Afrique
du Sud (3) Dispositions constitutionnelles de 1996 |
Lactuelle Constitution du 4 décembre 1996 (entrée en vigueur le 4 février 1997) est le résultat de négociations multipartites qui ont précédé les élections législatives multiraciales de 1994. Composée de 227 articles, la nouvelle Constitution dote désormais l'Afrique du Sud dune structure fédéralisée de neuf provinces qui ont le droit dadopter leur propre constitution interne: la province du Cap-Oriental, la province du Gauteng, la province du Kwazulu-Natal, la province du Cap-Nord, la province du Mpumalanga, la province du Nord-Ouest, lÉtat libre, la province du Limpopo, la province du Cap-Occidental neuf provinces (voir la carte no 2 des provinces).
Les provinces disposent chacune d'une législature et sont dotées de leur propre gouvernement régional. Leurs compétences touchent un certain nombre de domaines dont ceux de la langue et de l'éducation. La Constitution reconnaît aussi les autorités traditionnelles bantoues et un droit indigène (ou autochtone). Juridiquement parlant, cela signifie que chacune des onze langues nationales reconnues peut être officielle en plus de l’anglais et/ou de l’afrikaans. Et les droits accordés à une langue au niveau régional peuvent, par une loi du Parlement national, être étendus à léchelle nationale. Rappelons aussi que toutes les langues officielles doivent bénéficier de la même égalité et être traitées de manière équitable sans diminuer le statut constitutionnel dune de ces onze langues officielles. La difficulté, cest qu'il y a généralement loin de la coupe aux lèvres: les langues nont pas toutes la même égalité dans les faits. Il y a les langues africaines et les langues européennes (anglais et afrikaans).
1.1 Le point de vue des experts
Onze langues officielles, c'est beaucoup! Un choix plus rationnel aurait été de choisir une ou deux langues bantoues de façon à éliminer la concurrence entre un grand nombre de langues et de pouvoir ainsi tenir tête aux «langues blanches» (anglais et afrikaans). Il était aussi prévisible que, en accordant une égalité juridique à autant de langues, l'absence de choix amènerait forcément à favoriser la langue la plus forte, tant est forte la tendance à revenir à un unilinguisme administratif. C'est exactement ce qui est en train de se passer au sein de l'Union européenne. La multiplicité des langues officielles fait en sorte de favoriser l'anglais, la langue du Royaume-Uni.
Dans les années 1940, Jacob Nhlapo, un éducateur et membre connu de l'ANC (African National Congress ou Congrès national africain), avait proposé une programme destiné à unifier les variétés linguistiques mutuellement intelligibles du groupe des langues nguni appartenant à la famille des langues bantoues; il s’agissait surtout du zoulou et du xhosa; il voulait aussi harmoniser les variétés mutuellement intelligibles du groupe sotho, principalement le sepedi, le tswana et le sesotho. L'objectif était de créer deux langues écrites normalisées à partir des diverses variétés parlées. Il avait alors déclaré:
Que pensez-vous qu’il soit plus facile de réaliser? Que tous les enfants africains aillent à l’école pour y apprendre tous l’anglais ou de forger, à partir des nombreuses langues bantoues d’Afrique du Sud, deux langues maternelles au moins, le nguni et le sotho, et d’amener tous les Africains à les aimer et à les utiliser à leur guise? |
Nhlapo était certainement un visionnaire, car c'est ce qui s'est produit, l'anglais était en train de devenir la grande langue véhiculaire à travers tout le pays. En 1992, Neville Alexander, qui a présidé la Commission d'enquête consultative sur la politique et la planification des langues dans le régime de post-apartheid, avait conseillé de répartir, comme Jacob Nhlapo l'avait suggéré cinquante ans auparavant, les langues en deux groupes: le nguni et le sotho. En 1998, Kwasi Prah a abondé dans le même sens en proposant que toutes les langues soient harmonisées dans une seule et même langue. Jacop Nhlapo avait vu juste il y a cinquante ans:
Il faudrait faire de l’anglais l’«espéranto» africain en attendant de mettre un peu d’ordre dans la tour de Babel des langues africaines. Quand bien même nous aurions fait des langues nguni et sotho les deux langues maternelles, dussions-nous y parvenir, l’anglais resterait toujours l’« espéranto » africain. Même si nous ne réussissons pas à forger une langue bantoue unique ou deux, l’anglais constituera la réponse au problème des nombreuses langues de la famille bantoue, comme il l’a été en Amérique, lorsque des nations venues de toutes les régions d’Europe et d’Afrique ont été amenées à vivre ensemble. |
On peut se demander pourquoi le Congrès national africain a-t-il décidé de passer outre à l'avis de ses propres experts. En accordant des droits égaux à autant de langues, les politiciens sud-africains n'ont fait que renforcer l'hégémonie de l'anglais.
