Royaume du Maroc |
Maroc(2) Données historiques |
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Les vestiges paléolithiques révèlent que la
région est habitée depuis environ 10 000 ans. On sait aussi que les populations, qui
s’installèrent peu après, étaient probablement originaires de l’Europe et de
l’Asie. Elles donnèrent naissance aux ancêtres des Berbères. Nous savons peu de
choses de la langue de ces peuples qu'on a appelée «libyque»,
et ce, d'autant plus que leur
écriture semble encore quasi indéchiffrable tout en présentant des similitudes avec le tifinagh
des Touareg. Les langues berbères furent introduites sur le territoire
depuis au moins 5000 ans et, de fait, le berbère est la langue la plus ancienne
attestée au Maroc.
Au VIIe siècle avant notre ère, les Phéniciens fondèrent des comptoirs
commerciaux sur la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord à l'intérieur de
territoires portant des
noms d’origine berbère, tels que Tingi (Tanger),
Casablanca et Russadir (Melilla). Les Phéniciens introduisirent le phénicien,
mais la civilisation phénicienne
resta marginale, car son influence semble ne pas avoir pénétré profondément à
l’intérieur des terres où des royaumes berbères furent fondés: celui de
Maurétanie ou «pays des Maures», apparu au IVe siècle avant notre ère dans le nord du Maroc, et celui
des Masaesyles, à l’est.
Après la chute de Carthage en 146 avant notre ère, l'Empire romain eut du mal à
étendre son influence à l'intérieur du pays du fait de la résistance des
Berbères. Les Romains se contentèrent d'abord d'assurer leur domination de tout le littoral africain baigné par la
Méditerranée, d'est en ouest (jusqu’au détroit de Gibraltar). C'est de cette époque que date
pratiquement le partage territorial du Maghreb entre ce qui allait
devenir le Maroc et l’Algérie. Les Romains s’allièrent avec Bocchus, un roi
berbère qui régnait sur toute la région à l’ouest de la Moulouya
(fleuve du Maroc oriental, tributaire de la Méditerranée). Durant la période romaine, des routes furent construites
et des villes furent
fondées; l’agriculture se développa, tandis que le commerce prospérait. Le latin
s'implanta peu dans la région au cours de cette période d'occupation. Entre 25 et 23 avant notre ère, le souverain berbère Juba II administra la région appelée Mauretania (ou Maurétanie correspondant à l'actuelle Algérie et à l'actuel Maroc). Vers 42 de notre ère, l’empereur romain Claude Ier annexa l’ensemble de la Mauretania à son empire, puis la divisa en deux provinces: la Maurétanie tingitane (de Tanger), correspondant au Maroc actuel, et la Maurétanie césarienne (l’Algérie actuelle). Mais les Romains n'ont contrôlé que le nord du pays parce que la résistance berbère obligea les Romains à se replier dans la région de Tanger. Au cours de cette période, les populations berbères conservèrent leur langue, bien que le latin soit devenu la langue administrative. À partir du IVe siècle, le christianisme se développa après la conversion à la nouvelle religion de l'empereur Constantin. |
À l'arrivée des Vandales en 429, le présence chrétienne s'est maintenue, mais les envahisseurs germaniques se fondirent dans les populations locales. Le général byzantin Bélisaire reprit la région en 533 et y imposa les lois de l’Empire byzantin. Néanmoins, cette reconquête fut limitée dans l’espace, seul le Nord fut solidement maintenu. Au point de vue linguistique, la région était aux prises avec les langues berbères, le latin des populations romanisées et le grec comme langue administrative.
Le prophète Mahomet mourut en 632. Dix ans plus
tard, les armées du calife occupaient l'Égypte.
La conquête de l'Afrique du Nord par les Arabes nécessita huit campagnes militaires, soit de 649 à 715. Ce n’est qu’à la cinquième campagne (681-683) que le Maghreb fut atteint par l'offensive arabe. Cependant, la région ne fut définitivement islamisé qu'après 1720. Il fallut plus d’un demi-siècle pour que les Berbères s'associent aux premiers mouvements arabes d'Afrique du Nord pour la conquête de l’Espagne. La conquête musulmane commença au Maroc avec une première expédition menée par Oqba ibn Nafi (681). Mais les tribus berbères montagnardes, qui n’avaient pas plus accepté la domination de Byzance que celle de Rome, les obligèrent à se replier. La véritable conquête musulmane débuta une vingtaine d’années plus tard, c'est-à-dire entre 705 et 707, sous la direction de Musa ibn Nusayr, qui sut profiter des clivages entre les tribus berbères pour les soumettre. |
2.1 L'islamisation des Berbères
Les musulmans manquèrent de cadres administratifs; ils les trouvèrent
souvent chez les «mawalis» (affranchis ou clients), les lettrés chrétiens et les
juifs autochtones (des Berbères pratiquant le judaïsme). L’implantation arabe
fut cependant longue et difficile, car les Berbères résistèrent autant à
l'arabisation qu'à l'islamisation. Cette résistance prit, entre autres, la forme du kharijisme,
un mouvement musulman contestataire et égalitaire s’appuyant sur une stricte
lecture du Coran et récusant le mode de succession du califat, qui privilégiait
l’appartenance à la lignée du Prophète. En 742, une
révolte éclata dans les montagnes marocaines, mais les Berbères finirent pas
s'islamiser complètement, sans jamais s'arabiser.
Les tribus berbères contrôlèrent néanmoins leur territoire jusqu'à l'apparition
d'Idris Ier en 788, qui fonda la dynastie arabe des Idrissides
(789-974). et œuvra pour l'unification des Berbères dans un cadre indépendant
du califat. C’est de cette époque que date la fondation de
la ville de Fès, qui devint un important centre religieux et intellectuel sous
le règne d’Idris II. À sa mort en 828, le royaume idrisside entra dans une
période de déclin.
2.2 Les dynasties berbères (XIe au
XVIe
siècle)
À partir du IXe siècle,
le Maroc fut dirigé par trois dynasties successives et qui tentèrent d'imposer
leur autorité sur les régions musulmanes.
