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Ouzbékistan2) Données historiques |
1 Les plus anciennes périodes
Tout au long de son histoire, le territoire de l'actuel Ouzbékistan fut dominé par les grands empires environnants, celui des Turcs, des Perses, des Grecs, des Arabes, des Mongols ou des Russes avant de devenir un État à part entière en 1991. L’Ouzbékistan actuel correspond à l’ancienne province perse de la Sogdiane formée par Cyrus II (de 559 à 530 avant notre ère), le fondateur de l'Empire perse, au VIe siècle, puis conquise par Alexandre le Grand deux siècles plus tard, ensuite par les Turcs (VIe siècle de notre ère) et par les Arabes (VIIe-VIIIe siècles). À l’origine, les langues parlées sur l’actuel territoire de l’Ouzbékistan étaient de souche iranienne, tels que le bactrien, le soghdien, le khorezmien, etc.
1.1 L'Antiquité
Au VIe siècle avant notre ère, l’Empire perse acquit un caractère multiculturel, car il était peuplé non seulement de Perses, mais aussi de Grecs, de Juifs, de Mèdes, etc. La Perse connut alors une certaine hellénisation, y compris dans la langue, car les souverains qui régnaient sur l’ancien empire achéménide étaient d’origine grecque. De nombreux mots provenant des langues avoisinantes, telles que l'araméen et le grec, furent introduits dans la langue persane.
Dans l'Antiquité, la Bactriane et la Sogdiane faisaient partie des royaumes dits «gréco-bactriens», c'est-à-dire un ensemble d'États helléniques fondés par des souverains grecs implantés en Asie centrale. La période gréco-bactrienne fut une étape importante de l'histoire culturelle de l'Asie centrale. En effet, l'arrivée de nombreux colons grecs, les fondations de nouvelles villes et la mise en valeur de territoires agricoles entraînèrent une période de prospérité dans toute la région. La Bactriane était déjà passée sous domination grecque lorsque les troupes d'Alexandre le Grand envahirent la région en 330-329 avant notre ère, afin de mettre fin aux révoltes des satrapes achéménides des provinces d'Asie centrale. Les Sogdiens de la ville de Marakanda (aujourd'hui Samarcande) devinrent des marchands incontournables en raison de la position de la ville sur la route de la soie. Deux langues iraniennes, le sogdien et le bactrien, jouèrent un rôle important en Asie centrale. Bien que le grec soit utilisé à des fins administratives, le sogdien et le bactrien restèrent des langues véhiculaires pour la majeure partie des voies commerciales d'Asie centrale. La langue sogdienne joua un rôle particulièrement important dans les mouvements religieux tels que le manichéisme, le zoroastrisme et le bouddhisme. Par la suite, entre le IIe et le Ve siècle de notre ère, le territoire de l'actuel Ouzbékistan se retrouva une possession des Sassanides perses, puis des Huns blancs venus des confins de la Chine. |
1.2 Turquification et islamisation
Vers le VIe siècle, les populations persanes furent contraintes de s'assujettir aux Göktürk, un peuple turcophone qui avait régné sur la Mongolie et l'Asie centrale avant de prendre de l'expansion vers la mer Caspienne, donc en Ouzbékistan. Les Göktürk parlaient le göktürk, appelé aussi le «vieux turc». Ils avaient également une religion, le tengrisme, basée sur la vénération de Tängri, le Dieu-Ciel. C’est ainsi que les habitants de la région passèrent des langues iraniennes aux langues turques, dont l’ouzbek, le kazakh, le turkmène, etc. Tout comme les autres langues de la famille altaïque, la langue ouzbèke demeura toujours influencée par les langues d’origine iranienne (persan ou farsi, tadjik, etc.). Cela dit, certaines langues iraniennes résistèrent, comme en témoigne la langue tadjike parlée aujourd'hui au Tadjikistan et dans certaines régions de l'Ouzbékistan. D’ailleurs, au XIe siècle, le persan était demeuré la langue de la littérature, de la cour et de l’administration en Asie centrale. Cette tradition s’est même perpétuée dans certaines régions de l'Ouzbékistan correspondant aux anciens khanats de Khiva et de Kokand et l'émirat de Boukhara, jusqu’à la révolution d’Octobre de 1917.
Le VIIIe siècle allait amener un autre bouleversement d'envergure: en 705, l'Empire arabo-musulman, mené par les troupes (environ 50 000 soldats) d'un général musulman, Qoutayba Ben Mouslim (né en Irak en 669), commença à envahir l'Asie centrale et conquit l'actuel Ouzbékistan entre 710 et 712, à l'époque du calife omeyyade Abd al-Malik (685-705). Bien que Qutaybah lui-même eut tenté d'islamiser les populations principalement bouddhistes des territoires conquis, ce sont ses successeurs qui réussirent à implanter l'islam, lequel fut d'abord imposé dans le sud du Turkestan, puis il s'est graduellement répandu dans le Nord; il prit racine dans la région grâce au travail des religieux du royaume tadjik samanide, amenant à l'islam plusieurs peuples turcs. Des villes conquises telles que Samarcande et Boukhara devinrent des centres importants pour la diffusion de la culture et de l'apprentissage islamiques parmi les peuples asiatiques d'Asie centrale. Cependant, si tous ces peuples s'islamisèrent, ils ne s'arabisèrent jamais et conservèrent leurs langues turciques.
