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Nouvelle-Calédonie (3) Données historiques |
D'après certaines sources archéologiques, les premiers occupants de la Nouvelle-Calédonie, des Mélanésiens, les ancêtres des Kanaks actuels, seraient apparus il y a environ 3000 ans en provenance du Sud-Est asiatique, notamment de l'actuelle Malaisie. Il y aurait eu également des vagues d’immigration d'autres îles du Pacifique, notamment des îles Salomon et du Vanuatu. On croit également que des Polynésiens auraient abordé les îles Loyauté en provenance de Tonga, des Samoa et des îles Fidji.
La Nouvelle-Calédonie fut découverte par les Britanniques, mais colonisée par les Français.
1.1 Les Britanniques (1774)
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En 1774, le célèbre navigateur anglais James Cook, qui s’était déjà illustré en 1759 au moment de la prise de Québec, fut le premier Européen à découvrir la Nouvelle-Calédonie lors de sa seconde expédition dans le Pacifique, celle de 1772-1775; il aborda en premier lieu le nord de la Grande Terre, plus précisément à Balade (Balabio), le 5 septembre 1774. Il baptisa ce pays la New-Caledonia en raison des paysages ressemblant à la Calédonie écossaise, son pays natal, située au nord des Lowlands; ce sont les Romains qui avaient nommé Caledonia le nord de l’île de Grande-Bretagne. Quelques jours plus tard, le 20 septembre, ayant atteint l’extrémité de la Grande Terre, il découvrit Pines Island (l’île des Pins). Quant aux îles Loyauté, ce serait d’autres explorateurs britanniques qui, considérant le caractère «loyal» des insulaires, auraient alors baptisé ces îles Loyalty Islands que les Français ont traduits par îles Loyauté. Cook avait aussi noté que le pays était peuplé par des Mélanésiens (les ancêtres des Kanaks). Mais, par la suite, la Nouvelle-Calédonie ne fut pas l’objet d’un intérêt particulier de la part des Anglais qui ne l’occupèrent pas. |
En 1840, les teachers de la London Missionary Society s'établirent aux îles Loyauté afin d’évangéliser les autochtones et les convertir au protestantisme. De son côté, la Mission mariste française, bénéficiant du soutien de l’État et de l’armée, s’installa dans les îles, le 20 décembre 1843, et tenta de convertir les autochtones au catholicisme. Les îles Loyauté devinrent alors le théâtre, souvent sanglant, de sévères luttes de pouvoir entre les pasteurs protestants et les missionnaires catholiques. En 1845, un marchand anglais, James Paddon, acheta l'île Nou du chef Kuindo et créa un établissement de commerce et d'élevage. Il revendra ses terrains à l'État Français en 1858.
1.2 Les Français (1844)
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Après l’Anglais Cook, des Français, Bruny d'Entrecasteaux et Huon de Kermadec, accostèrent à l'île des Pins le 7 juin 1792. Mais c’est seulement en 1825 qu’est entrepris par un autre Français, Jules-Sébastien-César Dumont d'Urville, un relevé des côtes de la Nouvelle-Calédonie. Dès 1844, les premiers militaires français débarquèrent sur la Grande Terre et les premiers massacres d’indigènes eurent lieu en 1847. En novembre 1850, les Mélanésiens tuèrent 12 marins français débarqués du navire L'Alcmène. En représailles, sous les ordres de Napoléon III, le contre-amiral Febvrier-Despointes prit possession à Balade (extrémité nord), au nom de la France, de la Grande Terre (le 24 septembre 1853) et ensuite de l’île des Pins (le 29 septembre). Repartant peu après, il laissa l’un de ses officiers, le capitaine de vaisseau Tardy de Montravel, gérer cette nouvelle colonie. C’est ce dernier qui fonda Port-de-France, rebaptisée en 1866 Nouméa. C’est à partir de ce moment que débuta l’histoire politique proprement dite de la Nouvelle-Calédonie. |
1.3 Les langues en présence
À cette époque, les autochtones utilisaient leur langue maternelle et, au besoin, le bichlamar, un pidgin anglo-mélanésien utile pour communiquer avec les commerçants ou entre les divers peuples mélanésiens. Pour leur part, les missionnaires protestants ont privilégié quelques-unes des langues autochtones afin de mieux évangéliser les «indigènes» — comme on appelait les Mélanésiens à l’époque — des îles: le drehu à Lifou, le nengone à Maré et le ïaaï à Ouvéa. Sur la Grande Terre, les pasteurs ont favorisé l’ajië, la langue de Houaïlou.