Les Almoravides (de l’arabe al-Murabitun: le murabit était celui qui pratiquait
la défense de l’islam par les armes et menait une vie pieuse), des Berbères
islamisés du Sud marocain, dirigés par Youssouf ibn Tachfine, conquirent le
Maroc et fondèrent un empire, avec Marrakech comme capitale en 1062, englobant l'ouest de l'Algérie et l'Espagne
musulmane. Les Almoravides fondèrent Marrakech en 1062. Les descendants de la
dynastie se heurtèrent à la résistance chrétienne en Espagne. Au début du XIIe
siècle, l’empire almoravide comprenait l’Espagne musulmane, le
Maghreb occidental et central et le Sahara.
Dans la première moitié du XIIe siècle, une autre dynastie, celle des Almohades (de l’arabe al-muwahhidun, les «unitaires»), marqua le triomphe des Berbères sédentaires de l’Anti-Atlas. À l’apogée de leur puissance, les Almohades exercèrent leur autorité sur l’actuelle Algérie, la Tunisie, la Libye, ainsi que sur une partie du Portugal et de l’Espagne (voir la carte détaillée). Le Maghreb musulman en profita pour se libérer également de la tutelle de l’Orient. Mais en 1212, les forces musulmanes furent vaincus sur le sol de l'Espagne lors de la bataille de Las Navas de Tolosa. Ce fut le déclin des Almohades et de l’Espagne musulmane.
C'est alors que les Beni Merin (ou Mérinides), des Berbères arabisés, en profitèrent pour se soulever. En 1269, ils prirent le pouvoir et fixèrent leur capitale à Fès. Ils ne ne réussirent pas à maintenir longtemps leur empire, car ils durent faire face à l’avancée chrétiens, la Reconquista («reconquête») espagnole gagnant le territoire marocain lui-même.
Par la suite, les Espagnols et
les Portugais se partagèrent les côtes de l'Afrique du Nord: l'Espagne
s'appropria les rivages
méditerranéens, tandis que le Portugal s'empara du littoral atlantique. Au cours de cette
période, les populations berbères s'étaient certes islamisés, mais ils ont
toujours su conserver leurs langues.
2.3 Les dynasties chérifiennes (XVIe et
XVIIe
siècles)
La progression des Européens provoqua la réaction des Beni Saad (ou Saadiens),
chérifs descendant du Prophète et installés aux confins du Sahara dès leur
arrivée d'Arabie au milieu du XIVe siècle. Les Saadiens prirent la direction de
la guerre sainte («jihad») contre les Portugais, qu’ils chassèrent d’Agadir en 1541
pour s'attaquer ensuite aux successeurs des Mérinides, les Wattassides. Ils se rendirent maîtres du
Maroc en 1554 avec la prise de Fès.
Le sultan Ahmad al-Mansur, le plus illustre souverain de la dynastie, s'opposa
aux Turcs déjà maîtres de l'Algérie et de la Tunisie, et rétablit l'ordre dans
le pays en le dotant d'une solide organisation.
Sous son règne, le
pays connut un âge d'or marqué par le développement de l'agriculture
et l'édification de monuments prestigieux. Après la mort de
al-Mansur, le pays fut à nouveau partagé par les puissances locales,
parmi lesquelles figure celle des chérifs alaouites dans le
Tafilalet, aux portes du désert. Grâce au prestige que leur
accordait leur ascendance alaouite, ils s’appuyèrent sur le désir
d’indépendance des habitants de la région pour se poser en
prétendants au trône. En 1664, Moulay Rachid fonda la dynastie
alaouite, qui règne encore de nos jours sur le Maroc. La dynastie alaouite connut son apogée sous Moulay Ismaïl (1672-1727), le bâtisseur de Meknès et le monarque marocain le plus célèbre en Occident. Il s’engagea dans la reconquête du pays sur les chrétiens (Espagnols et Portugais occupant des ports) et mena la lutte contre les Ottomans. Son règne fut suivi d’une longue période de rivalités familiales, ponctuées de brefs interludes de paix et de prospérité relatives. Vers la fin du XVIIIe siècle, il ne restait plus que le tiers septentrional du Maroc qui demeurait sous l’administration du sultan: c’était le Bled el-Maghzen, pays soumis à l’impôt, donc à l’autorité chérifienne, tandis que le reste du pays se trouvait en situation de quasi-insoumission (Bled el-Siba, «pays de la dissidence»). Cet état d'affaiblissement du royaume chérifien ne pouvait que tenter les puissances européennes à un moment où elles cherchaient à étendre leurs colonies. |
2.4 La pénétration européenne (1833-1912)
La prise d'Alger par les Français en 1830, très mal accueillie au Maroc, amena
le sultan Moulay Abd al-Rahman (1822-1859) à soutenir l'émir Abd el-Kader dans
sa lutte nationaliste.
En tentant de reprendre les villes de Ceuta et Melilla, les Marocains déclenchèrent
une expédition espagnole qui s’empara de Tétouan en 1860. L’affaiblissement du
Maroc, contraint de payer d’importantes indemnités de guerre, souleva
les rivalités entre les Européens.
Entre 1900 et 1903, la France occupa une partie du Maroc. Puis, en 1904, la France,
la Grande-Bretagne et l’Espagne conclurent des accords qui prévoyaient un
partage du Maroc. L’Espagne conservait son influence sur le Rif, dans
l’arrière-pays de Ceuta et de Melilla; la Grande-Bretagne renonçait à ses visées sur
le reste du pays au bénéfice de la France, en contrepartie de l’abandon de
celles de la France sur l’Égypte. La conférence d’Algésiras d'avril 1906 plaça
le Maroc sous la tutelle des puissances européennes, tandis que l'influence
prépondérante de la France s'affirmait avec l'envoi de troupes à Casablanca. En
1911, assiégé dans Fès par les Berbères révoltés, le sultan Moulay Hafiz fit appel à la France.
L’accord franco-allemand du 4 novembre 1911 donna à la France les mains libres
au Maroc, hormis les territoires laissés à l’Espagne. Le 30 mars 1912, le sultan
Moulay Hafiz se résolut à signer le traité de protectorat qui
mettait son pays sous la tutelle française.
