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Ouzbékistan4) La République du Karakalpakstan |
Le terme Karakalpakistan est souvent rendu par Karakalpakstan, une translittération de Qaraqalpaqstan (en karakalpak et en kazakh) et de Qoraqalpogʻiston (en ouzbek). La première graphie correspond davantage à celle du français, alors que la seconde respecte davantage la graphie originale, bien que la graphie ouzbèke puisse être rendue par Karakalpakistan. Officiellement, on devrait employer l'appellation «république du Karakalpakistan, mais anciennement celle-ci était connue sous le nom de «République autonome des Karakalpaks» ou simplement «Karakalpakie», un territoire créé en 1925 sous le régime soviétique. Aujourd'hui, le Karakalpakistan est une région administrative de l'Ouzbékistan, la seule à avoir le statut de république autonome.
La région tire son nom du mot karakalpak, qui se traduirait par «chapeau noir». Ce mot proviendrait des Petchenègues, un peuple nomade d'origine turque qui vivait sur ce territoire au VIIIe siècle. C'était le nom d'un couvre-chef qui était porté par les hommes des tribus nomades turques à cette époque. Des noms similaires ont été donnés par d'autres groupes ethniques trucs tels que les Bachkirs («tête noire»), les Kirghizes («laine noire») et les Ouïghours («cheveux noirs»). Généralement, les hommes, surtout les guerriers de l'époque, portaient ce genre de chapeau en peau de mouton noir.
Les Karakalpaks ont conservé cette coutume du couvre-chef, mais aujourd'hui ce sont surtout des chanteurs ou des danseurs, ou des militaires, qui les portent afin de perpétuer cette tradition, notamment dans les mariages, les fêtes traditionnelles ou les défilés militaires. |
La République autonome du Karakalpakstan est située dans le nord-ouest de l'Ouzbékistan; elle est bornée au nord et à l'ouest par le Kazakhstan, au sud par le Turkménistan et à l'est par les autres régions de l'Ouzbékistan, Novoï, Khorezm et Boukhara (voir la carte de l'Ouzbékistan). Le territoire de cette république autonome occupe 166 600 km² (équivalant à la Tunisie), soit 28 % du territoire de l'Ouzbékistan et constitue nettement en superficie la plus grande région de ce pays (voir la carte de l'Ouzbékistan). Le territoire du Karakalpakstan (appelé parfois «Karakalpakie») comprend également la moitié sud de l'ancienne mer d'Aral, sur le fond sec duquel le nouveau désert d'Aralkum est maintenant formé, et le cours inférieur asséchant de la rivière Amudarya. Dans le Karakalpakstan, les déserts occupent plus de 13,67 millions d'hectares, soit plus de 85% du territoire, y compris l'Aralkum, un désert formé au fond de la mer d'Aral asséchée. Toute la république autonome est considérée comme une réserve archéologique. Sa capitale est Nukus en ouzbek et No‘kis en karakalpak (en français: Noukous). |
Le Karakalpakstan est une république souveraine au sein de la république d'Ouzbékistan avec une forme parlementaire de gouvernement. La République autonome du Karakalpakstan possède sa propre constitution, son drapeau, ses armoiries et son hymne national. La Constitution et les lois de la république du Karakalpakstan sont élaborées conformément à la Constitution et aux lois de la république d'Ouzbékistan. La direction générale de la République est assurée par le président du Parlement, également chef du Parlement de la république du Karakalpakstan. L'organisme exécutif du Karakalpakstan est le Conseil des ministres approuvé par le Zhokargi Kenes. Le Conseil des ministres comprend le président, ses adjoints, les ministres, les présidents des comités d'État, les chefs de grandes entreprises et les associations. Le président du Conseil des ministres de la république du Karakalpakstan est membre du Cabinet des ministres de la république d'Ouzbékistan.
Conformément à l'article 74 du chapitre XVII de la Constitution de la république d' Ouzbékistan, la république du Karakalpakstan a le droit, du moins en principe, de rester ou de se retirer de la république d'Ouzbékistan sur la base d'un référendum général du peuple du Karakalpakstan.
2 Données démolinguistiques
Le mot Karakalpak est dérivé de l'orthographe cyrillique russe de leur nom ("каракалпак") et est devenu le nom accepté en Occident. Les Karakalpaks se désignent en fait par le mot Qaraqalpaqs, tandis que les Ouzbeks les appellent Qoraqalpogs. La population du Karakalpakstan était estimée en 2018 à 1,8 million d'habitants, dont 400 000 Karakalpaks, 400 000 Ouzbeks et 300 000 Kazakhs. La population urbaine est de 48,5% et la population rurale, de 51,5%.
