Pierre-Clément Laussat,
Préfet colonial
Aux Louisianais
Louisianais,
Votre séparation de la France marque une des époques les plus honteuses de ses
fastes, sous un Gouvernement déjà faible et corrompu, après une guerre
ignominieuse et à la suite d'une paix flétrissante.
À côté d'un abandon lâche et dénaturé, vous avez conservé à l'égard
de la France, un amour, une fidélité et un courage héroïques. Tous les
cœurs français en furent attendris, et n'en ont jamais perdu mémoire. Ils
s'écrièrent alors, avec orgueil, et ils n'ont depuis cessé de répéter que
leur sang coulait dans vos veines.
Aussitôt qu'ils eurent repris leur dignité et reconquis leur gloire, par la
Révolution et par une suite prodigieuse de triomphes, ils ont reporté sur vous
leurs regards: vous êtes entrés dans leurs premières négociations; ils
voulaient que votre rétrocession signalât leur première Paix.
Le temps n'en était pas encore venu. Il fallait qu'un homme parût, à qui rien
de ce qui est national, grand, magnanime et juste, ne fût ni étranger, ni
impossible; qui, au talent le plus éminent des victoires, unît le talent plus
rare d'en tirer et d'en fixer tous les heureux résultats; qui commandât à la
fois, par l'ascendant de son caractère, aux Ennemis la terreur, et aux Alliés
la confiance; qui, d'un génie pénétrant, aperçût les véritables intérêts
de son pays, et, d'une volonté inébranlable, les embrassât; qui fut né enfin
pour asseoir la France sur ses fondements, la rétablir dans l'étendue entière
de ses limites et laver toutes les taches de ses Annales.
Cet Homme, il préside aujourd'hui à nos Destinées, et, dès ce moment,
Louisianais, il vous répond des vôtres. Pour qu'elles soient belles et
heureuses, il suffit de seconder, sur ce sol fortuné, les prodigalités de la
nature: tels sont aussi les desseins du Gouvernement français.
Vivre en paix et en amitié avec tous vos voisins, protéger votre commerce,
encourager votre culture, peupler vos déserts, accueillir et favoriser le
travail et l'industrie, respecter et les propriétés et les habitudes et les
opinions, rendre hommage au Culte, mettre la probité en honneur, conserver aux
Lois leur empire et ne les corriger même qu'avec mesure et au flambeau de
l'expérience, maintenir une police vigilante et ferme, introduire un ordre et
une économie permanents dans toutes les branches de l'administration publique,
resserrer chaque jour les nœuds qu'une même origine, les mêmes mœurs, les
mêmes inclinations établissent entre cette Colonie et la Mère Patrie :
Voilà, Louisianais, l'honorable mission dont votre Capitaine-Général (le
Général de division Victor), votre Préfet colonial et votre Commissaire de
justice (le citoyen Aymé) se félicitent d'être chargés d'être au milieu de
vous. La réputation du Capitaine-Général l'y a devancé :
Compagnon d'armes du Premier Consul, il s'en fit distinguer dès le
commencement des campagnes de la fameuse armée d'Italie; dans des jours moins
brillants, il étonna Suwarow, en précipitant sa fuite; il fut enfin l'un des lieutenants
de Bonaparte, à la bataille de Marengo.
Mais avec ces titres qui ont illustré son nom, il vous apporte, Louisianais, le
vif désir de vous le rendre cher par toutes les vertus, les soins et les
travaux qui, de la part des chefs, peuvent concourir au bonheur des Peuples. Son
ardeur pour vos intérêts, la pureté de ses intentions, la justesse de ses
vues, l'aménité et l'affabilité de son accès et de ses manières, relevant
encore tant de vaillance et de lauriers militaires, lui garantissent votre
affection et votre confiance.
Il vous amène de ses troupes qui ont fait retenir la Terre jusque même sur ces
rivages reculés et lointains, du bruit de leur bravoure et de leurs exploits:
la Batavie [= Hollande], depuis la paix, a admiré leur bonne conduite et leur
excellente discipline; vous les admirerez comme elle.
Vous trouverez enfin, Louisianais, dans le Commissaire de la justice, lumières,
équité, impartialité, désintéressement: il vient à vous, connu d'avance et
puissamment recommandé par la renommée de ses talents, de sa proscription et
de ses malheurs.
Vous vous applaudirez donc sous tous les rapports d'être redevenus Français:
vous sentirez de jour en jour, davantage, le prix de ce beau titre, objet
aujourd'hui d'envie sur tout le globe. Nous savons néanmoins, Louisianais, et
nous ne voulons pas le dissimuler, que durant trente ans, l'Espagne, par la
douceur d'un gouvernement réparateur et généreux, s'est efforcée de vous
faire oublier la faute sanglante d'un Agent indigne de cette noble Nation.
Elle est l' amie étroite et fidèle de la nôtre: ce n'est pas nous qui vous
inspirerons de la payer d'ingratitude.
Nous tâcherons de rivaliser d'efforts bienfaisants avec les chefs d'élite
qu'elle vous donnait.
Votre dévouement à la République française, notre commune Patrie, votre
reconnaissance pour ceux qui vous y rallient et qui nous envoient le spectacle
journalier de votre prospérité croissante, seront, Louisianais, la récompense
que nous ambitionnerons sans cesse, par le zèle et des peines dont les seules
formes seront celles de l'accomplissement de nos devoirs et de nos voeux.
À la Nouvelle-Orléans, le 6 Germinal, An XI, de la République française (28
mars 1803).
Laussat,
Par le Préfet colonial
L'officier d'administration faisant fonction de secrétaire,
Daugerot
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