République démocratique de Somalie

Somalie

Jamhuuriyada Demuqraadiga Soomaaliyeed

Jumhuriyat as Sumal ad Dimuqratiyah

Capitale: Muqdisho (Mogadiscio)
Population: 11,5 millions (2004)
Langues officielles: somali et arabe
Groupe majoritaire: somali (72,5 %) 
Groupes minoritaires: maay (16,2 %), swahili (1,7 %), garré (0,5 %), dabarré (0,2 %), jiiddu (0,2 %),
mushungulu (0,2 %), tunni (0,2 %), arabe taizzi-adeni (0,1 %), italien, etc.
Langues coloniales: anglais et italien
Système politique: république démocratique
Articles constitutionnels (langue): art. 3 et 6 de la Constitution de 1979 et art. 2.5.2 et  3.4.1.3 de la Constitution provisoire du 20 février 1995
Lois linguistiques: sans objet

1 Situation générale

Cet État d'Afrique est limité à l'ouest par Djibouti, l'Éthiopie et le Kenya; il est baigné au nord par le golfe d'Aden et à l'est par l'océan Indien. Situé dans la Corne de l'Afrique, c'est un pays géographiquement isolé (voir la carte du pays)

Alors que la Somalie était unifiée, sa superficie totale était de 637 700 km², c'est-à-dire un pays plus grand que la France (547 030 km²). Entourée par le golfe d'Aden, l'océan Indien et l'Éthiopie, la Somalie possédait 3025 km de côtes et 2366 km de frontière dont plus de la moitié avec l'Éthiopie. La capitale de la Somalie unifiée était Mogadiscio (nom italien; en somali: Muqdisho) et le pays était divisé en 18 provinces: Awdal, Bakool, Banaadir, Bari, Bay, Galguduud, Gedo, Hiiraan, Jubbada Dhexe, Jubbada Hoose, Mudug, Nugaal, Sanaag, Shabeellaha Dhexe, Shabeellaha Hoose, Sool, Togdheer, Woqooyi Galbeed.

Cette Somalie n'existe plus de facto, car le Somaliland (au nord-ouest) et le Punland (au nord-est) ont fait sécession, mais ces États ne sont pas reconnus officiellement. Il ne semble pas y avoir de solution à court terme au morcellement politique. La communauté internationale semble avoir oublié les problèmes de la Somalie, surtout le Somaliland et le Puntland, deux territoires considérés comme parmi les plus pauvres du monde.

La Somalie est dirigée par un gouvernement fédéral de transition (GFT) depuis 2004; c'est une sorte de fédération formée de 18 provinces. Le Gouvernement fédéral de transition comprend officiellement la branche exécutive du gouvernement et le Parlement fédéral de transition (PFT), qui a la fonction de branche législative. Depuis le 22 août 2012, le pays est dirigée par le gouvernement fédéral de Somalie. En même temps, l'Assemblée constituante somalienne a adopté à l'unanimité un projet de nouvelle Constitution pour la Somalie, une des étapes du processus visant à y rétablir une autorité centrale.

 
Province Population
(est. 2004)
Superficie
Awdal    304 300 21 374 km2
Bakool    226 700 26 962 km2
Banaadir 1 234 800    370 km2
Bari    527 800 70 088 km2
Bay 1 071 400 35 156 km2
Galguduud    608 000 46 126 km2
Gedo    558 900 60 389 km2
Hiraan    520 500 31 510 km2
Jubbada Dexe    225 300  9 836 km2
Jubbada Hoose    647 100 42 876 km2
Mudug    474 400 72 933 km2
Nugaal    141 000 26 180 km2
Shabeellaha Dexe    835 700 22 663 km2
Shabeellaha Hoose 1 354 800 25 285 km2
Sanaag     514 000 53 374 km2
Sool    127 300 25 036 km2
Togdheer    911 600 38 663 km2
Woqooyi Galbeed 1 271 800 28 836 km2
Somalie 11 555 400  637 657 km2