Après l'abdication de Moulay Hafiz en faveur de son frère Moulay Youssef, la «pacification» du pays commença sous la conduite du général Louis Hubert Gonzalve Lyautey. La ville de Marrakech fut occupée en septembre 1912, et Agadir l’année suivante. Jusqu’en 1925, Lyautey, nommé «résident général» du Maroc (de 1912 à 1926), s’efforça de mener une politique respectueuse envers les habitants du pays; il parlait l'arabe. Il pratiqua une politique berbériste tout en affichant officiellement un certain égalitarisme. Il laissera une trace profonde dans la société et l'urbanisme marocains. Il croyait que «la France se doit d'être une grande puissance musulmane». Rappelé à Paris, il assuma les fonctions de ministre de la Guerre de décembre 1916 à avril 1917. En raison de basses manœuvres politiques, il démissionna et retourna au Maroc qu'il administra durant huit années. Il fut élevé à la dignité de maréchal de France le 19 février 1921. C'est Lyautey qui aurait dit: «Une langue, c'est un dialecte qui possède une armée, une marine et une aviation.» |
Toutefois, l'occupation française, renforcée
par l'arrivée massive de colons, provoqua de nombreuses révoltes nationalistes
dont la plus importante, la guerre du Rif, dirigée par Abd el-Krim, se
poursuivit de 1921 à 1926. Elle ne put être matée que par une alliance militaire franco-espagnole
dirigée par le maréchal Pétain, à la tête d’une force de près de 100 000 hommes; le Haut-Atlas ne fut soumis officiellement qu’en 1934. La vallée du Draa et
les oasis du Sud restèrent encore longtemps en état de dissidence. On
estime qu’entre 1921 et 1934 la conquête du Maroc coûta la vie de 27 000 hommes
à la France (métropolitains et troupes africaines).
3.1 Le dahir berbère
À partir de 1830, la France avait tenté de calmer les Berbères, qui représentaient à l'époque 57 % de la population. L'Administration coloniale publia ce qu'on a appelé par la suite au Maroc le «dahir berbère» (16 mai 1930). Il s'agit d'un décret français (appelé dahir au Maroc) qui reconnaissait la spécificité des Berbères par rapport à l’administration arabe. Plus précisément, ce dahir avait pour but l’adaptation de la «justice berbère» aux conditions propres de l’époque et, de ce fait, correspondait à l’esprit de la politique inaugurée au Maroc par le général Lyautey quand il signa le dahir du 11 septembre 1914. Le dahir du 16 mai 1930 concernait toutes les tribus où l'usage du droit coutumier berbère était en pratique, indépendamment de leur origine ethnique et raciale. Il distinguait les «tribunaux modernes» (français), les «tribunaux religieux» (la Charia) et les «tribunaux coutumiers» (p.ex., la réglementation de la distribution des eaux des rivières entre les familles d'une même tribu). Le but était de préserver l’autonomie traditionnelle des Berbères, essentiellement dans le domaine juridique, en les soustrayant à la législation islamique de la Charia. Par ailleurs, le dahir berbère ne traitait pas de la langue, il n'y fait même aucune allusion (voir le texte du célèbre dahir).
Mais les Arabes, ainsi que les fonctionnaires coloniaux, crurent que si les Berbères pouvaient être préservés de toute influence arabe, et musulmane, il serait possible d’en faire des «Français» par le canal des juridictions françaises, des écoles françaises et de la religion chrétienne! Paul Marty, un officier français, exprima clairement et officiellement, en 1925, ce que devrait être la politique berbère du Protectorat. Pour lui, l'assimilation des Berbères n'était possible que grâce aux écoles franco-berbères, dont il définissait ainsi la forme et la fonction:
L’école franco-berbère, c’est donc l’école française par l’enseignement et la vie, berbère par les élèves. Donc, pas d’intermédiaire étranger. Tout enseignement de l’arabe, toute intervention du "fquih", toute manifestation islamique seront rigoureusement écartés... En résumé, ces écoles berbères seront autant des organismes de politique française et des instruments de propagande que des centres pédagogiques proprement dits. |
Pour ce faire, il aurait fallu que les Berbères manifestent la volonté d'opter pour la «nationalité française», une attitude peu probable de leur part. Une autre difficulté résidait dans le fait que la France puisse accepter d'accorder aux Marocains la nationalité française et d'en faire des citoyens à part entière, ce qui n'était guère dans les intentions de la France, du moins à cette époque.
Ce dahir de 1830 entraîna la première réaction nationaliste des milieux arabisés, qui accusèrent la France de vouloir diviser le pays au profit des Berbères pour mieux assurer son autorité. C’est d’ailleurs à la même époque que se constitua le Comité d’action marocaine, le premier parti politique réclamant la fin de l’administration directe. Or, la France voulait d’une manière ou d’une autre s’immiscer dans les affaires religieuses des Marocains. Ce dahir de mai 1930 n'était qu'un dahir comme les autres, mais les milieux nationalistes arabes ne l'ont pas perçu ainsi.
3.2 La langue des colons français
Rappelons que le Maroc, au temps du protectorat, abritait plus d'un demi million de Français, qui y détenaient les leviers de commande et dominaient le secteur économique; on peut mesurer l'importance de ce dahir (ou décret) pour eux. On peut penser que les Français habitant le Maroc préféraient recourir aux tribunaux de juridiction française pour défendre leurs intérêts. Fort peu de Marocains ont dû se prévaloir de ces tribunaux dits «modernes» pour faire valoir leur droit, et ce, d'autant plus que tous, tant les Arabes que les Berbères, s'opposaient à l'application du code pénal français. Les Berbères préféraient, par exemple, cacher les membres de leur famille dans les montagnes, les armer d'un fusil et les approvisionner, plutôt que de les faire arrêter par la gendarmerie française. Le nombre des maquisards, appelés «bandits d'honneur» a été estimé à 1300 individus à la veille de la guerre de l'indépendance. Groupés en unités paramilitaires, ils n'attendaient généralement qu'un signe pour entrer en rébellion contre les autorités françaises.