Pour ce qui est des missionnaires catholiques, ils ont préféré utiliser uniquement le français, sans cependant interdire la pratique des langues autochtones. Dans l’ensemble, trois langues se trouvaient en situation de concurrence: l’anglais, le français et le bichlamar. Cela dit, les missionnaires français ne portaient en haute considération les langues autochtones. Le 3 septembre 1846, le père Pierre Rougeyron écrivait cette lettre à son supérieur au sujet de la «langue des Nouveaux-Calédoniens»:
Cette langue est aussi barbare que le sont les habitants. L'oreille la mieux exercée et la plus prompte n'entend qu'un chuchotement qui vient expirer sur les lèvres. Nous sommes restés plusieurs semaines au milieu de ce peuple sans pouvoir distinguer une seule syllabe. Il m'est venu souvent en idée que ce peuple ne parlait pas, mais qu'il murmurait quelques sons, comme les oiseaux. |
C'était là une conception très répandue de la part de tous les Européens. Ils croyaient vraiment être, parmi les humains, une race supérieure destinée à apporter les bienfaits de la civilisation aux pauvres autochtones. C'est un peu comme aux États-Unis, aujourd'hui, où il existe une idéologie très forte qui laisse croire que les Américains ont une mission messianique consistant à apporter les vraies valeurs au monde. Ainsi, il est amusant de constater que les armées du «monde civilisé» ont la «mission divine» de libérer les opprimés, quitte à leur tirer dessus s'ils sont trop idiots pour comprendre qu'elles leur apportent joie et bonheur.
En fait, l'histoire ne change pas beaucoup. Beaucoup d’Américains ne comprennent pas pourquoi les autres peuples ne veulent pas s’assimiler à l’anglais, ce qui, à leurs yeux, serait tellement plus simple et éviterait tant de conflits. S'il n'en tenait qu'à eux, qu'à leurs seules valeurs et à leur démocratie, le monde entier croulerait sous la paix! De nombreux Américains croient que le monde devrait en arriver à une langue et une culture unique — la vision anglo-saxonne du monde —, ce qui correspond à l'idéologie WASP, quasi religieuse: les Anglo-Saxons sont le peuple choisi par Dieu pour coloniser l'Amérique du Nord et mener le monde vers la liberté. Dans ce contexte idéologique, la possibilité d'imposer une langue unique au reste du monde serait ainsi l'expression d'un «choix divin».
Au tout début de la colonisation, soit de 1853 à 1860, la Nouvelle-Calédonie fut rattachée administrativement aux Établissements français de l’Océanie, c’est-à-dire à la Polynésie française (Tahiti). En 1853, un décret du gouverneur Guillain imposa l’enseignement du français dans les écoles du nouveau territoire, mais ce ne sera qu’en 1863 que le gouvernement colonial interdira l’enseignement de toute autre langue. On peut croire que cette mesure était destinée avant tout à arrêter net l’influence de l’anglais en Nouvelle-Calédonie, car les langues mélanésiennes et le bichlamar n’étaient pas vraiment en situation de concurrence avec le français, comme c’était le cas de l’anglais.
En 1854, le capitaine Tardy de Montravel choisit le site de Nouméa afin de d’y bâtir la «capitale et son port»; il baptisa la ville Port-de-France, nom qu’elle conserva jusqu'en 1866 pour s’appeler ensuite Nouméa (afin d'éviter la confusion avec la ville de Fort-de-France de la Martinique). Des missionnaires catholiques et des autochtones convertis fondèrent successivement les villages de la Conception en 1855 et de Saint Louis en 1856. Pendant cette période, les soldats et les marins composaient la plus grande partie de la population. Malgré les incitations des autorités administratives locales, seulement 43 colons français s’installèrent en 1859 au sud de la Grande Terre, à Nouméa, là où, encore aujourd’hui, la population européenne est largement concentrée. Il faut dire que la situation géographique de l’île, extrêmement éloignée de la Métropole (quelque 18 000 km) et la dureté des conditions de vie découragèrent toute colonisation. La population autochtone était, à l’époque, évaluée entre 90 000 et 50 000 personnes.
