Le chinois
Dès 1000 ans avant notre ère, les empereurs de la dynastie des Yin avaient commencé une série de campagnes militaires destinées à unifier la Chine sous leur autorité. Au IIe siècle avant notre ère, les empereurs de la dynastie des Han firent mieux et étendirent leurs conquêtes au sud (IVe siècle). Après quelques siècles d'anarchie et de défaites militaires au profit des envahisseurs mongols, les Ming reprirent la Chine au XIVe siècle des mains des Mongols et menèrent des politiques d'expansion très répressives, ce qui assura le prestige de la langue chinoise de la région de Pékin (Beijing) où s'étaient définitivement établis les empereurs. En fait, toutes les dynasties impériales de Chine ont pratiqué des politiques d'assimilation implacables dans le but d'absorber les peuples vivant à la périphérie de l'empire.
Carte reproduite avec l'aimable autorisation de M. Mikael Parkvall de l'Institutionen för lingvistik, Université de Stockholm.
C'est là une constante dans toute l'histoire de la Chine et les mesures assimilatrices ont été maintenues après la proclamation de la République populaire de Chine en 1949. Encore, aujourd'hui, malgré un certain adoucissement de ces politiques à l'égard des «nationalités», de nombreuses minorités se plaignent de la répression exercée contre elles.
Ce que l'on appelle le «chinois officiel» est une langue commune artificielle soumise à différentes décisions politiques. En 1956, les dirigeants chinois ont statué sur le putonghua défini comme la «langue commune» de la Chine, avec comme norme phonétique la prononciation de la capitale (Pékin), correspondant à l'usage linguistique du nord du pays et à la norme grammaticale du style réaliste et familier que l'on appelle baihua.
Contrairement à ce qu'on croit souvent, le chinois n'est pas seulement parlé en Chine et ceux que l'on appelle les Chinois ne parlent pas tous le «chinois» officiel. On distingue trois catégories de Chinois:
1) les Chinois han qui parlent le mandarin et qui habitent le nord-est du pays;
2) les Chinois han qui parlent l'une des 24 langues chinoises autres que le mandarin et habitent le sud-est;
3) les Chinois non han qui parlent des langues non chinoises (tibéto-birmanes, altaïques, kadai, miao-yao) et occupent tout l'ouest de la Chine, soit 60 % du territoire. Les deux groupes de Han forment 94 % de la population.
La République populaire de Chine comptait 1,386 milliard d'habitants en 2016. De ce nombre, 715 millions de Chinois presque trois fois les États-Unis, c'est-à-dire 67 % de la population, utilisent le mandarin comme langue officielle; celui-ci est répandu dans tout le nord-est du pays. C'est une région linguistiquement homogène ne présentant que des variétés de chinois mutuellement intelligibles et toutes proches du mandarin.
Les autres «Chinois» de Chine sont concentrés dans le sud-est du pays, une région linguistiquement hétérogène. Ces Chinois parlent l'un des 24 «dialectes» chinois (wu, cantonais, min, xiang, hakka, gan, etc.), tous très différents entre eux et aussi éloignés du mandarin que le sont l'italien et l'espagnol du français. Ces langues chinoises puisque ce sont des langues autres que le mandarin totalisent environ 380 millions de locuteurs et représentent 27 % de la population. Par comparaison, c'est comme si la population réunie des États-Unis, du Canada, de la France et du Royaume-Uni parlaient ces langues chinoises non reconnues.
Les «Chinois» non han regroupent 70 millions d'individus (6 % de la population) et parlent l'une des 55 langues non chinoises (zhuang, tibétain, yi, miao, yao, ouïgour, kazakh, mongol, mandchou, coréen, tadjik, etc.). Ces minorités que les autorités désignent par la formule de «minorités nationales» (ou minorités non chinoises) comptent à elles seules pour presque trois fois la population du Canada.
Il existe des Chinois parlant le mandarin (putonghua) d'autres parlant différentes langues chinoises.
2.1 Le putonghua
Hors de Chine, le mandarin ou putonghua est parlé à Taïwan (2,2 millions), en Indonésie (460 000), en Malaisie (417 000), au Cambodge (300 000), à Singapour (201 000), au Royaume-Uni (105 000), dans certaines républiques de l'ancienne URSS (Kirghizie, Kazakhstan, Ouzbékistan: 52 000), à Brunei (15 000), en Thaïlande (5880), en Mongolie (2000).