En 1989, juste avant l'indépendance de l'Ouzbékistan, les Ouzbeks constituaient 32,8% de la population, puis 32,1% pour les Karakalpaks, 26,2% pour les Kazakhs, 4,9% pour les Turkmènes, 1,6% pour les Russes, ainsi que d'autres petites communautés (Coréens, Tatars, Ukrainiens Bachkirs, Kirghizes, etc.). Aujourd'hui, la composition ethnique n'a pas beaucoup changé, à part le fait que les Karakalpaks sont devenus majoritaires avec les Ouzbeks, mais ils sont en régression démographique. La population du Karakalpakstan représente 5,6% des 33 millions d'habitants de l'Ouzbékistan.
Les trois ethnies principales que sont les Karakalpaks, les Ouzbeks et les Kazakhs sont des peuples turcophones parlant une langue de la famille altaïque (turcique): respectivement le karakalpak, l'ouzbek et le kazakh. Ce sont des langues assez proches l'une de l'autre, mais le karakalpak est comme plus près du kazakh que l'ouzbek. En fait, le karakalpak, le kazakh, le kirghiz et le nogaï font partie d'un sous-groupe appelé «kiptchak méridional», tandis que l'ouzbek fait partie des langues du sous-groupe ouïghour.
Langues oghoures | turc, azéri, gagaouze, turkmène, etc. |
Langues kiptchak - occidentales - septentrionales - méridionales |
- tatar de Crimée, koumyk, etc. - tatar, bachkir, etc. - karakalpak, kazakh, kirghiz, nogaï, etc. |
Langues ouïghoures | ouzbek, ouïghour, etc. |
Linguistiquement, les Karakalpaks sont plus proches des Kazakhs, mais politiquement et administrativement ils partagent le même pays et les mêmes institutions que les Ouzbeks.
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Les exemples du tableau de gauche illustrent les ressemblances écrites entre quelques langues turques. On peut constater que le karakalpak et le kazakh ont plus de points communs qu'avec les autres langues, bien que le kirghiz soit assez proche également, ce qui est normal puisque le karakalpak, le kazakh et le kirghiz appartiennent au même sous-groupe des langues kipchak méridionales.
Nous pouvons constater également que l'ouzbek présente plus de différences que les langues précédentes (karakalpak, kazakh et kirghiz) et que ces différences sont encore plus accentuées avec le turkmène et le turc, ces dernières faisant partie des langues oghoures, tandis que l'ouzbek est une langue ouïghoure. Néanmoins, toutes ces langues appartiennent à la grande famille altaïque, dont font partie les langues turciques. Il faut aussi comprendre qu'il s'agit ici de mots écrits, alors que leurs prononciations peuvent s'avérer différentes d'une langue à l'autre, car l'écrit ne rend pas compte des différences phonétiques. Notons que la langue karakalpak est parlée avec deux variantes dialectales : le karakalpak du Nord-Est et le karakalpak du Sud-Ouest, avec un certain nombre de différences (principalement en phonétique et en vocabulaire). |
L'écriture du karakalpak emploie à la fois une forme modifiée de l'alphabet cyrillique et de l'alphabet latin, le premier étant la règle sous l'Union soviétique, mais le second est calqué sur la réforme de l'alphabet ouzbek en Ouzbékistan. Avant l'Union soviétique, le karakalpak était rarement écrit, mais lorsqu'il l'était c'était une forme modifiée de l'alphabet arabo-persan. Les langues officielles sont le karakalpak et l'ouzbek.
En raison de la géographie et de l'histoire du peuple karakalpak, la langue fut à l'origine influencée par le mongol et le tadjik, puis au XXe siècle par le russe et l'ouzbek. Il existe aussi une langue mixte composée de mots karakalpaks et ouzbeks, laquelle est parlée par les personnes bilingues dans ces deux langues. La plupart des habitants de la République autonome sont des sunnites musulmans.
Enfin, quelque 400 000 personnes parlent le karakalpak, principalement en Ouzbékistan, particulièrement dans la république de Karakalpakstan (350 000). Environ 2000 locuteurs originaires de cette région vivent en Afghanistan, alors que de petites communautés sont installées en Russie, au Kazakhstan, en Turquie et dans d'autres pays.