C'est en 1991 que le gouvernement national créa la Commission des langues (''Committee of languages'') dont la mission était d’informer le public et de s’engager dans des consultations publiques sur la question des langues. La Commission publia un document indiquant que de larges secteurs des communautés noires urbaines exerçaient déjà une forte pression sur les écoles primaires pour que la langue d’enseignement devint l’anglais dès le début du primaire. Les commissaires ne pouvaient aussi que constater le caractère dominant intouchable de l’anglais, mais ils constataient aussi que les langues africaines constituaient de façon irréfutable la première ressource linguistique de la plupart des Sud-Africains.
1.2 La Commission LANGTAG et l'hégémonie de l'anglais
En 1995, la commission LANGTAG (''Language Plan Task Group'' ou «Groupe de travail sur le projet linguistique») présentait au gouvernement national son rapport final intitulé Towards a National Language Plan for South Africa («Vers un programme linguistique national pour l'Afrique du Sud»). Le rapport soulevait, entre autres, le problème de «l'hégémonie de l'anglais» (''the hegemony of English'') qu'il présentait comme une source de problèmes pour développer une politique linguistique en Afrique du Sud. On peut résumer les grande lignes du rapport de la façon qui suit.
- Le Chapitre I, qui portait sur «L'équité linguistique» (''Language
Equity''), mentionnait «le statut privilégié de l'anglais en Afrique du Sud dans
les relations sociales et économiques» (p. 46). Par exemple, au Parlement et au
Sénat «l'hégémonie de l'anglais est accablant» (p. 47). D'autres exemples
signalaient le cas des ministres du Cabinet qui refusaient de
réagir à des documents à moins qu'ils ne soient en anglais; l'hégémonie
flagrante de l'anglais dans la Société de radiodiffusion
sud-africaine et l'échec du Parlement pour trouver une solution; les affaires
qui étaient administrées principalement en
anglais à tous les niveaux de l'administration provinciale et locale (p. 47).
- Le Chapitre II, consacré au «Développement linguistique en Afrique du Sud»
(''Language Development in South Africa''), soulignait
comme l'un des principaux «obstacles» pour la résolution de
questions de développement «la croissance rapide
de la langue anglaise et sa dominance dans les domaines de la science et
de la
technologie ainsi que dans le sport et la musique» (p. 69).
- Le Chapitre III concernait la «Langue comme ressource
économique» (''Language as an Economic Resource'') et déclarait comme problème la perception que
«l'anglais c'est assez» (English is enough). Le rapport soutenait que les impératifs créés
par la mondialisation des économies du monde avait entraîné une demande
chez les ouvriers et que le
développement durable n'était possible que si l'éducation se réalisait
grâce aux langues africaines et à l'anglais à tous les niveaux
(p. 99).