Map of Somalia

2 Données démolinguistiques

Contrairement aux Arabes qui sont d'origine sémitique, les Somalis (groupe ethnique majoritaire à 95 %) appartiennent au groupe couchitique comme les Afars et les Issas de Djibouti, ainsi que les Gallas d'Éthiopie. L'isolement géographique du pays est accentué par le facteur linguistique: la Somalie se distingue en effet des autres États africains par sa langue officielle, le somali, une langue couchitique de la famille chamito-sémitique. Le somali est l'une des rares langues chamito-sémitiques à être écrites en alphabet latin et non en alphabet arabe. Les Somaliens sont donc relativement homogènes au point de vue ethnique dans la mesure où ils appartiennent au groupe couchitique dans une proportion de 95 %. Cela dit, il existe de petites communautés minoritaires (couchitiques) telles que les Digil-Rahawiin (parlant le maay), les Garré (garré), les Dabarré (dabarré), les Jiiddu (jiiddu) et les Tunni (tunni), des variétés d'afar. On compte aussi des Gosha, des Swahili et des Juba parlant le swahili, une langue bantoue.  Il existe aussi une minorité d'Arabes yéménites et et une minorité nigéro-congolaise (les Mushungulu), sans oublier une petite minorité italophone.

La Somalie comptait en 2004 quelque 11,5 millions d'habitants, dont 62 % parlent le somali. Le tableau qui suit est fondé sur les statistiques de 1998, avec une population totale de 9 237 000 habitants. De toute façon, les estimations sont très difficiles en raison du nombre important de nomades et de réfugiés qui ont tenté de fuir la famine et les guerres claniques.

Ethnie Langue maternelle Affiliation linguistique Population
(1998)
Somali somali couchitique (chamito-sémitique) 6 700 000  (72,5 %)
Digil-Rahawiin (Afars) maay couchitique (chamito-sémitique) 1 500 000  (16,2 %)
Gosha swahili famille bantoue   111 965   (1,2 %)
Garré (Afars) garré couchitique (chamito-sémitique)     50 000   (0,5 %)
Swahili somaliens swahili famille bantoue     32 000   (0,3 %)
Dabarré (Afars) dabarré  couchitique (chamito-sémitique)     20 000   (0,2 %)
Jiiddu (Afars) jiiddu  couchitique (chamito-sémitique)     20 000   (0,2 %)
Juba somaliens swahili  famille bantoue     20 000   (0,2 %)
Mushungulu mushungulu famille nigéro-congolaise     20 000   (0,2 %)
Tunni (Afars) tunni  couchitique (chamito-sémitique)     20 000   (0,2 %)
Arabes yéménites arabe taizzi-adeni  sémitique (chamito-sémitique)     10 000   (0,1 %)
Italiens italien langue romane      4 000   (0,0 %)
Autres ---- ----   729 035   (7,8 %)
                                                                                                                                                     9 237 000              

Les Arabes ont envahi la Somalie au IXe siècle et y ont islamisé la population, mais n'ont pas réussi à l'arabiser.  L'usage du somali s'étend dans les pays voisins: à Djibouti (181 420), en Éthiopie (888 000), au Kenya (277 827), au Yémen (229 280) et dans les Émirats arabes unis (25 000). On compte sept millions de Somaliens, mais le nombre des Somalis parlant le somali est de six à sept millions. Cette langue est loin d'être uniforme et est fragmentée en plusieurs variétés. On distingue principalement le somali du Nord ou somali commun, le somali du littoral ou bénadir (dans les villes côtières) et le somali central («ashraaf») ou simplement le maay-maay. Toutefois, cette classification «traditionnelle» cache en réalité d'innombrables autres variétés locales. Le somali du Nord sert de norme à la langue officielle. Il est aisément intelligible aux locuteurs du somali bénadir, mais difficilement intelligible pour les locuteur du maay-maay.

3 Données historiques

L’histoire du territoire actuel de la Somalie remonte à la plus haute Antiquité, alors que la région était connue des anciens Égyptiens. Mais entre les IIe et VIIe siècles de notre ère, plusieurs partie du territoire furent rattachées au royaume éthiopien d’Aksoum. Peu de temps après, des tribus arabes s’installèrent au VIIe siècle le long de la côte du golfe d’Aden et fondèrent un sultanat sur la côte, centré sur le port de Zeila. En même temps, le pays s’islamisa sous l’influence des chiites venus d’Iran. Toutefois, les habitants ne s'arabisèrent pas et conservèrent leurs langues ancestrales.

