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Transcription des débats - Langues régionales et adoption de la Charte européenne - (26 janvier 2005) |
Le 26 janvier 2005, trois députés bretons, MM. Le Drian, Le Fur et Mme Le Branchu, ainsi que M. Bayrou, ont tenté de faire adopter quelques amendements en vue de changer l’article 2 de la Constitution française qui ne reconnaît que le français comme langue de la République, ce qui a eu pour effet de bloquer ainsi toute ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Face aux arguments développés par ces quatre députés, la réaction de la majorité de l’Assemblée fut négative, sinon condescendante pour les langues régionales parlées en France. Voici la transcription des débats à l'Assemblée nationale au sujet de l'article 2 de la Constitution.
Groupe UMP = Union pour un mouvement populaire
Groupe UDF = Union pour la démocratie française
M. le Président - J'appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du gouvernement. M. le Président - Les amendements 13 et 40 peuvent être soumis à discussion commune. À la demande de la commission des lois, j'appellerai immédiatement après l'amendement 12 et le sous-amendement 41, qui portent sur un sujet voisin. M. Marc Le Fur - L'amendement 13, que j'ai cosigné avec un certain nombre de collègues du groupe UMP, aborde le problème des langues régionales. Celles-ci font partie du patrimoine de nos concitoyens - qui n'en sont pas moins de bons Français. L'attachement à ces langues, qui concernent de nombreuses régions métropolitaines et d'outre-mer, ne relève pas de la nostalgie; il est très fort chez de nombreux jeunes, encouragé par le talent de musiciens et par le développement de l'offre de formation. L'enjeu est l'adoption par notre pays de la Charte européenne des langues régionales. Celle-ci, préconisée par le Conseil de l'Europe, a été ratifiée par une majorité de pays européens, mais la France, après l'avoir signée, ne l'a toujours pas ratifiée. Le Conseil constitutionnel ayant considéré en 1999 que cette ratification nécessitait une modification préalable de la Constitution, il est logique que nous évoquions ce sujet aujourd'hui. Sur la Charte elle-même, je voudrais répondre par anticipation à certaines critiques. On entend dire qu'elle menacerait les fondements de notre République. Ce n'est pas vrai puisqu'il suffit, pour qu'un pays soit considéré comme « adoptant », qu'il ait adopté 35 de ses 98 mesures: libre à lui de ne pas adopter celles qui ne lui conviennent pas. Ce débat ne doit pas être caricaturé, folklorisé. Europe, France, régions: additionnons ces réalités qui font notre richesse, au lieu de les opposer. M. François Bayrou - Nous abordons là un sujet passionnel. Ceux qui défendent ici les langues régionales veulent dire à quel point elles font partie du patrimoine de la nation. Le premier alinéa de l'article 2 de notre Constitution, selon lequel la langue de la République est le français n'a pas été introduit dans l'idée qu'il pourrait être un jour opposé à la défense des langues régionales. Je me souviens même de Jacques Toubon affirmant le contraire. La défense du français n'est pas contradictoire avec la défense des langue de France. Ce n'est pas parce qu'une langue est minoritaire qu'elle est moins digne d'intérêt, et les langues que nous défendons ici ont une syntaxe, une longue histoire. Le béarnais était langue de droit bien avant que le français n'existe... Nous sommes nombreux à penser que les langues régionales sont victimes d'un ostracisme, et qu'un jour le français le sera aussi, car c'est une langue minoritaire en Europe et dans le monde. Au Japon, le japonais est classé trésor national; nous nous honorerions à classer nos propres langues comme trésors nationaux: c'est le sens de notre amendement 40, comme de celui de M. Le Fur (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. le Rapporteur - C'est un débat que nous avons déjà eu, qu'il s'agisse du breton, du béarnais, du basque... M. Pascal Terrasse - De l'occitan! M. Jacques Myard - Du verlan! M. Jean-Pierre Soisson - En tout cas, pas du bourguignon! Si l'Assemblée nationale ne défend pas le français, à quoi servons-nous? M. le Rapporteur - J'ai essayé, par cette énumération, de faire revivre la France d'hier. M. François Bayrou - La France d'aujourd'hui! M. le Rapporteur - D'hier particulièrement. Tout l'effort de la IIIe République et de ses hussards noirs — et peut-être cet effort avait-il des origines plus lointaines — a consisté à donner une langue commune aux Français, n'en déplaise aux nostalgiques. M. François Bayrou - Il ne s'agit pas de nostalgie. M. le Rapporteur - La Constitution a consacré cet effort dans son article 2, par cette phrase qui n'apprend rien à personne: « La langue de la République est le français. » Cet effort d'unification linguistique a permis que tous les Français comprennent le français. Ce résultat n'est d'ailleurs acquis que depuis peu. