mots d'origine française, ce qui représente 7,47% du lexique roumain, mais ce nombre augmente considérablement si l'on ajoute les 378 mots à étymologie multiple, l'une des sources étant le français; la part de cette classe atteint alors 22,12%, c'est-à-dire occupant la troisième place dans la structure du vocabulaire représentatif.
Les mots du français en roumain comme dans les autres langues romanes appartiennent à des domaines variés:
- les termes militaires : calibru < calibre; carabină < carabine, hoban < hauban, radă < rade, spirai lanterneau < de soupirail, turelă
< tourelle; |
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Le français a fourni au roumain non seulement des noms, des adjectifs et des verbes (afiș, avion, birou, infatigabil), mais également quelques adverbes : deja, vizavi. Les mots français, une fois
parvenus en roumain, n'ont pas nécessairement le même sens. Ainsi, le mantou («manteau») devient en roumain un vêtement strictement féminin,
ce qui n'est pas le cas en français.
Bien sûr, la plupart des mots français de genre masculin n'ont pas conservé leur genre en roumain, car ils se sont adaptés au genre neutre de cette langue. Cela signifie qu'au singulier ils sont devenus du genre masculin et au pluriel ils ont passé au féminin: kilometru / kilometri, restaurant / restaurante, șampanie / șampanii, birou / birouri, fotoliu / fotolii, etc. |
3.6 Les mouvements nationalistes roumains
Avec les princes phanariotes, le grec se substitua progressivement comme langue de chancellerie et liturgique au slavon, puis à son tour il fut graduellement abandonné au profit du roumain qui s'écrivait à ce moment-là avec l’alphabet cyrillique. Les Autrichiens et les Russes conquirent la Bucovine (1775) et la partie est de la Moldavie appelée la Bessarabie (1812) — aujourd'hui partagée entre l'Ukraine et la république de Moldavie aux dépens des Ottomans.
La Moldavie et la Valachie obtinrent d'être gouvernées par des princes roumains. En 1848, un mouvement autonomiste éclata dans les deux principautés, ce qui entraîna la répression tant
par les Russes que par les Turcs. Les principautés (Moldavie occidentale et Valachie) passèrent sous la domination des Russes jusqu’en 1851, puis des Autrichiens (1854-1857). Néanmoins,
elles avaient leur propre identité politique et culturelle, avec une majorité absolue roumanophone et le christianisme orthodoxe comme religion d'État.
À la suite de l'intervention de Napoléon III à l'adoption du traité de Paris en 1858, la Moldavie occidentale et la Valachie obtinrent la reconnaissance de leur union en un État unique: la Roumanie (voir la carte ci-contre). Le nouvel État, sans la Transylvanie, fut officiellement reconnu comme indépendant en 1861 par les puissances européennes et les Ottomans. Dans les faits, la Valachie et la Moldavie occidentale demeurèrent vassales des Ottomans: elles devaient leur payer un tribut annuel et aligner leur politique étrangère sur celle de l'Empire ottoman. Dans l'empire des Habsbourg, les Roumains détenaient une majorité absolue dans la principauté de Transylvanie, ainsi que dans le Banat, la Crisana, une partie des Maramures et la Bucovine. Mais la Transylvanie demeura le foyer du nationalisme roumain et sa présence à l'extérieur de l'espace politique contrôlé par les Roumains, c'est-à-dire la Valachie et la Moldavie, accentuait son caractère particulier. Dans l'histoire du nationalisme roumain, la Transylvanie fut toujours perçue comme le troisième État roumain. |
L'identité nationale roumaine fut graduellement construite autour de trois principes fondateurs : l'origine latine de la nation, sa présence continuelle sur le territoire de l'ancienne Dacie et l'appartenance de tous les roumanophones à la même nation roumaine. La religion joua un rôle moindre du fait que les roumanophones de la Transylvanie étaient catholiques, alors que les autres étaient de confession orthodoxe.
Au point de vue linguistique, l’alphabet cyrillique roumain fut employé durant une bonne moitié du XIXe siècle. Pendant une courte période, les deux alphabets, cyrillique et latin, cohabitèrent jusqu'à ce que l'alphabet latin prenne le dessus en 1860. À partir de cette époque, les dirigeants roumains, dans un esprit de nationalisme préoccupé par un retour aux sources latines, remplacèrent l'alphabet cyrillique du roumain écrit par l’alphabet latin. Fondée en 1866, l’Académie roumaine joua un rôle important dans la normalisation de la langue roumaine. Après l'adoption de l'alphabet latin, il restait encore à établir une orthographe normalisée pour les mots roumains. La première réforme officielle entra en vigueur en 1881. Deux groupes s’opposèrent : certains désiraient une orthographe étymologique (comme en français), alors que d'autres favorisaient une orthographe basée sur la prononciation du roumain. C’est cette dernière option qui finit par prévaloir en Roumanie, et ce, après plusieurs réformes orthographiques opérées dans le but de simplifier la langue.
Il se développa aussi une autre vague de francophilie, tandis que la langue roumaine s’enrichissait en empruntant encore au français. Le congrès de Berlin de 1878 confirma l’indépendance totale de la Roumanie, qui devint un royaume en 1881. À la fin du XIXe siècle, les Roumains de Hongrie, donc de la Transylvanie, exigèrent des droits politiques égaux à ceux de la nation dominante hongroise; leur demande adressée à l'empereur fut non seulement rejetée, mais les responsables furent condamnés à des peines extrêmement sévères sous l'accusation de haute trahison. Après le déclenchement de la guerre en 1914, les cercles politiques et militaires roumains commencèrent à revendiquer une reconstruction territoriale de l'État roumain sur de nouvelles bases.
En août 1916, le royaume de Roumanie déclara la guerre à la monarchie austro-hongroise afin d'obtenir une garantie que les territoires promis par la Triple Entente (alliance militaire entre la France, le Royaume-Uni et l'Empire russe) seraient effectivement annexés à la Roumanie à la fin de la guerre. Après être entrée en guerre contre la Bulgarie, la Roumanie reçut le nord de la Dobroudja en guise de compensation, mais le sud de la Dobroudja fut annexé par la Bulgarie à la signature du traité de Bucarest (7 mai 1918).
4.1 La Grande Roumanie (1918-1940)
Après la Première Guerre mondiale, la disparition de l’Empire austro-hongrois et la victoire des Alliés, les traités de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) et de Trianon (4 juin 1920) permirent à la Roumanie de réunir la Transylvanie, le Banat, la Bucovine et la Bessarabie.
En récompense de son ralliement à la Triple Entente (France, Royaume-Uni et l'Empire russe), Bucarest obtenait le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie. Les alliés de l'Entente s'opposaient alors à ceux de la Triple Alliance ("Triplice" en allemand et en italien), celle avant 1915 entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie. La Roumanie vit alors plus que doubler sa superficie et sa population, avec pas moins de 295 000 km², à peine moins grande que la Pologne actuelle (312 685 km²) et 16,3 millions d’habitants contre 138 000 km² et 7,5 millions d’habitants en 1914. Cependant, toute cette transformation fut payée par la mort de 800 000 Roumains. |
- Une population ethniquement diversifiée
Au moment de la constitution de la Grande Roumanie en 1918, le pays n'était pas ethniquement homogène: les Roumains, les Hongrois, les Allemands, les Juifs, les Ukrainiens et les Russes cohabitaient, la Constitution leur garantissant l'égalité civile et le respect des particularismes religieux, linguistiques et scolaires. Le pays comptait alors 1,4 million de Hongrois, 748 000 Allemands, 728 000 Juifs, 582 000 Ukrainiens, 409 000 Russes, 366 000 Bulgares, 262 000 Tsiganes, etc. Selon les statistiques de 1919, en Roumanie unie, il y avait 28% de citoyens roumains appartenant à des minorités nationales. Parmi ceux-ci, le plus grand poids appartenait aux Hongrois, avec 7,9%. Même situation en Transylvanie où, à côté des 52,12 % de Roumains il y avait 26,46% de Hongrois. Dans 20 des 23 comtés de Transylvanie, la population hongroise était majoritaire.
Avec l'élargissement de la Roumanie, il fallait s'attendre à ce que le nouvel État roumain s’organise pour homogénéiser le pays au point de vue national, pour l’unifier et s'assurer notamment du loyalisme des minorités de la Transylvanie, bien que cette loyauté pût être constamment mise en doute par la majorité roumanophone. La présence de ces minorités pesait lourdement dans la Grande Roumanie, car les nombreuses revendications de leur part ternissaient quelque peu l'éclat de la victoire roumaine. De plus, l’appareil administratif de l'État s'était montré maladroit pour gérer une population allogène frustrée et généralement centrifuge.
