Île Rodrigues

(Île Maurice)

Île Rodrigues
 

Capitale: Port-Mathurin 
Population: 37 000 (2004)
Langue officielle: anglais (de facto)
Groupe majoritaire: créole rodriguais (96 %)
Groupes minoritaires: chinois (0,2 %), français (0,2 %), bhojpouri (0,1 %), hindi, ourdou, télougou, arabe, tamoul, anglais, etc. 
Langues coloniales: français et anglais 
Système politique: statut de dépendance de l'île Maurice 
Articles constitutionnels (langue): art. 33, 46 et 49 de la Constitution de 1992 de la république de Maurice
Lois linguistiques de l'île Maurice: Loi sur les tribunaux (1945); Loi sur l'éducation (1957); Loi sur la citoyenneté (1968); Loi sur l'état civil (1981); Loi sur la Société de radiodiffusion de Maurice (1982); Loi sur l'administration locale (2003)
.
Lois linguistiques de Rodrigues: Loi sur l'Assemblée régionale de Rodrigues (2001); Règlements de l'Assemblée (2002).

1 Situation géographique
 

L'île Rodrigues (en français, prononcer [rodrig] et non [rodrigèz] comme en espagnol) est située dans le sud-ouest de l'océan Indien et fait partie de l'archipel des Mascareignes du nom du navigateur portugais Pedro Mascarenhas qui les explora. Toutes les îles de l’archipel des Mascareignes appartiennent à la république de Maurice (voir la carte 2), sauf l’île de La Réunion qui constitue un département français d’outre-mer (DOM).

L’île Rodrigues est relativement éloignée de l'île Maurice (560 km ou huit heures de bateau) dont elle dépend, ainsi que de La Réunion (près de 900 km au nord-est). L'île Rodrigues, la plus petite des trois îles de l’archipel des Mascareignes avec ses 109 km² (18 km de long sur 8 km de large), bénéficie depuis 2002 d'une autonomie administrative, tout en faisant partie de la république de Maurice (en anglais: Mauritius).

En vertu de la Rodrigues Regional Assembly Act, adoptée par l'Assemblée nationale de Maurice, l'île Rodrigues a le droit de voter ses propres lois et règlements dans la mesure où ces dispositions juridiques n'entrent pas en conflit avec celles en vigueur au sein de la République. L'île Rodrigues est divisée administrativement en 14 paroisses (villages ou communes):

On peut constater que la toponymie rodriguaise est massivement d'origine française, avec des noms comme Baie-Topaze, La Fouche-Corail, Plaine-Corail, Montagne-Goyaves, île aux Crabes, île Frégate, île Souris, etc., sans compter d'autres toponymes tels Anse-aux-Anglais, Baie-du-Nord, Petite-Butte, rivière Banane ou caverne Patate.

2 Données démolinguistiques
 

Contrairement à l'île Maurice elle-même, l'île Rodrigues est très homogène tant au plan ethnique que linguistique. En effet, plus de 96 % des insulaires sont des Rodriguais et ils parlent le créole rodriguais comme langue maternelle.
 
2.1 Le créole rodriguais
 
Le créole de Rodrigues est à base lexicale française, comme la plupart des créoles de l'Océan Indien, appelés généralement «créole bourbonnais». Le créole rodriguais est peu différencié du créole mauricien malgré ses quelques particularités lexicales. En voici quelques exemples comparatifs du créole rodriguais (île Rodrigues), du créole mauricien (île Maurice) et du créole réunionnais (île de La Réunion):
 