3 Données historiques
Nous savons que des humains vivaient sur le territoire du Karakalpakstan à l'époque du néolithique, soit vers 8000 ans avant notre ère. Du VIe siècle au IIe siècle avant notre ère, il y eut une migration des tribus turques du territoire de l'Altaï et du Turkestan oriental. Puis les populations nomades turques se sont mêlées aux Saki, un peuple autochtone, à la suite de quoi deux nouvelles communautés ethniques apparurent, dont les Petchenègues et les Oghouzes.
3.1 Le khanat de Khiva
Ce sont les Petchenègues qui formèrent la base de la formation ethnique des Karakalpaks qui étaient des pêcheurs et des éleveurs nomades; ils le restèrent jusqu'au XVe siècle, alors qu'une nouvelle dynastie ouzbèke se détacha des Chaybanides, une dynastie turco-mongole, pour former un khanat indépendant, le khanat de Khiva. Le khanat fut ensuite dirigé par une dynastie ouzbèke. Diverses autres dynasties se succédèrent au moins jusqu'au milieu du XIXe siècle.
3.2 L'arrivée des Russes En mars 1873, quatre régiments russes partirent de leur base pour lancer leurs attaques contre la ville fortifiée de Khiva, la capitale du khanat. Par le traité de Guendeman (d'après le nom de la résidence d'été du khan Mohammed Rahim II) du 12 août 1874, le khanat de Khiva devint un protectorat russe et perdit ses terres de la rive droite du fleuve Amou-Daria au profit de l'Empire russe. La perte de son indépendance ne changea que peu la vie politique intérieure du khanat qui servit de base aux Russes pour se défendre des assauts turkmènes. |
Néanmoins, l'intégration des Karakalpaks dans l'espace économique russe jeta les bases d'une lente pénétration des relations impérialistes dans la culture du Moyen Âge, parallèlement à la cessation des affrontements interethniques avec les unions tribales environnantes.
Pendant la Première Guerre mondiale, des événements dans les régions voisines du Turkestan influencèrent les Karakalpaks en raison des soulèvements d'Asie centrale en 1916, qui se sont étendus dans certaines régions du khanat (Chimbay et Shurakhansky). Avec la victoire de la révolution d'Octobre en 1917, le pouvoir soviétique s'est imposé dans le district d'Amu Daria qui, en 1918, devint une partie du Turkestan occidental.
3.3 Le régime soviétique
Sous le régime soviétique, la région de la Karakalpakie fut intégrée dans la République socialiste soviétique d'Ouzbékistan le 27 octobre 1924, alors que diverses entités territoriales existantes dans l'Asie centrale — une partie du Turkestan, les khanats de Boukhara et de Khorezm — étaient regroupées dans la RSS d'Ouzbékistan. La Karakalpakie fut ensuite transférée sous l'administration directe de la République fédérative socialiste soviétique de Russie (RSFS de Russie) en 1932 avec le statut d'oblast autonome. Mais, le 12 mai 1936, la Karakalpakie fut réintégrée à la RSS d'Ouzbékistan, devenant la seule république socialiste soviétique autonome (RSSA) située en Asie centrale soviétique. Par conséquent, la Karakalpakie devint une partie intégrante de l'Ouzbékistan, surtout pour des raisons administratives, alors qu'elle conservait son statut d'autonome avec son propre Soviet suprême. En principe, la république de Karakalpakie pouvait développer sa propre culture et sa langue, ainsi que sa littérature, tout en recevant un soutien de Moscou. En 1964, la Karakalpakie fut appelée République socialiste soviétique autonome de Karakalpak (RSSA du Karakalpak).
De 1924 à 1928, l'alphabet arabo-persan fut utilisé comme système d'écriture pour le karakalpak, mais l'alphabet latin fut instauré de 1928 à 1940. Par la suite, dans le cadre du processus de cyrillisation des langues écrites de l'URSS, un alphabet sur la base cyrillique fut élaboré et introduit, mais sa version réformée ne fut approuvée qu'en 1957.
En 1960, les Soviétiques ont décidé de cultiver les vastes steppes du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. L'objectif était de transformer les steppes désertiques en champs de coton et de blé. Les Soviétiques ont alors détourné une partie des fleuves pour irriguer leurs cultures et ont ainsi privé la mer d’Aral de 20 à 60 km3 d’eau, chaque année. En 1970, la mer d’Aral avait déjà perdu les 9/10e de sa surface. Résultat : son taux de salinité a grimpé et des millions de poissons sont morts suite à l’assèchement. Aujourd'hui, la région est polluée par le sol très riche en sel et aussi par les nombreux pesticides utilisés dans les champs de coton (plus de 50 fois la dose autorisée). Ces polluants sont transportés par les vents forts à travers le désert. En 2006, à cause de l'assèchement, le niveau de l’eau est descendu de 23 mètres, et le volume du lac a baissé de 90 %. Le chômage est important et la population est atteinte par de nombreuses maladies.
