Rapport du Comité de salut public
sur les idiomes

Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794)

Bertrand Barère de Vieuzac

Ce rapport de Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841), membre du Comité de salut public, déclencha l'offensive en faveur de l'existence d'une langue nationale. C'est l'un des textes les plus importants de toute la période de la Révolution française, avec celui de l'abbé Grégoire, au sujet des langues de France et de la Nation en général. Pour Barère, non seulement la langue d'un peuple libre doit être une et la même pour tous, c'est-à-dire le français, car les autres langues sont considérées comme des «jargons barbares» et des «idiomes grossiers» qui ne peuvent plus servir que les «fanatiques» et les «contre-révolutionnaires».

Citoyens, les tyrans coalisés ont dit : l'ignorance fut toujours notre auxiliaire le plus puissant ; maintenons l'ignorance ; elle fait les fanatiques, elle multiplie les contre-révolutionnaires ; faisons rétrograder les Français vers la barbarie : servons-nous des peuples mal instruits ou de ceux qui parlent un idiome différent de celui de l'instruction publique.

Le comité a entendu ce complot de l'ignorance et du despotisme.

Je viens appeler aujourd'hui votre attention sur la plus belle langue de l'Europe, celle qui, la première, a consacré franchement les droits de l'homme et du citoyen, celle qui est chargée de transmettre au monde les plus sublimes pensées de la liberté et les plus grandes spéculations de la politique.

Longtemps elle fut esclave, elle flatta les rois, corrompit les cours et asservit les peuples ; longtemps elle fut déshonorée dans les écoles, et mensongère dans les livres de l'éducation publique ; astucieuse dans les tribunaux, fanatique dans les temples, barbare dans les diplômes, amollie par les poètes, corruptrice sur les théâtres, elle semblait attendre ou plutôt désirer une plus belle destinée.

Épurée enfin, et adoucie par quelques auteurs dramatiques, ennoblie et brillante dans les discours de quelques orateurs, elle venait de reprendre de l'énergie, de la raison et de la liberté sous la plume de quelques philosophes que la persécution avait honorés avant la révolution de 1789.
Mais elle paraissait encore n'appartenir qu'à certaines classes de la société; elle avait pris la teinte des distinctions nobiliaires ; et le courtisan, non content d'être distingué par ses vices et ses dépravations, cherchait encore à se distinguer dans le même pays par un autre langage. On eût dit qu'il y avait plusieurs nations dans une seule.

Cela devait exister dans un gouvernement monarchique, où l'on faisait ses preuves pour entrer dans une maison d'éducation, dans un pays où il fallait un certain ramage pour être de ce qu'on appelait la bonne compagnie, et où il fallait siffler la langue d'une manière particulière pour être un homme comme il faut.

Ces puériles distinctions ont disparu avec les grimaces des courtisans ridicules et les hochets d'une cour perverse. L'orgueil même de l'accent plus ou moins pur ou sonore n'existe plus, depuis que des citoyens rassemblés de toutes les parties de la République ont exprimé dans les assemblées nationales leurs vœux pour la liberté et leurs pensées pour la législation commune. Auparavant, c'étaient des esclaves brillants de diverses nuances ; ils se disputaient la primauté de mode et de langage. Les hommes libres se ressemblent tous ; et l'accent vigoureux de la liberté et de l'égalité est le même, soit qu'il sorte de la bouche d'un habitant des Alpes ou des Vosges, des Pyrénées ou du Cantal, du Mont-Blanc ou du Mont-Terrible, soit qu'il devienne l'expression des hommes dans des contrées centrales, dans des contrées maritimes ou sur les frontières.

Quatre points du territoire de la République méritent seuls de fixer l'attention du législateur révolutionnaire sous le rapport des idiomes qui paraissent les plus contraires à la propagation de l'esprit public et présentent des obstacles à la connaissance des lois de la République et à leur exécution.

Parmi les idiomes anciens, welches, gascons, celtiques, wisigoths, phocéens ou orientaux, qui forment quelques nuances dans les communications des divers citoyens et des pays formant le territoire de la République, nous avons observé (et les rapports des représentants se réunissent sur ce point avec ceux des divers agents envoyés dans les départements) que l'idiome appelé bas-breton, l'idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France.