Cette situation ne pouvait que déplaire aux nationalistes roumains qui accusèrent les minorités, surtout hongroises, de monopoliser les emplois des entreprises commerciales et industrielles. Celles-ci n’appartenaient en majorité aux Roumains qu’en Valachie, tandis qu'ailleurs ces derniers se trouvaient en minorité parce qu'ils avaient toujours occupé des emplois dans l'agriculture. Autrement dit, les grandes affaires étaient détenues par les populations minoritaires qui favorisaient leurs compatriotes dans le recrutement. Dans ces conditions, les roumanophones ne pouvaient que se sentir frustrés de ne pouvoir contrôler leur pays comme ils l'auraient voulu, d'où la tentation de réagir par la force!
Par ailleurs, les États voisins, héritiers de l'Empire austro-hongrois et de l'Empire russe, c'est-à-dire la Hongrie et l'URSS, se trouvèrent lésés par l'agrandissement de la Roumanie; ils considéraient l'annexion roumaine comme une «occupation impérialiste» sur leurs territoires, dont ils revendiquèrent par la suite la restitution. Le territoire de la Grande Roumanie se trouve aujourd'hui partagé entre la Roumanie (80 %), la Moldavie (11 %), l'Ukraine (6 %) et la Bulgarie (3 %).
Les Roumains nationalistes, tant les politiciens que les universitaires et les intellectuels en général, n'ont jamais voulu parler de la "România Mare", la Grande Roumanie. Les enseignants, les chercheurs, les politiciens et plus particulièrement les géographes et les historiens roumains préférèrent utiliser pour la Roumanie des années 1918-1940 la formule politiquement correcte de « România întregită », ce qui donne en français une expression comme «Roumanie intégrale» ou «Roumanie complète». En principe, la superficie de la Roumanie dite «complète» est moindre que la «Grande Roumanie» puisqu'elle ne comprend pas la Dobroudja. Cette région, étant habitée majoritairement par des Turcs et des Bulgares, n'a pas adhéré à la Roumanie de son plein gré, contrairement à la suite d'un vote pour la Bessarabie, la Bucovine et la Transylvanie à majorités roumaines. En effet, la Dobroudja fut envahie à l'issue d'une campagne militaire voulue en 1913 par l'état-major et contre l'avis du Parlement roumain.
- L'expansion de la Roumanie
À la suite de la victoire des Alliés en 1918, les «Quatorze points» du président américain Woodrow Wilson imposèrent à l'Europe «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes». C'est ainsi que la Bessarabie (Moldavie), habitée majoritairement par des roumanophones, put proclamer son union à la Roumanie. Il en fut de même pour la Bucovine et la Transylvanie, également roumanophones, qui votèrent en novembre leur rattachement à la Grande Roumanie, englobant ainsi la Bucovine, la Transylvanie et la Bessarabie (nom roumain ou le Boudjak, nom turc). C'est ainsi que les Gagaouzes de la Bessarabie (Moldavie orientale) se trouvèrent sous la tutelle des Roumains. Quant aux représentants des Hongrois, dont les Sicules, ils protestèrent parce que le «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» du président Wilson n'était pas appliqué dans le «Pays sicule», majoritairement peuplé de Hongrois. Le roumain devint une langue officielle à côté du hongrois qui continua d'être employé dans les domaines administratif, judiciaire et scolaire. Bien sûr, l’extension de la Roumanie ne se fit pas sans heurt, car les Hongrois de l'Empire austro-hongrois étaient nombreux à vivre en Transylvanie et dans le Banat. Le pays se trouva aux prises avec des problèmes de minorités — 28% de la population totale — ce qui alla en s’accentuant avec la politique centralisatrice de Bucarest. |
La Roumanie devint ensuite un État centralisé et une démocratie parlementaire qui développa de bons rapports avec la France. Dans le but de sauvegarder ses acquis territoriaux, elle signa des accords avec ses voisins, dont la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Grèce et la Turquie.
- La protection des minorités
Le traité de Paris, signé par les représentants de la Roumanie en 1919, référait directement à la disposition selon laquelle aucun citoyen roumain ne puisse être entravé dans l’usage de sa langue dans la sphère privée, les activités économiques, les assemblées religieuses ou publiques, de même que dans la presse ; aucune limitation n’était possible dans l’usage de la langue maternelle devant les tribunaux. En vertu de ce traité, les groupes minoritaires avaient le droit de créer, en recourant à leurs propres ressources matérielles, des établissements d’enseignement dans leur langue. L’État roumain s’engageait à allouer une part proportionnelle de son budget aux territoires où le nombre de personnes issues d’une minorité paraissait suffisamment important pour soutenir les établissements scolaires, religieux ou caritatifs. Toutefois, deux problèmes durent être surmontés après 1918: d'une part, l'intégration de pas moins de quatre systèmes d'éducation différents du fait de l'union de quatre provinces historiques (la Bucovine, la Transylvanie, la Bessarabie et la Marmatie ou Maramureș), d'autre part, le besoin d'industrialisation et de modernisation pour la société roumaine élargie.
Après la signature du traité de Trianon (4 juin 1920), les représentants de la minorité hongroise abandonnèrent leur position initiale et commencèrent à s'organiser pour mieux défendre leurs intérêts. À cette fin, l'Union hongroise fut créée en 1921 et en 1922 il en fut de même pour le Parti populaire hongrois; ce dernier fusionna avec le Parti national hongrois, formant ainsi le Parti hongrois de Roumanie. Certains fonctionnaires hongrois de la Transylvanie refusèrent d'employer le roumain afin de protester contre la roumanisation. En 1920, l'université hongroise de Cluj devint une université de langue roumaine et continua d'être fréquentée par un grand nombre d'étudiants appartenant à des minorités nationales. Évidemment, une partie du mécontentement fut liée à la roumanisation de l'université hongroise et au démantèlement de certaines écoles donnant un enseignement en hongrois. Malgré ces divergences, la vie culturelle et sociale des Hongrois de Roumanie put se poursuivre. Par exemple, en 1922, il y avait 144 publications en hongrois (en 1929 ils seront 192) et environ dix théâtres et plus de 560 écoles primaires.
D'ailleurs, l'article 5 de la Constitution de 1923 reconnaissait ainsi les droits des minorités nationales :
Constituţia din 1923 Articolul 5. Românii, fără deosebire de origine etnică, de limbă sau de religie, se bucură de libertatea conştiinţei, de libertatea învăţământului, de libertatea presei, de libertatea întrunirilor, de libertatea de asociaţie şi de toate libertăţile şi drepturile stabilite prin legi. |
Constitution de 1923 Article 5 Les Roumains, quelle que soit leur origine ethnique, leur langue ou leur religion, jouissent de la liberté de conscience, de la liberté d'enseignement, de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de la liberté d'association et de tous les droits et libertés prévus établis par la loi . |
La loi sur l'éducation de 1924 prévoyait aussi des droits linguistiques dans l'enseignement primaire:
Legea învăţământului primar al statului Articolul 7. 1) Învăţământul primar în şcoalele statului se predă în limba română. |
Loi sur l'enseignement primaire Article 7 1) L'enseignement primaire dans les écoles publiques est offert en roumain. |
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En 1930, les Roumains constituaient 77,9% de la population, tandis que les minorités formaient 22,1% des citoyens du pays, dont 10,0% pour les Hongrois, 4,4% pour les Allemands, 3,2% pour les Juifs et 1,7% pour les Tsiganes. Graduellement, la proportion des minorités allait diminuer, notamment
celle des Hongrois, sans oublier la quasi-disparition des Allemands et des Juifs.
En réalité, les droits prévus par la Constitution de 1923 et ceux de la loi sur l'éducation de 1924 n'ont jamais été garantis. Ainsi, entre 1932 et 1937, dans le département d’Udvarhely (Odorheui Secuiesc), où la plupart des habitants étaient d'origine hongroise, 74 écoles hongroises furent fermées. Dans d'autres départements, par exemple celui de Csík (Ciuc) où les Hongrois étaient majoritaires, il n’y avait pas d’école publique avec un enseignement en hongrois. |
Avant la Seconde Guerre mondiale, les minorités représentaient environ 28 % de la population totale. Mais le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale devait accélérer le cours de l’histoire pour la Roumanie. Pendant la guerre, le pourcentage des minorités fut réduit de moitié, en grande partie en raison de la perte des zones frontalières de la Bessarabie à l'est et de la Bucovine au nord (au profit de l'Union soviétique, aujourd'hui la république de Moldavie et l'Ukraine), des îles de la mer Noire (au profit de l'Union soviétique, aujourd'hui l'Ukraine) et de la Dobroudja au sud (vers la Bulgarie), ainsi que de la fuite ou de la déportation d'Allemands à l'après-guerre .