Français Créole rodriguais Créole mauricien Créole réunionnais
Peuples créoles du monde entier,
donnons-nous la main.
Tou kreol lor la ter, anou marye pyke. Tou dimoune ki koz langaz kreol anou mars ansam. Anou pèp kréol dan lo Monn antyé anon mèt ansanm.
Le créole ne représente pas qu'une langue ou qu'un groupe ethnique, mais toute une philosophie. Kreol li pa selman enn lang ou enn bann dimoun, li enn filozofi oussi. Kreol pa zis enn langaz ou enn group etnik; li ousi enn filozofi. Kréol i arprézant pa zis inn lang oubyin in group etnik: li lé osi inn filozofi.
Nous sommes créoles, et donc nous parlons créole.
Nou kreol, nou koz nou lang. Nou finn ne kreol, alor nou noz kreol. Nou lé kréol, nou koz kréol.
Le créole est la puissante langue de notre patrie car il est parlé par tout le monde.  Kreol li enn gran lang kot nou parski tou dimoune kose li. Langaz kreol pli gran patrimwann nou pei parski tou dimounn koz li. Lo kréol lé la lang lo pli gabyé nout nasyon parské tout domoun i koz ali.
 
Ces trois créoles, auxquels il convient d'ajouter le créole seychellois, tirent leur origine de ce qu'on appelle le «créole bourbonnais», c'est-à-dire le tronc commun des créoles français parlés dans l'océan Indien et comprenant non seulement les créoles mauricien et rodriguais, mais également les créoles réunionnais et seychellois, ce qui inclut le créole chagossien des îles Chagos. Le créole bourbonnais a d'abord été parlé à La Réunion (alors appelée «île Bourbon»), puis il s'est propagé sur l'île Maurice et, de là, sur l'île Rodrigues et l'archipel des Seychelles. En raison des distances et de l'insularité de ces créoles, ceux-ci se sont progressivement différenciés. Les divergences se sont ensuite amplifiées avec la colonisation anglaise qui a touché Maurice, Rodrigues et les Seychelles. Aujourd'hui, il n'est plus aisé pour les créolophones de l'océan Indien de communiquer dans un créole particulier entre eux et de se comprendre parfaitement.
 
On peut constater aussi que les créoles martiniquais et guadeloupéen des Antilles sont encore plus différents, bien que le créole réunionnais présente légèrement plus de similitudes parce qu'il est resté français:
 
Français Créole guadeloupéen Créole martiniquais
Peuples créoles du monde entier,
donnons-nous la main.
Tout pep kréyol ki asi latè an nou ban nou lanmen. Tout pep kréyol ki asou latè annou ba kò-nou lanmen.
Le créole ne représente pas qu'une langue ou qu'un groupe ethnique, mais toute une philosophie. Kréyol a pa selman on lang o ben on pep sé tout on filozofi. Kréyol pa anni yon lang, anni yon nasion moun, sé tout an filozofi.
Nous sommes créoles, et donc nous parlons créole.
Nou sé kréyol sé pouki nou ka palé kréyol. Nou sé Kréyol, kidonk sé kréyol, nou ka palé.
Le créole est la puissante langue de notre patrie, car il est parlé par tout le monde. Sé Kréyol ki met lang a kaz an nou pas sé li tout moun ka palé. Sé kréyol ki lang poto-mitan nou davwè sé'y tout moun ka palé.