À partir du XIIIe siècle, des Somalis, des pasteurs-nomades installés dans le nord de la Corne de l’Afrique, commencèrent à migrer vers la région de l'actuelle Somalie; auparavant, les Oromo, des pasteurs-agriculteurs, avaient déjà entamé une lente montée vers l’Ogaden et le plateau abyssin. Tous ces peuples couchitiques s'installèrent définitivement sur le territoire. Des peuples arabes tentèrent de s'approprier le territoire et beaucoup de Somalis furent repoussés à l'extérieur, notamment en Éthiopie. 

3.1 La colonisation européenne

La Grande-Bretagne fut la première puissance européenne dans la région. En 1839, elle prit possession de l’Aden (aujourd’hui au Yémen), étape sur la route des Indes. Après l’ouverture du canal de Suez en 1869, l’importance stratégique de la Corne de l’Afrique et de la Somalie s’accrut. Au milieu des années 1870, les Turco-Égyptiens occupèrent certaines villes de la côte somalienne et une partie de la région intérieure adjacente. Puis, quand les troupes égyptiennes quittèrent la région en 1882, la Grande-Bretagne occupa ce territoire, afin d’endiguer la révolte du Mahdi au Soudan.

En 1887, un protectorat britannique fut proclamé sur le Somaliland britannique. Ce protectorat, à l’origine une dépendance de l’Aden, était placé sous l’administration du Foreign Office britannique en 1898, puis de l’Office colonial en 1905. Le contrôle des Britanniques sur l’intérieur du protectorat fut contesté par la révolte du mouvement religieux nationaliste des derviches, dirigés par Muhammad Abdullah Hassan, dit le Mad Mullah (le «mollah fou») par les Britanniques, entre 1899 et 1910, qui tenta à nouveau d’unifier le pays. En 1910, les Britanniques abandonnèrent l’intérieur des terres, se retirèrent vers les régions côtières et ne soumirent les rebelles qu’en 1921.

Quant à l’intérêt de l’Italie pour la côte somalienne, elle se développa également à la fin du XIXe siècle. Par des traités, passés en 1905, avec les sultans somalis et des conventions avec la Grande-Bretagne, l’Éthiopie et Zanzibar, la région bordant la côte de l’océan Indien, au sud du pays, devint italienne. Suite au traité de Londres de 1915, l’Italie étendit son contrôle sur l’intérieur du pays. En 1936, l’Italie réunit ses territoires de la Somalia, de l’Érythrée et de l’Éthiopie nouvellement conquise pour constituer l’empire colonial de l’Africa Orientale Italiana.

Après l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne en 1940, les troupes italiennes envahirent le Somaliland britannique. Toutefois, les Britanniques réussirent à reconquérir leur protectorat en 1941. À cette époque, on ne comptait que 17 écoles primaires publiques pour l'ensemble des Somaliens. Aux termes du traité de paix de 1947, l’Italie renonçait à ses possessions africaines.

La responsabilité de ses colonies fut confiée aux quatre Alliés (États-Unis, Grande-Bretagne, France et URSS). En 1948, les Alliés, faute d’avoir trouvé un accord, portèrent l’affaire devant l’Assemblée générale des Nations unies. Durant cette période, il existait deux langues pour le gouvernement: l'anglais dans la zone britannique (au nord) et l'italien pour la zone italienne (au sud). Avec le temps, l'anglais est devenu dominant dans le système scolaire et dans l'administration du  gouvernement, ce qui développa des conflits entre les élites somaliennes entre le Nord et le Sud. Ceux qui connaissaient l'anglais bénéficièrent d'avantages importants dans l'accès aux postes de la fonction publique, et ce, aux dépens de ceux qui pratiquaient l'italien ou le somali. Il n'existait aucune école où l'on enseignait en somali; les Somaliens qui ne fréquentaient pas les écoles britanniques ou italiennes allaient dans les écoles coraniques où l'arabe classique était la langue d'enseignement.

