Empire japonais

1868-1945

1. L'empire du Japon  

L'empire du Japon débuta en 1867 lors de la restauration de la dynastie des Meiji, qui mettait fin au shogunat (dynastie des Shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867) et replaçait au trône la dynastie précédente. Le fils de l'empereur Koméi, Mutsuhito, monta sur le trône à 14 ans, le 30 janvier 1867. Il fut, selon la chronologie officielle, le 122e empereur du Japon (Tenno en japonais). Le jeune souverain, à l'écoute du clan réformiste, adopta le nom de règne de Meiji Tenno (Meiji signifie «lumière» en japonais). Ce nom se voulait une nouvelle façon de moderniser l’empire du Japon et de l’ouvrir sur le monde. L’empereur Meiji Tenno décida de gouverner en personne, avec l'aide des grands seigneurs (daimyos) réformistes.

En moins d'une génération, Meiji Tenno réussit à hisser son pays parmi les grandes puissances de l'époque, les autres appartenant à la sphère occidentale. La capitale Kyoto fut déplacée à Edo, l'actuelle Tokyo. Selon certains historiens, le Japon avait estimé que la meilleure façon de résister à l'impérialisme occidental, c'était de devenir lui-même un empire.

Durant son règne, Mutsuhito abolit les castes, distribua des terres aux paysans, rendit l'éducation obligatoire et envoya des étudiants dans les universités occidentales. Les samouraïs furent intégrés dans l'armée nationale, encadrée par les Prussiens de langue allemande. De plus, l'économie japonaise, calquée sur le modèle anglais, s'appuya sur l'industrie et le commerce intérieur grâce à l'arrivée du capitalisme.

2. L'expansion territoriale

En 1874, le Japon commença son empire en annexant l'île d'Okinawa, puis les îles Kouriles en 1875 et les îles Ryūkyū en 1879. Le Japon déclara la guerre à la Chine en 1894, qui se vit forcée de céder Formose (aujourd'hui Taïwan) en 1895, puis la Mandchourie et la Corée en 1905. En 1904, le Japon avait déclaré la guerre à la Russie qui dut concéder le sud de l'île Sakhaline en 1905.

De 1914 à 1918, le Japon participa à la Première Guerre mondiale du côté des Alliés; il désirait en réalité occuper le Kiautschou, un comptoir de l'Empire colonial allemand loué à l'empereur de Chine au nord-est du pays. En 1919, l'empire du Japon participe au partage des colonies allemandes dans le Pacifique. En 1931, il envahit tout le nord-est de la Chine et détacha la province du Jehol, une ancienne province chinoise qui comprenait des parties des provinces actuelles de Hebei, de Liaoning et de Mongolie-Intérieure. En 1939, l'Empire japonais comprend la moitié de Sakhaline et des Kouriles, les îles Ryūkyū et Taïwan (Formose), la Micronésie, la Corée et la Mandchourie, fournissant au Japon du riz, du soja, du blé, du charbon et du fer.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, alors que le Japon était cette fois du côté de l'Axe et de l'Allemagne nazie, les Japonais transformèrent en protectorats Hong Kong, Macao et d'autres régions limitrophes. En 1941 et en 1942, l'empire du Japon prit de l'expansion: il s'empara de l'Indochine française (Laos, Cambodge et Vietnam), ainsi que de la Birmanie, de la Thaïlande, des Indes néerlandaises (aujourd'hui l'Indonésie), de la Malaisie britannique et de la Nouvelle-Guinée australienne, sans oublier les Philippines. En plus des îles du Pacifique déjà occupées (Palau, Carolines, Gilbert, Marshall), les Japonais annexèrent les îles Salomon, Guam, les îles Mariannes, ainsi que l'île Attu et l'île Kiska près des Aléoutiennes. Les militaires japonais, tout puissants auprès du gouvernement, ne voyaient qu'une solution aux problèmes : la guerre générale via la conquête de l'Asie. La propagande japonaise, ou anti-japonaise, vécut de belles heures!


 

En 1941, le Japon commit l'erreur de bombarder Pearl Harbor, une importante base navale américaine, située sur l’île d’Oahu, dans le territoire américain d’Hawaï. Autorisée par l'empereur du Japon Hirohito, cette attaque-surprise visait à détruire la flotte du Pacifique de l’United States Navy, afin de conquérir sans difficulté l'Asie du Sud-Est et les îles de l'océan Pacifique. C'était ce qu'on peut appeler une «guerre de prévention». Le Japon voulait ainsi forcer les forces américaines à quitter Hawaï pour se replier sur les bases de Californie, sauf qu'en même temps l'attaque déclencha la guerre du Pacifique et l'entrée en guerre des États-Unis d'Amérique.