2.2 Les autres langues maternelles

Langues

     Locuteurs

%

Créole rodriguais

34 419

96,2 %

Chinois 

      99

0,2 %

Français

      81

0,2 %

Bhojpouri

      66

0,1 %

Hindi 

      25

0,07 %

Ourdou

      24

0,07 %

Autre langue européenne

      11

0,03 %

Télougou

       9

0,03 %

Arabe 

       8

0,03 %

Goudjarat

       8

0,03 %

Tamoul 

       7

0,02 %

Autre langue chinoise

       6

0,02 %

Hakka 

       3

0,01 %

Anglais  

       2

0,01 %

Mandarin

       1

0,00 %

Créole et chinois

  318

0,8 %

Créole et français

 318

0,8 %

Créole et autres langues européennes 

  96

0,2 %

Créole et bhojpouri 

  93

0,2 %

Créole et hindi

  61

0,1 %

Créole et ourdou

  33

0,09 %

Créole et tamoul

  18

0,05 %

Créole et autre langue orientale 

  13

0,03 %

Autre langue européenne et autre langue orientale

  11

0,03 %

Créole et télougou

   7

0,02 %

Bhojpouri et hindi

   6

0,02 %

Chinois et autre langue orientale

   4

0,01 %

Créole et marathi

   3

0,01 %

Chinois et autre langue européenne

   2

0,01 %

Français et autre langue européenne

   2

0,01 %

Français autre langue orientale

   2

0,01 %

Bhojpouri et autre langue orientale

   2

0,01 %

Hindi et tamoul  

   2

0,01 %

Bhojpouri et ourdou 

   1

0,00 %

Autres langues

   8

0,02 %

Langues non déclarées

 10

0,03 %

Total
(Central Statistics Office de 2001)

35 779

100 %

L'île Rodrigues compte plusieurs autres langues, mais elles ne sont parlée que par de toutes petites minorités. Selon les données du Central Statistics Office de 2001, les langues maternelles numériquement plus importantes sont le chinois (99 locuteurs), le français (81 locuteurs), le bhojpouri (66 locuteurs), l'hindi (25 locuteurs) et l'ourdou (24 locuteurs). Le tableau de gauche indique les autres langues parlées dans l'île.

Cependant, plusieurs individus ont déclaré deux langues maternelles, dont 318 pour le bilinguisme créole-chinois ou le bilinguisme créole-français. Il existe de nombreuses autres combinaisons, mais elles concernent généralement le créole et une autre langue (chinois, français, bhojpouri, hindi, tamoul, télougou, marathi, etc.).  

À l'île Rodrigues, tout les Rodriguais parlent le créole local comme langue maternelle ou comme langue véhiculaire, sauf de rarissimes exceptions qui correspondent généralement à quelques  «Métropolitains» britanniques ou français.

2.3 Le français

Il convient de dire aussi que la plupart des Rodriguais ont une certaine connaissance du français, même si celle-ci dépend largement du degré d’instruction des individus.

Il demeure plus facile pour la majorité des Rodriguais d’apprendre le français que l’anglais en raison des affinités linguistiques avec leur créole et en raison également du prestige dont jouit le français au point de vue culturel. Lorsqu'ils lisent les journaux, les Rodriguais préfèrent le français.

2.4 L'anglais

L'anglais est la langue officielle de la république de Maurice et donc celle de l'île de Rodrigues. Il est utilisé par l'Administration et demeure la langue d'enseignement principale dans les écoles. 

Historiquement, l'anglais souffre de son isolement linguistique par rapport au créole. En général, les Rodriguais connaissent plus facilement le français que l'anglais, sauf pour les quelques

Sino-Mauriciens et Indo-Mauriciens, plus familiers avec l'anglais. Néanmoins, les non-créolophones n'ignorent pas le français, ils le connaissent seulement moins.

Cela étant dit, l’anglais est la langue de l’État, tant à Maurice que dans l'île Rodrigues. Même si l'anglais est la langue administrative officielle, les fonctionnaires demeurent plus à l'aise en français qu'en anglais, sauf pour les Indo-Mauriciens.

Cela signifie que le créole est la première langue de l'île; le français, la seconde, et, loin derrière, suit l'anglais comme troisième langue. De façon générale, le créole est la langue véhiculaire orale, le français, la langue des journaux, l'anglais, celle de l'école et des formulaires administratifs (la langue officielle).

Toutefois, dans la vie quotidienne, l'anglais reste rarement employé. Au risque de simplifier considérablement la situation, on pourrait dire que les Rodriguais parlent en créole entre eux de façon informelle; ils lisent en français (journaux et magazines) et écrivent en anglais (scolarisation).