5.2 L'indépendance de la Somalie

En novembre 1949, l'ONU accorda l’indépendance à la Somalie italienne, mais sous condition d’une tutelle préalable d’une durée de dix ans, exercée par l’ONU. Le 1er avril 1950, l'Assemblée des Nations unies plaça le pays, baptisé Somalie, sous l’administration de l'Italie. Puis, conformément aux décisions de 1949, la Somalie accéda à l’indépendance le 1er juillet 1960 et fusionna peu après avec l’ancien protectorat britannique du Somaliland, qui était indépendant depuis le 26 juin.

Au plan international, les différents pouvoirs qui se succéderont ont pour objectif plus ou moins avoué de réunir dans une
«Grande Somalie» tous les Somalis vivant en Éthiopie, au Kenya et à Djibouti.

Le premier président du pays, Aden Abdullah Osman Daar, élu en 1960, fut battu en 1967 par l’ancien premier ministre Ali Shermake, qui fut lui-même assassiné le 15 octobre 1969. Un groupe de militaires conduit par le général Muhammad Siyad Barre prit le pouvoir et proclama la république démocratique de Somalie. En 1970, Barre, soutenu par l’URSS, choisit la voie socialiste pour son pays et, dans les années qui suivirent, nationalisa la plupart des secteurs économiques modernes du pays. Il mena une campagne d’alphabétisation fondée sur la transcription du somali en alphabet latin et tenta de réduire l’emprise des clans sur la société somalienne. La sécheresse survenue en 1974 et en 1975 causa une famine généralisée qui motiva l’adhésion de la Somalie à la Ligue arabe.

5.3 La guerre civile

En 1977, les Somalis vivant dans la région de l’Ogaden en Éthiopie s’engagèrent, après la chute de l'empire éthiopien d’Addis Abeba, dans une lutte armée pour leur rattachement à la Somalie. Les rebelles étaient soutenus et armés par la Somalie, qui envoyait des troupes. Dès la fin de 1977, les Somalis contrôlèrent la majeure partie de l’Ogaden. En 1978, l’Éthiopie, aidée par Cuba et l’URSS qui avait opéré un spectaculaire renversement d'alliance, lança une contre-attaque, reprit le contrôle de la région et proposa son soutien aux mouvements dissidents de Somalie, basés principalement dans le nord du pays. Les combats ultérieurs précipitèrent un flux de réfugiés (estimé à près de deux millions en 1981) en Somalie qui servirent de masse de manœuvre au général Siyad Barre. Les États-Unis apportèrent une aide à la fois humanitaire et militaire, et furent, en échange, autorisés à utiliser les installations navales de Berbera, une ancienne base soviétique. Les hostilités avec l’Éthiopie continuèrent de façon sporadique jusqu’en 1988, date à laquelle un accord de paix fut signé.

Malgré la réélection du général Barre en 1986, l’opposition (le Mouvement national somalien), opérant surtout dans l'ancien Somaliland britannique, ne désarma pas et conquit certaines parties du nord de la Somalie, s'attirant de féroces représailles du pouvoir en place qui détruisit pratiquement Hargeysa. De nouveaux mouvements d’opposition (chacun tirant son soutien d’un clan différent) émergèrent également à la fin des années quatre-vingt. La guerre civile s’intensifia et Barre s'enfuit de la capitale en janvier 1991.
Dans le chaos social qui suivit, les écoles ont cessé d'exister.  Puis le dictateur Barre fut remplacé à la tête de l’État par Ali Mahdi Mohamed Farah Aïdid, également membre du CSU (Congrès de la Somalie unifiée). Pendant les deux ans qui suivirent, quelque 50 000 personnes furent tuées lors de violents combats, menés de façon continue entre les factions rivales (de novembre 1991 à mars 1992). Du fait de la rupture des lignes d’approvisionnement dans ce pays ravagé par la guerre, environ 300 000 personnes moururent de faim.