Par la suite, après la victoire des Alliés en Europe, les États-Unis demandèrent aux Japonais de se rendre, mais devant le refus de ces derniers, les Américains larguèrent leur première bombe atomique à Hiroshima, le 6 août 1945; ils lancèrent une deuxième bombe à Nagasaki, le 9 août 1945. Ayant perdu toutes ses possessions, l'empereur Hirohito capitula le 15 août 1945 dans un message prononcé en japonais classique formel, tandis que le 2 septembre l'Empire était démembré au profit des forces alliées, notamment le Royaume-Uni et les États-Unis.  

En 1946, la nouvelle Constitution du Japon, et non plus de l'empire du Japon, rédigée en anglais dans les bureaux du proconsul américain, le général Douglas MacArthur, imposa une démocratie parlementaire fortement décentralisée, où l'empereur (Hirohito) n'avait plus qu'un rôle protocolaire. L'Empire japonais, qui avait mis 14 siècles à se consolider, s'était désintégré en quelques semaines, après avoir perdu toute crédibilité.

3. L'imposition de la langue nationale

Pendant de nombreux siècles, les Japonais ne s'étaient jamais préoccupés de leur langue nationale, du moins tout le temps que le japonais fut subordonné au chinois. Lorsque les premières politiques linguistiques virent le jour, ce fut pour promouvoir la variété linguistique des bourgeois de la ville d'Edo (aujourd'hui Tokyo). Les véritables politiques linguistiques japonaises commencèrent à l’époque de l’ère des Meiji en 1868 avec l’intronisation de l'empereur Mutsuhito (1852 -1912).

- La politique linguistique

La politique linguistique du Japon impérial prit une orientation plus active après la guerre sino-japonaise (1894-1895) en faisant de la langue japonaise un symbole du pouvoir. C'est à partir de ce moment que fut élaboré le concept de «langue nationale» ("kokugo" 国語). Le terme "kokugo" est le nom du japonais en tant que matière d'enseignement dans les écoles, du primaire à la fin du secondaire; en dehors de ce contexte, ainsi que dans l'usage juridique, on l'emploie rarement dans la conversation courante.

La langue japonaise fut alors considérée comme devant former et édifier la nation, ce qui eut pour effet d'exclure les autres langues indigènes et les autres variantes du japonais standard, de même que les langues des peuples colonisés. Il faut comprendre que les peuples assujettis aux Japonais devaient nécessairement parler des «dialectes», que ce soit les variétés japonaises, le coréen, le mandchou, le lao, etc.

Après avoir annexé l'île d'Hokkaido, les îles Ryukyu et l'île d'Okinawa, le Japon imposa l'apprentissage obligatoire du japonais  dans ses politiques expansionnistes. Dans ces territoires (ainsi qu'en Corée et à Taïwan, plus tard), la maîtrise du japonais, le "kokugo" («langue nationale») devint la norme de la civilisation et le gage de la loyauté envers le Japon impérial.
 

En 1889, le Japon créa un Centre d'enseignement de la conversation en «langue nationale» (kokugo). Celui-ci devint rapidement une école normale destinée à la formation des enseignants, ce qui permit au gouvernement d'imposa la langue nationale dans les écoles et d'inculquer le culte de l'empereur en distribuant des portraits. L'instruction fut donnée en japonais standard et dans certaines langues locales au moyen de manuels bilingues. L'objectif était de supprimer les langues locales en adoptant une période de bilinguisme transitoire.

À cette époque, comme en France jadis avec le breton ou les patois, tout enfant japonais qui était surpris à employer un mot «en dialecte») se voyait remettre un écriteau en bois autour du cou; l'écriteau indiquait que l'enfant avait enfreint les règlements de l'école. Ce signe infamant est resté célèbre sous le nom de 方言札 ou hōgen fuda, qu'on peut traduire par «écriteau de dialecte». C'était une obligation d'apprendre le japonais. Comprenons que cette intégration ne consistait pas à parler le japonais tout en conservant sa langue d'origine, puisqu'il fallait dorénavant abandonner cette dernière.

Dans l'île d'Hokkaido, les colons japonais chassèrent progressivement les Aïnous de leurs terres, sans ménagement ni indemnités; ils leur réservèrent quelques villages devenus aujourd'hui des sites touristiques pour «les Japonais de la ville». Les Aïnous furent vite soumis à un régime d’exception, qui leur interdisait toute activité culturelle traditionnelle et toute activité économique ancestrale comme la pêche et la chasse. La langue aïnoue fut interdite et les Aïnous furent forcés de prendre des noms japonais.