Bref, les Hongrois de Roumanie quittèrent massivement la Roumanie pour la Hongrie, sauf le nord de la Transylvanie après la Seconde Guerre mondiale parce que le territoire fut occupé par la Hongrie; la Roumanie dut céder en août 1940 le nord-est de la Transylvanie à la Hongrie, puis en septembre la Dobroudja à la Bulgarie. Ces amputations territoriales suscitèrent la colère des Roumains et entraînèrent des émeutes populaires ainsi que l’abdication du roi de Roumanie, Carol II, pendant que la Bessarabie (Moldavie) et la Bucovine étaient occupées par les forces armées soviétiques.
Le 6 septembre 1940, après l'abdication forcée de Carol II, Michel Ier monta sur le trône de Roumanie pour la seconde fois à 18 ans, mais il n'exerça aucun pouvoir, ne servant que de paravent légitimiste au régime d'Antonescu qui s'était aligné sur l'Allemagne nazie.
- La Transnistrie roumaine
Entre octobre 1940 et juin 1941, environ 550 000 soldats allemands entrèrent en Roumanie. Durant la Seconde Guerre mondiale, plus précisément le 30 août 1940, le Deuxième Arbitrage de Vienne rendit à la Hongrie le nord de la Transylvanie, ce qui incluait le «Pays sicule», sauf le siège d'Aranyosszék. En raison de l'engagement de la Roumanie contre l'Axe à partir d'août 1944, le traité de Paris de 1947 consacrait le retour à la Roumanie de la Transylvanie septentrionale avec le «Pays sicule».
Dans le but de compenser la perte de la Transylvanie roumaine au profit de la Hongrie, Hitler permit au général roumain, Ion Antonescu, officiellement le «chef de l'État du royaume de Roumanie» de 1940 à 1944, d’occuper la Transnistrie. En 1941, la Roumanie attaqua l’URSS avec l'aide de la Wehrmacht : les armées franchirent le Prout et le Dniestr, envahirent la Bessarabie et la Transnistrie, puis traversèrent le Boug et avancèrent jusqu'à Stalingrad (Russie).
Pour la première fois de son histoire, la Roumanie occupait au complet la Transnistrie. Elle transforma la région entre le Dniestr et le Boug, y compris la ville d’Odessa, en une zone d’occupation militaire, sous le nom de Gouvernorat de Transnistrie. En dépit de l'existence en Transnistrie d'environ 300 000 Roumains, la majorité de la population restait constituée d'Ukrainiens et de Russes, ce qui explique probablement la décision de la Roumanie de ne pas procéder à une annexion en règle de cette région. |
La Roumanie, devenue un État-satellite de l'Allemagne, était de fait dirigée par les ambassadeurs allemands Wilhelm Fabricius puis Manfred von Killinger, et par le général Johannes Friessner, mais officiellement gouvernée d'une main de fer par le maréchal Ion Antonescu qui n'avait rien à leur refuser, mais qui insista auprès d'eux pour procéder lui-même au génocide réclamé par les nazis, engageant l'armée roumaine dans des crimes contre l'humanité et déclarant : «Peu m'importe que nous entrions dans l'histoire comme des barbares.»
Dans ce contexte la Transnistrie devint pour la Roumanie un lieu de déportation de quelque 185 000 Juifs, Tsiganes et résistants au régime, une sorte de «Sibérie roumaine»; les trois quarts des déportés moururent de froid, de faim et de maladie, ou furent enfermés dans des hangars auxquels l'on mit le feu, ou encore furent fusillés par les "Einsatzgruppen" (groupes d'intervention nazis). En même temps, des unités de l'armée allemande s'installèrent en Roumanie, ce qui comprenait les services de sécurité, l'espionnage et les commandements allemands, lesquels contrôlaient le front et l'armée roumaine. Ces faits révulsèrent une partie de l'opinion publique et en face, au sein de l'armée soviétique, se constituèrent deux divisions roumaines combattant du côté allié, qui intégrèrent beaucoup de prisonniers roumains capturés par l'Armée rouge.
- Les langues roumaine et allemande
Le général Antonescu fit venir de force plus de 8500 fonctionnaires roumains pour administrer la Bessarabie et la Transnistrie. Pendant que la Roumanie employait le roumain auprès des habitants de Bessarabie, de la Bucovine et de Transnistrie, les nazis n'utilisaient que l'allemand, y compris avec les Roumains.
Ion Antonescu ordonna aux fonctionnaires de gouverner «comme si la Roumanie s'était installée sur ces territoires depuis deux millions d'années». De plus, le gouverneur de la Transnistrie, Gheorghe Alexianu, conçut le gouvernement d'occupation roumain selon le «principe du Führer». La police locale, formée de Roumains et d'Ukrainiens, fut chargée de maintenir l'ordre et de faire travailler les habitants, y compris les Juifs,
même si la plupart d'entre eux devaient rester dans des ghettos étroitement surveillés.
Une ordonnance, publiée le 11 novembre 1941, autorisait les gendarmes à exécuter des Juifs fuyant les ghettos ou les camps de travail. Sur fond d'antisémitisme, le gouvernement d'Ion Antonescu adopta officiellement le mythe du «Juif responsable» des pertes territoriales subies par la Roumanie au cours de l'été 1940. Cela justifiait amplement le gouvernement roumain, en accord avec l'Allemagne, d'entreprendre un «nettoyage» ethnique dans les territoires reconquis en déportant et/ou en tuant les Juifs de Bucovine et de Bessarabie qui n'avaient pas eu le temps de fuir vers l'intérieur de l'Union soviétique. |
- L'emprise de la langue russe
Au total, 380 000 à 400 000 Juifs, dont ceux de Transnistrie, furent liquidés dans les régions contrôlées par la Roumanie sous la dictature d'Antonescu. En mars 1944, les troupes allemandes entamèrent une retraite désordonnée. Quelques jours plus tard, l'Armée rouge entrait en Transnistrie. L'URSS allait aussitôt reprendre les territoires perdus pendant la guerre, la Transnistrie et la Bessarabie.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la France et la Roumanie n'étaient plus des alliées, mais des adversaires. Cette situation marqua le début de la rupture dans les relations franco-roumaines. Celles-ci allaient se détériorer davantage après la prise du pouvoir par les communistes en 1945. C'est ainsi que ces derniers se hâtèrent de remplacer la langue française dans les écoles roumaines par la langue russe. Bien plus, ils tentèrent par tous les moyens d’isoler la Roumanie de sorte qu'elle ne subisse que l’influence russe. Dorénavant, la Roumanie ferait partie des pays du Bloc de l'Est.
4.2 La Roumanie communiste (1945-1989)
Après la guerre, la Roumanie fut soumise à l’influence soviétique. Le régime communiste de Roumanie fut mis en place, le 6 mars 1945, par le coup d'État du Parti communiste roumain soutenu par l'Armée rouge; la République fut alors créée le 30 décembre 1947 au moment de l'abolition du royaume de Roumanie et de l'abdication du roi Michel. La Roumanie dut renoncer à ses droits sur la Bessarabie et la Bucovine du Nord, au profit de l’URSS, ainsi que sur la Dobroudja méridionale, au profit de la Bulgarie. La République populaire de Roumanie récupéra cependant le nord de la Transylvanie. Les Soviétiques traitèrent toutefois la Roumanie comme un territoire conquis, tandis que les militaires occupaient le pays en s'appuyant sur le fait que les Roumains étaient des alliés nazis actifs avec un gouvernement fasciste. D'ailleurs, la Conférence de Yalta (1945) accorda à l'Union soviétique un intérêt prédominant pour la Roumanie; les traités de paix de Paris ne reconnaissaient pas la Roumanie en tant que cobelligérant allié, car l'armée roumaine avait combattu les Soviétiques pendant la majeure partie de la guerre, ne changeant de camp que lorsque le vent commença à tourner.
En mars 1945, le roi Michel Ier promulgua la Loi n° 86 du 6 février 1945 sur le statut des nationalités minoritaires (voir le texte).