2.1 La concession des terres
Afin de favoriser de nouvelles installations de colons, l'Administration coloniale se résolut en 1855 à concéder des terres aux nouveaux arrivants. Pour ce faire, elle décida que toutes les terres non occupées feraient partie du domaine de l'État. Ce fut le début de la gigantesque spoliation des terres autochtones et de l'instauration des "réserves" délimitant les terres concédées aux "indigènes". Ceux qui étaient installés sur les meilleures terres — la côte ouest — furent contraints de migrer dans la chaîne centrale ou vers la côte est, moins fertile.
2.2 La toute-puissance du gouverneur
À partir de 1860, et ce, jusqu’en 1885, la Nouvelle-Calédonie fut administrée par un gouverneur qui disposait d’une très large liberté d’action face aux autorités métropolitaines. Ce haut-fonctionnaire, tout-puissant, était assisté d’un Conseil privé purement consultatif. Tous les gouverneurs ne se gênèrent point pour administrer de manière autoritaire les affaires de la colonie. Ainsi, en 1864, le gouverneur Gillain (1862-1870), alors en fonction à Port-de-France (Nouméa), excédé des luttes d’influences qui duraient depuis une dizaine d’années aux Loyauté entre les pasteurs protestants (anglais) et les missionnaires catholiques (français), proclama unilatéralement que les Loyauté étaient considérées par la France comme des dépendances de la Nouvelle-Calédonie, ce qui mit fin aux querelles. Ce fait démontre que le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie pouvait imposer ses choix au gouvernement français, lequel n’eut souvent d’autre possibilité que d’entériner les décisions de son représentant.
Durant toute cette période, le gouverneur, en tant que représentant de l’État français, devenait aussi le gestionnaire des terres de l’État; il pouvait attribuer à chaque tribu autochtone une "réserve", il pouvait nommer et destituer les chefs, dissoudre et créer des tribus, et les déposséder de leur territoire. Il pouvait décréter aussi que le français restait l’unique langue officielle. Bref, il avait tous les pouvoirs.
Devant l’échec de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, Napoléon III décida d’agir comme en Guyane française et de créer en 1864 une colonie pénitentiaire. La loi du 30 mai 1854 avait déjà institué le régime de la transportation pour les auteurs de crimes, prévoyant l’exécution de peines de travaux forcés dans les établissements coloniaux.
Comme la Nouvelle-Calédonie se trouvait à l’autre bout du monde, la colonie pénitentiaire fut immédiatement perçue comme une prison sûre pour les opposants politiques aux différents régimes qui s’étaient succédé en France depuis la Révolution. Comme en Guyane française, il avait été décidé, dans le but de peupler la Nouvelle-Calédonie, que les bagnards, tant les hommes que les femmes, devaient rester sur le territoire une durée égale au nombre d'années d'emprisonnement effectuées. 3.1 Le peuplement Dans l’intention des dirigeants, la colonie pénitentiaire permettait non seulement d’éloigner de la France les indésirables, mais également de contribuer au développement économique de la colonie puisque, à la fin de leur peine, les ex-bagnards devaient rester en Nouvelle-Calédonie. Les 250 premiers forçats arrivèrent à Fort-de-France (Nouméa) en mai 1864. Ils furent employés aux grands travaux d’aménagement de l’île, par exemple la construction des routes, l’assèchement des marécages, l’édification des bâtiments carcéraux, etc. Le peuplement de la côte ouest de l’île paraissait ainsi assuré par les détenus auxquels on avait concédé des terres en leur interdisant tout retour en France. Après 1871, à partir du gouvernement révolutionnaire de la Commune, la Nouvelle-Calédonie accueillit plus de 4300 prisonniers politiques répartis entre l’île Nou, la presqu'île de Ducos et l’île des Pins. |