- Le Chapitre IV sur la «Langue en éducation» (''Language in Education'') faisait très peu
cas de façon explicite à l'anglais. Il recommandait cependant que «des
études sur les attitudes linguistiques» soient réalisées, particulièrement en ce qui concerne
les «préférences parentales
et la connaissance des alternatives concernant les langues d'études et
d'enseignement» (p. 126). Toutefois, le rapport minimisait le fait largement connu
que beaucoup de parents favorisaient «ouvertement l'anglais»
dans l'enseignement. Il restait également silencieux sur les vastes ressources
nécessaires pour développer les langues africaines.
- Le Chapitre V sur «L'alphabétisation» (''Literacy'') présentait comme un problème le
fait que «la majorité des cours actuels d'alphabétisation aux adultes
travaillent en croyant qu'il s'agit d'une transition vers l'anglais» (p. 29).
Même lorsque l'alphabétisation commençait dans la langue maternelle,
la langue cible de ces cours demeurait
«principalement l'anglais» (p. 128).
- Le Chapitre VI sur la «Langue dans les services publics» (''Language in the
Public Service'') indiquait ironiquement le «fait que
le quart de la documentation du RDP [Programme de développement et
de reconstruction nationale] n'est disponible qu'en anglais» et que
«le RDP lui-même ne réfère même pas à la question linguistique en
Afrique du Sud» (p. 31). Le ministère des Affaires foncières, par
exemple, qui travaillait principalement avec des communautés rurales,
produisait un bulletin important «en anglais seulement» (p. 161). Le
chapitre VI rapportait la situation qu'il y avait «une tendance
perceptible vers l'unilinguisme au sein de la direction de l'élite
de la politique, des affaires et de l'éducation» (p. 156).
- Le Chapitre VII, qui traitait du «Patrimoine et de la langue des signes»
(''Heritage and Sign Languages'')mentionnait «la dérive vers l'anglais
éloigné du
patrimoine linguistique de la part des immigrants de la troisième génération» (p.
33). Le document déclarait que «la multitude des langues en Afrique du
Sud aboutit à l'emploi d'une seule langue (l'anglais) et que
cela crée la fausse croyance que chacun comprend et préfère l'anglais» (p. 182).
- Le Chapitre VIII, qui portait sur les «Services
linguistiques équitables et
universels» (''Equitable and Widespread Language Services'') s'appuyait sur la «dominance de l'anglais» (p. 194) dans
la plupart des services publics. Il mettait en évidence l'écart
énorme entre la politique linguistique et les pratiques en fournissant de
nombreux exemples concernant les médias et autres services publics qui
n'étaient
disponibles que seulement en anglais et en afrikaans.
Il est évident que le document du LANGTAG témoignait d'une conscience aiguë des problèmes associés à l'hégémonie de l'anglais, comme en témoigne l'importance accordée à cette question dans tous les chapitres du rapport du LANGTAG. Cet organisme rend manifestement un «verdict de culpabilité» à l'égard de l'anglais. En même temps, il convient de noter que le rapport minimisait le droit des locuteurs des langues africaines à avoir l'accès à l'anglais. Nous trouvons une seule reconnaissance directe de ce droit dans le rapport : «Il est senti qu'il doit y avoir un équilibre équitable entre l'accès à l'anglais pour ceux qui veulent l'employer et avoir accès à d'autres langues pour s'assurer que ceux qui ignorent l'anglais ne souffrent pas dans ce processus» (p. 49).