3 Données historiques

L’île fut explorée par les Portugais dès 1528, lorsque le navigateur Don Diego Rodriguez l'indiqua sur une carte pour la première. Les Hollandais y firent escale lors de leurs voyages (1601 - 1611) vers leurs colonies en Indonésie. Ces derniers se seraient ravitaillés en eau potable ainsi qu’en tortues géantes. En 1691, un huguenot français du nom de François Leguat, avec quelques compagnons, s’y établirent pendant deux ans avant de regagner l’île Maurice.

3.1 Une colonie française

De 1751 à 1794, la Compagnie française des Indes orientales entreprit la colonisation de l’île Maurice (alors l'île de France), l’île de la Réunion (alors l'île Bourbon) et l’île Rodrigues (avec la dénomination francisée). Les Français firent appel à des esclaves africains et malgaches ainsi qu'à des travailleurs indiens. C'est lors de cette époque qu'apparut le créole bourbonnais.

En 1809, au moment des guerres napoléoniennes, les Britanniques débarquèrent sur l'île Rodrigues avec des soldats afin de se servir de l'île comme base de ravitaillement et de s'emparer de l'île Maurice (appelée alors «l'île de France») qui tomba en 1810. Puis le traité de Paris de 1814 accorda l'île de France, les Seychelles et l'île Rodrigues à la Couronne britannique.

3.1 La colonie britannique

Après le traité de Paris, l’île de France reprit son nom précédent de Mauritius. Dans l’acte de capitulation de 1810, l’article 8 spécifiait que les colons pouvaient conserver «leurs religion, lois et coutumes». Bien que le traité de Paris de 1814 ne reprenait pas réellement cette formulation, le nouveau gouvernement anglais, dirigé par le gouverneur Sir Robert Farquhar, admit que l'usage de la langue française constituait l’une de ces «coutumes» que les colons pouvaient maintenir. En fait, les Britanniques consentirent à ce que les habitants de Maurice et de Rodrigues continuent d’utiliser leur langue, leur religion, leur code civil, leurs traditions et leurs douanes. Peu nombreux et n’ayant pas l’intention d’habiter l’archipel, les Anglais étaient prêts à faire des concessions.

- Les changements socio-économiques

Des changements sociaux et économiques se bientôt firent sentir. Les fonctionnaires français furent remplacés par des fonctionnaires anglais au sein de l’administration et toute l’économie se développa dorénavant dans le cadre de l’Empire britannique. Certains Français restèrent à l’île et poursuivirent l’exploitation de la canne à sucre avec leur main-d'œuvre d'esclaves africains. Ces colons continuèrent à parler la langue française. Appuyés par le clergé catholique, ils opposèrent une résistance opiniâtre aux velléités gouvernementales de mainmise linguistique. Quant à leurs esclaves, ils furent maintenus dans leur infériorité sociale et purent continuer à utiliser le créole rodriguais. Étant donné que les Britanniques étaient peu nombreux, ils ne cherchèrent pas à s'installer en grand nombre dans l'île et la population locale continua de parler essentiellement français et créole.

- L'imposition de l'anglais

En 1832, le gouvernement colonial anglais imposa une première politique linguistique: la langue anglaise devint obligatoire pour les Rodriguais et les Mauriciens lors de toute communication avec les autorités britanniques. L’année suivante, l’anglais devint l’unique langue de l’Administration en servant de critère d’embauche dans les services gouvernementaux. Devant les besoins de main-d’œuvre pour faire fonctionner les plantations sucrières, l’Administration anglaise décida de recourir à des travailleurs indiens rétribués à contrat; c’est en 1829 qu’eurent lieu les premières tentatives pour importer des travailleurs agricoles de l'Inde.

Le changement le plus important survint lors de l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies britanniques. L’importation d’esclaves avait cessé depuis 1833 à Maurice et à Rodrigues. Dès lors, Rodrigues fit partie intégrante de Maurice, tel qu'il était implicitement mentionné à l'article LXVI de l'Abolition of Slavery Act (Loi sur l'abolition de l'esclavage) du 28 août 1833 :
 

LXVI.