En décembre 1992, le président américain G. Bush (père) décida, dans le cadre de l’opération Restore Hope, d’envoyer des troupes américaines. Des marines, relayés par la suite par une force internationale de maintien de la paix des Nations unies (Onusom), débarquèrent à Mogadiscio. Les agences internationales tentèrent de reprendre la distribution de nourriture et fournirent une assistance humanitaire. Cependant, les combats entre clans continuèrent de plus belle. Le comportement particulièrement violent d’une fraction marginale des Casques bleus à l’égard de la population somalie attisa les haines des Somaliens. Les forces de maintien de la paix et les civils furent victimes de ces luttes. Face à l’échec des négociations avec les différentes factions, notamment avec celle du général Aïdid, et face aux importantes pertes humaines tant internationales que somaliennes, les Américains, puis les Français, se retirèrent et l’ONU restreignit ses actions à la seule aide humanitaire. Les Casques bleus de l’Onusom se retirèrent définitivement de Somalie en mars 1995.

Depuis, le morcellement politique a conduit à l’éclatement du pays, qui n’eut plus de représentant officiel et qui fut exclu de toutes les instances internationales. Le général Mohammed Farah Aïdid, décédé en août 1996, fut remplacé par son fils Hussein Mohammed Aïdid, dont les troupes tinrent une partie du centre et du sud du pays. Le Nord-Ouest, l’ancien Somaliland, fut solidement contrôlé par Mohammed Ibrahim Egal, qui fut élu par ses partisans président de la République autoproclamée du Somaliland, le 23 février 1997, qui comprend les régions administratives qui comprend les régions administratives de Awdal, Togdheer, Sanaag, Saaxil, Sool et Woqooyi Galbeed. En 1998, le Puntland se déclara lui aussi autonome, sous la présidence d'Abdullah Yusuf Ahmed (député-président du Somali Salvation Democratic Front).

Le Nord-Est resta sous le contrôle d’Abdullah Youssouf Ahmed. Le général Morgan tint la région de Kismayo, tandis que l’extrême Sud devint le fief d’Omar Hadj Massale. Quant à Mogadiscio, elle fut disputée par Ali Mahdei, Aïdi, Omar Jess et Morgan. L’Éthiopie et le Kenya organisèrent sous leur égide une réunion de conciliation entre les principales factions à Sodere, qui aboutit à un accord de gouvernement, le 3 janvier 1997, sans pour autant régler le problème du désarmement des milices et de la reconstruction de l'État. Le 26 août 2000, on apprenait que le Parlement de transition en exil avait élu un nouveau président en la personne de Abdulkasim Salad Hassan, dans un contexte particulièrement difficile.

Non seulement le pays reste aux prises avec des rivalités claniques, mais il est littéralement tombé dans un état de déliquescence avancée. Aujourd'hui, le Somaliland et le Puntland sont des États non reconnus par la communauté internationale, sauf par l'Éthiopie qui les soutient. Alors que le Somaliland veut devenir indépendant, le Puntland cherche plutôt à devenir un État au sein d'une république fédérale de la Somalie unie. La communauté internationale tente encore de recoller la Somalie disloquée pour en reconstituer, à partir de l'ancienne capitale, Mogadiscio, un État unitaire qui n'existe plus de facto.  Enfin, selon l'organisation Transparency International (2009), la Somalie se classe comme le pays le plus corrompu de la planète (180e rang), suivi de l'Afghanistan (179e), de la Birmanie (178e), du Soudan (177e) et de l'Irak (176e). Quoi qu'il en soit, le pays demeure sans gouvernement réel depuis 1991 et plusieurs régions sont de facto indépendantes, pendant que des islamistes radicaux tentent d'imposer leur pouvoir dans le Sud et alimentent les conflits au Yémen, en Éthiopie et en Érythrée. La Somalie est l'exemple-type de la déliquescence d'un État.

4 Une politique linguistique volontariste

Le somali était à l'origine fragmenté en une foule de variétés dialectales, qu'on retrouvait notamment au nord et au sud du pays. Lentement, une forme véhiculaire du somali s'est développée, bien que les colonisations italienne et britannique aient contribué à rendre la situation très complexe. Les influences étrangères avaient été suffisamment fortes pour maintenir en Somalie une situation coloniale contradictoire, particulièrement dans les écoles. La langue d'enseignement était l'italien dans le Sud, l'anglais dans le Nord – la partie nord du pays ayant été sous domination britannique –, l'arabe dans les écoles coraniques.