On compte également un certain nombre d'individus aux États-Unis, aux Philippines, en Afrique du Sud et à l'île Nauru. De ces pays, seuls Taïwan et Singapour ont accordé un statut officiel au chinois mandarin. Au total, on estime à 730 millions le nombre de personnes parlant le chinois mandarin de par le monde. C'est donc, en chiffres absolus, la langue maternelle la plus parlée sur notre planète.
2.2 Les autres sinophones
Les sinophones hors de Chine parlant une langue autre que le mandarin sont relativement nombreux et sont dispersés un peu partout dans le Sud-Est asiatique et dans les îles du Pacifique. Ces minorités sont estimées à environ 33 millions et parlent principalement le min (env. 20 millions), le cantonais (env. 7,5 millions) et le hakka (env. 4 millions).
Les sinophones qui parlent le min prédominent parmi ces minorités: on les retrouve à Taïwan (14,1 millions ou 75 %), en Malaysia (2,2 millions), à Singapour (1,1 million), en Thaïlande (1 million), en Indonésie (720 000), aux Philippines (592 000), à Brunéi (16 000).
Les locuteurs parlant le cantonais habitent Hong Kong (5,2 millions ou 92,8 % de la population de cet État), la Malaisie (748 000), le Vietnam (500 000), Macao (472 000 ou 96 %), Singapour (314 000), l'Indonésie (180 000), la Thaïlande (30 000), la Nouvelle-Zélande (12 000), les Philippines (7000), le Brunei (3500). Un certain nombre de Cantonais ont trouvé refuge en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle et ont constitué des communautés parlant encore leur langue.
Enfin, ceux qui parlent le hakka sont dispersés dans les même régions que les langues précédentes: Taiwan (1,7 million), la Malaisie (985 635), l'Indonésie (640 000), Singapour (69 000), la Thaïlande (58 800), Brunei (3000).
Ces minorités apprennent très peu le mandarin offic
iel (putonghua et les caractères chinois normalisés), si l'on fait exception des Chinois habitant Taïwan ou Singapour où le chinois est une langue officielle. Même à Hong-Kong, les Chinois cantonais apprennent l'anglais plutôt que le mandarin. Les exigences de la vie professionnelle font en sorte qu'il est préférable pour ces communautés sinophones d'apprendre la langue officielle du pays où ils résident: malais, tagalog, thaï, filipino, etc.Les 380 millions de Chinois han et les 70 millions de Chinois non han apprennent tous à l'école la langue commune, le
putonghua et les caractères chinois normalisés (ou mandarin officiel). Pour ces 450 millions de citoyens chinois, le mandarin est simplement une langue seconde que l'on maîtrise plus ou moins bien selon la région où l'on habite. De façon générale, on utilise cette langue seconde avec les pouvoirs publics.Pour la transcription écrite, les sinophones, peu importe la langue qu'ils parlent (mandarin, min, cantonais, wu, hakka, etc.), utilisent tous pour écrire un système idéographique, c'est-à-dire une écriture très ancienne (certains diront archaïque) qui ne repasse pas par les sons de la langue, comme c'est le cas le cas pour les écritures alphabétiques (latin, arabe, hébreu, arménien, etc.). Chaque idéogramme représente à la fois un mot et une syllabe, et chaque mot dispose d'un signe, ce qui rend évidemment le système peu économique, car près de 6000 à 8000 caractères paraissent nécessaires, mais les manuels scolaires donnent des listes de 3000 caractères.
On affirme souvent qu'il n'est pas nécessaire d'apprendre à lire le mandarin, car tous les Chinois han peuvent lire à peu près n'importe quel texte mandarin dans leur propre langue, étant donné que les idéogrammes sont identiques dans toutes les langues chinoises. Il y aurait certaines nuances à apporter. Soit l'exemple du cantonais pour comparer les différentes façons de s’exprimer. Dans la phrase «il n'est pas chinois», un Chinois parlant le putonghua dirait : "ta bu shi zhongguo ren" (他不是中国人). Mais un Cantonais s’exprimant en cantonais dirait: "koei m hai tang yin" (?-?-?-唐人). Dans ce cas, il n'y a qu’un seul caractère commun! Et le vocabulaire n’est pas le même! Les trois première syllabes ne peuvent pas s'écrire avec les caractères du mandarin. Il existe des caractères spéciaux pour le cantonais, mais ils n'ont pas de statut officiel et ils ne sont pratiquement jamais utilisés en dans la République populaire de Chine, quoique un peu à Hong Kong – mais cela fait vulgaire.