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y avait encore dans nos villages des personnes qui ne parlaient que le patois. Il nous faut préserver une victoire de la République qui a été longue à obtenir. M. Marc Le Fur - C'est un argument éculé. M. le Rapporteur - Ce rappel n'était pas inutile. Par ailleurs, un certain nombre de députés, relayés par de nombreuses associations, demandent la ratification de la charte européenne des langues régionales. Le Conseil constitutionnel a toutefois fait observer que la quasi-totalité des engagements contenus dans cette charte étaient déjà des réalités en France. MM. François Bayrou et Marc Le Fur - Et alors? M. le Rapporteur - Il est donc inutile de se mettre en colère, les exigences de cette charte sont satisfaites dans la pratique. Le problème est que, sur certains points, l'application de la Charte pourrait ne pas être constitutionnelle. M. Hervé Morin - Si nous modifions la Constitution, il n'y aura plus de problème. M. le Rapporteur - Je souhaite que cette discussion ne soit pas passionnelle mais rationnelle. Selon le Conseil constitutionnel, si aucun des engagements souscrits par la France ne méconnaît les normes constitutionnelles, la charte proclame le droit imprescriptible à pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seulement dans la vie privée, mais encore dans la vie publique. Or, un tel droit serait contraire aux principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, dans la mesure où il reviendrait à conférer des droits spécifiques à certains groupes linguistiques à l'intérieur du territoire. C'est là le point du débat: les quatre cinquièmes de la charte sont déjà appliqués, mais reconnaître des droits particuliers à certains groupes reviendrait à accepter que de pseudo pays se constituent à l'intérieur de nos frontières. M. Christian Estrosi - Et qu'a-t-on fait d'autre en Corse? M. le Rapporteur - Je ne souhaite pas qu'une révision constitutionnelle, sur ce point, ruine tout l'effort de la République. Tous ceux qui aiment leur langue régionale peuvent la pratiquer, tous ceux qui aiment la France peuvent la conserver. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la Justice - La Constitution autorise la reconnaissance culturelle des langues régionales, comme l'a montré, Monsieur Estrosi, la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2002 sur la loi relative à la Corse. Une aide publique peut être accordée pour l'enseignement du corse, à condition que cet enseignement soit facultatif. C'est très bien ainsi. Mais la Constitution ne nous permet pas, comme l'a expliqué d'autre part le Conseil constitutionnel dans sa décision de juin 1999, de ratifier la Charte européenne des langues régionales. D'une part, il est impossible de « reconnaître des droits collectifs à quelque groupe que ce soit qui se définirait par une communauté d'origine, de culture ou de croyance ». D'autre part, « nul ne peut se prévaloir, dans ses relations avec l'administration et les services publics, du droit de faire usage d'une langue autre que le français ». Ces deux limites que pose notre Constitution me paraissent légitimes. Je souhaite que ces deux amendements ne soient pas adoptés. Mme Marylise Lebranchu - Avec Jean-Yves Le Drian, j'ai déposé un sous-amendement 41 à l'amendement 12 qui nous permettrait d'avancer... M. le Président - Il n'est pas encore en discussion. Mme Marylise Lebranchu - En effet. Mais il s'agit de trouver une solution au problème qui vient d'être posé, certains points de la charte étant incompatibles avec la Constitution. Le texte de 1999 ne reprenait d'ailleurs pas la charte dans sa totalité. M. Clément ne peut se contenter de dire que nous n'avons pas besoin de ratifier la charte parce qu'elle serait déjà largement appliquée. Cela reviendrait à dire qu'il n'est pas utile de ratifier le traité constitutionnel au motif que nous respectons déjà les droits fondamentaux. On ne peut se satisfaire de tels raccourcis. Nous voulons la ratification de la charte, sans que tous ses articles s'appliquent en France. Par ailleurs, on ne peut nous opposer des décisions du Conseil constitutionnel dans un débat qui a précisément pour objet de modifier la Constitution. M. Arnaud Montebourg - Très juste! Quelle leçon de droit, Monsieur Clément! Mme Marylise Lebranchu - Les langues que nous avons reçues en héritage ne doivent pas être abandonnées. Jack Lang a parlé très justement de «réparation . Même si la IIIe République a souvent eu raison, ceux qui ont été privés de leur langue régionale ont ressenti un sentiment d'humiliation. En bons républicains, nous ne devons pas tolérer l'humiliation, qui constitue la première cause de violence. M. le Président - Je suis saisi par le groupe UDF de deux demandes de scrutin public sur l'amendement 13 et sur l'amendement 40. M. Jacques Brunhes - «La langue de la République est le français», comme le dit le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, mais cet alinéa est récent, puisqu'il date de la révision constitutionnelle du 4 août 1995. Si en 1995 il a été nécessaire de faire entrer cela dans la