Le coup d'État du 21 octobre 1969 marqua le début d'une politique linguistique volontariste et révolutionnaire. En 1972, le gouvernement militaire officialisa le somali véhiculaire comme seule langue de l'État. Ce somali officiel a aujourd'hui déjà supplanté les dialectes du Nord et poursuit sa progression vers le Sud. En 1973, le gouvernement imposa une nouvelle écriture basée sur l'alphabet latin; l'alphabet arabe doit faire place à une écriture proprement somalienne, distincte de celle des pays arabophones voisins.

Cette politique linguistique d'officialisation du somali a entraîné une réorganisation complète de tout le système d'enseignement et de l'administration publique. Il fallut traduire et refondre l'ensemble des textes juridiques, constituer des commissions de terminologie, former les fonctionnaires au somali moderne, mettre en place une nouvelle presse écrite, implanter une scolarisation massive des enfants (et même des adultes), transformer radicalement les moyens d'information de l'État. L'objectif était de généraliser l'emploi du somali officiel dans tous les domaines: administratif, judiciaire, scolaire, économique, scientifique, etc. On voulait aussi neutraliser, faire reculer, sinon éliminer complètement l'anglais et l'italien. C'était une tâche gigantesque que seul un gouvernement dictatorial pouvait mener à terme. Cette politique révolutionnaire a suscité l'hostilité des États voisins, notamment celle de l'Éthiopie, qui a perçu le somali comme une langue africaine rivale de l'amharique (la langue officielle de l'Éthiopie).

En 1979, le gouvernement a pu imposer une nouvelle constitution. L'article 3 de la Constitution du 23 septembre 1979 déclarait que «l'islam sera la religion d'État». Le paragraphe 2 réaffirmait le rôle de l'arabe et du somali dans les institutions de l'État et proclame les deux langues officielles:
 

Article 3

2) Le somali est la langue que parlent tous les Somalis et par laquelle ils se reconnaissent; l'arabe est la langue qui unit le peuple de Somalie avec la nation arabe dont il fait partie intégrante, et les deux langues seront les deux langues officielles de la République démocratique de Somalie.

Le somali étant considéré comme définitivement implanté en Somalie, l'arabe pouvait être réintroduit. Celui-ci, langue essentiellement religieuse, est cependant une langue minoritaire dans le pays. En d'autres termes, la Somalie reste un État musulman, mais non arabophone.

Le 20 février 1995, la Somalie adoptait une constitution provisoire (Constitution de la République démocratique de Somalie). Il n'y avait plus de disposition strictement linguistique, sauf à l'article 3.4.1.3 pour ce qui est des membres du Majlis (Assemblée nationale):
 

Article 3.4.1.3

Tout représentant au Majlis national doit être citoyen de la République démocratique de Somalie, être âgé d'au moins 25 ans, être capable de lire et écrire le somali et pourvu de réputation honorable. Il n'y a aucune restriction basée sur l'adhésion aux clans, croyances religieuses ou politiques ou au sexe.

L'article 2.5.2 traite des minorités, sans qu'il ne soit précisé s'il s'agit des minorités religieuses ou linguistiques. Comme presque tous les Somaliens sont musulmans, on peut présumer que cette disposition fait allusion à la langue:
 

Article 2.5.2

Le gouvernement a la responsabilité de protéger les droits égaux garantis par cette constitution pour tous ses citoyens, en particulier pour le cas des minorités vivant au sein des plus grands groupes de citoyens.

En 2012, la nouvelle Constitution provisoire prévoit trois articles portant sur la langue:

Article 5

Official Languages

The official language of the Federal Republic of Somalia is Somali (Maay and Maxaa-tiri), and Arabic is the second language.

Article 31

Language and Culture

1) The state shall promote the positive traditions and cultural practices of the Somali people, whilst striving to eliminate from the community customs and emerging practices which negatively impact the unity, civilization and wellbeing of society.

2) The state shall collect, protect and preserve the country’s historic objects and sites, whilst developing the know-how and technology that shall enable the fulfillment of such an obligation.