Je commence par le bas-breton. Il est parlé exclusivement dans la presque totalité des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, d'Îlle-et-Vilaine, et dans une grande partie de la Loire-Inférieure. Là l'ignorance perpétue le joug imposé par les prêtres et les nobles ; là les citoyens naissent et meurent dans l'erreur : ils ignorent s'il existe encore des lois nouvelles.

Les habitants des campagnes n'entendent que le bas-breton ; c'est avec cet instrument barbare de leurs pensées superstitieuses que les prêtres et les intrigants les tiennent sous leur empire, dirigent leurs consciences et empêchent les citoyens de connaître les lois et d'aimer la République. Vos travaux leur sont inconnus, vos efforts pour leur affranchissement sont ignorés. L'éducation publique ne peut s'y établir, la régénération nationale y est impossible. C'est un fédéralisme indestructible que celui qui est fondé sur le défaut de communication des pensées ; et si les divers départements, seulement dans les campagnes, parlaient divers idiomes, de tels fédéralistes ne pourraient être corrigés qu'avec des instituteurs et des maîtres d'école dans plusieurs années seulement.

Les conséquences de cet idiome, trop longtemps perpétué et trop généralement parlé dans les cinq départements de l'Ouest, sont si sensibles que les paysans (au rapport de gens qui y ont été envoyés) confondent le mot loi et celui de religion, à un tel point que, lorsque les fonctionnaires publics leur parlent des lois de la République et des décrets de la Convention, ils s'écrient dans leur langage vulgaire : Est-ce qu'on veut nous faire sans cesse changer de religion ?

Quel machiavélisme dans les prêtres d'avoir fait confondre la loi et la religion dans la pensée de ces bons habitants des campagnes ! Jugez, par ce trait particulier, s'il est instant de s'occuper de cet objet. Vous avez ôté à ces fanatiques égarés les saints par le calendrier de la République ; ôtez-leur l'empire des prêtres par l'enseignement de la langue française.

Dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, qui a donc appelé, de concert avec les traîtres, le Prussien et l'Autrichien sur nos frontières envahies ? l'habitant des campagnes qui parle la même langue que nos ennemis, et qui se croit ainsi bien plus leur frère et leur concitoyen que le frère et le concitoyen des Français qui lui parlent une autre langue et ont d'autres habitudes.

Le pouvoir de l'identité du langage a été si grand qu'à la retraite des Allemands plus de vingt mille hommes des campagnes du Bas-Rhin sont émigrés. L'empire du langage et l'intelligence qui régnait entre nos ennemis d'Allemagne et nos concitoyens du département du Bas-Rhin est si incontestable qu'ils n'ont pas été arrêtés dans leur émigration par tout ce que les hommes ont de plus cher, le sol qui les a vus naître, les dieux pénates et les terres qu'ils avaient fertilisées. La différence des conditions, l'orgueil, ont produit la première émigration qui a donné à la France des milliards ; la différence du langage, le défaut d'éducation, l'ignorance ont produit la seconde émigration qui laisse presque tout un département sans cultivateurs. C'est ainsi que la contre-révolution s'est établie sur quelques frontières en se réfugiant dans les idiomes celtiques ou barbares que nous aurions dû faire disparaître.

Vers une autre extrémité de la République est un peuple neuf, quoique antique, un peuple pasteur et navigateur, qui ne fut jamais ni esclave ni maître, que César ne put vaincre au milieu de sa course triomphante dans les Gaules, que l'Espagne ne put atteindre au milieu de ses révolutions, et que le despotisme de nos despotes ne put soumettre au joug des intendants : je veux parler du peuple basque. Il occupe l'extrémité dés Pyrénées-Occidentales qui se jette dans l'Océan. Une langue sonore et imagée est regardée comme le sceau de leur origine et l'héritage transmis par leurs ancêtres. Mais ils ont des prêtres, et les prêtres se servent de leur idiome pour les fanatiser ; mais ils ignorent la langue française et la langue des lois de la République. Il faut donc qu'ils l'apprennent, car, malgré la différence du langage et malgré leurs prêtres, ils sont dévoués à la République qu'ils ont déjà défendue avec valeur le long de la Bidassoa et sur nos escadres.