1.3 Les intérêts contradictoires
Tant du côté de la plupart des dirigeants politiques que de la majorité la population noire, la question linguistique paraissait pratiquement résolue. Personne ne remettait en question le prédominance de l'anglais, au contraire, sauf parmi les experts. Dans toute cette phase d'élaboration de la politique linguistique sud-africaine, la question des langues demeura en arrière-plan dans les préoccupations politiques. La plupart des dirigeants sud-africains, qui parlaient de toute façon l'anglais ou l'afrikaans, avaient toujours ignoré les langues africaines et ne s'étaient guère préoccupés des langues parlées par la population noire. Même les projets d’alphabétisation de la classe ouvrière noire étaient passés inaperçus. Très peu de dirigeants, même parmi les Noirs, s'étaient interrogés sur l'adéquation ou l'inadéquation des langues africaines dans l'élaboration du nouveau pays. Ces problèmes en disaient long sur les difficultés de communication entre les représentants de la nation et la population. Forcément, toute politique linguistique devenait plus difficile à élaborer et à mettre en place. À l'encontre des recommandations de la Commission LANGTAG, les dirigeants noirs adoptèrent une orientation résolument anglophile, réduisant par le fait même tout questionnement sur l'usage des langues africaines au sein de l'État sud-africain. Quant aux dirigeants blancs, ils privilégièrent une politique de bilinguisme colonial, qui consistait à obliger tous les citoyens blancs à parler l’anglais et l’afrikaans, peu importe leur bagage linguistique d'origine. Mais Blancs comme Noirs adoptèrent une «attitude de laisser-faire» à l'égard des langues africaines.
Durant toutes les négociations qui menèrent à la nouvelle Constitution de 1996, le Parti national (National Party) réussit à maintenir le statut officiel de l’afrikaans, mais, ce faisant, les représentants noirs durent tenir compte de certaines données. Ils rejetèrent tout ce qui pouvait rappeler la fameuse Loi sur l'éducation bantoue de 1953 et l'imposition d'une quelconque langue. Ils voulaient éviter tout conflit linguistique, qui aurait pu résulter d’une politique rigide en imposant ou en excluant une langue. Mais ils durent constater aussi la grande diversité linguistique du pays et son immense complexité. Implicitement, les dirigeants sud-africains acceptèrent la dominance de la langue anglaise. Finalement, les rédacteurs de la Constitution prirent une décision qui leur semblait sage au plan politique pour favoriser la paix civile, mais qui allait se heurter à des difficultés majeures au plan administratif: l'adoption de onze langues officielles.
En même temps, la grande majorité de la population noire désirait avoir accès à l'anglais, perçu comme la «langue du pouvoir». Les dirigeants politiques ne pouvaient ignorer cette «tendance lourde». Ils ne désiraient surtout pas s'opposer à l'anglais, une langue qu'ils possédaient et qui avait contribuer à leur propre réussite. Par le fait même, l'accès à l'anglais pour la majorité des Sud-Africains créait ainsi une certaine contradiction. Dans la mesure où plus d'individus ont accès à la langue dominante (l'anglais), il s'ensuit que cette situation ne pouvait que contribuer au maintien de la langue dominante. Par contre, la suppression de l'accès des jeunes à la langue dominante entraînait aussi leur marginalisation dans une société qui croyait à la valeur et à l'importance de cette langue. Par voie de conséquence, on en arrivait également à les priver de l'accès aux vastes ressources qui se sont développées grâce à la langue anglaise. Il ne faisait aucun doute que l'accès universel à l'anglais allait augmenter son hégémonie. C'est à ce qu'on a appelé «le paradoxe de l'accès» (''access paradox'').
La grande majorité des Sud-Africains préférait oublier le rôle qu'avaient joué l'anglais et l'afrikaans en Afrique du Sud durant la période coloniale et l'influence négative que les langues «blanches» qu'avait exercé sur les langues africaines. Des générations de jeunes noirs ont grandi sans aucune affirmation publique de leur langue et sans aucune identification de leurs propres compétences linguistiques. C'est presque une ironie dans un pays où des étudiants sont étiquetés comme des «désavantagés» (''disadvantaged'') s'ils ne parlent pas l'anglais, alors que ce sont justement ceux qui parlent souvent plus de cinq langues. Paradoxalement, ceux qui ignorent l'anglais ne sont pas considérés comme «bilingues», même lorsqu'ils sont polyglottes. L'immense majorité de la population noire a développé des attitudes négatives pour l'étude de sa propre langue et considère ceux qui parlent couramment l'anglais comme des gens obligatoirement instruits. On dit en Afrique du Sud que «l'anglais est recouvert d'une couche d'or» (''English is gilded''), certainement pas les langues africaines. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les dirigeants politiques ait opté pour un statut égal pour neuf langues africaines. Plutôt que de choisir une ou deux langues africaines et de susciter des conflits politiques, on a accordé le même statut à toutes les langues, alors que les langues africaines étaient en déficit en termes de valorisation sociale. Le président Nelson Mandela, qui voulait surtout éviter les conflits dans son pays, avait mis tout son poids dans la balance afin de placer toutes les langues sur le même pied d'égalité.