Le français ne fut vraiment fut implanté au Maroc à partir du protectorat en 1912. Cependant, la langue française en matière d’enseignement demeura toujours limitée pour les enfants marocains musulmans. En 1935, à peine 2 % des enfants marocains scolarisables fréquentaient l’école française. Malgré les efforts tardifs des autorités coloniales pour augmenter la scolarisation à l'ensemble de la population, la scolarisation ne toucha qu’un très faible public de Marocains. La multiplication des écoles dites «populaires» favorisa surtout la diffusion du français dans les villes et les banlieues, où vivaient 93 % des colons français. La présence étrangère entraîna certaines «habitudes linguistiques» qui se manifestèrent, par exemple, dans l'affichage public ainsi que sur les enseignes des magasins, des cafés ou des restaurants. À la veille de l’indépendance, le nombre de cadres marocains formés dans le système scolaire, qui avait été mis en place par les autorités coloniales, demeurait relativement très restreint avec plus de 3600 titulaires du certificat d’études primaires, plus de 500 titulaires du brevet et plus de 260 bacheliers.
Puis la France, déjà engagée dans la guerre d'Algérie, devait
également faire face à la révolte nationaliste en Tunisie et sortait
à peine de la guerre en Indochine. Elle décida alors de s’orienter
vers une solution politique : le sultan fut rappelé au Maroc. Le
gouvernement d’Edgar Faure négocia les modalités de la
déclaration de La Celle - Saint-Cloud (novembre 1955), qui déboucha sur
l’indépendance du pays le 3 mars 1956. Le sultan du Maroc signa un traité
d’amitié avec la France qui allait maintenir ainsi des forces armées au Maroc
jusqu’en 1963. En août 1957, le sultan qui jouissait
déjà d’une immense popularité se
proclama roi du Maroc, sous le nom de Mohammed V. Le roi Mohammed V (1909-1961) avait dû accepter l’indépendance de son pays amputé des enclaves espagnoles et ne comprenant pas les territoires que les nationalistes, au nom de l’histoire, estimaient marocains, c'est-à-dire tout le Sahara jusqu’au Niger et au Sénégal: autrement dit, la région de Tindouf, qui faisait partie de l’Algérie française, le nord de l’actuel Mali jusqu’à Tombouctou, la Mauritanie et le Sahara-Espagnol. Même s'il ne renonçait pas définitivement à ces territoires, le roi considérait néanmoins que l’indépendance immédiate était préférable. Pour les Marocains, Mohammed V aura été le principal artisan de l'indépendance de leur pays. Il est considéré par beaucoup comme le «Père de la nation marocaine moderne» (ab al watan al maghribi). Il décéda en 1961. |
Dès le lendemain de l'indépendance, la politique d'arabisation s'est imposée parce qu'il s'agissait d'effacer la trace coloniale en valorisant un passé certes prestigieux, mais aussi idéalisé. C'était également une sorte de légitimation de la nouvelle autorité marocaine face à l'ancienne autorité coloniale. Le roi Mohammed V a bien voulu arabiser le Maroc, mais dans l'euphorie de l'indépendance l'improvisation a eu raison de la politique d'arabisation. En effet, en 1957, le ministre de l'Éducation de l'époque, Mohamed El Fassi, avait décidé d'arabiser l'éducation. Le roi Mohammed V avait même invité solennellement les Marocains à envoyer leurs enfants à l'école. Cependant, la rentrée scolaire ne s'est pas passées comme prévue. Mohamed Chafik, l'une des grandes personnalités du mouvement culturel berbère, avait alors déclaré : «Nous avons été obligés de revoir à la baisse nos exigences concernant les enseignants d'arabe. Au point de recruter, in fine, des cordonniers et des graisseurs.» Ce n'est pas tout à fait exact, car en réalité on a été cherché des instituteurs égyptiens et saoudiens qui ont eu comme objectif de transmettre leurs valeurs wahhabites avec le résultat qu'ils ont contribué à islamiser les écoles. Au bout d'une saison scolaire, le ministre avait abandonné son projet d'arabisation en affirmant: «Il faudra très longtemps pour que l'arabe devienne une langue de communication internationale.»
4.1 L'unification du royaume et l'arabisation
Le roi Hassan II, monté sur le trône en 1961, promulgua en 1962 une nouvelle constitution établissant un parlement à deux chambres. Il entérina la politique d'arabisation de l'enseignement et de l'Administration, une politique commencée en 1957, alors que le français avait été déclaré «langue étrangère». Une fois le Maroc indépendant, les revendications nationalistes devinrent réelles avec la question linguistique, qui se posa assez rapidement pour des raisons de légitimité et d’identité. Le Conseil supérieur de l'Éducation nationale exigea que l'arabe devienne la seule langue d'enseignement. En réalité, l'arabisation s'inscrivait dans une logique de décolonisation au moyen d'un processus de légitimation et de défense de la langue arabe. Le Conseil supérieur de l'éducation décida de tout arabiser. Ce furet un branle-bas de combat, des colloques et de multiples déclarations d'intentions. Finalement, le ministre Mohamed Benhima affirma, lors d'une conférence de presse, le 6 avril 1966, que le niveau de l'enseignement est compromis par une arabisation hâtive, par la généralisation de l'enseignement et par la marocanisation. Il proposa de revenir à l'enseignement scientifique en français et d'instaurer une sélection à l'entrée du secondaire. Il constata que l'arabisation totale de l'enseignement primaire conduisait à une impasse, puisqu'il apparaissait impossible pour le moment d'enseigner les disciplines scientifiques en arabe.
N'oublions pas que, comme dans tous les autres pays arabophones (à l'exception de Malte), l'arabe préconisé n'était pas l'arabe du peuple (l'arabe marocain), mais celui du Coran. L'arabité et l'islamité formèrent les piliers d'une réappropriation identitaire. Finalement, le choix de l'arabe classique comme langue officielle eut pour effet d'évacuer en même temps le français en tant que symbole du colonialisme et le berbère perçu comme un symbole de division de la société marocaine. C'est Allal Al-Fassi (1906-1974), fondateur du nationaliste de l’Istiqlal, ministre d’État chargé des Affaires islamiques et membre de l'Académie de langue arabe de Damas et du Caire, qui avait entreprit l'arabisation du Maroc, bien que plus de 80% de la population marocaine à l’époque fût d'origine berbère. En 1970, plusieurs personnalités marocaines avaient signée un manifeste prônant l'arabisation.