Constitution, c'est bien qu'une menace pesait sur le français. Or, je constate aujourd'hui qu'il périclite dans toutes les instances internationales, et notamment européennes; cette situation s'est encore aggravée avec l'élargissement. Le problème de la défense du français se pose aujourd'hui en termes nouveaux. La semaine dernière l'assemblée des parlementaires francophones a reçu le président Diouf, président de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française, et il a souligné combien le français était menacé. Gardons à l'esprit le risque d'un monopole de l'anglais, l'impérialisme linguistique reflétant l'impérialisme de la puissance économique dominante. Le groupe communiste a toujours défendu les langues régionales; nous avons déposé depuis plus de vingt ans de nombreuses propositions de lois pour les défendre, car nous pensons qu'elles doivent être respectées. En revanche, nous avons toujours eu une hésitation au sujet de la charte, car c'est une charte des langues régionales « et minoritaires ». Il faut bien voir ce que signifierait dans notre pays, et particulièrement dans nos banlieues, l'adoption de certains articles de la Charte, et quelles conséquences s'ensuivraient si le français n'était plus la langue commune pour la justice et l'éducation. MM. Jean Leonetti, Gérard Léonard et le Rapporteur - Très bien. M. Jacques Brunhes - M. Le Fur dit qu'on peut ratifier la Charte sans en adopter tous les articles. Mais alors qu'on nous dise quels articles on veut retenir, et ceux qu'on refuse. En l'état, et avant de débattre du sous-amendement de Mme Lebranchu, nous préférons l'amendement 40 de M. Bayrou, que nous voterons, car il rappelle simplement le principe du respect des langues régionales. M. François Bayrou - Trois observations. Tout d'abord, nous ne proposons pas ce soir l'adoption de la Charte: il s'agit simplement d'inscrire dans la Constitution que le français est la langue de la République dans le respect des langues régionales. Il s'agit de faire obstacle aux décisions récurrentes de l'administration ou de la justice administrative qui, s'appuyant sur la Constitution, refusent les aides que certaines collectivités souhaitent apporter aux langues régionales. D'autre part, le Garde des Sceaux s'est appuyé sur les décisions ou les considérants du Conseil constitutionnel pour nous enjoindre d'aller dans une certaine direction. Mais ceux qui font la Constitution, ce sont les députés de l'Assemblée nationale! Si l'on s'appuie sur le Conseil constitutionnel pour opposer à l'Assemblée un certain nombre de normes, autant renoncer à la capacité législatrice qui est la nôtre. Enfin M. le président Clément a dit - et je pense que c'est son inconscient qui parlait: ceux qui veulent défendre les langues régionales pourront le faire, et ceux qui aiment la France pourront défendre le français. C'est une formulation que beaucoup d'entre nous ne sauraient accepter. Nul ici n'aime la France plus que les autres. Le fait que nous voulions préserver et transmettre une langue régionale ne porte pas atteinte à notre amour de la France, de sa langue et de sa culture. Je demande donc au président de la commission des lois de retirer cette phrase, et d'admettre que l'amour de la France n'est pas contradictoire avec le fait d'honorer une partie du patrimoine français: les langues régionales de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Marc Le Fur - Les deux amendements s'inscrivent dans la même logique: permettre un minimum de respect pour les langues régionales. Je souhaite d'autre part qu'on cesse de nous objecter une démarche nostalgique: ce débat est perçu comme moderne dans bon nombre de régions, et il est le fait de jeunes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Par ailleurs je suis frappé par une contradiction: tantôt on nous dit que nous menaçons la République, tantôt qu'il n'y a pas grand-chose dans la Charte et que de fait nous l'appliquons déjà... Il faut choisir. En fait la Charte peut être adoptée a minima: il suffit de retenir 35 de ses 98 articles. C'est dire que nous avons des latitudes. Le débat aujourd'hui ne porte pas sur l'adoption de la Charte: il s'agit de faire sauter le verrou constitutionnel, pour permettre ensuite un débat concret sur les modalités d'adoption de la Charte. Nous sommes tous ici des élus responsables. Nous savons que parfois ceux qui, dans nos régions, s'engagent dans la vie culturelle peuvent être attirés par les sirènes de l'extrémisme. C'est précisément en les rassurant, en leur montrant que leur souci, que leur passion n'est pas en contradiction avec la République, que nous éviterons ces dérives. C'est pourquoi il faut adopter ces amendements. M. le Président - Compte tenu du nombre de députés en séance, je souligne qu'il ne saurait y avoir plus de 160 votants. Je rappelle que le vote est personnel, que l'on vote seulement pour son délégant si l'on a une délégation, et que l'on doit éviter de voter pour d'autres.
M. Marc Le Fur -
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