En fait, en garantissant un statut d’égalité aux onze langues officielles d’Afrique du Sud, les dispositions de la Constitution de 1996 n’avaient probablement pas pour objectif d’être réellement appliquées. C'est pourquoi elles constituent aujourd’hui un réel problème qu'il est difficile à résoudre. En effet, l'anglais occupe aujourd'hui toute la place des communications formelles dans le pays. De plus, les dispositions constitutionnelles sur les langues ont amené l'afrikaans à perdre son statut antérieur, alors qu'il était co-officiel avec l'anglais; il s'est vu accorder les mêmes droits que toutes les langues autres africaines, alors que l'anglais, en tant que langue du pouvoir, n'a pas vu diminuer son statut. Quant aux langues africaines, elles traînent la patte loin derrière les langues «blanches».
1.4 Le Conseil sud-africain des langues
Au même moment (1995), une commission spéciale, le Pan South African Language Board (Conseil des langues sud-africaines), fut instituée pour promouvoir les onze futures langues officielles, mais aussi les langues aborigènes (khoï, nama et san), la langue des signes sud-africaine. Comme si ce n'était pas suffisant, la Constitution allait mentionner les langues habituellement utilisées par des communautés (citant l'allemand, le grec, le gudjarati, l'hindi, le portugais, le tamoul, le télougou et l'ourdou) et d'autres langues généralement employées à des fins religieuses (arabe, hébreu et sanskrit).
Cependant, l'acceptation de l’anglais comme langue véhiculaire officielle allait remettre en cause la réalité même du multilinguisme. De fait, les les activités du PANSALB furent limitées par les contraintes de la réalité: chaque groupe ethnique désire protéger «sa» langue et seules les activités basées sur une langue en particulier ont des chances d'arriver à quelques résultats. Lorsqu'il s'agit de promouvoir des activités portant sur le multilinguisme, les portes allaient avoir tendance à se refermer.
Sous la pression du président Mandela, la promulgation de la nouvelle Constitution du 10 décembre 1996, avec l'instauration de la république d'Afrique du Sud, joua un rôle décisif dans l’apaisement de la crise nationale. En instituant une fédération de neuf provinces, la Constitution respectait les particularismes et attribuait des pouvoirs importants aux assemblées provinciales. Toutefois, les termes «fédéral» et «fédération» n'apparaissent pas dans la Constitution.
2.1 Les langues officielles de la République
Dans son article 6, le paragraphe 1 de la Constitution reconnaît onze langues officielles. Outre les deux langues «blanches» que sont langlais et lafrikaans au plan national, la Constitution ajoute neuf langues «noires» de type bantou: le ndébélé, le sotho (ou sepedi), le sesotho (sotho du Sud), le swazi, le tsonga, le tswana, le venda, le xhosa et le zoulou. La terminologie employée dans le texte constitutionnel pour décrire les langues est différente de celle généralement acceptée par les linguistes.
Le paragraphe 2 du même article 6, reconnaissant historiquement l’usage dévalorisé et le statut des langues indigènes du peuple sud-africain, engage l'État à prendre des mesures pratiques et positives pour élever le statut et promouvoir l'emploi de ces langues.