Un autre département mérite d'attirer vos regards : c'est le département de Corse. Amis ardents de la liberté, quand un perfide Paoli et des administrateurs fédéralistes ligués avec des prêtres ne les égarent pas, les Corses sont des citoyens français ; mais, depuis quatre ans de révolution, ils ignorent nos lois, ils ne connaissent pas les événements et les crises de notre liberté.

Trop voisins de l'Italie, que pouvaient-ils en recevoir ? des prêtres, des indulgences, des Adresses séditieuses, des mouvements fanatiques. Pascal Paoli, Anglais par reconnaissance, dissimulé par habitude, faible par son âge, Italien par principe, sacerdotal par besoin, se sert puissamment de la langue italienne pour pervertir l'esprit public, pour égarer le peuple, pour grossir son parti ; il se sert surtout de l'ignorance des habitants de Corse, qui ne soupçonnent pas même l'existence des lois françaises, parce qu'elles sont dans une langue qu'ils n'entendent pas.
Il est vrai qu'on traduit depuis quelques mois notre législation en italien ; mais ne vaut-il pas mieux y établir des instituteurs de notre langue que des traducteurs d'une langue étrangère ?

Citoyens, c'est ainsi que naquit la Vendée ; son berceau fut l'ignorance des lois ; son accroissement fut dans les moyens employés pour empêcher la révolution d'y pénétrer, et alors les dieux de l'ignorance, les prêtres réfractaires, les nobles conspirateurs, les praticiens avides et les administrateurs faibles ou complices ouvrirent une plaie hideuse dans le sein de la France : écrasons donc l'ignorance, établissons des instituteurs de langue française dans les campagnes !

Depuis trois ans les assemblées nationales parlent et discutent sur l'éducation publique ; depuis longtemps le besoin des écoles primaires se fait sentir ; ce sont des subsistances morales de première nécessité que les campagnes vous demandent ; mais peut-être sommes-nous encore trop académiques et trop loin du peuple pour lui donner les institutions les plus adaptées à ses plus pressants besoins.

Les lois de l'éducation préparent à être artisan, artiste, savant, littérateur, législateur et fonctionnaire public ; mais les premières lois de l'éducation doivent préparer à être citoyens ; or, pour être citoyen, il faut obéir aux lois, et, pour leur obéir, il faut les connaître. Vous devez donc au peuple l'éducation première qui le met à portée d'entendre la voix du législateur. Quelle contradiction présentent à tous les esprits les départements du Haut et du Bas-Rhin, ceux du Morbihan, du Finistère, d'Ille-et-Vilaine, de la Loire-Inférieure, des Côtes-du-Nord, des Basses-Pyrénées et de la Corse ? Le législateur parle une langue que ceux qui doivent exécuter et obéir n'entendent pas. Les anciens ne connurent jamais des contrastes aussi frappants et aussi dangereux.

Il faut populariser la langue, il faut détruire cette aristocratie de langage qui semble établir une nation polie au milieu d'une nation barbare.
Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même ; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier.

Vous avez décrété l'envoi des lois à toutes les communes de la République ; mais ce bienfait est perdu pour celles des départements que j'ai déjà indiqués. Les lumières portées à grands frais aux extrémités de la France s'éteignent en y arrivant, puisque les lois n'y sont pas entendues.
Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreur.

Le comité a pensé qu'il devait vous proposer, comme mesure urgente et révolutionnaire, de donner à chaque commune de campagne des départements désignés un instituteur de langue française, chargé d'enseigner aux jeunes personnes des deux sexes, et de lire, chaque décade, à tous les autres citoyens de la commune, les lois, les décrets et les instructions envoyés de la Convention. Ce sera à ces instituteurs de traduire vocalement ces lois pour une intelligence plus facile dans les premiers temps. Rome instruisait la jeunesse en lui apprenant à lire dans la loi des douze tables. La France apprendra à une partie des citoyens la langue française dans le livre de la Déclaration des Droits.