Il faut rappeler que, à partir du Xe siècle, toute la région de l'Asie centrale subit une autre période de domination turque et prit le nom de Turkestan (litt. «pays des Turcs» ), puis fut incorporée à l’Empire mongol de Gengis Khan au XIIIe siècle et ensuite à celui de Tamerlan au XIVe siècle. Ces événements ont certainement contribué à maintenir les langues turciques devant l'arabisation achevée ailleurs. Au cours de cette longue période, les langues turciques (turc, ouzbek, turkmène, kazakh, kirghiz, tatar, etc.) se sont encore plus répandues dans la région aux dépens des langues iraniennes, aujourd’hui toutes minoritaires, sauf au Tadjikistan (tadjik) et en Iran (farsi). Néanmoins, la période qui s'est étendue entre les XVIe et XIXe siècles fut marquée par un déclin qui s'explique par les luttes intestines entre les khanats, les raids nomades et la réduction du commerce le long de la route de la soie.
2 L'influence russe
Au XIXe siècle, soit entre 1865 et 1873, le contrôle russe sur l’Asie centrale s’accentua et, en 1868, les khanats, émirats ouzbeks devinrent des vassaux de la
Russie tsariste: émirat de Boukhara, khanat de Khiva, oblast de Transcaspienne, oblast de Samarcande, oblast de Ferghana et oblast de Semiretchie) . Les territoires conquis furent regroupés dans un ensemble administratif appelé «Gouvernement général du Turkestan». Il y eut aussi un Turkestan chinois, ainsi que probablement un Turkestan afghan.
En 1867, la ville de Tachkent devint la capitale du Turkestan russe, qui allait jouer un rôle important dans l'histoire de la culture du coton. En effet, la Russie favorisa la culture du coton en lieu et place des cultures extensives traditionnelles; la production du coton fut contrôlée par les Russes, ce qui entraîna d’importants conflits entre la population locale et les Russes. La conquête de l’Asie centrale fut le dernier volet de l’expansion russe. Ce fut une colonisation «par continuité géographique» faite au nom de l’État tsariste. |
En matière de langue, la Russie adopta diverses mesures visant à propager le russe dans les territoires conquis en Asie centrale. La russification administrative fait référence à la centralisation croissante de la bureaucratie impériale russe qui était un processus en cours depuis au moins le règne de Nicolas I (de 1825 à 1855). Le tsar adopta un programme de russification qui visait à éliminer ou du moins à circonscrire les langues et les cultures des minorités, surtout dans la partie occidentale de l'Empire russe où sévissaient des mouvements nationalistes. La fermeture d’écoles et de journaux s’accéléra, tout en pratiquant une campagne de russification de l’enseignement dans le but de renforcer la loyauté au tsar et à l’empire. C’est ainsi que l'administration tsariste n'utilisa que le russe, alors que des écoles furent ouvertes à la fois pour les enfants russes et les «autochtones» afin de faire utiliser par ces derniers la langue russe.
La centralisation administrative l' l'Empire russe impliquait inévitablement un fort degré de russification, car le russe était la langue de la bureaucratie impériale et avait donc la priorité sur toutes les autres langues. L'avènement au trône d'Alexandre II (de 1855 à 1881) accentua la venue d'un État russe plus fort, plus moderne et plus centralisé, encore plus russifiant. Cependant, à la longue, la politique de russification poursuivie par Alexandre III (de 1881 à 1894), combinée aux contre-réformes, contribua à la diabolisation des Russes qui n'étaient plus perçus par les autres ethnies comme la voie du progrès et de la civilisation. En 1916, les Ouzbeks se révoltèrent contre les autorités russes, bien que la rébellion ait été sévèrement réprimée par le tsar.
2.1 La domination soviétique
En 1917 eut lieu la révolution d'Octobre. En Ouzbékistan, les bolcheviks furent grandement mis à mal par la révolte des Basmatchis, un mouvement de résistance qui ne cessa de combattre les forces soviétiques qu’en 1922.
Sous l'Union soviétique, une nouvelle série d’entités politiques fut instaurée. En avril 1918, la République socialiste soviétique autonome (RSSA) du Turkestan, rattachée à la République socialiste fédérative soviétique (RSFS) de Russie, fut créée. Les États vassaux de Khiva et de Boukhara conservèrent leurs anciens territoires et devinrent des républiques officiellement indépendantes en 1920. Néanmoins, la langue russe acquit le rôle de langue officielle au même titre que l’ouzbek. Au moment de la révolution d’Octobre, l’ouzbek était écrit en alphabet arabo-persan. |
C’est en 1924 que la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan (RSS) vit le jour, réunissant les territoires de l’ancienne RSSA du Turkestan et des khanats de Khiva et de Boukhara. C’était la première fois que le mot Ouzbékistan était utilisé pour désigner une entité politique aux frontières bien délimitées. Quelques années plus tard, c’est-à-dire en 1927, les autorités soviétiques remplacèrent l’alphabet arabo-persan utilisé dans la langue ouzbèke par l’alphabet latin. Les populations locales furent obligées d’apprendre le russe, alors que les Russes, de leur côté, n’apprirent évidemment jamais un seul mot de la langue ouzbèke. Jusqu’en 1929, la RSSA du Tadjikistan continua de faire partie de la RSS d’Ouzbékistan, alors que l’ancienne RSSA de Karakalpakie ne la rejoignit qu’en 1936, devenant la seule république socialiste soviétique autonome (RSSA) située en Asie centrale soviétique. Puis l’alphabet latin qui avait remplacé l’alphabet arabo-persan fut à son tour substitué par l’alphabet cyrillique en 1940.