Islands, dependent upon Colonies deemed Part of such.

And be it further enacted and declared, That within the Meaning and for the Purposes of this Act all Islands and Territories dependent upon any of the Colonies aforesaid, and constituting Parts of the same Colonial Government, shall respectively be taken to be Parts of such respective Colonies.

LXVI

Les isles dépendantes des Colonies sont considérées comme une Partie de celles-ci.

Et qu'il soit en plus ordonné et déclaré, que dans l'Intention et les Objectifs de la Présente Loi toutes les Îles et tous les Territoires dépendant de chacune des Colonies susmentionnées, et constituant des Parties du  même Gouvernement colonial devront individuellement faire Partie de ces Colonies respectives.

Entre 1835 et 1865, plus de 200 000 immigrants indiens et chinois affluèrent à l’île Maurice et changèrent radicalement la composition ethnique des habitants. Quant aux Chinois, ils s’ajoutèrent ultérieurement et devinrent de petits commerçants. Beaucoup plus tard, certains de ces immigrants et leurs descendants viendront s'installer à Rodrigues.

En 1841, l’Administration britannique imposa l'enseignement de l’anglais dans toutes les écoles primaires en plus du français. En 1845, l'anglais devint la langue de la Cour suprême, mais les tribunaux de Rodrigues continuèrent à utiliser le français. Au cours du XIXe siècle, la population de Rodrigues passa d'une centaines d'habitants à quelques 3000, notamment avec l'arrivée d'anciens esclaves africains libérés par les Britanniques.

- Les velléités autonomistes

Dès 1915, les Rodriguais revendiquèrent leur autonomie par rapport à l'île Maurice. Ils adressèrent un mémoire au roi George V pour demander que leur île compte deux représentants au Conseil législatif de Maurice et déplorèrent que leur île ne constituât même pas un district au sein de Maurice.  Il fallut attendre 1965 pour que l'île soit représentée au Parlement mauricien. Lors d'un referendum en août 1967, les Britanniques demandèrent aux Mauriciens et aux Rodriguais de se prononcer sur l'indépendance de l'archipel. Les Rodriguais votent contre dans une proportion dépassant 90 %, car ils préféraient demeurer des citoyens britanniques plutôt que de tomber sous la dépendance des Indos-Mauriciens. Rien n'y fit, et au moment de l'indépendance Rodrigues continua de faire partie intégrante de Maurice en tant que 10e district. 

Éloignée de 560 km, la petite île Rodrigues ne connut pas le même développement économique que l’île principale, ce qui suscita des velléités autonomistes. Au cours des années, les habitants de Rodrigues devinrent de plus en plus nombreux à demander un statut d'autonomie pour leur île. Dans les années quatre-vingt, de nombreux Rodriguais choisirent de s'exiler vers l'île de La Réunion ou en Australie. Le 12 mars 1992, l'île Maurice et ses dépendances devinrent officiellement la république de Maurice.

- Le statut d'autonomie

Par la suite, les Rodriguais préparèrent un projet de loi portant création d'une assemblée régionale à Rodrigues. Le projet fut présenté à l'Assemblée nationale de Maurice, qui l'adopta à l'unanimité le 21 novembre 2001. La Rodrigues Regional Assembly Act accordait à l'île un statut d'autonomie assez étendu, le ministère de Rodrigues fut aboli et remplacé par une assemblée régionale. Ce statut permet à la population rodriguaise de contrôler et gérer ses propres affaires. Un gouvernement régional est habilité à adapter les lois mauriciennes aux spécificités de l'île, voire en à adopter d'autres en autant qu'elles n'entrent pas en conflit avec les lois mauriciennes. L’Assemblée régionale est composée de 18 membres. Les partis majoritaires forment le gouvernement avec un «chef commissaire» agissant comme chef du gouvernement. Les premières élections régionales ont eu lieu en 2002. Depuis l'ouverture d'un nouvel aéroport régional de Plaine-Corail en 2003, les Rodriguais misent beaucoup sur le développement du tourisme. En temps normal, les Rodriguais vivent presque exclusivement des ressources de la terre et de la mer.