Article 6
La langue officielle de l'État roumain est le roumain. Cependant, dans les territoires administratifs ou circonscriptions judiciaires, où une grande partie de la population est d'une autre langue que le roumain, les articles 8 et suivants s'appliqueront. Article 7 Dans les relations privées, telles que la correspondance, les conversations téléphoniques, etc., dans l'industrie et le commerce, en matière de religion, de presse, de publications de toute nature ou dans les réunions publiques, les citoyens roumains peuvent utiliser librement et sans aucune restriction de langue. Pour une circonscription où, selon le dernier recensement, au moins 30 % des habitants sont de la langue maternelle commune de cette population, mais autre que roumaine, les tribunaux et les juges compétents sont tenus:
Article 18 L'État roumain offre un enseignement dans la langue maternelle parmi les écoles publiques primaires, secondaires et supérieures pour les nationalités en cohabitation, qui ont un nombre suffisant d'élèves candidats et à l'exception des localités où les écoles privées confessionnelles correspondent à ce besoin. Le personnel enseignant des écoles publiques, ou de leurs sections d'une autre langue autre que le roumain sera recruté de préférence dans la nationalité concernée. |
Cette loi imposait l'égalité des minorités devant la loi, leur droit à une presse, un enseignement et une vie artistique dans leur langue, ainsi que des associations propres et des institutions confessionnelles propres. Mais les pressions politiques forcèrent le roi à désigner un gouvernement pro-soviétique dirigé par Petru Groza (1884-1958), président du Conseil des ministres. À partir du mois d'août 1945 (jusqu'en janvier 1946), Michel Ier pratiqua une «grève royale» en refusant de signer des décrets du président Groza, tout en tentant en vain de s'opposer au gouvernement contrôlé par les communistes. Le matin du 30 décembre 1947, Groza rencontra Michel Ier et le contraignit à abdiquer ; Michel de Hohenzollern dut donc partir en exil, ses biens furent confisqués et sa citoyenneté déchue.
- La coercition d'un stalinien: Gheorge Gheorghiu-Dej
Gheorge Gheorghiu-Dej, un stalinien engagé, fut élu premier secrétaire du Parti communiste en octobre 1945, puis devint chef du parti. Il fut donc le dirigeant communiste de la République populaire roumaine de 1947 jusqu'à sa mort en 1965. Selon le modèle politique représenté par Staline, il fut un leader autoritaire, enthousiaste et intolérant à toute forme d'opposition. Immédiatement après la guerre, les communistes avaient promis l'égalité et une vie meilleure pour les ouvriers et les paysans, mais en réalité ils recherchaient un contrôle absolu sur tout le pays. D'un point de vue politique, le parti unique voulait maintenir son contrôle interne sur la société. Jusqu’en 1962, la Roumanie aligna ses politiques sur celles de l’URSS.
On abolit en 1949 la loi n° 86 de 1945, qui fut remplacée par un équivalent communiste postulant plus ou moins les mêmes dispositions, sauf pour les institutions confessionnelles. Le 21 août 1965, suivant l'exemple de la Tchécoslovaquie, le nom du pays fut changé en «République socialiste de Roumanie» ("Republica Socialistă România"). |
Sous la pression des Soviétiques, notamment celle de Staline, la Constitution de la Roumanie révisée en 1952 prévoyait l’autonomie administrative et territoriale de la population des districts sicules, dans lesquels l’usage de la langue maternelle était garanti dans tous les domaines de la vie publique:
Constituţia din 1952
[...] Capitol introductiv [...] Articolul 68 1) În Republica Populara Română, procedura judiciară se face în limba română, asigurându-se în regiunile şi raioanele locuite de populaţie de alta naţionalitate decât cea română folosirea limbii materne a acelei populaţii. În Republica Populara Română se asigura minorităţilor naţionale folosirea libera a limbii materne, învăţămîntul de toate gradele în limba maternă, cărţi, ziare şi teatre în limba maternă. În raioanele locuite şi de populaţii de alta naţionalitate decât cea română, toate organele şi instituţiile vor folosi oral şi scris şi limba naţionalitatilor respective şi vor face numiri de funcţionari din rândul naţionalităţii respective sau al altor localnici care cunosc limba şi felul de trai al populaţiei locale. |
Constitution de 1952 Chapitre d'introduction [...] Les minorités nationales de la République populaire roumaine jouissent d'une pleine égalité en droits avec le peuple roumain. En République populaire roumaine, l'autonomie administrative et territoriale est assurée à la population hongroise des districts sicules, où elle forme une masse compacte. [...] En République populaire roumaine, les minorités nationales bénéficient du libre usage de leur langue maternelle, d'un enseignement à tous les niveaux dans leur langue maternelle, de livres, de journaux et de théâtres dans leur langue maternelle. Dans les districts habités par des populations d'une autre nationalité que la nationalité roumaine, tous les organismes et toutes les institutions doivent employer à l'oral et à l'écrit la langue de ces nationalités et embaucher des fonctionnaires de cette nationalité ou d'autres personnes locales qui connaissent la langue et la manière de vie de la population concernée. |
Pour en arriver à combler de bienfaits les Hongrois de Roumanie, le gouvernement roumain dut réorganiser administrativement les territoires de la plupart des départements (Județe) afin de centraliser la vie sociale des Hongrois dans le seul «Pays sicule». À cette fin, les écoles et les organismes de presse furent déplacés, ce qui favorisa le harcèlement des populations hongroises restées à l'extérieur de la région.
Entre 1949 et 1958, l'ensemble du système d'éducation demeura sous le contrôle du Parti communiste roumain, soutenu par l'Union soviétique. L'éducation fut considérée par le gouvernement communiste comme un outil important de contrôle des citoyens. Les réformes de 1949 furent jugées essentielles pour détruire l'ancien système et créer une nouvelle version «améliorée» de l'éducation.
D'abord, un grand nombre d'éducateurs et d'enseignants furent arrêtés ou simplement exécutés, pendant que les cadres du parti les moins qualifiés, mais obéissants, occupaient les postes libérés. La division classique entre lycées techniques, écoles classiques et professionnelles fut complètement supprimée. La plupart des universités furent rétrogradées en instituts techniques. Toutes les écoles privées et religieuses furent fermées et reprises par l'État. De nouvelles matières furent introduites, dont le russe devenu obligatoire à tous les niveaux, ce qui éliminait l'enseignement du français. L'athéisme remplaça la religion, tandis que le sujet de l'étude soviétique se répandit. La plupart des sciences sociales furent complètement supprimées, la sociologie étant presque interdite, alors que la psychologie, le droit et la philosophie étaient réformés sur la base du dogme stalinien.
Bien sûr, la censure s'est généralisée et de nombreux auteurs classiques furent interdits, car le prolétariat et le réalisme socialiste devinrent la norme dans l'art, la science et l'éducation. Le Parti communiste roumain modifia le système d'éducation afin de pouvoir mettre en œuvre l'alphabétisation de masse, les campagnes d'éducation des adultes et la réintroduction de l'éducation dans les langues minoritaires, en particulier en hongrois.
En 1965, Nicolae Ceausescu devint secrétaire général du Parti communiste roumain. Il fut également chef de l'État à partir de 1967, président du Conseil d'État et, à partir de 1974, président de la République en même temps; il le resta jusqu'à son renversement et son exécution au moment de la révolution roumaine en décembre 1989, cet épisode faisant partie d'une série de soulèvements anticommunistes et antisoviétiques en Europe de l'Est.
- Le régime autoritaire de Ceausescu (1965-1989)
Dans ses premières années au pouvoir, Ceausescu fut relativement populaire, tant dans son pays qu'à l'étranger. Reconnu comme l'un des disciples les plus fidèles de Gheorghiu-Dej, il poursuivit le processus de libéralisation du régime. La Roumanie commença à se démarquer de l’Union soviétique, mais Ceausescu établit bientôt un régime dictatorial et fit respecter avec rigueur l'orthodoxie communiste sur le plan intérieur: la Roumanie demeura l'un des pays les plus retardés et les plus répressifs du bloc de l'Est. Jusqu’en 1989, le dictateur dirigea la Roumanie d’une poigne de fer et y instaura un culte de la personnalité. Épaulé par la Securitate, terrible police politique, son régime fut le plus autoritaire dans cette partie du monde. Pendant que le peuple subissait la terreur et la pauvreté, Ceausescu et sa femme menaient un train de vie luxueux.
Rappelons que Nicolae Ceausescu commença son «règne» dès 1965, alors qu'il était secrétaire général du Parti communiste roumain.
Tout compte fait, il fut le chef de l'État de 1965 à 1989. Sous son régime, la Roumanie pratiqua une politique linguistique ultranationaliste, anti-immigrante et surtout anti-hongroise, car les Hongrois constituaient la plus importante minorité. Au début, Ceausescu prit des précautions envers les minorités; même ses premières visites internes eurent lieu dans des zones à forte population hongroise. D'une part, il reconnaissait le droit des Hongrois de la Transylvanie à leur propre culture et à l'usage de leur langue maternelle; d'autre part, il condamnait fermement «le nationalisme et le chauvinisme» ethniques.