2.2 La soviétisation
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Ouzbékistan dut recevoir plusieurs centaines de milliers de familles soviétiques repliées de l'Ouest, dont de nombreux orphelins de guerre, ce qui accéléra la russification de la république, surtout dans la capitale, Tachkent. Une partie des industries lourdes de la partie européenne de l'Union soviétique y fut également évacuée en Ouzbékistan. Ces usines restèrent dans le pays après la guerre, ce qui contribua à l'industrialisation de la république. L’Ouzbékistan fut ainsi marqué par une explosion démographique à partir des années 1950. En 1970, les Ouzbeks devinrent la troisième nation de l’URSS par sa population (après les Russes et les Ukrainiens).
Si l'Empire russe avait tenté d'assimiler culturellement les divers groupes ethniques vivant sous les tsars, la soviétisation avec l'URSS visait plus ambitieusement une transformation totale des populations assujetties. En effet, la soviétisation supposait que les citoyens soviétiques utiliseraient la langue russe comme langue véhiculaire de l'Union et surtout elle visait à ce que les citoyens soviétiques adoptent des modes de vie qui s'inspiraient des modèles de la nation russe. En même temps, la soviétisation était associée à une forme de «modernisme» qui comprenait notamment des processus d'industrialisation et d'urbanisation, ainsi que la croissance de l'intervention de l'État-providence dans la vie quotidienne, dans l'éducation et dans le service militaire.
Tout non-Russe souhaitant poursuivre une carrière au-delà des frontières de sa propre république natale devait donc posséder une connaissance approfondie du russe. Ainsi, la soviétisation devait ainsi entraîner une certaine russification plus ou moins grande, selon les circonstances et les individus. Au-delà de la simple utilisation de la langue russe, la soviétisation cherchait aussi à créer une identité non ethnique entièrement nouvelle: un Homo sovieticus, dont l'idéologie se devait d'être façonnée par les paradigmes de la société russo-soviétique. |
En fin de compte, la plupart des non-Russes, dont les Ouzbeks, utilisèrent à leurs propres fins la rhétorique de la libération et de l'autodétermination nationale adoptée par les dirigeants soviétiques.
2.3 L'émancipation linguistique
Au cours de la perestroïka, apparut un fort mouvement nationaliste ouzbek, dont les revendications allaient conduire à l'élaboration d'une Loi sur la langue adoptée le 21 octobre 1989 par le Soviet suprême de la RSS d’Ouzbékistan. La Constitution du 19 avril 1978 fut modifiée en 1989, ce qui entraîna la disposition suivante à l’article 75:
Article 75 [abrogé]
1) L'ouzbek est la langue officielle de la RSS d'Ouzbékistan. 2) La RSS d'Ouzbékistan accorde tout le soin possible de l'État au développement de l'ouzbek et garantit son utilisation dans les organismes gouvernementaux et sociaux, dans les institutions culturelles, dans les institutions d'enseignement et autres. 3) En RSS d'Ouzbékistan, sur la base de l'égalité en droit, la libre utilisation de la langue russe en tant que langue des relations interethniques est garantie dans les organismes gouvernementaux et sociaux, dans les institutions culturelles, de même que les langues des autres peuples de l'URSS habitant dans la RSS d'Ouzbékistan. 4) Aucun privilège ou restriction dans l'utilisation de ces langues ou d'autres langues n'est autorisé. |
Évidemment, les Russes n’apprécièrent guère cette «émancipation» de la langue ouzbèke, mais le démantèlement de l’URSS approchait, de même que l’indépendance de l’Ouzbékistan.
3 L’accession à l'indépendance de l'Ouzbékistan
L’Ouzbékistan acquit son indépendance le 1er septembre 1991. Le premier secrétaire du Parti communiste de la république soviétique d’Ouzbékistan, Islam Karimov, devint président et instaura un régime autoritaire et répressif. Détenant l’essentiel du pouvoir, le président nommait les hakims (gouverneurs) des provinces (oblasts), décidait de l'organisation administrative, et pouvait annuler et modifier les décisions de l'administration centrale ou locale. C'était un pouvoir impérial!
Le 21 décembre 1991, l'Ouzbékistan devint membre de la Communauté des États indépendants (traité d'Alma-Ata), regroupant actuellement neuf des quinze anciennes républiques de l'URSS, ce qui allait avoir des incidences sur l'emploi du russe. Le 2 mars 1992, l'Ouzbékistan obtint un siège à l'ONU et devint aussi membre de l'UNESCO. L’Ouzbékistan s’ouvrit avec prudence aux pays islamiques d'Asie centrale et à l’Occident, puis chercha à se démarquer systématiquement de la Russie.
3.1 La Constitution et la Loi sur la langue officielle
Au plan linguistique, la Constitution du 8 décembre 1992 énonçait à l'article 4 que la langue officielle est l'ouzbek. Puis le paragraphe 2 du même article déclarait que «la république d'Ouzbékistan garantit le respect des langues, des coutumes et des traditions de toutes les nationalités et de tous les groupes ethniques vivant sur son territoire, et crée les conditions pour leur rayonnement», ce qui laissait la place notamment au russe :
Article 4
1) La langue officielle de la république d'Ouzbékistan est l'ouzbek.2) La république d'Ouzbékistan garantit le respect des langues, des coutumes et des traditions de toutes les nationalités et de tous les groupes ethniques vivant sur son territoire, et crée les conditions pour leur rayonnement. |
Le 21 décembre 1995, la Loi sur la langue officielle de 1989 fut modifiée par le Parlement (Aliy Majlis). Cette loi, qui faisait de l'ouzbek la langue officielle de la République depuis 1989 (art. 1), affirmait également que «l''octroi du statut de langue officielle à l'ouzbek ne doit pas léser les droits constitutionnels des nations et des peuples résidant sur le territoire de la République dans l'usage de leur langue maternelle». La loi définissait les domaines où s'imposait l'usage de l'ouzbek, mais garantissait aux citoyens l'apprentissage de cette langue et autorisait l'usage des langues minoritaires jusque dans le domaine de la vie publique, ce qui rendait encore possible un rôle résurgent pour la langue russe:
Article 1er Article 2 |
C’est ainsi que le russe réussit à se maintenir, bien que les locuteurs de cette langue durent renoncer à afficher publiquement un comportement trop arrogant afin de s’attirer la bienveillance des Ouzbeks. Sous le régime d'Islam Karimov, la langue russe dut réduire progressivement son rôle dominant; les cadres russes furent remplacés par des cadres ouzbeks. Bien qu'il n'existât pas de slogans anti-russes au niveau de l'État, la période pendant laquelle l'Ouzbékistan a fait partie de l'URSS fut évaluée négativement. Cette situation n'a pas empêché la langue russe de continuer à exercer une solide concurrence à la langue officielle, l'ouzbek.