Langue sans écriture, l’aïnou fut progressivement délaissé avec la scolarisation obligatoire en japonais. Dès 1878, les Aïnous furent officiellement appelés "kyudojin", c'est-à-dire les «anciens aborigènes» (ou «anciens indigènes»). Le gouvernement japonais proclama sa souveraineté sur les territoires des Aïnous. Le Japon justifia l'annexion de ces territoires en 1886 en s'appuyant sur la doctrine de la Terra nullius, c’est-à-dire des terres considérées «comme n’appartenant à personne». Ce fut en 1872 la fin de l'indépendance des Aïnous.

- En Corée

La colonisation de la Corée par le Japon commença en 1905 par l'établissement d'un protectorat exercé par l'empire du Japon dans l'Empire coréen. En 1909, le général Terauchi, ministre japonais de la Guerre depuis 1902, prit en main l'administration de la Corée et fit signer par l'empereur Sunjong le traité d'annexion du 22 août 1910. Les dirigeants japonais exproprièrent de nombreux Coréens pour s’approprier leurs terres; ils contrôlèrent également les ressources naturelles coréennes. Partout où l'empire du Japon s'installait, le japonais devenait généralement la langue officielle, l'instruction était imposée dans la langue du vainqueur et les noms des villes étaient japonisés.
 

Les Japonais firent tout pour éliminer la langue coréenne et la remplacer par le japonais; la langue chinoise, enseignée depuis longtemps en Corée, fut non seulement placée au même rang que les autres langues étrangères, mais aussi reléguée au rang de «dialecte». Les écrivains coréens furent forcés de publier leurs œuvres seulement en japonais. L'enseignement de l'anglais régressa (supplanté par le japonais) et fut même interdit à la suite de la guerre entre le Japon et les Alliés. Parallèlement, l'enseignement de la langue allemande fut renforcé vers la fin de l'occupation japonaise.

- Taïwan

Occupée dès 1874, Taïwan dut adopter la langue japonaise. En 1937, tout l'enseignement fut offert uniquement en japonais et des cours du soir furent instaurés pour les enfants taïwanais qui ne maîtrisaient pas suffisamment la langue japonaise. Les résultats de la politique de japonisation furent relativement efficaces.

En 1936, on estimait que 32 % de la population de Taïwan était devenue nippophone, puis 51 % en 1940. Vers 1940, plus de 70 % des jeunes aborigènes étaient scolarisés en japonais. Les autorités japonaises obligèrent les familles à adopter des noms japonais; au besoin, elles utilisèrent des moyens répressifs contre les populations aborigènes rebelles. L'armée japonaise canonna les villages récalcitrants, n'hésitant pas à recourir aux gaz mortifères ni à relocaliser des villages entiers de haute montagne dans les plaines où la population devenait plus aisément contrôlable. Enfin, les Japonais créèrent des «réserves» d'où les aborigènes ne pouvaient pas sortir et dans lesquelles les Chinois han ne pouvaient pas pénétrer.

- En Mandchourie

En 1931, le chômage atteignait 20% de la population active du Japon. C'est alors que l'expansion militaire prit de l'ampleur, ca l'Empire avait besoin d'acquérir de nouvelles terres et de nouvelles sources de matières premières, d'où sa politique impérialiste colonialiste. Au cours de cette période, les Japonais furent convaincus de leur supériorité par rapport au reste de l’Asie, sinon au monde. Leur expansionnisme s’expliquait surtout par la volonté d’affranchir les pays asiatiques de la présence européenne afin de les contrôler. Le 19 septembre 1931, l'empire du Japon enclenchait l'invasion d'un vaste territoire du nord-est de l'Asie appelé la Mandchourie.

En Mandchourie, les Japonais tentèrent bien d'imposer leur «langue nationale», mais en adoptant une politique linguistique plus tolérante, qui admettait jusqu'à un certain point les langues locales:  le mandchou, le chinois, le mongol et le coréen, sans oublier le japonais. En fait, cette politique avait pour objectif de subordonner les langues locales autour de la langue japonaise proclamée «langue de l'État» ("kokka no gengo") avec le titre de «langue commune de l'Asie orientale». 

En 1937, une directive ordonna que la priorité devait être accordée à la langue japonaise dans tout le système d'éducation, et ce, sur toute autre langue, considérant les «liens spirituels et vertueux» qui unissaient le Japon et le Manchoukuo,  officiellement l'Empire de (Grande) Mandchourie (1934-1945), une une monarchie constitutionnelle sous le contrôle de facto du Japon.