En peu de temps, sa politique d'ouverture envers les minorités se transforma en politique d'intégration, puis d'assimilation. Alors que, selon le modèle soviétique, les Hongrois de Transylvanie bénéficiaient d'une Région autonome magyare dotée d'institutions propres, où la langue officielle était le hongrois, notamment dans le «Pays sicule», le président Ceausescu mit fin à cette ouverture dès 1968. Dès lors, le hongrois cessa d'être une langue officielle, mais conserva théoriquement un statut de «langue minoritaire protégée». |
Dans le cas des Hongrois, à l'oppression générale de tous les citoyens s'ajouta la dimension nationale, entraînant une double oppression: politique et ethnique. Une première étape importante fut la restriction de l'usage de la langue hongroise dans le système d'éducation et dans la vie publique, suivie de la roumanisation massive de la toponymie transylvanienne, mais aussi d'une véritable campagne pour changer les noms des rues à résonance hongroise. Bien sûr, les centres culturels, les théâtres, l'université et les écoles de langue hongroise furent progressivement fermés, les échanges culturels avec la Hongrie furent fortement limités, alors que l'emploi des noms hongrois dans les villages fut même interdit en avril 1988. C'est également au cours de cette période que commencèrent les efforts de «désintellectualisation» de la minorité hongroise au moyen d'un système de répartition contrôlée des diplômés hongrois de l'enseignement supérieur, lesquels à quelques exceptions près furent envoyés exercer dans des régions à majorité roumaine absolue. On peut lire quelques articles de la loi n° 28 du 21 décembre 1978 au sujet de la langue d'enseignement pour les «nationalités cohabitantes», selon le langage de l'époque :
Lege nr. 28 din 21 decembrie 1978 Articolul 4 1) Învăţămîntul de toate gradele se desfăşoară în limba română, asigurindu-se studierea şi cunoaşterea temeinica a limbii române. 1) În unităţile administrativ-teritoriale locuite şi de populaţie de alta naţionalitate decît cea română se organizează, în conformitate cu normele unitare de structura, unităţi de învăţămînt, secţii, clase sau grupe cu predarea şi în limbile naţionalitatilor respective. Pentru a participa activ la întreaga viaţa politica, economică şi social-culturală a tarii, tinerilor din rindul naţionalitatilor conlocuitoare li se asigura însuşirea limbii române. În acest scop, în unităţile de învăţămînt primar, gimnazial şi liceal, cu predarea în limbile naţionalitatilor conlocuitoare, se studiază limba română, iar unele discipline, prevăzute în planul de învăţămînt, se pot preda în limba română. 1) Părinţii sau ţinerii aparţinînd naţionalitatilor conlocuitoare pot opta pentru înscrierea în unitatea de învăţămînt cu predarea în limba naţionalităţii respective sau în limba română. |
Loi n° 28 du 21 décembre 1978 Article 4 1) L'enseignement à tous les niveaux est offert en roumain en garantissant l'étude et la connaissance approfondie des langues roumaines. 1) Dans les unités administratives et territoriales habitées par la population d’une nationalité autre que roumaine, des établissements d’enseignement, des sections, des classes ou des groupes d’enseignement dans les langues de ces nationalités sont organisés, selon les limitations régionales respectives. Article 107 Afin de participer activement à toute la vie politique, économique et socioculturelle du pays, les jeunes d'une nationalité cohabitante sont assurés de l'acquisition de la langue roumaine. À cette fin, dans les établissements d'enseignement primaire, secondaire et secondaire, avec un enseignement dans les langues de la nationalité cohabitante, la langue roumaine est étudiée et certaines matières prévues au programme peuvent être enseignées en roumain. Article 108 1) Les parents ou les jeunes appartenant à une nationalité cohabitante peuvent choisir de s'inscrire dans un établissement d'enseignement avec un enseignement dans la langue de cette nationalité ou en roumain. |
De façon générale, le régime communiste persécuta toutes ses minorités ethniques et religieuses; il déporta même à des fins d'extermination des dizaines de milliers de Juifs et d'Allemands que le gouvernement avait fait venir auparavant pour combler une pénurie de main-d'œuvre; il fit aussi déporter 45 000 paysans opposés à la collectivisation, notamment les fermes collectives. Les méthodes utilisées pour créer de telles fermes s'accompagnèrent généralement de brutalité, de confiscation, d'arrestation, de déportation, ainsi que de campagnes de presse et d'isolement. Les assassinats furent extrêmement fréquents envers les prisonniers politiques et les groupes partisans représentant la résistance armée anticommuniste.
Le gouvernement communiste entreprit de minoriser les zones peuplées de Hongrois par des Roumains issus d’autres régions. Les écoles hongroises furent fermées pour être remplacées par des classes roumaines. Cette mesure atteignit son apogée au cours des années 1980, lorsque les dernières écoles hongroises furent supprimées et que l’enseignement professionnel en langue minoritaire fut carrément aboli. De plus, la géographie et l’histoire de la Roumanie furent enseignées uniquement en roumain, et les élèves hongrois furent obligés d’étudier la grammaire et la littérature roumaines avec des manuels conçus pour les élèves roumains. On ne tenait pas compte du fait que le roumain n’était pas leur langue maternelle et qu’ils auraient pu l’apprendre avec plus de succès en l’étudiant selon les méthodes d’acquisition d’une langue seconde, malgré l’excellente connaissance du roumain de la majorité des élèves.
- Les principales mesures prises contre les minorités
Nous pouvons résumer la situation des minorités sous le régime de Ceausescu de la façon suivante:
- restrictions et interdictions de parler en public une langue minoritaire, roumanisation des noms des rues et des localités;
- restrictions et suppression des manuels scolaires, obstacles administratifs portant sur l'instauration de cours ou de classes en langue minoritaire, fermeture d'établissements d'enseignement primaire, secondaire et supérieur;
- suppression des médias dans les langues minoritaires;
- épuration des institutions politiques et remplacement des cadres;
- interdiction des jours de fêtes religieuses, fermeture des lieux de culte et des cimetières, destruction des monuments religieux.
À cela s'ajoutent les départs massifs des Allemands, des Hongrois, des Roms/Tsiganes, mais aussi des opposants roumains: 30 000 départs pour le seul mois de juin 1989, dont 20 000 Hongrois.
- La langue de bois
Au cours de cette période, Nicolae Ceaușescu était «le fils le plus aimé du peuple» ("cel mai iubit fiu al poporului”), «le génie des Carpates» ("geniul Carpaților"), «le sage dirigeant de la Roumanie» ("înțeleptul conducător al României"), avant de devenir plus tard «le dictateur odieux» ("odiosul dictator"), «le cordonnier de Scornicești» ("cismarul din Scornicești"), lieu de naissance du dictateur, ou «le meurtrier qui tuait de sang-froid» ("criminalul care a ucis cu sânge rece"), etc.
Au point de vue stylistique, le recours à la langue de bois
constitue l'une des caractéristiques de tout régime totalitaire. À l'époque communiste, la désinformation des citoyens et le contournement de la vérité constituaient un phénomène de manipulation qui s'est fait ressentir dans la mentalité des citoyens roumains. Ainsi, il n'était pas possible de parler de l'existence d'un code de déontologie, d'éthique professionnelle, de valeurs auxquelles
croyaient les journalistes roumains, car tout était sous le strict contrôle du dictateur. Cette situation influença pour longtemps l'évolution de la presse.
Même après la chute du communisme, beaucoup de fonctionnaires et de politiciens «survécurent» à la bureaucratie communiste; ils sont restés au pouvoir pendant une dizaine d'années avec leur langue de bois, puis ils ont même transmis leur idéologie à leurs descendants, ce qui n’a guère facilité l’apprentissage de la démocratie dans le pays. |
De plus, le passage graduel d’une économie planifiée omniprésente à une économie de libre marché ne fut pas aisé. Mais la renaissance économique s'est activée essentiellement au moyen des investissements étrangers, notamment depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne. Néanmoins, en dépit du fait que les trois provinces historiques roumaines (Valachie, Moldavie et Transylvanie) ont été longtemps séparées par les vicissitudes de l'histoire, le roumain est resté une langue d'une étonnante unité. Ce fut l'un des rares aspects positifs du régime communiste. En ce qui concerne les religions, sous le régime communiste de Ceaucescu, elles se virent toutes théoriquement interdites, bien que l’Église orthodoxe soit demeurée bien présente sous le contrôle strict des autorités.