3.2 Un régime autoritaire, sauf pour la langue
Dès son arrivée au pouvoir (le 24 mars 1990), l'ancien dirigeant du Parti communiste de l’Ouzbékistan, Islam Karimov, refusa de confier la protection des frontières à la
Communauté des États indépendants (CEI) et à la Russie, qui ne devait posséder d'ailleurs aucune base militaire dans le pays. Pour sa part, l’armée ouzbèke modifia la nature de son encadrement qui était seulement à 60 % autochtone; puis un accord fut signé avec les États-Unis en 1996 pour l’entraînement des officiers et sous-officiers. En janvier 2000, Islam Karimov fut réélu à la présidence. Il renforça la répression au nom de la «menace islamique» qui s’accompagnait sur le plan extérieur d’un isolement croissant de son pays. Sous le règne de Karimov, tous les partis d'opposition furent interdits, tandis que le moindre courant dissident fut vite réprimé, surtout ceux à caractère islamique.
Au cours des 28 années de pouvoir d'Islam Karimov, la langue ouzbèke n'est pas parvenue à devenir la véritable langue du pouvoir. La plupart des hauts fonctionnaires du gouvernement préfèrent encore parler le russe plutôt que la langue officielle de l'État. La classe moyenne et inférieure des fonctionnaires de la bureaucratie ouzbèke s'exprima plus volontiers en ouzbek tout en employant de nombreux dialectismes et russicismes. Dans les régions plus éloignées de la capitale, les «provinciaux» ont paru plus nationalistes et ils ont œuvré plus aisément en ouzbek. Cette situation s'explique par le fait que l'élite bureaucratique ouzbèke fut longtemps éduquée en russe et a travaillé dans les anciennes structures soviétiques. |
Ces dernières années, malgré le «pouvoir» omniprésent de la langue russe au sein du gouvernement, la masse des documents en langue ouzbèke s'est néanmoins accrue. Certains politiciens en régions demandent maintenant la traduction de tous les documents en langue ouzbèke. Dans les régions, l'administration subalterne utilise l'ouzbek, mais lorsque les bureaucrates de Tachkent doivent recevoir un rapport le moindrement «sérieux», ils exigent plutôt la version russe. En réalité, les autorités supérieures ne connaissent de la langue ouzbèke que le niveau familier, mais ils estiment que les affaires de l'État ne peuvent pas se faire dans une «langue non moderne», un euphémisme pour ne pas dire «langue arriérée».
L'emploi de la langue russe au Parlement semble également avoir davantage sa propre justification. La langue juridique ouzbèke ne fait pas le poids devant le russe. Tout repose sur l'impossibilité d'employer l'ouzbek comme langue juridique et politique, puisque la langue ouzbèke n'aurait pas encore pris forme dans une langue «modernisée» efficace. Il y a eu un travail lexicographique à la base, qui n'a pas été fait complètement. C'est pourquoi les organismes exécutifs centraux et le Parlement ouzbek ont recours activement au russe comme langue travail, un changement dans ce domaine qui n'est pas prêt de changer.
La langue russe conserve encore un caractère quasi sacré dans la population de l'Ouzbékistan, car c'est une langue de pouvoir. En dépit de la Loi sur la langue officielle de 1995 et en dépit des travaux scientifiques sur la langue et l'écriture par les instituts de l'Académie des sciences, l'ouzbek ne semble pas s'être suffisamment modernisé pour devenir une langue nationale adaptée au monde actuel. En réalité, tout est une affaire de perception qui n'a guère changé depuis l'indépendance, avec le résultat que les Ouzbeks pratiquent une diglossie étrange. D'une part, les citoyens ouzbeks considèrent généralement leur langue nationale comme un moyen interne de communication, celui de la famille et des relations personnelles. D'autre part, cette dépolitisation de la langue ouzbèke est une conséquence de la politique de l'État soviétique, alors que seuls le folklore et la littérature pouvaient s'épanouir dans les langues nationales. Cette tradition coloniale semble être restée comme un trait de culture normal en Ouzbékistan.
3.3 La réforme de l'alphabet
Le 2 septembre 1993, le président Islam Karimov signait la Loi sur l'introduction de l'alphabet ouzbek basé sur l'alphabet latin (en ouzbek: "Lotin alifbosiga asoslangan o'zbek alifbosini joriy etish to'g'risida" qonun). Cependant, en mai 1995, cet alphabet fut révisé et une autre version fut introduite à la place. Sa principale différence était l'absence de lettres accompagnées de signes diacritiques: par exemple, comme en français, l'accent aigu, l'accent grave, le tréma, la cédille, etc. Le nouvel alphabet, en fait, était une simple translittération de l'alphabet cyrillique et ne résolvait pas tous les problèmes d'orthographe, qui ont été discutés à plusieurs reprises depuis le milieu du XXe siècle. Le nouvel alphabet latin ressemble fortement à la version latine de 1993, c'est-à-dire la version «turcique». Selon les experts, la nouvelle version de l'alphabet latin se rapproche des alphabets des autres langues turques. C'est une idéologie des années 1990, laquelle visait l'unité des langues turques.