Ce n'est pas qu'il n'existe d'autres idiomes plus ou moins grossiers dans d'autres départements ; mais ils ne sont pas exclusifs, mais ils n'ont pas empêché de connaître la langue nationale. Si elle n'est pas également bien parlée partout, elle est du moins facilement entendue. Les clubs, les Sociétés patriotiques, sont des écoles primaires pour la langue et pour la liberté ; elles suffiront pour la faire connaître dans les départements où il reste encore trop de vestiges de ces patois, de ces jargons maintenus par l'habitude et propagés par une éducation négligée ou nulle. Le législateur doit voir d'en haut, et ne doit ainsi apercevoir que les nuances très prononcées, que les différences énormes ; il ne doit des instituteurs de langue qu'au pays, qui, habitué exclusivement à un idiome, est pour ainsi dire isolé et séparé de la grande famille.

Ces instituteurs n'appartiendront à aucune fonction de culte quelconque ; point de sacerdoce dans l'enseignement public ; de bons patriotes, des hommes éclairés, voilà les premières qualités nécessaires pour se mêler d'éducation.

Les Sociétés populaires indiqueront des candidats : c'est de leur sein, c'est des villes que doivent sortir ces instituteurs ; c'est par les représentants du peuple, envoyés pour établir le gouvernement révolutionnaire, qu'ils seront choisis.

Leur traitement sera payé par le trésor public. La République doit l'instruction élémentaire à tous les citoyens ; leur traitement n'éveillera pas la cupidité ; il doit satisfaire aux besoins d'un homme dans les campagnes ; il sera de 100 frs par mois. L'assiduité prouvée par des autorités constituées sera la caution de la République dans le paiement qu'elle fera à ces instituteurs, qui vont remplir une mission plus importante qu'elle ne paraît d'abord. Ils vont créer des hommes à la liberté, attacher des citoyens à la patrie, et préparer l'exécution des lois en les faisant connaître.
Cette proposition du comité aura peut-être une apparence frivole aux yeux des hommes ordinaires, mais je parle à des législateurs populaires, chargés de présider à la plus belle des révolutions que la politique et l'esprit humain aient encore éprouvées.

Si je parlais à un despote, il me blâmerait ; dans la monarchie même chaque maison, chaque commune, chaque province, était en quelque sorte un empire séparé de moeurs, d'usages, de lois, de coutumes et de langage. Le despote avait besoin d'isoler les peuples, de séparer les pays, de diviser les intérêts, d'empêcher les communications, d'arrêter la simultanéité des pensées et l'identité des mouvements. Le despotisme maintenait la variété des idiomes : une monarchie doit ressembler à la tour de Babel ; il n'y a qu'une langue universelle pour le tyran : celle de la force pour avoir l'obéissance, et celle des impôts pour avoir de l'argent.

Dans la démocratie, au contraire, la surveillance du gouvernement est confiée à chaque citoyen ; pour le surveiller il faut le connaître, il faut surtout en connaître la langue.

Les lois d'une République supposent une attention singulière de tous les citoyens les uns sur les autres, et une surveillance constante sur l'observation des lois et sur la conduite des fonctionnaires publics. Peut-on se la promettre dans la confusion des langues, dans la négligence de la première éducation du peuple, dans l'ignorance des citoyens ?

D'ailleurs, combien de dépenses n'avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes parlés en France ! Comme si c'était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires !

Laisser les citoyens dans l'ignorance de la langue nationale, c'est trahir la patrie ; c'est laisser le torrent des lumières empoisonné ou obstrué dans son cours ; c'est méconnaître les bienfaits de l'imprimerie, car chaque imprimeur est un instituteur public de langue et de législation.

Laisserez-vous sans fruit sur quelque partie du territoire, cette belle invention qui multiplie les pensées et propage les lumières, qui reproduit les lois et les décrets, et les étend dans huit jours sur toute la surface de la République ; une invention qui rend la Convention nationale présente à toutes les communes, et qui seule peut assurer les lumières, l'éducation, l'esprit public et le gouvernement démocratique d'une grande nation ?
Citoyens, la langue d'un peuple libre doit être une et la même pour tous.

Dès que les hommes pensent, dès qu'ils peuvent coaliser leurs pensées, l'empire des prêtres, des despotes et des intrigants touche à sa ruine.
Donnons donc aux citoyens l'instrument de la pensée publique, l'agent le plus sûr de la révolution, le même langage.