Le régime du roi
Hassan II demeura autoritaire durant tout le règne. En juin 1965, après des émeutes populaires
sévèrement réprimées, le roi suspendit le Parlement et assuma les pleins
pouvoirs, occupant également la fonction de premier ministre. Le roi échappa à
deux attentats (le 10 juillet 1970 et le 16 août 1972).
Hassan II a soutenu la cause arabe en 1967 lors de la guerre contre Israël et s’est employé à consolider l’unité arabe, en fondant le comité Al-Quds (nom arabe de «Jérusalem») en faveur du retour de la Ville sainte à l’islam, tout en nouant des relations discrètes avec les Israéliens. En 1970, un nouveau référendum constitutionnel renforça les pouvoirs de l’Exécutif. Pourtant, en 1971, à Skirat, et en 1972, au cours d’un voyage en avion, Hassan II échappa à deux attentats, dont le dernier avait été fomenté par le général Mohamed Oufkir (1920-1972), alors ministre de l'Intérieur, qui fut aussitôt exécuté. Face au malaise social et aux critiques nationales et internationales concernant les violations des droits de l’Homme, Hassan II multiplia les offres d’ouverture vers l’opposition. |
Hassan II fut l'instigateur de la «Marche verte» sur le Sahara espagnol (6-9 novembre 1975), qu'il annexa peu après. Les Espagnols quittèrent la région en 1976 et cédèrent les deux tiers du nord de leur colonie au Maroc et le tiers du Sud à la Mauritanie. Celle-ci se retira du conflit en 1979, et le Maroc occupa alors le territoire abandonné. Dès lors, le Maroc va commencer une politique de marocanisation dans le Sahara occidental à l'égard des Sahraouis.
Au Maroc, au cours de la plus grande partie de son règne, Hassan II ignora la question berbère (amazighe) et réprima sévèrement les militants pro-berbères. En 1979, un projet de création d'un Institut national d'études et de recherches amazighes fut officiellement évoqué, mais il ne vit jamais le jour.
Mais la politique d’arabisation fut freinée par la réémergence de l’arabe marocain et de la langue berbère. Cette dernière fut d'abord marginalisée par l’arabisation précipitée, puis est devenue avec le temps comme l'une des langues légitimes du peuple marocain.4.2 La montée islamiste
Aux contestations républicaines s’ajouta, au cours de la même période, l’essor d’un mouvement islamiste. Commandeur des croyants, descendant du Prophète et fondateur du comité Al-Quds, Hassan II s’employa à neutraliser les islamistes sur leur terrain en lançant la construction d’une immense mosquée à Casablanca dotée d’un minaret de 172 m (le «Phare de l’islam»), inaugurée en 1988. Après de nouvelles émeutes populaires à Fès, en 1990, Hassan II gracia, en 1991, quelque 2000 détenus. La même année, la Charte d'Agadir fut élaborée, ce qui correspondait au premier document officiel présentant les revendications culturelles et linguistiques des Berbères du Maroc. La Charte propose une modification constitutionnelle laissant la place à la langue amazighe à côté de la langue arabe. Le 20 août 1994, le roi Hassan II déclara :
Au moment où nous engageons une réflexion nationale sur l'enseignement et les cursus, il convient d’envisager l'introduction, dans les programmes, de l'apprentissage des dialectes, sachant que ces dialectes ont contribué, au côtés de l’arabe, la langue mère, celle qui a véhiculé la parole de Dieu […] au façonnement de notre histoire et de nos gloires. |
Destinés à calmer les esprits, ces propos, perçus par tous comme une véritable promesse, constituèrent une amorce vers la reconnaissance de la langue amazighe. Cependant, les termes employés demeuraient vagues et les échéances relativement à son enseignement, encore plus imprécises. C'est pourquoi ce discours royal ne se traduisit par aucune application immédiate en matière d'enseignement. D'ailleurs, en 1994, lors de la commémoration du 1er mai à Goulmima dans le Sud-Est marocain, des militants berbères défilèrent avec des banderoles écrites en alphabet tifinagh en revendiquant la reconnaissance officielle de la culture et des langues berbères. Deux jours plus tard, le 3 mai, sept d’entre eux furent arrêtés par la police sur ordre du gouverneur de la province. Ensuite, ils furent jetés en prison et durent répondre à certains chefs d’inculpation : «Atteinte à la sécurité intérieure de l’État», «Incitation au dépassement des institutions» et «Atteinte à la Constitution». Le procès eut lieu 17 mai, mais les détenus berbères refusèrent de s'exprimer en arabe devant le tribunal. Ils furent condamnés à trois peines de prison et à de lourdes amendes. À la suite d’une mobilisation massive du mouvement berbère, des organisations des droits de l’Homme firent pression pour faire libérer les détenus politiques; ils obtinrent la «grâce royale» et furent amnistiés le 3 juillet 1994. Par la suite, l'Administration s'est toujours opposée à toute commémoration berbère. La libéralisation du régime de Hassan II n'a jamais concerné les revendications berbères.
4.3 Fermeture des frontières avec l'Algérie (1994)
Les frontières entre le Maroc et l'Algérie sont fermées depuis 1994. La langue peut constituer une pomme de discorde entre des pays. En août 1994, le Maroc a annoncé qu'à compter de la prochaine rentrée scolaire la langue berbère (amazigh) serait enseignée dans toutes les écoles primaires du pays. Aussitôt, les associations berbéristes algériennes, dont c'est l'une des principales revendications, sont montées aux barricades. Ainsi, le Mouvement culturel berbère (MCB) annonça qu'il «boycotterait la prochaine rentrée jusqu'à l'introduction de la langue amazigh dans l'enseignement». Or, l'Algérie ne désirait surtout pas recevoir des leçons de la part du Maroc concernant le statut du berbère, et ce, d'autant plus qu'au même moment les islamistes menaçaient les enseignants et les écoles au risque de compromettre la rentrée des classes en Algérie.