- Une succession de réformes
Par la suite, la date limite de la nouvelle version fut reportée à 2015, mais à ce moment-là la transition vers l'alphabet latin en Ouzbékistan était loin d'être terminée. Si l'alphabet latin fut employé dans les domaines de l'éducation et du travail, les journaux et les magazines ont continué à apparaître en cyrillique; environ 70% des textes littéraires sont encore imprimés en cyrillique. Dans la publicité, à la télévision et sur l'Internet, le cyrillique et le latin sont tous deux employés. En 2018, un nouveau délai pour l'achèvement de la transition fut annoncé, mais la nouvelle version n'a pas encore été approuvée par le gouvernement.
En fait, cette réforme n'a pas été menée à son terme logique, puisque le pays n'est pas totalement passé à l'alphabet latin, bien qu'il soit sur la bonne voie. La réforme quelque peu stagnante de l'alphabet a conduit à la coexistence de deux alphabets dans la vie quotidienne et même en éducation.
Cette inscription du ministère de l'Éducation est bilingue, en ouzbek et en anglais. La loi permet le bilinguisme à la condition que l'ouzbek soit présent. Or, il n'existe pas d'Ouzbeks anglophones dans le pays! Les deux langues sont écrites en alphabet latin. |
L'environnement extérieur apparaît maintenant en ouzbek et en alphabet latin, surtout dans les grands centres urbains, mais les personnes âgées de plus de 30 ans ont de la difficulté à lire et à écrire avec l'alphabet latin. Par contre, les jeunes se sont plus rapidement adaptés aux deux alphabets. Cette situation s'explique à la fois par l'étude active de la langue anglaise et à la prédominance dans la vie publique de la langue russe. L'alphabet latin a ainsi facilité non seulement l'apprentissage de l'anglais, mais également le nouvel alphabet national. Quant à l'alphabet cyrillique, il demeure un hommage à une culture de l'élite et aux générations plus âgées.
Les experts affirment que les réformes de l'alphabet sont intimement liées à la politique étrangère de l'Ouzbékistan. Dans les années 1990, l'Ouzbékistan s'est rapproché de la Turquie (qui emploie l'alphabet latin) et des États-Unis (qui emploient l'alphabet latin) et, à partir de la seconde moitié des années 2000, de la Fédération de Russie (qui emploie l'alphabet cyrillique). Les jeux de politique étrangère auraient donc partiellement influencé la situation linguistique en Ouzbékistan. Or, l'échec de la réforme de l'alphabet semble avoir affecté négativement la langue ouzbèke. Certains croient aussi que l'apprentissage de l'anglais a également «entravé» le développement de l'ouzbek. La langue se serait ainsi «figée» dans le temps et serait devenue un outil linguistique «en retard».
- L'exemple de la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk
Par comparaison avec la réforme entreprise en Turquie en 1926 par Mustafa Kemal Atatürk, dont la transition vers le nouvel alphabet latin s'est avérée relativement simple en raison du fait que la grande majorité de la population était alors analphabète, la situation étant différente en Ouzbékistan. Tandis qu'en Turquie la classe des gens instruits maîtrisant l'alphabet arabo-persan était très réduite, plus de 95 % des Ouzbeks connaissaient et pratiquaient l'alphabet cyrillique. Si en Turquie le passage à l'alphabet latin se voulait avant tout le choix d'un système graphique plus pratique pour les citoyens, en Ouzbékistan c'était plutôt le rejet de la langue russe, dont l'écriture cyrillique était le symbole le plus visible, ainsi qu'une tentative de se rapprocher du monde turcophone sur une nouvelle base qui était l'alphabet latin.
De plus, dans les années 1990, les relations avec la Turquie étaient à leur apogée, ce qui laissait espérer une amélioration de la situation économique et un développement accru de la science, de la culture et des arts nationaux. On peut dire sans exagération que le changement d'alphabet était, dans une certaine mesure, un «cadeau» offert à la Turquie. Une autre raison importante était que le passage à l'alphabet latin rendait évidemment impossible de revenir à l'écriture arabo-persane, laquelle était activement recherchée par les adeptes de l'islam. Compte tenu de ces considérations idéologiques plus que pratiques, il devait y avoir forcément des résistances de la part des citoyens ouzbeks, surtout de la part des propriétaires d'entreprises du fait des nouvelles dépenses associées à l'introduction du nouvel alphabet en Ouzbékistan.
- Une contrainte constitutionnelle oubliée
Par ailleurs, l'article 9 de la Constitution de 1992 stipulait que les questions les plus importantes de la vie publique et de l'État devaient être soumises au vote populaire par référendum:
9-modda. Jamiyat va davlat hayotining eng muhim masalalari xalq muhokamasiga taqdim etiladi, umumiy ovozga (referendumga) qo‘yiladi. Referendum o‘tkazish tartibi qonun bilan belgilanadi. |
Article 9
Les questions les plus importantes de la vie publique et de l'État doivent être soumises à la discussion du peuple et au vote universel (par référendum). La procédure de tenue d'un référendum est déterminée par la loi. |
Or, malgré cet article 9, le président Islam Karimov n'hésita pas à faire fi de cette disposition constitutionnelle. De fait, un référendum sur une question aussi importante qu'un changement d'écriture pour toute la population n'a jamais été proposé en Ouzbékistan, car le gouvernement craignait sans doute que sa population ne soutienne pas cette idée. Par conséquent, Karimov dut prendre une décision imposée par une poignée de «patriotes nationaux».