En décembre 1989, Ceausescu fut renversé par une violente insurrection. Il s'enfuit de Bucarest, mais fut capturé et fusillé (avec son épouse), le jour de Noël de 1989, après un simulacre de procès de moins d'une heure. Au moment du changement de régime en 1989, le principal parti politique d’alors, le Front du salut national ("Frontul Salvării Naționale"), condamnait la politique des minorités du précédent régime et déclarait solennellement qu’il réaliserait et garantirait les droits nationaux individuels et collectifs. Cependant, le parti né du soulèvement populaire, puis officiellement élu en 1990, fut dirigé et formé d’anciens fidèles de l’appareil communiste, y compris des membres de la Securitate, appelée officiellement "Departamentul Securității Statului" («Département de la sécurité de l'État»), la police politique secrète roumaine sous l'ère communiste.
- Les emprunts au russe
À ses débuts en Roumanie et pendant toute sa durée en Moldavie, le régime communiste a fait jouer un grand rôle au russe. Le roumain compte près de 300 termes russes, dont les plus anciens datent du Moyen Âge, des relations entre les principautés roumaines et le tsarat de Moscovie; d'autres remontent à l'occupation des principautés danubiennes par l'Empire russe durant le XIXe siècle, et les plus récents à la période soviétique, notamment en Moldavie.
En voici quelques-uns:
- la période ancienne: batog («esturgeon séché»), duhovnic («confesseur»), icre («œufs de poisson» ou «poutargue»), lotcă («barque»), muscal («moscovite»), stareț («abbé»), troiță («calvaire»), vâslă («aviron»);
- la période impériale: balalaică («balalaika»), a cartirui («garnison»), cazac («cosaque»), comandir («commandeur»), investiție («investissement»), pașaport («passeport»), prăvălie («boutique»), șapcă («casquette»), tractir («tractation, traiteur»), troică («troïka»), turbincă («sacoche»), votcă («vodka»), zacuscă («amuse-gueule »), zapiscă («attestation, certificat») ; - la période soviétique: cechist ou securist («policier politique»), colectivism («collectivisme»), colhoz («kolkhoze»), leninism («léninisme»), politruc («commissaire politique»), pricaz («oukaze, ordre impératif»), proletcultist («prolétaire»), raion («arrondissement» ou «canton»), sorealism («réalisme socialiste»), ștab («camarade puissant» ou «nomenklaturiste»), tovarăș (remonte à la période médiévale avec le sens de «compagnon», mais a remplacé colega «collègue» et domnule «monsieur» à la période soviétique avec le sens de «camarade»). |
4.3 La Roumanie démocratique
Au printemps de 1990, la chute du régime communiste et la tenue des premières élections libres, législatives et présidentielles ne marquèrent toutefois pas le début d’une ère prospère et glorieuse. Ce fut plutôt le début d’une période de transition complexe et difficile et qui, à plusieurs égards, persiste toujours à l’heure actuelle. L'approbation par référendum d'une nouvelle constitution le 8 décembre 1991, instituant une république démocratique, avait promis la stabilité politique. Néanmoins, de graves problèmes assaillirent le nouveau gouvernement. La résurgence du nationalisme, qui avait déjà exacerbé les relations entre les Roumains et les Hongrois en Transylvanie, encouragea la montée des organisations ultranationalistes.
- Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne
Toutefois, le problème le plus difficilement soluble demeura l'économie. La perte de marchés à la suite à l'effondrement en 1991 du Comecon (dont les membres ont reçu l'essentiel des exportations de la Roumanie) et une incapacité à trouver de nouveaux marchés en Europe occidentale eurent des conséquences catastrophiques pour une économie déjà minée par plusieurs décennies, sous le régime de Ceausescu, de mauvaise gestion et d'inefficacité. Les élections de 1992 n'apportèrent aucun changement politique significatif, car le pays continua d'être gouverné par Ion Iliescu (1989-1996 et 2000-2004) et d'anciens communistes membres du Front du salut national (FSN).
Apparemment libérés du joug communiste, de nouveaux partis virent le jour, dont le Parti de l'unité nationale roumaine (PUNR), le Parti de la Grande Roumanie (PRM) et le Parti socialiste du travail (PSM). Les Hongrois de Roumanie formèrent des partis politiques, dont l'Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR) qui joua aussitôt un rôle important sur la scène politique roumaine. Ce parti dut affronter régulièrement le régime du président Ion Iliescu. |
Après la fusion avec d'autres partis politiques, le FSN devint le Parti social-démocrate (le PSD); cette formation demeura le pilier de la vie politique en Roumanie. À partir de 1996, l'Union démocrate magyare de Roumanie put faire partie du gouvernement roumain en appuyant fortement l'intégration du pays à l'Union européenne et à l'OTAN. Le président Iliescu poursuivit des relations plus étroites avec l'Europe occidentale et son gouvernement introduisit les réformes économiques, notamment la libéralisation des prix, recommandée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international pour aligner la Roumanie sur les autres économies de marché émergentes. Il s'ensuivit une flambée de l'inflation (atteignant environ 300 %) et une augmentation du chômage.
Depuis son adhésion au Conseil de l’Europe, le 7 octobre 1993, la Roumanie essaie de parvenir à une véritable démocratie et a signé plusieurs traités internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de l'homme (de 1966), la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (de 1965), la Convention des Nations unies sur la suppression et la punition du crime d'apartheid (de 1973), la Convention de l'Unesco contre la discrimination dans l'éducation (de 1960) et la Convention-cadre des langues minoritaires de 1995.
Au cours des premières années du XXIe siècle, le produit intérieur brut (PIB) a commencé à afficher une croissance positive, l'inflation a chuté et la privatisation s'est accélérée. En mars 2004, la Roumanie est entrée dans l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et, en janvier 2007, elle a rejoint l'Union européenne (UE).
- La Francophonie
L’effondrement de la dictature communiste permit à la France de tenter de retrouver son influence prépondérante en Roumanie, avant même que cette dernière ne fût admise dans l’Union européenne. Par ailleurs, les relations franco-roumaines commencèrent à se rétablir et, en 1993, la Roumanie adhéra comme membre de plein droit à la Francophonie.
L’influence française se fond aujourd’hui dans l’influence ouest-européenne, mais la Roumanie reste membre de l’Organisation internationale de la Francophonie et, depuis 2001, elle remonte : en 2006, un accord intergouvernemental franco-roumain fut signé, portant sur 63 lycées à sections bilingues, dont 26 lycées entièrement bilingues. Ces cursus débouchent, pour ces derniers, sur un baccalauréat mention bilingue francophone. En septembre 2006, la Roumanie devenait le premier pays de l’Europe centrale et orientale à avoir été choisi comme hôte d’un Sommet des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage. Ce fut le XIe Sommet de la Francophonie qui eut lieu à Bucarest. |
Au point de vue économique, les investisseurs et les touristes anglophones et germanophones vinrent bien plus nombreux en Roumanie que les francophones, en partie parce qu’à travers le monde l’anglais est désormais dominant. De ces facteurs, il découle une perte de vitesse du français face à l’anglais, à présent première langue universitaire, et l’atténuation de l’ancienne forte francophilie des Roumains.
Aujourd'hui, plusieurs centaines de mots sont entrés dans la langue roumaine par l'anglais: gem (< jam), interviu (< interview), meci (< match), tramvai (< tramway), manager (< manager), etc. Ces mots reçoivent un genre grammatical et sont employés selon les règles de la langue roumaine. Cependant, depuis 1990 environ, les mots anglais, malgré les recommandations de l'Académie roumaine et de la loi Pruteanu n'enrichissent plus la langue roumaine en recevant le genre grammatical et en étant accordés selon les règles de la langue; ils sont employés par les médias et la population de Roumanie sous leur forme d'origine, comme dans les langues non écrites telles que mall ("galerie comercială"), service ("deservire"), computer ("ordinator" ou "calculator"), forward ("retransmitere") ou attach ("atas"). Le refus de roumaniser les mots étrangers est considéré par des auteurs comme George Pruteanu comme une forme de snobisme, qui juge archaïque l'adoption de mots dans les formes roumaines.
- La résilience de la minorité hongroise
Immédiatement après la chute du régime communiste, l'Union des Hongrois de Roumanie (DUHR) fut fondée afin de représenter les intérêts de la communauté hongroise de Roumanie. La DUHR participa à toutes les élections après 1990 sur ses propres listes électorales. À la suite des élections de 2004, l'Union des Hongrois de Roumanie fut représentée au Parlement par 22 députés et 10 sénateurs.
En 2007, la Roumanie intégrait l'Union européenne. Parmi les problèmes qui furent posés à ce pays durant son processus d'adhésion se trouva celui des minorités. Les deux plus importantes de Roumanie étant les Hongrois (avec 10 % de la population en 2007) et les Roms/Tsiganes, nomades sédentarisés représentant 4,5% de la population (en 2007).