Le paragraphe 3 énonce que le gouvernement national et ceux de niveau provincial peuvent employer des langues officielles particulières au point de vue administratif, en tenant compte de l'usage, de l’aspect pratique, des coûts, de la situation régionale, de l’équilibre des besoins et des préférences de la population, à la condition qu’aucun gouvernement provincial ni le gouvernement national ne puisse employer seulement une langue officielle. Tout gouvernement provincial doit avoir au moins deux langues officielles (dont l'anglais et/ou l'afrikaans). Les municipalités doivent prendre en considération les préférences et les usages linguistiques de leurs citoyens.
Quant au paragraphe 4, il oblige le gouvernement national et les gouvernements provinciaux, par voie législative ou par dautres mesures, à réglementer et contrôler les langues officielles des gouvernements. Enfin, toutes les langues officielles, tant au plan national que provincial, doivent bénéficier de la même égalité et être traitées de manière équitable. On ne peut, par ailleurs, diminuer le statut constitutionnel dune langue officielle.
Enfin, le paragraphe 5 prévoit un organisme indépendant des langues pour toute lAfrique du Sud le Conseil sud-africain des langues chargé de promouvoir et de créer des conditions pour le développement et lemploi de toutes les langues officielles sud-africaines (sans oublier les langues khoï, nama et san); en outre, ce conseil a la responsabilité de promouvoir et dassurer le respect de lallemand, du grec, du gujarati, de lhindi, du portugais, du tamoul, du télougou, de lourdou, et d'autres langues couramment employées par des communautés vivant en Afrique du Sud, ainsi que de larabe, de lhébreu, du sanskrit et d'autres langues utilisées à des fins religieuses.
Voici comment est libellé, en anglais (original) et en version française (traduite), cet article 6 de la Constitution sur les langues officielles:
Article
6 Langues (1) Les langues officielles de la République sont le sepedi, le sotho, le tswana, le swati, le venda, le tsonga, l'afrikaans, l'anglais, le ndébélé, le xhosa et le zoulou. (2) Reconnaissant que les langues indigènes de notre peuple ont connu, par le passé une utilisation et un statut amoindris, l’État doit, par des mesures concrètes et positives, améliorer le statut et développer l’utilisation de ces langues.
(3) Le
gouvernement national et les gouvernements provinciaux peuvent (4) Il incombe au gouvernement national et aux gouvernements provinciaux de réglementer et de contrôler, à travers des dispositions juridiques ou autres, l'utilisation des langues officielles. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2, toutes les langues officielles doivent jouir d’une parité de considération et faire l’objet d’un traitement équitable.(5)
Le Grand Conseil sud-africain des
langues est chargé : (i) toutes
les langues officielles; (b) de promouvoir et assurer le respect pour les langues, incluant l'allemand, le grec, le gudjarati, l'hindi, le portugais, le tamoul, le télougou, l'ourdou et d'autres langues généralement employées par des communautés en Afrique du Sud, ainsi que l'arabe, l'hébreu, le sanskrit et d'autres utilisées à des fins religieuses. |
Bref, les dispositions constitutionnelles protègent, du moins en théorie, la diversité linguistique de l'Afrique du Sud. Elles constituent sans aucun doute parmi les plus progressistes de tout le continent africain.
Cependant, en dépit des garanties constitutionnelles sur l'égalité des langues, celles-ci peuvent être subdivisées en deux catégories: d'une part, les langues «noires», d'autre part, les langues «blanches» (l’anglais et l’afrikaans) revêtant le statut plus élevé de
«langues compétitives» dans un contexte de mondialisation. Le choix des onze langues officielles a été établi sur la base de critères géographiques et sociaux. La politique de l’apartheid avait auparavant regroupé les Sud-Africains autour de considérations linguistiques: les langues officielles africaines sont directement héritées des groupes linguistiques hérités de l’apartheid.2.2 Les langues officielles des provinces
Étant donné les données démographiques complexes dans les neuf provinces qui composent l'Afrique du Sud, comment assurer, par exemple, que toutes les langues soient représentées équitablement dans les activités quotidiennes des gouvernements provinciaux ainsi qu'en éducation? Une façon de contourner le problème fut de laisser chaque province identifier lesquelles des langues seraient officielles pour une province particulière.