3 La politique linguistique

L'île Rodrigues est soumise aux dispositions de la Constitution de la république de Maurice. Or, le statut officiel des langues n’est pas défini dans cette constitution. Autrement dit, le Constitution mauricienne ne prévoit aucune langue officielle, mais elle contient des dispositions au sujet de la langue de la législature.

3.1 Les langues de la législature

En effet, l’article 49 de la Constitution de 1992 ne traite que de la langue du Parlement national mauricien:
 

Article 49

La langue officielle de l'Assemblée est l'anglais, mais tout membre peut s'adresser à la Présidence en français.  

D’après cette disposition constitutionnelle, l’anglais est la seule langue de travail de l’Assemblée nationale. Dans la pratique mauricienne, l’anglais est considéré comme la langue officielle écrite, le français et le créole, comme les langues officielles parlées. D’ailleurs, l’article 33 précise ainsi les conditions d'éligibilité des membres de l’Assemblée nationale:  
 

Article 33

Sous réserve des dispositions de l'article 34, une personne n'est éligible comme membre de l'Assemblée que si elle satisfait aux conditions suivantes: [...]

(d) être capable de parler et – à moins qu'elle en soit incapable pour cause de cécité ou pour toute autre cause physique – de lire l'anglais avec un degré de compétence suffisant pour lui permettre de prendre une part active aux délibérations de l'Assemblée. 


À l’article 46, on lit même comment sont intitulées les lois (en anglais dans le texte):
 

Article 46

[...]

(5) Toutes les lois adoptées par le Parlement sont intitulées: «Acts of Parliament» et la formule de promulgation est «Enacted by the Parliament of Mauritius». 

Ainsi, d’après l’article 49, le français est juste considéré comme une langue acceptée ou tolérée à l’Assemblée nationale. Cependant, les députés peuvent aussi s’exprimer en créole. Il en résulte, dans les faits, que l’anglais, le français et le créole sont tous trois utilisés au Parlement national.

Mais qu'en est-il de l'Assemblée régionale?  Deux documents sont à signaler à ce sujet: la Loi sur l'Assemblée régionale de Rodrigues et les Règlements de l'Assemblée. L'article 6 de la Loi sur l'Assemblée régionale de Rodrigues prévoit que, pour être élu membre de l'Assemblée, il faut être capable de parler et de lire les langues anglaise et française avec un degré de connaissance suffisante pour prendre une part active aux procédures de l'Assemblée:
 

Article 6

Qualifications des membres

(1)
En vertu du paragraphe 2, quiconque est qualifié pour être élu comme membre de l'Assemblée régionale s'il, et ne sera pas qualifié à moins que:

(a) est citoyen de Maurice âgé de pas moins de 18 ans;

(b) a résidé à Rodrigues pour la durée, ou pour des périodes rassemblant l'ensemble, pas moins de deux ans avant la date de sa nomination pour l'élection;

(c) a résidé à Rodrigues pour la durée de pas moins de six mois immédiatement avant cette date; et

(d) est capable de parler et, à moins qu'il ne soit frappé d'incapacité par la cécité ou toute autre cause physique, lire les langues anglaise et française avec un degré de connaissance suffisante pour lui permettre de prendre une part active aux procédures de l'Assemblée.

Pour sa part, l'article 5 des Lois et règlements de l'Assemblée régionale de Rodrigues énonce bien que «les procédures et les débats de l'Assemblée sont en anglais ou en français»:

Article 5

Langue

Les procédures et les débats de l'Assemblée sont en anglais ou en français.