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On sait qu’à partir de 1830 l’expansion coloniale de la France s’était étendue à l’Algérie. Les Arabes et les Berbères (appelés Kabyles en Algérie) avaient pris l’habitude de réagir très mal à la domination française. Ils déclenchèrent en 1871 la révolution d'el-Mokrani dans l'Est algérien; cette révolte provoqua une brutale répression et entraîna la déportation en Nouvelle-Calédonie de quelques milliers d’Algériens d’origine arabe et berbère. Pendant longtemps, la Nouvelle-Calédonie eut même la réputation d’être devenue une colonie pénitentiaire pour les Arabes déportés comme forçats. Cette réputation n’était pas fondée, car, de 1864 jusqu’en 1897, année de la fermeture des bagnes, plus de 20 000 prisonniers s’y étaient succédé et la majorité d’entre eux étaient des Français condamnés aux travaux forcés. Le seul pénitencier de Nouméa accueillit, pour sa part, jusqu’à 5000 bagnards à la fois dans des conditions souvent pitoyables. En 1870, Nouméa n'était qu'un village de 300 habitants dont 200 civils et 100 marins et soldats environ mais où les principaux services administratifs commençaient à s'organiser. |
Rappelons que, de 1852 à 1938, ce furent finalement près de 100 000 condamnés aux travaux forcés, dont 2000 femmes, qui ont été déportés en Guyane française et en Nouvelle-Calédonie.
3.2 Les concessions de terres
Le peuplement était assurée par le libération des forçats obligés de s'installer dans la colonie. Cependant, après les lois d’amnistie de 1879 et 1880, la plupart des bagnards qui survécurent à leur déportation et à leur incarcération ont préféré regagner la Métropole. Les autorités locales conçurent alors l’idée d’accorder aux forçats «les plus méritants» des concessions sur la Grande Terre. C’était ce qu’on appelait la «suprême récompense». Mais il fallait songer à une autre façon d'assurer le peuplement de la colonie et développer une véritable politique de l'immigration.
Pour ce qui est de la colonie néo-calédonienne, on peut facilement comprendre que l’administration pénitentiaire était vite devenue le premier propriétaire foncier et la plus importante puissance politique et financière du territoire. Mais avec une telle colonie pénitentiaire et pratiquement paramilitaire, la France ne pouvait apparaître aux yeux des autochtones que sous son visage le plus dur et le plus répressif.
La fonction pénitentiaire de la colonie fut complétée par une politique d’immigration destinée à peupler le territoire d’Européens. Tout d’abord, le gouvernement pensa compter sur les ex-bagnards, puis sur les émigrants français grâce à l’attribution gratuite de terres. Et la découverte du nickel par Jules Garnier en 1863, suivie de la «ruée du nickel» de 1870, favorisa un peu plus l’immigration de la main-d’œuvre à bon marché: Indiens de La Réunion, Néo-Hébridais (Vanuatais), Japonais, Indochinois, Javanais des Indes néerlandaises, etc. À partir de 1871, la Nouvelle-Calédonie bénéficia de l’arrivée d’émigrants d’Alsaciens et de Lorrains fuyant l’occupation allemande. Évidemment, seules les émigrants français, et non pas les travailleurs étrangers, pouvaient bénéficier de terres gratuites. L’article 4 de l’arrêté du 27 mai 1884 précisait:
Article 4 Une concession gratuite est accordée à tout émigrant. Cette concession se compose d'un lot de village, d'un lot de culture et d'un lot de pâturage. |
La concession ne devenait définitive que lorsque l'émigrant s'acquittait de certaines obligations comme la résidence obligatoire, la construction d'une habitation, la mise en valeur des terres concédées, etc. Si l’émigrant ne satisfaisait pas à toutes les conditions du contrat, il se voyait déchu de ses droits et la concession retournait à l’État.