Le Japon exigeait toutefois que les langues officielles soient le japonais, le mandchou (chinois) et le mongol, et que le japonais soit une «langue commune» plus importante que les autres. Par la suite, on introduisit le japonais dans les textes officiels au sein de l'Administration locale. Dans son projet d'expansion, le gouvernement japonais croyait envoyer après 1936 plus de cinq millions de Japonais dans le Mandchoukouo.

- Les Indes néerlandaises et les Philippines

Les Indes orientales néerlandaises furent occupées par l'empire du Japon de mars 1942 à 1945. L'occupation japonaise fut le premier défi à la domination néerlandaise dans l'archipel. Les Pays-Bas, déjà sous occupation allemande, ne furent guère capables de défendre leur colonie contre l'armée impériale japonaise. Au début de l'invasion, les Indonésiens accueillirent les Japonais en libérateurs, mais lorsqu'ils furent victimes de tortures, d'esclavage sexuel, d'arrestations et d'exécutions arbitraires et d'autres crimes de guerre, ils changèrent d'avis. La promotion du japonais dans les Indes néerlandaises se heurta rapidement à un mur de béton, car cette langue entrait en concurrence avec le tagalog. Néanmoins, le japonais réussit à éliminer le néerlandais et à introduire le japonais. L'occupation japonaise marqua la fin de la colonisation néerlandaise, tandis que les changements qu'elle provoqua rendirent possible en 1945 la révolution nationale indonésienne, encore impensable trois ans auparavant.

L'occupation japonaise aux Philippines (1942-1945) fut entravée par une forte résistance armée, de sorte que les Japonais n'ont jamais pu contrôler la totalité du pays. Cela n'empêcha pas les Japonais d'introduire le tagalog dans le but d'éliminer l'espagnol et l'anglais, alors des langues officielles. Toutefois, le court laps de temps pendant lequel le Japon occupa l'archipel ne fut pas suffisant pour que les Japonais établissent la base de leur culture et de leur langue chez les Philippins. Il en fut ainsi en Malaisie britannique.

- Les îles du Pacifique

Dans le Pacifique, les îles Palau (ou Belau) furent placées officiellement sous mandat japonais par la Société des Nations; les Japonais y établirent une base navale. Durant l'occupation nippone, le japonais fut employé comme une langue commune et son influence dure encore aujourd'hui: par exemple, le petit État d'Angaur (env. 120 habitants) a conservé le japonais comme langue co-officielle avec l'angaur (ou paluan) et l'anglais. Aux îles Mariannes et à Guam, l'occupation japonaise parut difficile aux insulaires, car les Japonais interdirent la langue chamorro ainsi que toutes les autres langues locales. C'est à cette époque que sont apparus les panneaux de signalisation routière en japonais. De plus, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'armée japonaise annonça officiellement que toute personne qui utiliserait le «dialecte local» serait considérée comme un espion et fusillée.

Après avoir perdu la Seconde Guerre mondiale, le Japon dut abandonner son idéologie d'«une nation, un peuple». En effet, la Constitution libérale et démocratique imposée par les Américains promettait l'égalité de tous les citoyens japonais. La nouvelle Constitution entra en vigueur le 3 mai 1947.

- La langue nationale de l'ancien empire

Si l'on fait exception des territoires japonais actuels, c'est-à-dire l'île d'Okinawa, les îles Ryūkyū et l'île d'Hokkaido, il n'existe pratiquement plus aucune de trace de la langue japonaise dans les anciens protectorats et les régions conquises par les Japonais, encore moins dans les îles du Pacifique au cours des années 1941 et 1942. On estime que 126,2 millions de locuteurs parlent le japonais comme langue maternelle, et plus de 125 000 comme langue seconde.

En effet, toutes les langues locales (p. ex., le coréen, le vietnamien, l'indonésien, le filipino, le malais, etc.) ont repris leur place, bien que, dans de nombreuses îles du Pacifique (Papouasie-Nouvelle-Guinée, Salomon, Belau, Mariannes, Marshall, Nauru, etc.), l'anglais exerce une sérieuse concurrence à ces langues (paluan, tuvaluan, nauruan, carolinien, chamorro, gilbertin, etc.). Bref, dans le Pacifique, les langues de la grande famille austronésienne doivent affronter les langues impériales comme l'anglais et, dans une moindre mesure, le français (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna). 

En somme, les empires espagnol, portugais, français, britannique et russe ont obtenu pas mal plus de succès avec leur langue nationale respective que l'empire du Japon avec le japonais.

Dernière mise à jour: 14 nov. 2023

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