Eh quoi ! tandis que les peuples étrangers apprennent sur tout le globe la langue française ; tandis que nos papiers publics circulent dans toutes les régions ; tandis que le Journal Universel et le Journal des Hommes Libres sont lus chez toutes les nations d'un pôle à l'autre, on dirait qu'il existe en France six cent mille Français qui ignorent absolument la langue de leur nation et qui ne connaissent ni les lois, ni la révolution qui se font au milieu d'eux !

Ayons l'orgueil que doit donner la prééminence de la langue française depuis qu'elle est républicaine, et remplissons un devoir.
Laissons la langue italienne consacrée aux délices de l'harmonie et aux expressions d'une poésie molle et corruptrice.
Laissons la langue allemande, peu faite pour des peuples libres jusqu'à ce que le gouvernement féodal et militaire, dont elle est le plus digne organe, soit anéanti.

Laissons la langue espagnole pour son inquisition et ses universités jusqu'à ce qu'elle exprime l'expulsion des Bourbons qui ont détrôné les peuples de toutes les Espagnes.

Quant à la langue anglaise, qui fut grande et libre le jour qu'elle s'enrichit de ces mots, la majesté du peuple, elle n'est plus que l'idiome d'un gouvernement tyrannique et exécrable, de la banque et des lettres-de-change.

Nos ennemis avaient fait de la langue française la langue des cours ; ils l'avaient avilie. C'est à nous d'en faire la langue des peuples, et elle sera honorée.

Il n'appartient qu'à une langue qui a prêté ses accents à la liberté et à l'égalité ; à une langue qui a une tribune législative et deux mille tribunes populaires, qui a de grandes enceintes pour agiter de vastes assemblées, et des théâtres pour célébrer le patriotisme ; il n'appartient qu'à la langue française qui, depuis quatre ans, se fait lire par tous les peuples, qui décrit à toute l'Europe la valeur de quatorze armées, qui sert d'instrument à la gloire de la reprise de Toulon, de Landau, du Fort Vauban et à l'anéantissement des armées royales ; il n'appartient qu'à elle de devenir la langue universelle.

Mais cette ambition est celle du génie de la liberté ; il la remplira. Pour nous, nous devons à nos concitoyens, nous devons à l'affermissement de la République de faire parler sur tout son territoire la langue dans laquelle est écrite la Déclaration des droits de l'Homme.

Voici le projet :

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de salut public, décrète :

Art. I. Il sera établi dans dix jours, à compter du jour de la publication du présent décret, un instituteur de langue française dans chaque commune de campagne des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord et dans la partie de la Loire-Inférieure dont les habitants parlent l'idiome appelé bas-breton.

Art. II. Il sera procédé à la même nomination d'un instituteur de la langue française dans chaque commune des campagnes des départements du Haut et Bas-Rhin, dans le département de la Corse, dans la partie du département de la Moselle, du département du Nord, du Mont-Terrible, des Alpes maritimes, et de la partie des Basses-Pyrénées dont les habitants parlent un idiome étranger.

Art. III. Il ne pourra être choisi un instituteur parmi les ministres d'un culte quelconque, ni parmi ceux qui auront appartenu à des castes ci-devant privilégiées ; ils seront nommés par les représentants du peuple, sur l'indication faîte par les sociétés populaires.

Art. IV. Les instituteurs seront tenus d'enseigner tous les jours la langue française et la Déclaration des droits de l'Homme à tous les jeunes citoyens des deux sexes que les pères, mères et tuteurs seront tenus d'envoyer dans les écoles publiques ; les jours de décade ils donneront lecture au peuple et traduiront vocalement les lois de la république en préférant celles relatives à l'agriculture et aux droits des citoyens.

Art. V. Les instituteurs recevront du trésor public un traitement de 1500 livres par an, payables à la fin de chaque mois, à la caisse du district, sur le certificat de résidence donné par les municipalités, d'assiduité et de zèle à leurs fonctions donné par l'agent national près chaque commune. Les sociétés populaires sont invitées à propager l'établissement des clubs pour la traduction vocale des décrets et des lois de la république, et à multiplier les moyens de faire connaître la langue française dans les campagnes les plus reculées.

Le Comité de salut public est chargé de prendre à ce sujet toutes les mesures qu'il croira nécessaires. (Projet décrété)
 

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