Puis la question hongroise revint régulièrement sur le tapis. Rappelons que, sous le régime communiste, les Hongrois avaient eu droit, pendant quelques années, à une certaine autonomie locale dans une région appelée «le Pays sicule», c'est-à-dire «le pays des Sicules»; en roumain: Ținutul Secuiesc; en hongrois: Székelyföld. Cette autonomie s'était concrétisée seulement de 1952 à 1968, année
où elle fut abolie par Nicolae Ceausescu.
Les Hongrois du «Pays sicule» n'ont jamais accepté cette perte d'autonomie. Ils sont revenus à la charge en proposant au Parlement roumain la restitution de leur autonomie perdue. Dans tous les cas, les projets de loi (2004, 2012 et 2018) furent rejetés sans débat et sans vote de soutien de la part des parlementaires roumanophones. Au mieux, l'État roumain n'accepta que la réofficialisation du hongrois, à côté du roumain, dans les services publics de la ville de Târgu Mureș et surtout dans les districts de Covasna et de Harghita où la population magyarophone dépasse les 75 % et même localement les 95 % dans certaines villes. On peut lire les dispositions linguistiques du projet de loi relatif au Statut d'autonomie présenté en 2019, lequel fut adopté «tacitement» par la Chambre des députés le 23 avril 2020. |
Le projet de loi avait soulevé la controverse après qu'il fut tacitement adopté par la Chambre des députés. Une adoption tacite signifie qu'un projet de loi n'a pas été soumis à l'ordre du jour, de sorte qu'il peut être adopté ou rejeté; il passe alors la première chambre du Parlement sans être formellement voté par les députés. Finalement, c'est le Sénat qui est la chambre de décision. En fait, le Sénat rejeta le projet de loi avec une forte majorité, puisque seuls les sénateurs de l'UDMR (Union démocratique magyare de Roumanie) voteront en faveur de l'autonomie du "Szeklerland" («Pays sicule»). Trois partis politiques représentent les intérêts de la minorité hongroise, qui compte 30 élus au Parlement roumain. Ces députés prônent l'autonomie comme moyen de «préserver l'identité nationale et garantir des droits égaux» aux membres de cette communauté.
On peut résumer les dispositions linguistiques de la façon suivante:
- le hongrois serait reconnu comme langue officielle de la région au même titre que le roumain; - tous les citoyens domiciliés ou résidant dans le «Pays sicule» auraient le droit d'utiliser les deux langues sur un pied d'égalité, dans la vie privée et publique, y compris dans les institutions publiques, ainsi que devant les autorités publiques, tant à l'oral qu'à l'écrit; - les autorités de la Région autonome doivent assurer l'usage officiel et naturel des deux langues, en adoptant les règlements nécessaires à leur connaissance, en créant toutes les conditions qui garantissent leur pleine égalité; - dans les établissements d'enseignement du pays sicule, il est nécessaire d'assurer l'enseignement de l'histoire des communautés nationales, ethniques et linguistiques, ainsi que l'histoire, la géographie et l'ethnographie de leur nation mère, la connaissance des traditions et des valeurs culturelles; . |
De fait, la question hongroise revient constamment sur la scène publique roumaine. De façon générale, l'autonomie des Sicules signifierait l'officialisation de plusieurs droits pour les habitants des départements de Harghita, de Covasna et pour certains habitants de Mureş. Il s'agit, entre autres, de l'emploi de la langue maternelle dans l'administration publique et la justice, ainsi que de l'administration de leurs propres budgets. À ce propos, beaucoup de Roumains croient que les Sicules auraient plus de droits que les Magyars de Cluj ou de Bihor. D'autres affirment que les représentants des Sicules tentent de fausser l'histoire et de faire revivre une population qui n'existe plus, en vue d'éviter des termes qui feraient terriblement fureur au sein la population roumaine, tels que «Petite Hongrie» ("Mica Ungarie") ou «Hongrie de Transylvanie» ("Ungaria din Ardeal"), etc. Il y a aussi des responsables roumains qui croient que les dispositions constitutionnelles ont été violées, parce que cette autonomie vise dans la pratique à créer une entité d'États distincts, parallèle à l'État national unitaire roumain. Enfin, des Roumains craignent que la Hongrie vienne prendre «leur» Transylvanie. Bien entendu, toutes ces questions sont restées sans réponse puisque le Sénat a voté le rejet de la proposition législative.
De toute façon, les Hongrois ne peuvent pas revendiquer toute la Transylvanie, car ils ne constituent que 20% de la population, contre 73,6% de roumanophones. Les Roumains ne peuvent cependant ignorer les magyarophones qui sont devenus des «Roumains» avec la citoyenneté roumaine. Les Roumains de la Moldavie et de la Valachie craignent toujours d'accorder à des régions des droits et des libertés dont ils ne profiteraient pas eux-mêmes. Par ailleurs, les discours antifédéralistes continuent d'être véhiculés sans qu'on tienne compte du fait qu'un grand nombre des nations qui ont réalisé de grands progrès dans l'histoire contemporaine vivent dans une fédération : l'Allemagne, les États-Unis, l'Autriche, le Canada, etc. Et ce n'est pas forcément une catastrophe.
- Tolérance contre intolérance envers les minorités
Les Roumains sont réputés pour faire preuve d'une grande tolérance envers les petites minorités, y compris celles d'une autre religion, comme les musulmans turcs ou tatars. En particulier, les minorités qui ne sont pas trop revendicatrices, tels les Ukrainiens, les Serbes, les Slovaques, les Bulgares, les Polonais, les Arméniens, etc., sont bien acceptées par les roumanophones. L'Institut national pour l'étude de l'Holocauste "Elie Wiesel" ("Institutul National pentru Studierea Holocaustului din Romania Elie Wiesel") a publié en 2007 un sondage d'opinion sur la perception des relations interethniques en Roumanie. Selon cette enquête, entre 58% et 71% des Roumains croient que les minorités devraient avoir les mêmes droits que la majorité. Pour ce qui est des Juifs, plus de la moitié des citoyens interrogés s'entendent pour dire qu'ils entretiennent de bonnes relations avec le reste de la population; et 42% déclarent que les Juifs sont une communauté qui favorise le progrès du pays.
Cependant, un autre sondage d'opinion, réalisé à Cluj-Napoca en 2006 par le Centre de ressources pour la diversité ethnoculturelle ("Centrul de Resurse pentru Diversitate Etnoculturală"), montre que les stéréotypes ethniques demeurent quand même fort tenaces, et ce, en dépit d'une grande tolérance envers les minorités. D'ailleurs, l'histoire des quelque vingt dernières années fut marquée en Roumanie par des conflits interethniques, notamment dans le centre du pays. Les relations semblent plus difficiles avec les Hongrois et les Roms/Tsiganes pour des raisons différentes.
Les Hongrois, que ce soit les Magyars, les Sicules et même les Czángós, constituent les minorités les plus revendicatrices. Les préjugés historiques à leur égard sont difficiles à effacer de la mémoire des Roumains — qui ont longtemps été dominés par la Hongrie — dans la mesure où aucun effort n'est fait dans le système d'éducation pour remédier à la situation.