Durant le régime soviétique, la RSSA du Karakalpak fut envahie par la langue russe qui a joué un rôle important dans le développement et l'enrichissement du vocabulaire, de la phraséologie, de la phonétique et de la structure grammaticale de la langue karakalpak. Par exemple, si les emprunts à la langue russe au début du XXe siècle ne représentaient pas plus de deux douzaines de mots, ils se sont multipliés par 100 par la suite. En effet, sous l'influence de la langue russe, des changements dans la phonétique eurent lieu, ainsi que dans le domaine de la morphologie et de la syntaxe. Le karakalpak a emprunté au russe beaucoup de mots techniques et de mots familiers. Dans ce qui peut être considéré comme «technique», citons des emprunts tels que Президент («président»), диван («divan»), кино («cinéma»), газ («gaz»), машина («machine»), телевизор («téléviseur»), самолет («avion»), etc. Quant aux mots familiers, ils concernent les termes de la vie courante tels que les suivants:
Mot russe | Graphie latine | Mot français |
автобус аптека художник банк контейнер бензин больница вагон |
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bus pharmacie artiste banque bidon essence hôpital wagon |
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Ces mots n'existaient pas dans la tradition karakalpake parce que ces réalités contemporaines ont été apportées par les Russes. Même les mots qui provenaient de l'allemand, du français ou de toute autre langue sont passés par la langue russe avant d'aboutir en karakalpak.
3.4 La république du Karakalpakstan
Le 14 décembre 1990, lors de la session du Conseil suprême de la République socialiste soviétique autonome de Karakalpak, une déclaration sur la souveraineté de l'État fut signée, mais elle ne pourrait être obtenue que grâce à un référendum national. Le 9 janvier 1992, au lendemain de l'accession de l'Ouzbékistan à l'indépendance, la République autonome de Karakalpak fut transformée en «république du Karakalpakstan». En 1993, la République autonome signa un traité avec l'Ouzbékistan garantissant son adhésion libre au sein de la république d'Ouzbékistan pour une période de vingt ans. L'accord consacrait le droit de la république autonome de quitter l'Ouzbékistan par référendum en 2013.
En fait, les propositions apportées à l'époque par le président Islam Karimov pour le Karakalpakstan apaisèrent rapidement toute tendance sécessionniste. Le Karakalpakstan était proclamé «république autonome» dans la Constitution de l'Ouzbékistan de 1992, tandis que la Constitution interne du Karakalpakstan, adoptée en avril 1993, confirmait le statut avec la disposition selon laquelle un référendum sur tout le Karakalpakstan pourrait conduire à l'indépendance de la région en 2013. Les groupes et les individus qui prônaient une autonomie accrue pour le Karakalpakstan furent systématiquement réduits au silence.
Le Karakalpakstan demeure aujourd'hui l'une des régions les plus pauvres de l'Ouzbékistan. La population du Karakalpakstan souffre d'un grand niveau de pauvreté, de chômage et de mauvaise santé. Avec le retrait de la mer d'Aral, des milliers de Karakalpaks ont perdu leurs moyens de subsistance et ont été contraints de quitter leurs terres. Le rétrécissement de la mer d'Aral de 90% et la désertification de la majeure partie du territoire constituent l'une des catastrophes environnementales les plus visibles au monde depuis les cinquante dernières années. Par conséquent, les Karakalpaks sont l'une des minorités les plus menacées du pays en raison de cette catastrophe écologique.
- Le nouvel alphabet latin
À la suite de la langue ouzbèke, un nouvel alphabet sur la base latine fut approuvé en 1994 pour la langue karakalpake. La version originale était proche du turc, mais les alphabets ouzbek et karakalpak furent révisés: au lieu des lettres avec des signes diacritiques, des digraphes et des lettres avec apostrophes furent introduits. Les dernières modifications du nouvel alphabet karakalpak furent apportées en 2016: des lettres avec des signes furent introduites à la place des lettres avec des apostrophes. Quoi qu'il en soit, des experts karakalpaks affirment que les réformes sans fin de l'orthographe de leur langue sont menées de telle sorte qu'elle se rapproche davantage de l'écriture ouzbèke.