- Le remplacement de l'alphabet cyrillique
Au cours des deux années qui suivirent l'adoption de la Loi sur l'introduction de l'alphabet ouzbek basé sur l'alphabet latin, de nouvelles règles pour l'orthographe ouzbèke furent instaurées et approuvées, après quoi les plaques en cyrillique avec les noms des rues et des voies de circulation furent remplacés par des inscriptions latinisées (et en même temps la plupart des noms russes furent changés par des dénominations ouzbèkes). Ensuite, des manuels pour les premières années du primaire furent imprimés et, à partir du 1er septembre 1996, les enfants qui arrivaient à l'école pour la première fois commencèrent à apprendre à lire et à écrire avec le nouvel alphabet. La date de la transition finale du pays vers le nouveau système graphique fut alors fixée au 1er septembre 2005. En cours de route, la langue karakalpak, parlée en Ouzbékistan par quelque 400 000 locuteurs à l'époque, fut également dotée de l'alphabet latin, et ce, sans aucune consultation de la part des Karakalpaks de la Région autonome du Karakalpakstan.
Aujourd'hui, si une personne étrangère visite l'Ouzbékistan, il est peu probable qu'elle puisse déterminer quel type d'alphabet est considéré comme officiel. Dans la plupart des affiches, que ce soit la publicité, les panneaux de signalisation ou les plaquettes des noms de rues, il existe un mélange de langues et de systèmes d'écriture. Les graphismes latins prévalent dans l'orthographe des noms de rues et des itinéraires de transport; à de rares exceptions près, ils sont tous inscrits en alphabet latin.
Dans de nombreux cas, l'alphabet latin coexiste pacifiquement avec l'alphabet cyrillique ou lui cède même parfois la préséance. La période d'utilisation gratuite de n'importe quelle langue et n'importe quel alphabet dure depuis de nombreuses années et, semble-t-il, durera encore longtemps. Quant à la monnaie nationale ouzbèke, le soum, le papier-monnaie est imprimé généralement en alphabet latin, mais les pièces de monnaie sont en cyrillique, parfois dans les deux alphabets dans le cas des petites pièces. Pour achever complètement la transition vers l'alphabet latin, il faudrait procéder à une réforme monétaire et retirer tout papier-monnaie de la circulation et en imprimer de nouveaux, ce qui entraînerait des coûts élevés. L'environnement culturel, informationnel et scientifique de l'Ouzbékistan continue d'employer l'alphabet cyrillique comme base fonctionnelle. Si la documentation scientifique apparaît généralement en cyrillique, la plupart des journaux, des magazines et ouvrages de fiction sont plus souvent écrits en lettres latines. |
La situation est similaire dans le domaine de l'édition, car environ 80% des livres rédigés en ouzbek sont publiés en alphabet cyrillique, comme auparavant. Il s'agit d'ouvrages de fiction, de référence, de littérature pour enfants, de divertissement en général, et tout ce qui peut être vendu au comptant. Même les livres religieux musulmans sont imprimés exclusivement en cyrillique. Dans l'enveloppe graphique du paysage urbain, la liberté de choix d'une langue et d'un alphabet particuliers est presque totale (sauf pour les inscriptions à l'entrée des institutions publiques quand elles ne sont pas bilingues en ouzbek et en anglais). Les publicités, les enseignes, les affiches et les autres inscriptions dans la rue peuvent être publiées dans toutes sortes de langues et de graphiques et, souvent entrelacées de la manière la plus fantaisiste, mais la tendance est de privilégier de plus en plus les inscriptions latines en ouzbek. Malgré la loi adoptée en 1993, l'ère définitive de l'alphabet latin en Ouzbékistan n'est pas encore au point.
3.4 La politique d'ouverture vers les États-Unis
Les relations avec le Tadjikistan voisin demeurèrent tendues et se dégradèrent considérablement avec le Kazakhstan et le Kirghizistan, tandis que l’autoritarisme du régime de Karimov réduisit toute ouverture envers les pays occidentaux de l'Europe. Le gouvernement de Tachkent se vit alors contraint de se rapprocher des États-Unis pour faire contrepoids à la Russie. Ceux-ci fournirent un soutien technique aux efforts de l'Ouzbékistan pour restructurer son économie et pour améliorer son environnement, son éducation et son système de soins de santé. Par l'intermédiaire de l'Agence américaine pour le développement international (USAID), le gouvernement américain soutint les échanges éducatifs et professionnels, ainsi que d'autres programmes qui offrirent aux Ouzbeks la possibilité d'aller étudier aux États-Unis et d'établir des contacts professionnels avec les Américains. La guerre en Afghanis tan rapprocha même l’Ouzbékistan des États-Unis.
Les Américains devinrent les premiers investisseurs étrangers (66 % des investissements sont américains); ils furent présents dans plus d'une centaine de sociétés mixtes, dont la plus importante est Uznewmont (Newmont Mining) qui exploite des mines d'or, sans oublier la construction d'une usine automobile par Daewoo, de la modernisation de l'industrie du tabac par British & American Tobacco, l'arrivée de Philip Morris, Coca Cola, etc. En plus de cette forte présence économique, les États-Unis collaborèrent activement à la restructuration des forces armées ouzbèkes et la reconversion des industries de la défense. On comptait, un moment donné, plus de 3000 ressortissants américains dans le pays.