De nombreux problèmes concernant la minorité hongroise en Roumanie ont souvent occupé la scène politique, et ce, autant en Roumanie qu'en Hongrie. Le problème de l'autonomie du «Pays sicule», par exemple, demeure sans solution; cette autonomie est demandée par les représentants de la communauté hongroise, mais elle est fermement rejetée par Bucarest. Précisons que la Roumanie ne reconnaît pas de droits collectifs aux minorités et n'accepte pas l'idée d'une autonomie territoriale. Revenu d'une visite à Budapest, le président Traian Basescu (de 2004 à 2014) déclarait:
Il soutenait également que la Roumanie n'accepterait jamais le concept de droits collectifs pour les minorités, mais qu'elle appuierait les droits individuels pour les citoyens appartenant à des minorités. Bien entendu, les nostalgiques du «Pays sicule» n'ont pas très bien reçu les nouvelles de Budapest. Il faut admettre que les droits de la communauté hongroise ont considérablement évolué depuis la période communiste en termes de langue, d'éducation et d'administration publique. De plus, la manière dont la communauté politique roumaine se définit fait en sorte que les Hongrois se sentent exclus. Il faut reconnaître que les Hongrois de Roumanie sont perçus comme éprouvant des réticences à acquérir des rudiments de la langue roumaine, ce qui n'aide pas les enfants hongrois à s'intégrer une fois adultes. Néanmoins, les Roumains ont une perception globalement positive des Hongrois; ils leur attribuent des qualificatifs tels «amicaux» et «travailleurs». Bien sûr, la perception des roumanophones et des magyarophones varie énormément selon qu'elle provient de Budapest ou de Bucarest, voire des enfants (consulter le dessin d'enfants à gauche). |
La perception des Roumains à l'égard des Roms/Tsiganes demeure plutôt négative, d'après les données d'une enquête de l'IRES (Institut de recherches économiques et sociales) tenue en 2020. Ces données révèlent qu'un Roumain sur trois est tolérant envers les Roms, mais il s'agit d'une minorité progressiste acceptant généralement la diversité et la tolérance. Par contre, près de 20% à 30 % des répondants sont des conservateurs avec de sérieux accents de romophobie (ou de tsiganophobie). Pour ces derniers, les Roms seraient dangereux et ils auraient trop de droits, ce qui justifierait que l'État puisse user de violence contre eux; d'ailleurs, la discrimination et les discours de haine contre les Roms ne devraient pas être punis, car ils commettraient plus de crimes que les autres communautés. De façon générale, il existe une forte méfiance envers les Roms (plus des deux tiers), ce qui est confirmé par d'autres études de l'IRES. Les Roumains les considèrent comme des «paresseux», des «voleurs» ou des «escrocs». L'intolérance des Roumains envers les Roms provient surtout de causes sociales et culturelles, notamment liées à la culture nomade. Ils sont associés au chômage, au vol et à la misère. Certes, le problème de l'égalité avec les Roumains ou d'autres groupes ethniques n'est pas résolu pour les Roms.
Comme c'est souvent le cas, certaines minorités plus visibles peuvent servir de boucs émissaires pour détourner l'attention des citoyens des problèmes internes importants auxquels un pays est confronté. Il s'agit là d'une attitude courante qui existe un peu partout dans le monde, et la Roumanie ne fait pas exception. D'ailleurs, au fil du temps, il existerait des «minorités de service» ou des «minorités sacrificielles», selon l'actualité en cours. Sous le régime soviétique, la minorité hongroise était souvent blâmée pour son irrédentisme, mais aujourd'hui ce sont les Roms! Il est probable qu'avant 1989 la situation des Roms semblait plus favorable, car ils trouvaient aisément des emplois autour des fermes d'État et ils bénéficiaient des conditions de vie plus décentes qu'actuellement, alors que le minimum d'instruction est plus élevé qu'auparavant.
- Les emprunts à l’anglais
Avant 1990, plusieurs centaines de mots provenant de l'anglais étaient déjà entrés dans la langue roumaine: gem (< jam), interviu (< interview), meci (< match), tramvai (< tramway), manager (< manager), etc. Ces mots reçoivent un genre grammatical et sont employés selon les règles de la langue roumaine. Depuis 1990, les mots anglais, en dépit de la loi Pruteanu et des recommandations de l'Académie roumaine et de l'Académie moldave des sciences, n'enrichissent plus la langue roumaine en recevant le genre grammatical et en étant accordés selon les règles de la langue. Ils sont employés dans les médias, les entreprises et parmi la population sous leur forme d'origine, comme dans les langues non écrites. C'est le cas, par exemple, de mall (pour "galerie comercială"), service (pour "deservire"), computer (pour "ordinator" ou "calculator"), forward (pour "retransmitere") ou attach (pour "ataș").Des auteurs comme George Pruteanu (1947-2008) considèrent le refus de roumaniser les mots étrangers comme une forme de paresse ou de snobisme, qui juge archaïque l'adoption de mots dans les formes roumaines. En fait, il s'agit encore d'une réaction courante appelée «mimétisme de la puissance», qui consiste à adopter les us et coutumes d'une nation ou d'un pays que l'on estime puissant! Parfois des confusions font le tour des réseaux sociaux par leur aspect comique (pritist-bitch-girl au lieu de prettiest-beach-girl pour dire "cea mai drăguță fată de la plajă" «la plus jolie fille de la plage»).
- Le problème de la corruption endémique
Le Parti social-démocrate est souvent critiqué par ses opposants en raison de la présence d'anciens responsables du Parti communiste roumain parmi les cadres du parti. Pour beaucoup de Roumains, c’est le même Parti communiste, mais sous un autre nom, et il occupe les postes clés de l’État encore aujourd’hui; ce sont les mêmes «bandits» qui contrôlent tous les organismes du gouvernement tant au niveau national que municipal. Un certain nombre de ses membres ont également été accusés de corruption, d'ingérence dans le système judiciaire; quelques-uns se sont aussi servis de leurs fonctions politiques afin de s'enrichir personnellement.
Bien que membre de l’Union européenne depuis 2007, la Roumanie demeure l'un des «enfants terribles» de cette organisation en raison de la corruption qui ravage ses institutions publiques. Avec un score moyen de 44 points sur 100, la Roumanie (avec la Hongrie et la Bulgarie) reste l'un des pays les plus corrompus de l'Union européenne (UE), selon l'Indice de perception de la corruption (IPC) 2020 de Transparency International. Longtemps tolérée par la population, la corruption pratiquée par des hommes politiques provoque aujourd'hui des soulèvements citoyens. Depuis le retour des sociaux-démocrates au pouvoir en 2016, le gouvernement roumain fait tout pour dépénaliser certains délits de corruption.
Toutefois, la corruption n'est pas seulement présente jusqu'au sommet de l’État (ministres, députés et sénateurs), elle se vit aussi dans la vie quotidienne parmi la population. Par exemple, dans les hôpitaux publics, il est préférable de payer le personnel pour être pris en charge; un petit «coup de pouce» financier peut être très utile pour être reçu pour une consultation ou être opéré. Ce système semble tout à fait «normal» pour quiconque veut accélérer la réception des documents officiels. Et c'est une pratique qui semble omniprésente, y compris dans le milieu scolaire et le système judiciaire. Depuis le début de 2017, des milliers de Roumains ont manifesté contre la dépénalisation de certains abus de pouvoir, avec succès. Pourtant, la corruption gangrène toujours le quotidien des Roumains, prêts à donner chaque année 1,5 milliard d'euros de pots-de-vin pour obtenir un service public. En Roumanie, la corruption semble être un héritage du communisme, car c'était un moyen de survivre pendant la dictature. Si les Hongrois acceptaient de rétribuer «sous la table» députés et sénateurs, ils obtenaient davantage ce qu'ils voulaient.
La compilation des résultats d’une quarantaine de sondages, étalés sur une période de plusieurs années, démontre que ce sont les institutions du Parlement (30%) et les partis politiques (17%) qui reçoivent le plus faible taux de confiance de la part des citoyens. Ce qui le plus déconcertant, c'est que seulement 46 % des parlementaires affirment que les activités du Parlement servent l’intérêt public!
Mais les Roumains en ont assez! Ils jugent que les progrès sont trop lents — lire le slogan "Vrem justiţie, nu corupție", c'est-à-dire «Nous voulons la justice, pas la corruption» —, de sorte qu'une partie de la population choisit plutôt l'exil. Plus de quatre millions de Roumains ont décidé de s’expatrier au cours des dix dernières années. Un Roumain sur quatre âgé de moins de 40 ans vit aujourd'hui hors de son pays natal. C'est le signe d'un mécontentement généralisé de la part des Roumains. Selon l’ONU, la Roumanie est aujourd’hui la deuxième source de migrants dans le monde, tout juste après la Syrie. |
Pour beaucoup de Roumains, l'histoire de leur pays a débuté au moment de la Dacie antique. Ils considèrent que l'unité et la continuité font partie de l'idéologie nationaliste, bien que le régime communiste ait déjà beaucoup insisté sur cet aspect de l'histoire. Ainsi, les Roumains estiment que le territoire de la Grande Roumanie était relativement identique à celui de l'ancienne Dacie et l'histoire actuelle n'est qu'une continuité des temps anciens. Beaucoup de Roumains rêvent de voir revivre la Grande Roumanie.
Mais celle-ci ne reviendra jamais, car la Russie veille au grain et fera tout en son pouvoir de nuisance pour s'opposer à la réunification de la république de Moldavie avec la Roumanie. De plus, les deux États ont évolué différemment au cours des 200 dernières années, abstraction faite de la courte période de la Grande Roumanie; ils ont développé des cultures différentes avec des populations différentes. La république de Moldavie est devenue un autre pays. Or, ce n'est pas nécessairement une calamité d'avoir deux États roumanophones.
1) Situation générale |
2) Données historiques |
3) Politique de la langue roumaine |
4) Politique des minorités nationales |
5) Bibliographie |
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