4.1 La grande diversité des travailleurs
Mais l’émigration volontaire des Français ne donna pas les résultats escomptés. Il y eut aussi une politique de transportation de femmes françaises, car la colonie en avait peu qui puissent accepter de se marier avec des libérés. C’est pourquoi, en 1894, le gouverneur Feillet transforma l’île en colonie d’immigration approvisionnée par des travailleurs étrangers sous contrat. Afin d’exploiter la production du café et l’exploitation des mines de nickel, Feillet fit venir de la Métropole 500 familles, appelées «colons Feillet», ainsi que des travailleurs indiens et javanais. La société Le Nickel, la SLN constituée en 1880, fit aussi venir un grand nombre de travailleurs asiatiques, particulièrement entre 1895 et 1900. Les Mélanésiens, au nombre de 45 000 en 1887, ressentirent aussitôt les effets de cette vague d’immigration, car elle les priva d'une grande partie des terres qui leur avaient été réservées. Plus tard, ce furent des Vietnamiens (et/ou des Tonkinois) qui arrivèrent pour participer à l’extraction minière.
Cette période d’immigration explique la grande diversité ethnique du peuplement actuel de la Nouvelle-Calédonie. À la fin du XIXe siècle, le territoire comptait 20 000 habitants d’origine européenne; plus de la moitié d’entre eux étant des anciens forçats. En 1901, on ne recensait plus que 27 000 autochtones, soit 18 000 de moins qu’en 1887.
La politique d’immigration continua, mais elle soulevait la colère des autochtones qui se voyaient ainsi minorisés sur leur propre territoire. En 1954, il fallut même retourner des Vietnamiens dans leur pays d’origine. Entre 1969 et 1976, plus de 15 000 (peut-être 20 000) nouveaux immigrants arrivèrent, dont de nombreux rapatriés français, des «pieds-noirs» d’Algérie, puis des Wallisiens et des Futuniens, des Vanuatais, des Tahitiens, des Antillais, des Réunionnais, etc. Pour ce qui est des Wallisiens, le gouvernement français a révélé que 17 563 Wallisiens et Futuniens s’étaient installés depuis 1961 en Nouvelle-Calédonie, principalement dans la région de Nouméa, mais aussi dans les zones d’extraction minière; bref, on compte maintenant davantage de Wallisiens et de Futuniens en Nouvelle-Calédonie qu’à l’intérieur même du territoire de Wallis-et-Futuna (14 166). C'est à cette époque (à partir de 1921) que furent interdites toutes les publications dans les langues kanakes. Il était entendu par les autorités que de toute façon ces langues s'éteindraient en même temps que la «race kanake».
4.2 Le mécontentement des populations autochtones
Toute cette immigration nouvelle a favorisé, d’une part, la construction de grands ensembles urbains contraires à la tradition mélanésienne, d’autre part, l’exploitation minière dont les retombées économiques ont surtout bénéficié aux exploitants européens plutôt qu’aux travailleurs autochtones. Cette situation provoqua un très vif sentiment de révolte chez les descendants des premiers habitants de l’île, qui s’étaient vus ainsi minorisés. Les autochtones, dépossédés de leurs terres et de leur sous-sol, ainsi que de leur identité culturelle, exprimèrent alors leurs frustrations et leurs colères dans des revendications politiques indépendantistes.
Or, la politique d’immigration a toujours été soigneusement planifiée de la part du gouvernement français. Ce dernier n’était pas sans savoir que celle-ci suscitait, pour employer un euphémisme, le «mécontentement» généralisé des populations autochtones. C’est que l’immigration massive, si elle réussissait, pouvait finir par les anéantir, réglant ainsi le problème de ce territoire si rébarbatif. En 1972, voici comment, au moyen d’une circulaire, s’exprimait le premier ministre français de l’époque, Pierre Messmer:
La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf une guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d'autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et à moyen terme, l'immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d'outre-mer (Réunion) devrait permettre d'éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. |
En une phrase sibylline, il s’agissait bien d’anéantir les populations autochtones par une politique d’immigration massive. Quelque 20 000 émigrants supplémentaires, des Français métropolitains, puis des rapatriés d’Algérie et du Maroc vinrent s’installer en Nouvelle-Calédonie. Ils furent suivis par des travailleurs venus de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et des Antilles. Cette pratique de minorisation a été exercée par plusieurs États totalitaires dont a souvent été témoin l’histoire: la Grande-Bretagne à une certaine époque, l’ex-URSS sous Staline, la République populaire de Chine, l’Indonésie, la Yougoslavie de Milosevic au Kosovo, pour ne nommer que ces cas plus connus.