Il faut surtout considérer que le paragraphe 3 énonce que chaque gouvernement provincial doit employer au moins deux langues officielles. Toutefois, étant donné que la Constitution ne précise pas quelles langues officielles doivent être employées dans une province ou par le gouvernement national, chaque province a implicitement opté pour le statu quo, car toutes les administrations utilisaient déjà l'anglais et l'afrikaans durant l'apartheid. Autrement dit, les provinces n'ont ajouté dans l'ensemble qu'une seule langue africaine, sauf la province du Gauteng qui en a choisi deux, les provinces du Mpumalanga et du Limpopo, trois.
Province sud-africaine |
Langues officielles |
Cap-Occidental |
afrikaans |
Kwazulu-Natal |
zoulou |
Cap-Oriental |
xhosa |
Cap-Nord |
afrikaans |
État libre |
sesotho |
Nord-Ouest |
tswana |
Gauteng |
afrikaans |
Mpumalanga |
swati |
Limpopo |
sepedi |
2.3 La liberté du choix de la langue
Quant à l'article 30 de la Constitution, il permet à chacun d'utiliser la langue de son choix et de participer à la vie culturelle:
Article 30
Langues et culture Chacun peut utiliser la langue de son choix et participer à la vie culturelle, mais l’exercice de ces droits doit être compatible avec les dispositions de la Déclaration des droits. |
Cette disposition aura des conséquences importantes, car elle permet à tout citoyen de choisir la langue dans laquelle il désire recevoir les services gouvernementaux et en particulier la langue dans laquelle il veut que ses enfants reçoivent leur instruction. La politique linguistique en éducation permet à neuf langues africaines de devenir des langues d'enseignement dans les écoles. Toutefois, il est plus aisé de rédiger un tel énoncé quant à la liberté de choix que de transposer ce droit dans la réalité. La disponibilité du personnel enseignant et administratif de même que les contraintes démographiques et financières peuvent avoir pour effet de dénier un tel droit.
L'article 31 de la Constitution prévoit la liberté confessionnelle et linguistique dans les pratiques religieuses:
Article 31 Communautés culturelles, religieuses et linguistiques 1) Il ne peut être dénié le droit aux personnes appartenant à une communauté culturelle, religieuse ou linguistique, avec les autres membres de la communauté:
2) Les droits prévus au paragraphe 1 ne peuvent pas être exercés de façon contradictoire avec aucune disposition de la Déclaration des droits de droits. |
Ces considérations générales étant faites, il convient de tenir compte comment toutes ces dispositions peuvent se transposer dans la réalité. C'est une chose de proclamer l'égalité entre onze langues, c'en est une autre de transposer dans la réalité cette égalité, alors que le poids démographique des locuteurs de ces langues est forcément inégal. Non seulement les langues «blanches» sont plus égales que les langues «noires, mais en vertu de la législation en vigueur personne ne peut se voir refuser «l'accès à l'anglais» en tant que «langue du pouvoir» (''the language of power'') et personne ne doit se voir refuser l'accès à l'information (''the access to information'') sous prétexte qu'il ignore l'anglais. Il ne fait pas de doute que plus l'accès à l'anglais se répandra, plus l'hégémonie de l'anglais (''the hegemony of English'') va augmenter.
1) Généralités : situation politique et données démolinguistiques |
2) Données historiques |
3) Dispositions constitutionnelles (1996) |
4) Politique linguistique |
5) Bibliographie |
Constitution de 1996 |