En réalité, les lois sont adoptées en anglais (sauf pour les textes adoptés avant 1814, alors que les lois n'étaient rédigées qu'en français au Parlement mauricien), mais généralement discutées en français plutôt qu'en anglais, voire en créole rodriguais. Dans la vie courante, les politiciens rodriguais ne s’expriment qu'en créole auprès de leurs électeurs, mais aussi en français lorsque les circonstances s'y prêtent.

3.2 L'Administration publique

Pour le gouvernement mauricien, l'anglais demeure la seule langue administrative officielle, et cette pratique est demeurée en vigueur à l'île de Rodrigues dans la mesure où les fonctionnaires indo-mauriciens, qui viennent de l'île Maurice, ne n'expriment généralement qu'en anglais. L'Administration régionale a suivi le pas, mais les employés rodriguais peuvent s'exprimer en créole et en français.

Les documents officiels du gouvernement mauricien et de l'administration rodriguaise sont généralement rédigés en anglais seulement. Dans les administrations municipales et autres établissements publics locaux, ces documents sont en français, mais les communications orales ont presque toujours lieu en créole rodriguais. L'anglais ne sera utilisé que si c'est absolument nécessaire. Bref, l’usage spontané est d’employer le créole, puis le français ensuite. L’anglais est réservé aux demandes expresses, notamment avec les citoyens d’origine indo-mauricienne ou sino-mauricienne.

En ce qui concerne la toponymie, les noms de lieu sont très majoritairement d'origine française. Le bilinguisme français-anglais est parfois utilisé sur les plaques odonymiques (rues), mais l'ensemble de la signalisation routière est en anglais.  Ainsi, dans l’administration, on constate que l’anglais est peut-être la langue de l’État, mais pas celle de la population qui, d’ailleurs, est généralement plus favorable au français qu’à l’anglais.

De son côté, l'Assemblée synodale de l'Église catholique propose que les lettres pastorales et les textes officiels soient publiés dans «un langage simple» accessible au plus grand nombre et qu'une équipe soit mise sur pied pour la traduction en créole des textes pertinents.

3.3 Les langues de la justice

D’après l’article 5 de la Constitution mauricienne, on pourrait comprendre que trois langues sont permises dans les tribunaux, compte tenu qu'il convient que le citoyen soit informé «dans une langue qu'il comprend»:
 

Article 5

Quiconque est arrêté ou détenu doit être informé aussi vite qu'il sera raisonnablement possible, et dans une langue qu'il comprend, des raisons de son arrestation ou de sa détention.

La loi autorise les Mauriciens et les Rodriguais à s’exprimer dans l’une des trois langues admises dans le domaine de la justice: l’anglais, le français et le créole. Le texte ne précise pas de quel créole il s'agit, mais il faut supposer qu'il s'agit du créole mauricien pour les Mauriciens et du créole rodriguais pour les Rodriguais. En réalité, le français reste la langue la plus utilisée dans les tribunaux de l'île; il est suivi par le créole, alors que l'anglais est rarement utilisé. Les juges rendent généralement leurs sentences en français, parfois en anglais et rarement en créole. Dans toute procédure écrite, la sentence peut être rédigée en anglais ou en français. Mais les cours d’appel, notamment la Cour suprême du pays, n’utilisent que l’anglais (depuis 1845). Il est possible d'obtenir des traductions non officielles des arrêts du plus haut tribunal du pays.

3.4 L'éducation

Le système éducatif rodriguais est le même que celui en vigueur à Maurice. L’emploi des langues dans l’enseignement primaire est réglé par l’Education Ordinance de 1957. L'île dispose d'une trentaine d'écoles maternelles («préprimaires»), de treize écoles primaes» et d'un centre de formation, totalisant quelque 9700 étudiants.