La fascination de la population pour les États-Unis fut telle que des centaines d'étudiants ouzbeks effectuèrent des stages ou s'inscrivirent dans des universités américaines. Selon un sondage d'opinion mondial réalisé en 2002, quelque 85% des Ouzbeks percevaient favorablement les États-Unis, contre seulement 10% qui avaient une opinion négative des États-Unis. Selon le rapport américain sur le leadership mondial 2012, quelque 40% des Ouzbeks approuvaient le leadership américain, alors que 22% le désapprouvaient et 39% demeuraient incertains.
Puis les relations se sont considérablement refroidies après les «révolutions de couleur» dans les anciennes républiques soviétiques de Géorgie, d'Ukraine et du Kirghizistan en 2003-2005, car le gouvernement de l'Ouzbékistan chercha à limiter l'influence des États-Unis et celle des autres organisations non gouvernementales étrangères travaillant au sein de la société civile. L'Ouzbékistan devait continuer de subir d'importantes réformes pour correspondre à la définition américaine de la démocratie.
Cependant, comme il se doit, l'emprise économique américaine entraîna aussi l'intrusion de la langue anglaise. En Ouzbékistan, la diffusion de l'anglais est devenue l'une des priorités des Américains qui s'implantèrent progressivement dans le système d'éducation. Bref, l'anglais entra en concurrence avec le russe. Le 2 septembre 2016, le président Islam Karimov décéda subitement après un règne autoritaire de plus d'un quart de siècle.
3.5 La nouvelle présidence (2016)
Son premier ministre, Shavkat Mirziyoyev, lui succéda comme président du pays. Une fois au pouvoir, Mirziyayev ressentit la méfiance généralisée envers le gouvernement en Ouzbékistan. Par conséquent, il se devrait de supprimer toute référence à son prédécesseur afin qu'il ne soit plus identifié à Karimov. Néanmoins, le président Mirziyaev resta un disciple de Karimov. De façon aussi autoritaire que son prédécesseur, son équipe introduisit des innovations et lança des réformes qui consistèrent d'abord à congédier le personnel politique de Karimov.
Un phénomène intéressant est observé depuis peu: la langue russe est activement soutenue par «l'élite» locale et l'intelligentsia ouzbèke. La connaissance du russe est ainsi devenue un signe d'appartenance à une caste privilégiée. En même temps, des représentants d'une sous-culture particulière sont apparus, c'est-à-dire des jeunes Ouzbeks européanisés et une couche de la population qui se considère comme «moderne» et «avancé», privilégient l'anglais plutôt que le russe.
Cette hybridation de la culture ouzbèke divise la population en deux classes qui se veulent, l'une et l'autre, des marqueurs de développement et de progrès: l'une accuse l'autre d'être «colonisée» ou «arriérée», selon le cas. Le russe contre l'anglais! Entre-temps, la langue ouzbèke est marginalisée, car pendant que les autorités soutiennent le russe, une partie de la population privilégie l'anglais. Dans une telle situation linguistique de type «néocolonial», toute personne qui ne connaît pas le russe et/ou l'anglais devient une «analphabète» culturel. Néanmoins, le russe assure encore sa primauté puisque l'ignorance de l'anglais ne constitue pas encore un signe d'arriération, alors que l'ignorance du russe place tout individu parmi les «arriérés» culturels, quelqu'un qu'on désigne comme un «Néandertalie n». Bref, le prestige incontesté des langues européennes comme le russe et l'anglais empêcherait l’ouzbek de se développer.
Le 22 octobre 2019, le président Shavkat Mirziyoyev présentait sa perception de la langue ouzbèke lors d'un discours à l'occasion du 30e anniversaire du statut officiel de la langue ouzbèke. À cette occasion, il soulignait l'importance de la pleine utilisation de la langue ouzbèke dans tous les domaines, de l'amélioration de l'alphabet latin et de la création de conditions d'apprentissage des langues pour les autres nationalités minoritaires, dont voici un extrait:
Qadrli vatandoshlar! Dunyodagi qadimiy va boy tillardan biri boʻlgan oʻzbek tili xalqimiz uchun milliy oʻzligimiz va mustaqil davlatchiligimiz timsoli, bebaho maʼnaviy boylik, buyuk qadriyatdir. Kimda-kim oʻzbek tilining bor latofatini, jozibasi va taʼsir kuchini, cheksiz imkoniyatlarini his qilmoqchi boʻlsa, munis onalarimizning allalarini, ming yillik dostonlarimizni, oʻlmas maqomlarimizni eshitsin, baxshi va hofizlarimizning sehrli qoʻshiqlariga quloq tutsin. Turkiy tillarning katta oilasiga mansub boʻlgan oʻzbek tilining tarixi xalqimizning koʻp asrlik kechmishi, uning orzu-intilishlari, dardu armonlari, zafarlari va gʻalabalari bilan chambarchas bogʻliqdir. Ajdodlarimiz, ota-bobolarimiz aynan ona tilimiz orqali jahonga oʻz soʻzini aytib kelganlar. Shu tilda buyuk madaniyat namunalarini, ulkan ilmiy kashfiyotlar, badiiy durdonalar yaratganlar. Oʻtmishda oʻlkamizni bosib olgan turli yovuz kuchlar bizni avvalo oʻz tilimizdan, tariximiz va madaniyatimizdan, dinu diyonatimizdan judo qilishga qayta-qayta urindilar. Ular el-yurtimiz boshiga qanday azob-uqubatlar, kulfat va musibatlar solgani tarixdan yaxshi maʼlum. Ammo jasur va matonatli xalqimiz har qanday ogʻir sinovlarda ham oʻz ozodligi va istiqloli uchun mardona kurashdi. Bu yoʻlda behisob qurbonlar berdi. Har qanday zulm va zoʻravonliklarga qaramasdan, oʻz ona tilini – milliy gʻururini saqlab qoldi. Nafaqat saqlab qoldi, balki uni har tomonlama rivojlantirib, bugungi avlodlarga bezavol yetkazib berdi. |