Le 24 août 1994, des terroristes français d'origine algérienne
perpétrèrent un attentat à l'hôtel Atlas Asni de Marrakech. Le Maroc
crut que les services secrets algériens étaient impliqués; il décida
alors d'expulser les ressortissants algériens sans carte de séjour
et d'instaurer un visa obligatoire pour les individus désirant se
rendre au Maroc. L'Algérie répondit à ces mesures par une fermeture
totale des frontières terrestres et s'opposa fermement à leur
réouverture, même une fois levée l'obligation de visa par le Maroc. Évidemment, la fermeture qui perdure depuis plus de deux décennies semble justifiée par les frustrations accumulées après la récupération du Sahara occidental par le Maroc et ensuite par le fameux «mur de défense» ou «mur marocain» construit par les Marocains avec l’aide d'experts américains et israéliens. Par le fait même, le Maroc se trouvait à remettre en question le traçage des frontières héritées du colonialisme français et espagnol. Depuis l'occupation du Sahara occidental par le Maroc, des dizaines de milliers de ressortissants sahraouis ont trouvé refuge près de la petite municipalité de Tindouf en Algérie. En 2008, sa population était estimée à environ 46 000 habitants auxquels il faut y ajouter plus de 90 000 réfugiés sahraouis qui sont répartis dans cinq camps situés non loin de Tindouf. Les Sahraouis y vivent dans des conditions austères, ce qui les rend extrêmement vulnérables. Il n'y a pas d'électricité, sauf quelques heures par jour, pas de toilettes et très peu de produits ou de nourriture disponibles sur le marché; c'est pourquoi les réfugiés vivent exclusivement de l'aide humanitaire. Le Maroc contrôle aujourd'hui 80 % du territoire sahraoui. |
Rejetant le raidissement dictatorial qui marquait l’Algérie et l’immobilisme politique de la Tunisie et de la Libye, le royaume chérifien signa, en novembre 1995, avec l’Union européenne un important accord de libre-échange qui concrétisait le souhait du Maroc de jouer le rôle d’un pont entre l’Europe et l’Afrique. En 1996, le roi désigna son fils aîné, le prince héritier Sidi Mohammed, comme son successeur au trône. Miné par la maladie, le souverain s'attacha à régler la question des «disparus», qui jetait une ombre sur son règne. Le décès d'Hassan II survint le 23 juillet 1999.
Sidi Mohammed, âgé de 36 ans, monta le 23 juillet 1999 sur le trône du Maroc sous le nom de Mohammed VI. Peu de temps après son intronisation, le nouveau roi s'adressa à son pays par la télévision, et promit de s'occuper de la pauvreté, de la corruption, de créer plus d'emplois et d'améliorer les droits de l'Homme. Mohammed VI est généralement opposé aux conservateurs islamistes et son soutien au pluralisme politique lui a mis à dos les fondamentalistes.
5.1 La cause berbère
Quant à la
question berbère, Mohammed VI a, en quelques années, fait davantage avancer la cause
berbère qu'en trente-huit ans de règne de Hassan II (son père). Le manifeste amazigh, qui a lancé en 2000
la renaissance du mouvement, replace l'identité marocaine, arbitrairement
définie jusque là comme «arabe». Dans un discours où il annonçait la création de
l'Institut royal de la culture amazighe, Mohammed VI a évoqué «notre identité
amazighe et arabe», ce qui correspond à un langage d'ouverture manifeste.
Afin de consolider l’état de droit, le roi a élargi
l’espace des libertés, comme en témoignent la réforme et l’actualisation du Code
des libertés publiques, relativement à la création des associations, aux
rassemblements publics et à la presse.
De plus, lancé à titre expérimental dans 317 écoles du royaume, l'enseignement du tamazight devait être généralisé en 2010, selon les projections du ministère de l'Éducation, qui a lancé une vaste campagne de formation de plus d'un millier d'enseignants berbérophones. Puis le ministère marocain de l'Éducation a reporté la généralisation de l'enseignement de l'amazigh pour 2013 sur tout le territoire national; pour ce faire, il a besoin de former plus de 20 000 enseignants spécialisés dans cette matière. |
En avril 2003, la municipalité de Nador (dans le Rif), sur la base du dahir instituant l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe) ainsi que sur la décision approuvant le tifinagh comme transcription de l'amazigh, avait pris l’initiative d’écrire des panneaux de signalisation et les noms de rue en tifinagh dans le territoire de la municipalité, sous format bilingue (avec l'arabe). Les citoyens découvrirent ces affiches le matin du 29 avril 2009. Dans les heures qui suivirent, le ministère de l'Intérieur ordonna aux autorités locales d'enlever toute trace d'écriture tifinaghe sur les panneaux de signalisation de la municipalité de Nador et de saisir tous les documents dans les bureaux de la Ville portant les signes du tifinagh. Le ministère de l’Intérieur invalida la décision du conseil municipal de Nador autorisant l'usage du tifinagh et de l'alphabet arabe sur les panneaux de circulation et les noms de rue, sous prétexte que l'arabe est l'unique langue officielle en vertu de la Constitution. Vu sous cet angle, l'emploi du français sur les panneaux de signalisation et les odonymes (rues) dans tout le Maroc est tout aussi illégal. Dans les faits, le Maroc apparaît comme un pays résolument bilingue, puisque le français côtoie l'arabe dans la signalisation routière, les panneaux d'affichage et la publicité commerciale.
Ainsi, encore aujourd'hui, la reconnaissance officielle de l'identité berbère semble difficile à obtenir malgré les efforts d'un puissant réseau associatif militant pour «la réhabilitation historique de la berbérité du Maroc et la reconnaissance du tamazight comme langue officielle». De fait, cette reconnaissance officielle risque de se faire attendre encore longtemps avant de se concrétiser. À côté des multiples avancées qu’à connues le Maroc depuis le règne de Mohammed VI, de nombreux efforts restent encore à faire en matière de justice, de corruption, d’éducation (40 % de la population étant encore analphabète), d’inégalités sociales, notamment en ce qui concerne les minorités berbérophones, et de liberté de la presse.
5.2 La réforme constitutionnelle de 2011
Le Maroc n'a pas été épargné par le vent de mécontentement qui a soufflé sur le monde arabe. En effet, des manifestations se sont tenues au Maroc le 20 février 2011, alors que les manifestants ont revendiqué une réforme profonde du système politique marocain, dont une remise en question du rôle de la monarchie, c'est-à-dire un régime parlementaire dans lequel le roi serait souverain sans détenir le pouvoir exécutif, ce qui correspondrait à une monarchie parlementaire à l'exemple de l'Espagne ou du Royaume-Uni.