- Une indépendance illusoire?
Quant à l'accord officiel conclu en 1993 sur la durée de vingt ans du Karakalpakstan au sein de l'Ouzbékistan, il a expiré en 2013; d'une part, le gouvernement du Karakalpakstan n'a pas soulevé cette question; d'autre part, les autorités ouzbèkes n'ont même pas vu la nécessité de prolonger le traité de 1992, encore moins le besoin de tenir un référendum sur l'autodétermination. Pour le gouvernement ouzbek, non seulement c'est une promesse oubliée, mais c'est une affaire classée. Bref, le gouvernement central a tout fait pour empêcher qu'un référendum ait lieu pour ensuite prendre le contrôle de l'élite politique locale. Toute tentative de parler du droit du peuple karakalpak à l'indépendance du Karakalpakstan est durement réprimée par les services secrets de l'Ouzbékistan. Les partisans de l'indépendance du Karakalpakstan n'acceptent pas que le gouvernement de la République soit composé uniquement de représentants de l'ethnie ouzbèke.
Pendant que les plus nationalistes préconisent l'indépendance du Karakalpakstan, d'autres souhaiteraient rejoindre le Kazakhstan, voire la Russie, pendant qu'un troisième groupe préfère rester une région autonome au sein de l'Ouzbékistan. Le Karakalpakstan, qui occupe un tiers du territoire de l'Ouzbékistan, est une région de matières premières très importantes. Ce territoire possède de grandes ressources de pétrole et de gaz. Il n'est pas question de le perdre! Tandis que ce genre de ressources représente une source d'enrichissement pour la population locale dans certains pays, les Karakalpaks profitent au contraire très peu de ces richesses. Ajoutons à cela les problèmes sociaux et économiques internes jamais résolus, les ingrédients pour alimenter le mécontentement croissant de la population du Karakalpakstan constituent une source ravivée du nationalisme karakalpak. De plus, les tentatives actuelles de la Russie de redessiner les frontières postsoviétiques en Géorgie et en Ukraine pourraient bien s'étendre en Ouzbékistan, et ce, d'autant plus que le transfert du Karakalpakstan à l'administration kazakhe a également résonné dans le Kazakhstan voisin.
4 La politique linguistique
Selon l'article 21 de la Constitution de l'Ouzbékistan: «Tout citoyen de la république du Karakalpakstan est simultanément citoyen de la république d'Ouzbékistan.» En vertu de l'article 71: «La république du Karakalpakstan a sa propre Constitution, et la Constitution de la république du Karakalpakstan ne peut pas contredire la Constitution de la république d'Ouzbékistan.» De plus, l'article 72 de la Constitution ouzbèke déclare que «les lois de la république d'Ouzbékistan sont également obligatoires sur le territoire de la république du Karakalpakstan». D'après l'article 74, «la république du Karakalpakstan a le droit de faire sécession de la république d'Ouzbékistan sur la base d'un référendum général du peuple du Karakalpakstan». Enfin, l'article 75 énonce que «les relations entre la république d'Ouzbékistan et la république du Karakalpakstan sont, dans le cadre de la Constitution de la république d'Ouzbékistan, régies par des traités et des accords conclus par la république d'Ouzbékistan et la république de Karakalpakstan». Voilà pour les principes constitutionnels! Il s'agit aussi de voir comment se transposent ces dispositions dans la réalité.
Les responsables karakalpaks de la région autonome n'ont pas élaboré une politique linguistique très développée. Tous les responsables, y compris les dirigeants du Karakalpakstan et de ses régions, sont nommés et révoqués par le président de l'Ouzbékistan. Il n'y a pas de voix du peuple du Karakalpakstan dans le choix de ses dirigeants. Selon toute vraisemblance, ce sont les fonctionnaires ouzbeks qui dirigent la politique linguistique en prenant comme base celle de l'Ouzbékistan. Or, celle-ci est une politique d'ouzbékisation, tandis que les Karakalpaks sont généralement évincés des postes de direction et que la grande majorité des membres du gouvernement de la république autonome sont des Ouzbeks qui ne sont pas nés au Karakalpakstan.