3) The state shall promote the cultural practices and local dialects of minorities.

4) The rights mentioned in this Article shall be implemented in accordance with the fundamental ights recognized in this Constitution.

Article 35

The Rights of the Accused

1)
The accused is presumed innocent until proven guilty in a final manner by a court of law.

2) Every person arrested or detained has the right to be informed promptly of the reason for their arrest or detention in a language which the person understands.

10) The accused has the right to an interpreter if the accused person does not understand the language being used in the court.

Article 5

Langues officielles

La langue officielle de la République fédérale de Somalie est le somalien (Maay et/-tiri) et l'arabe est la seconde langue.

Article 31

Langue et culture

1) L'État doit promouvoir les traditions et les pratiques culturelles de la population somalienne, tout en s'efforçant d'éliminer les coutumes communautaires et les pratiques émergentes qui un impact négatif sur l'unité, la civilisation et le bien-être de la société.

2) L'État doit recueillir, protéger et préserver les objets historiques du pays et des sites, tout en développant le savoir-faire et la technologie qui doivent permettre la mise en œuvre de cette obligation.

3) L'État favorise les pratiques culturelles et les dialectes locaux des minorités.

4) Les droits mentionnés au présent article doivent être conformes aux droits fondamentaux reconnus dans la Constitution.

Article 35

Les droits des accusés

1) L'accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire de manière définitive par un tribunal.

2) Toute personne arrêtée ou détenue a le droit d'être informée rapidement du motif de son arrestation ou de sa détention dans une langue qu'elle comprend.

10) L'accusé a le droit à un interprète s'il ne comprend pas la langue utilisée à la cour.

4.1 La politique d'alphabétisation

De 1973 à 1975, le gouvernement déclencha une politique d'alphabétisation, qui suscita l'enthousiasme populaire dans tout le pays. Les écoles régulières furent même fermées pour la circonstance, les professeurs du deuxième cycle du primaire et ceux du secondaire furent réquisitionnés pour parcourir le territoire somalien et enseigner l'orthographe somalie dans les villes (la première année) et les campagnes (la deuxième année).

À l'époque, cette campagne d'alphabétisation a touché 1 257 779 personnes. À la fin de la campagne, 63,2 % des Somaliens avaient réussi l'examen final. Selon le ministère de la Planification nationale (1981), le pourcentage d'adultes alphabétisés a été estimé à 50 % pour les hommes, puis de 34 % à 54 % pour les femmes. On peut mesurer l'effort accompli lorsqu'on sait que les alphabétisés atteignaient à peine 5 % en 1970.  L'arabe devait être appris comme langue seconde et son apprentissage débutait dès l'école primaire, mais il était d'une qualité douteuse, car peu de Somaliens étaient alors capables de l'enseigner au-delà du niveau rudimentaire.

Le département de la Condition féminine et le Service d'éducation des adultes ont poursuivi cette politique d'alphabétisation, même si les effectifs scolaires ont tendance à baisser depuis quelques années. Néanmoins, l'alphabétisation des masses donne des résultats inattendus. On assiste à un développement spectaculaire d'une littérature somalie et à une accélération de la presse écrite en général. En voulant apprendre à la population somalienne à lire et à écrire, on n'avait pas prévu que ces nouvelles connaissances permettraient, par exemple, aux mères de mieux s'informer sur l'alimentation et la santé de leurs enfants. Il est rare que dans les pays africains une politique d'alphabétisation aboutisse au développement de l'usage écrit dans le domaine non scolaire. Cependant, si la politique d'alphabétisation se révèle une réussite notable, il n'en est pas de même pour la politique de scolarisation.

4.2 La politique de scolarisation

La politique d'alphabétisation constituait déjà une politique révolutionnaire pour un pays d'Afrique. Mais la politique de scolarisation qui a suivi s'est révélée encore plus radicale. En 1975, le gouvernement imposa la scolarisation «libre et obligatoire» à tous les enfants somaliens. Le gouvernement ordonna la destruction massive de tous les livres de l'époque coloniale et l'édition accélérée de manuels en langue somalie. Cette mesure radicale a privé la plupart des écoles éloignées des grands centres de tout matériel pédagogique, car les livres rédigés en somali n'ont été que peu diffusés. Comme dans certains autres pays d'Afrique, on compte encore aujourd'hui à peine un livre par 15 ou 20 élèves au primaire.