Les Marocains ne contestaient pas l'autorité du roi, mais ils désiraient une monarchie parlementaire, qui limiterait les pouvoirs de Mohammed VI et conférerait plus de prérogatives au Parlement.
- Le discours du roi du 9 mars
Dans son discours du 9 mars 2011, le roi Mohammed VI a annoncé une «importante réforme constitutionnelle globale», prévoyant notamment «l'élargissement des libertés individuelles et collectives». Cette réforme devait être soumise à un «référendum populaire». Dans son discours, Mohammed VI a énuméré sept fondements de ses réformes démocratiques, dont la reconnaissance constitutionnelle pour la première fois de la composante «amazighe», le «renforcement du statut du premier ministre» et «la volonté d'ériger la justice en pouvoir indépendant».
Nous avons décidé d'entreprendre une réforme constitutionnelle
globale, sur la base de sept fondements majeurs : 1. La consécration constitutionnelle de la pluralité de l'identité marocaine unie et riche de la diversité de ses affluents, et au cœur de laquelle figure l'amazighité, patrimoine commun de tous les Marocains, sans exclusive. 2. La consolidation de l'État de droit et des institutions, l'élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice, ainsi que le renforcement du système des droits de l'Homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement. Cela devrait se faire notamment à travers la constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l'Instance Équité et Réconciliation (IER), ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière. 3. La volonté d'ériger la justice au rang de pouvoir indépendant et de renforcer les prérogatives du Conseil constitutionnel, le but étant de conforter la prééminence de la Constitution et de consolider la suprématie de la loi et l'égalité de tous devant elle. 4. La consolidation du principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs et l'approfondissement de la démocratisation, de la modernisation et la rationalisation des institutions, à travers :
5. Le renforcement des organes et outils constitutionnels d'encadrement des citoyens, à travers notamment la consolidation du rôle des partis politiques dans le cadre d'un pluralisme effectif, et l'affermissement du statut de l'opposition parlementaire et du rôle de la société civile. 6. La consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l'exercice de l'autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes. 7. La constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l'Homme et de la protection des libertés. |
Afin d'élaborer cette réforme constitutionnelle, le souverain marocain a mis en place une commission qui devait rencontrer les partis politiques, les syndicats, les organisations de jeunes et les associations. La Commission consultative de la réforme constitutionnelle, présidée par le professeur et juriste Abdeltif Mennouni, a préparé le projet de constitution en se basant sur le discours du roi; le texte a été rédigé en français, puis traduit en arabe. La Commission devait rendre le résultat de ses travaux au mois de juin 2011. La réforme devait être ensuite soumise à un référendum populaire le 1er juillet suivant. Près de 98 % des Marocains ont voté en faveur du projet de révision constitutionnelle lors du référendum tenu cette journée-là.
Certains observateurs affirment que le roi du Maroc a eu peur pour son trône et c'est pour cette raison qu'il a annoncé des réformes. En fait, Mohammed VI a jeté du lest, beaucoup de lest : il a accepté de perdre une partie de ses pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs. La monarchie marocaine a compris qu’elle devait assouplir son modèle démocratique, qui fait consensus aujourd’hui. Le roi Mohammed VI a agi en amont des révoltes, mais il pouvait se le permettre: les Marocains sont profondément attachés à la monarchie.
Le pays s'oriente ainsi vers une monarchie quasi constitutionnelle (en principe). Si seulement d'autres pays arabes avaient fait de même et jeté du lest: Algérie, Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Yémen, etc. Le Maroc va peut-être démontrer que la démocratie est possible dans un pays musulman. C'est une heureuse exception, une avancée remarquable dans le paysage du «Printemps arabe». La monarchie demeure très populaire au Maroc — elle va probablement le demeurer —, alors que la colère des Marocains s'est cristallisée autour de la politique du gouvernement.
- La réforme et les langues
Selon la réforme proposée, l'Assemblée nationale marocaine bénéficie de pouvoirs plus élargis, mais le roi demeure le «Commandeur des croyants et chef de l'État», en gardant le contrôle direct sur du ministère de la Défense et de la diplomatie. Mohamed VI reste le chef suprême, le chef d'état-major général des Forces armées royales, a-t-il déclaré dans son discours du 9 mars 2011, ajoutant qu'un «conseil supérieur de sécurité», présidé par lui-même, serait créé pour «gérer les questions sécuritaires internes, structurelles et imprévues». L'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir législatif et judiciaire est demeurée garantie, tandis que le roi s'est engagé à constitutionnaliser le principe de l'«égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la protection des droits de l'Homme reconnus universellement». La langue amazighe sera promue au rang de langue officielle à côté de la langue arabe dans le nouveau texte de Constitution où la liberté de culte sera aussi garantie tout en gardant l'islam comme la religion d'État. Le premier ministre s'appellera désormais «chef du gouvernement»; il présidera le Conseil de gouvernement, dirigera l'Exécutif, nommera les hauts fonctionnaires civils de l'État.
Voici le nouvel article 5 de la Constitution de 2011 portant sur les langues:
Article 5
(2011) 1) L’arabe demeure la langue officielle de l'État. L'État œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l'État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. 2) Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle. 3) L’État œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des parlers pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde, en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines. 4) Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement. |
Il convient de constater que l'amazigh n'est pas officiel au même titre que l'arabe, puisqu'une hiérarchie est prévue entre les deux langues. En effet, «l'arabe demeure LA langue officielle de l'État», et l'amazighe «constitue aussi UNE langue officielle de l'État en tant que patrimoine commun à tous les Marocains».
Pour en arriver à l'égalité des deux langues, du moins sur papier, il aurait fallu trouver dans le texte une formulation du genre: «L'arabe et l'amazigh sont les langues officielles de l'État.» Le texte prévoit une loi organique afin d'encadrer et définir le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh, ainsi que «des modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique», et ce, afin «de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle». Mais cette décision historique demeure encore dans l’attente d’être appliquée au moyen de la promulgation des lois organiques qui définiraient le cadre précis de l’intégration de la langue amazigh dans la vie publique.