La colonie française de la Nouvelle-Calédonie ne dut son «succès» qu’à la confiscation des terres des autochtones au profit des immigrants, français ou autres. Dans une lettre du 23 octobre 1856, le commandant Testard, alors responsable de la colonie, décrit ainsi la mentalité des premiers temps de la colonisation:
Le Calédonien [le Kanak] est intelligent, mais c’est un monstre de perversité. Il faut commencer par détruire cette population si l’on veut vivre en sécurité dans le pays... Le seul moyen qui paraisse un peu praticable pour en venir à bout serait de faire des battues comme pour les loups en France. |
5.1 La notion subtile des «terres occupées» et des terres «non occupées»
Or, en janvier 1855, ces autochtones s’étaient fait reconnaître des droits fonciers par le gouverneur du Bouzet. En vertu de cette entente, une déclaration officielle strictement orale, seules les terres achetées et «non occupées» pouvaient être intégrées au domaine de l'État et, par conséquent, pouvaient être concédées. Comme les autochtones n’eurent droit qu’aux «terres occupées» par eux, cela laissait toutes les autres à l’État. Or, pour les gouverneurs de l’époque, la notion de «terres occupées» n’avait pas le même sens que pour les autochtones. Ainsi, les terres «non occupées», pour les premiers habitants du pays, n’incluaient pas, par exemple, les lieux de sépulture, les terres en jachère, les terres taboues, les terrains de cueillette, etc. Pour les Français, les terres «non occupées», c’étaient toutes les terres que les autochtones n’habitaient pas en permanence. Un beau sujet de conflit en perspective!
Comme de fait, plusieurs arrêtés des successeurs de Du Bouzet interprétèrent différemment le litige. En fait foi cette déclaration de février 1866 diffusée par circulaire: «Les Indigènes sont seulement usufruitiers et non pas propriétaires.» Et puisqu’ils n’étaient que simples usufruitiers, l’État devenait ainsi le propriétaire légal de l’ensemble des terres des indigènes!
5.2 Les «terres tribales» et les «réserves»
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En décembre 1867, un arrêté administratif créa le terme et le concept de tribu. L’objectif avoué était de rendre solidairement responsables les habitants d’un même espace physique en cas d’exactions: «Chacune d’elle représente un être moral collectif, administrativement et civilement responsable des attentats commis sur son territoire, soit envers les personnes, soit envers les propriétés.» La création de terres tribales permettait à l’État de contrôler plus facilement les autochtones en les forçant à vivre dans des espaces bien délimités. Le gouvernement colonial créa donc en 1868 des réserves destinées à parquer les autochtones à l’intérieur de frontières fixes et fermées. Puis l’Administration inventa une variante de la chefferie traditionnelle des indigènes. Ceux-ci étaient alors régis par des grands-chefs nommés, et destitués au besoin, par le Conseil des anciens. Le gouvernement colonial juxtaposa une nouvelle structure administrative à la tête de laquelle on nomma un petit-chef. Or, les petits-chefs nommés par l’Administration devinrent les «vrais» chefs autochtones et servirent généralement de courroie de transmission pour l’Administration. Les grands-chefs récalcitrants furent destitués, certains furent supprimés et d’autres furent déportés à Tahiti. Plus tard, en 1877, l’Administration parvint aussi à nommer les grands-chefs, qui devinrent responsables du maintien de l’ordre à l’intérieur de districts regroupant plusieurs tribus; les «petit-chefs», pour leur part, continuaient de maintenir la loi et l’ordre dans les tribus. L’Administration avait ainsi la main haute sur tous les autochtones du territoire. |
Les réserves autochtones étant bien délimitées sur le territoire, l’État se réserva «la propriété des mines, minières, cours d’eau de toutes sortes et sources», ainsi que la bande littorale tout en se garantissant le droit perpétuel d’expropriation. En mars 1876, un simple arrêté précisa que la tribu demeurait «autant que possible sur le Territoire dont elle a la jouissance traditionnelle». Autrement dit, les Kanaks n’avaient plus que les terres que l’État voulait bien leur laisser.