Dès l'implantation de l'école obligatoire, la scolarisation a augmenté de façon exceptionnelle: de 127 % pour la seule année de 1975, de 200 % jusqu'en 1980-1981. Les enfants de moins de 15 ans sont scolarisés en moyenne dans une proportion de 36 %; si la scolarisation atteint 76 % dans la région de la capitale, elle tombe cependant à moins de 10 % dans les zones rurales. De plus, la scolarisation accélérée finit par s'essouffler, les effectifs plafonnent. Près de la moitié des écoles offre un cycle primaire incomplet, faute d'élèves. Le taux d'échec est très élevé: plus des deux tiers des élèves ne terminent pas leurs études primaires.

4.3 Les causes de l’échec de la politique de scolarisation

Plusieurs facteurs expliquent cet échec de la politique de scolarisation. L'état de guerre larvée et continuelle avec l'Éthiopie ainsi que l'anarchie généralisée au plan politique ne sont certes pas étrangers au manque d'intérêt pour l'école. Mais le système scolaire somalien est lui-même en cause. L'année scolaire ne dure que six mois (de décembre à juin); les enfants sont donc laissés à eux-mêmes durant la moitié de l'année. La formation des maître, quant à elle, est tout à fait inadéquate et les salaires rendent la profession peu attrayante; les professeurs sont obligés de travailler à l'extérieur de l'école la moitié de l'année pour survivre financièrement; les deux tiers abandonnent la profession au cours de leur vie.

Depuis l'instauration de la «somalisation» accélérée de l'enseignement, les livres sont en quantité insuffisante. Comme on n'enseigne à peu près plus les langues étrangères, les élèves du secondaire et les étudiants universitaires n'ont qu'un accès limité au matériel pédagogique publié à l'étranger (en anglais ou en italien). Or, l'enseignement universitaire se fait encore exclusivement en italien ou en anglais, ce qui compromet la réussite scolaire; l'enseignement supérieur est dans un état lamentable. Enfin, le budget de l'État affecté pour l'éducation demeure inférieur aux besoins d'un pays en voie de développement. Évidemment, les droits des minorités linguistiques ont été ignorés, la valorisation du somali a pris toute la place.

La Somalie est l'un des rares États africains à avoir fait table rase des langues coloniales. Cette politique linguistique pour le moins radicale a favorisé l'émergence d'une langue nationale commune typiquement africaine, mais elle a aussi freiné le développement des connaissances en coupant tout contact avec le monde extérieur. D'autres pays, même parmi les plus révolutionnaires, comme l'Algérie, le Zaïre (maintenant le Congo-Kinshasa) et Madagascar, se sont montrés plus prudents; ils ont maintenu la langue coloniale comme instrument véhiculaire et comme une mesure de développement économique. En Afrique, la politique linguistique de la Somalie constitue un cas isolé.

Malheureusement, le pays n'est pas au bout de ses peines: la Somalie a été coupée en deux depuis février 1992. Le Nord, ancienne colonie anglaise, a proclamé son indépendance sous son nom colonial de Somaliland. Quant au Sud, il s'est désarticulé dans la guerre civile et l'anarchie. On peut facilement prévoir un certain renforcement de l'anglais dans tout le Nord et à une régression du somali. Il s'agit donc d'une politique de récupération linguistique inachevée.•

Dernière mise à jour: 14 mars 2024
 

Bibliographie

GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p.
 
LAITIN, David D. Politics, Language, and Thought: The Somali Experience, Chicago, University of Chicago Press, 1977.
 
LAITIN, David D., et Said S. SAMATAR. Somalia: Nation in Search of a State, Boulder, Westview Press (Colorado), 1987. 
 
LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. "Synthèse", 1992, 708 p. 
 
MORIN, Didier. «Le parcours solitaire de la Somalie» dans Politique africaine, no 23, Paris, Karthala, septembre 1986, p. 57-66.
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