Fait curieux, le texte de la nouvelle Constitution établit une particularité en ce qui a trait à l'hassani, une variété d'arabe parlé par les tribus marocaines du Sahara, en tant «que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie». Toutefois, aucune allusion n’est faite à l'arabe marocain appelé «darija» et parlé par la majorité des Marocains.
- La diversité culturelle
Il n'en demeure pas moins que le Maroc semble s'ouvrir à la diversité
culturelle. Ainsi, peut-on lire dans le préambule de la nouvelle
Constitution
de
2011 les
composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, et les influences
africaine, andalouse, hébraïque et méditerranéenne:
|
Pour la plupart des analystes, il n'y avait pas de doute: le OUI allait l'emporter au référendum sur la Constitution, car le roi avait appelé à voter en ce sens. Pour la majorité des Marocains, le débat était réglé avant même la consultation populaire.
Mais les critiques se sont fait entendre et les appels au non, voire au boycott, se sont multipliés... en vain. Le roi conservera encore de nombreux pouvoirs; la personne du roi ne sera plus considérée comme «sacrée», mais plutôt comme «inviolable». Il demeure le chef spirituel des musulmans du Maroc, il reste aussi le chef des armées, il conserve le droit de nommer les walis et les bachas, ainsi que son droit de véto sur le ministre de l'Intérieur, qui est responsable de la police et des services de sécurité; il continue de contrôler le politique étrangère du Maroc en nommant les ambassadeurs. Enfin, il reste le chef du conseil qui désigne les juges.
Les concessions ne semblent pas suffisantes pour que la nouvelle Constitution soit qualifiée de «monarchie parlementaire». Il est vrai que la nouvelle Constitution prévoit un renforcement du rôle du premier ministre, mais il sera toujours nommé par le roi qui, lui, conserve tous ses pouvoirs politiques et ses prérogatives religieuses. En résumé, la même oligarchie politique restera en place. Pour les représentants du mouvement du 20 février, la nouvelle Constitution de 2011 ne changera pas grand-chose par rapport à l'ancienne version de 1996, car elle ne va pas assez loin, notamment au plan religieux.
5.3 Les tendances lourdes du système marocain
La situation au Maroc devrait rester ce qu'elle est : une partie de la population n'aura pas davantage accès à l'école, la pauvreté et l'écart entre les riches et les pauvres ne devraient pas changer, car la classe moyenne n'est pas encore suffisamment développée. Le Maroc demeure encore un pays très pauvre, malgré les grandes richesses présentes dans ce pays. Au Maroc, la richesse créée est répartie de façon très inégale et le fossé entre les riches et les pauvres semble considérable. Rappelons que le Maroc demeure à la 126e place dans le classement du rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Plus de cinq millions d’habitants vivent avec 10 dirhams par jour, soit 1,28 $ US ou 0,88 euros. Pendant ce temps, le roi Mohammed VI est, à titre privé, le premier banquier, le premier industriel et le premier assureur du pays. Il est aujourd'hui l'un des hommes les plus riches de la planète.
Lorsque la population d'un pays est pauvre et peu scolarisée, sa réaction sera toujours l'intégrisme. Les élections législatives du Maroc devaient avoir lieu en septembre 2012, mais compte tenu des protestations dans le monde arabe et des réformes prévues, elle se sont déroulées avec onze mois d'avance, c'est-à-dire le 25 novembre 2011. Les islamistes modérés, le Parti de la justice et du développement (PJD), ont remporté 107 des 395 sièges du Parlement; ils vont diriger le gouvernement pour la première fois dans l'histoire moderne du royaume, comme en Tunisie et en Turquie. Le Maroc a enregistré un taux de participation de 45 % au élections législatives de vendredi 25 novembre, soit huit points de plus que les législatives de 2007.
Le Parti de la justice et du développement (PJD) a des positions très arrêtées sur la condition de la femme, l'homosexualité, l'alcool, la peine de mort, l'avortement, la langue berbère, la laïcité qui serait incompatible avec la commanderie des croyants. Quant au berbère, le PDJ semble contester la légitimité de la graphie tifinagh qu'il compare à du chinois; il veut imposer l'alphabet arabe. Beaucoup d'Amazighs ont vivement protesté contre cette prise de position jugée raciste. Pour les islamistes conservateurs, l'arabe classique serait la seule garante de la nation et de l’unicité de l'islam; ils voient d'un mauvais œil toute référence à une civilisation antérieure à la venue du Prophète, ce qui frappe durement la civilisation berbère. Lors de l'élaboration de la Constitution de 2011, les représentants amazigh ont tenté de faire abolir le caractère «musulman» de l’État marocain, mais à la dernière minute, les autorités ont cédé sous la pression des islamistes.
En septembre 2016, un important projet de loi a été adopté par le Parlement marocain. Cette nouvelle loi marque la fin de la réforme constitutionnelle lancée par le roi Mohammed VI en 2011, lors du «Printemps arabe». Le Conseil des ministres avait déjà adopté un projet sur «la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, ainsi que sur les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les différents secteurs de la vie publique». La loi définit notamment l’emploi de la langue amazighe dans l’administration, les collectivités territoriales et les services publics, son enseignement dans les écoles, son usage dans l’information et la communication, la création culturelle et artistique. L’une des conséquences les plus remarquées de son officialisation a été l’apparition de l’alphabet tifinagh sur les bâtiments publics, à côté de l’arabe et du français. Depuis trois ans, une chaîne de télévision diffuse aussi en tamazight. Cependant, la loi n'entre pas intégralement en vigueur, il faudra encore quelques années.
Finalement c'est en avril 2018 qu'a repris au Parlement l’examen du projet de loi organique n°26-16, qui définit les étapes de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh et les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les différents secteurs prioritaires de la vie publique. Le délai fixé pour apporter des amendements aux projet de lois organiques sur l’officialisation de l’amazigh a été prolongé jusqu’au jeudi 31 mai 2018. Le doute a commencé à s’installer sur le bien-fondé de ces reports continuels.
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(1) Données démolinguistiques |
(2) Données historiques et conséquences linguistiques | (3) La politique d'arabisation |
(4) Les droits linguistiques des berbérophones |
Sahara occidental | (5) Bibliographie |