Un cantonais qui lit le journal ou un roman (toujours écrit en mandarin) peut prononcer chaque caractère du mandarin avec une prononciation cantonaise. Il peut, par exemple, voir la phrase suivante en putonghua: "ta bu shi zhongguo ren" (他不是中国人). Il la lira ainsi: "ta bat si jiongkok yin". Cependant, jamais il ne lui viendra à l’idée d’utiliser cette façon de parler dans une conversation courante en famille ou avec un ami cantonais, sauf s'il veut la citer telle quelle. Cela n’en fait pas du cantonais parlé. Lorsqu’il est scolarisé, il apprend toujours le mandarin, autrefois presque toujours lu à la cantonaise et de plus en plus lu avec la prononciation du putonghua. Lorsque la radio cantonaise lit un article de journal, elle lit le mandarin prononcé à la cantonaise. Autrement dit, les Cantonais sont alphabétisés dans une langue qui n'est jamais parlée!
C'est que les Chinois utilisent un style d'écriture unique et n'écrivent donc qu'en «chinois standard». En fait, les langues chinoises en question possèdent une structure syntaxique et des usages de caractères différents. Cependant, comme la pratique chinoise est d'écrire en langue unifiée ou en caractères chinois normalisé, les différences sont complètement effacées à l'écrit. Il ne s'agit pas d'une impossibilité à écrire ces langues, mais d'un choix issu d'un concept linguistique particulier, c'est-à-dire la séparation de l'oral et de l'écrit.
L'enseignement du chinois dans le monde est peu répandu. C'est pourquoi le gouvernement chinois a créé l'Institut des langues étrangères de Pékin pour élaborer de nouveaux matériaux et des méthodes d'enseignement destinées aux étrangers. Néanmoins, le système d'écriture demeure lourd: il faut connaître 3500 caractères pour lire et au moins 5000 pour être instruit; certains savants en apprennent même jusqu'à 10 000 ou 15 000. On peut compter jusqu'à 80 000 signes dans certains dictionnaires scientifiques. Cette complexité a rendu obligatoires plusieurs réformes au cours des siècles; la dernière en Chine date de 1977. On a simplifié le système au point qu'avec 3000 caractères il est possible de satisfaire aux besoins de l'usage le plus courant. Il n'en demeure pas moins que l'apprentissage de l'écriture chinoise constitue un fardeau mémoriel pour n'importe quel individu et un fardeau collectif pour les relations internationales. Mais l'écriture chinoise se maintient contre vents et marées parce qu'elle sert d'instrument d'identification très puissant entre les Chinois et parce qu'elle est compatible avec les moyens modernes de saisies des données.
Le gouvernement a adopté en 1958 un système de notation alphabétique appelée l'alphabet pinyin. Cette transcription romanisée est utilisée dans les traitements de textes. Des logiciels ont même été créés pour que l'on puisse taper un texte en pinyin, qui sera automatiquement transformé et imprimé en caractères chinois simplifiés. Malgré son utilité indéniable, les Chinois semblent peu enclins à utiliser l'alphabet pinyin. Ils préfèrent l'écriture traditionnelle. Ces seules raisons ne suffiraient pas à répandre la langue chinoise en dehors de ses frontières d'origine pour qu'elle devienne une langue internationale.
Mais la puissance économique chinoise peut changer la donne. En trois
décennies, la Chine s'est hissée au deuxième rang des économies mondiales.
Plusieurs centaines de millions de Chinois ont rejoint la classe moyenne et
leurs dépenses à l’étranger soutiennent les économies de dizaines de pays,
dont la France. Un million de Chinois travaillent en Afrique où ils
construisent des stades, des autoroutes, des aéroports et des barrages. Le
budget militaire de la Chine augmente chaque année et elle déploie 3000
Casques bleus en opérations de paix. Dans le domaine linguistique, quelque
500 instituts Confucius, l'équivalent de l’Alliance française, diffusent
dans 140 pays la langue et la culture chinoises. La puissance chinoise est
bien réelle et en expansion, elle peut favoriser la promotion de la langue
chinoise.
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