À la maternelle, toutes les langues sont théoriquement permises, mais il n’existe que des écoles maternelles en créole et en français. À partir du primaire, tout le premier cycle du primaire ne se fait qu’en anglais, mais les écoles peuvent dispenser des cours en français. et en créole. Malheureusement, les enfants scolarisés dans les écoles primaires sur l’île abandonnent leurs études dans des proportions dépassant les 50 %, et ce, avant d’avoir atteint la quatrième année de leur scolarité. L'île connaît également une grave pénurie d'enseignants formés localement et les équipements scolaires semblent inadéquats. C'est sans doute pourquoi les Rodriguais ont exprimé le désir que l'histoire et la culture créoles fassent partie des programmes de l'enseignement primaire et secondaire. De plus, beaucoup de citoyens demandent qu'on utilise le créole comme langue d'enseignement.

Au secondaire, l'enseignement est dispensé en anglais, mais le français reste une seconde langue comme matière. Après leurs cinq premières années d'études du secondaire, les élèves doivent subir un examen de mi-parcours, le ''School Certificate'' (SC); les épreuves sont préparées et corrigées par le ''Cambridge International Examination'' de l’Université de Cambridge en Angleterre. La réussite à ces examens est obligatoire pour pouvoir accéder aux deux autres années d’études menant au Higher School Certificate (HSC), soit l'équivalent du baccalauréat. Les élèves qui veulent fréquenter l'université doivent s'exiler soit à l'île Maurice soit à l'île de La Réunion. À l'île Maurice, l'enseignement est dispensé dans la langue du professeur, généralement l'anglais ou le français.

3.5 Les médias

Comme à l'île Maurice, les journaux sont généralement en français. Parmi les hebdomadaires publiés en français, citons Le Vrai Rodriguais et La Voix du Peuple. Ces journaux, qui paraissent les vendredis et samedis, sont rédigés en français, en créole rodriguais et en anglais. Il existe aussi les quotidiens mauriciens tels que L'Express et Le Mauricien.

L'île Rodrigues possède sa propre chaîne de télévision, la MBC Rodrigues et une station de radio basée à Citronelle. La MBC mauricienne diffuse aussi des programmes en créole mauricien, en créole rodriguais, en anglais, en français. Les émissions en créole rodriguais sont produites à Rodrigues. Certaines émissions de la télévision française ou de TV5 peuvent faire partie de la programmation.

Quant à la radio locale, elle est diffusée le plus souvent en créole rodriguais, puis en français ou en anglais.

En réalité, l'île Rodrigues n'a pas de véritable politique linguistique particulière par rapport à la république de Maurice. L'ensemble de cette politique tient compte des trois langues pratiquées en triglossie: le créole pour les communications informelles et la radio, le français pour les communications plus formelles, notamment à la télévision et les journaux, et l'anglais pour l'Administration et l'école.

Les pratiques actuelles ne semblent pas trop brimer les Rodriguais qui trouvent avantageux d’utiliser leur langue maternelle (créole) quand bon leur semble et de recourir à deux langues supra-communautaires très standardisées dont la connaissance ne connaît pas de frontière ethnique. Dans ces conditions, on voit mal pourquoi le gouvernement local agirait autrement et tenterait quoi que ce soit pour modifier la situation. Le trilinguisme créole-français-anglais est perçu comme allant de soi et ne saurait être remis en question. C'est pourquoi la politique linguistique de Rodrigues correspond à une politique de non-intervention.

Mise à jour: 22 févr. 2024  

 

Bibliographie

GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p.

GOVERNMENT OF MAURITIUS, «History of Mauritius» dans Official Home Page, Port-Louis, 26 septembre 1999,
[http://ncb.intnet.mu/govt/index.htm]

LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. "Synthèse", 1992, 708 p. 

STEIN, Peter. Connaissance et emploi des langues à l’île Maurice, Mayence (Allemagne), Helmut Buske Verlag Hambourg, 1982, 661 p. 

VÉDRINE, Emmanuel W. «20 Fraz kreyòl potomitan» dans Creole Project inc., Dorchester (Massachusetts),
http://www.palli.ch/~kapeskreyol/vedrine/fraz.php.

 

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