4.1 La Constitution locale
La Constitution de la république du Karakalpakstan a été adoptée le 9 avril 1993 par le Conseil suprême du Karakalpakstan. Les articles qui portent sur la langue sont les articles 4, 18 et 108. L'article 4 déclare que les langues officielles de la république du Karakalpakstan sont le karakalpak et l'ouzbek, et que la République doit veiller au respect des langues des nationalités :
4-modda [version ouzbèke] 1) Qoraqalpoq tili va o'zbek tili Qoraqalpog'iston Respublikasining davlat tillaridir. 2) Qoraqalpog'iston Respublikasi o'z hududida istiqomat qiluvchi barcha millat va elatlarning tillari, urf-odatlari va an’analari hurmat qilinishini ta'minlaydi, ularning rivojlanishi uchun sharoit yaratadi. |
Article 4 [traduction]
1) Les langues officielles de la république du Karakalpakstan sont la langue karakalpak et la langue ouzbèke. |
S'il s'agit de veiller au respect de toutes les langues des nationalités, il ne reste plus beaucoup de place pour la langue karakalpak, car plus il existe de la concurrence entre les langues, seule la langue dominante sortira du lot!
L'article 18 est une disposition de non-discrimination:
18-modda 1) Qoraqalpog'iston Respublikasining barcha fuqarolari bir xil huquq va erkinliklarga ega bo'lib, jinsi, irqi, millati, tili, dini, ijtimoiy kelib chiqishi, e’tiqodi, shaxsiy va ijtimoiy mavqeidan qat’iy nazar, qonun oldida tengdirlar. 2) Imtiyozlar faqat qonun bilan belgilanib qo'yilishi mumkin hamda ijtimoiy adolat printsiplariga mos bo'lishi shart. |
Article 18
1) Tous les citoyens de la république du Karakalpakstan ont les mêmes droits et libertés, et ils sont égaux devant la loi sans distinction de sexe, de race, de nationalité, de langue, de religion, d'origine sociale, de croyances, de statut personnel et social. |
Quant à l'article 108, il énonce que toute procédure judiciaire doit se dérouler en karakalpak, en ouzbek ou dans la langue de la majorité de la population de la région concernée et qu'au besoin les justiciables ont le droit de recourir aux services d'un interprète:
108-modda. Qoraqalpog'iston Respublikasida sud ishlarini yuritish qoraqalpoq tilida, o'zbek tilida yoki muayyan joydagi ko'pchilik aholi so'zlashadigan tilda olib boriladi. Sud ishlari olib borilayotgan tilni bilmaydigan sudda qatnashuvchi shaxslarning tarjimon orqali ish materiallari bilan to'la tanishish va sud ishlarida ishtirok etish huquqi hamda sudda ona tilida so'zlash huquqi ta'minlanadi. |
Article 108
Toute procédure judiciaire dans la république du Karakalpakstan doit se dérouler en karakalpak, en ouzbek ou dans la langue de la majorité de la population de la région concernée. Les justiciables au procès qui ne parlent pas la langue de la procédure ont le droit de se familiariser pleinement avec les éléments du procès, de participer à la procédure judiciaire par le biais d'un interprète et le droit de s'exprimer en justice dans leur langue maternelle. |
Encore une fois, c'est le règne du multilinguisme qui ne peut que nuire à la langue karakalpake qui, non seulement est en situation minoritaire, mais doit concurrencer l'ouzbek, le kazakh et le russe. La plupart des procès se déroulent en ouzbek, le karakalpak devenant une langue de la traduction, comme si les Karakalpaks étaient des étrangers dans leur propre pays! Selon la Banque mondiale, plus de 2000 Karakalpaks pourrissent actuellement dans les prisons ouzbèkes en raison de leur lutte pour la liberté et l'indépendance de leur république.
4.2 Les services publics
En principe, les services publics administratifs sont offerts en karakalpak et en ouzbek, sauf que le nombre des fonctionnaires est de plus en plus ouzbékophone avec le résultat que le poids démographique des locuteurs du karakalpak diminue dans la république autonome, ainsi que leur contrôle dans les institutions du gouvernement local. Rappelons que c'est le président de l'Ouzbékistan qui nomme tous les membres du gouvernement du Karakalpakstan, ainsi que les membres des tribunaux, du parquet et des services de sécurité de la république du Karakalpakstan. Toutes les réunions au sein du gouvernement local se déroulent exclusivement en langue ouzbèke, et la documentation de circonstance n'apparaît que dans cette langue. Quoi qu'il en soit, les autorités nommées par Tachkent refusent d'accepter les documents dans la langue karakalpak qu'ils ne comprennent pas. De fait, le procureur de la République est ouzbek, le chef des services de sécurité nationale est ouzbek, les chefs de l'inspection fiscale et des douanes sont ouzbeks, et le commandant du district militaire du Nord-Ouest est ouzbek. Le ministre des Affaires intérieures est un Karakalpak, mais ses conseillers sont tous ouzbeks. Le chef du gouvernement est également un Ouzbek.
Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de Karakalpaks dans le gouvernement de la république que, par exemple, il y a dix ans. Les autres groupes ethniques ne sont pas davantage représentés. Il va de soi qu'avec cette composition des structures de pouvoir les Karakalpaks sont de plus en plus victimes de discriminations en raison de l'ouzbékisation progressive de l'appareil de l'État. Soulignons aussi que de nombreux citoyens du Karakalpakstan sont victimes de discrimination et sont arrêtés, détenus, condamnés et incarcérés dans des prisons de l'Ouzbékistan pour des raisons politiques. Tout cela entraîne une migration massive des Karakalpaks, qui partent travailler principalement dans le Kazakhstan voisin, mais certains vont se réfugier en Russie.
Alors que le karakalpak et l'ouzbek sont les deux langues officielles de la république autonome, le gouvernement central de l'Ouzbékistan intervient en remplaçant les noms de lieux en karakalpak par des dénominations en ouzbek seulement. De plus, bien qu'il ne semble pas y avoir de politique officielle de transmigration parrainée par l'État pour amener les Ouzbeks à diluer davantage la présence des Karakalpaks, il y a progressivement un afflux notable d'Ouzbeks dans les entreprises et dans l'administration.
Par ailleurs, le Comité des Nations unies contre la torture a signalé, dès 2007, que des stérilisations forcées et des hystérectomies sont ouvertement pratiquées chez les femmes en Ouzbékistan, notamment dans la république du Karakalpakstan. Selon des sources médicales, le gouvernement ouzbek a émis en 2009 et en 2010 des directives ordonnant aux cliniques d'être équipées pour pratiquer une contraception chirurgicale «volontaire», mais souvent les femmes n'ont pas le choix. Il est très facile de manipuler une femme peu instruite et pauvre, et la convaincre de se faire stériliser pour des raisons de santé! Des médecins de la capitale ont également été envoyés dans les zones rurales du Karakalpakstan pour accroître la disponibilité des services de stérilisation. À leur insu, sans leur consentement ou par la force, la liste des femmes stérilisées serait énorme et, selon les chiffres officiels, pratiquement chaque femme adulte est harcelée pour se faire stériliser dans la république autonome.
Il existe un document officiel qui marquait le début d'une campagne pour stériliser les femmes : c'est le décret du président de l'Ouzbékistan, Islam Karimov, en date du 13 avril 2009 sous le numéro PP-1096 «sur des mesures supplémentaires pour protéger la santé des mères et des enfants, la formation d'une génération en bonne santé» (en russe: "О дополнительных мерах по охране здоровья матери и ребенка, формирование здорового поколения"). En fait, il s'agit d'une méthode qui consiste à minoriser les Karakalpaks dans leur propre pays. Cette pratique a aussi été dénoncée parce qu'elle s'est étendue aussi aux femmes roms (tsiganes).
4.3 L'éducation
Au cours de l'année scolaire 2004/05, on comptait 763 écoles d'enseignement général au Karakalpakstan, dont 338 000 élèves et 36 100 enseignants. Comme dans tout le reste de l'Ouzbékistan, les parents ont le choix de la langue d'enseignement pour leurs enfants. En général, les langues d'enseignement les plus populaires au primaire et au secondaire sont le karakalpak et l'ouzbek, mais il existe des écoles où l'on enseigne, selon le cas, en russe, en kazakh, en turkmène ou en tadjik, et ce, dans les lieux de résidence compacts pour ces ethnies. Quoi qu'il en soit, nul n'est forcé d'apprendre la langue karakalpak, mais l'ouzbek est obligatoire, du moins comme langue seconde.
Les langues étrangères les plus enseignées sont, outre le russe et l'anglais, l'allemand et le français, l'ouzbek n'étant pas considéré comme une langue étrangère. Des centres de diagnostic ont été créés dans les services d'éducation publique de certaines villes pour fournir une «orientation professionnelle» aux enfants de six ans et les préparer à la scolarisation en ouzbek. Au début de l'année scolaire 2017-2018, quelque 365 écoles enseignaient en langue karakalpak fonctionnaient dans le pays, selon un rapport de l'Ouzbékistan au Comité pour l'élimination de la discrimination raciale.