Chers compatriotes! La langue ouzbèke, l'une des langues anciennes et les plus riches du monde, est pour notre peuple un symbole de l'identité nationale et de l'indépendance de l'État, une immense valeur spirituelle. Quiconque veut ressentir la beauté, le charme et la richesse de notre langue, ses énormes possibilités, qu'il écoute les berceuses de nos mères, les anciens dastans et coquelicots, les chansons de notre hafiz et de notre bakhshi. L'histoire de la langue ouzbèke, qui fait partie d'une grande famille des langues turques, est inextricablement liée à l'histoire séculaire, aux désirs et aux aspirations, aux peines et aux pertes, aux réalisations et aux victoires de notre peuple. C'était la langue maternelle qui était pour nos ancêtres le principal facteur d'auto-identification nationale. Dans cette langue, ils ont créé les plus grands exemples de culture, de découvertes scientifiques et de chefs-d'œuvre artistiques. Dans le passé, diverses forces hostiles, essayant de soumettre notre pays, ont principalement essayé de nous priver de notre langue maternelle, de notre histoire, de notre culture, de notre foi sacrée, de notre honneur et de notre dignité. Mais notre peuple courageux et inébranlable, malgré toutes les épreuves qu'il a dû endurer, et d'innombrables victimes, a courageusement lutté pour sa liberté et son indépendance. Quelles que soient l'oppression et la violence, il a non seulement soigneusement préservé sa langue maternelle - sa fierté nationale, mais, en la développant de manière globale, il l'a transmise aux générations actuelles. Aujourd'hui, avec beaucoup de respect et de révérence, nous nommons les noms de nos grands ancêtres, écrivains et érudits, nos personnalités religieuses, nos représentants éminents de l'art qui ont fait preuve d'un véritable courage spirituel et de dévouement afin de préserver et de développer notre langue maternelle. |
La veille, Shavkat Mirziyoyev avait signé un décret selon lequel le 21 octobre était déclaré «Journée de la langue ouzbèke». Le problème, c'est que ces belles paroles concernant la langue ouzbèke ne semblent pas concorder avec la réalité. En Ouzbékistan, comme au Kazakhstan et au Kirghizistan, les citadins trouvent souvent plus pratique d'employer la langue russe, tandis que dans les campagnes l'ouzbek reste prédominant. L'exception concerne les enclaves dans lesquelles les membres des minorités nationales, tels que les Tadjiks et les Karakalpaks, constituent la majorité d'une localité et parlent donc leur langue. Selon les estimations de la succursale à Tachkent de l'agence d'État russe pour la coopération culturelle et humanitaire, la Rossotrudnichestvo, environ 11,8 millions de personnes en Ouzbékistan parleraient le russe à un degré ou à un autre, ce qui représente environ un tiers de la population.
Bref, malgré le déclin officiel de son statut, la langue russe réussit à maintenir une présence très importante en Ouzbékistan, suffisamment pour concurrencer l'ouzbek. En 2019, il y avait encore 862 écoles de langue russe dans le pays; l'intérêt durable pour l'enseignement supérieur en Russie semble tout aussi considérable, car environ 25 000 étudiants d'Ouzbékistan étudient dans des universités russes. À Tachkent et dans d'autres grandes villes, les câblodistributeurs proposent des offres composées d'émissions étrangères principalement en russe. Sa suprématie dans le monde de l'entreprise et même dans la publicité est indéniable.
D'ailleurs, en avril 2019, un groupe de personnalités culturelles et d'intellectuels ouzbeks a fait grand bruit dans le pays en exhortant le gouvernement à rétablir le statut de la langue russe comme langue de «communication interethnique». Ce mouvement en faveur du rétablissement du russe condamne les jeunes d'aujourd'hui qui ne connaissent pas l'alphabet cyrillique et qui, dans une certaine mesure, seraient devenus «analphabètes» et «séparés de la riche culture du siècle dernier». Pour les nostalgiques du russe, ce serait une façon de perpétuer leurs privilèges, mais pour les nationalistes c'est plutôt un moyen de nuire au développement de la langue nationale.
Sous la présidence de Shavkat Mirziyoyev, le régime traverse une phase de modernisation autoritaire, où toutes les initiatives et les réformes concernent principalement la politique étrangère et la restructuration économique. L'un des problèmes difficiles auxquels le pays est confronté concerne le manque de possibilités d'emploi, tandis que les différences entre les zones rurales et urbaines restent importantes. Le chômage élevé et les bas salaires sont à l'origine des migrations massives de main-d'œuvre vers la Russie. Cela signifie que l'avenir de la langue ouzbèke dépend en grande partie des décisions que pourraient prendre le président Mirziyoyev et ses conseillers. Depuis l'avènement de Mirziyoyev à la présidence de l'Ouzbékistan, de nouvelles perspectives sont apparues pour le développement de la coopération entre Moscou et Tachkent dans le domaine de la science, de la culture et de l'éducation, ce qui jusqu'à récemment était difficile à imaginer. Même sans la langue russe, le régime au pouvoir ouzbek dépend de la Russie. Étant donné que la vie politique en Ouzbékistan reste plutôt traditionnelle, il faut s'attendre à ce que la classe politique au pouvoir réussisse à maintenir le russe dans son rôle postcolonial. De fait, l'importance de la langue russe dans le pays est encore grande; comme moyen de communication interethnique, elle est encore utilisée par l'ensemble de la population ouzbèke.
1) Situation générale |
2) Données historiques |
3) La politique linguistique |
4) La République autonome du Karakalpakstan |
5) Bibliographie |
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