Dans la Grande Terre, les autochtones furent, au fil des ans, dépossédés de plus de 80 % de leurs terres ancestrales, sauf aux îles Loyauté où celles-ci restèrent intactes. Et la plupart des terres qui leur furent attribuées étaient confinées dans les montagnes ou sur la côte est, alors que les terres cultivables et les plaines fertiles de la côte ouest finirent pas appartenir aux immigrants français dont certains devinrent de grands propriétaires terriens à l’exemple de ce qui était advenu en Australie, en Argentine ou dans le Far West américain. En même temps, les cultures agricoles traditionnelles des autochtones, comme l'igname, le taro, le bananier, le manioc, l’arbre à pain, le cocotier, etc., ont cédé la place à l’agriculture coloniale, c’est-à-dire aux potagers, vergers, champs de café, fourrage pour l'élevage bovin, etc.
5.3 Le Code de l'indigénat
Comme si ce n’était pas assez, le gouvernement français imposa, en 1887, le Code de l’indigénat à toutes ses colonies. En Nouvelle-Calédonie, ce code assujettissait les autochtones aux travaux forcés, à l’interdiction de circuler la nuit, aux réquisitions, aux impôts de capitation (taxes) sur les réserves et à un ensemble d’autres mesures tout aussi répressives. Le Code de l’indigénat distinguait deux catégories de citoyens: les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français, c’est-à-dire les Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens, etc.
Les sujets français soumis au Code de l’indigénat furent privés de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques; ils ne conservaient sur le plan civil que leur statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière. En somme, on peut dire que le colonialisme pratiqué en Nouvelle-Calédonie s’apparentait à une sorte d’esclavage des populations autochtones: celles-ci furent dépouillées de toute leur identité. Ce système colonial odieux, qui paraît sans aucun doute honteux aujourd’hui mais semblait normal à l’époque, perdura jusqu’en 1946, soit plusieurs années après que les accords de Genève (le 23 avril 1938) eurent interdit toute forme de travaux forcés. Après la loi du 7 avril 1946 abolissant le Code de l’indigénat, les autochtones purent à nouveau circuler librement, de jour comme de nuit, et récupérer le droit de résider où ils voulaient et de travailler librement.
On ne s’étonnera pas que, dans ces conditions, les autochtones se sont révoltés à plusieurs reprises. La révolte autochtone de 1878 dirigée par le chef Ataï en réponse aux spoliations de terres et aux exactions du bétail, et celle de 1917 dirigée par le chef Noël furent célèbres, mais n’aboutirent qu’à de nouvelles dépossessions et à l’exil à l’île des Pins de nombreux autochtones de la Grande Terre.
Par la suite, les autorités passèrent le plus clair de leur temps à gérer les incessants conflits entre Européens et Kanaks, c’est-à-dire entre les exploiteurs et les exploités. La situation devint encore plus intolérable après la Seconde Guerre mondiale; dès 1942, la Nouvelle-Calédonie avait été occupées par les États-Unis qui en firent une importante base militaire de 100 000 soldats américains, soit le double de la population néo-calédonienne. Le choc fut grand pour les habitants du territoire. La Nouvelle-Calédonie fut alors perçue comme une vieille société coloniale, alors que les Mélanésiens se trouvèrent confrontés à leurs propres inégalités socio-économiques, tout en se rendant compte qu’ils avaient été maintenus à l’écart de la vie des Européens, sauf lorsqu’il s’était agi d'aider la France en fournissant la "chair à canon" pendant les deux grandes guerres mondiales. Par exemple, lors de la première Guerre mondiale, les agents recruteurs kanaks enrôleront, par la force ou par la manipulation, quelque 1100 Kanaks sur une population qui ne comptait alors que 8700 adultes de sexe masculin. Le quart des enrôlés ne revint jamais.
En somme, depuis environ 150 ans, les Kanaks ont connu une histoire quelque peu difficile. Ils ont été dépossédés par leurs colonisateurs qui, en Nouvelle-Calédonie, se sont montrés sous leurs pires jours. L'histoire n'a pas été tendre pour eux et cette situation perdurera jusque vers la fin des années 1990. C'est ce que révèle la section suivante: "Les fluctuations politiques".
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