Dans la république de Karakalpakstan, on compte aussi 72 collèges professionnels et cinq lycées universitaires; quelque 60 600 étudiants étudient dans ces établissements d'enseignement spécial. Les langues d'enseignement sont, selon l'établissement, le karakalpak, l'ouzbek, le russe ou l'anglais.
Créée en 1976, l'Université d'État du Karakalpak ("Qoraqalpoq Davlat Universiteti" en ouzbek ou en anglais "Karakalpak State University") est un établissement public d'enseignement supérieur à but non lucratif situé dans la ville de Noukous. L'université abrite environ 8000 étudiants nationaux et étrangers répartis dans 11 facultés. L'enseignement est en général offert en ouzbek, mais aussi en russe ou en anglais.
4.4 Les médias
La république du Karakalpakstan compte plusieurs journaux: Yerkin Karakalpakstan (quatre fois/semaine en karakalpak), Vesti Karakalpakstana (deux fois/semaine en russe), Karakalpakstan Zhastlary (une fois/semaine en karakalpak), Zhetkinshek (une fois/semaine en karakalpak), Amu Tongi (deux fois/semaine en ouzbek), Dostyk Uni (une fois/semaine en kazakh), Karakalpakstan Khauazy (trois fois/semaine en karakalpak), Karakalpakstan Medenieti (deux fois/semaine en karakalpak), Tabiyat Khabarshishi (une fois/semaine en karakalpak), Ekologicheskiy Vestnik (une fois/semaine en russe).
Depuis que le Karakalpakstan fait partie de l'Ouzbékistan (1993), des dizaines de publications en langue karakalpak ont été fermées, tandis que du matériel d'impression a été exporté vers l'Ouzbékistan. Il ne reste que peu de journaux locaux. Aujourd'hui, les Karakalpaks ne peuvent pas librement écrire ni publier des livres, même sur leur histoire, sous peine d'être immédiatement accusés de «séparatistes».
Les émissions de radio du Karakalpakstan ont commencé en janvier 1932. Au début, les émissions étaient présentées comme de brèves informations, d'une durée de 3 h par jour. Actuellement, la radio du Karakalpakstan diffuse 6,5 heures par jour. En 2009, la station Noukous FM fut inaugurée, et elle diffuse uniquement à Nukus en karakalpak, en ouzbek et en kazakh.
Karakalpakstan TV apparut pour la première fois le 5 novembre 1964. Au cours de la première période du programme, le programme a été diffusé à une heure et demie du soir. Actuellement, 1h30 le matin et 19h à minuit le soir, les émissions sont diffusées le week-end en karakalpak, en ouzbek et en kazakh.
La minorité karakalpak ne bénéficie aucunement de l'autonomie accordée d'abord par les Soviétiques au Karakalpakstan. Ce sont les ouzbékocophones, non les karakalpakophones, qui contrôlent la région et qui imposent leur politique d'ouzbékisation. Tout est fait de sorte que sorte que la minorisation, voire la liquidation, soit inéluctable pour les Karakalpaks. C'est une politique linguistique qui fait fi de toutes les protections proposées par les Nations unies. Dans un grand nombre de lois, l'Ouzbékistan prévoit des dispositions de non-discrimination. Manifestement, ce genre de mesure ne s'applique pas aux Karakalpaks. Bref, la République autonome du Karakalpakstan est contrôlée par des «étrangers» qui ont tout intérêt à imposer leurs diktats.
La Région autonome du Karakalpakstan n'est pas maître de son destin. Par conséquent, elle ne peut adopter la politique linguistique qui lui conviendrait. Les dirigeants locaux ou ce qu'il en reste doivent forcément composer avec une politique d'ouzbékisation qui ne leur est pas favorable. En fait, la politique linguistique appliquée dans la région autonome compte deux volets. Le premier provient de Tachkent et correspond à une politique qui s'apparente à l'assimilation dans la mesure où l'État central ne cherche pas à protéger la langue karakalpake, mais cherche plutôt à temporiser en attendant que les Karakalpaks s'assimilent en douce à l'ouzbek. Le second volet vient du fait que les autorités ouzbèkes perçoivent la langue karakalpake comme le symbole du sentiment nationaliste, c'est-à-dire «séparatiste», alors que les Karakalpaks considèrent leur langue comme la source profonde de leur culture. Par conséquent, toute politique orientée vers la sauvegarde de la langue karakalpake est perçue comme antipatriotique par les Ouzbeks. Le Karakalpakstan n'est autonome que de nom!
1) Situation générale |
2) Données historiques |
3) La politique linguistique |
4) La Région autonome du Karakalpakstan |
5) Bibliographie |
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